Textes de référence (extraits) - École Nationale Supérieure d

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Textes de référence (extraits) - École Nationale Supérieure d
Catherine Maumi
L5S3 – Penser, représenter la ville : de la grande ville à la ville contemporaine
ENSAG
Penser, représenter la ville, de la grande ville à la ville contemporaine
C. Maumi
Textes de référence (extraits)
Descartes, Discours de la méthode (éd. originale 1637)
Union Générale d’Edition, 10/18, 1951
« J’étais alors en Allemagne, où l’occasion des guerres qui n’y sont pas encore finies m’avait
appelé ; et comme je retournais du couronnement de l’Empereur vers l’armée, le
commencement de l’hiver m’arrêta en un quartier où, ne trouvant aucune conversation qui me
divertît, et n’ayant d’ailleurs, par bonheur, aucunes passions qui me troublassent, je demeurais
tout le jour enfermé seul dans un poêle, où j’avais tout loisir de m’entretenir de mes pensées.
Entre lesquelles l’une des premières fut que je m’avisai de considérer que souvent il n’y a pas
tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et faits de la main de divers
maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit-on que les bâtiments qu’un seul
architecte a entrepris et achevés, ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés, que ceux
que plusieurs ont tâché de raccommoder, en faisant servir de vieilles murailles qui avaient été
bâties à d’autres fins. Ainsi ces anciennes cités, qui, n’ayant été au commencement que des
bourgades, sont devenues, par succession de temps, de grandes villes, sont ordinairement si
mal compassées, au prix de ces places régulières qu’un ingénieur trace à sa fantaisie dans une
plaine, qu’encore que, considérant leurs édifices chacun à part, on y trouve souvent autant plus
d’art qu’en ceux des autres ; toutefois, à voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit,
et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune, que la
volonté de quelques hommes usant de raison, qui les a ainsi disposés. » (p. 39)
Marc Antoine Laugier, Essai sur l’architecture (éd. originale 1755)
Editions Mardaga, Bruxelles, 1979
Chapitre V - De l’embellissement des Villes
« La plupart de nos Villes sont restées dans l’état de négligence, de confusion & de désordre, où
les avoit mis l’ignorance & la rusticité de nos anciens. On bâtit de nouvelles maisons : mais on
ne change ni la mauvaise distribution des rues, ni l’inégalité difforme des décorations faites au
hasard & selon le caprice de chacun. Nos villes sont toujours ce qu’elles étaient, un amas de
maisons entassées pêle-mêle sans système, sans oeconomie, sans dessein. Nulle part ce désordre
n’est plus sensible & plus choquant que dans Paris. ... » (p. 209)
« Il faut regarder une ville comme une forêt. Les rues de celle-là sont les routes de celle-ci; &
doivent être percées de même. Ce qui fait l’essentielle beauté d’un parc, c’est la multitude des
routes, leur largeur, leur alignement; mais cela ne suffit pas: il faut qu’un le Notre en dessine le
plan, qu’il y mette du goût & de la pensée, qu’on y trouve tout à la fois de l’ordre & de la
bisarerie, de la symétrie & de la variété. ... » (p. 222)
« Ce n’est donc pas une petite affaire que de dessiner le plan d’une ville,, de manière que la
magnificence du total se subdivise en une infinité de beautés de détail toutes différentes, qu’on
y rencontre presque jamais les mêmes objets, qu’en la parcourant d’un bout à l’autre, on trouve
dans chaque quartier quelque chose de neuf, de singulier, de saisissant, qu’il y ait de l’ordre, &
pourtant une sorte de confusion, que tout y soit en alignement, mais sans monotonie, & que
d’une multitude de parties régulières, il en résulte en total une certaine idée d’irrégularité & de
chaos qui sied si bien aux grandes villes. ... » (p. 224)
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Pierre Patte, Mémoires sur les objets les plus importants de l’architecture
Rozet, Paris, 1769
Chapitre 1er, Article second
« Malgré la multitude de Villes qui ont été bâties jusqu’ici dans toutes les parties du Monde, il
n’en a pas encore existé que l’on puisse véritablement citer pour modeles. Le hasard n’a pas
moins présidé à leur distribution générale qu’à leur emplacement. Pour s’en convaincre, il ne
faut que jetter les yeux sur leur ensemble, pour s’apercevoir qu’elles ne sont toutes que des
amas de maisons distribuées sans ordre, sans entente d’un plan total convenablement raisonné,
& que tout le mérite des Capitales les plus vantées, ne consiste qu’en quelques Quartiers assez
bien bâtis, qu’en quelques rues passablement alignées, ou qu’en quelques monumens publics,
recommandables, soit par leur masse, soit par le goût de leur architecture. Sans cesse on
remarquera qu’on a tout sacrifié à la grandeur, à la magnificence, mais qu’on a jamais fait
d’efforts pour procurer un véritable bien-être aux hommes, pour conserver leur vie, leur santé,
leurs biens, & pour assurer la salubrité de l’air de leurs demeures. » (p. 5)
Disposition d’une ville
« Pour la beauté d’une Ville, il n’est pas nécessaire qu’elle soit percée avec l’exacte symétrie des
Villes du Japon ou de la Chine, & que ce soit toujours un assemblage de quarrés, ou de
parallelogrammes; l’essentiel, ainsi que je l’ai dit ailleurs, est que tous les abords soient faciles,
qu’il y ait suffisamment de débouchés d’un quartier à l’autre pour le transport des
marchandises, & de la libre circulation des voitures, & enfin les extrêmités puissent se dégager
du centre à la circonférence sans confusion. Il convient surtout d’éviter la monotonie & la trop
grande uniformité dans la distribution totale de son plan, mais d’affecter au contraire de la
variété & du contraste dans les formes, afin que tous les différents quartiers ne se ressemblent
pas. Le voyageur ne doit pas tout apercevoir d’un coup d’œil, il faut qu’il soit sans cesse attiré
par des spectacles intéressants, & par un mélange agréable de places, de bâtiments publics & de
maisons particulières. » (p. 11)
Article neuvième
« Quand une fois le plan d’une Ville seroit suffisamment médité, peu-à-peu on passeroit à son
exécution, non pas en abattant, comme on pourroit le croire, toutes ses maisons; mais en
ordonnant qu’à mesure qu’il se feroit de nouvelles constructions, elles fussent dirigées suivant
l’arrangement projetté: en conséquence, il ne faudroit pas que l’on permît de rétablir ou d’entretenir aucun bâtiment qui pût le contrarier, & de faire durer les choses plus long-tems qu’elle ne
durent naturellement.
Cette seule défense opéroit les embellissements proposés en peu de tems, & changeroit trèspromptement la face d’une Ville; au lieu qu’en laissant chacun le maître de rétablir sans cesse
son bâtiment, & d’y faire à volonté des reprises par dessous- œuvre, jamais on ne verra jour à
effectuer sa rectification; & nos demeures resterons ce qu’elles sont, à moins qu’on ne veuille
dépenser des sommes immenses. » (p. 11,)
Ildefonso Cerdà, La Théorie générale de l’urbanisation
Editions du Seuil, Paris, 1979
Ed. originale : Teoria general de la URBANIZACION, y aplicacion de sus principios y
doctrinas à la reforma y ensanche de Barcelona, 1867
« Je vais initier le lecteur à l’étude d’une matière complètement neuve, intacte, vierge. Comme
tout y était nouveau, il m’a fallu chercher et inventer des mots nouveaux pour exprimer des
idées nouvelles, dont l’explication ne se trouvait dans aucun lexique. (p. 81)
Après avoir essayé et abandonné beaucoup de mots simples et composés, je me suis souvenu
du mot urbs, qui, réservé à la toute-puissante Rome, ne s’est pas transmis aux peuples qui
adoptèrent sa langue, et se prêtait mieux à mes fins. (…) Le mot urbs, contraction de urbum qui
désignait la charrue, instrument avec lequel les Romains traçaient l’enceinte que devait occuper
une poblacion quand ils allaient la fonder, dénote et exprime tout ce que pouvait contenir
l’espace circonscrit par le sillon ouvert avec l’aide des bœufs sacrés. (…) L’ouverture de ce sillon
était une véritable urbanisation, c’est-à-dire l’acte de convertir en urbs un champ ouvert ou
libre.
Telles sont les raisons philosophiques qui me décidèrent à adopter le mot urbanisation. Ce
terme désigne l’ensemble des actions tendant à grouper les constructions et à régulariser leur
fonctionnement comme l’ensemble de principes, doctrines et règles qu’il faut appliquer pour
que les constructions et leur groupement, loin de réprimer, d’affaiblir et de corrompre les
facultés physiques, morales et intellectuelles de l’homme social, contribuent à favoriser son
développement ainsi qu’à accroître le bien-être individuel et le bonheur public.» (p. 82)
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« L’exposition des plans pour l’extension de Barcelone illustre bien l’abandon théorique auquel
a été soumise la construction de villes et la faiblesse philosophique de ceux qui se sont
consacrés à son étude. Le rapport du jury nous a rappelé le slogan d’un projet qui avait attiré
notre attention pendant l’exposition. Ce slogan, à prétentions philosophiques dit: « Le tracé
d’une ville est œuvre de temps plutôt que d’architecte ». Cette citation détestable est extraite du
Traité d’architecture de Léonce Raynaud; il s’agit d’un principe absurde, voire grotesque, qui,
s’il était effectivement appliqué, nous conduirait derechef à l’époque de la barbarie, où les villes
étaient le produit du hasard (…) Dans ce siècle de culture, de découvertes et de civilisation
perfectionnée, il est amusant, sinon ridicule, d’oser laisser au temps non seulement la tâche de
développer et étendre nos villes, mais encore celle de dicter leur tracé proprement dit.» (p. 232)
« Il n’est pas toujours facile de connaître avec certitude l’origine lointaine d’une urbe, le plus
souvent cachée dans la nuit ténébreuse du temps. Il est également difficile de savoir si la
fondation résulte de circonstances oubliées par les générations successives ou bien d’études et
de calculs préalables. Mais l’observateur philosophe qui a étudié l’urbanisation peut porter un
jugement précis sur le caractère, le mode de vie, les coutumes et les habitudes des fondateurs de
l’urbe, grâce à une analyse approfondie de la topographie de la région.
… Cette grande variété de régions urbaines et de localisations des urbes ne peut être considérée
comme le produit du hasard. Elle résulte d’un choix humain, d’une volonté délibérée. Invoquer
le hasard ou la fatalité ne constitue pas une explication philosophique des actes humains. Le
recours au hasard ne se justifie que par la paresse du chercheur. ... » ( p. 100)
« Nos villes ne sont pas l’œuvre de la génération actuelle, ni de la précédente, ni de ce siècle ou
du siècle passé. Elles sont l’œuvre persévérante et continue de plusieurs générations, de
plusieurs siècles, de plusieurs civilisations. (…) En chacune de ces superpositions hétérogènes
viennent s’inscrire les nécessités, les inclinations, les tendances de chaque génération, de chaque
siècle, de chaque civilisation, ainsi que les moyens employés pour les satisfaire. Elles sont
comme les couches des formations géologiques: chacune d’elles représente exactement aux
yeux du savant le véritable état de la nature à l’époque de sa formation.
Cette œuvre hétérogène, fruit d’efforts et d’objectifs si différents, a pu subsister jusqu’à présent,
parce que au prix de quelques améliorations et modifications, chaque civilisation successive a
pu l’adapter à son usage et à ses besoins propres, qui différaient de ceux de la civilisation
précédente. Il ne serait pas difficile de signaler les raccommodages divers qui ont permis à
chaque civilisation de réaliser ces adaptations. ... » (p.77)
« La question importante est donc de savoir si, au moment où une transformation profonde et
radicale se réalise, cette œuvre monumentale d’époques successives, dont aucune ne ressemble
à la nôtre, peut être adaptée, accommodée et ajustée aux besoins nouveaux que nous ressentons
aujourd’hui, qui surgissent chaque jour et ne furent jamais prévus ni imaginés aux époques
précédentes. » (p. 77)
« A la solution radicale qui serait, sans aucun doute, le remède le plus efficace et les plus
héroïque aux maux qui accablent l’humanité, s’opposent le passé avec ses traditions et le
présent avec ses situations acquises. D’autre part, je reconnais que les exigences de la nouvelle
civilisation qui se lève, jeune, vigoureuse et toute-puissante, montée sur la vapeur et armée de
l’électricité, sont justes et d’autant plus dignes d’attention qu’il lui serait facile de les imposer
par la force, ou de les arracher à la vieille société avec une terrible violence. Il ne faut pas se faire
d’illusion: l’humanité qui, aujourd’hui plus que jamais, possède le sentiment de sa propre
dignité, ne supportera plus longtemps de vivre comprimée dans cette espèce de camisole de
force. » (p. 78)
« Hommes de l’époque de l’électricité et de la vapeur! N’ayez pas peur de le proclamer: nous
sommes une nouvelle génération, nous disposons de nouveaux moyens infiniment plus
puissants que ceux des générations précédentes, nous menons une vie nouvelle, les vieilles
urbes ne sont que des obstacles. A bas, donc, ces urbes! Nous bâtirons des urbes nouvelles
adaptées à nos besoins et à nos aspirations.»
« La locomotion perfectionnée avance avec régularité à une rapidité stupéfiante. Elle s’est alliée
à l’électricité qui, par le télégraphe, transmet instantanément la volonté impérative des hommes.
Ces moyens de locomotion permettent aux familles et aux individus les plus pauvres,
auparavant condamnés à végéter dans la région où ils naquirent, de se déplacer. Ces transports,
rapides, économiques, commodes, démocratiques, ouvrent une ère nouvelle dans la marche
progressive de l’humanité. » (p.176/177)
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Léonce Reynaud, Traité d’architecture
Ed. Dunod , Paris, 1863
Chapitre 7ème, Villes
« Le tracé d’une ville est œuvre de temps plutôt que d’architecte »
« Le plan, tellement compliqué qu’on n’y découvre aucune loi, et qu’il paraît, à première vue,
avoir été tracé au hasard, a des causes innombrables ayant toute leur valeur, et ayant été
sérieusement méditées en leur temps. (...) Il y a donc un ordre profond dans cette anarchie
apparente. (...)
Que la ville compte une longue suite de siècles ou se soit rapidement développée, peu importe,
ce n’est point une seule pensée qui l’a enfantée. Elle résulte des travaux accumulés par un grand
nombre d’intelligences, elle est le produit de volontés fort diverses, mais qui concourent
harmonieusement; elle est conforme à une loi qui a ses origines et ses motifs à la fois dans les
circonstances locales, dans la constitution politique, dans les évolutions du passé et dans les
mœurs des habitants.
Or cette loi, tellement compliquée que nous ne la pouvons découvrir, bien que nous en ayons
conscience, dans laquelle entrent, en si prodigieuse quantité, des éléments de natures très
diverses, est-il un architecte qui aurait pu l’imaginer ? Evidemment non. Ce qu’une longue série
de circonstances, ce que d’innombrables révolutions dans les mœurs ont enfanté, aucun homme
n’eût été en état de le concevoir. Qu’un architecte soit chargé de tracer le plan d’une ville, il
voudra cependant une loi pour présider à sa composition et ne pouvant découvrir celle que
suivraient les constructions dans leur agglomération successive, si le développement était
progressif, naturel en quelque sorte, il sera obligé d’en chercher une autre. Mais sur quelles
bases parviendra-t-il à l’établir ? L’expérience, aussi bien que les procédés habituels de l’esprit
humain, prouve qu’il les demandera pour la plupart à la géométrie. (...) Ce sera la convention
substituée à l’esprit. » (p. 574/575)
« Il semble, a dit un écrivain, (...) il semble que la ville la plus parfaite serait celle dont le plan
tout entier sortirait de la même main. Et Théoriquement, on ne saurait nier, en effet, qu’un
architecte capable de ramasser dans sa pensée la foule d’idées qui président à l’érection d’une
ville, de les assembler, tout en conservant le caractère individuel de chacune, et de donner à
toutes leur expression propre, en regard de l’harmonie de l’ensemble, ne dût produire la
perfection. C’est ainsi qu’ont été faits les ouvrages de Dieu, et c’est pourquoi avec une
conservation si précise des individualités, on y trouve un sentiment d’ensemble si exquis. Mais
s’il s’agit de l’homme, et, dès que le sujet qu’il se donne se complique, l’impuissance de ses
facultés se trahit : il ne trouve plus moyen de gouverner en lui avec clarté tous les modèles de
son œuvre ; il devient aveugle ou sur le détail ou sur l’ensemble, selon qu’il s’applique à
l’ensemble ou au détail ; enfin, toutes les harmonies qu’il essaye d’enfanter sont troubles ou
vicieuses, parce que le particulier y est sacrifié au général ou réciproquement. (...) » (p. 577)
Camillo Sitte, L’art de bâtir les villes (éd. originale 1889)
Ed. Seuil, 1996
« On commet cependant une erreur grossière en pensant qu’aujourd’hui encore le hasard
pourrait faire surgir du néant des œuvres d’art, comme dans le passé. Car si jadis de belles
places urbaines et des villes entières ont vu le jour en une lente évolution, sans plan parcellaire,
sans concours public et sans effort apparent, nous ne le devons ni au hasard, ni au caprice des
individus. Cette évolution n’était pas fortuite, et jamais les bâtisseurs ne se laissaient guider par
leur propre fantaisie. Inconsciemment, tous obéissaient au contraire à la tradition artistique de
leur temps, et celle-ci était si sûre que l’entreprise aboutissait toujours au meilleur résultat. Le
Romain qui établissait son camp savait exactement comment il devait procéder, et il ne lui
venait même pas à l’esprit de le disposer différemment de la coutume. (…) Chacun savait
comment tout devait être ordonné et exécuté dans les moindres détails, car la tradition n’offrait
qu’une seule solution, qu’il suffisait d’adapter aux circonstances locales. Ainsi, ce n’est
nullement le hasard, mais la grande tradition artistique, vivant au sein du peuple entier, qui,
apparemment sans plan, et sans risque d’erreur, produisait alors les aménagements urbains. Il
en fut encore de même au Moyen Age et pendant la Renaissance. » (p. 132/133)
« Mais comment ce prétendu hasard s’y prendrait-il aujourd’hui ? Sans plan d’aménagement et
sans normes, chaque particulier construirait à sa manière, car aucune tradition artistique solide
n’est plus vivante dans le peuple. Le résultat serait une cacophonie générale. La forme qui
convient le moins à l’art, le bloc de maisons, le bâtiment isolé planté ici où là sans lien avec son
contexte, s’imposerait tout autant que dans n’importe quel système de blocs dessinés à l’avance.
Les églises et les monuments occuperaient partout le milieu des places, car c’est sans doute le
seul principe dont personne aujourd’hui ne discute la raison d’être et la justesse. » (p. 133)
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« De quelque côté que l’on envisage le problème de l’élaboration des plans de villes, on arrive
toujours à la conclusion qu’il a été traité de nos jours avec une trop grande légèreté. » (p. 144)
Gustavo Giovannoni, L’Urbanisme face aux villes anciennes
Ed. Seuil, 1998
Edition originale : Vecchie città ed edilizia nuova, UTET Libreria, 1931
« Les villes anciennes et les villes nouvelles sont des organismes qui présentent des différences
fondamentales qui tiennent à la diversité de leurs dimensions et de leurs besoins, de leurs
modes d’organisation et de leurs moyens, et qui à leur tour reflètent les diverses périodes de la
civilisation humaine. (…)
D’une part, cette étude mettra en lumière les différences évoquées plus haut, en montrant que le
développement intensif de la vie moderne, avec son rythme vertigineux, est totalement
incompatible avec le maintien du cadre modeste et tranquille des villes anciennes; mais d’autre
part, elle recherchera les éléments et les relations que ces dernières apportent à la ville
considérée dans sa totalité.
Ces éléments et ces relations sont de divers ordres. La loi de la « permanence du plan * » fait
que ce qui est souvent le noyau de la ville moderne correspond encore à un modèle
topographique et urbain vieux de plusieurs siècles; dès lors que l’histoire devient vivante, ses
vestiges s’unissent aux constructions actuelles, provoquant des interférences qu’il est difficile de
démêler et de multiples problèmes qui doivent être résolus par des compromis. » (p. 43)
* cf. Pierre Lavedan, Qu’est-ce que l’urbanisme?, H. Laurence, Paris, 1926
« La tâche qui s’ouvre à nous grâce aux nouvelles techniques et aux nouvelles recherches est
vaste et magnifique, mais sa gravité et son urgence la rendent effrayante. Il n’est pas vain
d’affirmer que les grands problèmes de nos villes sont déjà bien réels et qu’ils demandent une
réponse immédiate; l’avenir des villes en dépend, la conservation de leur passé aussi. Le temps
est donc venu de décider: ou bien nous saurons réellement faire de nos villes de grands centres
capables d’absorber l’augmentation progressive de la population, en leur conférant une
grandeur et une noblesse dignes des grandes traditions, tout en respectant et en valorisant
l’admirable patrimoine artistique que nous ont transmis les siècles; ou bien nous
compromettrons irrémédiablement la possibilité d’un développement ample, organique et
fécond, et nous perdrons ce qu’il y a de beau et de précieux dans notre héritage urbain, nous
perpétuerons notre triste époque de confusion, d’urbanisme anarchique, de spéculations
foncières parasitaires, de destruction progressive des monuments et de leur contexte. » (p. 38)
« Il faut donc dire que c’en est assez, et qu’il faut « prendre un autre chemin » * que celui
parcouru jusqu’ici. Les moyens techniques et mécaniques les plus modernes doivent contribuer
au désengorgement des villes et cesser d’être des facteurs d’embouteillage et d’asphyxie; alors
qu’ils étaient les ennemis acharnés de la conservation, ou plutôt des principes d’une juste
distributions fonctionnelle de l’habitat, ils doivent devenir ses puissants alliés. Il faut introduire
du rythme, de la discipline et un sens nouveau de la beauté dans la disposition des masses et
des espaces. Il faut créer et diffuser une conscience urbanistique. Et, en cette époque où « un
siècle nouveau commence » *, poser en termes adéquats ce grand problème national, c’est déjà
commencer à le résoudre. » (p. 39)
* En référence à Dante, dans L’enfer et Le Purgatoire.
« La ville moderne a acquis au 19e siècle ses caractères spécifiques, qui avaient lentement mûri
au cours des deux siècles précédents, et elle s’affirme alors avec une telle rapidité qu’elle ne
laisse pas à l’art et à la technique le loisir de trouver une solution adéquate aux grands
problèmes qu’elle a fait naître.
Nous n’examinerons pas ici les raisons complexes qui ont engendré le phénomène vraiment
démesuré de l’urbanisation moderne, en accumulant en un temps très bref une immense
population dans des villes nouvelles qui étaient auparavant des centres modestes ou de petits
villages. (p. 89)
Ces agglomérations urbaines et l’intensité de la vie moderne n’ont pas seulement créé des
problèmes nouveaux, principalement liés à la circulation; elles ont aussi donné aux villes
modernes des caractères essentiellement différents de ceux des villes anciennes. Finie, la vie
simple et tranquille; voici la hâte et l’anxiété, le bruit, la lumière artificielle, les centres d’affaires,
les grands magasins, la recherche du confort dans les habitations, de nouveaux équipements et
de nouvelles institutions. » (p. 90)
« On peut définir le 19e siècle comme le siècle des grandes villes, car c’est là que la vie
industrielle a trouvé le terreau nécessaire à son développement. On peut aussi le définir comme
le siècle du progrès des sciences (parmi lesquelles l’hygiène revêt une importance capitale pour
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l’urbanisme), du développement des moyens mécaniques, de l’absence du sentiment de l’art,
du financement rigide de chaque entreprise.
Il faut malheureusement déplorer le retard avec lequel sont intervenues la science et la
mécanique: la première avec les données expérimentales recueillies par la statistique, avec les
recherches sociales et surtout avec la bactériologie, l’épidémiologie et les autres disciplines
concernant l’hygiène, permettant de définir les conditions susceptibles de limiter les méfaits des
concentrations humaines artificielles; la seconde grâce à une diversité d’équipements urbains et
surtout de systèmes rapides de communication. C’est pourquoi les villes se sont développées
selon des normes aussitôt dépassées, dans une alternance de densification exagérée et de
décentrement excessif, entre l’insupportable embouteillage urbain dû à la circulation des
véhicules de tous types et les possibilités de nouvellement offertes de franchir les limites de la
ville ancienne et de la raccorder aux zones extérieures: solutions, souvent, nées bien après
l’accroissement vertigineux des problèmes posés par l’agglomération et les moyens de
communication. » (p. 90/91)
« C’est ainsi qu’à l’exception de certains cas précis où la recherche politique de la grandeur, les
particularités géographiques ou encore une clairvoyante intuition ont permis de sauver la
situation, la plupart des quartiers nés au 19e siècle témoignent à bien des égards d’une totale
détérioration urbaine, atténuée seulement, dans le domaine de l’hygiène, par le développement
et le perfectionnement simultanés des grands équipements d’adduction d’eau et d’égouts. Cette
détérioration s’est manifestée dans les monotones et interminables quartiers nouveaux qui ont
encerclé et étouffé la ville ancienne, formant un barrage contre toute expansion ultérieure et
toute adaptation à des besoins plus modernes; elle s’est aussi manifestée dans les quartiers
anciens qui, à la suite de réfections et de surélévations, ont souvent perdu non seulement leur
caractère, mais aussi leur fonction et leurs conditions de vie, dont une antique sagesse avait su
maintenir le type et l’équilibre. » (p. 91)
« Il suffit en effet de confronter la réalité d’une ville ancienne (…) et les besoins (…) d’une ville
nouvelle, semblable à un grand mécanisme complexe dont les organes doivent être définis avec
une précision rigoureuse, pour voir que les conditions de vie des deux organismes sont
différentes, antithétiques et incompatibles, si bien que tout compromis se révèle dangereux
pour l’une comme pour l’autre, détruisant le caractère de l’ancien et empêchant le
développement adéquat du nouveau. Toute opération visant à réaliser ce genre de compromis
(au prix de travaux et de dépenses énormes) est condamnée à aggraver le mal toujours
davantage si elle ne prévoit pas plus largement la possibilité, dans une seconde phase, d’un
décentrement partiel.
… il faut donc regarder le problème en face. Si l’on s’obstine à vouloir faire du noyau ancien le
centre nouveau, il est condamné à une destruction immédiate ou lente. La destruction
immédiate et complète serait une solution à l’Attila ou à la Barberousse, mais elle répondrait au
moins à la logique de la modernisation. » (p. 198-199)
Quels sont les remèdes? En deux mots, décentraliser et construire; orienter vers la campagne
(…) la majorité des habitants qui vivotent dans les villes, et édifier des maisons à loyer vraiment
économiques pour y installer la population concentrée. En d’autres termes, il ne faut pas
détruire mais construire, et en quantité vraiment suffisante. » (p. 203)
« Nous ne savons pas encore ce que l’avenir nous réserve. Nous sommes incapables de définir
sans effort d’imagination ce que sera la ville de la fin du 20e siècle, et l’incertitude est si grande
qu’elle nous interdit d’aménager les quartiers pour anticiper les besoins futurs. Ils dépendent en
effet de progrès techniques et industriels que nous ne pouvons prévoir qu’en partie. Il n’est pas
à exclure qu’un jour ces progrès ne viennent mettre fin au grand développement des villes, en
ramenant la population dans les champs « libres et féconds ».
Lorsque, en effet, les moyens rapides de communication - et tout particulièrement les véhicules
aéronautiques - seront à la portée de tous et garantiront des déplacements sûrs, souples et
d’utilisation facile et précise; lorsque le téléphone sans fil, la radiophonie, la télévision, la
transmission d’énergie à distance seront devenus si efficaces et économiques qu’ils permettront
de travailler, d’étudier et de se distraire sans avoir à sortir de chez soi; lorsque, enfin, les guerres
- qu’aucune civilisation ne peut exclure - feront peser sur les grandes agglomérations le danger
de la destruction et de la mort, l’habitat isolé et dispersé, ou regroupé en petits centres ruraux,
pourra de nouveau remplacer les grandes villes. Celles-ci resteront des centres industriels, des
nœuds d’approvisionnement, avec des relais dans des centres plus petits (…). Et l’ère de
l’urbanisme moderne sera alors achevée. » (p. 96-97)
« L’étude d’un projet d’urbanisme aboutissant à la rédaction d’un plan régulateur complet
d’extension et d’organisation interne d’une ville est donc un exercice complexe: associant la
technique et l’art, elle doit se dérouler en suivant un vaste programme global, mettant en œuvre
tous les moyens et tenant compte des éléments les plus divers qui doivent être intégrés et
accordés dans une conception globale. (…)
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Le plan régulateur ne s’achève pas avec sa rédaction, qui en constitue tout juste le début; il ne
s’arrête pas aux douze points que nous présenterons dans le présent chapitre comme autant de
phases de l’étude, mais il accompagne de mille manières le développement urbain.
Une observation essentielle doit être faite à cet égard: il n’est pas d’exemple de plan régulateur
qui ait été appliqué de façon régulière et complète, comme par magie. Ses prévisions n’ont
qu’une portée indicative, ses dispositions ne sont définitives que dans les grandes lignes, et
pour certains équipements provisoires. Le plan régulateur d’une ville est en devenir continuel,
et vit de variantes déterminées par l’expérience et d’adaptation aux nombreuses conditions
inattendues qui se présentent dans la réalité.
Cette incertitude est inévitable, et représente sans doute un bien. » (p. 178-179)
« Aucun esprit humain ne peut prévoir et diriger de façon rigoureuse un phénomène aussi
complexe que celui de la naissance ou de la croissance d’une ville, aucune énergie individuelle
ne peut se substituer à l’enchevêtrement des volontés et des intérêts de milliers d’individus,
d’institutions et d’entreprises; et quand bien même cela serait possible, la ville qui en résulterait,
fille monstrueuse d’un seul individu ou d’un bureau, serait morte avant même d’avoir vécu,
sèche et mécanique comme tous les systèmes conçus sur la planche à dessin. » (p. 179)
Le Corbusier, Urbanisme (Crés & Cie, 1925)
Réédition, Flammarion, Paris, 1994
« Il peut appartenir au nouvel esprit d’architecture, à l’urbanisme imminent, de satisfaire aux
plus reculées fonctions humaines, en reverdissant le paysage urbain et en mêlant à notre labeur
la nature: voilà notre esprit rassuré devant la menace angoissante de la grande ville qui enserre,
écrase, étouffe, asphyxie ceux qui s’y sont précipités, qui devront y travailler, le travail étant
cette nécessité généreuse qui nous apporte la quiétude de l’esprit, et conduit aux enthousiasmes
de la création.
Le phénomène gigantesque de la grande ville se développera dans les verdures joyeuses.
L’unité dans le détail, le « tumulte » magnifique dans l’ensemble, la commune mesure humaine
et la moyenne proportionnelle entre le fait homme et le fait nature. » (p. 71)
Le Corbusier, Manière de penser l’urbanisme. Soigner la ville malade (1946)
Réédition Ed. Denoël/Gonthier, 1982
« Une rupture brutale, unique dans les annales de l’histoire, vient de détacher, en trois quarts de
siècle, toute la vie sociale de l’Occident de son cadre relativement traditionnel et
remarquablement accordé à la géographie.
Cette cause de rupture, cet explosif, c’est l’intervention subite, dans une vie rythmée jusque-là
par le pas du cheval, de la vitesse dans la production et le transport des gens et des choses. A
son apparition, les grandes villes éclatent où s’engorgent, la campagne se dépeuple, les
provinces se voient violées au cœur de leur intimité. Les deux établissements humains
traditionnels (la cité et le village) traversent alors une crise terrible. Nos villes s’étendent sans
forme, indéfiniment. La cité, cet organisme urbain cohérent, disparaît; le village, cet organisme
rural cohérent, porte les stigmates d’une décadence accélérée: mis brusquement en contact avec
la grande ville, il est déséquilibré et déserté. » (p. 5)
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