II. Culture : L`HUMANISME ET LA RENAISSANCE.
Transcription
II. Culture : L`HUMANISME ET LA RENAISSANCE.
II. Culture : L’HUMANISME ET LA RENAISSANCE. A. Activités intellectuelles : l’humanisme. _______________________________ 1. Définition. L’humanisme est un courant intellectuel (mouvement de pensée) qui se manifesta spécialement aux XVe et XVIe siècles. A l’aide d’une méthode nouvelle (libre recherche personnelle, critique des sources, raisonnement) et en réaction contre le théocentrisme médiéval, l’humanisme prend pour centre d’intérêttous les domaines d’activité humaine, dans le but de favoriser l’essor d’une civilisation plus humaine permettant le progrès, l’épanouissement et le bonheur des individus. 2. Grandes figures. Retenir : Erasme* et Thomas More*. 3. Caractères. a) UN SUJET CENTRAL : L’HOMME FACE AU MONDE. On a donné aux intellectuels européens les plus importants de cette époque le nom d’humanistes, car leur principal centre d’intérêt réside dans une étude approfondie de l’homme en général. Comme les Grecs et les Romains de l’Antiquité, ces hommes veulent redonner à la personne humaine une place centrale (anthropocentrisme*). Ils se détournent ainsi de la pensée du Moyen Age, où l’on avait une vision pessimiste de la nature humaine : l’homme, créature pécheresse, ne pouvait pas faire grand-chose de bon s’il ne s’abandonnait pas à la volonté de Dieu (théocentrisme*). Au contraire, les humanistes font une confiance optimiste à l’individu, qu’ils considèrent comme capable, par sa raison et sa réflexion, de réaliser de grandes choses et d’édifier un monde plus humain, plus épanouissant. Cette vision optimiste de l’humanité fera des humanistes les ardents défenseurs du libre arbitre*, c’est-à-dire de la faculté qu’a tout homme de se déterminer (faire un choix, prendre une décision) par sa propre volonté, sans aucune contrainte extérieure (notamment de la part de la divinité). Cette position est en totale contradiction avec la notion de serf arbitre*, qui envisage l’homme comme une créature diminuée par le péché, dotée d’un esprit et d’une volonté qui sont comme manipulés par Dieu, et donc dans l’incapacité de prendre des initiatives vraiment libres - position fréquente dans l’islam, et que l’on retrouvera dans les doctrines de Luther et de Calvin. * arbitre (lat. arbitrium = jugement, volonté, pouvoir de décider). A ici son ancien sens de volonté, capacité de décider, de faire des choix. * libre arbitre. 1° Faculté de se déterminer sans autre cause que la volonté - autrement dit, Capacité de choisir ou de ne pas choisir un acte, lorsqu’aucune raison (et a fortiori aucune autorité ou pression extérieure) ne nous détermine dans un sens plus que dans l’autre. - 2° Cour. Volonté libre, non contrainte. N.B. Le libre arbitre est nié : 1/ par les déterministes, pour qui tous les événements de l’univers, et en particulier les actions humaines, dépendent de causes qui les ont amenés nécessairement et auront eux-mêmes des effets nécessaires, déterminés. 2/ par les fatalistes, pour qui tous les événements de l’univers, et en particulier les actions humaines, sont fixés à l’avance par une cause unique et surnaturelle (Dieu - prédestination - ou le Destin, en latin fatum), sans que la volonté humaine puisse rien y changer. 3/ par les protestants et les jansénistes, qui le jugent inconciliable avec la prescience de Dieu (Dieu connaît tout de toute éternité, et donc sait à l’avance le choix que nous allons faire), laquelle entraîne la prédestination de l’individu et la dépendance absolue de la volonté humaine par rapport à la puissance et à la grâce de Dieu. : c’est le serf arbitre. En effet, ou bien l’homme est abandonné par Dieu aux tendances de sa nature corrompue (par suite du péché originel), qui l’entraînent fatalement au mal et finalement à la damnation éternelle ; ou bien la grâce de Dieu le sauve par un acte unilatéral et purement gratuit, sans intervention de la volonté individuelle. Pour les catholiques, la grâce aide l’homme, mais Dieu laisse celui-ci libre de la solliciter ou non. Le libre arbitre existe donc, même s’il semble se concilier difficilement avec la prescience de Dieu. b) UNE LIBÉRATION DE LA PENSÉE. Issus pour la plupart de la bourgeoisie (clergé, magistrature urbaine, professeurs d’université, monde des affaires), les humanistes en reflètent la mentalité individualiste. De même, ils seront passionnément épris de liberté. Ils lutteront pour répandre et imposer l’idée de la liberté de l’individu à la fois dans le domaine politique et social et dans le domaine intellectuel. Voilà pourquoi ils prônent lelibre examen, c’est-à-dire la possibilité pour chaque individu d’entrer en contact direct avec les sources du savoir (textes, documents, y compris la Bible elle-même), pour les examiner et les interpréter en toute liberté. En cela aussi les humanistes s’opposent à la mentalité du Moyen Age, selon laquelle tout enseignement était soumis à l’autorité de l’Eglise (armée de la censure), interprète souveraine de la vérité en conformité avec la Bible. c) UNE NOUVELLE MÉTHODE DE TRAVAIL. Sur base de cet esprit d’individualisme et de liberté, les humanistes recourent à une nouvelle méthode de travail, à la fois rationaliste - c’est-à-dire recherchant le pourquoi des choses, faisant appel à la raison - et critique - c’est-à-dire mettant toutes les connaissances acquises à l’épreuve de la raison pour découvrir la vérité dans tous les domaines et déboucher ainsi sur un jugement (gr. krisis) solide et motivé. Cette démarche amènera les intellectuels à dépasser les connaissances théoriques et les commentaires traditionnels en honneur au Moyen Age pour retrouver toutes les sources du savoir, à savoir les textes et documents les plus valables et les plus utiles pour la découverte de la vérité. * Dans le domaine religieux, ce retour aux sources mettra les humanistes en contact avec le texte même de la Bible, et leurs travaux les amèneront parfois à des conclusions redoutables : sur certains points, le clergé de leur temps enseigne et surtout pratique des idées bien éloignées de l’Evangile…(richesse, moeurs, etc.). Les humanistes ne manqueront pas de critiquer, parfois violemment, ces abus. Certains, comme le moine Martin Luther en Allemagne, en viendront à prétendre qu’il faut suivre l’enseignement de la Bible seule et nullement celui de l’Eglise. Ils jetteront ainsi les bases du mouvement de redressement et de contestation religieuse connu sous le nom de Réforme. * Dans le domaine des sciences, la méthode critique amènera les savants à bannir l’enseignement théorique et livresque du Moyen Age pour baser toutes leurs recherches sur l’observation et le recours à l’expérience. Bravant les interdictions (censure, index, Inquisition, interdiction de la dissection des cadavres, etc.) venant de l’Eglise qui prétendait toujours interpréter la Bible à la lettre, les savants du XVIe siècle déboucheront sur des découvertes qui feront grandement progresser le monde scientifique : médecine (Ambroise Paré, André Vésale), astronomie (héliocentrisme, rotation de la terre, selon le chanoine polonais Nicolas Copernic), mathématique (Léonard de Vinci), physique, etc. d) UNE CURIOSITÉ UNIVERSELLE . Les humanistes, on le voit, sont, à l’image de la bourgeoisie dont ils sont issus, desesprits curieux. Ils souhaitent étudier et approfondir toutes les branches du savoir humain ; ils regardent le monde avec un regard neuf, libéré des systèmes d’explication théoriques imposés jusque-là. e) LA PASSION POUR L’ANTIQUITÉ GRÉCO-ROMAINE Les humanistes portent un intérêt passionné à l’Antiquité, non seulement chrétienne mais aussi et peut-être surtout païenne, ainsi qu’à ses textes (latin, grec, hébreu). Bien que profondément croyants et pratiquants pour la plupart, ils aspirent à intégrer l’énorme héritage culturel des Grecs et des Romains dans le patrimoine européen. Par là encore ils se heurteront à l’Eglise, dépositaire de la tradition et responsable des fidèles, qui y verra un danger pour la formation chrétienne de la population. L’étude des auteurs anciens - bientôt diffusée grâce à l’imprimerie et à l’emploi du papier - est favorisée par l’arrivée en Italie d’intellectuels byzantins chassés de leur patrie (prise de Constantinople, 1453), et qui ont sauvé ce qu’ils pouvaient de leurs bibliothèques. Affranchis des préjugés de leur temps, les humanistes veulent élargir les horizons de la pensée et enrichir la civilisation en puisant à pleines mains dans les ouvrages antiques. Ceux-ci, en effet, vont leur révéler tout ce que le monde gréco-romain nous a légué dans les domaines les plus variés : politique, droit, économie, vie sociale, philosophie, morale, sciences, arts, théâtre, poésie, etc. C’est ainsi que, paradoxalement, les intellectuels des Temps modernes se sont tournés vers une culture apparemment révolue afin d’ouvrir à l’humanité un avenir meilleur. Les humanistes de tous les pays correspondront en latin - langue commune du monde savant jusqu’au XVIIIe siècle -, et il sera de mode, dans les milieux cultivés, de latiniser (voire même d’helléniser) son nom et de citer des maximes latines ou grecques. * Dans le domaine artistique, ce goût nouveau engendrera, en Italie d’abord (dès le XVe siècle), dans le reste de l’Europe ensuite, le mouvement de la Renaissance, lequel, comme son nom l’indique, se caractérise surtout par un renouveau des arts et par un retour à l’Antiquité. 4. Moyens de diffusion. Jusque-là, la diffusion des idées était freinée par plusieurs facteurs : - l’Eglise, craignant que les idées nouvelles entraînent de fausses croyances ou des attitudes dangereuses pour le salut de chrétiens dont elle a la charge, prend des mesures pour éviter leur diffusion (censure, index, Inquisition) ; - l’emploi du parchemin, support d’écriture plus solide mais aussi beaucoup plus coûteux que le papier de chiffons - lequel n’était alors connu que des Chinois (depuis le II e s. av. J.C.) et des Arabes (depuis le milieu du VIIIe siècle) ; - le recours, coûteux également, à des copistes pour la composition, la traduction et la multiplication des ouvrages, ce qui faisait des manuscrits un produit de luxe réservé à une petite élite (abbayes, chapitres cathédraux, souverains et grands seigneurs) ; - l’utilisation du latin, langue savante de toute l’Europe, interdisait toute vulgarisation au-delà d’un public restreint et très cultivé. Mise à part la position de l’Eglise, qui restera longtemps encore inchangée - même si elle comptera nombre de grands humanistes dans ses rangs -, de nouvelles conditions vont se mettre en place à la fin du Moyen Age : utilisation du papier (popularisé au XIVe siècle), essor de l’imprimerie (caractères mobiles en fonte à partir de 1450, encre grasse et presse à bras) et emploi des langues nationales. N.B. On peut ajouter à cela qu’à partir de 1500, les caractères gothiques seront abandonnés (sauf en Allemagne) au profit des caractères romains, plus clairs et arrondis. Conclusion. Les textes des auteurs antiques (grecs et romains) et les idées nouvelles vont, grâce à ces nouveaux moyens, connaître une diffusion beaucoup plus large et rapide qu’auparavant, mettant la culture à la portée d’un plus grand nombre de gens. Passée au stade industriel - avec Christophe Plantin à Anvers, entre autres -, l’imprimerie contribuera puissamment à accélérer le progrès dans tous les domaines du savoir humain. 5. Conséquences. a) Culture 1/ Activités intellectuelles a/ essor des langues littéraires nationales : italienne, française, espagnole, allemande. Les humanistes enrichissent les patois de nombreux termes empruntés au grec et au latin, les transformant en langues littéraires capables d’exprimer à leur tour des idées générales, pour lesquelles on recourait autrefois au latin. Ces langues renouvelées ont des règles fixes, comme les anciennes, et ne se modifieront plus guère jusqu’à nos jours. C’est ainsi que le toscan, dialecte de Florence, devient l’italien, celui d’Ile-de-France, le français, et celui du centre de l’Espagne, le castillan, devient l’espagnol. En traduisant la Bible en allemand, Luther créera la langue littéraire de l’Allemagne. b/ développement des littératures nationales, spécialement en France et en Angleterre. - En France, les poètes de la Pléiade (principalement Ronsard et du Bellay), Rabelais et Montaigne. - En Angleterre, on citera surtout le grand dramaturge William Shakespeare. c/ progrès scientifiques. Dans le contexte d’une époque où l’on voit s’élargir les horizons (grandes découvertes), l’intérêt pour les sciences grandit. Ici, les méthodes humanistes (critique des sources, recours à la raison) vont entraîner une véritable révolution, malgré l’opposition tenace des autorités universitaires ou ecclésiastiques. C’est Léonard de Vinci qui énoncera trois principes fondamentaux pour l’épanouissement de la pensée scientifique : - la science doit recourir systématiquement à l’expérience et à l’observation répétée des phénomènes naturels; - des faits particuliers, il faut s’élever aux lois générales ; - la science n’existe que si elle s’appuie sur les démonstrations mathématiques. La mise en application de tels principes va provoquer un essor scientifique considérable : anatomie (Vésale, Servet, Paré), cartographie (Mercator, Ortelius), astronomie (Copernic, plus tard Galilée). 2/ Activités artistiques. L’essor d’une recherche libre et individualiste de la vérité de l’homme et de la nature va amener une nouvelle manière d’observer le monde pour lui-même (naturalisme) et une recherche permanente de la beauté formelle, à l’imitation de l’Antiquité - d’où le nom de Renaissance donné à ce mouvement artistique (voir le chapitre suivant). b) Religion. Dans ce domaine, la libre recherche personnelle et l’étude des sources (étude du grec et même de l’hébreu) va amener les humanistes - Erasme principalement - à mettre en comparaison les Evangiles et l’Eglise de leur temps, avec ses faiblesses et ses abus. D’où le souhait d’une réforme à l’intérieur de l’Eglise. c) Société. Habitués par leurs méthodes à une observation attentive de la réalité et à une critique fondée sur la raison, les humanistes ne manqueront pas de souligner les travers de la société contemporaine (Erasme, L’Eloge de la Folie) ; ils y proposeront des remèdes (Thomas More, L’Utopie) en vue de mettre fin aux abus. Ces critiques, qui leur attireront beaucoup d’ennemis, donneront parfois lieu à des soulèvements sociaux : des paysans pressurés par leurs seigneurs croiront l’heure venue de la libération (ainsi lors de la Guerre des Paysans en Allemagne suite aux prises de position de Luther). d) Politique. Comme les autres activités intellectuelles, la réflexion politique fera de grands progrès par la double méthode de l’étude de l’Antiquité et du recours à l’expérience. Depuis le XVe siècle, la centralisation monarchique s’accentue. S’estimant responsables de leur époque, de nombreux humanistes vont tenter alors de définir les lois et les limites du pouvoir. La pensée politique connaissait d’ailleurs une rationalisation et une laïcisation croissantes, renforcées par la Réforme. Il faut distinguer deux courants nettement opposés : 1/ le courant absolutiste. Pour les tenants de ce courant, la monarchie nationale et absolue doit éliminer progressivement le pouvoir seigneurial et le particularisme pour mettre en place un Etat organisé selon la raison, l’ordre et la justice par un arbitre incontesté. Cette thèse est défendue par Machiavel, Luther, Calvin et surtout Jean Bodin qui, préférant la tyrannie à l’anarchie, estime que le souverain doit exercer son pouvoir indépendamment de l’assentiment de ses sujets. Ce mouvement va mener à l’absolutisme des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. 2/ le courant parlementaire ou républicain. Ce courant était partisan d’un certain patriotisme républicain, inspiré de l’Antiquité, et d’une participation prudente du peuple au pouvoir. Ainsi Erasme, dans son Institutio principis christiani (L’Education du prince chrétien), s’oppose à une souveraineté sans limite ; plus radical, Thomas More va jusqu’au collectivisme ; Vitoria, plus prudent, admet la monarchie, mais soumise aux lois divines et à l’intérêt général. S’avançant sur un terrain neuf et redoutant une réaction des monarques, ce groupe est moins catégorique, et hésite souvent à aller jusqu’au bout d son raisonnement. Mais c’est lui qui préfigure l’avenir: appliquées aux Provinces-Unies d’abord (1579), en Angleterre ensuite (1689), ses théories devaient, au XIXe siècle, supplanter l’absolutisme monarchique. N.B. L’évolution ultérieure. Au XVIIIe siècle, les philosophes s’attaqueront à la monarchie absolue de droit divin en se référant au droit naturel déjà invoqué par Grotius (Hugo de Groot, juriste, théologien et diplomate néerlandais, 1583-1645). Selon eux, l’origine du pouvoir, la source de l’autorité ne résident pas en Dieu mais dans l’homme. Pour combattre la conception théocratique du pouvoir (droit divin), Ils élaboreront la théorie du contrat social. Hobbes, qui a gardé le souvenir de la première révolution anglaise et de ses excès, voudra qu’un tel contrat soit la charte inviolable d’un pouvoir fort, en faveur duquel les citoyens auront abdiqué leurs droits une fois pour toutes. John Locke s’appliquera, au contraire, à justifier la révolution de 1688 et la Déclaration des Droits ((Bill of Rights) ; il est un droit que, selon lui, les sujets ne perdent jamais : celui de renverser un tyran. Du côté français, Montesquieu (1689-1755), grand admirateur de la monarchie constitutionnelle établie en Grande-Bretagne dès 1689, y verra comme principe de base la séparation des pouvoirs, sauvegarde contre l’arbitraire et donc garantie pour la liberté. Quant à Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), citoyen de la République de Genève, il insistera sur la souveraineté nationale et sur le droit à la révolution (Du Contrat social, 1762). * * * * A retenir sur l’humanisme : - Définition et grandes figures ; - Caractères; - Comparaison entre la pensée médiévale et la pensée moderne; - Moyens de diffusion. _______________________________