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Observatoire du Management Alternatif Alternative Management Observatory __ Fiche de lecture Leur grande trouille François RUFFIN 2011 François Petitjean – Décembre 2013 Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2013-2014 Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 1 Leur grande trouille Cette fiche de lecture a été réalisée dans le cadre du cours « Grands défis », donné par Hubert Bonal au sein de la Majeure Alternative Management, spécialité de troisième année du programme Grande École d’HEC Paris. Acte Sud, Arles, avril 2013 Première date de parution de l’ouvrage : 2011 Résumé : Objet de toutes les passions depuis plusieurs siècles, l’affrontement politique entre protectionnisme et libre-échange n’a jamais tant penché en faveur du second, devenu un dogme indiscutable. Pourtant, l’effondrement industriel français, que relate François Ruffin à travers une série de témoignages et d’entretiens, pousse le journaliste à oser relancer le débat. Partant des désillusions des luttes syndicales pour préserver l’emploi en France, il interroge par la suite patrons et économistes pour exposer les dégâts du « libre-échangisme » et comprendre pourquoi le protectionnisme est tant honni de nos jours. Au terme de cet ouvrage engagé voire bravache, l’auteur ouvre la réflexion sur les barrières douanières, taxes aux frontières et quotas d’importation envisagés davantage comme des outils nécessaires que comme un idéal. Mots-clés : Emploi, Délocalisation, Dumping, Frontières, Libre-échange ; Protectionnisme. Their big fear This review was presented in the “Grands défis” course of Hubert Bonal. This course is part of the “Alternative Management” specialization of the third-year HEC Paris business school program. Acte Sud, Arles, April 2013 Date of first publication : 2011 Abstract : Object of all passions for several centuries, the political confrontation between protectionism and free trade has never looked so in favor of the second, as free trade had become an indisputable dogma. However, the French industrial collapse that depicts François Ruffin pushes the journalist who dared to reopen the debate through a series of testimonies and interviews. Starting from union struggles to preserve employment in France, he then questions bosses and economists to expose the damages cause by free trade and to understand why protectionism is so reviled today. At the end of this involved book, the author opens the debate on trade barriers, border taxes and import quotas as necessary tools rather than as an ideal. Key words : Borders, Delocalization, Dumping, Employment, Free trade, Protectionism. Charte Ethique de l'Observatoire du Management Alternatif Les documents de l'Observatoire du Management Alternatif sont publiés sous licence Creative Commons http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/fr/ pour promouvoir l'égalité de partage des ressources intellectuelles et le libre accès aux connaissances. L'exactitude, la fiabilité et la validité des renseignements ou opinions diffusés par l'Observatoire du Management Alternatif relèvent de la responsabilité exclusive de leurs auteurs. Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 2 Table des matières 1. L’auteur et son œuvre...................................................................................................... 4 1.1. Brève biographie.......................................................................................................... 4 1.2. Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur ................................................................... 5 2. Résumé de l’ouvrage........................................................................................................ 6 2.1. Plan de l’ouvrage ......................................................................................................... 6 2.2. Principales étapes du raisonnement et principales conclusions................................... 6 3. Commentaires critiques................................................................................................... 9 3.1. Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage ............................................................................. 9 3.2. Avis de l’auteur de la fiche .......................................................................................... 9 4. Bibliographie de l’auteur................................................................................................... 12 5. Références ........................................................................................................................... 13 Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 3 1. L’auteur et son œuvre 1.1. Brève biographie Parcours personnel de l’auteur François Ruffin est un journaliste français né à Amiens, en Picardie en 1975. En décembre 1999 il crée Fakir, un journal indépendant bimestriel de gauche rédigé et illustré par des bénévoles sans affiliation directe avec aucun parti politique ou organisation syndicale. Journal local à l’origine, Fakir traite petit à petit de sujets nationaux pour atteindre un tirage de 11 200 exemplaires par numéro en 2013. Diplômé du Centre de formation des journalistes en 2002, François Ruffin participe également à l’émission de radio Là-bas si j’y suis sur France Inter, ainsi qu’au Monde diplomatique. Principales idées défendues Revendiquant son absence de formation en économie, en histoire et en sociologie, François Ruffin remet pourtant en perspective ses idées pour construire un discours engagé. Sympathisant du Front de gauche, il défend l’utilisation du protectionnisme comme outil de défense des emplois, le refus de l’orthodoxie budgétaire face à la crise de la dette des Etats et la persistance d’une lutte des classes qui conditionne les stéréotypes de pensée véhiculés par les médias ainsi que les possibles évolutions politiques de la société. Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 4 1.2. Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur Leur grande trouille est un ouvrage regroupant à la fois plusieurs entretiens avec des économistes ou intellectuels partisans d’un certain protectionnisme mais aussi les notes personnelles de François Ruffin, journaliste d’origine picarde qui a suivi les nombreuses luttes syndicales pour tenter d’empêcher les fermetures d’usine un peu partout en France. L’ouvrage est divisé en deux grands chapitres, le premier attaque le libre-échange quand le deuxième entend défendre le protectionnisme. François Ruffin explique dans les conférences qu’il tient pour argumenter sa défense du protectionnisme que la crise du système financier de 2008 a été une occasion manquée de changer le capitalisme. C’est dans cette optique qu’il conçoit le protectionnisme comme une condition « nécessaire mais pas suffisante » pour défendre toute politique sociale. Adoptant un ton très libre et vivant, l’auteur interpelle le lecteur alors que l’idée même de protectionnisme reste minoritaire à gauche, largement discréditée et marginalisée dans les débats actuels. Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 5 2. Résumé de l’ouvrage 2.1. Plan de l’ouvrage Prologue Première partie : ATTAQUES DU LIBRE-ECHANGE • Logique. Les patrons ont raison ? (Intello n°1 : Jean-Luc Gréau) • Histoire. Un monde ouvert … par qui ? (Intello n°2 : Maurice Allais) • Règles. Loi d’airain : « toujours moins » (Intello n°3 : Frédéric Lordon) • Terre (et mers). Dumping sans frontières Deuxième partie : DEFENSES DU PROTECTIONNISME • Morale. Le mot qui fait peur (Intello n°4 : Jacques Sapir) • Politique. Des alliés objectifs ? (Intello n°5 : Emmanuel Todd) • International. Protectionnistes de tous les pays. (Intello n°6 : Ha-Joon Chang) • Douaniers. Une arme à portée de main Epilogue 2.2. Principales étapes du raisonnement et principales conclusions L’électrochoc de la casse sociale en France François Ruffin a passé des années à suivre les luttes syndicales pour échapper aux fermetures d’usine, notamment en Picardie d’où il est originaire. En première page de son prologue figure un dessin singulier : un arc de triomphe fait des noms des entreprises et des sites industriels où il s’est rendu pour rapporter l’information. Rien qu’à Amiens on trouve les pneumatiques de Goodyear, les yaourts de Yoplait, les lave-linges de Whirlpool … Il constate, amer, que cet arc de triomphe n’est fait que de défaites et que la plupart du temps syndicats et salariés ont perdu leur bras de fer face au patronat. Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 6 Ce dernier applique une logique implacable de réduction des coûts, en particulier sur le travail et délocalise donc leur production. Toute politique sociale se heurte donc à un chantage à l’emploi de la part du patronat quand celui-ci menace de délocaliser dans des pays à bas coût en cas de relèvement du SMIC, de régulation sur les rejets de CO² … Le protectionnisme, la « dernière arme » Le libre-échange permettant aux produits de circuler librement a pour effet dévastateur de mettre en concurrence les territoires ou les hommes sont, par essence, bien moins mobiles. Ainsi, François Ruffin exhume un article du Courrier Picard qui se félicitait en octobre 1992 d’un projet d’extension de l’usine de Whirlpool à Amiens promettant la création de 300 emplois en cinq ans. Cette bonne nouvelle cachait en réalité une réduction des effectifs outreRhin où les salaires étaient alors de 20% plus élevés. Désormais c’est en Slovaquie que l’entreprise produit ses machines, pays où la main-d’œuvre représente 2% de la valeur d’un lave-linge contre 12% en France. Entre-temps, l’entreprise a comme souvent touché d’importantes aides publiques pour s’implanter en France. Le protectionnisme est devenu pour François Ruffin le « talon d’Achille » du système capitaliste pour contrer cette logique du moins-disant social qui conduit chaque année à la destruction de dizaine de milliers d’emplois sur le sol français. Après avoir cru à d’autres clés de sortie comme la consommation citoyenne, les rendez-vous altermondialistes, la concertation internationale voir l’autodestruction du capitalisme, il s’est fait à ce mot qu’il n’osait pas prononcer : protectionnisme. Le débat entre libre-échange et protectionnisme est devenu tabou Si l’idée de limiter ou renchérir la mobilité des produits est aujourd’hui si récriée, François Ruffin explique que c’est en partie parce que la concurrence accrue par le libre-échange touche inégalement les différents secteurs de l’économie. Ainsi, un professeur français n’a rien à craindre de son homologue roumain, mais il n’en est pas de même pour un ouvrier peu qualifié. Toute une partie de la population, et en particulier les « élites », n’ont pas vécu le traumatisme des pertes d’emploi et rejettent donc le protectionnisme comme étant une idéologie populiste et souverainiste récupérée par l’extrême droite. Derrière cette analyse de Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 7 classes se dessinent des distinctions entre des « gagnants » et des « perdants » du libreéchange qui creusent un fossé d’incompréhension qui traverse les électorats. Plus encore, l’ouverture des frontières et la baisse massive des droits de douanes se sont accompagnées d’une disparition du savoir théorique et pratique lié à la régulation des flux de marchandises. François Ruffin déplore le manque de documentation sur l’évolution des droits de douane en France, y compris dans l’administration, par rapport à l’importance du sujet et des innombrables négociations internationales qui ont eu lieu pour favoriser le libre-échange. Vive les douaniers ! Convaincu que le protectionnisme est le seul outil pour éviter un retour en arrière sur les acquis sociaux de ces derniers siècles, François Ruffin évoque pour finir la faisabilité de cette vieille idée. Pour lui, cette arme est d’autant plus crainte par le patronat et certains économistes libéraux qu’elle est accessible. En effet, la réorientation des missions de la douane date de la mise en place du marché commun européen. Une politique protectionniste ne ferait en un sens que rétablir ce qui a déjà existé sur le plan administratif. De plus, les moyens techniques et informatiques ne sont pas un frein selon les douaniers contactés par François Ruffin ce qui fait du protectionnisme non pas une question technique comme on peut le croire mais bel et bien politique. Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 8 3. Commentaires critiques 3.1. Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage Malgré la thèse très contestée que défend François Ruffin, selon laquelle le protectionnisme serait le meilleur outil pour protéger les emplois et par extension le modèle social français, Leur grande trouille a reçu un accueil globalement positif à gauche. Le journaliste Denis Clerc dans Alternatives Economiques « [reconnaît] que ce livre est salubre » en relatant avec précision les dégâts d’une casse sociale liée à la mondialisation et en livrant le témoignage d’économistes comme Emmanuel Todd ou Maurice Allais pour critiquer le libre-échange. Quelles conséquences d’une politique protectionniste ? Cependant, l’ouvrage fait l’impasse sur les conséquences directes du protectionnisme, à savoir de possibles sanctions découlant de traités internationaux, des guerres commerciales pouvant entraîner une baisse des exportations françaises et une crise politique avec les partenaires européens. 3.2. Avis de l’auteur de la fiche On ne peut enlever à l’ouvrage de François Ruffin une très grande cohérence dans la démarche et l’argumentation puisque l’auteur revendique son absence de formation économique et n’a d’autre prétention que de remettre au goût du jour l’interrogation autour du libre-échange. Cependant plusieurs points dans l’argumentation ont été sacrifiés pour rester fidèle au propos de l’auteur centré sur le protectionnisme. Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 9 L’ornière de la grande entreprise Tout d’abord les exemples d’entreprises frappés par les délocalisations relèvent essentiellement des grandes entreprises multinationales. Pourtant, les petites et moyennes entreprises (PME) (moins de 250 salariés selon la définition du décret d'application n°20081354 de l'article 51 de la loi de modernisation de l'économie) représentent 52% de l’emploi salarié en France selon l’INSEE. En général, celles-ci ne recourent pas à la mise en concurrence des salariés avec l’étranger dans les mêmes mesures que les grands groupes internationaux. De plus, le développement de l’activité des PME est parfois conditionné par l’accès aux marchés étrangers et ces entreprises seraient les plus durement touchées par d’éventuelles guerres commerciales avec les partenaires économiques de la France. La prise en compte de la diversité des entreprises en France est probablement nécessaire pour réfléchir à toute politique touchant de près ou de loin à l’emploi. Coût du travail versus coût du capital Dans la première partie de son « Carnet intime », François Ruffin évoque la rémunération du capital dans son tableau noir des conséquences du libre-échange sur l’emploi en France. L’intérêt suscité par le livre coordonné par Thomas Piketty Le capital au XXIe siècle montre bien toute l’actualité de cette réflexion. La réflexion sur la compétitivité des entreprises française ne peut pas se limiter au seul coût du travail. Creuser cette piste aurait peut-être conduit François Ruffin à remettre davantage en question le modèle de la grande entreprise « détenue » par les actionnaires dont l’objectif est bien souvent de maximiser leurs profits. Associations, coopératives, entreprises sociales : des modèles alternatifs d’entreprise constituent-ils une réponse plus efficace que le protectionnisme ? Si François Ruffin estime que le protectionnisme est la « dernière arme » pour permettre à l’Etat français de mener encore une politique sociale, c’est aussi parce qu’il délaisse un peu vite la réflexion sur des modèles alternatifs d’entreprise qui pourtant ne doivent pas être négligés. A l’heure où l’Etat se désengage de bon nombre de mission de service public et où le privé ne prend le relai que lorsqu’un profit s’en dégage, qu’il soit immédiat ou indirect, le Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 10 secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) représente désormais 9,7% des équivalent temps-plein en France. Dans ces structures répondant à un besoin social se dessine peut-être de nouvelles normes de limitation des écarts de rémunération des salariés, des nouvelles formes de gouvernance plus ouvertes. Par ailleurs, la mise en place de circuit de production et distribution plus courts, le discours autour des produits fabriqués en France, sont autant d’ingrédients susceptibles de créer des emplois par nature non délocalisables, y compris en dehors des secteurs que l’on exclue traditionnellement de la concurrence internationale (enseignement, aide à la personne …). Ces nouvelles formes d’entreprise au sens large du terme seront peut-être demain un allié plus sûr que des protections douanières dont on sait qu’elles ne viendraient pas sans heurt. Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 11 4. Bibliographie de l’auteur • 2003 - Les petits soldats du journalisme, éditions Les Arènes, 271p. • 2006 - Quartier Nord, éditions Fayard, 512p. • 2008 - La guerre des classes, éditions Fayard, 240p. • 2011 - Leur grande trouille : journal intime de mes « pulsions protectionnistes », Les liens qui libèrent, 230p. • 2013 - Vive la banqueroute !, Fakir éditions, 100p. • 2013 - Hector est mort, Fakir éditions, 80p. Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 12 5. Références • Clerc D (2011). "Leur grande trouille. Journal intime de mes “pulsions protectionnistes”." Alternatives Economiques, décembre 2011, n°308. • Ruffin F (2013), « François Ruffin et les pics tarifaires à l’Université d’ATTAC 2013 », Intervention de François Ruffin lors de l’université d’été d’Attac-France, juillet 2013, http://www.youtube.com/watch?v=kG72Uuvxs74 • Piketty T (2013). Le capital au XXIe siècle. Paris, Editions du Seuil. Petitjean François – Fiche de lecture : «Leur grande trouille» – Décembre 2013 13