Le principe du respect de la personne humaine même après la mort

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Le principe du respect de la personne humaine même après la mort
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Le principe du respect de la personne
humaine même après la mort (CE, ass.,
2/07/1993, Milhaud)
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Table des matières
Table des matières .................................................................................................................................. 2
Introduction............................................................................................................................................. 3
I – Les motivations de la décision du Conseil d’Etat................................................................................ 4
A – Les motivations juridiques ............................................................................................................ 4
1 - La non application des articles du code de déontologie médicale ............................................ 4
2- L’absence de règles protégeant la personne humaine après sa mort ........................................ 4
B- Les motivations morales ................................................................................................................. 6
1 – Les motivations idéologiques de la consécration d’un PGD ...................................................... 6
2 – Les motivations du Conseil d’Etat.............................................................................................. 6
II – La force juridique du principe consacré ............................................................................................ 8
A – Les facteurs indifférents ................................................................................................................ 8
1 – Le lien avec un texte .................................................................................................................. 8
2- Le degré de généralité des principes .......................................................................................... 9
B-La valeur juridique du principe. ..................................................................................................... 10
1 - Les thèses écartées.................................................................................................................. 10
2 – La thèse de la valeur infralégislative et supradécrétale des PGD............................................ 10
CE, ass., 2/07/1993, Milhaud ................................................................................................................ 11
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Introduction
Si les lois et les conventions internationales ont pris, de nos jours, une place grandissante au
sein du droit administratif, celui-ci est resté un droit fondamentalement jurisprudentiel. Très tôt, en
effet, le juge administratif a été confronté à la pénurie de règles législatives. Cette situation l’a
poussé à créer lui-même ses propres règles. Parmi celles-ci, les plus connues sont, sans aucun doute,
les principes généraux du droit (PGD). L’affaire mettant en cause le professeur Milhaud est l’occasion
pour le Conseil d’Etat de consacrer, une nouvelle fois, un tel principe.
Dans cette affaire, l’intéressé avait procédé à des expérimentations sur un sujet en état de
mort cérébrale afin d’apporter de nouveaux éléments scientifiques dans un procès. Suite à la
révélation de ces expérimentations, le Conseil régional de l’ordre des médecins de Picardie lui
infligea un blâme. Le professeur fit appel de cette décision devant le Conseil national des médecins
qui confirma, le 23 janvier 1991, la première solution. C’est cette décision qui est attaquée devant le
Conseil d’Etat. Ce dernier, par un arrêt d’assemblée rendu le 2 juillet 1993, valide la sanction du
professeur Milhaud en raison de la violation des principes déontologiques fondamentaux relatifs au
respect de la personne humaine qui s’imposent même après la mort du patient.
Par cette décision, le Conseil d’Etat consacre un nouveau PGD doté d’une forte connotation
morale. Il s’agit, en effet, de donner une valeur juridique au respect dû aux morts. Il entend, ce
faisant, suppléer l’absence de règles législatives permettant de protéger l’intégrité du corps humain
après la mort du patient. Cette solution prend place dans la catégorie de toutes les dispositions
textuelles accordant une protection aux personnes mêmes après la mort, comme la disposition
protégeant la mémoire des morts. Bien que concernant un aspect spécifique des relations entre
Administration et administrés, ce principe n’en est pas moins doté de la même valeur juridique que
tous les PGD. Si plusieurs thèses se sont affrontées en la matière, celle de la valeur infralégislative et
supradécrétale du professeur Chapus semble devoir l’emporter.
Ainsi, Il est possible d’étudier dans une première partie les motivations de la décision du
Conseil d’Etat (I) pour analyser dans une seconde partie la force juridique du principe consacré (II).
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I – Les motivations de la décision
du Conseil d’Etat
La décision du 2 juillet 1993 se base sur des considérations d’ordre juridique (A), et d’ordre
moral (B).
A – Les motivations juridiques
Le Conseil d’Etat retient l’argument du professeur Milhaud au terme duquel les articles ne
code déontologie médicale ne sauraient justifier sa sanction de par le fait qu’ils ne s’appliquent qu’à
des personnes considérées comme vivantes, ce qui n’était pas le cas du patient sur lequel des
expérimentations ont été effectuées (1). Pour justifier la sanction, le juge a, alors, recours à un PGD
en raison de l’absence de texte juridique permettant de protéger la personne même après sa mort
(2).
1 - La non application des articles du code de déontologie médicale
Pour infliger un blâme au professeur Milhaud, le conseil national de l’ordre des médecins
s’est basé sur le code de déontologie médicale. Cette autorité considérait, en effet, que le requérant
avait violé les articles 2 relatifs au respect de la vie et de la personne humaine, 7 relatifs à l’obligation
d’informer les proches lorsque le patient est hors d’état de donner son consentement, et 19 au
terme duquel le médecin doit se limiter aux seules interventions thérapeutiques présentant un
intérêt pour le patient. Le problème soulevé par le Conseil d’Etat réside dans le fait que ces articles
ne sont applicables qu’aux personnes considérées comme vivantes. Il importe, alors, de se demander
si la patient en cause était mort ou vivant lorsque ces expérimentations ont été pratiquées.
Une première solution doit être retenue. Ainsi, parallèlement à l’affaire administrative, une
instance pénale a été engagée pour coups et blessures volontaires. Le recours a, cependant, été
rejeté car ce grief ne peut s’appliquer qu’aux personnes vivantes. Le magistrat a donc considéré le
patient comme mort. C’est cette solution que retient le Conseil d’Etat. Même s’il n’existe aucune
définition juridique de la mort, celle-ci s’apparentant à un fait, il existe un seuil au-delà duquel les
séquelles sont irréversibles. Le juge estime que ce seuil est franchi lorsque le patient est en état de
mort cérébrale, ce qui était le cas du patient puisqu’il était maintenu en survie somatique. Pour
prendre cette position, le Conseil d’Etat se base sur les examens pratiqués sur le patient au début du
mois de février 1988 et qui avait tous conclu à la mort de l’intéressé. Il n’est donc pas possible
d’appliquer au professeur Milhaud les articles du code de déontologie médicale. Il faut, alors, se
tourner vers les règles régissant le statut des personnes morte. Celles-ci ne contiennent, cependant,
aucune règle permettant d’encadre l’affaire.
2- L’absence de règles protégeant la personne humaine après sa mort
Il fait ici faire quelques remarques d’ordre général. La fonction classique des PGD est de
combler un vide juridique. Le Conseil d’Etat ne crée, en effet, de la jurisprudence que dans les cas où
le droit écrit ne contient pas de dispositions applicables à un cas d’espèce donné. Les PGD
apparaissent, alors, comme l’instrument privilégié utilisé par le juge administratif pour régler une
affaire quand le droit écrit fait défaut. Ainsi, lors de l’épuration à la fin de la seconde guerre
mondiale, le juge est vite confronté à l’absence de textes juridiques lui permettant d’encadrer
l’action disciplinaire de l’Administration. Il décide, alors, de se doter lui-même des instruments lui
permettant de soumettre l’Administration au droit. C’est l’acte de naissance des PGD. Ces derniers
font d’abord l’objet d’une consécration implicite (CE, sect., 5/05/1944, Dame veuve TrompierLe principe du respect de la personne humaine même après …
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Gravier) avant d’être énoncés explicitement (CE, ass., 26/10/1945, Aramu). Il s’agissait dans ces deux
affaires du principe général des droits de la défense.
Ce sont les mêmes raisons qui ont poussé le Conseil d’Etat à consacrer le principe général
interdisant de licencier une femme enceinte (CE, ass., 8/06/1973, Dame Peynet). En effet, ni le code
du travail, ni le statut de la requérante ne contenait de règles protectrices. Le juge a, alors, été
amené à consacrer un nouveau PGD.
Ce mécanisme trouve parfaitement à s’appliquer à l’espèce. En effet, au jour où l’affaire fut
jugée, il n’existait aucun texte permettant de sanctionner les atteintes aux personnes après leur
mort. Le seul texte qui concerne les expérimentations est la loi du 20 décembre 1988 sur
l’encadrement des recherches biomédicales. Mais, ce texte s’applique aux sujets vivants. Quant au
code pénal, il ne contenait aucune règle permettant de sanctionner le professeur Milhaud. Il importe,
cependant, de relever que, postérieurement cette affaire, le législateur a introduit dans la nouveau
code pénal, un délit d’atteinte à l’intégrité du cadavre. C’est ce vide juridique existant à l’époque de
l’affaire qui a poussé le Conseil d’Etat à consacrer un nouveau PGD. Il s’est aussi basé sur des
considérations d’ordres morales.
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B- Les motivations morales
Il importe, au préalable, de faire quelques remarques d’ordre général sur la finalité des PGD
(1) et d’en venir à ce qui fonde la solution du Conseil d’Etat en l’espèce.
1 – Les motivations idéologiques de la consécration d’un PGD
Lorsqu’il crée des PGD, le juge a pour dessein de poser des limites à l’action administrative ce
qui permet de protéger les administrés. La création de tels principes traduit donc la conception que
se fait le juge administratif des rapports entre Administration – administrés. En effet, le juge ne
posera à l’action administrative que les limites qu’il estime nécessaires, ou, dit d’une autre façon, ne
transformera en règle de droit que les valeurs qu’il estime légitimes. Les PGD apparaissent, alors,
comme la traduction juridique des valeurs présentes et reconnues dans la société.
Tel est le cas du principe interdisant de licencier une femme enceinte. La consécration d’un
tel principe n’aurait probablement pas été possible au début du XX° siècle, les droits des femmes et
des salariés étant peu reconnus. Les années soixante-dix sont, en revanche, marquées par
l’affirmation des droits des femmes, ce qui se traduit par un mouvement visant à parachever
l’égalisation entre les deux sexes. Le juge administratif tient compte de cette évolution et l’enregistre
dans sa jurisprudence. Observer l’ensemble des PGD revient donc à scruter l’évolution générale de la
société. Plusieurs principes relatif au droit du travail seront consacrés par le juge administratif. Ainsi,
le Conseil d’Etat a-t-il a affirmé le principe du droit à une rémunération au moins égale au salaire
minimum de croissance (CE, sect., 23/04/1982, Ville de Toulouse). Récemment, il a consacré le
principe général du droit au reclassement et au licenciement en cas d’inaptitude physique (CE,
2/10/2002, CCI de Meurthe-et-Moselle). Si les droits des salariés font de nos jours l’objet d’atteinte
progressives de la part du législateur, il n’en va pas de même s’agissant des garanties accordées aux
salariés handicapés. Le juge administratif participe, par là, à cette évolution.
Dans un autre domaine, mais toujours en matière sociale, le juge a consacré le principe des
droits des étrangers résidant régulièrement en France de mener une vie familiale normale, afin de
limiter les effets de la politique restrictive d’immigration menée par la France (CE, ass., 8/12/1978,
GISTI).
Ces différents arrêts manifestent donc la politique volontariste du Conseil d’Etat en matière
de création des PGD. Ces considérations trouvent une remarquable application en l’espèce.
2 – Les motivations du Conseil d’Etat
Il semble que le juge administratif se soit basé sur une tradition de protection des morts qui
imprègnent toute notre droit, et sur les positions prise par le Comité national d’éthique.
Le corps humain est, en droit civil, hors commerce et indisponible. C’est ce principe qui
justifie l’interdiction des « mères porteuses ». Ce principe ne s’applique, cependant, que lorsque la
personne est en vie. Ce principe ne souffre qu’une seul exception : les interventions à but
thérapeutiques d’un médecin. En revanche, lorsque la personne décède, ce principe ne trouve plus à
s’appliquer. Le droit civil admet, cependant, un certain prolongement de la personnalité même après
la mort, ce qui justifie certaines protections. Ainsi, le droit reconnaît-il l’interdiction des diffamations
et des injures contre la mémoire des morts. Il est même admis le pouvoir de la volonté humaine
même après la mort, par le biais du testament. Ce principe s’applique aussi s’agissant du corps du
défunt, par le droit de régler ses propres funérailles ou encore de léguer son corps à la science. Il
n’existe donc pas en droit civil de principe général de disponibilité du corps humain après la mort.
Ces différentes remarques attestent de l’existence dans la société d’un volonté de protection
à l’égard du corps humain après la mort basé sur le respect dû aux morts. Cette valeur est même
affirmé par certaines conventions internationales. Elle fait aussi l’objet d’un avis du Comité national
d’éthique au terme duquel « l’intérêt de la recherche scientifique est à prendre en considération,
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mais nous devons placer en premier le respect dû à la personne et à la dépouille mortelle, la loyauté
vis-à-vis des volontés du défunt ». En consacrant ce principe, le Conseil d’Etat fait le choix de
privilégier les droits de la personne au détriment de l’intérêt de la recherche scientifique.
Le Conseil d’Etat est, alors, amené à préciser les contours du principe. Celui- interdit toutes
expérimentations sur un sujet après sa mort, sauf si certaines conditions sont remplies. Ainsi, la mort
doit avoir été constatée selon la procédure du décret du 31 mars 1978. L’expérimentation doit
répondre à une nécessité scientifique reconnue. Le médecin doit obtenir l’accord de l’intéressé ou de
ses proches. En revanche, le Conseil d’Etat n’exige pas, contrairement aux conclusions du
commissaire du Gouvernement, que l’expérimentation fasse l’objet d’un contrôle par des tiers.
Le second problème posé par l’arrêt concerne la force juridique de ce principe.
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II – La force juridique du principe
consacré
La valeur juridique des PGD a longtemps fait débats. Il importe, au préalable, écarter des
considérations qui sont sans influence sur ce problème (A), pour démontrer, ensuite, la valeur à
attacher à ce principe (B).
A – Les facteurs indifférents
Le premier tient au lien éventuel que peut avoir un principe avec un texte (1). Le second
concerne le degré de généralité du principe (2).
1 – Le lien avec un texte
S’il peut se baser exclusivement sur l’idéologie dominante pour créer les PGD, il arrive plus
fréquemment que le juge se réfère à des textes pour les découvrir . Ces textes n’ont, cependant, tant
du point de vue de la création du principe que de sa valeur aucune influence.
Lorsqu’il fait référence à un texte, le juge entend simplement signifier que le principe en
cause est tellement important que même un texte le consacre. Il faut comprendre par là que le texte
n’est lui-même que l’application d’un principe plus général, d’une idée politique qui préexiste à sa
concrétisation par la loi. En d’autres termes, le principe existe en soi, mais est repris par le législateur
de façon solennelle dans une loi. Les textes ne doivent, alors, être appréhendée que comme des
points de repère indiquant au juge administratif les valeurs jugées importantes à un moment donné
dans la société. Le cheminement conduisant à créer un PGD peut donc être appréhendé en trois
étapes. C’est d’abord une idée politique largement admise dans la société. Cette idée est, ensuite,
reprise par le législateur dans une loi. Le juge se sert, enfin, de la loi pour remonter jusqu’au principe
et, ainsi, consacrer un nouveau PGD. D’un point de vue matériel, c’est-à-dire du point de vue de son
contenu, ce principe existe donc avant toute intervention du juge. Mais, d’un point de vue formel, le
juge est le seul créateur des PGD, ce qui signifie qu’ils ne doivent leur existence juridique qu’à sa
seule volonté. C’est lui qui leur confère une existence juridique.
Ainsi, lorsque le juge stipule que le principe qu’il consacre a déjà fait l’objet d’une
consécration textuelle, il entend simplement signifier l’importance du PGD qu’il va consacrer, et non
que le PGD tire sa valeur du texte. C’est le problème de la distinction entre lien matériel et lien
formel. Le lien matériel renvoie au fond du texte, aux idées qui y sont contenues. Le Conseil d’Etat se
sert des dispositions des textes pour découvrir le principe qui leur préexiste. Le texte est envisagé ici
comme un indicateur. Le lien formel, en revanche, renvoie à l’autorité du PGD, à sa valeur juridique.
Ce n’est pas du texte, par exemple ici du code du travail, que les PGD tiennent leur existence ou leur
force obligatoire, mais de la seule volonté du Conseil d’Etat. Quelque soit le texte - constitutionnel,
international ou législatif - qu’utilise le Conseil d’Etat pour les découvrir , les PGD n’auront pas
l’autorité ou la valeur de ce texte. Ils auront la valeur attribuée aux norme de nature
jurisprudentielle.
Ces remarques trouvent aussi à s’appliquer s’agissant du degré de généralité des PGD.
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2- Le degré de généralité des principes
Deux vagues successives ont affectés la création des PGD. L’on distingue ainsi les PGD de
première génération qui sont très généraux des PGD de deuxième génération qui sont, comme le
principe étudié en l’espèce, beaucoup plus spécialisés.
Les premiers PGD sont caractérisés par leur fort degré de généralité. Ils peuvent, de ce fait,
couvrir un nombre considérable de situations. Il en va ainsi du principe général des droits de la
défense, du principe d’égalité régissant le fonctionnement des services publics (CE, sect., 9 mars
1951, Société des concerts du conservatoire), du principe de la liberté d’aller et de venir (CE, 26 mai
1955, So. Lucien & Cie.), ou encore du principe de la liberté de conscience (CE, 8/12/1948, Dlle.
Pasteau).
Ils correspondent à la volonté initiale du juge administratif de couvrir le plus vite possible de
larges pans de l’action administrative. Confronté à la pénurie de règles législatives, il lui faut d’abord
poser les règles générales permettant d’encadrer la plus grande partie de l’activité de
l’Administration. Les PGD de 1° génération sont donc très généraux, le juge s’attachant d’abord à
créer les principes de base à tout contrôle juridictionnel. Ce n’est qu’ensuite qu’il va affiner son
contrôle en créant des PGD plus spécialisés.
Les PGD de deuxième génération ont un champ d’application nettement plus restreint que
les précédents. En effet, une fois que les questions les plus graves et répandues sont réglés, le juge
peut se consacrer à des problèmes plus spécifiques . Cette fois-ci, il ne s’agit plus pour lui de couvrir
l’ensemble de l’action administrative, mais bien plutôt d’encadrer une partie déterminée de cette
action. Il peut s’agir de protéger une catégorie particulière d’individus comme avec le principe
imposant le reclassement ou le licenciement pour inaptitude physique vu précédemment. Ce dernier
principe est d’ailleurs caractéristique de l’affinement du contrôle du juge administratif, puisqu’il ne
concerne cette fois-ci qu’un nombre très limité de personnes. Ou, il peut être question de
réglementer un objet plus limité, comme le principe consacré en l’espèce, principe qui nous
concerne tous, mais qui ne traite que d’une partie bien spécifique de la « vie administrative ».
Ces différentes considérations sur le degré de généralité des PGD n’ont, en revanche, aucune
incidence sur la valeur juridique de ces principes. En effet, que le PGD soit très général ou très
spécialisé, il aura toujours la même valeur.
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B-La valeur juridique du principe.
Si différentes théories se sont affrontées pour expliquer la valeur juridique des PGD, celle du
professeur Chapus semble la plus à même d‘expliquer la solution retenue en l’espèce (2). Il faut,
cependant, au préalable, écarter deux autres thèses (1).
1 - Les thèses écartées
La première est celle de la valeur constitutionnelle des PGD. Elle prend pour postulat qu’en
créant un domaine propre au pouvoir réglementaire, dans lequel la loi ne peut, en principe,
intervenir (article 37), la Constitution de 1958 a hissé, d’une certaine façon les règlements au niveau
des lois. Or, ces règlements, étant dans le même temps soumis aux PGD (CE., sect., 26 juin 1959,
Syndicat général des ingénieurs-conseil), d’éminents membres de la doctrine ont alors considéré que
les PGD avaient une valeur constitutionnelle.
Il faut, cependant, considérer qu’un règlement autonome reste un acte administratif soumis
au contrôle du Conseil d’Etat, ce dernier ne faisant pas de distinction entre les différents types de
règlement.
La seconde est celle de la constitutionnalisation des PGD. En raison de la proximité entre
certains principes à valeur constitutionnelle dégagés par le Conseil constitutionnel et des PGD,
certains membres de la doctrine ont déduit les PGD en cause avaient été constitutionnalisés.
Mais, si le contenu est le même, la forme, elle, reste différente. En effet, les PGD sont des
normes juridiques non écrites consacrées par le Conseil d’Etat alors que les principes à valeur
constitutionnelle sont des normes juridiques écrites dégagées par le Conseil constitutionnel. Il peut,
cependant, arriver que le Conseil d’Etat statue sur la base d’un principe à valeur constitutionnelle
plutôt que d’utiliser un PGD, ce qui constitue un gage de simplification du droit. Il en va, ainsi,
notamment, s’agissant du principe de l’égal accès des citoyens aux emplois publics énoncé par
l’article 6 de la Déclaration de 1789( CE, 2/03/1988, Blet et Sabiani).
Ces différentes thèses ne donnant pas satisfaction, il faut, alors, se tourner vers une autre
théorie.
2 – La thèse de la valeur infralégislative et supradécrétale des PGD
La théorie du professeur Chapus prend pour base un principe très simple : ce dernier
considère, en effet, que pour déterminer la valeur d’une règle de droit, il faut déterminer la place
qu’occupe, dans l’ordonnancement juridique, l’organe qui l’a créé. Ainsi, si le Conseil d’Etat est
soumis à la loi, puisque le législateur peut toujours écarter un PGD, il peut, en revanche, censurer les
actes de l’Administration, y compris les actes les plus importants, à savoir les décrets.
Dans la hiérarchie des sources formelles du droit, le juge administratif se situe donc entre le
législateur et le pouvoir réglementaire. Comme le note le professeur Chapus, «serviteur de la loi, il
est censeur des décrets». Par conséquent, les normes qu’il édicte ont une valeur infralégislative et
supradécrétale.
En l’espèce, le professeur Milhaud a procédé à des expérimentations sans que les conditions
posées par le Conseil d’Etat ne soient remplies. Ces actes sont donc contraires aux principes
déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, même après la mort. La
sanction disciplinaire est donc justifiée, et la requête du professeur rejeté.
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CE, ass., 2/07/1993, Milhaud
Vu la requête, enregistrée le 11 avril 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée
pour M. Alain Milhaud, demeurant 106, rue Camille Desmoulins à Amiens (80000) ; M. Milhaud
demande que le Conseil d'Etat annule la décision en date du 23 janvier 1991 par laquelle la section
disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a rejeté sa requête tendant à l'annulation de
la décision du 14 juin 1988 par laquelle le conseil régional de l'ordre des médecins de Picardie lui a
infligé la sanction du blâme ;
Sur le moyen tiré de ce que la décision attaquée a été rendue en audience non publique :
Considérant, d'une part, que M. Milhaud ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance par la
section disciplinaire des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que, par la décision attaquée, la section n'a
pas statué en matière pénale ni tranché de contestation sur des droits et obligations de caractère
civil ; que, d'autre part, aucun principe général du droit n'impose la publicité des débats dans le cas
où une juridiction statue en matière disciplinaire ; qu'ainsi, M. Milhaud n'est pas fondé à soutenir
que la décision de la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins, prise après que
les débats ont eu lieu, conformément à l'article 26 du décret du 26 octobre 1948 dans sa rédaction
alors en vigueur, en audience non publique, serait intervenue dans des conditions irrégulières ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
Considérant que, pour confirmer le blâme infligé au Dr Milhaud par le conseil régional de l'ordre des
médecins de Picardie, la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a estimé
que l'expérimentation effectuée par le requérant constituait une violation des articles 2, 7 et 19 du
décret susvisé du 28 juin 1979 portant code de déontologie médicale ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 dudit code "le médecin au service de l'individu et de la santé
publique exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine" ; qu'aux termes de
l'article 7 du même texte "la volonté du malade doit toujors être respectée dans toute la mesure du
possible. Lorsque le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, ses proches doivent, sauf urgence
ou impossibilité être prévenus et informés" ; qu'enfin aux termes de l'article 19 "l'emploi sur un
malade d'une thérapeutique nouvelle ne peut être envisagé qu'après les études biologiques
adéquates sous une surveillance stricte et seulement si cette thérapeutique peut présenter pour la
personne un intérêt direct" ; que les juges du fond ont estimé ces dispositions applicables au cas de
M. Milhaud, qui avait pratiqué une expérimentation sur un sujet maintenu en survie somatique, bien
que ledit sujet fût en état de mort cérébrale ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'état du patient dont il
s'agit avait fait l'objet d'un ensemble d'examens pratiqués par des médecins autres que le docteur
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Milhaud, qui avaient procédé à deux artériographies les 1er et 2 février 1988 et à deux
électroencéphalogrammes les 31 janvier et 4 février 1988 ; que ces procédés, reconnus valables par
le ministre chargé de la santé en application de l'article 21 du décret du 31 mars 1978 susvisé,
constituent des modes de preuve dont les résultats concordants permettaient de conclure à la mort
de l'intéressé ; que, par suite, en estimant que M. Milhaud avait méconnu les dispositions précitées
des articles 2, 7 et 19 du code de déontologie, qui ne peuvent s'appliquer qu'à des personnes
vivantes, la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a entaché sa décision
d'erreur de droit ;
Mais considérant que les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne
humaine, qui s'imposent au médecin dans ses rapports avec son patient ne cessent pas de
s'appliquer avec la mort de celui-ci ; qu'en particulier, ces principes font obstacle à ce que, en dehors
des prélèvements d'organes opérés dans le cadre de la loi du 22 décembre 1976, et régis par celle-ci,
il soit procédé à une expérimentation sur un sujet après sa mort, alors que, d'une part, la mort n'a
pas été constatée dans des conditions analogues à celles qui sont définies par les articles 20 à 22 du
décret du 31 mars 1978 ; que, d'autre part, ladite expérimentation ne répond pas à une nécessité
scientifique reconnue, et qu'enfin, l'intéressé n'a pas donné son consentement de son vivant ou que
l'accord de ses proches, s'il en existe, n'a pas été obtenu ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis à la section disciplinaire que M. Milhaud a
procédé à des expérimentations, comme l'ont relevé les juges du fond, sans que toutes ces
conditions aient été remplies ; que les faits ainsi retenus à l'encontre de M. Milhaud constituaient un
manquement aux principes ci-dessus rappelés et étaient de nature à justifier légalement l'application
d'une sanction disciplinaire ; que le requérant n'est, dès lors, pas fondé à demander l'annulation de la
décision attaquée ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. Milhaud est rejetée.
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