La situation préoccupante du pluralisme de l`information

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La situation préoccupante du pluralisme de l`information
INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES EN DROIT DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
La situation préoccupante du pluralisme de
l’information audiovisuelle en Italie :
l’« anomalie italienne » se poursuit
Chronique réalisée par Clarisse Portet
Le 9 janvier 2007
Master Professionnel « Droit et métiers de l’audiovisuel »
Aix-en-Provence
Faculté de droit et de science
politique d’Aix-Marseille
2006-2007
Université Paul Cézanne
U III
En Italie, de nombreux observateurs se sont régulièrement alarmés face à la collusion entre
le pouvoir politique et les médias. Silvio Berlusconi, à la tête d’un grand groupe de presse et des
trois chaînes privées du groupe Mediaset, est propriétaire d’un véritable empire médiatique, qu’il a
pendant longtemps concilier avec ses fonctions de président du Conseil italien.
Fondée par Silvio Berlusconi en 1993, Mediaset est le premier groupe privé de
communication italien présent dans le secteur télévisuel, la production audiovisuelle, la presse et
l’Internet. Contrôlé par la famille Berlusconi au travers du holding Fininvest S.p.A., elle-même
détenue à hauteur de 96 %, son siège social se situe à Milan en Lombardie.
En plus de ses fonctions d’homme d’affaire, Silvio Berlusconi entre en politique en 1994,
avec le parti qu’il créé spécialement pour les élections législatives, « Forza Italia ». En juin 2001, il
devient président du Conseil à la tête d’un gouvernement de centre droit dans une coalition
électorale appelée « maison des libertés » qui regroupe Forza Italia, l’Alliance nationale, l’UDC
(Union des démocrates chrétiens), la Ligue du nord et d’autres partis moins importants. A ce
moment là, il devient le Président du Conseil dont le mandat a été le plus long de toute l’histoire de
la République italienne. Suite au départ de deux partis, dont les chrétiens – démocrates de l’UDC, il
présenta sa démission au président de la République, Carlo Azeglio Ciampi, le 20 avril 2005. Celuici le chargea de former un nouveau gouvernement.
Les élections législatives de 2006 marquèrent la fin de son règne politique après une lutte
importante avec son adversaire Romano Prodi. Celui-ci appuya sa campagne sur sa réputation
d’homme intègre ainsi que sa maîtrise des dossiers, à l’inverse de Silvio Berlusconi contre lequel il
dénonça le bilan économique italien et son amoralité politique. En effet, le conflit d’intérêts entre
l’homme politique et l’homme d’affaire, ex-président du Conseil, est toujours apparu comme un
enjeu démocratique majeur à résoudre pour le pays.
Cette concentration des pouvoirs par Silvio Berlusconi a été qualifiée, sur la scène
internationale, comme un abus de pouvoir, une anomalie dans une perspective antitrust. Ainsi, par
le biais de Mediaset, il détenait approximativement la moitié de l’activité de radiodiffusion du pays,
et en tant que chef du gouvernement, il était également en situation d’exercer une influence
indirecte sur le service public de radiodiffusion, la RAI, principal concurrent de Mediaset.
L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a déclaré la situation italienne
comme un « défi pour l’architecture constitutionnelle européenne » 1. De même, l’Assemblée
1
Enquête de Soria Blatmann, journaliste de reporters sans frontières, conflit d’intérêts dans les médias : l’anomalie
italienne, avril 2003
2
parlementaire du Conseil de l’Europe a considéré que le « conflit d’intérêts entre les fonctions
politiques qu’exerce M. Berlusconi et les intérêts privés de ce dernier dans l’économie et les médias
constitue une menace potentielle pour la liberté d’expression » 2.
Même si aujourd’hui Silvio Berlusconi n’est plus chef du gouvernement, il reste un
homme très puissant. En effet, dans un pays où la population s’informe exclusivement par la
télévision, l’ex-président du Conseil garde toujours une grande influence sur l’opinion publique.
Après ses neuf mois d’absence sur la scène politique, il semble intéressant de faire un bilan
sur la situation médiatique en Italie. Le pluralisme de l’information est il remis en cause ? La liberté
des médias est-elle aujourd’hui en danger en Italie ?
Afin de mieux cerner la situation actuelle, il semble pertinent d’étudier dans une première
partie le pluralisme de l’information sous le règne de Silvio Berlusconi (I), afin de comprendre que
les élections législatives de 2006 ont confirmé la puissance d’un homme d’affaire dans le milieu
politique (II).
I. L’atteinte au pluralisme de l’information sous le « règne » de Silvio
Berlusconi
Alors que, pendant la campagne électorale qui l’a conduit au pouvoir, M. Berlusconi
s’était engagé à résoudre la contradiction entre son pouvoir politique et son pouvoir économico –
médiatique, il a toujours entretenu la confusion des fonctions.
Nous verrons donc tout d’abord de quelle manière il obtint la mainmise sur les médias
italiens en utilisant le pouvoir législatif (A), puis nous verrons comment il imposa, par le biais du
pouvoir politique, sa toute puissance sur les médias (B).
A. La menace du pluralisme de l’information en Italie par la loi Gasparri
Selon l’article 77 de la Constitution italienne, il est permis au gouvernement de légiférer
dans des « cas extraordinaires de nécessité et d’urgence ». C’est ainsi que le 2 décembre 2003, la loi
sur le système audiovisuel italien, présentée par son ministre de la communication, M. Maurizio
2
Rapport sur la liberté d’expression dans les médias en Europe, 14 janvier 2003
3
Gasparri, a été adoptée. Celui-ci s’est alors félicité d’avoir fait approuver « une loi moderne, qui
accélère la modernisation et élargit le pluralisme, garantit la concurrence et évite les positions
dominantes » 3.
Cependant, il fut établi que la loi Gasparri servait en fait les intérêts propres de
Mediaset (1). Le Conseil de l’Europe voyant en cela une forte menace pour l’Union européenne est
donc intervenu afin de rappeler les principes fondateurs d’une démocratie pluraliste (2).
1) L’illusion d’une réforme législative du système audiovisuel italien
Le 15 décembre 2003, suite à l’adoption de la loi Gasparri, le président de la République,
Carlo Azeglio Ciampi, refusa de valider la loi et demanda aux deux chambres du Parlement un
nouvel examen du texte. En effet, il releva le fait que la loi risquait de « donner lieu à la formation
de positions dominantes » 4 et certains points relatifs au pluralisme de l’information ne semblaient
pas être en accord avec la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Plus précisément, il dénonça
le fait que la troisième chaîne de Silvio Berlusconi échappait à son transfert sur le satellite avant le
31 décembre 2003, comme l’avait exigé la Cour constitutionnelle.
Selon Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières, dans un courrier
adressé au président de la République, « la concentration, entre les mains d’une seule personne,
d’un véritable empire médiatique et du pouvoir politique est une anomalie unique en Europe. La loi
sur l’audiovisuel ainsi que le projet de loi sur le conflit d’intérêts ne font qu’aggraver cette
situation. L’Union européenne donnerait ainsi un bien mauvais exemple aux pays qui doivent
intégrer les principes de la liberté de la presse et de la démocratie » 5.
En effet, la loi autorise à une même personne de détenir plus de deux chaînes nationales
hertziennes. Or, cela permet désormais au président du Conseil de conserver la propriété de ses
trois chaînes nationales, Italia 1, Canale 5 et Reyequattro. De plus, le texte admet la possibilité de la
détention d’intérêts pluri-médias, ce qui permet aux propriétaires de télévisions d’acquérir des
quotidiens. Silvio Berlusconi est déjà propriétaire de Mondadori, l’un des principaux groupes de
presse et d’édition du pays. La loi Gasparri réforme les limites anti-trust, or l’assiette des calculs
des recettes publicitaires, bien qu’étant limitée à 20 %, est étendue aux spots de télévision mais
3
http://www.monde-diplomatique.fr, article paru en février 2004
4
http://www.rsf.org, article paru le 15 décembre 2003
5
http://www.rsf.org, article paru le 30 avril 2004
4
aussi à l’édition, le cinéma et la presse. Or, la RAI et Mediaset se partagent 93 % des
investissements publicitaires de la télévision, dont 63 % pour le groupe Mediaset. Enfin, il est prévu
une privatisation progressive et partielle de la RAI, ainsi qu’une modification du Conseil
d’administration.
En 1988, la Cour constitutionnelle italienne avait affirmé que le duopole contrevenait aux
principes constitutionnels : « le pluralisme au niveau national ne peut être réalisé par un pôle public
et un pôle privé qui est représenté par un sujet unique qui détient ainsi une position dominante dans
le secteur commercial » 6. Malgré cela, le Sénat adopta la loi Gasparri sur la réforme du système
audiovisuel, le 29 avril 2004.
A la suite de l’adoption de la loi, la présidente du Conseil d’administration, Lucia
Annunziata, démissionna de son poste le 4 mai 2004, dénonçant les interventions directes du
gouvernement pour mettre au pas l’audiovisuel public 7. Le Parlement européen, inquiet lui aussi de
la situation politico-médiatique italienne, établit un rapport en juin 2004 sur les « risques de
violation de la liberté d’expression et d’information en Italie », insistant particulièrement sur
« l’anomalie qui réside dans la réunion d’un pouvoir politique, économique et médiatique dans les
mains d’un seul homme » 8.
2) L’intervention du Conseil de l’Europe pour mettre fin au conflit d’intérêts
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a donc adopté un texte du
24 juin 2004, après discussion. Elle rappelle tout d’abord que, en vertu de l’article 10 de la
Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, « les Etats ont
l’obligation de protéger le pluralisme des médias et, si nécessaire, de prendre des mesures concrètes
pour le préserver et le promouvoir ». Elle estime que la loi adoptée que la réforme du secteur de la
radiodiffusion, permet à Mediaset d’exercer une position de monopole, sans aucun risque
d’atteindre la limite anti-trust à l’intérieur du système intégré des communications.
Ainsi, l’Assemblée dénonce la situation de la RAI comme contraire aux principes
d’indépendance énoncés dans la Recommandation 1641 de 2004, sur le service public de
radiodiffusion. De plus, elle se déclare préoccupée par l’image négative projetée par l’Italie qui
6
http://www.monde-diplomatique.fr, article paru en février 2004
7
http://www.humanite.presse.fr, article paru dans l’édition du 7 mai 2004
8
http://assembly.coe.int, texte adopté par l’Assemblée le 24 juin 2004 (23ème séance)
5
pourrait contrarier les efforts du Conseil de l’Europe pour promouvoir l’existence de médias
indépendants et neutres dans les jeunes démocraties.
Elle rappelle enfin l’intervention de l’OSCE et du Parlement européen. En effet, ce dernier
a adopté une Résolution du 22 avril 2004 sur « les risques de violation, dans l’Union européenne et
particulièrement en Italie, de la liberté d’expression et d’information (article 11 de la Charte des
droits fondamentaux) ».
Malgré cette intervention, la loi Gasparri est toujours en vigueur en Italie aujourd’hui, et
une nouvelle réforme créée un débat politique difficile à résoudre (voir Section 2 B.). Aussi, par
cette réforme de l’audiovisuel italien, le président du Conseil créa autour de lui un véritable
« empire » médiatique, considéré comme « une fatalité que personne, pas même le président de la
République, ne semble pouvoir empêcher » 9.
B. L’ingérence de la politique dans les médias télévisuels publics en Italie
Ayant un pouvoir politique important sur la RAI et étant propriétaire des trois chaînes
privées concurrentes, le président du Conseil a fait subir au paysage télévisuel italien des
changements non négligeables. Cependant, il est important de souligner que l’imbrication entre la
politique et la télévision publique ne date pas de l’arrivée de Berlusconi au pouvoir.
Nous verrons donc tout d’abord comment Silvio Berlusconi a provoqué un aménagement
du principe spécifiquement italien de la « lottizzazione » (1), avant de considérer les différentes
atteintes au journalisme, remettant ainsi en cause le principe de liberté d’expression (2).
1) L’aménagement du principe de « lottizzazione » par Silvio Berlusconi
Depuis sa création en 1954, la RAI est soumise à une forte politisation. Ce phénomène est
due au principe de « lottizzazione » qui consiste à donner une chaîne à chaque grand courant
politique. Les journalistes étaient donc engagés à condition de détenir la carte d’un parti politique.
Lors des premières années, la majorité politique était dominée par les démocrateschrétiens. Mais du fait de l’évolution du pays vers une politique de centre gauche, la lottizzazione
est apparue comme un moyen de garantir le pluralisme du service public : trois chaînes pour trois
9
http://www.lecourrier.ch, article paru le 26 avril 2002
6
partis politiques. Ceci se reflète également au sein du Conseil d’administration de la RAI, composé
de cinq membres : trois appartiennent à la majorité et deux à l’opposition.
En novembre 2002, les deux membres du Conseil d’administration, proches de
l’opposition, Luigi Zanda et Carmine Donzelli, démissionnent. Luigi Zanda dénonce le « manque
de pluralisme, la médiocrité des programmes, une situation financière aggravée, l’uniformisation
des programmes avec ceux de la concurrence et l’éloignement injustifié de professionnels de
grande valeur ». Quant à Carmine Donzelli, il met en cause le directeur de la Rai, proche de Silvio
Berlusconi, qui aurait déclaré publiquement que « lui-même et toute sa famille votaient Forza
Italia ». Ainsi, dans la gestion quotidienne du groupe télévisuel, le président du Conseil serait
« intervenu systématiquement et directement sur toutes les décisions de la RAI. Pendant un an,
c’était une occupation permanente » 10.
C’est ainsi que le jour de la démission du Conseil d’administration, Silvio Berlusconi
aurait réuni tous les leaders des partis de sa coalition à son domicile, afin de déterminer les noms
composant le nouveau Conseil. Les cinq noms choisis ont provoqué la réprobation du Parlement et
scandalisé l’opposition, le Conseil d’administration devant être formé exclusivement d’« amis » du
chef du gouvernement.
Pour la télévision publique, dont le pluralisme est supposé garanti par le partage
d’influence politique, Silvio Berlusconi a donc ré-aménagé le principe de la « lottizzazione » à
l’italienne. La RAI s’est donc vue dotée d’une majorité de la coalition en son sein. Cette ingérence
n’est pas la seule qu’a provoqué le président du Conseil. Il est également intervenu pour
sanctionner des journalistes italiens appartenant à l’opposition.
2) Des atteintes répétées à la liberté d’expression des journalistes
Au lendemain de la nomination du nouveau directeur général de la RAI, un proche de
Berlusconi, Silvio Berlusconi, à l’occasion d’une visite à Sofia en Bulgarie, a porté des accusations
à l’encontre de journalistes appartenant à l’opposition : « Santoro, Biagi et Luttazzi ont fait un
usage criminel de la télévision publique, payée avec l’argent de tous ; je crois qu’il est du devoir de
la nouvelle direction de la RAI de ne plus permettre que cela se reproduise » 11.
10
Enquête de Soria Blatmann, journaliste de reporters sans frontières, conflit d’intérêts dans les médias : l’anomalie
italienne, avril 2003
11
http://www.lecourrier.ch, article paru le 26 avril 2002
7
En effet, Enzo Biagi, doyen des journalistes italiens, présentait l’émission « Il Fatto »
depuis 1995 sur RAI 1. Il y présentait des personnalités et commentait l’actualité chaque soir,
donnant régulièrement la parole à des opposants du gouvernement. Le 13 mai 2001, à la veille des
élections législatives, il invita le comédien Roberto Benigni, personnalité de gauche, qui se livra à
une satire du président du Conseil. Ce dernier ne pardonna jamais au journaliste d’avoir cherché à
détourner les votes des électeurs. Enzo Biagi, s’adressant à M. Berlusconi, a demandé : « quel serait
mon crime ? Viol, meurtre, braquage, vol, incitation à la délinquance, falsification et diffamation ?
Je reste convaincu qu’il y a encore de la place pour la liberté de la presse dans notre République.
Monsieur le président Berlusconi, ce n’est pas à vous de me licencier » 12. En juin 2002, son
émission fut supprimée des programmes.
De même, Michele Santoro, présentateur de différents magazines d’actualité sur la RAI,
critiquait ouvertement Berlusconi dans ses émissions. Il présenta l’affaire « Biagi » le 24 mai 2002,
ce qui lui valu quatre jours de suspension à titre de sanction disciplinaire. En effet, il fut accusé
d’avoir violé les règles « d’impartialité, de correction et d’objectivité » 13 du service public.
Estimant que son rôle n’était pas d’être impartial, son émission fut également supprimée des
programmes.
Les journalistes ont donc dénoncé ces sanctions comme un abus de pouvoir de la part du
président du Conseil, et l’accusèrent d’un « retour au fascisme ». Seul Fedele Confalonieri,
président du Conseil d’administration de Mediaset, a soutenu Silvio Berlusconi dans ses propos en
retenant que : « le service public a été utilisé contre le candidat Silvio Berlusconi (…) des opinions
hostiles » sur lui ont été portées « sans possibilité de réponse » 14.
Il est clair que le droit de réponse du chef du gouvernement a été bafoué. Cependant, en
tenant compte des règles traditionnelles sur le service public télévisuel italien, Silvio Berlusconi
s’est approprié des principes qui jusque là n’avait pas été remis en cause. Son comportement, à
l’aune des élections législatives de 2006, lui ont valu une bataille serrée contre Romano Prodi.
12
Enquête de Soria Blatmann, journaliste de reporters sans frontières, conflit d’intérêts dans les médias :
l’anomalie italienne, avril 2003
13
idem
14
idem
8
II. Une courte défaite pour Silvio Berlusconi lors des élections législatives de
2006
Lors des élections législatives italiennes, la télévision a été à la fois un lieu et un enjeu
majeur du débat politique. En effet, Silvio Berlusconi, propriétaire du groupe privé Mediaset et
autorité de tutelle de la RAI, télévision publique, usa et abusa de son hégémonie sur le paysage
audiovisuel italien. Il multiplia à cet effet ses interventions sur les chaînes privées et publiques
durant la campagne (A). La gauche victorieuse promit aux italiens qu’elle mettrait fin au conflit
d’intérêts dans les cent jours en mettant en place des dispositions assurant l’autonomie de la RAI
vis-à-vis du monde politique (B).
A. Silvio Berlusconi ou la figure d’un martyre durant la campagne électorale
Selon M. Sandro Bondi, porte parole de Silvio Berlusconi, « Forza Italia se fonde
essentiellement sur la personnalisation et la spectacularisation de la vie politique à partir d’un
leader charismatique. La télévision permet le rapport direct de ce leader avec les électeurs » 15.
Il s’agira donc d’étudier la stratégie du président du Conseil, consistant en une campagne
électorale offensive (1), avant de voir de quelle manière il usa de son pouvoir pour biaiser avec les
règles établies en Italie pour le respect du pluralisme en période électoral (2).
1) La stratégie de la persécution : une nouvelle démarche pour convaincre l’électorat
La compagne commença de manière conventionnelle, mais les sondages montrèrent un
retard grandissant pour Silvio Berlusconi. Modifiant sa méthode de conviction, il revint aux
méthodes de la commedia dell’arte, qui, pour les étrangers, paraissent d’une rare violence. Pour lui,
il ne s’agit plus de promettre une autre Italie, mais de se présenter en victime.
En effet, au lancement de sa candidature, il déclare faire un grand sacrifice : « pour moi
c’est un sacrifice de me représenter, mais je le ferai parce qu’un changement de gouvernement
15
http://www.monde-diplomatique.fr, article paru en septembre 2003
9
serait insensé » 16. Ainsi, il sous – entend se livrer corps et âme pour résoudre la crise économique
et budgétaire qui sévit en Italie. Il sollicite donc par ce biais la compassion de l’électorat.
De plus, il va se présenter en victime face à la population, dénonçant les agressions qu’il
subit par toutes les institutions. Aussi, il serait confronté à des « attaques de la magistrature rouge
contre ses entreprises » 17. Il fait également valoir son sentiment d’être persécuté par la télévision
publique, dirigée à ce moment là par un ancien dirigeant communiste. À deux jours de son débat
télévisé contre Romano Prodi, il quitta le plateau de l’émission « en une demi – heure » sur la
RAI 3 au bout de vingt minutes. La journaliste, Lucia Annunziata, ancienne présidente de la RAI,
lui avait demandé « pourquoi, en dehors de son pays, il était surtout connu pour son soutien au
président américain et pour les conflits entre ses intérêts financiers et politiques ». Refusant de
s’étendre sur ces sujets, en particulier au cours de sa campagne, la journaliste insista et l’invita à
répondre. Ce sur quoi il lança : « je me lève et je m’en vais si vous ne me laissez pas répondre. Estce clair ? ». Lucia Annunziata lui répondit : « je vous demande de ne pas partir. Vous ne pouvez pas
dicter les règles ». Au terme de cette altercation, Silvio Berlusconi s’est levé et l’a saluée. Il lui
reprocha d’être pleine de préjugés et d’être à gauche avant de conclure : « vous devriez avoir un
peu honte » 18.
C’est ainsi que suite aux diverses critiques envers sa personne, en particulier concernant le
recul de la production et de la productivité sous son gouvernement, il déclara, lors d’un meeting à
Ancône, « je suis le Jésus-Christ de la politique, une victime patiente qui supporte tout, qui se
sacrifie pour tous ».
Silvio Berlusconi, à l’image du principe de personnalisation du parti « Forza Italia », a
donc usé de la compassion de la population pour conserver ce pouvoir. Mais sa plus belle bataille
fut celle de violer les règles de temps d’antenne en période électorale, appuyant alors sa campagne
sur la spectacularisation de son parti politique.
16
http://www.lemonde.fr, article paru le 5 avril 2006
17
idem
18
http://www.lefigaro.fr, article paru le 13 mars 2006
10
2) Le non respect de la « par condicio » garantissant le pluralisme politique audiovisuel en période
électorale
La « par condicio » est une loi du 22 février 2000 régissant l’équilibre des temps d’antenne
entre les candidats. Celle-ci est spécialement discutée pour chaque élection du Parlement. Cette loi
s’applique également en période préélectorale et doit être respectée à la fois par les chaînes
publiques et les chaînes privées 19.
Or, le 9 février 2006, le groupe Mediaset fut condamné par l’autorité italienne de
régulation des médias, à verser 150 000 euros d’amende pour dépassement du temps d’antenne. Le
22 mars 2006, deux chaînes de télévision du groupe Mediaset ont dû payer des amendes de 200 000
euros et 100 000 euros pour avoir, une fois encore, enfreint la « par condicio ». Le 3 avril 2006, la
controverse sur la sur-médiatisation du candidat de centre droit, continue. La chaîne fut condamnée
à la peine maximale : 250 000 euros d’amende. Dans ce cas, l’autorité italienne de régulation des
médias reprocha au directeur et présentateur du journal télévisé de la Rete, d’« avoir ouvertement
soutenu Silvio Berlusconi lors de ses prises d’antenne et de ne pas avoir rééquilibré l’information
en faveur des listes de centre gauche » 20. Enfin, après avoir déclenché un scandale en souhaitant
intervenir sur la chaîne Canale 5, Silvio Berlusconi devant être l’unique invité, et Romano Prodi
ayant décliné l’invitation, le président du Conseil renonça à y participer.
Le résultat de la campagne est donc intéressant. En effet, Romano Prodi s’est plaint de
n’avoir bénéficié que de huit minutes de temps d’antenne depuis la mi-janvier, contre trois heures
pour Silvio Berlusconi.
Malgré tout, il semble que le président du Conseil soit allé trop loin dans la quête du
pouvoir. Après des élections extrêmement serrées, l’Unione, parti de Romano Prodi, remporte la
Chambre des députés.
B. Le mécontentement de l’Italie après la victoire de Romano Prodi
Silvio Berlusconi, refusant de reconnaître sa défaite, se lança dans de multiples accusations
de fraudes et d’irrégularités. Cela provoqua le recomptage de plusieurs dizaines de milliers bulletins
19
Dirigé par Guido Alpa etc « il diritto dell’informazione e dell’informatica », ed. A. Giuffrè, publication bimestrielle,
Milano,mars-avril 2006
20
http://www.rsf.fr, article paru le 6 avril 2006
11
de vote. Mais avec la proclamation officielle de la victoire de Romano Prodi, ce dernier annonça
qu’il fera tout pour empêcher le centre gauche de gouverner.
Dans un premier temps, le nouveau président du Conseil a dû faire face à la complexité de
réformer le système de l’audiovisuel mis en place par Silvio Berlusconi, ce qui entraîna un
mécontentement du pays (1). Cependant, les promesses de Romano Prodi ont finalement abouti à
une refonte de la loi Gasparri (2).
1) Une difficile mise en œuvre de la réforme de l’audiovisuel italien
Lors de sa campagne pour les élections législatives, Romano Prodi a promis de remettre de
l’ordre dans le paysage médiatique italien en réformant le cadre législatif. Cependant, quatre mois
après son élection, ses promesses se font toujours attendre.
En effet, il avait annoncé que durant la première période de son mandat, il s’attaquerait
prioritairement à deux problèmes : la loi sur les médias actuellement en vigueur et les conflits
d’intérêts dans les entreprises actives politiquement. Le problème se posait d’autant plus qu’à la
suite des élections, Mediaset voyait ses recettes montées à 603,4 millions d’euros 21.
Mais les promesses ne prenant pas effet, le chef de la coalition de gauche chuta dans les
sondages italiens. En octobre dernier, aucune des grandes réformes figurant dans son programme
n’était mise en œuvre. En effet, au mois de septembre, il ne cachait pas son impuissance à réformer
le service public audiovisuel : « je suis obligé de mécontenter les gens » 22.
Au mois d’octobre, l’Italie assista aux premiers changements au sein du Conseil
d’administration de la RAI. Ceux-ci ont suscité la colère de l’opposition qui cria à « l’épuration
politique » et dénonça les « idées liberticides » de la majorité 23.
Concernant le conflit d’intérêts, le ministre de la communication, Paolo Gentiloni,
interrogé par Le Monde, n’a donné aucune garantie quant au vote d’une loi et est resté très flou sur
l’avenir du service public. Mais Claudio Petruccioli, directeur de la RAI depuis 2005 a déclaré qu’il
21
http://www.cafebabel.com, article paru le 18 juillet 2006
22
http://www.lexpress.fr, article paru le 8 novembre 2006
23
http://www.lemonde.fr, article paru le 13 octobre 2006
12
« faut éviter que le service public tombe dans une nouvelle ère d’influence. Nous avons besoin de
retrouver notre liberté éditoriale pour prendre les mesures utiles à l’entreprise » 24.
Il semble donc compliqué pour Romano Prodi de revenir sur les écarts commis par l’ex
président du Conseil. Cependant, à une promesse plus attendue, une réponse a été apportée.
2)
La puissance de l’ex-président du Conseil menacée
La loi sur la réforme de l’audiovisuel a été déposée au Parlement après une longue attente.
Silvio Berlusconi avait déclaré, suite à la lecture du projet, que « l’approbation de la mesure au
Parlement serait un acte de banditisme » 25.
La nouvelle loi ne remet pourtant pas en cause la possession, par Silvio Berlusconi, de
trois chaînes télévisées privées. Cependant, elle fixe les limites antitrust. En effet, elle limite à 45 %
la part de publicité télévisuelle pouvant être détenue par chaque opérateur alors que Mediaset
dispose aujourd’hui d’une position dominante à hauteur de 65%. Par ailleurs, le gouvernement met
un terme au duopole RAI et Mediaset, obligeant les deux opérateurs à transférer, d’ici 2009, l’une
de leurs chaînes sur le réseau numérique. Rete 4 devrait ainsi passer sur satellite.
Le président de Mediaset craint une crise au sein du groupe, provoquant une chute des
bénéfices d’au moins 25 %. Pour les conseillers de Silvio Berlusconi, cette démarche de Romano
Prodi aurait en fait pour objet de permettre le développement d’autres groupes de communication
considérés plus à gauche.
Après des années de monopole télévisuel par Silvio Berlusconi, l’Italie se trouvait face à
une impasse quant à la liberté d’expression et à l’équité du pluralisme audiovisuel. Il a fallu faire
preuve de patience pour assister aux premiers changements promis par Romano Prodi. Cependant,
rien n’est encore fait. Silvio Berlusconi reste un homme très puissant dont les ressources peuvent
annoncées des rebondissements. Parler d’une totale liberté d’expression serait donc aujourd’hui
prématuré. En revanche, le pluralisme semble s’équilibrer de nouveau.
24
idem
25
http://www.liberation.fr, article paru le 17 octobre 2006
13
14

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