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© aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2012
Congrès Mondial de Linguistique Française – CMLF 2012
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L’évolution diachronique des suffixes -ment et -(ai)son et la question de la
correspondance vernaculaire de -(at)ion
Uth, Melanie
Université de Cologne
[email protected]
1
Introduction1
Dans la plupart des travaux traitant les procédés de nominalisation événementielle en -(at)ion et -(ai)son,
le processus en -(ai)son est considéré comme variante vernaculaire de celui en -(at)ion. Cette
généralisation est sans aucun doute correcte dans la mesure où -(ai)son s’est développé au cours de la
genèse de l’ancien français par des changements phonétiques réguliers sur la base du procédé latin en
-(at)io. Cependant, vu que la suffixation en -(at)ion a été (ré)introduite dans la langue française au cours
de la relatinisation, le simple fait de déceler une correspondance phonétique entre le suffixe latin -(at)io et
la forme française -(ai)son ne suffit pas encore à déterminer la relation entre -(ai)son et -(at)tio/-(at)ion
dans les différentes étapes de développement du français. C’est-à-dire, la circonstance selon laquelle le
procédé en -(ai)son s’est développé diachroniquement sur la base de -(at)io ne rime pas encore avec le
fait que le premier soit la variante vernaculaire du dernier en matière d’usage linguistique.
Dans cet article, nous analyserons diverses données diachroniques extraites du Nouveau Corpus
d’Amsterdam, dorénavant NCA, et plusieurs corpus partiels de FRANTEXT, pour montrer qu’en termes
d’usage langagier, la forme -(ai)son ne peut en rien être considérée comme l’équivalent vernaculaire du
procédé latin en -(at)io. Compte tenu du fait que -(at)io a été extrêmement productif en latin
postclassique, ce résultat négatif évidemment soulève la question de savoir par quel procédé de
nominalisation autre que -(ai)son la forme latine a été remplacée avant sa (ré)introduction au cours de la
relatinisation. Dans les limites de cet article, nous ne pouvons certainement pas donner de réponse
définitive à ce sujet. Néanmoins, sur la base de nos données mentionnées ci-dessus, nous sommes quand
même en état d’élaborer l’hypothèse selon laquelle l’équivalent vernaculaire de -(at)io en ancien français
a probablement été le suffixe -ment, issu du procédé latin en -mentum.
La structure de l’article est la suivante. Tout d’abord, nous analyserons en détail les courbes de
productivité de -(at)ion et -(ai)son, de l’ancien français jusqu’au français moderne, et nous montrerons
l’indépendance des deux voies de développement (section 2). Puis, nous examinerons le développement
diachronique de la productivité de -ment, tout en faisant ressortir le rôle important de -ment en ancien
français et en invoquant l’hypothèse qu’en termes d’usage langagier, c’est -ment, plutôt que -(ai)son, qui
doit être considéré comme l’équivalent vernaculaire de -(at)io (section 3). Après cela, nous donnerons des
indices supplémentaires en faveur de l’hypothèse précitée et nous préciserons la notion d’‘équivalent’ ou
de ‘remplacement’ suffixal auquel nous faisons allusion dans cet article. Finalement, nous résumerons les
conclusions le plus importantes et nous attirerons l’attention sur quelques questions ouvertes et sur des
possibilités de recherches ultérieures (section 5).
2
La faible productivité globale de -(ai)son et la non-productivité de
-(at)ion en ancien français
Dans la littérature traitant de la relation entre la morphologie savante et la morphologie vernaculaire en
français, -(ai)son est souvent caractérisé comme l’équivalent vernaculaire de -(at)ion et la relation entre
les deux procédés est décrite comme un remplacement suffixal, où -(at)ion ‘refoule’ -(ai)son de plus en
plus au cours du développement du français moyen au français moderne (à part les citations indiquées ci-
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dessous, cf. aussi Dubois 1962 : 31, Meyer-Lübke 1966 : 89, Lüdtke 1978 : 154, Grevisse 2004 : 217,
entre autres).
« Die Vitalität des volkssprachlichen -aison hat in den letzten Jahrhunderten stetig
abgenommen. » (‚La vitalité de la forme vernaculaire -aison a constamment déclinée
ces derniers siècles.’, Schmitt 1988 : 193)
« -aison scheint durch das Suffix -ation in der Gegenwartssprache völlig verdrängt
worden zu sein. » (‚-aison semble avoir été complètement refoulé par le suffixe -ation
dans la langue actuelle.’, Thiele 1981 : 34sq)
« Le domaine de -aison s’est peu à peu restreint. Dans la langue moderne, il n’est
presque plus productif, et c’est surtout la forme savante -ation qui le remplace. »
(Nyrop 1908, tome III : 92sq)
Certes, en se basant sur une exploitation de plusieurs dictionnaires synchroniques du français moderne,
Schmitt (1988 : 195-197) aboutit à la conclusion qu’en comparaison avec l’espagnol, le procédé en
-(ai)son persiste à se caractériser par une « productivité modeste » en français, ce que l’auteur attribue au
fait que les nominalisations en -(ai)son font partie d’une gamme assez large de champs sémantiques, y
compris l’agriculture, l’artisanat, la marine, la météorologie et la rhétorique, entre autres. Cependant,
Schmitt (1988), lui aussi, part du principe que -(ai)son et -(at)ion entretiennent une relation de
substitution qui a commencé au Moyen-Âge et qui doit, de plus, être considérée comme faisant partie
d’un développement général de substitution des modèles de formation vernaculaires par leurs
correspondants latinisés (ibid. : 197).
Toutefois, même s’il se peut que le suffixe -(ai)son soit toujours productif dans le sens où il peut toujours
être attaché à de nouvelles bases, les études précitées ne comportent aucune preuve concrète en faveur de
l’hypothèse du remplacement de -(ai)son par -(at)ion. Au contraire, les données compilées par Schmitt
(1988 : 192f), par exemple, qui se base sur la datation des nominalisations en -(ai)son et -(at)ion
contenues dans les dictionnaires de Dauzat et al. (1964), Juilland (1965) et Bloch & von Wartburg (1968),
font ressortir que la productivité de -(ai)son reste plutôt constante, i.e. constamment basse, au cours des
siècles (0 à 10 néologismes en -(ai)son par siècle en distribution peu systématique). Cette estimation est
corroborée par notre propre analyse de corpus sur la base du NCA et de 5 corpus partiels de FRANTEXT
allant du 16ième au 20ième siècle, montrant que, comparée à celle de -ment, la productivité de -(ai)son est
extrêmement basse dès le 12ième siècle jusqu’à nos jours (fig. 1).2
Figure 1 : Fréquence des nominalisations en -ment et -(ai)son dans le NCA et dans les
corpus partiels de FRANTEXT
Dans ce contexte, il est surtout intéressant de remarquer que le nombre des nominalisations en -(ai)son
n’est même pas sensiblement élevé en ancien français (NCA), où la variante latinisée en -(at)ion
n’existait pas (encore) dans la langue, cette dernière ayant été introduite en français seulement au fil de la
relatinisation, i.e. au 16ième siècle (cf. fig. 2).
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Figure 2 : Fréquence des nominalisations en -(at)ion dans le NCA et dans les corpus partiels
de FRANTEXT
Tous comptes faits, nos données font apparaître deux aspects importants concernant la relation
diachronique de -(ai)son et -(at)ion. Premièrement, il est évident que les courbes de productivité ne
manifestent pas la moindre trace d’influence mutuelle, le développement de productivité des deux
suffixes semblant être complètement dissocié. Évidemment, cette dissociation contredit l’hypothèse selon
laquelle -(ai)son a été ‘refoulé’ par -(at)ion au cours du développement de l’ancien français au français
moderne. Deuxièmement, il est important de réaliser que -(at)io est généralement dit avoir été un des
suffixes les plus productifs en latin (cf. Olcott 1898 : 34, Collin 1918 : 27, Georges 1951 ou AlsdorfBollée 1970 : 23, par exemple), de sorte que le taux bas de la productivité de -(ai)son dans notre corpus
médiéval nous mène à la conclusion qu’il doit y avoir eu un véritable effondrement de -(at)io au cours de
la formation de l’ancien français, et que ce procédé-ci n’a pas été intégré à l’ancien français ni sous sa
variante vernaculaire ni sous sa forme latinisée.
3
Le rôle important de -ment en ancien français
Bien sûr, l’effondrement de -(at)io soulève la question de savoir comment les différentes interprétations
exprimées par les nominalisations en -(at)io en latin ont été verbalisées en ancien français, où la variante
latinisée -(at)ion n’était pas encore disponible. Cette question a déjà été posée par Merk (1970) qui
s’aperçoit d’un remplacement systématique de -(at)io par -ment et -ance dans trois manuscrits du
glossaire Abavus (cf. Roques 1936).
On est en droit de se demander comment la masse des mots lat. en -(t)io ont été
traduits en fr. dans notre glossaire. Les grands profiteurs sont évidemment -ance et
-ment. (Merk 1970 : 206)
Tandis que la relation entre -(at)io et -ance ne nous semble pas aussi évidente qu’elle l’est pour Merk
(1970), nous sommes entièrement d’accord par rapport à l’hypothèse que -ment a joué un rôle important
dans le remplacement de -(at)io en ancien français. Pour donner du poids à cette hypothèse, nous
essayerons, dans ce qui suit, de tracer le rôle important de -ment et sa relation avec -(at)io en ancien
français de manière un peu plus détaillée. Tout d’abord, il est intéressant de remarquer qu’avec ses 386
lexèmes dans le NCA, -ment a été une forme très fréquente en ancien français (cf. fig. 3) tandis que son
antécédent latin -mentum est généralement estimé avoir été un des suffixes les moins productifs du latin
(cf. Alsdorf-Bollée 1970 : 23, Merk 1970 : 204sqq., par exemple). De plus, les 386 nominalisations en
-ment comprises dans le NCA n’ont de correspondant latin que dans 57 cas, de sorte que nous pouvons
constater que 329 lexèmes en -ment sont incontestablement français, tandis que le taux des dérivés en
-(ai)son dans le NCA qui sont incontestablement français dans ce sens ne s’élève qu’à 16 d’un total de 33
lexèmes (fig. 3).
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Figure 3 : Fréquence des lexèmes en -ment, -(ai)son et -(at)ion dans le NCA
C’est-à-dire que le procédé en -mentum/-ment a évidemment subi une augmentation de productivité
considérable au cours de la formation de l’ancien français. Cette augmentation est à corréler à la ‘chute’
de productivité de -(at)io/-(ai)son mentionnée ci-dessus, et l’hypothèse de la corrélation diachronique
opposée entre -mentum/-ment et -(at)io/-(ai)son est encore confirmée par l’augmentation des
nominalisations latinisées en -(at)ion et la décroissance simultanée des dérivés en -ment au cours de la
relatinisation (cf. de nouveau fig. 1, comparée à fig. 2).
Certes, les corrélations quantitatives précitées pourraient aussi bien être dues au hasard, montrant des
bouleversements graves mais indépendants du paradigme des suffixes nominalisateurs au cours du
développement de l’ancien français. Cependant, il y a aussi de nombreux indices qualitatifs en faveur de
notre hypothèse de remplacement -(at)io/-ment. Une première preuve qualitative est que nombre de
nominalisations en -ment de l’ancien français ont leurs référents dans le domaine religieux, qui est
réservée à -(at)ion en français moderne, et il en a été de même en latin (cf. 1).
(1)
afr. concevement
⇆
modfr. conception
afr. escomengement
⇆
modfr. excommunication
afr. espurgement
⇆
modfr. purgation
afr. glorifïement
⇆
modfr. glorification
afr. preechement
⇆
modfr. prédication
afr. purifiement
⇆
modfr. purification
afr. Saintefiement
⇆
modfr. sanctification
afr. saluement
⇆
modfr. salutation
etc. [TL, PR]3
Deuxièmement, une analyse plus approfondie du dictionnaire de l’ancien français de Tobler &
Lommatzsch (cf. TL en annexes) révèle que ces auteurs invoquent très souvent des nominalisations
latines en -(at)io pour déterminer ensuite l’imbrication des sens des dérivés de l’ancien français en -ment
(cf. 2).
(2)
1410
afr. degetement
⇆
lat. deiectio
afr. en leesces et en esjoement
⇆
lat. in laetitiis et in exsultatione
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afr. a nostre estruisement
⇆
lat. ad instructionem nostram
afr. laborement
⇆
lat. laboratio
afr. moutepliement
⇆
lat. multiplicatio
afr. recouvrement
⇆
lat. recuperatio
afr. enl repidement de ton peuple ⇆
etc….
lat. in repropitiatione populi tui
[TL]
Le troisième indice pour notre hypothèse de remplacement est fourni par le Dictionarium Latinogallicum
qui a été compilé par Robert Estienne au 16ième siècle (cf. DLG en annexes) et qui montre nombre de cas
où l’auteur se sert d’une nominalisation en -ment pour traduire un nom latin en -(at)io. Plus précisément,
le dictionnaire contient 1373 entrées latines en -(at)io, dont 695 sont définies par une ou plusieurs
nominalisations françaises, tandis que l’auteur se sert d’un dérivé latinisé en -(at)ion dans 660 cas
seulement.4 Quelques exemples montrant les nombreux cas de traduction -(at)io/-ment dans le DLG sont
énumérés sous (3).
(3)
lat. abdicatio
⇆
mfr. renoncement, abastardissement
lat. aequatio
⇆
mfr. applanissement
lat. castratio
⇆
mfr. chastrement
lat. circunstatio ⇆
mfr. environnement, entourement
lat. deiectio
⇆
mfr. dejectement
lat. descensio
⇆
mfr. descendement
lat. emissio
⇆
mfr. donnement, jectement
afr. equitatio
⇆
lat. chevauchement
etc…. [DLG]
Donc, dans l’ensemble, les différentes ressources lexicographiques et de corpus font unanimement
ressortir une proximité fonctionnelle de -(at)io et -ment qui donne du poids à l’hypothèse selon laquelle le
procédé de nominalisation événementielle latin en -(at)io n’a pas été emprunté par le français ni sous sa
variante vernaculaire -(ai)son ni sous sa forme latinisée -(at)ion, mais a été, en revanche, remplacé par
-ment, ainsi que, éventuellement, par d’autres suffixes sémantiquement similaires (cf. sur ce point aussi
les sections 4 et 5).
4
L’hypothèse du remplacement de -(at)io par -ment d’un point de vue
sémantique
Dans cette section, nous aimerions aborder la notion de la proximité fonctionnelle de -ment et -(at)io d’un
point de vue sémantique. En faisant ceci, nous nous appuyons sur l’hypothèse que, dans un paradigme
morphologique comme celui des nominalisations événementielles, chaque suffixe/procédé a une fonction
unique, de sorte qu’il peut être univoquement distingué des autres formes par des raisons sémantiques ou,
au moins, pragmatiques (‘à moins qu’il y ait des preuves du contraire’, « unless there is evidence to the
contrary », Müller 2005 : 236).
Par conséquent, notre hypothèse de remplacement -(at)io/-ment se base sur deux autres hypothèses
implicites concernant le phénomène de la substitution suffixale en général. Premièrement, nous
présumons que tout remplacement suffixal du type que nous explorons dans cet exposé se produit à un
niveau concret d’usage du langage. Deuxièmement, nous supposons qu’à ce niveau concret d’usage
langagier, les domaines d’application des deux suffixes/procédés peuvent largement se chevaucher même
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si les suffixes/procédés-mêmes se distinguent nettement par rapport à leur sémantique différente. Suivant
cette argumentation, nous montrerons, dans ce qui suit, d’abord les différences sémantiques abstraites
entre -ment et -(at)ion (4.1.-4.2), pour déterminer ensuite l’imbrication qui peut en résulter au niveau
concret de l’usage langagier (4.3).5 La possibilité de lier le remplacement probable des deux suffixes au
cours de la formation de l’ancien français aux caractéristiques sémantiques abstraites qu’ils présentent en
français moderne et qui peuvent être déterminées pour des raisons indépendantes, est une autre preuve
importante en faveur de notre hypothèse du remplacement (partiel) au Moyen-Âge de -(at)io par -ment.
4.1
-ment
Concernant le procédé de nominalisation événementielle en -ment, Dubois (1962 : 29-32) indique que les
noms en -ment se caractérisent par leur « sens terminatif », et qu’ils font le plus souvent référence à des
« résultats acquis ». Bally (1965 : 181) note que « -ment désigne volontiers l’aspect ponctuel ou
terminatif » et Dubois & Dubois-Charlier (1999 : 20) font ressortir la « prévalence du sens ‘état, résultat’
sur celui de ‘action’ ». Martin (2010) montre pour les nominalisations en -ment, premièrement, qu’elles
figurent sans problème dans des contextes non-incrémentiels (cf. 4a.) et, deuxièmement, qu’elles sont
sous-spécifiées par rapport à l’implication du composant causatif des verbes caractérisés par l’alternance
causative-inchoative (cf. 4b.-c.). De plus, pour divers auteurs, la suffixation en -ment est moins agentive
que celle en -age, elle « préfère les verbes intransitifs » (Dubois 1962 : 62) et elle montre une forte
affinité pour les arguments de patient (cf. pour plus de détails sur ce point Kelling 2004 : 347 ou Martin
2010 : 122-124).
(4)
a.
b.
c.
Marie a intentionnellement plissé les yeux.
> Le plissement / #plissage des yeux (Martin 2010 : 124)
Pierre a assisté au gonflement des ballons.
Pierre witnessed the change of state only
(‘Pierre n’a assisté qu’au changement d’état’)
Pierre a assisté au gonflement des ballons par x.
Pierre witnessed the whole causation
(‘Pierre a assisté à la causation entière’) (Martin 2010 : 118sq.)
Notre propre recherche de corpus correspond très largement à ces évaluations. Cependant, une analyse
plus détaillée de nos données met en évidence le fait que les nominalisations en -ment figurent d’habitude
dans exactement les mêmes contextes qui sont généralement caractéristiques pour les participes passés, ce
qui veut dire qu’ils correspondent soit à des états ou propriétés résultantes (p. ex. isolement = l’état d’être
isolé, acharnement = propriété d’être acharné en 5b., c.), soit à des événements passifs (cf. rétablissement
= événement d’être rétabli en 5d.), ou soit à des événements perfectifs, i. e. temporellement « clôturés »
(cf. amaigrissement = événement d’être amaigri en 5e.).
(5)
a.
b.
c.
d.
e.
1412
Quand la cloche sonna, dans l’abrutissement qui suivit, je réalisais que
j’avais tenu le rôle de mon grand-père. (FRANTEXT, Roze.P, Le Chasseur Zero, 1996)
Voilà un demi-siècle que cette langue vit dans l’isolement complet, très rarement
parlée, s’attaquant à une réalité étrangère à sa nature, … (FRANTEXT, Makine. A, Le
Testament Français, 1995)
Il y avait en lui une telle force, un tel acharnement qu’il aurait été capable de la
frapper. (FRANTEXT, Lanzmann, J. La Horde d’Or, 1994)
La suppression du décadi, le rétablissement du dimanche ont une première
conséquence : on se reposera un jour sur sept au lieu d’un jour sur dix. (FRANTEXT,
Ormesson. J.D., La Douane De Mer, 1993)
J’avais récupéré mon poids d’avant l’amaigrissement par le zona, c’est-à-dire 70 kilo.
(FRANTEXT, Guibert, H., A L’ami Qui Ne M’a Pas Sauve La Vie, 1990)
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Pour analyser les données d’une façon cohérente, nous nous basons dans ce qui suit sur l’analyse
compositionnelle des participes passés de l’allemand proposée par Roßdeutscher (2000). À l’opposé
d’autres travaux récents sur les participes passés de l’allemand, comme Kratzer (2000) ou Maienborn
(2009), Roßdeutscher propose que la morphologie participiale soit associée à une seule signification dans
les différents contextes d’usage des participes, les différences de sens entre, p. ex., un passif de procès
comme Der Patient wird geheilt (‘Le malade est guéri’, avec interprétation temporelle présente) et un
passif d’état comme Der Patient ist geheilt (‘Le malade est guéri’, avec interprétation résultative) étant
imputables aux éléments figurant dans la même phrase (i. e. l’auxiliaire werden ou la copule sein dans les
exemples ci-dessus).
Selon cette approche, un participe sans contexte comme guéri a la fonction d’attribuer au participant
concerné par l’événement de base la propriété d’être dans un état résultant d’un processus de guérison
précédent. Ainsi, si une construction comme Le malade est guéri est interprétée comme passif d’état
(Zustandspassiv, cf. Kratzer 2000 : 385), on attribue à la forme est la fonction de copule, établissant une
relation explicite entre la propriété et son argument. Contrairement à cela, si la même construction est
interprétée comme passif de processus (Vorgangspassiv, ibid.), est a la fonction d’un auxiliaire de passif,
qui décale, pour ainsi dire, l’état résultant à l’avenir, de sorte que la construction verbale entière attribue
au participant concerné la propriété de participer à un événement qui aboutira à l’état désigné par le
participe correspondant (d’où résulte l’interprétation dynamique et, par conséquent, moins résultative qui
est une caractéristique du passif de processus). Tandis qu’en allemand, ce changement de perspective est
indiqué par la différence morphologique entre sein et werden, les constructions sont identiques en
français, de sorte qu’une construction comme Le malade est guéri peut être interprétée soit comme passif
d’état (signifiant que l’argument correspondant se trouve dans l’état d’être guéri), soit comme passif de
processus, soit même comme attribution d’une propriété (signifiant que la propriété d’être guéri est
attribuée directement à l’argument correspondant).6 Peu importent les processus précis menant à
l’interprétation conforme du moment, le participe a la fonction unique d’attribuer au participant concerné
la propriété d’être dans l’état résultant de l’événement de base.
Concernant les constructions perfectives (cf. Der Arzt hat den Patienten geheilt/Le médecin a guéri le
malade), Roßdeutscher (2000) suppose que l’auxiliare haben/avoir introduit un état, différent de celui qui
qui est introduit par le participe. Selon l’auteur, ce deuxième état est, premièrement, attribué au sujet et,
deuxièmement, identifié avec l’état résultant introduit par le participe passé (i.e l’état d’être guéri dans
l’exemple précité). Les constructions correspondantes peuvent varier entre une lecture événementielle et
une lecture d’état (cf. 6a. vs. b.). Malgré cela, la fonction unique du participe passé est toujours d’attribuer
au participant concerné la propriété d’être dans l’état résultant de l’événement de base.7
(6)
a.
b.
Der Arzt hat … den Patienten geheilt. Danach hat … er sofort die Rechnung geschickt.
‘… Le médecin a guéri le malade. Après, il a tout de suite envoyé la facture.’
Der Arzt hat … den Patienten geheilt. Der ist …(jetzt) umgehend aus dem Krankenhaus
zu entlassen.
‚Le médecin a guéri le malade. (Maintenant,) Celui-ci doit être laissé sortir immédiatement de l’hôpital.’ (versions allemandes citées selon Roßdeutscher 2000 : 73)
Dès le premier regard sur nos nominalisations en -ment, il est clair que la plupart d’entre elles se
caractérisent justement par la même ambigüité entre les interprétations 'passif d’état', 'passif de processus',
'événement perfectif' ou 'événement résultatif'', qui est si caractéristique pour les participes passés (cf. à
titre d’exemple encore une fois les exemples sous 5a.-e.).
À part cela, il y a plusieurs autres preuves en faveur de l’hypothèse du parallèle entre la morphologie
participiale précitée et -ment. Par exemple, en cas d’absence d’un contexte suffisant, les nominalisations
en -ment se caractérisent par la même ambigüité entre l’interprétation passive résultative (avec un seul
argument, i.e. sans agent) et l’interprétation passive de processus (avec deux arguments, i.e. avec agent),
qui est si caractéristique pour les participes passés (cf. de nouveau Kratzer 2000 et Maienborn 2009, et
l’exemple sous 7).
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J’assistais de la porte à l’enlaidissement de ma mère. (FRANTEXT, Roze.P, Le Chasseur Zero,
1996)
Nous en concluons que la nominalisation en -ment sert à réifier la propriété du participant concerné d’être
dans l’état résultant de l’éventualité désignée par le verbe de base. Mises à part les restrictions émanant
du sens lexical des verbes de base, nous supposons que les nominalisations en -ment sont d’habitude
sous-spécifiées par rapport aux quatre lectures précitées, au même titre que les participes passés, le choix
parmi les différentes interprétations étant déterminé par les éléments figurant dans le contexte
correspondant.
D’après cette analyse, la résultativité des dérivés en -ment constitue le fondement de leur affinité avec les
valeurs ‘terminatives’, perfectives et passives notées par les auteurs précités. Par contre, la forte tendance
du suffixe à réifier les changements d’état non-incrémentiels et à « choisir » la variante inchoative des
verbes à alternance causative-inchoative doit être attribuée aux besoins pragmatiques des locuteurs. En
d’autres mots, la raison pour laquelle les événements correspondants sont surtout réifiés par -ment est
qu’ils sont prédestinés à être présentés sous l’angle du participant concerné par l’événement de base, la
partie la plus saillante de ces événements étant le changement d’état et son résultat. Ainsi, mis à part les
cas isolés de nominalisation en -ment avec interprétation perfective (cf. les chiffres de corpus ainsi que
l’exemple 9 ci-dessous), les nominalisations correspondantes figurent en général dans des contextes
résultatifs (cf. 8a.-b.).
(8)
a.
b.
Je lui vis, pour la première fois, dans le plissement des yeux, quelque chose comme un
sourire. (FRANTEXT, Pontalis, J.B., Loin, 1980)
Ils parlent et je n’entends pas ce qu’ils disent. Leurs paroles ne passeraient pas dans la
peinture. Ce qui passe, c’est la forme de leur bouche, le plissement de l’œil.
(FRANTEXT, Perry, J., Vie d’un païen, 1965)
À première vue, notre approche est démentie par l’existence de nominalisations en -ment dérivées de
verbes dits ‘inergatifs’ comme agir (> agissement) ou s’affairer (> affairement), parce que ces verbes
n’impliquent ni de changement d’état ni de ‘participant concerné’. Cependant, l’examen plus approfondi
des nominalisations correspondantes révèle qu’elles font preuve d’une forte analogie avec différentes
constructions impersonnelles (comme Il a régné un silence de mort, par exemple), tout en étant
caractérisé par la même détopicalisation du ‘porteur de l’événement’ (cf. 9a.).8 Dans notre approche,
l’impersonnalité de ces nominalisations peut être imputée au fait qu’elles se fondent sur la réification
d’états ou propriétés résultant(e)s qui sont détaché(e)s de tout participant. En outre, dans le domaine des
verbes d’émission, ceci a pour conséquence que les nominalisations en -ment désignent presque toujours
le produit résultant du procès d’émission, i. e. l’émission elle-même (cf. 9b.-c.).
(9)
a.
b.
c.
Enfin, le fait que l'atteinte a son début à la naissance de l'enfant ou dès le premier âge,
implique qu'aucun agissement normal ne lui a jamais été possible. (FRANTEXT,
Encyclopédie Éducation Française, 1960, p. 206)
Flairant le cheval royal, le tarpan fit entendre un hennissement de contentement.
(FRANTEXT, Lanzmann, J. La horde d’or, 1994)
Pris de court et ne trouvant dans ma mémoire aucun éclaircissement sur ce point, j’émis
un balbutiement hésitant. (FRANTEXT, Makine, A. Le testament français, 1995)
Finalement, il est à noter qu’il est difficile d’estimer le caractère résultatif des nominalisations en -ment à
partir des exemples isolés sous (5) à (8), et des exemples de nominalisations événementielles en -ment
sont évidemment faciles à trouver (cf. 10).
(10)
Seul ce colosse de Gontran ne s’aperçut de rien et se félicita du brusque refroidissement entre le
juif et son protégé. (FRANTEXT, Lanzmann, J. La horde d’or, 1994)9
Par rapport à de tels exemples, nous aimerions tout d’abord souligner que notre analyse n’exclut en
aucune circonstance des nominalisations en -ment événementielles. Au contraire, l’interprétation
1414
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événementielle (perfective) de l’événement de base s’inscrit autant dans la gamme des interprétations
possibles des nominalisations en -ment qu’elle relève de l’éventail des interprétations des participes
passés (cf. 6a, par exemple).
Cependant, dès qu’on tient compte de bases de données plus amples, la tendance résultative de -ment se
manifeste clairement. Par exemple, une étude quantitative d’un corpus partiel de 3.000.000 mots de
FRANTEXT du 20ième siècle (cf. de nouveau les indications sous ‘FRA’ dans l’annexe) révèle pour les
98 lexèmes en -ment à base de verbes de changement d’état comme enlaidir ou gonfler, que 395 des 483
occurrences correspondantes (i.e. 82%) renvoient à des résultats ou à des propriétés résultantes, tandis que
73 occurrences (15%) renvoient à des événements et 15 occurrences (3%) sont ambiguës entre une lecture
résultative et une lecture événementielle.
Figure 4 : Proportions des lectures événementielles (E), résultatives (R) et ambiguës (E/R) du total de 483
occurrences en -ment à base des verbes de changement d’état dans le FRA du 20ième siècles.
Une deuxième preuve de la tendance résultative des nominalisations en -ment est apportée par un sondage
récent effectué sur la base de 12 locuteurs natifs du français standard par rapport à l’interprétation des
nominalisations gonflement et gonflage.10 Dans ce sondage, nous demandions aux 12 locuteurs d’évaluer
graduellement la grammaticalité des nominalisations précitées dans les phrases citées sous (11), à la suite
de quoi nous recevions les estimations sous (12), indiquant que les nominalisations en -ment sont
généralement interprétées comme résultatives s’il n’y a pas de contexte plus précis qui pourrait servir à
évoquer une interprétation alternative.
(11)
a.
b.
c.
(12)
a.
b.
c.
d.
Il lui a fallu 3 heures pour le gonflement du ballon.
Il lui a fallu 3 heures pour le gonflage du ballon.
Le gonflement du ballon lui a pris 3 heures.
Le gonflage du ballon lui a pris 3 heures.
Il s’essaya 3 heures au gonflement du ballon (mais il n’a pas réussi).
Il s’essaya 3 heures au gonflage du ballon (mais il n’a pas réussi).
gonflement” est un objet. [(a)-(a”) veulent] dire qu’il faut 3 heures pour fabriquer le
gonflement (= l’endroit du ballon qui forme une boule qui dépasse).
je trouve que “gonflage” insinue l’action de gonfler un objet mais que “gonflement”
serait plutôt la conséquence de l’action
. . . gonflement [est] utilisé pour des éléments déjà gonflés, alors que gonflage est
donné pour l’action de gonfler
pour moi, le mot gonflage correspond mieux à l’action décrite que le mot gonflement.
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e.
f.
g.
h.
i.
j.
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. . . il me semble que la deuxième convient mieux, puisque finalement le gonflage a
bien eu lieu, mais le gonflement n’a pas été réussi.
“Gonflement” évoque pour moi plutôt le sentiment d’être gonflé plutôt que le fait de
gonfler.
. . . l’action (humaine) de gonfler le ballon = gonflage. Le gonflement en est l’effet
. . . gonflage étant l’action de gonfler et gonflement étant le description de
quelque chose déjà gonflé . . .
le gonflement fait plutôt penser au ventre et à un résultat alors que gonflage est
l’action
gonflage convient mieux que gonflement car il s’agit d’une action et gonflement
correspond plus à un état (de ce qui est gonflé)
En résumant, nous pouvons donc constater pour la nominalisation en -ment qu’en raison de son affinité
avec les états résultants (pour les raisons décrites ci-dessus), sa gamme de lectures se caractérise par une
forte analogie avec celle des participes passés et implique la détopicalisation générale du porteur de
l’événement. Selon cette approche, le suffixe influe gravement sur la dite ‘structure informationnelle
canonique’ du verbe de base, qui se caractérise, par hypothèse, par la topicalisation du porteur de
l’événement, aboutissant à l’orientation vers la partie dynamique et/ou active de l’événement
correspondant.11
4.2
-(at)ion
Comme c’est mis en évidence déjà par Kerleroux (2008 : 127f), Schmitt (1988 : 193) et autres, la
suffixation en -ation est la seule forme du paradigme en -ion qui est productive en français contemporain.
Un examen approfondi de la littérature met en lumière deux aspects intéressants concernant la sémantique
de ce procédé de nominalisation. L’un d’eux est le fait que les nominalisations en -(at)ion désignent
surtout des événements perfectifs. Ainsi, Martin (2010 : 132) fait remarquer que les dérivés en -(at)ion
sont très souvent utilisés pour présenter l’événement de base comme une unité. En même temps,
cependant, la présentation des événements par -(at)ion fait toujours preuve d’une certaine dynamicité
intérieure. Ce fait important est révélé par des contrastes d’acceptabilité indiqués par Martin (2010 : ibid.)
montrant qu’à la différence de -ment, -(at)ion ne peut pas être utilisé si l’événement de base est privé de
toute dynamicité (ou, discontinuité, selon l’avis de Martin 2010, cf. 13a.-b.).
(13)
a.
b.
Samira a alphabétisé Pierre en plusieurs étapes.
> alphabétisation/*alphabétisement
Il m’a étonné/affolé #en plusieurs étapes.
> étonnement, affolement/*étonnation, *affolation (Martin 2010 : 132)
Le deuxième aspect important concernant la sémantique du procédé en -(at)ion est qu’en comparaison
avec ceux en -ment, les dérivés en -(at)ion sont généralement dits être plus orientés vers les composants
actifs et/ou causatifs des complexes événementiels de base. Par exemples, Dubois & Dubois-Charlier
(1999) périphrasent le sens des nominalisations en -(at)ion de manière générale avec « action » ou
« résultat concret de l’action » (ibid. : 24), tandis qu’ils décèlent pour -ment que « le sens résultatif de
‘état’ ou de ‘résultat’ prévaut sur le sens de ‘action’ » (cf. aussi la section 4.1). D’une manière semblable,
Martin (2010 : 129) indique que -(at)ion est ‘plus orienté vers la causation’ (« more ‘causation’oriented’ ») tandis que -ment est ‘plus orienté vers le résultat’ (« more ‘result’-oriented »). Le contraste
illustré par (14a. vs b.) donne du poids à cette généralisation, puisqu’il montre qu’il y a des contextes où
les nominalisations en -ment sont limitées à l’interprétation inchoative tandis que celles en -(at)ion
peuvent facilement désigner des événements causatifs.
(14)
1416
a.
b.
L’oppression/l’excitation des enfants par Paul
L’oppressement/L’excitement des enfants #par Paul (Martin 2010 : 129)
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C’est-à-dire, parallèlement à son influence perfective, -(at)ion semble être caractérisé par les valeurs de
dynamicité et/ou d’activité, de sorte que nous proposons que ce suffixe acquiert par voie d’héritage la
structure informationnelle canonique du verbe de base, i.e. la topicalisation du porteur de l’événement et
l’orientation vers la part active de l’événement réifié, qui relève, par hypothèse, de toute base verbale
non-modifiée (cf. 4.1). Par conséquent, les données précitées peuvent être interprétées comme indices en
faveur de l’hypothèse que, contrairement à –ment, par exemple, -(at)ion n’exerce qu’une haute influence
perfective sur les verbes de base, sans évoquer aucune modification supplémentaire par rapport à la valeur
diathésique du lexème de base, par exemple. Dans ce qui suit, nous dénommerons cette supposition
‘l’hypothèse de la perfectivité pure de -(at)ion’.
Pour confirmer l’hypothèse (de travail) de la perfectivité pure de -(at)ion, nous renvoyons à l’étude
précitée de Ferret et al. (2010), qui montrent à l’aide du suffixe -ée, premièrement, que les processus de
nominalisation sont en partie capables d’insérer eux-mêmes la ‘clôture’ temporelle de l’événement qui est
nécessaire pour l’interprétation perfective, transformant un complexe événementiel cumulatif en une
‘Occurence Durative non Culminante’ (ODnC, cf. 15a.).12 Deuxièmement, Ferret et al. mettent en
évidence que les nominalisations en -ée sont plus acceptables en complément de la préposition après,
« qui requiert comme complément un événement perfectif » (ibid. : 960), que les dérivés en -age, par
exemple (cf. 15b.). De plus, les auteurs font remarquer que l’événement de base est conçu comme une
totalité quand le dérivé en -ée est le complément direct de la construction J’ai filmé (cf. 15c.) et que les
nominalisations en -ée ne peuvent pas apparaître comme compléments des verbes interrompre (15d.),
progresser (15e.) et surveiller (dans son sens littéral, cf. 15f.).
(15)
a.
b.
c.
d.
e.
f.
Chevaucher pendant deux heures (activité) → le jour de la chevauchée (ODnC)
??après l’arrivage de la marchandise / après l’arrivée de la marchandise
J’ai filmé la percée du tunnel (l’événement dans sa totalité)
??l’arrivée des ouvriers a été interrompue par un convoi de police
??la percée du tunnel a progressé
#J’ai surveillé l’arrivée des marchandises (le déroulement du procès)
(# sauf si SURVEILLER = ‘épier, guetter, attendre la réalisation de l’événement dans sa
totalité’)
(cf. Ferret et al. 2010 : 959sq.)
Le transfert des exemples sous (15) à notre processus de nominalisation en -(at)ion montre clairement que
ce dernier peut également être utilisé pour dériver des ODnC sur la base de verbes d’activité (cf. 16a.) et
qu’il se caractérise de même par une forte influence perfective (16b.). Cependant, la grammaticalité des
exemples (16c.-e.), en comparaison avec le caractère déviant de ceux en (15d.-f.), fait ressortir
immédiatement que les dérivés en -(at)ion comportent une dynamicité intérieure qui est complètement
absente dans le cas des nominalisations en -ée, indiquant que -(at)ion ‘conserve’, pour ainsi dire, la
topicalisation du porteur de l’événement et l’orientation vers la part active de l’événement réifié, qui
relève, par hypothèse, de toute base verbale non-modifiée (cf. 4.1).
(16)
a.
b.
c.
d.
e.
Manifester pendant deux heures (activité) → le jour de la manifestation.
Après l’édification de l’immeuble.
L’édification de l’immeuble a été interrompue par … .
L’édification de l’immeuble a progressé.
J’ai surveillé l’édification de l’immeuble.
Il s’entend que l’hypothèse de la perfectivité pure de -(at)ion reste provisoire jusqu’à ce que nous
fournissions une analyse exhaustive de corpus pour ce procédé de nominalisation aussi. En effet, nous
avons vu que l’analyse sémantique des processus de nominalisation devrait se fonder normalement sur
l’examen des dérivés individuels dans leurs contextes concrets puisque la mise en perspective de
l’événement de base n’est établie qu’au niveau des propositions entières où les procédés de
nominalisation interagissent avec d’autres marqueurs aspectuels, etc. . Cependant, même si les résultats
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présentés dans cet article en ce qui concerne la sémantique du procédé en -(at)ion ne sont que partiels, les
données précitées suggèrent fortement que le procédé en -(at)ion exerce une haute influence perfective,
tout en acquérant par voie d’héritage la structure informationnelle canonique du verbe de base, i.e. la
topicalisation du porteur de l’événement et l’orientation vers la part active de l’événement réifié, qui
relève, par hypothèse, de toute base verbale non-modifiée (cf. 4.1).
4.3
L’imbrication des domaines d’usage de -ment et -(at)ion et l’hypothèse du
remplacement de -(at)io par -ment
La comparaison des traits sémantiques de -ment et -(at)ion sur la base de l’analyse proposée ci-dessus
révèle que les deux procédés se chevauchent dans la mesure où tous les deux peuvent être employés pour
désigner des événements perfectifs. Certes, les deux suffixes sont bien différents au niveau de leurs
caractéristiques sémantiques abstraites. Par exemple, le procédé en -ment interfère directement dans la
structure informationnelle canonique du verbe de base dans la mesure où l’introduction de l’état résultant
mène à la détopicalisation du ‘porteur de l’événement’, tandis que -(at)ion acquiert par voix d’héritage la
voix non-marquée, active de ses bases dérivationnelles. Il en résulte que les nominalisations en -(at)ion
sont, en général, beaucoup plus actives et se caractérisent par un plus haut degré de dynamicité que celles
en -ment. De plus, -ment n’induit la perfectivation de l’événement de base qu’indirectement, moyennant
l’introduction, ou la réificiation, d’un état résultant, tandis que -(at)ion introduit la valeur perfective de
manière directe et exclusive. Néanmoins, comme nous l’avons vu dans la section 4.1, il est bel et bien
possible d’utiliser une nominalisation en -ment pour désigner un événement perfectif, pourvu que
l’interprétation correspondante soit indiquée par le contexte outre que la nominalisation même. Donc, sur
la base de ces résultats et en prenant en compte les courbes de productivité présentées dans la section 2, il
est bien possible que les locuteurs natifs de l’ancien français aient en effet eu davantage recours aux
nominalisations en -ment pour traduire, ou remplacer, celles en -(at)io.
Évidemment, pour lier l’imbrication de -ment et -(at)ion en français moderne à notre hypothèse du
remplacement au Moyen-Âge de -(at)io par -ment, il reste à vérifier si les caractéristiques sémantiques
des deux procédés ont été constantes au cours du développement de l’ancien français au français
moderne. Quant à la nominalisation en -ment, nos données font ressortir qu’elle se caractérise en effet par
une uniformité diachronique considérable, le critère décisif étant que les dérivés de l’ancien français
présentent la même gamme d’interprétations qu’en français moderne. En d’autres mots, les
nominalisations en -ment de l’ancienne langue se réfèrent premièrement, elles aussi, soit à des états ou
propriétés résultantes (p. ex. adoucement = l’état d’être doux, acointement = la propriété d’être insinuant
en 17a., b.), soit à des événements passifs (cf. crucefiement = événement d’être crucifié en 17c.), ou soit
à des événements perfectifs, i. e. « clôturés » (cf. l’ajornement = l’événement de l’éclosion du jour en
17d.).
(17)
a. ne rait
entr eus adoucement et concorde et ajostement.
‘et rayonner:PRS.3SG parmi eux douceur
et concorde et accord’ (NCA, Chronique
des ducs de Normandie par Benoit, 1175)
b. mult
‘beaucoup
amer
aimer:INF
fu
de grant acointement
et se fist
être:PST.PFV.3SG de grant caractère insinuant et se faire:PST.PFV.3SG
a
….
chez …’ (NCA, Joufroi de Poitiers, 1250)
c. et soit meisme resuscitai [sic!]
il des morz lou tierz jor de son crucefiemant.
‘et soi- même ressusciter:PST.PFV.3SG il des morts le 3ième jour de son crucifixion’
(NCA, L’histoire de Barlaam et Josaphat, 1250)
d. apres la mienuit s armerent
et sagement
tresik apras l’ajornement qu’ils
‘après minuit se armer :PST.PFV.3PL et avec patience jusqu’après l’aube
qu’ils
embuschierent
en uns vals.
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s’embusquer :PST.PFV.3PL dans une vallée.’ (NCA, L’histoire de Guillaume le Marechal,
1226)
Même dans le domaine dit ‘inergatif’, l’analyse détaillée des nominalisations en -ment du NCA révèle
qu’elles présentent en majorité les lectures qui sont aussi caractéristiques pour les dérivés correspondants
du français moderne, initiant la ‘détopicalisation du porteur de l’événement’ (18a.) et/ou désignant le
produit résultant d’un processus d’émission (18b.,c.), par exemple (voir aussi section 4.1, 9a.-c.). En nous
basant sur de telles données, nous estimons que le procédé en -ment de l’ancien français est
sémantiquement identique à celui du français moderne.13
(12)
a. ici m estot la mort entendre
kar ne me puis
de co defendre ke par mun
Ici [je dois] la mort entendre:INF car ne me pouvoir :PRS.1SG [défendre du fait] que par mon
fol contenement n
aient
perdu
lur bon parent
fou comportement NEG AUX.PRS.3PL perdre:PCTP leur bon parent. (NCA, Guillaume de
Berneville, La vie de Saint Gilles, 1170)
b. de yy lieues estet
la noise oie
que il faizoent
e li
de yy lieues être: :PST.IPFV.3SG le bruit entendre:PTCP qu’ils faire: :PST.IPFV.3PL et le
sonz
et li fremissement …
bruissement et le fremissement …’ (NCA, Chronique dite Saintongeaise, 1250)
c. al terz jor quant ele est
levee
… donc jette
un grant
au 3ième jour, quant elle AUX:PRS.3SG lever:PTCP … donc jeter:PRS.3SG un grant
mugissement qu
oem la poet
oir
clerement par trestot le …
mugissement [de sorte] que on la pouvoir:PRS.3SG entendre:INF clairement de partout du
… (NCA, Le bestiaire de Guillaume le Clerc, 1211)
Certes, concernant -(at)ion, il est très difficile de déceler l’hypothèse selon laquelle ce suffixe a été aussi
perfectif en latin qu’il l’est en français moderne, d’autant plus que les remarques isolées qu’on trouve
concernant cette forme se réfèrent en premier lieu aux lectures des différents dérivés, au lieu d’analyser
les caractéristiques sémantiques du procédé-même (cf. Leumann & Szantyr 1977 : §§323sq., par
exemple). Toutefois, compte tenu du fait que du point de vue de leurs traits sémantiques, les suffixes
nominalisateurs du français se caractérisent, en général, par une stabilité diachronique considérable (cf.
Uth 2011 : 197-274, par exemple), l’hypothèse de l’uniformité sémantique de -(at)io est beaucoup plus
naturelle que son contraire.
En résumant, nous pouvons conclure que notre hypothèse du remplacement de -(at)io par -ment est
corroborée par divers indices, allant du développement diachronique de la productivité des deux procédés
en passant par l’extension du domaine de désignation de -ment à celui de -(at)io et la grande quantité de
traductions de noms latins en -(at)io par des nominalisations en -ment en ancien français jusqu’au
chevauchement des domaines d’usage des deux suffixes en termes de leur référence perfective en français
moderne.
5
Conclusion
Dans cet article, nous avons analysé diverses données diachroniques pour montrer qu’en ce qui concerne
le remplacement du procédé latin en -(at)io, le suffixe -ment entre beaucoup plus en ligne de compte que
le procédé en -(ai)son. Tout d’abord, nous avons comparé en détail les courbes de productivité de -(at)ion
et -(ai)son de l’ancien français jusqu’au français moderne, tout en montrant leur indépendance absolue
(section 2). Ensuite, nous avons mis en valeur le rôle important de -ment en ancien français et nous avons
proposé que c’est ce suffixe-ci, plutôt que -(ai)son, qui doit être considéré comme l’équivalent
vernaculaire de -(at)io en ancien français (section 3). Finalement, nous avons précisé notre hypothèse du
remplacement de -(at)io par -ment en définissant ce cas de substitution suffixale d’après le
chevauchement des domaines de désignation des nominalisations correspondantes, qui se fonde, de
nouveau, sur les caractéristiques sémantiques abstraites des deux suffixes en question (section 4).
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Certes, ce petit exposé sur la relation diachronique de -(at)ion, -(ai)son et -ment présente un bon nombre
d’insuffisances qui sont dues d’un côté à la place restreinte de l’article, et de l’autre au caractère
interlocutoire de la recherche présentée. Par exemple, au regard du fait que le paradigme des procédés
nominalisateurs a été exposé à de nombreux bouleversements au fil de la formation de l’ancien français, il
s’imposerait de prendre en considération encore d’autres suffixes français ayant une affinité avec le
‘domaine perfectif’ qui pourraient, en théorie, avoir eu le rôle d’un équivalent partiel de -(at)io, eux aussi.
Par exemple, comme nous l’avons vu à l’aide de la présentation partielle du travail de Ferret et al. (2010)
dans le paragraphe 4.2, un autre procédé français qui est nettement associé au trait sémantique de la
perfectivité est celui en -ée, émanant de la dérivation latine en -ata.14 Au vu de notre discussion
concernant le fondement sémantique de l’imbrication de -(at)io/-(at)ion et -ment, il est très probable que
le procédé en -ée ait influé la répartition des domaines de désignation de -(at)io en ancien français, lui
aussi.
D’autres questions que nous avons ignorées jusqu’ici concernent les effets possibles de la réorganisation
du paradigme des suffixes nominalisateurs au cours de la relatinisation. Quel était, par exemple, la
conséquence précise de l’introduction de -(at)ion dans la gamme des suffixes nominalisateurs français
dits ‘perfectifs’ ? En d’autres mots, comment l’introduction de -(at)ion a-t-elle influé la répartition des
domaines de désignation des différents suffixes nominalisateurs du français à partir du 16ième siècle ?
Pourquoi -(at)ion a-t-il pu ‘prendre pied’, du reste, en français bien qu’aux 15/16ième siècles, il y ait eu,
par hypothèse, déjà plusieurs procédés sémantiquement similaires? En outre, les résultats de cet article
sont diminués par le manque d’une analyse sémantique des procédés latins en -(at)io et –mentum, qui est
dû à l’inexistence virtuelle de travaux préliminaires, ainsi que par l’absence d’une analyse de corpus plus
approfondie du procédé français en -(at)ion, qui aurait également largement dépassée le cadre de cet
article.
Évidemment, les pistes de réflexion esquissées jusqu’ici doivent être vérifiées et élaborées par des travaux
postérieurs. Toutefois, même si les résultats présentés dans cet article ne sont que partiels, notre travail
montre clairement qu’en termes d’usage langagier, la forme -(ai)son ne peut en rien être considérée
comme l’équivalent vernaculaire du procédé latin en -(at)io, mais que c’est plutôt -ment qui entre en ligne
de compte en tant que remplacement de -(at)io en ancien français.
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1
Je tiens à remercier très sincèrement Florence Villoing, ainsi que deux rapporteurs anonymes, d’avoir commenté et
corrigé une version antérieure de ce papier.
2
Pour plus d’informations concernant les corpus utilisés dans le cadre de la recherche précitée, cf. les indications sous
[NCA] et [FRA] dans l’annexe.
3
Les abréviations TL et PR renvoient au dictionnaire de l’ancien français de Tobler & Lommatzsch et au Petit
Robert, pour plus d’informations cf. les indications sous [TL] et [PR] dans l’annexe.
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Un autre dictionnaire montrant l‘affinité entre les noms latins en -(at)io et les dérivés français en -ment est le
Thresor de la langue française qui a été compilé au début du 17ième siècle par Jean Nicot (cf. TLF en annexes). Dans
ce cas, les 681 nominalisations en -ment contenues dans l’œuvre sont définies dans 451 cas à l’aide d’un ou plusieurs
noms latins en -(at)io, entre autre choses.
5
Pour des raisons de faisabilité, nous avons dû nous appuyer sur l’analyse du successeur de -(at)io, i.e. sa variante
latinisée en français moderne, n’impliquant que marginalement des données du latin. Les avantages et inconvénients
de cette stratégie sont discutés dans la section 4.3 ainsi que dans la section 5.
6
Pour la différence sémantique entre l’interprétation de passif d’état et celle de propriété, cf., de nouveau, Kratzer
(2000) et Maienborn (2009).
7
Certes, l’éventail des interprétations est beaucoup plus réduit dans le contexte des verbes (ou des événements)
atéliques, ce qui est, cependant, à attribuer au seul fait que ces verbes ne ‘fournissent’ pas d’état résultant qui pourrait
être accentué dans une perspective résultative. Par conséquent, ces verbes figurent surtout (mais en aucun cas en
exclusivité, cf. de nouveau Maienborn 2009) dans des contextes dynamiques, appuyés par des auxiliaires comme
avoir (cf. l’exemple Pierre a dormi 2h, dû à un des relecteurs anonymes, où l’effet résultatif du participe passé se
réduit à la perfectivité). Ce manque d’états résultatifs inhérents est la cause d’une série de particularités
interprétatives des nominalisations en -ment correspondantes qui ne peuvent être illustrées dans cet exposé que
marginalement (cf. ci-dessous, les exemples sous (8), ainsi que Uth (2011 : 160-184) pour un traitement plus détaillé
de ce type de nominalisations).
8
Pour plus de détails concernant la détopicalisation du porteur de l’événement dans les constructions impersonnelles
du type précité, cf. Mackenzie (2006 : 19sq., 33), par exemple.
9
Cette interprétation est aussi pertinente pour acharnement dans son acharnement à ridiculiser son adversaire a
beaucoup surpris, tandis que dans son isolement dure depuis une semaine, le verbe principal durer indique que la
nominalisation isolement réfère à un état, et l’interprétation de le refoulement de l’ennemi par Jules César est
équivalent à celle de son correspondant participial l’ennemi est refoulé par Jules César. Je tiens à remercier les
relecteurs anonymes de m’avoir fourni ces exemples.
10
Ce sondage a été effectué en 2009 en coopération avec Simone Heinold, Université de Stuttgart.
11
La notion de la ‘structure informationnelle canonique’ se fonde sur la conception de la Structure Informationnelle
invoquée par Lambrecht (1994). En bref, cette notion correspond à une approche de la ‘Structure Argumentale’ qui
part de l’hypothèse que la forme exacte de la réalisation syntaxique des arguments d’un verbe dépend fortement de la
nature de l’événement désigné par ce dernier. Par exemple, les arguments des verbes dits ‘inaccusatifs’ se prêtent
surtout à être réalisés comme arguments internes, parce qu’il est très peu raisonnable d’attribuer une propriété comme
arriver (à un certain temps t) à un agent, tandis que les arguments des verbes dits ‘inergatifs’ comme dormir sont
réalisés surtout en tant qu’arguments externes parce que ces verbes désignent des événements homogènes et
dynamiques qui se prêtent très bien à être attribués à des individus agentifs; pour plus d’explications concernant
l’extension de la théorie de Lambrecht (1994) au domaine des procédés de nominalisation événementielle, cf. Uth
(2011 : 82-91).
12
Même si celle-ci est aussi homogène que la base verbale, elle présente une certaine délimitation, de sorte qu’elle
peut être combinée avec des expressions comme avoir lieu, le moment du, le lieu du, etc., cf . (ibid. : 959), ainsi que
Haas et al. (2008).
13
Dans ce contexte, nous aimerions faire remarquer que cette analyse n’est en aucun cas altérée par des exemples de
nominalisations anciennes en -ment avec sens actif, même si celles-ci seraient enchâssées dans des contextes concrets
(ce qui est, selon notre approche, la seule possibilité de déterminer l’interprétation d’une nominalisation en -ment par
rapport à sa valeur aspectuelle et/ou diathésique). En effet, comme nous l’avons souligné dans la section 4.1,
l’interprétation événementielle (perfective) de l’événement de base s’inscrit autant dans la gamme des interprétations
possibles des nominalisations (anciennes et modernes) en -ment qu’elle relève de l’éventail des interprétations
possibles des participes passés.
14
Pour les détails concernant la diachronie de ce procédé ainsi que la classification des formations françaises se
terminant en -ée ou -é nous renvoyons aux études de Collin (1918) et Alsdorf-Bollée (1970).
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35 textes de 1875 à 1878, 3.130.281 mots ; corpus partiel du 20ième siècle : 44 textes de 1987 à 1997, 3.015.325
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(http://dictionnaires.atilf.fr/dictionnaires/TLF-NICOT/index.htm, 17.01.2010).
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