Jurisprudence Sociale Débat contradictoire

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Jurisprudence Sociale Débat contradictoire
Les
Pages
de
Jurisprudence Sociale
Juin 2012 - n° 34
SOMMAIRE
ƒDÉBAT CONTRADICTOIRE
A propos de la discrimination au travail
CA Grenoble, ch. soc., 6 juin 2011
CPH Lyon, sect.com., 4 avril 2011
CA Dijon, ch. soc., 4 mars 2012
Cass. soc., 18 janvier 2012
ƒDÉCISIONS COMMENTÉES
Clause de mobilité et changement de fonctions
CA Chambery, ch. soc., 24 novembre 2011
Suicide au travail : présompton d’imputabilité
CA Lyon, ch. séc. soc., 17 janvier 2012
Licenciement pour motif économique et groupe de
sociétés : rentabilité n’est pas compétitivité
CA Dijon, ch. soc., 24 novembre 2011
Groupe de sociétés : rachat par un fonds de
placement
CA Grenoble, ch. soc., 12 septembre 2011
Notion de “trouble manifestement illicite” en matière
de référé
CA Lyon, ch. soc., sect. A, 11 janvier 2012
Péremption d’instance : qu’est-ce qu’une “diligence
particulière” ?
CA Lyon, ch. soc., sect. A, 8 février 2012
Débat contradictoire
A propos de la discrimination au travail
Cour d’appel de Grenoble, ch. soc., 6 juin 2011, n°10/03547
Conseil de prud’hommes de Lyon, sect. com, 4 avril 2011, n°09/02385
Cour d’appel de Dijon, ch. soc., 4 mars 2012, n°09/00428
Cass. soc., 18 janvier 2012, n°10-16.926,F-P+B
Le point de vue de Maître Myriam Plet
En plaçant en tête du Code du travail les dispositions
préliminaires relatives aux droits et libertés dans
l'entreprise, aux discriminations, à l'égalité homme
femme, et aux harcèlements, le législateur a donné une
place éminente aux principes essentiels gouvernant les
relations individuelles de travail.
Nul doute que ces dispositions ont en commun
d'affirmer la prééminence de droits et libertés, relevant
comme tels d'une protection particulière, qui limite le
pouvoir de l'employeur à des degrés divers, et
cantonne le pouvoir du juge dans la recherche
d'éventuelles justifications.
Cependant, le degré de restriction du pouvoir de
l'employeur et la marge d'appréciation du juge ne sont
pas totalement identiques selon qu'est retenue une
discrimination ou la violation de droits et libertés.
1- L'interdiction des discriminations
Elle est absolue, depuis l'entrée dans le monde du
Cet ensemble bien ordonné contribue-t-il efficacement
à la lutte contre les discriminations ? La réponse peut
être positive à la lecture des décisions commentées,
toutes favorables aux salariés, mais l'enthousiasme est
relatif lorsque l'on examine de près le parcours du
combattant des plaideurs, qui tous ont finalement
perdu leur emploi.
travail à travers l'obtention d'un stage, l'embauche, et
tout au long de l'exécution du contrat ponctuée de
formations, mutations, affectations, versement d'un
salaire, de primes, de participation et intéressement…
jusqu'à la rupture.
Toute
différence
de
traitement
n'est
pas
nécessairement discriminatoire. Pour relever d'une telle
qualification, la différence appliquée à un salarié doit
résulter, fut-ce en partie, de la prise en compte « de son
origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation
sexuelle, de son âge, de sa situation familiale ou de sa
grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son
appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou
supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses
opinions politiques, de ses activités syndicales ou
mutualistes, de ses convictions religieuses, de son
apparence physique, de son nom de famille, ou en
raison de son état de santé ou de son handicap ». Dixhuit mauvaises raisons, qui ne peuvent avoir aucune
place même minime, dans les décisions de l'employeur.
Urbain NLYITA-DOYO postule à un emploi de technicien
hotline, et démontre, grâce au témoignage de l'agent
de Pôle emploi, que l'employeur a souscrit à son égard
une promesse d'embauche.
Il attend en vain la concrétisation de la promesse,
refuse deux autres offres fermes d'emploi, et fait a
posteriori le lien entre la rétractation de l'employeur, et
la question posée lors de l'entretien : « accepteriez-vous
de changer de prénom ? » à laquelle il a donné une
réponse négative.
Le conseil de prud'hommes constate l'existence d'une
promesse d'embauche non tenue et le salarié obtient
des dommages et intérêts sans cependant que soit
mentionné dans le jugement la discrimination, laquelle
n'était, il est vrai, pas nécessaire à la solution du litige.
Demander à un candidat de changer de prénom
relève de la banalité lorsqu'elle vise un écrivain ou un
artiste, dans le cadre d'une mise en scène tendant à
mobiliser l'émotion du public.
Aucune discrimination n'est admise, et le législateur a
pris soin de qualifier de « différence de traitement
autorisées » les distinctions opérées :
- en fonction de l'âge, si les différences de traitement
sont objectivement et raisonnablement justifiées par un
but légitime notamment le souci de préserver la santé
ou la sécurité des travailleurs (art. L.1133-2)
Mais contraindre le candidat à un poste de salarié d'un
centre d'appel probablement délocalisé en Tunisie ou
en Inde, à adopter un prénom « bien de chez nous »
pour donner l'illusion de la proximité à des clients dont
certains sont néanmoins probablement issus de la
diversité, est-ce légitime ?
- en fonction de l'inaptitude constatée par le médecin
du travail, si les différences sont objectives, nécessaires
et appropriées (art. L.1133-3)
- en fonction du genre, si elles sont temporaires, et visent
à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes
(art. L.1142-4).
Demander à Marie-Bernadette, Dominique et
Nafissatou d'adopter un prénom à deux syllabes tel
Sophie pour faciliter le contact, est-ce légitime ? Au
cœur de la décision de l'employeur se niche sans doute
l'idée que le client préfère un prénom franco-français…
et l'on plonge alors dans le marais des préjugés,
allègrement projetés par l'employeur sur sa clientèle. Si
la responsabilité sociale de l'entreprise était plus qu'un
concept abstrait, elle pourrait s'enrichir et tirer fierté de
la diversité d'un recrutement se traduisant par la
présence en son sein de prénoms à consonance
maghrébine, espagnole, portugaise, juive ou indienne.
La porte s'entrouvre, lorsque les mesures répondent à «
une
exigence
professionnelle
essentielle
et
déterminante, répondant à un objectif légitime et
proportionné » (art. L1133-1). Ainsi, a pu être admis le
recrutement d'étrangers dans un pôle d'excellence
scientifique international, le versement d'une indemnité
d'expatriation au profit de salariés étrangers, le
licenciement d'un surveillant rituel de confession juive
qui entretient des relations avec une femme mariée, ou
celui d'une employée qui garde un foulard sur le visage
lorsqu'elle est en contact avec la clientèle.
L'employeur qui demande à un candidat de changer
de prénom mesure t-il la blessure qu'il provoque dans
l'esprit d'un candidat, qui peut à raison penser que le
prénom choisi par ses parents traduit une origine à
dissimuler, en sorte que l'accueil qui lui est accordé dans
le monde du travail suppose l'abandon de toute
référence à son origine. Le juge ne s'y trompe pas
lorsqu'il qualifie de discrimination la demande faite à
Mohammed de se faire appeler Laurent, même s'il l'a
accepté pendant deux ans, même si quatre autres
salariés de cette maison de retraite s'appellent
Mohammed.
En revanche, le refus d'embaucher un salarié, au motif
qu'il n'a pas le bac professionnel dont est au contraire
titulaire la personne recrutée n'est pas reconnu comme
un élément objectif, dès lors que ce diplôme n'avait pas
été annoncé comme une exigence indispensable pour
l'occupation du poste (Cass. soc., 15 décembre 2011,
n°10-15.873). La discrimination est interdite, et la marge
d'appréciation laissée à l'employeur comme au juge
est étroite, d'autant que l'aménagement des règles de
preuve vient opportunément donner un effet utile à
l'ensemble du dispositif. Le candidat à un emploi ou le
salarié présente des éléments de fait laissant supposer
l'existence d'une discrimination directe ou indirecte…
au vu de ces éléments, il incombe à la partie
défenderesse de prouver que sa décision est justifiée
par des éléments objectifs étrangers à toute
discrimination (art. L.1134-1). Place est faite aux
associations de lutte contre les discriminations et
organisations syndicales représentatives pour exercer
l'action de substitution (art. L.1134-2, art. L.1134-3).
L'employeur prétendait que ce prénom était
emblématique d'une religion… avait-il oublié que
Nicolas, Pierre, Yves le sont tout autant dans une autre
religion si proche de lui qu'il l'avait oubliée ?
La Cour de cassation ne retient pas la discrimination à
raison du prénom, qui ne figure pas dans la liste des dixhuit items de l'article L.1132-1, mais de l'origine,
l'appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une
nation ou une race (Cass. soc. 10 novembre 2009 n°0842.286).
La sanction est rigoureuse, et la victime pourra obtenir
à son choix une indemnisation, où la nullité de toute
disposition ou mesure discriminatoire (art. L.1132-4).
Celui qui témoigne et/ou agit ne peut être sanctionné
(art. L.1132-3).
II
Les plaideurs ne s'y trompent pas et la liste des droits et
libertés invoqués est longue.
Discrimination encore pour Samia B, recrutée par de
multiples CDD qui obtient la requalification des contrats
comme de la rupture et demande en outre des
dommages et intérêts pour harcèlement et
discrimination caractérisée par un différé d'embauche
de 15 jours mis à profit par une directrice adjointe pour
contourner le refus initial d'une directrice qui avait
déclaré qu'elle ne faisait plus confiance aux
maghrébines depuis un incident provoqué en plein
service par le mari d'une salarié prénommée Samia. La
preuve de la discrimination a été rapportée par le
témoignage de la directrice adjointe et la Cour de
cassation rejette le pourvoi formé contre l'arrêt de la
cour d'appel qui avait retenu que la salarié présentait
des faits faisant présumer l'existence d'une
discrimination tandis que la prétendue justification
apportée par l'employeur ne constituait pas un élément
objectif étranger à toute discrimination.
Certains sont propres au droit du travail, tel le droit de
grève, la liberté syndicale, le droit à la négociation
collective, le droit de retrait. D'autres relèvent du droit
commun tel la liberté d'expression, le respect de la vie
privée à travers le choix du domicile, de la marque de
son véhicule ou de son conjoint, le droit d'envoyer des
messages personnels depuis son outil professionnel, le
droit à un procès équitable… la liste n'est pas
exhaustive, en raison de la formulation ouverte de
l'article L.1121-1 du Code du travail.
Les entreprises elles-mêmes trouvent avantage à
réaffirmer leurs droits fondamentaux : droit de propriété,
liberté d'entreprendre, et au niveau européen, liberté
d'établissement, liberté des prestations de service.
L'office du juge consiste alors à concilier des droits qui
s'opposent, et à admettre les restrictions justifiées par la
nature de la tâche à accomplir, et proportionnées au
but recherché.
Observons cependant que dans cette affaire, la
salariée a dû faire preuve d'une opiniâtreté qui force
l'admiration. Ni la HALDE ni le Procureur de la
République n'avait répondu à ses attentes. Le soutien
de ses collègues et d'une directrice adjointe qui ne
partageaient pas le point de vue discriminatoire de sa
supérieure ont permis de faire reconnaitre la réalité de
la discrimination subie, même si l'embauche n'a été
différée que de 15 jours.
Le contrat « loi des parties », et ses clauses de mobilité,
de non concurrence, de résidence imposée, s'effacent
derrière le droit à l'emploi, la liberté du travail, et le libre
choix du domicile.
Ainsi, l'instauration d'une nouvelle répartition du travail
sur la journée relève bien du pouvoir de direction de
l'employeur, sauf atteinte excessive aux droits du salarié,
au respect de sa vie personnelle et familiale, ou à son
droit au repos (Cass. soc. 3 novembre 2011 n°10-14.702).
Ainsi, la distinction nette posée par le code du travail
entre discriminations, et violation des droits et libertés
dans l'entreprise semble relativement opérationnelle.
Discrimination encore, pour le transsexuel qui travaille
dans une entreprise de gardiennage et sécurité, et se
trouve licencié sans indemnité pour s'être présenté à
minuit dans les locaux d'un client « déguisé en femme »
« affublé d'une robe, d'une perruque blonde, et de
chaussures à talon, afin de récupérer ses affaires ».
Cette faute de nature à porter atteinte au sérieux, au
professionnalisme, à la crédibilité de l'entreprise vis-à-vis
du client région Rhône-Alpes serait constitutif d'un
manquement à la loyauté. Le juge contextualise en
rappelant qu'à trois reprises ce salarié s'est plaint de
discrimination, moqueries publiques, et polémiques sur
son origine sexuelle. Manifestement, l'employeur ignore
que le transsexualisme n'est pas une mise en scène, un
jeu de déguisement, un travestissement, mais plutôt une
ambigüité physique qui justifie un traitement approprié
en sorte que l'apparence soit mise en conformité avec
le genre féminin de la personne. Le conseil de
prud'hommes puis la cour d'appel retiennent que les
termes employés « affublé, déguisement » traduisent
chez l'employeur le déni de la légitimité de la démarche
de conversion sexuelle du salarié dont il avait pourtant
été informé. Il n'est pas contestable que la démarche
du salarié ai pu provoquer un trouble auprès de ses
collègues, voir même de clients. Le genre est tabou, et
le changement de sexe l'est plus encore tant la
compréhension d'une telle situation s'estompe derrière
la gêne et son corollaire la moquerie.
Cependant, ces champs respectifs se confondent dans
la position de certains plaideurs, notamment lorsque
sont en cause les choix vestimentaires.
Porter un bermuda sous la blouse, un survêtement, des
boucles d'oreilles, ou le foulard islamique, relèvent bien
de choix vestimentaires, mais également pour l'un
d'entre eux au moins de convictions religieuses.
Le licenciement d'une directrice adjointe de crèche qui
refuse de quitter le foulard islamique est contesté tant
au titre de la prohibition des discriminations à raison des
convictions religieuses, qu'au titre d'une restriction
injustifiée à la liberté de penser et d'adhésion à une
religion. Le conseil de prud'hommes s'appuiera sur le
principe de laïcité, et l'obligation de neutralité du
personnel dans une mission de service public, tandis que
la cour d'appel rejette la demande de la salariée, en
affirmant que la liberté religieuse qui s'exerce
pleinement dans l'entreprise, peut cependant subir des
restrictions justifiées par la nature des tâches à
accomplir, et proportionnées au but recherché.
Ainsi, le licenciement n'est pas lié aux convictions
religieuses ; exit la discrimination ; et ne porte pas
atteinte aux libertés fondamentales visées par l'article
1121-1 (CA Versailles 27 octobre 2011, n°10/05642).
« On ne nait pas femme, on le devient » mais le chemin
est difficile. Le salarié qui s'engage dans une démarche
de conversion sexuelle aura tout intérêt à en informer
son employeur (CA Montpellier 3 juin 2009, n°08/06324)
en sorte que celui-ci s'abstienne de toute discrimination
qui trouve son origine dans l'appartenance à l'un ou
l'autre sexe y compris dans la conversion sexuelle (CJUE
30/04/1996 affaire C13-94).
En revanche, le port de boucles d'oreille par le chef de
rang d'un restaurant gastronomique est clairement traité
sous l'angle de la discrimination en raison du choix de
l'employeur, qui prononce le licenciement du salarié en
lui indiquant qu'il ne peut « tolérer le port de boucles
d'oreille sur l'homme que vous êtes ». C'est donc bien
l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe
qui était en cause, et le licenciement est nul (Cass. soc.,
11 janvier 2012, n°10-28.213). Ainsi, même si certains
clients indiquaient ne pas vouloir être servis par un
homme à boucles d'oreille, le partage de préjugés ne
constitue pas l'exigence professionnelle essentielle et
déterminante, ni l'objectif légitime, ni encore l'exigence
proportionnée imposés par le législateur.
2- Les droits et libertés
Dans le voisinage du principe de discrimination, le
législateur a placé un titre II intitulé « droit et liberté dans
l'entreprise », comportant un chapitre unique : nul ne
peut apporter aux droits des personnes et aux libertés
individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient
pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni
proportionnées au but recherché L1121-1. Par sa
généralité, cette disposition a vocation à régir
l'ensemble des relations de travail.
III
Quand au port du bermuda ou d'un survêtement, ils
peuvent relever d'une certaine fantaisie, qui n'est pas
nécessairement de mise dans une agence immobilière, ou
un cadre de travail pouvant mettre le salarié avec la
clientèle (Cass. soc. 6 novembre 2001 n°99-43.988, Cass.
soc., 28 mai 2003 n°02-40.273, Cass. soc., 12 novembre
2008 n°07-42.220). La Cour de cassation distingue de la
provocation, de la fantaisie qui peut être accordée à
chacun dans la singularité de l'affirmation de sa
personnalité. En conclusion, la question sous jacente est
celle de savoir jusqu'où va l'engagement du salarié dans
son travail. Met-il à disposition de l'employeur sa force de
travail, ou engage-t-il son être profond, et ce qui le relie à
ses origines, et au genre auquel il appartient.
Chacun doit comprendre que selon les termes d'Alain
Supiot « le travail n'est pas une marchandise, il est
inséparable de la personne du travailleur » (Critique du
droit du travail, PUF, 2007).
Myriam PLET
Avocat au Barreau de Lyon
SCP Myriam Plet
[email protected]
Dans deux des situations décrites, le salarié est écarté
parce qu'il n'accepte pas de changer d'identité, ou au
contraire parce qu'il veut se doter d'une identité féminine
conforme à ce qu'il est.
Le point de vue de Maître Yves Fromont
D'autres formes de discrimination témoignent de la
protection importante dont disposent les salariés. (II)
La protection contre les discriminations fait l'objet d'un
arsenal juridique considérable élaboré notamment sous
l'influence du droit international des droits de l'homme
mais aussi du droit communautaire.
I. Discrimination raciale à l'embauche
Les textes de référence sont :
La Cour de cassation se référant à la constitution avait
affirmé depuis longue date que :
« Nul ne peut faire l'objet de mesures discriminatoires en
raison de son origine »
(Cass. Soc., 10 févr. 1998, Bull., n°78)
- les articles L.1132-1 à L.1134-5, L.2313-2 et L.8113-5 du
Code du travail,
- les articles L.225-1 à L.225-4 du Code pénal ;
- la loi organique n°2011-333 du 23 mars 2011 relative
aux défenseurs des droits ;
L'article 1132-1 du Code du Travail dispose que :
« Aucune personne ne peut être écartée d'une
procédure de recrutement (…) en raison (…) de sa non
appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, à une
nation ou une race (…) »
- le décret n°2011-904 du 29 juillet 2011 (procédure
devant le défenseur des droits) ;
- la loi n°2011-939 du 10 août 2011.
En synthèse, toute décision de l'employeur (embauche,
promotion, sanctions, mutation, licenciement, formation
etc…) doit être prise en fonction de critères
professionnels et non sur des considérations à caractère
personnel qui seraient fondées sur des éléments
extérieurs au travail (sexe, religion, apparence physique,
nationalité, vie privée…).
a. Recrutement différé en raison d'une discrimination
raciale
Une salariée est engagée en qualité d'employé de
restauration par différents contrats à durée déterminée
entre le 10 mai 2004 et le 29 mai 2005.
Les pratiques de discrimination ou de sélection à
l'embauche en fonction de critères ethniques ou
raciaux auraient selon certaines enquêtes sociologiques
une certaine ampleur (enquête DARES 2005 « offre
d'emploi et recrutement »).
Le 20 juin 2005, elle dépose plainte pour harcèlement et
discrimination à l'encontre de la directrice de la
cafétéria.
Le 30 octobre 2007, la salariée saisit le conseil des
prud'hommes pour obtenir la requalification des
contrats à durée déterminée en contrat à durée
indéterminée et des dommages et intérêts pour acte
discriminatoire.
Les statistiques de saisine de la HALDE au motif de
discrimination rencontrées lors de la phase d'embauche
représenteraient 28% des réclamations (rapport annuel
de la HALDE 2009).
L'examen attentif des faits révèle que tant le Procureur
de la République, la HALDE ou l'inspection du travail
n'avait relevé l'existence de discrimination.
Alors que ces réclamations seraient importantes, le
contentieux en la matière ne serait pas très fourni (voir «
La preuve des discriminations à l'embauche en raison
de l'origine », RDT, 2010, p.635).
Cependant, certains faits avaient été dénoncés par des
employés de la cafétéria lors de l'enquête de
gendarmerie.
L'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de
cassation, le 18 janvier 2012 est une illustration flagrante
d'une forme de discrimination directe au sens du
traitement défavorable et illégitime d'une personne
s'exprimant de manière ouverte (voir Michel Miné,
Travail et Emploi, sept. 1999, n°80) (I).
C'est surtout le témoignage crucial de la directrice
adjointe de la cafétéria qui va emporter la conviction
des juges tant en appel que devant la Cour de
cassation :
IV
« Attendu qu'ayant relevé que la directrice adjointe de
la cafétéria avait informé la salariée, laquelle était «
chaudement recommandée » par la direction d'un
autre établissement, qu'elle ne pouvait l'engager
immédiatement car la directrice lui avait indiqué qu'elle
« ne faisait pas confiance aux magrébines » de sorte
qu'elle n'avait pu être recrutée que 15 jours plus tard à
la faveur de l'absence de la directrice partie en
vacances, la cour d'appel qui n'était pas tenue
d'effectuer une recherche que ces constatations
rendaient inopérantes, a, par ce seul motif, caractérisé
la discrimination raciale. »
Il s'agit donc d'un cas de discrimination directe lequel
tombait nécessairement sous le coup de l'article L.11321 du Code du travail.
Dans les faits, si l'employeur pouvait à juste titre réfuter le
témoignage des quatre salariés qui ne faisaient état
que de soupçons quant au racisme de la directrice sans
se fonder sur des éléments objectifs probants, il n'avait
pas d'argument pour expliquer les propos tenus par la
directrice suite à la candidature de la salariée autre
qu'un dérapage personnel lié à une altercation qu'elle
aurait eue par le passé avec le mari d'une salariée
d'origine magrébine.
Ainsi, une discrimination très temporaire (15 jours) reste
une discrimination, peu importe que l'employeur l'ait «
réparée » par une embauche.
b. Promesse d'embauche et discrimination raciale
supposée
La jurisprudence censure toute pratique discriminatoire
motivée par des exigences discriminatoires de clients.
L'employeur doit produire des justifications qui lui
semblent objectives en invoquant les motivations
habituelles relatives aux restrictions à la liberté de se
vêtir à sa guise (par exemple, tenue vestimentaire
négligée non compatible avec la réception d'une
clientèle : CA Reims, 12/01/2000, RJS 2000, n° 478).
Mais les juges disposent d'un pouvoir d'appréciation très
large ce qui confine à un certain arbitraire tant les
appréciations peuvent être contrastées et variables.
De ce point de vue, le contentieux ancien a beaucoup
moins d'intérêt car les solutions retenues il y a quelques
années semblent désormais dépassées : ainsi il y a 20
ans, l'employeur pouvait s'opposer à une tenue dite «
fantaisiste » cheveux longs et boucles d'oreilles pour un
chauffeur livreur ou queue de cheval pour un serveur
(CA Paris, 18ème ch., 6 mai 1982 et CA Paris, 22 avril
1987, 22ème Ch., JSL, 2011, n°88).
Or, récemment, la Cour de cassation a considéré que le
licenciement d'un chef de rang dans un restaurant
gastronomique qui avait refusé d'ôter pendant le
service ses deux boucles d'oreilles reposait sur un motif
discriminatoire (Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-28.213).
Cependant, la liberté vestimentaire n'est pas une liberté
fondamentale du salarié comme en a jugé la Cour de
cassation dans la fameuse affaire du « bermuda ».
(Cass. soc. 28 mai 2003, n°02-40.273) :
L'employeur
peut
imposer
des
contraintes
vestimentaires pour autant qu'elles soient justifiées par la
nature des tâches à accomplir et proportionnées au but
recherché, si bien que toute tenue vestimentaire
incompatible avec les fonctions ou les conditions de
travail peut être interdite, la liberté de se vêtir à sa guise
au temps et au lieu de travail ne constituant pas une
liberté fondamentale.
Il peut être aussi tenté d'exiger de ses salariés en
contact avec la clientèle certaines « adaptations ».
Ainsi, dans certains salons de coiffure parisiens de
prestige, il était fréquent que l'employeur demande à
ses coiffeuses de changer de prénom, soit que le
prénom n'était plus à la mode, soit qu'il pouvait «
déplaire » à la clientèle.
C'est une affaire de ce type qu'a jugé le Conseil de
prud'hommes de Lyon pour un salarié qui avait postulé
à un poste de technicien hotline.
Le salarié soutenait que l'entreprise, lors de l'entretien
d'embauche, lui avait demandé de répondre au
téléphone sous un autre prénom que le sien (il s'agissait
d'un prénom africain) et que c'était suite à son refus
d'accepter de changer son prénom que la promesse
d'embauche avait été rompue abusivement.
Le salarié a obtenu gain de cause devant le conseil des
prud'hommes qui a jugé que sa promesse d'embauche
avait fait l'objet d'une rupture abusive.
Certes, la motivation de la décision ne vise pas
expressément la discrimination puisque le conseil a
motivé sa décision par le fait que la promesse
d'embauche résultait d'une attestation du responsable
du Pôle emploi interrogé sur le sujet.
De ce point de vue, la décision est critiquable en ce
que la validité de la promesse d'embauche suppose «
une promesse ferme et précise » et non pas une simple
« proposition d'emploi » encore moins la simple
affirmation d'un agent du Pôle emploi qui affirmait
qu'un responsable de la société aurait « validé »
l'embauche de l'intéressé.
Nul doute cependant que, dans cette affaire,
l'affirmation d'une discrimination, même si elle n'a pas
été établie, a pesé sur la décision.
II. La discrimination à raison de l'apparence physique
du salarié rapportée à son sexe
Statistiquement les discriminations fondées sur
l'apparence physique seraient peu importantes ou tout
au moins auraient suscité peu de réclamations devant
la HALDE (0,5% selon le rapport de la HALDE de 2010).
Hormis l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 11
janvier 2012 (arrêt précité Cass. Soc., 11 janvier 2012,
n°10-28.213), le contentieux judiciaire de la
discrimination fondé sur l'apparence physique semble
peu abondant.
Et de ce point de vue, l'affaire du transsexuel jugée par
la Cour d'appel de Grenoble est intéressante.
Il s'agissait d'un agent d'exploitation d'une entreprise
exerçant son activité dans le domaine de la sécurité.
Il est embauché en août 2007 et en janvier 2009, il
s'engage dans un processus dit de changement de
genre.
Il est licencié pour faute grave, la lettre de licenciement
étant ainsi rédigée :
« - En date du 12 juin 2009, vous vous êtes présenté dans
les locaux de notre client le Conseil Régional du Rhône,
sur lequel vous êtes affecté depuis plus d'un an, affublé
d'une perruque blonde, d'une jupe et de chaussures à
talons hauts afin de récupérer vos affaires.
- En date du 24 juin 2009, vous vous êtes de nouveau
présenté au poste de sécurité du Conseil Régional
V
Enfin et surtout, le plaignant bénéficie d'un
aménagement de la preuve de la discrimination
puisqu'il lui suffit de présenter des éléments laissant
supposer l'existence d'une discrimination directe ce qui
oblige l'employeur à prouver que sa décision a été
justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute
discrimination (art. L.1134-1 du Code du travail).
du Rhône affublé d'une robe, maquillé et portant des
rajouts de cheveux blonds afin de prendre votre poste.
Votre comportement délibérément provoquant et
volontairement répétitif constitue un manquement de
loyauté.
Un tel comportement de nature à porter atteinte au
sérieux, au professionnalisme et à la crédibilité de
l'entreprise vis-à-vis de son client, ne peut être toléré et
nous contraint de mettre un terme immédiatement à
nos relations de travail… »
Toute lettre de licenciement qui, de près ou de loin, fait
référence à des critères susceptibles de constituer une
discrimination doit être rédigée « au scalpel ».
La Cour d'Appel de Grenoble, a donc jugé que « c'est
uniquement en raison de son apparence physique et
de son sexe que JP a été licencié…que le licenciement
est donc nul en raison de la discrimination qui le fonde
…»
A défaut, la moindre erreur de forme peut coûter très
cher.
Notons aussi qu'en termes de stratégie prud'homale, il
est préférable pour le plaignant d'opter pour la
discrimination de l'article L.1132-1 du Code du travail
plutôt qu'un débat sur le fondement de l'article L.1121-1
du Code du travail qui laisse plus de manœuvres à
l'employeur pour apporter des restrictions aux libertés
individuelles pour autant qu'elles soient justifiées « par la
nature de la tâche à accomplir ou proportionnées au
but recherché ».
Le salarié obtient 36.000 € de dommages et intérêts à
ce titre ce qui accessoirement devrait amortir une
partie des frais médicaux….
La Cour d'appel retient donc l'existence d'une
discrimination fondée sur l'apparence physique
rapportée au sexe.
Une difficulté supplémentaire en matière de
discrimination résulte des ambigüités du droit : d'une
part, le droit français ne reconnaît pas les minorités
ethniques (la constitution « ne connaît que le peuple
français, sans distinction d'origine, de race ou de
religion » décision CC n°91-290 du 9 mai 1991), d'autre
part, le principe de non discrimination autorise dans une
certaine mesure la reconnaissance du droit de l'individu
à vivre ses différences.
Cette décision rejoint l'affaire dite des « boucles
d'oreilles » (Cass. soc., 11 janvier 2012 précitée).
La lettre de licenciement précisait « votre statut au
service de la clientèle ne permettait pas de tolérer le
port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes… »
Ainsi, ce n'était pas tant le fait de porter des boucles
d'oreilles qui posait problème à l'employeur mais
l'apparence physique du serveur orné de deux boucles
d'oreilles ce qui laissait à penser qu'il avait donc un
genre « trop féminin » pour un homme…
En France, le refus d'une différence doit être justifié par
des éléments objectifs étrangers à toute discrimination
mais lorsque cette différence porte atteinte à des
valeurs fondamentales, elle ne peut être tolérée dans
l'entreprise.
Finalement, la question reste posée de savoir si le salarié
aurait obtenu gain de cause sans la critique implicite
par l'employeur de son « statut d'homme » ou s'il n'avait
porté qu'une seule boucle d'oreille (comme certains
Compagnons du Tour de France !)… .
C'est le sens de l'arrêt Baby-Loup par lequel la Cour
d'Appel de Versailles a sanctionné une salariée de
confession musulmane qui refusait d'enlever son voile
dans une crèche au motif que la liberté de religion
n'autorisait pas cette salariée à imposer de manière
aussi voyante ses convictions religieuses dans un
espace social privé laïque (CA Versailles, 27 oct. 2011,
RG n° 10/05642).
A noter qu'un paragraphe de la lettre de licenciement
aurait pu être évité : « votre comportement
délibérément provoquant et volontairement répétitif
constitue un manquement au devoir de loyauté ».
Plutôt qu'un jugement de valeur sur l'apparence
physique rapportée au genre, l'employeur aurait peutêtre dû se placer sur le terrain de la compatibilité du
changement de genre intervenu avec les exigences du
poste d'agent de sécurité.
L'évolution du contentieux judiciaire de la discrimination
laisse finalement une grande place à la différence dans
l'entreprise et la question de l'apparence physique en
est l'illustration.
Mais la non discrimination consacre aussi « le droit à
l'indifférence » en ce qu'elle établit une égalité de
traitement des personnes au sein de l'entreprise peu
importe … leurs différences.
Dans ce type d'affaires, les enquêtes de discrimination
sont minutieuses et malgré l'absence d'éléments
véritablement probants, le juge peut, à la faveur d'une
appréciation du contexte, estimer qu'il y a matière à
discrimination.
Ainsi, la Cour d'appel de Montpellier (3 juin 2009, n°
08/06324) que la concomitance entre la révélation par
le salarié de son transsexualisme et son licenciement
révélait que le vrai motif était son changement de sexe
peu importe le libellé de la lettre de licenciement
(fautes de gestion).
Yves FROMONT
Avocat au Barreau de Lyon
Cabinet Fromont Briens
[email protected]
Nous observerons que dans toutes ces affaires, il n'est
pas innocent pour le salarié de se placer sur le terrain
des discriminations.
L'article L.1132-1 du Code du travail a un champ
d'application extrêmement large et l'existence d'une
discrimination entraîne, si elle est reconnue, une
sanction très lourde à l'encontre de l'employeur, la
nullité du licenciement prononcée (art. L.1132-4 du
Code du travail).
VI
Décisions commentées
Clause de mobilité et changement de fonctions
Cour d’appel de Chambéry, ch. soc., 24 novembre 2011
EXPOSE DES FAITS
Cette solution est quelque peu surprenante dans la
mesure où la notion de « mission facultative » permet en
réalité à l'employeur de retirer des attributions au salarié
de manière unilatérale.
Un salarié embauché en qualité d'agent de sécurité
depuis 1998 puis promu chef de poste en 2001, était
affecté à Seynod.
Ainsi, alors que le salarié avait été promu chef de poste,
cette évolution professionnelle et l'accomplissement
effectif des taches associées à ce nouveau poste ne
constituent pas aux yeux de la cour un élément du
contrat de travail mais une simple faveur consentie au
salarié, et sur laquelle l'employeur peut à tout moment
revenir, indépendamment d'ailleurs de la mise en oeuvre
d'une clause de mobilité.
Ensuite de la perte du marché du site de Seynod,
l'employeur affectait le salarié à un poste d'agent de
sécurité à Sallanches à compter de septembre 2009.
Le salarié refusait cette affectation et la société le
licenciait pour faute grave par courrier du 18 novembre
2009.
A l'appui de la contestation de son licenciement, le
salarié faisait valoir que la rétrogradation du poste de
chef d'équipe au poste d'agent de sécurité
accompagnant la mutation, justifiait son refus de la
nouvelle affectation.
La cour aurait en effet pu adopter des motifs identiques
s'agissant d'une nouvelle affectation proposée au
salarié indépendamment de la circonstance de la perte
de marché.
Il apparaît pourtant qu'une autre analyse aurait pu être
retenue : s'il est constant que la mission de coordination
est une faculté, le fait pour l'employeur de confier au
salarié la responsabilité de chef de poste et ce faisant
d'user de cette faculté, emporte modification du
contrat et l'employeur ne pouvait pas, sans l'accord de
salarié, lui retirer ces attributions.
La Cour confirmant le jugement entrepris, déboute le
salarié, considérant qu'en application de la convention
collective des entreprises de prévention et de sécurité, «
'affectation à un poste d'agent de sécurité ne constitue
pas une rétrogradation puisque la mission de
coordination dévolue à un chef de poste n'est que
facultative ».
La Cour aurait alors pu juger qu'en l'absence de chef de
poste disponible et de la perte de marché, l'employeur
proposant un retour à un poste d'agent de sécurité, le
salarié était en droit de refuser ce repositionnement,
sans que cela ne constitue une faute.
OBSERVATIONS
La Cour de cassation admet de longue date que dans
l'exercice de son pouvoir de direction, l'employeur
puisse modifier les conditions de travail du salarié et
notamment des tâches qui lui sont confiées. (Cass. soc.
4 février 2004 n°02-40.527)
On ne peut en effet admettre qu'un salarié refusant un
retrait de ses responsabilités soit considéré comme fautif.
Une telle modification n'est pas soumise à l'approbation
préalable du salarié dès lors que la qualification de
celui-ci n'est pas incidemment remise en cause.
Mélanie CHABANOL
Avocat au Barreau de Lyon
SCP Antigone Avocats
[email protected]
Il y a lieu à cet égard de s'attacher aux fonctions
réellement exercées par le salarié et de ne pas s'arrêter
au seul intitulé de la fonction figurant soit dans le contrat
de travail soit dans les bulletins de paie.
Cette espèce pose la question de la notion de
modification de la qualification et des fonctions du
salarié.
PRINCIPAUX ATTENDUS
Faut-il considérer que le retrait de responsabilités
antérieurement confiées s'analyse nécessairement en
une rétrogradation qui ne peut être imposée au salarié,
ou peut-on admettre que dès lors que la qualification
stricto sensu du salarié n'est pas modifiée, le retrait de
certaines attributions peut être librement décidé par
l'employeur ?
« Qu'il résulte de l'annexe 2 de la convention collective
nationale des entreprises de prévention et de sécurité,
relative à la classification des postes d'emploi, que pour les
agents d'exploitation occupant le niveau 3, la mission de
coordination de leur groupe de travail n'entre pas
nécessairement dans leur fonction, s'agissant d'une
faculté ;
Qu'en l'espèce, suite à son arrêt maladie et son congé sans
solde, Monsieur X n'a pas pu être réintégré dans ses
fonctions antérieures à savoir chef de poste au G. C. à
Seynod en raison d'une perte de marché;
La Cour de Chambéry considère que le retrait des
tâches de coordination ou d'encadrement, telle qu'elles
étaient confiées au salarié depuis huit ans ne s'analyse
pas en une rétrogradation, nécessitant l'aval du salarié,
dans la mesure où les tâches « essentielles de ce poste,
à savoir les fonctions élémentaires de sécurité et de
prévention » étaient maintenues et que la "mission de
coordination dévolue à un chef de poste n'est que
facultative ».
Qu'il ressort de l'attestation de Monsieur Y, responsable de
l'agence P. Annecy, qu'à l'époque, aucun poste de chef
de poste n'était disponible dans la région annecienne;
VII
Que le poste d'agent de sécurité proposé à Monsieur X n'avait
pas pour effet une diminution de salaire ou de coefficient et
les taches essentielles de son poste, à savoir les fonctions
élémentaires de sécurité et de prévention, étaient conservées;
Qu'en conséquence, le licenciement de Monsieur X repose
bien sur une faute grave justifiant la cessation immédiate de
son contrat de travail sans préavis. »
Attendu qu'en application de la convention collective
susmentionnée, l'affectation à un poste d'agent de sécurité ne
constitue pas une rétrogradation puisque la mission de
coordination dévolue à un chef de poste n'est que facultative;
Cour d'appel de Chambéry,
Chambre sociale,
24 novembre 2011,
n°11/00787
Que dès lors, Monsieur X ne pouvait s'en prévaloir pour refuser
son affectation;
Suicide au travail
présomption d’imputabilité - fait du travail (non)
Cour d'appel de Lyon, ch. séc. soc., 17 janvier 2011
EXPOSE DES FAITS
2. Le cheminement emprunté par la Cour de Lyon pour
rendre l'arrêt commenté manifeste une orthodoxie
juridique qui doit être soulignée.
Un salarié, employé par une entreprise du bâtiment,
était à ce titre affecté sur un chantier avec plusieurs de
ses collègues de travail.
a. En premier lieu, s'est posée la question de l'application
du principe de présomption d'imputabilité, selon lequel
relève de la législation sur les accidents du travail la
lésion survenue au temps et sur le lieu du travail.
Lors d'une pause d'une heure entre 12 h et 13 h, le
salarié, demeuré sur le chantier au contraire de ses
collègues de travail l'ayant quitté pour aller se restaurer,
s'est donné la mort par pendaison.
Si, en l'espèce, le suicide s'est produit sur le lieu du travail,
le salarié défunt a cependant commis son geste
désespéré pendant le temps d'une pause déjeuner
entre 12 h et 13 h.
Saisie par la veuve du défunt d'une demande de prise
en charge du suicide au titre de la législation sur les
accidents du travail, la caisse primaire d'assurance
maladie, après avoir diligenté une instruction, est entrée
en voie de prise en charge sur avis conforme de son
médecin conseil.
Certes, l'accident survenu pendant la pause déjeuner
dans l'entreprise ou dans des locaux de l'entreprise
servant à la restauration est susceptible de caractériser
un accident du travail, cependant sous réserve que le
salarié ne se soit pas soustrait à l'autorité de l'employeur
(Cass. soc., 21 février 1969, Bull., n°148 ; Cass. civ. 2ème,
3 avril 2003, Bull., n°100).
La Cour d'appel de Lyon, par arrêt infirmatif du 17 janvier
2012, a jugé inopposable à l'employeur la décision de
prise en charge querellée.
C'est l'arrêt commenté.
Etant en l'espèce établi que les salariés quittaient le
chantier entre 12 h et 13 h pour déjeuner à l'extérieur, le
défunt, en demeurant nonobstant pendant ce temps sur
le chantier, s'est soustrait à l'autorité, au contrôle et à la
subordination de l'employeur.
OBSERVATIONS
1. A priori, l'acte de suicide « réfléchi et volontaire
totalement étranger au travail » caractérise une faute
intentionnelle au sens de l'article L.453-1 du Code de la
sécurité sociale, exclusive de l'application de la
législation sur les accidents du travail (Cass. soc., 23
septembre 1982, n°81-14.698 PB).
A juste titre, la présomption d'imputabilité a donc été
écartée.
b. La présomption d'imputabilité écartée, il convenait,
dans un deuxième temps, d'apprécier si la preuve était
rapportée que le suicide avait été commis par le fait du
travail.
L'acte de suicide peut toutefois tomber dans le champ
de la législation professionnelle, par exemple s'il est le
résultat d'une « impulsion brutale » résultant des
remontrances adressées par l'employeur (Cass. soc., 20
avril 1988, n°86-15.690 PB) ou s'il est lié aux « vicissitudes
des relations professionnelles » du salarié avec son
employeur (CA Riom, Ch. soc., 22 février 2000, D. 2000,
n°10).
La Cour de Lyon s'est à cet égard livrée à l'examen du
dossier constitué par la caisse primaire d'assurance
maladie dans le cadre de l'instruction diligentée dont il
résulte que :
- la veuve a souscrit une déclaration d'accident du
travail en évoquant une dégradation des conditions de
travail sans aucune autre précision ;
La Cour de cassation a plus généralement jugé, par un
arrêt de principe du 22 février 2007, que le suicide,
même commis à un moment où le salarié ne se trouve
plus sous la subordination de l'employeur, constitue un
accident du travail dès lors qu'il est établi « qu'il est
survenu par le fait du travail », au sens de l'article L.411-1
du Code de la sécurité sociale (Cass. civ. 2ème, 22
février 2007, FP-PBRI, RJS 2007, n°666).
- le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance
maladie a émis un avis favorable à la prise en charge
sans aucune argumentation ;
- auditionnés, les collègues de travail ont cependant
VIII
la preuve, en cas de recours de l'employeur :
déclaré que si son comportement s'était assombri
depuis plusieurs semaines avant la commission de son
geste désespéré, le défunt ne s'était cependant jamais
plaint dans l'entreprise ou à l'endroit du médecin du
travail d'une quelconque difficulté professionnelle ni, a
fortiori, d'une dégradation de ses conditions de travail.
- soit de la survenance d'une lésion au temps et sur le
lieu du travail permettant l'application de la
présomption d'imputabilité ;
- soit, à défaut, que l'accident a été provoqué par le fait
du travail.
Aux termes du dossier d'accident du travail constitué
par la caisse primaire d'assurance maladie, la preuve
du caractère professionnel du suicide n'était dans ces
conditions pas rapportée et si l'on peut convenir que
l'allégation générale et imprécise de la veuve,
intéressée à la prise en charge, n'était effectivement en
soi pas probante, on relèvera plus particulièrement la
motivation de l'arrêt quant à la portée de l'avis du
médecin conseil lequel, bien que liant la caisse primaire
d'assurance maladie en application de l'article L.315-2
du Code de la sécurité sociale, n'est pour autant pas
une preuve du caractère professionnel de l'accident en
cas de recours exercé par l'employeur à l'encontre de
la décision de prise en charge au titre de la législation
professionnelle.
Cette preuve n'étant en l'espèce pas rapportée par la
caisse primaire d'assurance maladie, la décision de
prise en charge, à bon droit, a été jugée inopposable à
l'employeur.
Reposant sur une motivation juridiquement orthodoxe,
l'arrêt commenté mérite ainsi une totale approbation.
Christophe BIDAL
Avocat au Barreau de Lyon
SCP Joseph Aguera & associés
[email protected]
Il s'agit là d'une stricte application des règles probatoires
en matière d'accident du travail, selon lesquelles il
appartient à la caisse de sécurité sociale, subrogée
dans les droits du salarié ou de l'ayant droit qu'elle a
indemnisé par sa décision de prise en charge qui reste
définitive dans les rapports caisse/salarié, de rapporter
PRINCIPAUX ATTENDUS
Il résulte de ces éléments que Régis X... n'a pas souhaité
rencontrer le médecin du travail et ne s'est pas plaint de son
travail auprès de ses collègues ; les collègues de travail
n'expliquent pas la soudaineté et l'importance du mal être
de Régis X... qu'ils s'accordent à dater de la fin du mois de
juillet 2007 ; le seul témoignage de l'épouse qui renvoie à une
dégradation progressive des conditions de travail ne suffit
pas à rattacher le suicide au travail.
« Le suicide est intervenu au cours de la pause de la mijournée ; durant cette pause d'une durée d'une heure, les
ouvriers ne restaient pas sur le chantier et partaient déjeuner
à l'extérieur ; Régis X... ne se trouvait donc pas placé sous
l'autorité de l'employeur durant la pause ; dans ces
conditions, le suicide ne bénéficie pas de la présomption
d'imputabilité au travail.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie a diligenté une
enquête au cours de laquelle l'épouse de Régis X... et ses
collègues de travail ont été entendus. (…)
Dans ces conditions, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie
de l'AIN ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que le
suicide de Régis X... trouve sa cause dans le travail. »
La caisse a interrogé son médecin conseil qui en regard de
la question « Le décès est-il imputable à l'accident du 9
novembre 2007 » a apposé les lettres AF ce qui signifie avis
favorable mais sans l'argumenter.
Cour d'appel de Lyon,
Chambre sécurité sociale,
17 janv. 2012,
n°11/01478
Licenciement économique et groupe de sociétés :
rentabilité n’est pas compétitivité
Cour d'appel de Dijon, ch. soc., 24 novembre 2011
EXPOSE DES FAITS
Débusquer l'Arlésienne et dénicher la pieuvre ; voilà, pour
reprendre la métaphore du Professeur VATINET (R. Vatinet,
La pieuvre et l'Arlésienne, Dr. Soc. 2010, p 801), ce à quoi
s'emploient les juges du fond chargés du contrôle du
motif économique d'un licenciement intervenu au sein
d'une entreprise appartenant à un groupe.
Une fois le groupe « démasqué », encore convient-il de
déterminer son secteur d'activité et d'identifier la
menace qui pèse sur sa compétitivité.
C'est à ce travail que s'est livrée la Chambre sociale de
la Cour d'appel de Dijon dans le cadre de l'arrêt
commenté qui offrait à juger le cas d'un salarié licencié
pour motif économique par la SAS A, société
IX
appartenant au Groupe X, leader mondial dans son
secteur d'activité et présent dans 20 pays en Europe et
en Afrique du Nord.
Le salarié en question avait été licencié pour motif
économique dans le cadre du plan de sauvegarde de
l'emploi mis en œuvre au sein de la SAS A, le motif
économique étant constitué par la réorganisation de
l'entreprise qui assurait avoir dû réagir en mettant en
œuvre « un projet d'organisation et de rationalisation de
ses activités afin de ne pas laisser ses résultats se
dégrader et sauvegarder sa compétitivité ».
La cour a toutefois considéré que l'employeur avait en
réalité « mis en oeuvre son projet de restructuration, non
pas pour faire face à une véritable menace sur son
marché, mais afin d'atteindre les résultats financiers
La sauvegarde de la rentabilité n'est pas la sauvegarde
de la compétitivité.
attendus par le groupe, en privilégiant son niveau de
rentabilité ».
De même, la cour, poursuivant son rôle de vigie pour
plaideurs égarés, a entendu préciser de nouveau que
l'employeur ne pouvait se contenter de proposer un seul
poste au salarié en présumant que celui-ci aurait refusé
toute mobilité géographique.
La cour a par ailleurs relevé de manière surabondante
que l'obligation de reclassement n'avait pas été
respectée.
OBSERVATIONS
L'intérêt de l'arrêt réside non pas tant dans la solution
adoptée mais davantage dans la démarche suivie par
les juges et notamment l'analyse faite par les conseillers
dijonnais du rapport qui avait été établi par l'expert
comptable, duquel il ressortait que l'employeur, intégré à
un groupe d'envergure mondiale, avait en réalité
souhaité atteindre un niveau de profitabilité et de cash
opérationnel tel que défini par un plan établi au moment
de l'intégration de la dite société au groupe auquel elle
appartenait.
Cet arrêt s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence
de la Cour de cassation qui rappelle que, lorsque
l'entreprise fait partie d'un groupe, d'une part, la
sauvegarde de la compétitivité s'apprécie au niveau du
groupe et du secteur d'activité auquel appartient
l'entreprise et, d'autre part, que les recherches de
reclassement, qui doivent être précises et concrètes,
doivent être étendues à l'ensemble des sociétés du
groupe auquel l'employeur appartient, sans que celui ne
puisse en aucun cas présumé du refus du salarié pour
justifier une limitation de ses recherches.
Le juge cherchera les tentacules de la pieuvre partout où
elles se cachent ; reste à savoir si ces recherches
s'étendront jusqu'au cerveau de l'animal pour considérer
que c'est in fine ce lieu où se prend les décisions qui
définit le périmètre du groupe.
La cour, relevant en l'occurrence que l'employeur ne
fournissait aucune pièce comptable propre au groupe
ou à la holding européenne, en a justement déduit que
cette carence était à elle seule suffisante pour
considérer le licenciement comme dépourvu de cause
réelle et sérieuse.
La question (sinon la chasse) est ouverte.
La cour a néanmoins souhaité aller plus avant et, dans
une démarche didactique sinon pédagogique, a
entendu rappeler que le juge doit rechercher le motif
originel du projet de restructuration ayant abouti au
licenciement, lequel, s'il peut être la sauvegarde de la
compétitivité, ne peut en aucun cas être la recherche
de résultats financiers.
Fabien ROUMEAS
Avocat au Barreau de Lyon
Cabinet Fabien Rouméas
[email protected]
PRINCIPAUX ATTENDUS
Attendu qu'il résulte de ces éléments que l'employeur a mis en
oeuvre son projet de restructuration, non pour faire face à une
véritable menace sur son marché, mais afin d'atteindre les
résultats financiers attendus par le groupe, en privilégiant son
niveau de rentabilité, dans un contexte économique de
ralentissement de l'activité ; qu'ainsi, la nécessité de
sauvegarder la compétitivité de l'entreprise n'est pas
démontrée ; »
Cour d'appel de Dijon,
Chambre sociale,
24 nov. 2011,
n°11/00155
« Attendu que la réorganisation de l'entreprise constitue un
motif économique de licenciement si elle est effectuée pour
en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité
auquel elle appartient ;
Attendu que, lorsque l'entreprise fait partie d'un groupe, la
sauvegarde de la compétitivité s'apprécie au niveau du
groupe, dans la limite du secteur d'activité auquel appartient
l'entreprise ; (…)
Groupe de sociétés :
Rachat par un fonds de placement - Incidences en droit
du licenciement pour motif économique
Cour d'appel de Grenoble, ch. soc., 12 septembre 2011
EXPOSE DES FAITS
placement « White Stone IV », auquel les parts sociales
ont été peu après revendues, LBO France demeurant
son mandataire de gestion.
Madame Martine X. est entrée au service du groupe
Piera, qui poursuivait une activité dans les domaines de
la promotion, de la construction et de la
commercialisation immobilières, en mai 1996 ; au dernier
état de sa collaboration et depuis octobre 2003, elle
exerçait les fonctions d'assistante service après vente au
sein de la société Piera Gessy.
En juin 2007, près des trois quarts du capital des
différentes sociétés du groupe ont été acquises par une
société Financière Piera, créée pour l'occasion par la
société de gestion de portefeuille et d'investissement
LBO France, semble-t-il pour le compte du fonds de
Le groupe Piera a aussitôt fait reconnaître l'existence
d'une unité économique sociale (UES) et, dès le comité
d'entreprise constitué, annoncé puis présenté un plan
de sauvegarde de l'emploi (PSE) à raison de prétendues
difficultés économiques, d'abord rejeté tant par le
comité que par l'administration du travail, comme «
dépourvu de tout sérieux ».
X
Après des péripéties dont l'arrêt commenté ne donne
pas le détail mais qu'on peut deviner, un PSE remanié a
Pour refuser de suivre Madame X. dans cette analyse, la
Cour de Grenoble a usé de motifs qui nous paraissent
éminemment
confus
et
même
entièrement
contradictoires.
Elle a certes, pour balayer l'argument tenant aux liens
capitalistiques, constaté de façon factuellement
exacte, qu'au moment de la présentation puis de la
mise en œuvre du PSE, la société LBO France n'était plus
actionnaire de la holding Piera Finance.
finalement fait perdre son emploi à Madame X., par
acceptation d'une convention de reclassement
personnalisé (CRP), actée le 1er septembre 2008.
Madame X. a néanmoins saisi le Conseil de
prud'hommes de Gap de différentes demandes,
notamment d'annulation pure et simple de la rupture de
son contrat de travail, à raison de la nullité du PSE luimême, et subsidiairement de requalification en
licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
faute de motif économique véritable et d'efforts de
reclassement
opérants,
lesquels,
selon
la
demanderesse, auraient dû s'apprécier et être
recherchés au sein d'un groupe comprenant
nécessairement la société LBO France.
Mais elle le constate dans les termes suivants :
« la société LBO France, société de gestion de
portefeuille qui gère et conseille de nombreux fonds
d'investissement et qui à ce titre était la représentante
du FCPR White Stone IV, dont elle était le mandataire,
n'était pas actionnaire de la société Piera Finance, ne
disposait d'aucun droit de vote ni d'aucun droit lui
conférant une influence dominante au sein du conseil
de surveillance ».
Par jugement du 25 janvier 2010 prononcé après
partage de voix, le Conseil de prud'hommes de Gap a
débouté Madame X. de l'intégralité de ses demandes.
L'arrêt commenté a confirmé cette décision par motifs
adoptés, tandis qu'entre temps les différentes sociétés
du groupe Piera avaient été placées en liquidation
judiciaire.
Voici donc une nouvelle catégorie de mandataire : le
mandataire sans pouvoir, pour ainsi dire sans mandat.
La Cour écrit pourtant un peu plus loin, toujours dans les
motifs qu'elle a adoptés :
OBSERVATIONS
« la société LBO France ne dispose pas de droit de vote
dans les assemblées générales mais détermine en fait
les décisions dans les assemblées générales du groupe
PIERA à raison des droits de vote qu'elle exerce pour le
compte du FCPR White Stone IV au titre de son
mandat »
Cette décision nous plonge dans le monde enchanté
des sociétés de capital-investissement, « Private Equity »
et autres fonds de placement, où disparaissent les
responsabilités aussi sûrement que les emplois.
Voilà un groupe de sociétés aux activités parfaitement
complémentaires,
et
de
toute
évidence
raisonnablement prospère, puisqu'il suscite, en 2007, la
convoitise du fonds de placement délicieusement
nommé «white stone».
Comprenne qui pourra et peu importe que le principe
même du mandat est de découpler la titularité des
droits et leur exercice, mais exit la société LBO France de
toute inclusion dans le groupe Piera, bien qu'elle «
détermine en fait les décisions dans les assemblées
générales du groupe », il est vrai, selon la cour, sans «
aucune influence dominante ».
Ce dernier mandate le « Private Equity » LBO France
(dont nous recommandons vivement la visite du site
Internet particulièrement édifiant sur les mystères des
"leveraged by out " ou opérations à effet de levier
assorties d'une TRI - comprendre taux de rentabilité
interne - à 25% par an), qui crée une holding chargée
de réunir la majorité du capital social des différentes
sociétés du groupe Piera, qu'elle revend à « White Stone
», tout en demeurant son conseil et mandataire de
gestion du groupe ainsi passé sous son contrôle.
Quid, alors, du FCPR White Stone IV, cet étrange
mandant dont on ne peut cependant contester qu'il
était actionnaire (très) majoritaire au moment de la
présentation du PSE puis de la rupture du contrat de
travail de Madame X. ?
Ne rêvons pas trop : la cour nous explique que « les
fonds communs de placement étant des copropriétés
d'instruments financiers et de dépôts, ils ne disposent
pas de la personnalité morale et son représentés à
l'égard des tiers par la société chargée de leur gestion
».
Mais la holding spécialement créée devient subitement
déficitaire (à cet égard, il n'est pas irrespectueux de
constater que la cour d'appel ne s'est pas épuisée à
comprendre pourquoi), fait reconnaître une UES de
toute évidence pour sécuriser le périmètre d'un
éventuel contentieux à venir, puis présente - non sans
mal, ainsi qu'il a été dit - et met en œuvre un PSE, avant
que les différentes sociétés du groupe ne soient placées
en liquidation judiciaire.
Et la boucle est bouclée : LBO Finance n'était ni
actionnaire ni personnellement titulaire d'aucun droit, «
White Stone » n'a quant à elle pas même la personnalité
morale (on se demande d'ailleurs comment elle a pu
acquérir des parts sociales ou confier un mandat), de
sorte qu'aucun des deux ne saurait être en quoi que ce
soit concerné par le sort du groupe conduit à la faillite
peu après son acquisition.
De ce ces rebondissements juridiques et économiques,
Madame X. a considéré, que la société LBO France
devait être incluse dans le périmètre d'appréciation
tant de la validité du PSE que des difficultés
économiques alléguées, mais aussi pour la recherche
de son reclassement, à raison des liens capitalistiques
existant entre les différentes société Piera et la holding
Piera Finance dune part, entre cette dernière et la
société LBO France d'autre part, et enfin entre LBO
France et les autres sociétés dans lesquelles elle
détenait des participations, qu'il y avait lieu, selon la
demanderesse, d'inclure également dans le groupe,
pour peu que leurs activités relève du même secteur ou
autorisent la permutation de tout ou partie du
personnel.
Et pour ceux qui n'auraient pas bien saisi (dont nous
sommes, il faut bien le reconnaître), la Cour nous assène
ceci :
« Les sociétés gérant des fonds de placement et les
sociétés dans lesquelles ces fonds ont été investis ne
constituent pas un groupe ».
La généralité du propos a de quoi susciter l'interrogation
: en quoi nos règles, tant de droit social que de droit
économique, empêchent-t-elles d'examiner, sous
prétexte qu'il s'agit d'un fonds d'investissement ou de
son gestionnaire, s'il existe un ascendant économique
et/ou juridique permettant de les inclure dans un
groupe que de toute évidence ils contrôlent ?
XI
La Cour ne le dit pas, et semble tenir la solution pour
acquise, de façon quasi-abstraite.
On comprend aisément la crainte que peut inspirer chez
certains la possibilité qu'un fonds de placement puisse
servir de lien pour caractériser un groupe incluant les
différentes sociétés dont ce fonds est actionnaire, même
en s'en tenant aux stricts critères jurisprudentiels.
Gageons que le droit positif, qui ne peut se résumer en
l'état à l'arrêt commenté, saura aborder ces questions
sans tabou.
Karine THIEBAULT
Avocat au Barreau de Lyon
SCP Antigone Avocats
[email protected]
PRINCIPAUX ATTENDUS
« Que dès lors ils ont rappelé que les sociétés gérant des fonds
de placement et les sociétés dans lesquelles ces fonds ont
été investis ne constituent pas un groupe au sens où un
groupe comprend des sociétés dont l'activité, l'organisation
ou le lieu d'exploitation permettent la permutation de tout ou
partie du personnel et qu'en conséquence le groupe dans le
périmètre duquel les possibilités de reclassement devaient
être recherchées était bien le groupe Piera, c'est-à-dire
l'Unité Economique et Sociale constituée par les trois sociétés
Piera Promotion, Piera Finance et Piera Distribution, niveau
auquel il y avait lieu de se situer pour la mise en œuvre du
plan de sauvegarde de l'emploi et pour l'appréciation du
motif économique »
Cour d'appel de Grenoble,
Chambre sociale,
12 septembre 2011,
n°10/00926
Notion de “trouble manifestement illicite”
en matière de référé
Cour d'appel de Lyon, ch. soc., sect. A, 11 janvier 2012
EXPOSE DES FAITS
- De ce fait il n'était pas établi l'existence d'un trouble
illicite dans le fait de ne pas appliquer la convention
collective dans la version revendiquée par la salariée.
Après avoir régularisé une rupture conventionnelle, une
salariée a attrait son ex-employeur devant la formation
de référé du conseil de prud'hommes afin d'obtenir une
provision sur rappel de salaire.
OBSERVATIONS
Cette salariée se fondait sur l'affirmation selon laquelle
elle n'aurait pas été rémunérée sur la base de son
exacte
classification
conventionnelle
et,
subsidiairement, en deçà du salaire minimum garanti
estimant devoir bénéficier du coefficient 351 de la
convention collective de l'hospitalisation privée à but
non lucratif (FEHAP) dans sa version rénovée.
L'employeur a opposé à cette demande le fait que la
convention revendiquée n'était pas étendue et ne
s'imposait pas à lui ; qu'il ne se bornait, en conséquence,
qu'à une application strictement volontaire de cette
convention dans sa version non rénovée comme le
prévoyait le contrat de travail de la salariée et, encore,
une note d'information portée à la connaissance de
l'ensemble du personnel.
Par son jugement du 26 novembre 1980, le Tribunal de
grande instance de Paris a qualifié le juge des référés
comme celui « de l'évident et de l'incontestable ». (TGI
Paris, 26 novembre 1980, JCP 1981, IV-378).
Cette définition s'applique à la formation de référé du
conseil de prud'hommes dans le cadre des attributions
qu'il tient des articles R.1455-5 et R.1455-6 du code du
travail.
Le premier de ces textes prévoit que la formation de
référé peut, en cas d'urgence, prescrire toutes mesures
qui ne se heurtent pas à une contestation sérieuse.
Le second précise que cette Formation peut, même en
présence d'une contestation sérieuse, prescrire toutes
mesures conservatoires ou de remise en état qui
s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou
faire cesser un « trouble manifestement illicite ».
La formation de référé saisie ayant fait droit aux
demandes, l'employeur a interjeté appel.
La cour d'appel a réformé la décision entreprise
retenant que :
- Le contrat de travail liant les parties ne visait pas la
convention collective revendiquée dans sa version
rénovée ;
Dans le premier cas le juge des référés est le juge de
l'incontestable, dans l'autre celui de l'évident puisque,
bien qu'il existe une contestation sérieuse, il peut
prendre toute mesure… pour autant qu'il existe un
trouble dont l'illicéité (c'est-à-dire attentatoire à la règle
de droit) non seulement existe mais est, encore,
manifeste.
- La détermination de la version de la convention
collective devant être appliquée constituait une
contestation sérieuse échappant à la compétence du
juge des référés ;
XII
d'application, par l'employeur, de la convention
collective revendiquée par la salariée se heurtait à une
contestation sérieuse et que ne pouvait dès lors être
établi l'existence d'une illicéité du fait de cette nonapplication.
L'intérêt de l'arrêt commenté réside dans le fait que,
d'une part, il est fait une application rigoureuse des
principes sus énoncés (ce qui n'est actuellement pas si
banal) et que, d'autre part, il propose une articulation
entre les notions de contestation sérieuse et de trouble
illicite.
Ainsi :
Ce n'est en réalité que lorsque le défendeur se borne à
alléguer des faits pour expliquer ou justifier les raisons
pour lesquelles il n'a pas appliqué la règle de droit qui
devait l'être que le juge des référés dispose du pouvoir
de prendre toute mesure utile pour faire cesser un
trouble qui est, dès lors, illicite… quand bien même ces
faits pourraient être constitutifs de contestation sérieuse.
La Cour de cassation affirme qu'il appartient au juge
des référés d'appliquer la loi même si cette dernière
requiert une interprétation (tel, par exemple, le cas d'un
article du code du travail) pour rechercher si une
obligation est ou non sérieusement contestable. (Cass.
soc. 24 juin 2009, n° 08-42.216). Il doit, par essence, agir
de même pour apprécier l'existence d'une manifeste
illicéité qui serait génératrice de trouble.
Tel est le cas, par exemple, lorsque l'employeur refuse le
transfert du contrat de travail d'un salarié dans son
entreprise alors que les conditions légales de l'article
L.1224-1 du Code du travail sont réunies, motif pris que
l'ancien employeur avait frauduleusement muté un
salarié dans l'entité objet de la reprise dans le seul but
de ne pas le conserver à son service (Cass. soc., 25
octobre 2011, n° 10-19.772).
En revanche et c'est ce que rappelle la cour d'appel
dans le présent arrêt, il ne peut y avoir de trouble
justifiant une prise de mesure lorsque la « manifeste
illicéité » n'est pas établie… en d'autres termes lorsqu'il
n'est pas démontré une atteinte à une règle de droit ou
à un texte législatif ou réglementaire.
En l'espèce il est de règle qu'un employeur n'est pas
tenu d'appliquer une convention collective non
étendue (sauf s'il est adhérent ou membre d'un
groupement ou d'une organisation signataire de la
convention). Dans ce cas, il ne l'applique que de son
unilatérale volonté.
Tout trouble même objectivement reconnu ne saurait
justifier l'intervention du juge des référés.
Ce dernier doit caractériser l'illicéité du trouble.
Tel n'est pas le cas lorsque l'application de la règle de
droit revendiquée à l'appui de la demande est
sérieusement contestable.
Par conséquent, s'il ne fait pas bénéficier, comme ici,
une salariée d'une disposition d'une convention
collective dans sa version (rénovée) non étendue, la
cour d'appel considère qu'il n'a pas porté atteinte à
une règle de droit ou à une disposition du code du
travail.
En rappelant ces principes de base la chambre sociale
de la Cour d'appel de Lyon s'inscrit dans la lecture
rigoureuse mais logique et juste des dispositions de
l'article R.1455-6 du Code du travail.
La cour, au contraire, fait référence aux dispositions
figurant dans le contrat de travail, ledit contrat formant
la loi des parties au sens de l'article 1134 du Code civil.
Olivier LACROIX
Avocat au Barreau de Lyon
Cabinet C.E.F.I.D.E.S.
[email protected]
Sachant au demeurant que constitue une contestation
sérieuse, par exemple, la détermination de la portée
d'une clause contractuelle (Cass. soc., 23 février 1997,
Bull., n° 139) ou, encore, l'interprétation d'une
convention collective (Cass. soc., 9 mars 1977, Bull., n°
78) c'est de manière pertinente que la cour d'appel,
dans l'espèce commentée, a retenu que la demande
PRINCIPAUX ATTENDUS
La détermination de la convention collective applicable aux
parties, eu égard à leur proposition sur ce point, constitue
une contestation sérieuse qu'il n'appartient pas au juge des
référés de trancher.
« La demande de classification au coefficient 351 sur laquelle
X fonde sa demande de rappel de salaire repose sur
l'application de la convention collective de l'hospitalisation
privée à but non lucratif rénovée par l'avenant n° 2002-02 du
25 mars 2002.
De ce fait, l'existence d'un trouble manifestement illicite
résultant de la non-application de la convention collective
rénovée du 25 mars 2002 n'est pas établie »
Cet avenant n'a pas été étendu.
Dans une note d'information du 25 juin 2003 y a informé les
salariés de son intention de ne pas appliquer la convention
collective rénovée.
Cour d'appel de Lyon,
Chambre sociale,
section A,
11 janvier 2012,
n°11/02672
En mentionnant dans le contrat de travail la liant à X, la seule
convention collective du 31 octobre 1951 (FEHAP) non
rénovée, elle a réaffirmé sa volonté de s'en tenir à
l'application volontaire des seules dispositions antérieures à
cette rénovation.
XIII
Péremption d’instance : qu’est-ce qu’une
“diligence particulière” ?
Cour d'appel de Lyon, ch. soc., sect. A, 8 février 2012
EXPOSE DES FAITS
La péremption d'instance ne doit pas faire obstacle au
caractère abusif d'un licenciement économique.
Telle est la leçon qu'il faut, s'emble-t-il, retenir d'un arrêt
rendu le 7 février 2012 par la chambre sociale A de la
Cour d'appel de Lyon.
Monsieur M. a fait l'objet d'un licenciement
économique prononcé le 6 avril 2004 par son
employeur, la société R. alors en liquidation judiciaire.
Saisi d'une contestation, le Conseil de prud'hommes de
Lyon devait débouter le salarié de l'ensemble de ses
demandes par jugement rendu le 26 janvier 2011,
après que le bureau de conciliation, présidé par le juge
départiteur, eut ordonné diverses mesures d'instruction
visant notamment à permettre la production
d'éléments économiques, et un sursis à statuer dans
l'attente de la décision du Tribunal de commerce de
Lyon en vue de la désignation d'un mandataire ad
hoc.
Un appel était interjeté le 23 février 2011 par Monsieur
M.
En défense, la société R. soulevait tout d'abord
l'irrecevabilité des demandes aux motifs que l'instance
était périmée…
Non seulement la cour a rejeté ce moyen de
procédure, mais au surplus, statuant sur le fond du
litige, elle accueillait favorablement les demandes de
Monsieur M.
Si la solution donnée au fond présente peu d'intérêt sur
le plan des principes, en revanche, la position adoptée
sur l'exception de péremption ne manque pas de
surprendre.
OBSERVATIONS
I - La Cour d'appel de Lyon retient l'existence d'un
groupe de sociétés.
Après avoir noté que Monsieur M. ne contestait pas la
réalité de la cause économique, ni ne formait de
demande à l'encontre d'une société JM, la cour
réforme le jugement aux motifs que le reclassement
aurait dû être recherché à l'intérieur du groupe
composé des sociétés R. et JM.
A ce sujet, la cour en profite pour rappeler la définition
du groupe en matière de licenciement économique.
Cette définition ne se confond pas avec celle donnée
ni par le code de commerce ni par le code du travail
pour la mise en place d'un comité de groupe.
Le groupe « s'entend de l'ensemble formé par les
entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu
d'exploitation leur permettent la permutation de tout
ou partie du personnel »
Appliquant strictement ces principes, la cour a estimé
qu'il existait suffisamment de points communs entre les
deux sociétés (trois associés communs, sièges sociaux
communs, emploi des mêmes salariés par l'une ou
l'autre des sociétés, activités voisines, gérant
commun…) pour en conclure à l'existence d'un
groupe.
Le gérant s'étant abstenu d'effectuer des recherches
au sein de la société JM., la cour en conclut
logiquement que la cause réelle et sérieuse du
licenciement faisait défaut.
Cette position s'inscrit dans la logique de la
jurisprudence actuelle de la Cour de cassation dont la
définition du groupe semble aujourd'hui relativement
stable.
Enfin, il est notable de relever que la cour a mis hors de
cause la société JM. qui avait été appelée en la cause
par la société R.
Cette solution s'imposait :
- Monsieur M. ne formait aucune demande
directement contre la société JM. impliquant sa qualité
de « co-employeur » ;
- Le débiteur reste l'employeur indépendamment du
fait que le reclassement doit être recherché au sein
d'un groupe de sociétés et quand bien même la
société R. avait demandé à être relevée et garantie
par la société JM. à hauteur de la moitié des
condamnations qui seraient prononcées à son
encontre.
Sur ce point, la décision commentée reste conforme
aux principes en la matière.
Mais pour parvenir à cette solution, la cour a dû
contourner l'obstacle que constituait le moyen soulevé
par la société R. au titre de la péremption d'instance.
II - La Cour d'appel de Lyon rejette l'exception de
péremption.
Faut-il le rappeler, la péremption en
prud'homale obéit à des règles spécifiques.
matière
En droit commun, la règle a été fixée par l'article 386 du
CPC qui dispose que « l'instance est périmée
lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences
pendant deux ans ».
En droit du travail, c'est l'article R.1452-8 du code du
travail qui détermine les conditions de la péremption
en ajoutant une condition qui n'existe pas en droit
commun.
La définition en est la suivante :
« En matière prud'homale, l'instance n'est périmée que
lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant
le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code
de procédure civile, les diligences qui ont été
expressément mises à leur charge par la juridiction. »
XIV
- D'autre part, elle a cru pouvoir retenir que le juge, en
l'occurrence le bureau de conciliation, « avait
expressément mis des diligences à la charge des seules
sociétés R. et JM. »
Le lecteur aura noté la nuance particulièrement
restrictive de la définition en droit du travail, notamment
l'emploi de la locution « n'est périmée que lorsque… »,
que l'on ne retrouve pas dans la définition de droit
commun.
Certes le bureau de conciliation avait demandé aux
sociétés mises en cause de produire leurs bilans et leurs
registres du personnel, ce qui constituait à l'évidence des
diligences, comme l'a retenu la cour, mais il avait
également enjoint au demandeur d'avoir à conclure
pour le 25 janvier 2006, ce qu'il n'avait fait que le 18
décembre 2008, soit plus de deux ans après la
notification de l'ordonnance du bureau de conciliation
intervenue le 11 janvier 2006.
Mais il importe surtout de relever que le droit du travail
impose aux parties une condition supplémentaire pour
que l'exception de péremption soit retenue : il faut que
les diligences dont le défaut justifie que l'instance soit
déclarée périmée, aient été « expressément mises à leur
charge par la juridiction »
En d'autres termes, la péremption ne peut être utilement
soulevée que si et seulement si l'une des parties n'a pas
respecté ou exécuté l'ensemble des diligences que le
juge lui a demandé d'accomplir.
Fort de ce constat, la cour aurait dû admettre que le
demandeur avait été défaillant puisqu'il n'avait pas
respecté l'obligation mise à sa charge par le bureau de
conciliation.
La jurisprudence sociale est particulièrement bien fixée
en la matière : si aucune diligence n'est mise à la charge
des parties, la péremption ne sera pas constatée par le
juge (Cass. soc., 6 décembre 2011, n°10-14.513).
Mais la cour en a décidé autrement en affirmant que la
transmission de conclusions du
demandeur ne
constituant pas une diligence « particulière », le
demandeur n'était soumis finalement à aucune
obligation…
En revanche, si les diligences n'ont été accomplies que
partiellement, la péremption sera acquise (Cass. soc., 28
février 2012, n°10-26.562).
La position de la cour peut
syllogisme suivant :
Malgré la constance de ces principes, la Cour d'appel
de Lyon a écarté sèchement le moyen en s'appuyant
sur deux points :
1 - Le dépôt de conclusions ne constitue pas une
diligence « particulière » en procédure sans
représentation obligatoire ;
- D'une part, elle a considéré, contre l'évidence, que «
dans la procédure sans représentation obligatoire, la
transmission de conclusions et du bordereau de
communication des pièces ne constitue pas une
diligence particulière »
2 - Or, bien que le juge a enjoint au demandeur de
conclure, cette situation ne peut être considéré comme
constituant une diligence mise à sa charge ;
3 - Donc l'instance n'est pas périmée du seul fait que le
demandeur n'a pas conclu dans le délai de deux ans…
Or, il est admis de longue date que, même dans le cadre
de la procédure dite orale (sans représentation
obligatoire, pour reprendre la formule de la cour), le
dépôt de conclusions écrites constitue une diligence…
Les règles de procédure sont en principe destinées à
garantir les droits des parties au procès, quelles qu'elles
soient.
La jurisprudence est là-encore, bien établie.
Cass.
Cass.
Cass.
Cass.
soc.,
soc.,
soc.,
soc.,
donc se résumer par le
5 janvier 2011, n°09-72.378
24 juin 2009, n°08-43.770
9 mars 2005, n°02-46.319
11 juin 2002, n°00-42.654
A ce titre, il importe au juge de les faire respecter quand
bien même celles-ci conduiraient à ne pas examiner le
fond d'un dossier.
Elles ne doivent donc pas être détournées au profit de
tel ou tel intérêt car leur mise en oeuvre participe au
respect fondamental des droits de la défense.
La Cour d'appel de Lyon a donc entendu prendre une
position radicalement contraire à celle de la Haute
Cour.
Pour ce faire, elle n'a pas hésité à préciser que le dépôt
de conclusions ne constitue pas une diligence «
particulière ».
Cet ajout à la définition réglementaire a toute son
importance !
Olivier BARRAUT
Avocats au Barreau de Lyon
SELAS Jacques Barthélémy et associés
[email protected]
La cour n'ignore pas qu'il est fréquent que la radiation est
prononcée justement en raison du défaut de
communication des conclusions.
Or, en soumettant la péremption au respect d'une
diligence « particulière », la cour a exprimé sa volonté
d'exclure de sa propre définition, la simple
communication de conclusions.
XV
PRINCIPAUX ATTENDUS
que dans la procédure sans représentation obligatoire, la
transmission des conclusions et du bordereau de
communication des pièces ne constitue pas une diligence
particulière dont l'inexécution pendant le délai de
péremption serait susceptible de permettre de constater
l'extinction de l'instance ;
« Attendu que le groupe au sein duquel les possibilités de
reclassement doivent être recherchées
en cas de
licenciement pour motif économique, ne se confond ni
avec le groupe résultant de l'application de l'article L.233-3
ou de l'article L.233-16 du code de commerce ni avec le
groupe juridiquement défini par l'article L.2331-1 du code
du travail relatif à la constitution du comité de groupe ; mais
s'entend de l'ensemble formé par les entreprises dont les
activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur
permettent la permutation de tout ou partie du personnel ;
(…)
que l'ordonnance du bureau de conciliation du 11 janvier
2006 avait expressément mis des diligences à la charges
des seules sociétés R. et JM. ; que l'exception de
péremption soulevée par Maître R. en qualité de
mandataire ad hoc de la S.A.R.L. R. sera donc écartée. »
Attendu que selon l'article R.1452-8 du code du travail, en
matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque
les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de
deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure
civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur
charge par la juridiction ;
Cour d’appel de Lyon,
Chambre sociale,
section A,
8 février 2012
n°11/01406 à 11/01409
Responsables de la rédaction :
Pierre Masanovic
Yves Fromont
Fromont Briens
SCP Antigone Avocats
60, rue Jaboulay,
69007 LYON
tél : 04-78-72-27-29
40, rue de Bonnel,
69003 LYON
tél. : 04-78-62-15-00
XVI