Travail social et santé mentale
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Travail social et santé mentale
sommaire Silence, on tourne ! 2 Véronique PIROTTON et David COLLARD Travail en réseau : balises et limites 4 Marc MINET L’outreaching 6 Francis TURINE Les patients, majeurs et vaccinés ? Micky FIERENS Une autre façon de travailler en psychiatrie Rencontre avec le Siajef 8 10 Christiane BONTEMPS Financement de l’hospitalisation partielle 12 Alain WEYERS Le spectre autistique... J’en ai peur ! 13 Les Goélands In-Folio - infos 14 DOSSIER : Le travail social en santé mentale Préface 15 Luc VAN HOUTRYVE La santé mentale, champ pertinent de l’action sociale 16 Didier VRANCKEN Psychiatrie et travail social : de la confrontation à la coopération 19 Marcel JAEGER «Comment en dire assez sans en dire trop !» 22 Nathalie GÉRARD et Nathalie MATHIEU Le travail social en santé mentale : la parole aux acteurs 25 Sylvie MADDISON et Sylvie GÉRARD Mettre des mots sur des maux 33 Valérie BAUWENS Vie de quartier, vie de familles 36 Isabelle CAMMARATA et Simone TIMMERMANS La Maison des Familles adoucit les moeurs 38 François WYNGAERDEN Santé, santé mentale, santé sociale 40 Philippe DELVAUX Le travailleur social et le psy comme «artisans du bord» 42 Paul JACQUES Les travailleurs sociaux, orphelins de l’appui du social? 45 Jean-Pierre LEBRUN Références et repères bibliographiques 48 1 Silence, on tourne ! Durant le mois de décembre 2002, le Centre Hospitalier Psychiatrique de Liège (CHP) a été l’un des lieux de tournage du film « Stormy Weather ». Ce long-métrage, coproduit par les frères Luc et Jean-Pierre Dardenne et réalisé par la franco-islandaise Sólveig Anspach, relate la rencontre d’une étudiante en psychiatrie (interprétée par l’actrice française Elodie Bouchez) avec une femme mentalement malade croisée par hasard dans une gare. Plus globalement, le film traite des problématiques de la distance thérapeutique et de la difficulté à communiquer. Une partie du film a donc été tournée à Liège mais c’est également l’Islande qui tient un des rôles-clefs dans ce scénario à découvrir. Véronique Pirotton et David Collard Chargés de communication du Centre Hospitalier Psychiatrique (CHP) de Liège C ontre toutes attentes, le CHP de Liège a accepté cette collaboration… Dès son origine, elle a été envisagée par l’équipe de production comme un échange entre les patients de l’hôpital et l’équipe du film. Plus que le tournage d’un film tel qu’on le conçoit classiquement, l’expérience s’est appuyée sur différents « ateliers cinémas » inscrits dans une démarche thérapeutique. Toute l’institution était concernée mais c’est plus particulièrement l’unité d’hospitalisation des Coquelicots (salle 13 et 14 du Site Petit Bourgogne) qui a servi de lieu d’immersion à la réalisatrice, aux acteurs et à l’équipe. Cette unité de soins est spécialisée dans la prise en charge de personnes souffrant de dépression, maniaco-dépression, schizophrénie et troubles relationnels et somatiques. 2 Une proposition acceptée avec enthousiasme La sincérité et la profondeur de Sólveig Anspach, dans sa démarche, a vraiment séduit l’hôpital. Des membres du personnel, cinéphiles avertis, connaissaient et appréciaient ses précédents Confluences n°5 mars 2004 travaux dont le film « Haut les cœurs » avec dans le rôle-titre Karin Viard. A cette occasion déjà, la réalisatrice avait tourné de nombreuses scènes dans un service d’oncologie d’un hôpital parisien et avait intégré à son travail des patients souffrant du cancer. C’est ce qui a amené le CHP à accepter cette collaboration. 1ère étape, prise de contact Avant de tourner, l’équipe de production s’est rendue sur le site du Petit Bourgogne pour y exposer le scénario aux patients et aux membres du personnel soignant et pour témoigner de l’importance de tourner en milieu hospitalier, dans des conditions réalistes. De même, plusieurs activités axées sur le cinéma avaient été réalisées préalablement, dans le cadre d’ateliers, de réunions et de débats afin que patients et soignants puissent approcher les réalités du milieu cinématographique. Immersion et respect des patients L’équipe soignante a accueilli en son sein la réalisatrice durant une semaine car elle souhaitait ardemment s’imprégner des réalités de fonctionnement d’un service de psychiatrie. Pour sa part, la poétesse islandaise - Didda Jonsdottir - qui interprète le rôle de la patiente, a carrément vécu « une hospitalisation » pendant plus de 8 jours avant le tournage. L’élément principal de cette collaboration a été articulé autour du respect du patient et de la vie du service. L’équipe du film ne s’est pas imposée de manière intrusive. Au contraire, il fut toujours question d’échanges mutuels. Cette démarche active de la part des deux parties s’est concrétisée par des rôles de figurants attribués à des patients et membres du personnel de l’hôpital. L’équipe de production a dû s’intégrer complètement à la vie du service en essayant de troubler le moins possible le programme des activités quotidiennes. Un tournage dans un hôpital, malgré toutes les précautions prises, c’est un grand chambardement et beaucoup de « désordre ». Comme le souligne le personnel soignant, en dehors du tournage et des activités préparatoires qui ont demandé beaucoup d’efforts et d’énergie, il s’agissait de continuer à gérer les émotions, les tensions et les diverses tâches récurrentes. Clap première ! Au total, une dizaine de jours a été nécessaire au tournage des différentes scènes. Un moment particulièrement marquant pour les figurants mais aussi pour toutes celles et ceux qui gravitent tout autour : médecins, services techniques, service hôte- Une projection en avant-première au Centre Hospitalier Psychiatrique de Liège Très cohérente dans sa démarche et fidèle à ses engagements, Sólveig Anspach est également venue projeter son film en avantpremière au sein de l’hôpital. La Plus qu’un film, c’est aussi la découverte de l’autre lier ou encore service d’entretien. Tous les départements du CHP ont été mis à contribution mais au final, chacun est ressorti plus riche d’une expérience originale. Parallèlement, durant les différentes étapes du tournage, André Leclercq, membre de l’équipe d’entretien du CHP a pour sa part immortalisé sur la pellicule de magnifiques images du tournage. La qualité de ce travail photographique est telle que la société française de distribution du film a sélectionné des photos afin d’assurer la promotion officielle du film. En conclusion, cette expérience s’est également révélée un excellent vecteur de dé-stigmatisation de la maladie mentale. salle était comble et à l’issue de la projection privée, la réalisatrice a engagé le débat avec le public présent. Grâce à la sensibilité qui caractérise Sólveig Anspach, les patients ont énormément réagi. Lors de cette étape, une fois de plus, les échanges se sont révélés particulièrement enrichissants et riches d’émotions partagées. Stormy Weather - A voir dès aujourd’hui dans les salles de cinéma ! Confluences n°5 mars 2004 3 Travail en réseau : balises et limites Le SAJ de Namur et l’association SOS Parenfants se sont intéressés, au travers d’une rechercheaction1, au travail en réseau pour les interventions en matière de maltraitance et plus précisément d’abus sexuel intra-familial. Un rapport vient d’être publié. Il s’intéresse, entre autres, aux stratégies à mettre en place pour rendre opérationnelle une meilleure coordination des interventions. Marc Minet, co-auteur de cette recherche, nous en dresse un premier aperçu. Marc Minet Coordinateur de SOS Parenfants Le travail en réseau : une nécessité et beaucoup de difficultés N ous sommes partis du constat que la gestion de certaines situations d’abus sexuels intrafamiliaux pose de nombreux problèmes : délais excessivement longs, interventions qui s’éteignent ou qui sont contradictoires entre elles, dysfonctionnements. La recherche-action qui a été menée a d’abord permis d’inventorier dans des travaux précédents les pistes d’amélioration concrètes en matière de concertation-coordination des intervenants. Cet inventaire, nous a permis d’élaborer des modalités opérationnelles de relations entre services et de soumettre ces propositions aux intervenants de l’arrondissement de Namur. 4 La concertation comme clé stratégique De précédents travaux ont mis en évidence la complexité de la prise en charge des situations de maltraitance d’enfants, complexité qui induit des difficultés sérieuses dans le travail en réseau. Les professionnels agissent de manière légitime et pertinente, en tenant compte de leur cadre légal et de leur logique d’intervention, mais souvent, l’ensemble du dispositif mis en place manque de cohérence et d’efficacité. Quelques pistes ont été lancées pour améliorer la coordination des interventions : faire appel à une évaluation clinique, individuelle et personnalisée ; à un langage et à des critères communs pour les notions de danger, d’urgence, d’intérêt de l’enfant. Informer et clarifier les règles de travail et les missions de chacun et encourager une logique de collaboration entre services qui porte sur le partenariat plutôt que sur le relais... Pour une meilleure coordination des services Le rapport fait état de multiples éléments de réflexions théoriques par rapport à ces questions, mais présente également des outils pratiques, proposés par d’autres ou élaborés en cours de travail. Notons en particulier une liste des critères utilisés par différents intervenants, qui peut servir de « check-list » lors de l’évaluation d’une situation d’abus sexuel intra-familial, mais qui peut également éclairer les professionnels Confluences n°5 mars 2004 et les familles sur les critères utilisés par les autres, et donc être un outil utile lors des réunions de concertation-coordination. On y trouve également un texte québécois qui tente de faire œuvre de « langage commun » en précisant, voire en concrétisant, les concepts. Il est le résultat d’un travail réalisé par les intervenants eux-mêmes. A partir des articles de loi (déjà définis de manière relativement opérationnelle), ce texte propose des commentaires, des réflexions, des exemples concrets qui permettent à l’ensemble des intervenants d’encore mieux situer leurs actions et de baliser des notions qui, sinon, laisseraient largement place à l’interprétation. On y trouve encore un questionnaire, proposé par Cirillo2, pour faciliter la démarche de concertation, ainsi qu’un document appelé « continuum des comportements à caractère sexuel » permettant de différencier les situations. SOS Parenfants est une asbl active depuis 20 ans dans l’aide et le soutien aux enfants en situation de maltraitance et à leur famille. Elle reçoit des enfants, leur famille mais également des professionnels confrontés à de telles situations. SOS Parenfants, c’est aussi une équipe anténatale dont l’objectif est de prévenir la maltraitance auprès d’enfants à naître. L’équipe est pluridisciplinaire (assistantes sociales, psychologues, juriste, médecin généraliste et pédopsychiatre). Elle est reconnue et subsidiée par la Communauté française via l’ONE. Structures permanentes de concertation-coordination Enfin, le rapport mentionne également plusieurs hypothèses relatives à des stratégies d’interventions cohérentes entre services. Chacune d’entre elles propose la mise en place de structures permanentes de concertation-coordination sur le modèle « horizontal » du travail en réseau, et ce sur 3 niveaux : le niveau des intervenants médicopsycho-sociaux, le niveau du SAJ, du Parquet Jeunesse et de SOS Enfants, et le niveau des juges de la jeunesse, du SPJ et de l’équipe SOS Enfants. Les intervenants-clés du réseau namurois qui ont été rencontrés dans le cadre de cette recherche avancent une série de priorités. Notamment, la nécessité de différencier les interventions des uns et des autres et de clairement identifier les services qui peuvent évaluer, aider et intervenir dans ces situations. Ils pointent aussi la nécessité de coordonner la gestion de ces situations. Cette fonction de «fil rouge» pourrait être assumée par une organisation spécifique au niveau des intervenants médicopsycho-sociaux, par le SAJ ou par le Parquet Jeunesse. Ils recommandent d’adopter des modalités de travail qui permettent une intervention rapide. La notion d’urgence à laquelle il est souvent fait référence doit être entendue ici comme l’engagement rapide d’un service ou d’un professionnel qui va se préoccuper de la situation de l’enfant et de ses proches et non dans le sens de prendre des mesures dans l’urgence3. Cette intervention se concrétise via une organisation spécifique au niveau des intervenants. Enfin, ils proposent de développer une logique de partenariat plutôt qu’une logique de relais. Ceci suppose que les intervenants se centrent conjointement et collectivement sur la situation d’un enfant plutôt que de se passer le témoin. Cette logique de partenariat est nécessaire et bénéfique aux situations d’abus sexuels intra-familiaux. Elle permet de gagner du temps, de partager les compétences spécifiques des uns et des autres dans l’analyse de la situation et dans la construction des mesures d’aide. Des structures de concertation-coordination permanentes peuvent favoriser la mise en place d’un partenariat entre les différents niveaux sans devoir passer la main en situation d’échec. Dans cette perspective, il est nécessaire que chaque intervenant soit et reste conséquent avec son éthique professionnelle. Conclusion Le rapport de la recherche-action contient un schéma qui modélise l’ensemble de ces propositions. Faisant suite à l’accord qui s’est dégagé avec les intervenants-clés du réseau namurois, il propose un dispositif à trois niveaux : 1.xUne coordination-concertation au niveau des services médicopsycho-sociaux (MPS) prenant en charge les situations d’abus sexuels intra-familiaux. A ce niveau, il s’agirait d’abord d’identifier parmi les partenaires du réseau ceux qui sont spécialisés dans l’évaluation et le traitement des abus sexuels. Ensuite, il reviendrait à ceux-ci de préciser les modalités de leurs collaborations inter-institutionnelles. 2.xLa mise sur pied de la coordination-concertation SAJ/SOS ou autre service MPS (approche clinique) d’une part et d’autre part, la coordination-concertation SAJ/Parquet Jeunesse/SOS ou autre service MPS (approche clinique). Dans cette perspective, nous soutenons l’idée qu’un criminologue soit engagé au sein du Parquet Jeunesse pour faire le lien entre ce Parquet Jeunesse et les services d’aide. 3.xLa coordination-concertation SOS (ou services cliniques)/ SPJ/Juges que nous n’avons pu approfondir, mais qui mérite de l’être à l’avenir. Il manque effectivement une instance de coordination-concertation à ce niveau. Nous pensons qu’il serait utile d’y adjoindre le Parquet Jeunesse. Enfin, d’autres pistes sont encore envisagées (personne ou service référent, consultation-permanence). Nous pensons que la mise en œuvre de ces différentes propositions permettrait d’atteindre au mieux la cohérence recherchée, autour d’un double objectif : celui d’assurer à l’enfant des soins et/ ou une protection dans des délais satisfaisants et celui de repérer, toujours dans un délai satisfaisant, l’intervention qui optimalise les potentialités de changement pour l’enfant et/ou ses proches. Il est possible de recevoir, gratuitement, sur simple demande, ce rapport par courrier électronique ou d’en recevoir la version papier moyennant participation aux frais d’envoi. Trois documents sont disponibles : le rapport complet (170 p.), le résumé (40 p.), la conclusion (14 p.). Infos : SOS Parenfants Rue Saint Nicolas, 84 bte 6 5000 Namur S 081 22 54 15 - 4 081 23 06 89 [email protected] 1 Recherche-action initiée par le SAJ de Namur, réalisée avec le soutien du Ministère de la Communauté française – Direction générale de l’Aide à la jeunesse, menée en 2003 par Françoise Dorange, juriste, Béatrice Houdmont, psychologue et Marc Minet, coordinateur de SOS Parenfants. 2 Document distribué lors de la journée d’études du 18 septembre 2003 : « Quand les intervenants se mettent à table... » organisée par le Centre Liégeois d’Intervention Familiale (CLIF). 3 Même si celles-ci ne sont pas à exclure d’emblée. Confluences n°5 mars 2004 5 L’outreaching Dispenser les soins psychiatriques dans le milieu de vie naturel des personnes : une pratique encouragée aujourd’hui par les autorités fédérales. Elle s’appuie sur une approche globale… Un élément qui n’est pas à négliger dans un contexte qui a voulu nous habituer, ces dernières années, à une approche plus mono-symptomatique ou parcellaire. Il est très intéressant de relever que ce concept soit proposé, aujourd’hui, à la pédopsychiatrie, et cela de façon expérimentale. Quelques échos des projets-pilotes en cours. Francis Turine Directeur du Centre de psychiatrie infantile Les Goélands C omme bon nombre de références aujourd’hui, celle de l’outreaching nous vient de l’Amérique du Nord. La revue « Santé mentale » de septembre 2002, dans un article intitulé « L’approche intégrée anglo-saxonne » nous donne une définition de l’outreaching dans le cadre de la problématique de la prise en charge des doubles diagnostics ayant un lien avec la toxicomanie. Nous pouvons y lire : « L’approche « outreach », au fond assez proche de celle du secteur à la française, vise à dispenser les soins dans le milieu de vie naturel des personnes (leur domicile ou celui de la famille, un parc, un restaurant, un refuge pour sans abris …) plutôt qu’à l’hôpital ou à la clinique ». La proposition de l’autorité fédérale a donc été, chez nous, de retenir 11 projets-pilotes1 qui ont 6 débuté en 2003 et se poursuivent cette année. Force est de constater que cette « permission de sortie et de circuler » donne des idées diverses et intéressantes, permet des initiatives qui ne manquent pas d’inventivité ; elles donnent matière à réflexion quant au fonctionnement parfois trop rigide et contraignant de nos règlements hospitaliers. Un premier constat : selon que le projet s’initie d’un service K, d’un service de pédiatrie ou d’un service dépendant d’un service K mais déjà agissant « hors les murs », selon qu’il se crée à partir d’un hôpital universitaire ou d’un petit service K indépendant, la conception, l’organisation, la réalisation de l’outreaching varie. La population atteinte par ces projets pilotes varie donc de l’un à l’autre. De plus, tous les projets mis en action, évoluent au fil des situations rencontrées. Les hypothèses de départ ne se vérifient pas nécessairement sur le terrain. De nouvelles questions apparaissent… Pourrait-on avancer que la pédopsychiatrie y découvre ses lettres de noblesse? Le réseau et le rapport aux autres services L’outreaching interpelle d’un regard nouveau la question des réseaux car les interventions de l’équipe mobile permettent de tisser ou de renouer un certain fil rouge entre les structures institutionnelles. Cela favorise donc une plus grande continuité sans négliger les scansions nécessaires à Confluences n°5 mars 2004 toute évolution humaine. Cependant, les réseaux varient sensiblement d’une Province à l’autre ; il y a les obédiences théoriques qui sont diversifiées mais l’offre des services varie fortement d’un coin de la Belgique à un autre, la réalité socio-économique n’est pas identique, la densité de la population est très variable. Dans certaines équipes, également, le psychiatre se rend à domicile, ce qui est un peu une nouveauté. La source des demandes Certains projets se sont constitués en vue de répondre exclusivement à des demandes intrahospitalières, tels que les services d’urgence ou le service de pédiatrie. D’autres projets s’organisent autrement et offrent un type d’intervention différent aux structures extérieures telles que les centres de guidance, les écoles, une institution médico-pédagogique ou le Juge de la Jeunesse. L’incidence de l’outreaching sur les hospitalisations Il semble qu’il faille rester très nuancé et réservé à ce sujet. Certaines interventions ont pu sans doute éviter une hospitalisation comme certaines autres ont pu faire en sorte qu’une hospitalisation indiquée, mais refusée ou crainte jusqu’à présent par un jeune et sa famille, finisse par être acceptée et réalisée. De plus, pour diminuer sensiblement le nombre d’admissions en hôpital, il faudrait très sensiblement renforcer les moyens des intervenants en traitement ambulatoire car celui-ci devrait être intensif. Dans certains cas également, l’existence du service d’outreaching a permis de raccourcir la durée de l’hospitalisation car un suivi à domicile était à disposition. A quelle population s’adressent les projets pilotes d’outreaching ? Quelques projets se destinent exclusivement à de jeunes enfants de 0 à 6 ans et les autres aux enfants de 0 à 18-19 ans. Pour les tous jeunes bébés, l’outreaching permet un travail sérieux au niveau de la relation mère-enfant avec des interventions en famille, à la crèche, en pouponnière ou en maison maternelle. Certains reçoivent des demandes pour des grands adolescents ou jeunes adultes de 18 ans à 21 ans. Certains relèvent même que ceux-ci sont surtout envoyés par le médecin de famille. Plusieurs équipes notent que la population atteinte est une population qui, ne fût-ce que temporairement, ne pourrait pas être atteinte autrement, soit que le mal-être est à ce point non situé qu’aucune demande ne peut être formulée, soit que l’isolement social et géographique est tel qu’il y a un repli sur soi. L’intervention à domicile est parfois aussi l’occasion de réaliser que le problème pointé chez l’enfant est la pointe de l’iceberg de problèmes familiaux. Les pathologies pour lesquelles l’intervention de l’équipe mobile est sollicitée, sont diverses : troubles psychiatriques graves, ruptures scolaires de longue durée, troubles de la relation entre la mère et l’enfant, troubles psychiques doublés de problèmes sociaux graves… La durée de l’intervention et les modalités d’intervention de l’équipe mobile Certains envisagent ce type d’intervention comme un engagement thérapeutique à part entière et estiment que l’on ne peut pas prévoir la durée de l’intervention, de la relation car on ne peut pas interrompre la relation transférentielle sans précaution, ni perspective. D’autres inscrivent leur action comme « temporaire », limitée dans une durée de plus ou moins trois mois, dont l’objectif est de faire en sorte que les services proposés par l’équipe mobile permettent à l’enfant ou l’adolescent de retrouver une place dans une structure ou un service existant. Dans ce cas, l’outreaching ne serait pas un service supplémentaire mais un facilitateur de telle sorte que les services présents dans le réseau puissent fonctionner et être réutilisés par le patient et sa famille. Quant aux modalités d’intervention, certaines équipes se limitent à quelques interventions réparties sur une période plus ou moins courte telle qu’une intervention tous les 15 jours ; d’autres voient leur action de manière plus intensive de telle sorte que le jeune et sa famille sont rencontrés plusieurs fois par semaine. Certains projets pilotes limitent leur action à un rayon de plus ou moins 25 kilomètres estimant que les services rendus par l’équipe mobile seront d’autant plus pertinents qu’elle connaît bien les intervenants et institutions du réseau de proximité. D’autres, comme certains hôpitaux universitaires interviennent dans un rayon beaucoup plus vaste en fonction de l’origine des patients hospitalisés. De nombreuses interventions se font par paires d’intervenants. L’équipe de l’outreaching Chaque équipe dispose de 2,25 ETP soit, normalement, un psychologue et un infirmier psychiatrique à temps plein et un pédopychiatre à quart temps. La gratuité des soins Jusqu’à présent, l’expérience pilote de l’outreaching ne prévoit pas d’intervention financière de la part des patients. En faudrait-il une ? Certains relèvent que pour certaines personnes recevant la visite de l’outreaching, le fait de préparer une tasse de café et de présenter un biscuit est déjà un signe d’engagement. C’est évidemment à prendre en compte. On peut remarquer aussi que dans certains cas, le simple fait de venir à domicile, une fois, permet à la personne - se sent-elle reconnue par cette visite ? - de se déplacer ultérieurement jusqu’au service adéquat. En conclusion La découverte de nouvelles situations psycho-sociales, l’incertitude quant aux réponses à proposer, la liberté de moduler les interventions au fil des relations cliniques, sont autant de perspectives pouvant ouvrir sur un horizon d’interventions psycho-socio-thérapeutiques dans un contexte ayant dépassé les cloisonnements dont le champ de la santé mentale souffre encore trop souvent. 1 En Wallonie, cela concerne le service K du « Domaine » à Braine-l’Alleud, le service K de « la Clairière » à Bertrix, le service E de la clinique « SaintJoseph » à Mons, le service E du CHR de Huy et le service K « les Goélands » à Spy. Confluences n°5 mars 2004 7 Les patients, majeurs et vaccinés ? Oui, pardi… ! Et cela semblait assez clair lors du premier colloque de la LUSS, le 28 novembre dernier à Wépion. Cette journée, organisée par les patients, pour les patients et les professionnels de la santé, a illustré l’importance d’un dialogue positif et constructif entre les différents acteurs de la santé, patients compris cette fois ! Micky Fierens Directrice de la Ligue des Usagers des Services de Santé (LUSS) R encontrer « l’autre » ailleurs que dans un cabinet médical fut apprécié par chacun. L’occasion se présente somme toute assez rarement de se voir, de se parler, autrement que dans une relation où l’un est malade, en demande et en souffrance, et l’autre en bonne santé, dans le cadre de son travail et prêt à apporter une solution. L’objectif de la journée était clairement énoncé depuis le départ : quand les patients parlent de leur vécu, de leurs expériences, leur point de vue apporte un autre éclairage sur les services de santé. Ce point de vue est complémentaire de la perception qu’en ont les professionnels ou les décideurs politiques. Car, si des témoignages – bien réels, bien concrets – ont illustré les difficultés de la vie quotidienne de beaucoup de patients, il a également été démontré que les patients sont aussi des partenaires dignes de ce nom, capables 8 d’analyser le système de santé en Belgique et bien plus responsables qu’on ne le laisse croire. La journée s’est déroulée en plusieurs temps, alternant témoignages et réflexions, mettant l’accent sur l’expérience et le point de vue du patient. Des stands réservés aux associations de patients ont permis de mieux visualiser le rôle qu’elles jouent. Les Ministres de la Santé de la Région wallonne et de la Communauté française ont précisé la place qu’ils accordent au patient. Thierry Detienne a fait part du budget consacré au soutien du mouvement associatif (enveloppe multipliée par cinq en quatre ans), et cité quelques projets qui ont vu le jour grâce aux associations de patients, soutenues et aidées financièrement par la Région wallonne. Nicole Maréchal a souligné l’importance du soutien moral apporté par les associations aux patients, qui y trouvent informations et réconfort. Elle a d’autre part précisé qu’il est crucial d’impliquer les patients dans les programmes de santé, et ce depuis le départ, comme cela a été le cas lors de la mise sur pied de la campagne de dépistage du cancer du sein pour les femmes de 50 à 69 ans. Les patients vont également avoir leur place au Conseil Supérieur de la Promotion de la Santé. Les participants, patients, professionnels de la santé, représentants de Mutuelles ou du monde politique, étudiants et autres personnes intéressées par la santé, se sont ensuite retrouvés dans les ateliers, où la réflexion se faisait en groupes de +/- 25 Confluences n°5 mars 2004 personnes. Des sujets importants y furent abordés : la loi sur les droits du patient, la place du patient, les problèmes liés à l’information, la relation soignant-soigné et la participation du patient, la perception de la qualité des soins, l’aide nécessaire pour les personnes en moins bonne santé, la mondialisation et la privatisation des systèmes d’assurance… On a pu comprendre l’importance et la pertinence d’un dialogue entre les différents acteurs de la santé, y compris les patients, en confrontant les différentes manières de voir les services de santé, que chacun ne connaît que d’une manière partielle. Les participants ont aussi pu découvrir plus concrètement les objectifs et champs d’action des associations présentes. Beaucoup de contacts ont été noués et, là aussi, les professionnels ont pu se rendre compte que ces groupes d’entraide représentent pour eux un relais supplémentaire, complémentaire et non concurrentiel. Autre temps fort : les témoignages filmés. Une douzaine de personnes atteintes de pathologies différentes expliquent, chacune à leur manière, les difficultés de la vie quotidienne quand une maladie s’installe, les coûts parfois exorbitants qu’elle entraîne, ou décrivent la relation avec leur médecin et les autres intervenants de la santé… le tout n’a pris qu’une quinzaine de minutes, mais ce fut un moment intense et édifiant. Il y a tellement de choses qui ne se disent jamais… Autre témoignage poignant et édifiant, celui de Christine Decantère qui nous parle des troubles obsessionnels compulsifs et de l’aide qu’apporte une association de self-help aux personnes atteintes de ce trouble. Elle illustra longuement la difficulté qu’ont ces patients de communiquer avec les professionnels, les traitements peu adaptés ou très onéreux qui rajoutent des barrières supplémentaires et difficilement franchissables pour nombre d’entre eux. Après un bref exposé sur le rôle que joue la Ligue des Usagers des Services de Santé en tant que relais entre les patients, les professionnels et les décideurs politiques, la place est laissée au débat, en présence des représentants des 3 Ministres de la Santé. Beaucoup de choses intéressantes ont été dites, bien trop pour être énumérées ici. On peut en retenir que bien des préoccupations sont partagées par les patients et les professionnels : le manque d’informations, de moyens, de reconnaissance, de formation, les difficultés de communication … La loi sur les droits du patient a été longuement discutée et notamment le service de médiation, dont l’indépendance doit absolument être garantie. D’autres pistes ont été évoquées : réunir certaines associa- tions au sein de la LUSS (celles concernées par des problèmes génétiques, par ex.), assurer une représentation des patients dans les instances où les décisions se prennent (à l’INAMI, par ex.), assurer une information objective, non-commerciale, pour les médecins (un site internet officiel, par ex.), garantir la pérennité de notre système de sécurité sociale et limiter les pouvoirs des assurances privées… et puis trouver le moyen de mieux informer les patients, surtout ceux qu’on ne voit jamais et qui n’osent pas poser de question. Infos : Ligue des Usagers des Services de Santé - LUSS Rue Muzet, 32 - 5000 Namur S 081/ 23 50 98 Le carrefour des usagers Le 7 mai 2004, à Eben-Emael, aura lieu « Le carrefour des usagers » en santé mentale. Il est organisé par l’asbl Together en collaboration avec l’asbl Psytoyens. François Wyngaerden - IWSM Depuis une dizaine d’années, l’association d’usagers «Together» de Vottem, organise « le Carrefour des usagers ». Cet évènement a la particularité d’être entièrement construit par les usagers, pour les usagers. Pendant une journée, ils sont, chaque année, plus d’une centaine à se réunir pour discuter, échanger, débattre ou partager un moment de détente. Sur base des réflexions des Comités d’usagers de différentes structures de l’AIGS (Association Interrégionale de Guidance et de Santé), Together détermine un thème qui servira de fil rouge aux débats de la journée. Des thèmes tels que « La qualité de vie, une attitude active » ou « Usagers-professionnels, pour un autre regard », ont déjà été abordés. En 2004, cette rencontre aura une dimension régionale. Le but sera de rassembler des usagers venant de tous horizons, de tous les coins de Wallonie et même d’ailleurs pour un brassage d’idées et d’échanges encore plus large. Pour y arriver, Together s’associe à l’asbl Psytoyens, qui réunit plusieurs groupes d’usagers en Région wallonne. Le thème de cette année s’articulera autour de la notion de citoyenneté. Le mot « citoyen» évoque l’intégration dans la société, la possibilité d’être actif et utile, la participation, l’égalité des chances. Etre citoyen, c’est se sentir libre, considéré et respecté, pouvoir faire des choix sans que d’autres ne les fassent à notre place. Mais la citoyenneté n’est pas une liberté totale, il y a toujours des limites : celles, évidentes, qu’impose le fait de vivre ensemble et celles dues à la maladie ou au regard de l’autre. La question de la citoyenneté est donc double. D’un côté, elle amène les usagers à se demander : « Comment est-on considéré ? », « Quelle place nous donne-t-on ? » ; et de l’autre : « Comment se consi- dère-t-on ? », « Quelle place sommes-nous prêts à prendre ? ». Ainsi, l’objectif 2004 sera de réfléchir entre usagers, à la citoyenneté, à la liberté et à ce qui limite les choix et les activités dans la vie de tous les jours. Il s’agit d’essayer de cerner ces limites et leurs origines (la société, la souffrance ou la stigmatisation), pour ensuite tenter de comprendre l’action que les usagers peuvent avoir sur elle, individuellement et collectivement. Vaste programme, qui prendra tout son sens dans une vraie rencontre des diversités lors du carrefour des usagers. Les organisateurs invitent donc tous les usagers quel que soit leur type de vécu, thérapeutique ou institutionnel, à venir les rejoindre ! Les professionnels de la santé mentale peuvent être d’une aide appréciable pour faire circuler l’information dans leur service et soutenir la participation des usagers intéressés. Infos : Together asbl, c/o Comité d’Usagers du Centre de Réadaptation Fonctionnelle de Vottem S 04/227.35.35 Psytoyens asbl S 081/23.50.91 - [email protected] Confluences n°5 mars 2004 9 Une autre façon de travailler en psychiatrie Rencontre avec le Siajef Christiane Bontemps – IWSM Chaque usager a un référent qui le soutient en lien avec ses ressources personnelles (celles Le Siajef fait partie d’une UPI. Celle-ci correspond au territoire de référence (plus ou moins 200.000 hab. en zone urbaine) pour penser l’organisation de l’aide et des soins. On peut y trouver l’ensemble des services de 1ère, 2ème et 3ème lignes nécessaires pour rencontrer les besoins en partenariat. (voir schéma) La première ligne correspond au SIAS (le Siajef par ex.). Il y en a un par DSS (+/-1/35.000 hab. en ville). Celui-ci couvre une zone à parcourir à pied en 20 minutes environ. En deuxième ligne, on trouve des services un peu plus pointus, par ex. des services d’insertion socio10 L On n’a pas tous les jours 20 ans ! Pour le Siajef, c’est l’occasion d’ouvrir ses portes, qui, il faut le dire, sont rarement fermées. Rencontre avec Alex Neybuch, militant de la 1ère heure, et son coéquiper Olivier Croufer. Ensemble, ils coordonnent le travail d’une équipe qui cherche à rendre les soins en santé mentale accessibles à tout un chacun, même - et surtout - aux plus démunis. Un projet pensé et construit progressivement au fil de ces deux décennies… e Siajef est un « Service intégré d’aide et de soins psychiatriques dans le milieu de vie (SIAS) ». Son travail s’organise autour des principes d’intégration, de territorialité, d’approche communautaire et de lutte contre l’exclusion. Actif en toute première ligne, il propose une aide et des soins de base aux personnes en détresse psychiatrique ou psychosociale. On y passe pour recevoir ses médicaments, venir en consultation, échanger une seringue, demander un rendez-vous, régler un problème administratif, chercher son argent de poche, prendre une douche… ou simplement pour parler. professionnelle, comme Article XXIII qui regroupe un ensemble de mini-entreprises: SCB (secrétariat, graphisme, multimédia), Col Revers (Confection assistée par ordinateur), Les métiers du bâtiment, le Cheval bleu (restauration), … Celles-ci sont ouvertes le temps qu’il faut, sur base contractuelle, à des stagiaires issus du Siajef ou d’autres services de 1ère ligne de l’UPI. On y trouve aussi des lieux d’insertion socioculturelle, comme Revers, qui proposent des activités culturelles, de loisirs, artistiques,… La troisième ligne prévoit l’aide urgente et les lits résiduels d’hospitalisation au sein du SAHU. Confluences n°5 mars 2004 de son entourage et ses propres compétences) et en coordination avec les autres intervenants (à l’interne ou à l’extérieur) qui s’occupent de sa situation. C’est lui qui l’accompagne dans la vie quotidienne et qui veille à rencontrer ses besoins à tout niveau. Travailler dans une dynamique de santé Le travail du Siajef s’inscrit dans une logique de santé. Celle-ci implique d’abandonner un modèle de soins centré exclusivement sur la maladie et la médecine. Elle correspond plutôt à une logique territoriale et de réseau qui permet de prendre en compte les déterminants de la santé, tels le logement, les ressources finan- D.S.S. : District Socio Sanitaire (4 à 6 D.S.S. par Unité Psychiatrique Intégrée.) S.I.A.S. : Service Intégré d’Aide et de Soins psychiatrique dans le milieu de vie. S.A.H.U. : Service d’Accueil Hospitalier d’Urgence. cières, la formation, la participation à l’activité économique et à la vie culturelle, … Cette logique suppose donc d’implanter les services au sein de la communauté, en pensant leur organisation et leurs missions en rapport à la population et aux ressources existantes sur le territoire local. Pour changer les logiques, il faut changer les habitudes… Il est donc nécessaire de faire de la résistance et de sensibiliser la population et les intervenants sur les alternatives et sur l’intégration dans le milieu de vie. Entrer dans une logique de santé implique aussi, pour le Siajef, de rompre avec des logiques trop dichotomiques du type ‘absence/ présence’ de maladie. La santé est un équilibre dynamique qui fait alterner périodes d’affaiblissement et d’amélioration. Le système de santé devrait permettre d’accompagner des trajectoires qui intègrent la gestion des incidents ponctuels dans un parcours de vie et de soutenir des sujets en tant qu’acteurs de leur propre existence et de leur devenir. Tenter de répondre aux problèmes de santé mentale des usagers de la psychiatrie passe aussi et plus globalement par un changement de dynamique de la société vis-àvis de ces/ses citoyens. Au delà des paroles : les actes Dans cette dynamique, très concrètement, travailler au Siajef, c’est mettre l’accent sur l’accueil et l’analyse de toute demande, que celle-ci soit formulée par la personne elle-même, par son entourage ou par un partenaire du réseau. Se mettre au service de la santé mentale de la population sur son territoire, c’est aller à la rencontre des gens, de ceux qui expriment une demande qui n’est pas toujours explicite…et de ceux qui n’en formulent pas… L’objectif de l’équipe est de mettre en place, chaque fois que c’est possible, des soins ou un accompagnement dans le milieu de vie. Près de 150 personnes sont ainsi suivies en permanence (En 2003 : la file active comptait en moyenne 139 personnes). Même dans des situations graves et complexes, le traitement peut s’envisager à domicile, pour autant qu’un intervenant puisse passer plusieurs fois par jour au chevet de la personne. Les suivis intensifs, justifiés pour ¼ de la population en 2003, correspondent à plusieurs interventions par jour (soit 220 contacts en moyenne par mois par usager pour cette catégorie de patient). Le travail s’appuie sur une équipe de 17 personnes : éducateurs, assistants sociaux, sociologues, psychologues, criminologues, médecins… qui se répartissent le travail en fonction de leurs compétences mais aussi et surtout en fonction des différentes tâches à assurer. Il s’appuie aussi sur les ressources de la personne : famille, voisins, médecin généraliste, aides familiales, administrateurs de biens, centres de formations, ….Il s’appuie enfin sur les autres équipes inscrites sur le territoire. Un partenariat est établi avec une série de services sélectionnés en fonction des objectifs : soins de santé, urgence, services sociaux, logement, emploi, culture, psychiatrie, …. Il faut sortir d’une pensée « autour de la maladie », en s’intéressant à la personne et pas uniquement à ses problèmes. Les activités proposées, tiennent compte de ses compétences. 1ère ligne, Au delà des soins de le Siajef a progressivement créé un dispositif de services d’inser- tion socioprofessionnelle et puis socioculturelle. Au départ, la volonté était d’aider les usagers à s’intégrer dans les structures existantes. Pour certains, c’est possible... Mais pour la plupart d’entre eux, un temps de passage par un cadre plus structurant est nécessaire… De plus, en termes d’emploi, le taux de chômage étant important, les circuits habituels ne sont pas particulièrement ouverts aux personnes fragilisées…De même, en termes d’activités, il existe, bien sûr, des propositions intéressantes dans la région, mais il y a un problème d’accessibilité. Elles ne sont pas adaptées au public. Le système mis en place par le Siajef est ouvert à tout le monde, à tout moment. Il a donc été nécessaire de penser des ateliers de ce type parce qu’ils n’existaient pas. Le principe est de combler les lacunes, et puis de créer des liens. Une place pour les usagers Une place est réservée dans ce dispositif aux usagers qui se réunissent dans un conseil d’action communautaire. Ce conseil porte une réflexion sur le fonctionnement du service ainsi que sur la communauté. Il s’agit d’un temps de confrontation travailleurs/ usagers pour améliorer les actions du service vis-à-vis du public et des partenaires. Pour en savoir plus, ne pas manquer les temps forts du XXème anniversaire… de ce projet qui tient la route depuis 20 ans et qui aujourd’hui débouche sur des propositions bien concrètes d’organisation des soins en santé mentale. A suivre… Infos : Siajef - asbl Revers 18 rue Maghin, 4000 Liège S 04 227 68 76 - 4 04 227 68 76 [email protected] - www.revers.be Confluences n°5 mars 2004 11 Cartes blanches Financement de l’hospitalisation partielle Les modalités de financement des soins de santé témoignent incontestablement des orientations de politique. L’évolution récente des perspectives de financement des hospitalisations partielles a fait frémir le secteur… Alain Weyers Directeur général du C.H.P. Le Chêne aux Haies Plate-Forme Picarde de Concertation pour la Santé Mentale On le sait, les divers indices hospitaliers (A, T et K) déclinent deux modalités de prise en charge selon que l’hospitalisation s’avère complète ou partielle. Dans ce dernier cas prévaut une grande souplesse. Seule est réglementée la durée journalière de la présence du patient, alors qu’est laissée à l’appréciation des parties la fréquence hebdomadaire des jours ou des nuits d’hospitalisation. En effet, l’hospitalisation partielle peut être de jour ou de nuit, avec une très nette prévalence statistique de la forme diurne. Qui ne voit que l’hospitalisation partielle s’inscrit aisément dans les nouveaux paradigmes de la politique en matière de soins psychiatriques. Désinstitutionalisation, maintien du patient dans son milieu de vie, réhabilitation sociale, réinsertion dans la trame de la cité, …, voilà 12 12 autant d’objectifs dont l’hospitalisation partielle peut s’accommoder, de manière variée, en fonction des inspirations diverses qui sous-tendent ses pratiques. Sans doute le dispositif normativo-financier existant (taux d’encadrement en personnel, honoraires médicaux, …) n’at-il jamais vraiment encouragé son développement. Jusqu’au jour récent (janvier 1999) où est revu le financement de l’hôpital psychiatrique via, notamment, l’instauration de nouvelles normes d’activités. Désormais, estil édicté, un taux d’occupation des lits complets à 80% suffit à garantir la perception de 100% du budget ; pour les lits partiels, le taux est fixé à 56%. N’est-ce là pas un signe d’encouragement tangible qui ne relève pas seulement d’effets de rhétorique ? C’est en ce sens que le nouveau dispositif de financement est perçu par une partie des institutions concernées … Jusqu’à l’adoption, en section « Financement » du Conseil National des Etablissements Hospitaliers, il y a quelques mois, d’une mesure dite «technique» qui présuppose que le taux d’occupation requis en indices partiels n’est pas, contrairement aux apparences, de 56% mais bien de 80%, comme pour les lits complets. A coup sûr, les textes sont ambi- Confluences n°5 mars 2004 gus et disent le noir et le blanc. Il n’en reste pas moins que le poids des mots, en l’occurrence, se mesure aussi en chiffres de poids, tant rétroactivement que prospectivement. Rétroactivement, puisque les révisions de prix des exercices 1999 et suivants amputeraient les budgets de manière très significative par l’application de la règle précitée. Prospectivement, puisque la reconversion de certains établissements psychiatriques se fondait sur l’équation : «lit partiel = 56% de taux d’occupation». Au travers de l’élément financier se joue, en fait, une orientation de politique de soins. Cette dernière, heureusement, a été considérée dans le sens escompté. En concertation avec l’administration du Service Public Fédéral concerné, le choix a été arrêté de favoriser les prises en charge via les indices partiels. Dorénavant, en effet, l’hospitalisation partielle sera normée en matière d’activités en fonction des jours effectifs de prestation, à savoir les jours de semaine hors week-end. Si la mesure est budgétairement neutre pour le pouvoir fédéral, elle n’est pas sans incidence sur l’étoffement des dispositifs de prise en charge hospitaliers et des mises en réseaux dans le secteur des soins de santé mentale. Le spectre autistique ? ... J’en ai peur ! Certains échos laissent entendre que nous approchons du point d’orgue d’une valse triste à trois temps, valse à laquelle de trop nombreux « danseurs et musiciens » n’ont pas été conviés. La coda de cette composition semble faire apparaître l’aboutissement d’un mouvement tenace et exclusif, surgissant dans une impressionnante cacophonie collective ! Conseil d’Institution du Centre de Psychiatrie Infantile Les Goélands (Spy) F. Cuche, N. De Vreese, B. Geets, M. Lefebvre, Dr. M.-L. Meunier, Dr. N. Poolen, F. Turine Premier temps : 1997, le rapport de la Fondation Roi Baudouin sur la problématique de l’autisme en Belgique1. La rédaction très tendancieuse de ce rapport, malgré la participation de nombreux « experts » universitaires et parentaux, ne prend quasi nullement en compte ce que de très nombreux professionnels ayant une approche psychodynamique réalisent quotidiennement auprès d’autistes depuis 30 ans. Dénigrement avéré de ce que sont ces mêmes professionnels qui ont été, faut-il encore le rappeler, les premiers à s’intéresser à l’autisme en Belgique. Ce rapport affirme de manière quasi exclusive que la seule intervention adaptée aux autistes est la méthode orthopédagogique TEACCH ! Silence. Le deuxième temps annonce, avec la déclaration de la Ministre Alvoet2, la création de centres de référence pour autistes. A ce sujet, dans une intervention très pertinente, le Dr André DENIS, président du groupe de travail « Troubles Envahissants de Développement et santé Publique », défendait de manière précise et nuancée, au nom des « groupes enfance » des plates-formes de concertation3, une opposition à de tels centres si, parmi de nombreux autres arguments, leur création se faisait sans concertation ni dialogue préalables avec les institutions et les professionnels concernés. Il y formulait également un soutien possible à de tels centres s’ils se destinaient à la recherche et à la formation, réunissant les différentes orientations et approches théoriques et scientifiques. Force est de constater que cette prise de position n’a nullement été prise en compte ; la seule réponse a été la tactique du silence, du faire le mort, d’arrangements sous le manteau. Silence. Aujourd’hui, le troisième temps risque d’être celui du fait accompli… Le texte de convention entre les «centres de référence pour les troubles du spectre autistique» (sic) et l’Inami est sur le point d’être finalisé. L’adoption d’un élargissement des troubles autistiques à un spectre autistique y est affirmée, officiellement, sans que cela fasse débat. On avance l’appellation de «troubles du spectre autistique» comme on parle de troubles du langage ! Ainsi, la conjonction de la détermination de quelques parents, de l’opportunisme de certains universitaires et de la soumission des autorités à des croyances scientifiques outreatlantiques renforce un constat de politiques à la petite semaine et sans aucune vue d’ensemble. Pause. En cette période où les Ministres nous parlent de politique de soins intégrés, où l’on nous prie de réfléchir et de nous préparer aux circuits et réseaux de soins, où l’on prône la concertation, où sont organisés des dialogues de la santé, où les Autorités modifient les plates-formes de concertation en y intégrant, notamment, les centres conventionnés avec l’Inami (qui ont quelque connaissance quant à ce que autisme veut dire) et enfin où la Région wallonne soutient la création d’un Institut Wallon pour la Santé Mentale, nous déplorons – et le terme est très faible – que, lorsqu’il s’agit de prendre une décision dont l’incidence sur le terrain peut être grande, les structures existantes ne sont nullement interrogées. Dans le même temps, Madame Maréchal, Ministre de la Santé de la Communauté française annonce, « au nom du développement des connaissances » (sic) mais sans concertation avec les intervenants de terrain, sa décision de reconnaître, prochainement, l’autisme comme catégorie de handicap à part entière ; cette décision renvoyant ainsi la réalisation financière d’une telle mesure à l’Awiph qui manque déjà cruellement de moyens financiers ! A cela s’ajoutent aussi nos difficultés, vu la réduction catastrophique d’institutions ouvertes le week-end, à trouver une réorientation pour des jeunes, notamment autistes, dont la famille est « hors circuit » (n’en déplaise au développement des connaissances, cela existe aussi). Et bien d’autres choses … Enfin, nous découvrons - surréalisme suprême ! - l’annonce d’un colloque, organisé sur le thème : « les personnes autistes à la conquête de leurs droits » ! L’autisme, déformé par le spectre dont certains veulent à tout prix l’affubler, l’autisme, par l’intermédiaire de ses promoteurs, envahit. Il envahit par ses revendications et ses exclusions à la manière d’un virus informatique ou impérialiste ; l’autisme envahit le monde de la santé, de l’éducation, de l’enseignement, des soins, de l’intégration sociale et de la santé mentale. Chaque citoyen a des droits, c’est le propre de toute société. Mais quand on met ainsi à l’avant plan la question des droits, on ne peut pas, en démocratie, la dissocier de celle des devoirs. Le spectre autistique ? Mais qu’y at-il donc derrière ? Nous ne sommes pas rassurés ! 1 « L’Autisme. Rapport sur la problématique de l’autisme en Belgique » . (Fondation Roi Baudouin – 1997) 2 « La Psyché, le cadet de mes soucis » Note de politique relative aux soins de santé mentale (2001) 3 « Les Plates-formes de concertation pour la santé mentale Wallonie-Bruxelles fêtent leurs 10 ans ». Actes de la matinée de réflexion. Vendredi 26 octobre 2001. Confluences n°5 mars 2004 13 In-Folio - Infos A pointer parmi les nouveautés du centre de documentation In-Folio continue à mettre à votre disposition un ensemble de périodiques, de rapports d’activités, d’ouvrages et de livres de référence en santé mentale... Dernièrement, ce fonds documentaire s’est doté de nouvelles acquisitions. Certaines ( présentées ici en gras) sont en lien avec le dossier : « Le travail social en santé mentale ». A lire, à découvrir pour poursuivre les réflexions en cours... Bernardet P., Douraki T., Vaillant C. Psychiatrie, droits de l’homme et défense des usagers en Europe Ramonville-Saint-Agne, Erès, 2002, coll Etudes, recherches, actions en santé mentale en Europe Clément P. La Forteresse psychiatrique Paris, Flammarion/Aubier, 2001 Delbrouck M. Le Burn-out du soignant : le syndrome d’épuisement professionnel Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2003, coll. Oxalis Duchêne J., Delfosse M., Delville J. & coll., Ethique et handicap mental, Namur, PUN, 1997, coll. Psychologie Dufort F., Le Bossé Y., Boucher K. Agir au coeur des communautés : la psychologie communautaire et le changement social Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2002 Dutoit-Sola M., Deutsch C. Usagers de la psychiatrie : de la disqualification à la dignité : l’advocacy pour soutenir leur parole Ramonville-Saint-Agne, Erès, 2001, coll. Etudes, recherches, actions en santé mentale en Europe Ehrenberg A., Lovell A. La Maladie mentale en mutation : psychiatrie et société Paris, Odile Jacob, 2001 Frankard A.-C., Renders X. La Santé mentale de l’enfant : quelles théories pour penser nos pratiques? Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2004, coll. Oxalis Hardy-Baylé M.-C., Bronnec C. Jusqu’où la psychiatrie peut-elle soigner ? Paris, Odile Jacob, 2003 Henrard J.-C. Les Défis du vieillissement : la vieillesse n’est pas une maladie ! Paris, La Découverte et Syros, 2002, coll. Société et santé Jaeger M., Bauduret J.-F. Rénover l’action sociale et médico-sociale Paris, Dunod, 2002, coll. Action Sociale 14 Confluences n°5 mars 2004 Joubert M. Santé mentale, ville et violence Ramonville-Saint-Agne, Erès, 2003 Kovess V. Epidémiologie et santé mentale Paris, Flammarion Médecine-Sciences, 1996, coll. Psychiatrie Laplanche J., Pontalis J.-B. Vocabulaire de la psychanalyse Paris, PUF, 2002, coll. Quadrige Leclerc A., Fassin D., Grandjean H. & coll. Les Inégalités sociales de santé Paris, La Découverte et Syros, 2000, coll. Recherches Leman J., Gailly A. Thérapies interculturelles : l’interaction soignant-soigné dans un contexte multiculturel et interdisciplinaire Bruxelles, De BoeckWesmael, 1991, coll. L’Homme/L’Étranger Louzoun C. Santé mentale : réalités européennes Ramonville-Saint-Agne, Erès, 1993 Maisondieu J. Liberté, égalité… psychiatrie Paris, Bayard, 2000 Pidolle A., Thiry-Bour C., Droit d’être soigné, droits des soignants Ramonville-Saint-Agne, Erès, 2003 Porot A. Manuel alphabétique de psychiatrie, Paris, PUF, 1996 Swain G., Gauchet M. Dialogue avec l’insensé précédé de A la recherche d’une autre histoire de la folie Paris, Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines, 1994 Tousignant M. Les Origines sociales et culturelles des troubles psychologiques Paris, PUF, 1992, coll. Psychiatrie ouverte Vercauteren R., Predazzi M. Loriaux M. Pour une identité de la personne âgée en établissements : le projet de vie Ramonville-Saint-Agne, Erès, 2001 Valla J.-P., Bergeron L. L’Epidémiologie de la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent Paris, PUF, 1994, coll. Nodules dossier Le travail social en santé mentale A ujourd’hui, plus que jamais, s’interroger sur les pratiques du travail social en santé mentale s’avère d’une grande pertinence et d’une bouillante actualité d’autant plus que le champ de la santé mentale a toujours été un révélateur du social. Le travail social a pour mission d’être le garant de la réalité sociale, autant pour la personne en demande bio-psycho-sociale que pour les interventions des travailleurs psycho-médico-sociaux. L’identité des acteurs, les pratiques et le sens du travail social sont ébranlés par les mutations contemporaines du lien social, du champ de la santé mentale et de la psychiatrie moderne. On parle de déliaison, de rupture des liens, de désaffiliation liée entre autres à la précarisation, de délégitimisation du lien social… Le champ de la santé mentale a vu apparaître avec le « langage du moi » du XIXème siècle, à côté des maladies mentales, des souffrances psychiques caractérisées par la sémantique du for intérieur et des profils cliniques qui sont, ou que nous diagnostiquons, de plus en plus polymorphes. La psychiatrie moderne voit le démantèlement des structures hospitalières au profit du développement des structures intermédiaires et ambulatoires psycho-médico-sociales et une explosion des métiers et professions travaillant dans le secteur. Dans ce dossier, travailleurs sociaux, sociologues, psychologues, médecins, psychiatres et usagers s’interrogent sur la manière de réinventer un travail social adapté à la réalité d’aujourd’hui. Luc VAN HOUTRYVE Psychiatre au Service de Santé Mentale La Pioche et à l’Hôpital du Grand Hornu. 15 La santé mentale, champ pertinent de l’action sociale Le champ de la santé mentale est devenu un secteur particulièrement pertinent pour étudier les évolutions en matière d’aide sociale et d’intervention sur les personnes. Didier Vrancken Professeur de sociologie à l’ULG Directeur du Centre de Recherche et d’Intervention Sociologique (CRIS) L’« explosion » du champ de la santé mentale T out d’abord, lorsque l’on se penche sur l’évolution institutionnelle du secteur de la santé mentale, on constate que ce dernier n’a cessé d’évoluer au cours des années. Secteur capable d’innover à travers des réformes, certes, mais encore de s’étendre à des questions et à des thématiques qui, à l’origine, ne relevaient pas spécifiquement du secteur que l’on qualifiait alors de « psychiatrique ». Ainsi, des thématiques plus récentes, telles que la maltraitance, la toxicomanie, la formation, l’insertion socio-professionnelle, l’aide précoce, l’aide aux jeunes en difficultés, l’aide aux victimes et aux justiciables, l’accompagnement, la bio-télévigilance, les soins psychiatriques à domicile, etc. ont-elles fait leur apparition. On pourrait, certes, montrer que cette évolution va de pair avec la réforme des lits hospitaliers psychiatriques qui a très largement consisté en une fermeture des lits au profit de services 16 Lionel Lehanse, atelier du C.R.F. du Club André Baillon extra-hospitaliers. Mais la rationalisation du secteur hospitalier psychiatrique n’est pas un facteur suffisant pour expliquer à lui seul cette formidable évolution qui met aujourd’hui les intervenants bien en difficultés lorsqu’il s’agit de définir et de limiter exactement ce que l’on entend par « champ de la santé mentale ». On ne peut d’ailleurs s’empêcher une comparaison : l’évolution du champ de la santé mentale présente de fortes similitudes avec celle du champ de l’action sociale. Tous deux ont été confrontés au cours de ces dernières années à une véritable explosion des métiers et Confluences n°5 mars 2004 Didier Vrancken a co-dirigé avec J. De Munck, J.-L. Genard et O. Kuty une recherche sur la santé mentale : Santé mentale et citoyenneté. Les mutations d’un champ de l’action publique, Bruxelles, Academia Press, 2003, et a récemment publié : Le Crépuscule du social, Bruxelles, Labor, 2002. Il vient de publier avec C. Macquet un ouvrage sur les formes de l’échange : Contrôle social et formes de subjectivation, Liège, les Éditions de l’Université de Liège, 2004. des spécialistes de la santé publique, des anthropologues, des diplômés en communication mais encore en marketing, en comptabilité, en gestion, etc. Santé mentale et action sociale deviennent des lieux d’intervention d’une multiplicité croissante de professionnels qui, au départ, n’étaient pas spécifiquement formés ou destinés au secteur. De cette remarque, on peut retenir deux idées : tout d’abord, un brouillage considérable des repères professionnels d’autrefois et en second lieu un phénomène d’interpénétration (ou de dédifférenciation croissante) des secteurs. Nous avions, pour étayer cette idée, parlé de « mentalisation du social » et inversement de « socialisation du mental ». Produire du social Le constat auquel on parvient aujourd’hui est celui d’un épuisement rapide du mouvement de professionnalisation de l’action sociale. Avec la multiplication croissante des services et des interventions, on assiste à une véritable fragmentation tant des réponses que des métiers. La profession de travailleur social en tant que métier reconnu, portée par des techniques, des savoirs et des codes normatifs communs est en perpétuel questionnement. Le travailleur social ne se définit plus par ses savoirs acquis et dûment certifiés par un diplôme attestant d’une formation reçue. La quête de définition de son travail ne s’opère donc plus en amont mais bien en aval de la pratique. Les travailleurs doivent désormais apprendre à se débrouiller à travers les dédales juridiques et légaux, la quête de financements, la coordination, la connaissance du champ institutionnel local. Le but de l’action sociale n’est plus d’exercer une pression sur l’individu pour le faire rentrer dans des normes préétablies. Il s’agit bien plus de produire du social là où précisément le lien apparaît comme pris à défaut. Produire du social, c’est, dans cette optique, mobiliser l’individu, ses relations, ses ressources, ses aspirations, ses affects, ses désirs pour l’insérer socialement quand la solidarité devient problématique. Les travailleurs sociaux se retrouvent de plus en plus souvent en équilibre précaire sur un fil ténu. Il s’agit alors souvent d’aider la personne à produire du récit pour tenter de rapiécer les éléments épars d’un parcours de vie qui apparaît souvent complexe, éclaté, voire même évanescent aux yeux de l’intervenant souvent confronté à la trame continue de récits de désaffiliation, de perte de liens, de repères et de sens. Se pose, dès lors, avec encore plus de gravité, le problème de la narration. Comment parvenir à raconter, à faire dire et à livrer une histoire...? Jusqu’où raconter et exposer publiquement le récit d’une vie ? Comment faire dire, parfois, l’intolérable sans blesser celui qui expose le poids des meurtrissures qu’il a subies ou qu’il a fait subir à autrui ? Les travailleurs sociaux se retrouvent de plus en plus souvent en équilibre précaire sur un fil ténu. Si la narration du récit a pris tant d’importance aujourd’hui tant au niveau de l’aide sociale, de la psychothérapie ou plus largement dans les sciences sociales, c’est sans doute aussi parce que notre expérience de vie en société a sensiblement évolué. Les individus sociaux (ou les « sujets ») ont changé. Ils se construisent à partir de nouvelles manières d’être et de vivre en société. Et précisément, l’évolution des institutions et des pratiques de santé mentale rend compte de la production de nouvelles figures normatives du sujet, c’est-à-dire, pour le dire plus simplement, de « nouvelles personnalités sociales ». Permettre la mise en récit de la souffrance… On peut avancer que, depuis le XIXème siècle, de nouveaux cadres de description ont vu le jour pour proposer de nouveaux mots à accoler derrière l’action ou pour se décliner comme une personne en souffrance intérieure. Les disciplines qui émergeront alors offriront les catégories permettant l’élaboration progressive Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER des professions intervenant dans le secteur. A côté des traditionnels psychiatres, psychologues, assistants sociaux et paramédicaux sont venus s’adjoindre des criminologues, des sociologues, 17 relatif à l’intime, Ehrenberg souligne que les troubles psychologiques actuels les plus fréquemment observés relèvent de problèmes d’addiction tels que l’alcoolisme ou les toxicomanies, les troubles alimentaires, les abus sexuels, les troubles compulsifs, autant de comportements liés à la dépression. Alors que la névrose était une pathologie de la culpabilité face à la transgression de l’interdit, la dépression est décrite comme une maladie de l’insuffi- Lionel Lehanse, atelier du C.R.F. du Club André Baillon d’une demande sociale ainsi que l’émergence d’une clientèle spécifique. Tout un langage du moi se diffusera à la fin du XIXème et tout au long du XXème siècle par le biais des journaux, des romans, des feuilletons, des magazines, des débats, des conférences, des journées d’études, des thérapies entreprises. Il apprendra aux profanes à mettre des mots derrière la douleur. Une sémantique du for intérieur se diffusera progressivement pour aider à saisir mais … mais aussi questionner la Société qui la produit aussi à décrire et à qualifier les formes de souffrance psychique. Entrée dans notre culture, cette sémantique offrira à tout un chacun l’opportunité de dire et de livrer une part de lui-même, de son expérience subjective. Corroborant cette analyse d’une institution de ce langage social 18 à l’imprévisibilité des marchés et aux aléas de l’existence. En ce sens, le secteur de la santé mentale apparaît donc bien au cœur de ce processus qui a vu peu à peu la diffusion d’un nouveau langage capable de formuler de nouvelles demandes sociales mais aussi d’y répondre. Cette détresse évoluant tant au sein de l’entreprise que de la sphère domestique, trouve à s’exprimer grâce au langage psycho-relationnel et à toute une « grammaire de l’intérieur » largement diffusés pour permettre la mise en récit de la souffrance. Cette tendance se traduit encore par une augmentation du nombre de consultations dans un champ professionnel et institutionnel de la santé mentale qui ne cesse de s’étendre pour rencontrer les attentes grandissantes des populations. sance, du vide et de l’incapacité à agir dans une société qui survalorise l’action. La dépression peut être comprise comme une réponse à l’injonction constante que produisent l’entreprise mais aussi les conditions modernes de la vie en société : être soi, flexible, compétent, connecté, inventif, actif et réactif pour faire face Confluences n°5 mars 2004 Mais ces problèmes sont souvent lus et traités sur un mode privé, en tant que problèmes particuliers et individuels alors qu’ils livrent énormément de choses sur les dynamiques de nos sociétés et sur nos formes de souffrance sociale à travers lesquelles les individus s’expriment. Ce dont il faut rendre compte aujourd’hui, c’est du fait que l’individu ne se construit pas tout seul et n’est pas seul à vivre de tels types de problèmes. Il s’agit de rendre compte de leur dimension sociale à l’heure où, précisément, le social n’est plus un donné mais devient une exigence qu’il faut sans cesse rappeler, invoquer. Psychiatrie et travail social : de la confrontation à la coopération Marcel Jaeger Directeur de l’Institut Régional du Travail Social Montrouge / Neuilly-sur-Marne L’ actualité de la psychiatrie publique est faite d’une baisse spectaculaire du nombre de lits d’hospitalisation et du basculement d’un nombre croissant de « patients » vers des structures sociales et médico-sociales, que ce soit pour des projets d’insertion ou pour des prises en charge plus adaptées et souvent moins coûteuses que l’hôpital (maisons d’accueil spécialisées, foyers...). On peut comprendre que les professionnels de la psychiatrie y voient une dissolution administrative de la maladie mentale dans le handicap, qu’ils vivent ce changement sur le mode de la perte, et même qu’ils perçoivent, dans les institutions médico-sociales, sous une forme quasi hallucinatoire, le fantôme de l’asile d’autrefois. Ils croient souvent se préserver de ce danger en concevant des structures sociales et médicosociales dont ils conserveraient la gestion, tout en préservant leur culture sanitaire. A l’inverse et de manière symétrique, du côté du secteur médicosocial, on a vu se développer la crainte des effets non maîtrisables d’une immigration institutionnelle de malades mentaux, des intrusions du monde hospitalier, et ceci d’autant que la psychiatrie a une très mauvaise image de marque. Rappelons-nous la campagne de publicité haineuse de l’acteur Michel Creton pour qui l’hôpital psychiatrique n’avait rien à envier aux camps de concentration ou le fantasme d’un contrôle social généralisé de la société par la psychiatrie. Cette double inquiétude en miroir est fondée sur une méconnaissance réciproque très grave et tout à fait dommageable aux enfants, adolescents et adultes qui ont à la fois besoin de soins et d’un accompagnement social et éducatif. Car la réalité de chacun de ces deux mondes a heureusement beaucoup évolué. Encore faut-il que chaque camp l’admette, accepte de découvrir l’autre, ce qui est la moindre des choses quand on s’occupe de personnes en difficultés... C’est d’ailleurs grâce à ces dernières que les rencontres se développent, rappelant ainsi dans le quotidien qu’il vaut mieux penser les modalités d’une prise en charge à partir du sujet dans sa globalité, plutôt que de procéder à l’inverse, en partant des clivages institutionnels. “ Tenir compte, par-delà leurs logiques propres, de la réalité complexe et instable des besoins des personnes en difficultés “ Il est en effet essentiel de penser des réponses ajustées à des besoins multiples, mouvants, qui excèdent les grandes catégories de populations touchées par l’exclusion sociale avec, souvent, un mélange de difficultés économiques et sociales, d’anxiété, de dépression, de dépendances plus ou moins pathologiques. En l’occurrence, le besoin de soins psychologiques ne signe pas l’existence d’une maladie mentale et il n’y a aucune raison de psychiatriser la souffrance existentielle. Encore faut-il pouvoir répondre à des situations de détresse, de dégradation de la santé, et pour cela favoriser la combinaison des interventions de travailleurs sociaux et d’équipes psychiatriques. Marcel JAEGER est infirmier psychiatrique, licencié en philosophie, docteur en sociologie et diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Il est l’auteur de L’Articulation du sanitaire et du social, Dunod, 2000 et co-auteur, avec Jean-François Bauduret, de Rénover l’action sociale et médico-sociale : histoires d’une refondation, Dunod, 2002 Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER Les modes de coopération entre le travail social et la psychiatrie de service public sont de natures très diverses selon les endroits et selon les personnalités des interlocuteurs : indifférence mutuelle dans certains cas, mépris, voire agressivité réciproque dans d’autres, mais de plus en plus recherche de synergies et efforts pour travailler ensemble. En fait, derrière cette diversité d’attitudes, deux niveaux d’analyse doivent être distingués, selon que l’on parte d’une logique d’institution ou de préoccupations plus proches des personnes qu’il s’agit d’aider¹. 19 20 La rencontre obligée de deux mondes Pour la plupart, les travailleurs sociaux comme les soignants sont de plus en plus confrontés à des personnes aux besoins complexes et fluctuants. De fait, ces professionnels ne peuvent, seuls, gérer des situations qui relèvent, dans de nombreux cas d’une pluralité d’actions. Contrairement à l’idée qui fonde l’ensemble de notre dispositif de protection sociale, il faut faire le deuil des supposées populations-cibles. D’abord parce que les mouvements des personnes en difficultés s’accélèrent entre les institutions, voire dans leurs marges. Ensuite, parce que les profils « cliniques » sont polymorphes : des intrications et des balancements entre des difficultés familiales, sociales et économiques, des perturbations psychologiques qui relèvent parfois de la psychiatrie, des déficiences diverses aussi bien physiques que mentales. Les leçons commencent à en être tirées, en France, par la Protection judiciaire de la jeunesse et par les instituts de rééducation, en première ligne avec des populations « impossibles ». Le Samu social² et le Réseau national Souffrance Psychique et Précarité³ (RNSPP) aussi. Mais le phénomène le plus intéressant est le mouvement de fond qui traverse toutes les structures, à savoir la recherche de 20 partenariats formalisés par des conventions de mises en réseau entre des équipes de secteur psychiatrique et des institutions sociales et médico-sociales. Certes, l’évolution des pratiques ne se résume pas à la signature de conventions. Le travail en réseau suppose que les différents professionnels de chacune des filières (infirmiers, médecins, psychologues, éducateurs spécialisés, assistants de service social, enseignants...) se connaissent, apprennent à travailler ensemble, coordonnent leur action autour de projets communs. centres de formations sociales et éducatives d’autre part, soit des actions de formations continues pluri-professionnelles, comme cela se fait dans certaines régions pour l’application de la loi de lutte contre les exclusions. Cela va bien sûr de pair avec la nécessité de former des professionnels aptes à saisir les muta- “ Sortir du corporatisme sans perdre son âme “ S’il faut un cadre réglementaire pour pérenniser les collaborations et dépasser les seules empathies entre différents intervenants, il importe surtout que soit pensée la question de la coordination des actions (création de référents coordonnateurs ou appropriation de cette fonction par le professionnel qui a le premier contact ?), que les niveaux de travail en commun soient parlés et sans cesse interrogés, que la rencontre soit aussi celle de cultures différentes, donc que des formations transversales soient mises en place : soit des collaborations pour les formations initiales entre les instituts de formation en soins infirmiers et d’aides soignantes d’une part, les Confluences n°5 mars 2004 Roberta LUCCIOLLI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon Les dispositifs psychiatriques, sociaux, médico-sociaux doivent donc avancer vers des modes de coopération qui tiennent compte, par-delà leurs logiques propres, de la réalité complexe et instable des besoins des personnes en difficultés. tions en cours, à intervenir dans des dispositifs sociaux nouveaux, à faire évoluer les pratiques. En clair, sortir du corporatisme sans perdre son âme... Pari difficile, mais tenable et tenu aussi bien Les formations muns, mériterait d’être mise en chantier de manière plus active. Ceci concerne non seulement les professionnels de la psychiatrie et de l’action sociale, mais aussi ceux de la médecine générale, de la justice, de la jeunesse et des sports, de l’éducation... Les débats toujours présents entre les travailleurs sociaux et les soignants ont des racines anciennes. Ils remontent à la naissance de ce qu’il a été convenu d’appeler le « travail social », à propos de la question de l’assistance sociale et éducative, complémentaire ou antinomique des prises en charge hospitalières. La compréhension de la nature des difficultés des personnes est également différente, selon que l’accent est mis sur l’histoire individuelle et l’organisation de la vie psychique, ou bien sur les effets pathogènes ou thérapeutiques du milieu social, familial, professionnel. Les rencontres de différentes catégories professionnelles ou les passages de l’une à l’autre doivent se faire sur fond d’identités claires. S’il existe des compétences transversales qui se heurtent à l’émiettement des formations, il existe aussi des blocs de compétences que l’on ne Les formations aujourd’hui ne peuvent s’envisager sans tenir compte du travail en réseau. Il en va de même des bénévoles qui contribuent à certaines initiatives. Il importe donc d’aider à la construction d’un langage commun et à la mise en synergie des savoirs, des expériences. La « transférabilité » des compétences d’un secteur à un autre implique également de réfléchir aux ajustements nécessaires et possibles entre les pratiques. De ce point de vue, une organisation modulaire des formations qualifiantes, avec des troncs com- saurait dissoudre dans une confusion nuisible à tous, à commencer par les usagers. La difficulté majeure n’est pas dans la transmission de savoirs constitués ; elle est dans l’apprentissage de la capacité, d’une part à travailler en commun, d’autre part à passer la main quand il le faut, en fonction des mandats qui sont confiés aux uns et aux autres, et du sens que cela peut avoir pour les personnes aidées ou accueillies. Lionel Lehanse, atelier du C.R.F. du Club André Baillon Les textes législatifs et réglementaires, les conventions plus ou moins impulsées par l’Etat peuvent contribuer à dépasser les cloisonnements, ne serait-ce que pour réaliser des «économies d’échelle». En aucun cas cela ne pourra suffire si les acteurs de terrain et les décideurs ne sont pas convaincus qu’il s’agit d’abord de faire face à des personnes aux difficultés multiples, instables, transitoires et pour lesquelles le passage de témoin s’impose et s’imposera de plus en plus. Conclusion Comment penser aujourd’hui une articulation entre le secteur sanitaire et le secteur social qui ne soit pas une instrumentalisation de l’un par l’autre et réciproquement, et donc qui soit supportable, au minimum, par les différentes catégories professionnelles ? La seule façon de tenter de surmonter les résistances des deux bords est d’impulser une réflexion sur les statuts, mais aussi sur les qualifications et sur les compétences. Inévitablement, cela suppose de repenser les formations, à la fois en termes d’adaptation à l’emploi et en opérant une projection sur les besoins à venir. ¹Cet article se réfère à la situation en France. ²Le Samu Social de Paris a été créé en 1993 pour aller à la rencontre des SDF qui, dans la rue, paraissent en détresse physique ou sociale. Il gère le 115 (numéro national d’urgence et d’accueil pour les sans-abris). ³Au départ d’une cellule de coordination entre services psychiatriques et le Samu Social de Paris, ce réseau, créé en avril 1998, vise à préparer l’approche globale des personnes vivant dans la grande exclusion. Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER par des infirmiers que par des éducateurs spécialisés, même s’il faut bien un minimum de traîtrise à son camp. 22 « Comment en dire assez sans en dire trop ! » La particularité de la formation au métier de travailleur social est de transmettre des savoirs qui articulent repères théoriques et méthodologiques, analyse de l’expérience et surtout recherche de sens. Oser la relation à l’autre en souffrance, s’ouvrir au sens non commun, ces défis quotidiens se posent tout particulièrement pour le secteur de la santé mentale. Nathalie Gérard et Nathalie Mahieu1 Professeurs à la Haute Ecole Charleroi Europe Institut Cardijn - Louvain-La-Neuve Santé mentale, un aspect important du travail social M ultiples sont les lieux dans la formation des futurs travailleurs sociaux qui abordent les questions liées à la santé mentale, sans que ces lieux ne soient spécifiquement désignés et destinés à ce « champ » de manière exclusive. 22 Notre principal objectif de formation, dans le cadre du cours de psychopathologie2 se veut de construire avec les étudiants une attitude clinique et des repères dans les situations de rencontre avec des personnes en souffrance psychique. Evidemment dans les lieux «désignés» tels3 mais aussi dans tout autre secteur, aide à la jeunesse, justice, santé, services sociaux généraux, CPAS….où inévitablement les situations de détresse, de précarisation, de fragilisation sociale côtoient, révèlent ou initient d’autres problématiques et ont des impacts qui s’expriment en terme de santé : santé physique et/ou santé psychique, à côté et en sus des autres impacts d’ailleurs. Les problématiques s’entrechoquent. Des repères pour une approche de la souffrance Notre souci de formateur est de brosser le plus réalistement le paysage de la santé mentale, de fournir des repères les plus compréhensibles possibles pour que les étudiants deviennent des partenaires professionnels pertinents et engagés auprès de personnes peu reconnues dans leurs besoins de réalisation, dans leur demande d’exister comme elles le peuvent, avec des attentes de devenir (pourquoi en serait-il autrement ?). Comme travailleur social, il y a autant à pouvoir être en relation, à reconnaître l’autre comme sujet dans sa différence qu’à réfléchir et construire des modes d’intervention, à initier des lieux, à défendre avec eux des droits, des espaces publics de vie, des espaces de reconnaissance, à construire une position professionnelle qui se situe du côté de la révélation des besoins et qui trouve des interlocuteurs à tous niveaux4. Dans la formation des futurs travailleurs sociaux, il nous semble indispensable de développer ce qui nous atteint tous au cœur de notre existence, la question du sens, de la fonction des symp- Confluences n°5 mars 2004 tômes, de ce que représente la souffrance sans qu’elle ne soit connotée du côté du normal ou du pathologique. “ Faire lien entre les personnes en souffrance, leur réalité et les ressources extérieures “ Tant dans notre pratique de l’exercice du métier5 que dans l’accompagnement des étudiants réalisant des stages dans ce champ, nous constatons que selon le type d’institution d’une part, selon son orientation théorique, d’autre part, le rôle des AS (Assistants Sociaux) est soit très spécifique, soit tout à fait a-spécifique, quand il n’articule pas les deux. Là où son rôle est démarqué des autres formations, son travail s’inscrit dans l’interface entre l’intra et l’extra muros6, le premier vécu comme protecteur, le second souvent perçu comme insécurisant. Interlocuteur des différents partenaires, il est le lien entre les personnes en souffrance, leur réalité institutionnelle et les ressources extérieures à mobiliser. Il sera également amené à faire preuve de connaissances et de compétences «techniques» susceptibles de dénouer les situations administratives, juridiques, financières les plus complexes (Mutuelle, INAMI, CPAS, FOREM, syndicats, créanciers…). Une formation spécialisée dans l’approche généraliste Qualifiés et reconnus comme professionnels de première ligne, généralistes dans leur aptitude requise à pouvoir saisir la complexité, les AS reçoivent tous les publics, avec toutes leurs demandes. Ils se trouvent régulièrement aux premières « loges » des situations problématiques qu’elles soient formulées par les personnes elles-mêmes ou par d’autres instances. Ils interviendront, en position principale, dans les demandes de reconnaissance de droits, d’accès à tel statut, à des ressources financières, à un logement, à une orientation vers une structure adéquate… ce qui constitue l’essentiel de la survie… Dans les lieux spécialisés, ils interviendront en seconde ligne et auront à prendre en compte et à clarifier les situations identifiées comme « insolubles » tant ces « usagers particuliers » requièrent la compréhension des « résistances » qui les empêchent de s’inscrire dans des modalités « habituelles » de fonctionnement social. Ou parce que ces modalités mêmes d’inscription sociale sont « résistantes » à pouvoir s’adapter à eux. Partenaire au sein d’une équipe pluridisciplinaire dont la composante prépondérante est « psy », l’assistant social joue un rôle essentiel dans l’analyse et la compréhension des situations rencontrées de même que dans l’élaboration des modes d’accompagnement proposés. Il est garant du principe de réalité à travers l’éclairage social qu’il apporte pour appréhender et comprendre le vécu et la demande des usagers. Il est là pour rappeler qu’un sujet en souffrance est aussi un être social qui s’inscrit dans un réseau socio-familial plus ou moins développé, qui a un niveau de vie plus ou moins satisfaisant, qui est détenteur ou non d’un emploi,… “ L’essentiel du travail social repose sur la relation “ La souffrance est indissociable de la réalité sociale dans laquelle elle s’enracine et c’est au travailleur social d’y être attentif et d’y sensibiliser ses collègues. Quelle que soit la nature de son rôle, l’essentiel du travail social reposera sur la relation, moteur d’une perspective d’intervention possible, d’un changement potentiel pour ceux qu’il rencontre. Dans ce sens, une des dimensions fondamentales du travail social en santé mentale concerne la place occupée par la parole de l’usager sur laquelle l’assistant social va prendre appui pour concevoir ses interventions. A la différence de ses collègues « psy1», ce que l’usager dépose comme parole ici et maintenant n’est pas objet des interventions de l’AS mais son support. Il ne s’agit pas de « mettre au travail » une parole et ce qu’elle révèle mais plutôt de l’entendre et de la prendre en compte comme une ressource indispensable, fil conducteur du projet de l’usager. Pourtant la tentation est parfois grande pour les travailleurs sociaux de recourir à des méthodes et à des langages « psy » comme si ceux-ci étaient plus crédibles que les leurs. La dérive est tout aussi grande pour les AS de se laisser strictement inspirer par la « commande médicale », plus forte de la reconnaissance d’une légitimité scientifique. Approche méthodologique résolument individuelle, centrée sur le sujet… là où il y aurait aussi à penser lien, réseau et communauté de vie, quartier, commune,… Non que les professionnels n’intègrent pas dans leur pratique la recherche de construction d’un réseau mais il reste timide… ; les pratiques sont peut-être encore trop peu créatrices et innovantes. Et c’est au détour de ces réalités, de la réalité que les AS ont à jouer leur plus grand rôle… De la connaissance des institutions existantes, mais pas seulement… Sortir des sentiers battus…pour accéder aux réalités du quotidien, aux petites choses qui n’ont l’air de rien mais qui sont autant de conditions indispensables pour se sentir intégré à son espace de vie : les voisins, les commerçants, le propriétaire, l’accueil des services au téléphone, les bus et les trams, les lieux publics qui faciliteront ou non la reconnaissance, la nécessité d’être considéré comme humain, vivant malgré tout, avec la différence… Les AS ont à se préoccuper de tous ces aspects de liaison, d’inscription des personnes, qui sont principalement en difficultés dans la création de liens. Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER Lorsque son rôle est «a-spécifique», il devient alors, au même titre que les autres professionnels, socio-thérapeute, référent ou répondant, « travailleur social » au sens large. Son expertise ne sera plus tant utile à sa pratique d’intervention mais sera essentiellement reconnue comme ressource pour l’analyse des situations (en réunion d’équipe par exemple). 23 L’apprentissage d’un métier difficile Comment en dire assez sans en dire trop De notre point de vue, une des principales difficultés rencontrées par les AS en santé mentale8 réside dans le fait d’être dans l’inaction, dans un temps long, ressenti parfois comme immobile et peu changeant… C’est un défi… quant à une représentation du métier qui vise à apporter du changement, du soulagement et des pistes concrètes d’action avec les publics. Ici, construire la demande se révèle parfois plus importante que de la réaliser. Alors, pour en revenir au titre « comment en dire assez sans en dire trop » à l’issue de cette brève exploration, il mérite Autre difficulté, les AS, comme d’autres professionnels sûrement, sont quelquefois « perdus » dans les approches théoriques de la santé mentale et de la maladie mentale, dans les conceptions de l’origine des troubles comme dans les axes psychothérapeutiques et pharmacologiques. De nombreux savoirs s’y additionnent sans être facilement accessibles, sans toujours être rendus accessibles et sans qu’ils s’avèrent sûrs ! Comme s’il existait une certaine magie à pouvoir exercer dans ce champ. Les jeunes professionnels s’y lancent avec leur bon sens, et découvrent des réalités insoupçonnées à partir desquelles ils commenceront à construire leur expérience. La thérapie (dont l’inscription dans le social) relève de l’art et de la technique, mais aussi des savoirs cumulés, capitalisés et transmis, et de l’expérience. Les AS se trouvent souvent confus dans l’approche diagnostique, non d’un diagnostic posé sur, mais dans l’élaboration d’un diagnostic dynamique susceptible d’éclairer et d’orienter leurs interventions. 24 24 Lionel LEHANSE, atelier du C.R.F. du Club André Baillon quelques explications. Comme formateurs, nous nous posons constamment la question de la rigueur, de la précision et du mode de transmission des « savoirs ». Dans l’abord du champ de la santé mentale, il nous parait important de veiller à être précis dans la description des hypothèses étiologiques, en présence des courants thérapeutiques et de leur fondement, en « valorisant » les contributions de chacun à l’amélioration des conditions de vie des personnes. Notre principal défi est d’inviter les étudiants à la réflexion, de leur proposer de situer le rôle qu’ils auront à « jouer », de déconstruire les représentations construites voire les préjugés, d’éviter d’énoncer des discours qui enferment plus qu’ils n’ouvrent sur la recherche de sens. Il nous tient à cœur de les amener à construire leur attitude professionnelle sur des repères théoriques et cliniques argumentés. Confluences n°5 mars 2004 “ Un savoir-faire ne s’enseigne pas comme tel mais se construit lors de l’expérience “ Dans le même sens, en tant qu’enseignants, nous devons être attentifs à ne pas participer à l’étiquetage, à la stigmatisation des publics « fragilisés » tout en proposant une analyse aussi fine que possible des besoins, des pistes concrètes et des initiatives qui permettent de répondre à des situations à tout le moins estimées problématiques pour les personnes elles-mêmes. Enfin, une attitude, un savoir-faire ne s’enseigne pas comme tel mais se construit lors de l’expérience… Ces découvertes, chaque étudiant aura à les faire… Ces rencontres, il devra les oser… 1 Professeurs, Maîtres assistants, chargés du cours de psychopathologie et de méthodologie du travail social, et Maîtres de formation pratique chargés de l’encadrement des stages, à la Haute Ecole Charleroi Europe, Institut Cardijn, à Louvain-La-Neuve. 2 Très bref cours de 25 heures en deuxième année, mal intitulé jusqu’à ce jour. 3 Les étudiants, futurs travailleurs sociaux sont amenés à réaliser des stages dans les trois années de formation. Les lieux de stage spécifiques à la santé mentale sont soit les unités de psychiatrie en hôpital général, soit les hôpitaux psychiatriques, soit les structures intermédiaires que sont les habitations protégées, les centres de jour, les communautés thérapeutiques…, soit les services de santé mentale ou les structures alternatives ou encore les lieux de coordination… 4 Nous soutenons en effet, dans notre Institut, que l’intervention en travail social requiert une approche intégrée par la complémentarité des approches et des analyses micro, méso et macro sociales. En cela, le travail clinique doit être relayé auprès d’autres acteurs institutionnels et politiques. 5 Nathalie Mahieu et Nathalie Gérard ont toutes deux des expériences professionnelles en santé mentale, HP, SSM, Services hospitaliers. 6 Nous entendons par intra muros tous les lieux de prise en charge même ambulatoires, et par extra muros, toute la réalité extérieure (famille, réseaux de proches, voisins, et les autres acteurs professionnels). 7 Par « psy », nous incluons psychologues, psychothérapeutes et psychiatres. 8 Principalement dans les prises en charge à long terme, dans les institutions d’hébergement, dans les centres de jour…Sans doute moins en milieu hospitalier, dans les services A où les séjours sont relativement courts et plus centrés vers l’objectif de sortie et de relais. Le Travail Social en Santé Mentale La parole aux acteurs Propos recueillis et mis en forme par Sylvie Gérard et Sylvie Maddison - IWSM Merci à Valérie Bauwens, Isabelle Cammarata, Ingrid Della-Croce, Emmanuelle Demarteau, Francis Garsoux, Claudine Georges, Pascale Hennebert, André Lambert, Marie-Christine Laurent, Martine Lemasson, Françoise Lietard, Fabienne Marescaux, Colette Nigot, Michèle Rohart, Bernadette Serve, Simone Timmermans et Cécile Vassen pour leur contribution à cette réflexion. Le travail social L a notion de « travail social » diffère sensiblement d’un endroit à l’autre, en fonction de l’institution où il s’exerce, de l’équipe dans laquelle il s’inscrit, de la région dans laquelle il se pratique. L’identité du travailleur social pose parfois question. L’appellation même de « travailleur social » peut interpeller. Concerne-t-elle seulement l’assistant social ou recouvre-t-elle un ensemble de professions ? La multiplication 25 des métiers dans le champ de la santé mentale est telle qu’elle laisse à penser que chacun, quel que soit son cursus scolaire, peut, à un moment, se consacrer un peu plus ou un peu moins à l’écoute et à l’aide. Quelles sont, en la matière, les limites à ne pas franchir ? Où s’arrête la fonction de l’un, où commence celle de l’autre ? Fautil « saucissonner » les interventions de chaque professionnel par peur de faire tous un peu la même chose ou mal certaines choses ? Le travail en réseau peut-il répondre à cette crainte des doublons et contribuer à créer Confluences n°5 mars 2004 Cet article s’appuie sur des échanges avec 17 travailleurs sociaux inscrits dans le champ de la santé mentale. La plupart d’entre eux ont une formation de base d’assistant social ou d’infirmier social avec, dans certains cas, une formation complémentaire de thérapeute. Certains de nos interlocuteurs ont accepté de nous rencontrer, d’autres nous ont adressé un témoignage écrit ou ont été interviewés par téléphone. Quelle que soit la formule, les échanges ont porté à la fois sur l’identité et le rôle du travailleur social ; sur la particularité de cette fonction dans le cadre de la santé mentale ; sur l’apport du travail en équipe, du travail individuel ou communautaire et sur le sens qui peut être donné à leur fonction. La synthèse proposée n’est bien sûr pas exhaustive. Elle ne prétend rendre compte ni de la complexité des situations, ni de la richesse des rencontres. Elle nous autorise toutefois à pointer ça et là des points de vue qui nous ont semblé éclairer le thème du dossier et amener une réflexion sur le rôle et la place des intervenants sociaux en santé mentale. Merci à ces intervenants pour leurs témoignages qui permettent de lever un petit coin du voile sur cette part incontournable du travail en santé mentale et de cerner un peu mieux ce que recouvrent leurs réalités. Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER Qui sont les travailleurs sociaux en santé mentale ? Quels sont leurs rôles et comment s’exerce concrètement leur profession ? Une quinzaine de travailleurs sociaux, inscrits dans différents cadres de travail (hospitalier, intermédiaire ou ambulatoire), ont accepté, pour ce dossier, de nous livrer ce qui fait leur quotidien, ce qui nourrit leurs réflexions, leurs questions. Quelles que soient les divergences et les questions soulevées, les professionnels interrogés s’accordent tous à dire que le travailleur social est un intervenant incontournable en santé mentale. Une perle rare, serait-on même tenté d’ajouter, tant la profession requiert des qualités qui sont autant liées à la formation, à l’expérience qu’à la personnalité du travailleur social. Bien plus qu’un métier, il s’agit d’une vocation ! En voici une brève présentation étayée par quelques extraits choisis de ce qui se dit et se vit sur le terrain. 25 un langage commun où la personne, l’usager, serait vu dans sa globalité ? Bon nombre de travailleurs sociaux le pensent. D’autres s’interrogent. Pour être acceptés, certains se spécialisent et se font « plus psy ». Certains y voient le témoignage d’un malaise, d’autres, un excellent moyen de se doter d’outils nécessaires pour répondre à la spécificité du travail en santé mentale. Certains viennent « déposer leur fardeau » une fois par mois, les uns viennent faire état des démarches qu’ils ont faites ou doivent faire et qui leur font parfois peur, les autres viennent chercher un soutien pour des difficultés administratives, d’autres encore ont besoin d’un soutien par la parole… Profil d’une fonction Un public spécifique Chez lui, il fait bon s’arrêter un instant, s’asseoir, discuter, être entendu, conseillé, aidé, orienté. C’est aussi, parfois, le début d’un projet de vie que l’on peut timidement mais sûrement élaborer. Le travailleur social est un professionnel de l’écoute. Il est amené à comprendre les demandes explicites et implicites de la personne qui vient le consulter. C’est d’ailleurs ce qu’il répond généralement quand on l’interroge sur la spécificité de sa fonction. Les mots-clés qui reviennent régulièrement sont : écoute, formation continue, travail d’équipe, travail de réseau, bon sens,… S’il n’est pas toujours outillé de manière suffisante au sortir des études, une de ses compétences de base est l’écoute. Il doit pouvoir interpréter, traduire et analyser ce qui lui est dit et recouper l’ensemble de ces informations. Dans un premier temps, il s’agit de cerner au plus près la situation d’ensemble de la personne afin d’activer tout ce qui peut l’être pour lui assurer un maximum de bien être. L’aide est souvent immédiate et concrète, en matière, par exemple, de droits sociaux, de recherche de logement, de soins de santé… Dans un second temps, un travail de soutien et d’accompagnement peut se poursuivre avec la personne suivant des modalités qui diffèrent en fonction de l’évolution de la demande et du cadre de travail que peut offrir le travailleur social. 26 Confluences n°5 mars 2004 Joseph LELOUP, atelier du C.R.F. du Club André Baillon Le travailleur social est aux premières loges face aux difficultés, aux détresses et à la marginalité de la société. D’emblée, c’est souvent lui qui accueille et oriente la personne en souffrance. Il est en quelque sorte « la porte d’entrée » du service. La manière dont se définissent le rôle et les compétences du travailleur social est fonction du type de population suivie. Dans le secteur de la santé mentale, cette population est on ne peut plus hétérogène. A côté des personnes qui présentent des problématiques psychiatriques, se rencontrent celles en souffrance affective, relationnelle, existentielle… Générer du changement durable et apaiser la souffrance font partie des spécificités du travail en santé mentale. En santé mentale, vous êtes face à des personnes fragilisées avec un mode de compréhension qui est parfois tronqué, ralenti, transformé, ce qui crée un mode relationnel un peu particulier. Nous déformons tous la réalité, c’est encore plus vrai lorsque l’on est atteint de troubles psychiques. On croit, on déforme, on a mal compris et tout se complique. C’est là qu’intervient à mon sens le travailleur social en santé mentale pour faciliter la lecture des choses et aider la personne à préserver sa citoyenneté. Le travailleur social doit avoir une bonne connaissance des pathologies en santé mentale et des relations qu’elles peuvent induire. Là où une personne déprimée souhaitera accueillir le travailleur social en sauveur mythique, un autre patient qui souffre de paranoïa percevra ses interventions comme menaçantes, voire dangereuses et intrusives. Si quelqu’un avec une personnalité de type abandonnique « s’abandonnera » à son bon vouloir, une autre personne présentant une structure perverse le mettra au défi de ses compétences,… Chaque professionnel a une interaction au niveau de la subjectivité du patient. Ce dernier va se présenter sous plusieurs facettes en fonction de son interlocuteur du moment. Ainsi, une personne peut vouloir trouver un nouveau logement auprès du travailleur social, alors qu’elle expliquera au psychologue qu’elle se sent tout à fait incapable de vivre seule. Le travailleur social est amené à faire entendre la demande de la personne et à l’aider à se resituer comme sujet, acteur de sa vie, de sa citoyenneté. Un travail de réseau Un travail d’équipe Le travailleur social doit avoir une excellente connaissance du champ social, de ses infrastructures, de ses services, des spécificités et des législations en cours pour pouvoir, à tout instant, activer et mobiliser le réseau de la personne en difficultés en gardant à l’esprit son intérêt premier. On pense à l’équipe médico-psycho-sociale avec laquelle le travailleur social collabore directement mais aussi aux services extérieurs, à la famille, aux proches... Mettre un nom sur des visages, connaître les personnes de référence, pouvoir comparer des types de structures afin de veiller à la meilleure orientation possible… Le travailleur social fait lien entre les différentes personnes et institutions concernées par une situation. Le travailleur social ne peut donc pas fonctionner en circuit fermé, il travaille nécessairement en équipe où il occupe une place centrale. Il y relaie l’information, il fait lien, il jette les ponts là où des collaborations sont souhaitées et possibles. Il rend compte de la réalité de l’usager et met tout en œuvre pour encourager son autonomie, sa qualité de vie, en fonction de la réalité de ses symptômes. Tous les travailleurs s’accordent à dire que le travail social est et reste avant tout le travail de toute une équipe. Et de rappeler l’intérêt d’une approche généraliste avec des usagers qui présentent souvent une intrication de problématiques diverses… Les approches respectives des différentes disciplines qui interviennent dans le champ de la santé mentale doivent être correctement identifiées et considérées comme complémentaires, éclairant, pour le patient, l’espace thérapeutique possible. La psychiatrie n’est pas qu’une question de neurologie, elle doit être sociale si elle veut rencontrer les gens dans leur réalité. Il est indispensable que les professionnels se parlent entre eux, fassent état de la lecture plus subjective ou réelle qu’ils font des difficultés rencontrées par la personne, chacun renforçant l’intervention de l’autre. J’ai toujours considéré que le « travailleur social en santé mentale » est, au sein de l’équipe pluridisciplinaire comme au sein du réseau de soins, l’élément porteur d’une vision globale de la situation de la personne, évoquant tour à tour les différents aspects à prendre en compte pour déterminer les orientations à privilégier quant à l’aide à apporter. La formation à la pensée clinique caractérise notre secteur d’activité. Nous sommes porteurs, au sein du réseau, des préoccupations relatives à la santé mentale de la population. Nous sommes aussi garants d’une bonne articulation du « social » et du « psychique » dans le processus d’insertion sociale de la personne. Le travailleur social se situe à l’interface de ces différents mondes. L’identité du travailleur social est parfois mise à mal dans un secteur très ‘psy’ où l’écoute est à la fois pratiquée par les thérapeutes et les travailleurs sociaux mais selon des modalités et des finalités qui diffèrent. C’est ce qui rend ces approches complémentaires. C’est ce qui fait aussi la particularité du travail social en santé mentale. Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER La notion du temps, la peur du changement, les angoisses sont autant d’éléments spécifiques dont il nous faut aussi tenir compte. Quand j’explique à un enfant qu’il a rendez-vous dans une semaine avec le dentiste et que chaque jour, il m’interroge à ce sujet, je me dis que ce n’est pas clair pour lui. Demain ou dans un an, quelle différence ? Pour lui, c’est le futur ! Comment dès lors préparer sa sortie, comment tenir compte de cette notion du temps et des angoisses que peut susciter tout changement ou évènement ? 27 Une formation à reconnaître Une diversité de pratiques Le travail social suppose un savoir-faire et … un « savoir-être ». Si la formation de base ouvre l’esprit, apporte les outils et la déontologie nécessaires, elle ne suffit pas en soi. Des formations continues affinent cette première approche pour répondre au plus près aux réalités du terrain. De même, le travailleur social est appelé à faire preuve de bon sens, de souplesse, de patience, à comprendre ce qui se dit, ce qui se « joue », à continuellement s’adapter, à user de la communication, à s’ajuster en fonction des interlocuteurs. Une bonne collaboration et la considération des collègues sont aussi indispensables pour bien fonctionner. On peut se demander si le travail social en santé mentale est exercé de la même manière en milieu hospitalier, au sein de structures intermédiaires ou en ambulatoire ; si le cadre de travail a une influence sur les missions qui sont imparties aux travailleurs sociaux, et sur leur identité. Pour les professionnels interviewés, il semble qu’il existe bel et bien quelques spécificités mais c’est d’abord et avant tout la politique de l’institution et la personnalité de ceux qui y travaillent qui semblent donner sens au travail social. En milieu hospitalier Il est important, bien sûr, au-delà du graduat de base, de se former pour mener à bien ce travail de soutien. Il est difficile de concevoir les choses autrement, mais nous ne devenons pas psychothérapeute pour autant. Je pense que cette fonction sociale a vraiment son sens. Quand nos collègues nous interpellent, ce n’est pas en termes de bottin social, on n’a pas besoin de nous pour ça. Ce qu’ils sollicitent, c’est notre point de vue en tant qu’assistant social : « Qu’est-ce que tu penses de cette situation, quelle en est ta lecture ? ». Je trouve que c’est toute la richesse d’une reconnaissance mutuelle qui n’existe pas encore vraiment partout. En Service de Santé Mentale, la fonction sociale doit encore toujours se battre. Je trouve ça inadmissible. Cette fonction est inscrite dans le décret1 et a tout son sens. Pourtant, j’entends encore trop de collègues en difficultés avec cette place sociale. Certains se sentent obligés de faire une formation complémentaire en thérapie familiale pour être reconnus et acceptés alors qu’ils effectuent à la base un travail remarquable. Ce n’est pas normal ! De même, nos collègues ont le droit d’exiger que quand on parle de psychose, on s’entende sur les termes utilisés et sur leurs significations. Il y a un langage commun qui doit être bâti, ça c’est clair, mais je trouve que l’on ne doit pas « faire le psy » pour être reconnu par le psy. Pourquoi la fonction sociale est-elle une fonction qui a besoin de s’imposer tout le temps ? 28 Confluences n°5 mars 2004 Le travailleur social en milieu hospitalier est sollicité pour toutes sortes de raisons. « Je voudrais contacter un membre de ma famille », « Je n’ai pas de sous pour payer mes cigarettes », « Je n’ai pas de vêtements ici, il faudrait en reprendre chez moi », « J’ai plein de factures impayées, je vous les dépose ... ». Ce qui me désole, c’est quand on entre dans mon bureau et que j’ai le sentiment que ce que l’on attend de moi, c’est d’être un bancontact social. La demande des usagers est souvent assez immédiate. Moi, je la vois comme une porte d’entrée à une relation où je vais essayer d’avoir une vue plus globale de la situation et où j’essaye aussi de faire comprendre que non seulement je ne suis pas toute puissante mais qu’en plus j’attends d’eux qu’ils collaborent. « Vous avez déclaré à l’admission que vous auriez des difficultés à payer l’hôpital. C’est pour ça que je vous fais venir dans mon bureau. Racontez-moi dans quel contexte vous arrivez ici. Pourquoi il vous semble que vous ne pouvez pas payer ? On entre alors dans un mode relationnel tout autre ». Les missions du travailleur social font parfois l’objet d’une monographie de fonctions assez détaillée qui fait suite à un questionnement sur l’identité qu’il convenait de lui donner. Tout est établi noir sur blanc… Le travailleur social s’attache à recueillir un ensemble d’informations et à identifier les problèmes les plus urgents ou ceux qui témoignent d’une plus grande souffrance pour la personne. L’objet sentimental perdu à l’admission ou le chat à nourrir peut faire ‘cas de force majeure’ dans le ressenti du patient. C’est important alors d’y répondre. Le travailleur social est aussi amené à participer à l’élaboration d’un processus de réhabilitation et de réintégration de la personne hospitalisée vers son milieu d’origine ou vers un milieu de vie adapté si cela s’avère nécessaire. Dans la mesure du possible, il s’agit de veiller à respecter une logique d’accompagnement du patient en fonction de son autonomie et des ressources du réseau extérieur. Si l’on interroge le travailleur social sur l’évolution de son travail au cours des 10 à 20 dernières années, il répond : Lucinano TARANTONI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon Les hospitalisations sont souvent plus courtes, il faut donc aller beaucoup plus vite pour régler les problèmes qui nous sont exposés. Le temps consacré au relationnel sera parfois réduit en conséquence. Au sein des structures intermédiaires Le travail social au sein de structures intermédiaires présente d’autres particularités. La démarche de l’usager se veut plus participative. Celui-ci pose le choix d’aller en hôpital de jour, en club de jour,... Chaque matin, il réitère, par sa présence, une demande d’aide qui nécessite en retour une réelle implication du professionnel. L’usager fait preuve, généralement, d’une plus grande autonomie qu’en hospitalisation complète où il est plus facile d’être materné, sécurisé, de s’installer plus passivement dans une prise en charge. Ce n’est pas un lieu où on peut être tranquille en tant qu’intervenant. On peut être à tout instant sollicité, au détour de chaque couloir, de chaque atelier... C’est un investissement perpétuel. Le choix du travailleur social, du thérapeute est important compte tenu de la relation très étroite qu’il entretient avec le patient. Le travailleur social est-il ici thérapeute ? Certaines structures ont clairement fait le choix d’engager des assistants sociaux qui ont suivi une formation complémentaire en thérapie familiale. Cette formation nous apporte une autre lecture qui donne sens à notre travail, qui nous offre un cadre de travail « plus confortable », dans lequel on se sent plus à l’aise pour exercer nos fonctions en psychiatrie. Ce complément de formation nous permet de nous situer, de renforcer notre place en tant qu’assistant social. Il ne s’agit pas de changer de fonction, d’inter-changer les rôles du travailleur social et du thérapeute mais bien de pouvoir, quand cela s’avère nécessaire, glisser de l’un à l’autre sans déraper. Cette approche « plus psy » se marque parfois aussi dans la pratique au travers de groupes de parole qui peuvent être co-animés par les travailleurs sociaux. Certains sont axés, par exemple, sur la verbalisation de la souffrance psychique, sur la question de l’habileté et sur tout ce qui permet de mieux appréhender la vie en société ou encore sur l’expression artistique et les émotions... Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER Nous avons pour missions prioritaires de veiller à ce que les personnes soient en ordre de mutuelle, de vérifier si la personne est à même de financer son hospitalisation et si ses droits sociaux n’ont pas été négligés ou abandonnés auquel cas, nous essayons de ré-enclencher tout ce qui peut l’être pour améliorer sa situation sociale et matérielle. 29 D’autres infrastructures en hôpital de jour, en club de jour axent leur travail sur la réinsertion socio-professionnelle du patient au travers de l’apprentissage de l’informatique, de la recherche de stage ou d’emploi. Il ne s’agit plus ici d’un travail thérapeutique au long cours (même si l’outil thérapeutique reste parfois le fil conducteur) mais d’un travail en lien avec le réel. Le Club de jour offre à des personnes, souvent isolées sur le plan familial et social, un terrain de rencontres pour vivre ou revivre des expériences de vie. Cela permet, progressivement, d’être confronté à la réalité dans un contexte sécurisant et pas trop risqué. Psychologues, assistants sociaux et éducateurs peuvent y effectuer, sans distinction, des entretiens individuels et des ateliers thérapeutiques. L’institution a trop souvent tendance à ne pas se sentir concernée par ce qui se passe au dehors, à oublier ce que la personne est, à négliger ses appartenances. Le travail social doit être porté par toute une équipe si on ne veut pas totalement se déconnecter de la réalité. Même si les hôpitaux de jour sont d’abord et avant tout des lieux de soins, la réalité sociale, humaine émerge toujours à un moment donné, l’assistant social se doit d’en être garant. En service de santé mentale De manière générale, dans les services de santé mentale, ressort une volonté d’offrir un service public de qualité et un souci d’inscrire ce service dans la durée quels que soient les revenus financiers du consultant. L’accessibilité au plus grand nombre est importante. La question de la solvabilité ne se pose pas, ou à peine. Les premiers entretiens, généralement assurés par les travailleurs sociaux, sont plutôt axés sur le « degré d’urgence » des demandes compte tenu de la gestion de liste d’attente et de l’offre adéquate à apporter en fonction de la demande de l’usager. La fonction du travailleur social ? Le décret ne la définit pas en tant que telle, nous dit-on, ce qui permet une certaine liberté d’action. Dans les faits, elle est plus souvent définie par la stratégie institutionnelle mise en place. Elle peut aussi être liée aux spécificités d’une région, de son tissu associatif, de l’évolution de son activité économique, et conférer 30 Confluences n°5 mars 2004 aux services de santé mentale une identité de « producteur de soins en santé mentale ». Le terme de « professionnel de la relation d’aide » est d’ailleurs parfois préféré à celui de « travailleur social », les demandes étant de plus en plus axées sur ce qui relève du malaise existentiel. Autre élément mis en avant : bon nombre de travailleurs sociaux en service de santé mentale (près de la moitié selon certains) ont, au-delà de leur cursus de base, suivi une formation de thérapeute. Certains y voient l’occasion de parfaire leurs acquis pour répondre aux spécificités du travail social en santé mentale d’autres, un risque de dérive et de confusion des rôles. Je suis parfois mal à l’aise quand je raccompagne seule, dans sa famille, un enfant. Je me demande: « Où est la limite ? », « Jusqu’où puis-je aller lorsque je suis confrontée à une maman que je crois psychotique ? ». Je ne suis pas psychologue. Pourtant, elle me parle de son enfance… Je l’écoute mais je ne sais pas si je dois questionner, répondre, conseiller… Parfois, j’ai besoin d’en parler en équipe. Je ne saurais pas exercer ce métier sans les échanges en réunions. En tant que travailleur social, il nous a d’abord fallu trouver notre place dans un mode de fonctionnement qui était, il y a quelques années encore, essentiellement axé sur la consultation. Les assistants sociaux ont eu un peu de mal à se faire à cette démarche parce qu’ils ne sont pas psychothérapeutes. L’assistant social en C.P.A.S. trouve sa place tout de suite. Dans un service de santé mentale, il faut la créer. Chez nous, c’est le travail en réseau, qui, finalement, nous a permis de mettre en avant la complémentarité de ces approches. Je pense par exemple aux demandes émanant des services d’aide à la jeunesse, des tribunaux, des parquets, des prisons. La demande n’étant pas ciblée, il y a tout un travail préalable pour « s’apprivoiser » ; travail que l’assistant social peut réaliser plus facilement que dans le cadre de consultation stricto sensu puisque dans le premier cas, il faut faire émerger la demande, il faut travailler à plusieurs. La collaboration permet d’éclairer les malentendus, de supporter l’agressivité et de ne pas rompre les ponts avec les personnes en grande difficulté. Avec une personne qui présente un diagnostic de psychose, par exemple, il y a toujours une agressivité qui peut survenir. A deux, c’est supportable, on peut la prendre « sur son dos ». Si le consultant claque la porte, ce n’est rien, il peut revenir, l’important c’est qu’il continue son chemin sur le plan intra psychique car il n’y a que cela qui va l’étayer et l’aider à se reconstruire un petit peu. Combien de jeunes viennent avec : « Ma mère me déteste » et vous recevez la maman en larmes qui se demande : « Mais comment peut-il penser cela ? ». On ne peut pas faire sans entendre et sans reconnaître la souffrance de la personne même si cette souffrance, de notre point de vue, peut sembler exagérée. Ils nous arrivent alors de travailler en tandem. Le thérapeute va tenir la parole du jeune alors que le travailleur social va recevoir les parents pour entendre ce qu’ils ont, eux aussi, à dire et pour voir s’il est possible, pour eux, d’accompagner le jeune dans cette souffrance. Alors que le thérapeute garantit un lieu d’écoute au jeune, le travailleur social le replace dans un principe de réalité, à l’égard par exemple de démarches qu’il aurait pu solliciter auprès du C.P.A.S. … Si le psychologue se met dans cette position, le jeune ne se confiera plus de la même manière. S’il veut jouer tous les rôles à la fois, il va se couper de ce qui est important. Si on ne donne pas corps à la parole de chacun, on y arrivera plus, la personne fuit et on ne la revoit plus. Ce qui est important ici, c’est de communiquer entre collègues. « Moi j’entends ça de la maman, et moi ça du jeune, comment en rendre compte sans trahir la parole de celui qui l’a confiée ? Comment faire avancer les choses ? » Le travail s’articule de la sorte. C’est pour ça que l’on n’est pas dans toutes les positions à la fois. Je vois tellement l’importance de la fonction sociale à cet égard ! Joseph LELOUP, atelier du C.R.F. du Club André Baillon Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER On se rend compte que tous les consultants ne sont pas forcément en demande de psychothérapie. Je dirais même qu’elle affole parfois un petit peu les gens. Le travailleur social peut recevoir ces personnes au même rythme que le psychologue mais l’approche sera plus de l’ordre du travail de soutien que du travail psychique : aider une personne qui souffre d’agoraphobie à faire ses courses, entendre l’angoisse d’une personne en phase psychotique, l’accompagner dans la recherche d’une habitation protégée, d’une infrastructure hospitalière, d’une occupation, d’un bénévolat sans qu’elle ne soit complètement paniquée, qu’elle ne se sente menacée. Ce n’est pas rien de quitter un chez soi, de se rendre compte qu’on est plus capable de… ! Des choses bien concrètes doivent être mises en place, pour l’accompagner à l’hôpital, la mettre en relation avec l’infirmière sociale qui va prendre le relais au niveau de son dossier... Et aussi pouvoir dédramatiser ce vécu là. Ce n’est pas un psychologue qui la reçoit deux fois par semaine qui va pouvoir le faire. Moi, je peux l’accompagner, et à la limite la prendre dans mes bras ; lui dire : « Ca va aller, on va trouver une solution, on va aller boire un petit café » et parler. Je pense que c’est une position qui ne doit pas être celle du thérapeute. Il fait aussi un travail qui peut être chaleureux mais autrement. Le travailleur social peut être beaucoup plus concret et rassurant. Le rôle du psy, c’est d’être plus que rassurant. L’accompagnement que je propose peut apaiser les périodes de transitions, rendre plus facile certains passages, certains relais. 31 Le travailleur social en ambulatoire assure parfois un suivi à domicile. Ce suivi n’est bien sûr pas exclusivement centré sur l’écoute et l’aide de la personne en souffrance mais prend aussi en compte le réseau de vie immédiat du patient (famille, quartier…). L’assistant social est un point de repère pour l’usager, une charnière entre l’institution et le monde extérieur. Souvent seul à domicile, le travailleur social a besoin d’un grand soutien de la part de l’équipe. Le fait d’avoir une structure derrière soi qui est là pour aider et entendre les difficultés que le travailleur social peut rencontrer, les erreurs parfois aussi qu’il peut commettre, rassure, donne confiance. De même, un Service de Santé mentale peut être un point d’ancrage pour les intervenants de première ligne, en proposant par exemple, des supervisions aux aides familiales afin de leur permettre d’échanger des informations et d’apaiser leurs craintes éventuelles par rapport aux personnes psychotiques suivies à domicile. L’apparition et la croissance, dans notre patientèle, de familles à détresses multiples et donc à demandes multiples ainsi que les demandes de plus en plus pressantes des professionnels du champ social nous confrontent aujourd’hui à des situations de plus en plus complexes que notre offre de services traditionnelle n’est plus à même de rencontrer. De même, la « désinstitutionnalisation » des problématiques psychiatriques nous oblige progressivement à inventer de nouvelles pratiques dans le domaine de l’insertion sociale des patients dans leur milieu de vie qui font appel à la dimension collective et communautaire du travail social. 1 Décret du 4 avril 1996 organisant l’agrément et le subventionnement des services de santé mentale, publié au Moniteur belge le 23 mai 1996. Roberta LUCIOLLI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon 32 Confluences n°5 mars 2004 Mettre des mots sur des maux Valérie Bauwens Assistante sociale Hôpital de Jolimont à la Louvière Le rôle du travailleur social L e travail social fait partie intégrante du processus de soins. Mon premier rôle est donc de participer, au même titre que mes collègues, à l’objectif thérapeutique de l’hôpital. En me centrant sur le patient et son entourage, je tente de lui apporter l’aide nécessaire pour résoudre ses problèmes sociaux, qu’ils soient liés à son état de santé, à son hospitalisation ou à un contexte de vie difficile. Il s’agit aussi, en tant que travailleuse sociale, de mettre en circulation les informations, et de coordonner l’ensemble des contacts et des actions entrepris dans un souci de cohérence. Ma pratique quotidienne m’amène régulièrement à jouer un rôle de médiateur : les « intérêts » des uns et des autres sont parfois en contradiction ou en porte à faux... En s’appuyant sur son expérience et sa déontologie, je pense que le travailleur social peut participer à remettre le patient au centre du débat dans l’intérêt de celui-ci compte tenu des limites institutionnelles. Il s’agit avant tout de soutenir le patient, pour l’aider à (re)devenir acteur de ses choix, de sa vie ; l’accompagner dans la recherche d’un certain mieux être, en le considérant comme un être unique et entier et en évitant de susciter ou d’augmenter sa dépendance aux services sociaux. Spécificités d’une profession L’homme est un être « bio-psycho-social » en interaction constante avec son environnement. Le processus de soins doit tenir compte de chacun des aspects et envisager le patient dans sa globalité. Pour la psychiatrie, le législateur reconnaît implicitement cette vision des choses, en la traduisant dans l’établisse- ment des normes en matière de personnel. Au sein du service psychiatrique, en gériatrie ou en hôpital universitaire, par exemple, chaque intervenant a donc sa place autour du patient... Il n’en va pas de même dans d’autres services hospitaliers où le modèle « biomédical » prédomine toujours... et où, dixit un assistant : « on n’a pas fait neuf ans d’études scientifiques pour se retrouver devant des problèmes sociaux ! » Donc, on s’en désintéresse, on ferme les yeux ! J. Clavreul nous dit de façon moins abrupte : « le désir du médecin a la maladie pour objet, parce que c’est elle qui le constitue comme tel. Mais c’est le discours médical qui constitue la maladie comme cause. Cause de souffrance du malade et cause de l’intervention du médecin. L’effet en est la suppression de l’homme malade en tant qu’homme1 ». Bien sûr, ce n’est pas parce que le travail pluridisciplinaire est établi comme tel que chacune des disciplines ne doit pas oeuvrer à en faire un outil efficace, interactif. Cela suppose qu’il y ait un but commun, description et délimitation des tâches, souplesse, communication, circulation de l’info, respect mutuel... Les réunions d’équipe permettent d’avoir une vue d’ensemble de la situation du patient et de son entourage. L’adéquation ou non à la réalité me semble être un autre élément important dont doit tenir compte le travailleur social. La maladie mentale a, en effet, des incidences sur l’objet de la demande et sur le degré d’aide à apporter. Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER Assistante sociale de formation, je travaille au sein d’un hôpital général dans un service de 30 lits de psychiatrie. D’autres services hospitaliers me sont aussi attribués en médecine interne, dans une unité du sommeil. Travailler en psychiatrie, je l’ai choisi... J’ai été engagée à l’hôpital pour prendre ce service en charge. L’idée de mettre des mots sur des maux m’a toujours intéressée. J’ai toujours aussi pensé qu’il pouvait y avoir un lien entre la santé mentale et le « social »... Cette pensée se concrétise au quotidien au travers de mes différentes missions… 33 J’ai souvent l’impression de me faire le garant de cette réalité face au patient, face au psychiatre (conditions d’accès à tel avantage, durée d’attente dans telle institution, manque de disponibilité des aides familiales). Le bon sens - qualité dont doit faire preuve tout travailleur social - me semble devoir être d’autant plus aiguisé... avec la famille si elle est présente ou en cherchant des relais extérieurs si la personne est isolée... Ce qui est enrichissant, c’est la réflexion, la discussion autour des actions menées... J’ai la chance de travailler avec des médecins psychiatres très différents quant à leur orientation de prise en charge (psychanalytique, systémique) et quant à leur personnalité, mais chacun a toujours le souci et le respect de la liberté individuelle du sujet. Je constate que toute l’équipe fait preuve d’une extrême tolérance et d’un grand respect face au patient, aussi marginal soit-il... C’est quelque chose que j’apprécie énormément et qui fait que j’aime mon métier. Articuler le travail social aux autres disciplines Lionel LEHANSE, atelier du C.R.F. du Club André Baillon Je constate par ailleurs que bien souvent, les situations sociales des patients hospitalisés en psychiatrie sont plus « lourdes », plus détériorées. Dans bon nombre de situations, « tout » est à refaire, à revoir... La personne n’a plus de domicile, plus de logement, plus de droits sociaux, plus de revenus. Bien souvent, les personnes hospitalisées profitent, si elles en sont conscientes, de ce temps d’hospitalisation pour « se remettre à flots » avant de repartir... pour un temps... Si elles n’en ont pas conscience, on se sent d’autant plus « responsable » d’y veiller, en collaboration 34 Dans le contexte actuel de précarisation multiple (perte d’emploi, perte de statut, perte de repères,...) et de renouveau du concept hospitalier (temps d’hospitalisation plus court, hospitalisation de jour,...), une coordination, un sens commun aux différentes actions est plus que nécessaire... Cette articulation entre les différents acteurs se concrétise par différents biais. Avec le patient, le travail individuel se fait au travers des entretiens, de l’accompagnement psychosocial, de l’aide matérielle, financière, administrative, juridique… Le lien se concrétise ensuite avec l’équipe, comme cela a été souligné plus haut, au travers des staffs, des réunions de service, du travail pluridisciplinaire, des entretiens avec le médecin, le patient, sa famille,... L’articulation s’étend encore ensuite aux autres services hospitaliers (admission, comptabilité, facturation, contentieux...), les Confluences n°5 mars 2004 contacts seront là plus ponctuels et limités. Quant aux services extérieurs avec lesquels j’essaie de travailler un maximum, l’articulation peut se faire au travers de conventions de collaboration, de temps de concertation, d’entretiens de triangulation, de contacts réguliers lors de réunions diverses (Association Pluraliste des Travailleurs Sociaux, Association des Assistants et Infirmiers Sociaux Hospitaliers de la Province du Hainaut,...). Il me semble aussi que la formation continuée, la participation régulière à des groupes de réflexions, des formations de tous horizons, sont autant de bases à une articulation au réel, à la société et au monde. Ainsi, de façon plus large, je pense que si, dans un premier temps, l’hospitalisation prône l’aspect médical des choses... la réalité sociale lui est intimement liée. Les thérapeutes s’occupent de la santé mentale de leurs patients... dans une approche souvent centrée sur l’individu, mais ce patient est en lien avec le monde... Donc, nécessairement, deux réalités à « articuler ». Le monde médical a pris, selon moi, de plus en plus conscience de cette nécessaire articulation du social et du thérapeutique. Cependant, le risque serait de croire qu’il pourra, dans un sursaut de toute puissance, gérer individuellement cette globalité en assumant seul les contacts avec le patient, sa famille, son employeur éventuel, les services à domicile, l’école de ses enfants, le S.A.J., le S.P.J.,... L’équilibre ne sera vraiment atteint que dans la reconnaissance et le respect mutuel des spécificités de chacun. Pour moi, cela signifie clairement travailler avec son cœur et avec ses « tripes » en plus de sa rai- oublier d’être créatif ! Pour moi, c’est aussi aimer l’autre... Croire en l’Homme, en sa personne, en ses capacités, en ses qualités. C’est penser que de ces rencontres peut naître une étincelle, une flamme ou un feu... qui, en plus d’éclairer l’autre,... me réchauffera aussi ! 1 Clavreul J. : Voir bibliographie / référence 11 Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER C’est en quelque sorte être « passeur », c’est savoir mettre du lien... dans le sens de « relation » et non de « contrainte »… C’est permettre la rencontre... son. C’est allier le savoir être au savoir-faire. C’est se servir de soi (de ses qualités personnelles, relationnelles et humaines, de ses expériences de vie...) comme instrument de travail... Bien sûr, tout instrument doit être nettoyé, entretenu, conservé dans de bonnes conditions... Cela se fait de façon réfléchie, avec une conscience aiguisée de soi, ... Sans Luciano Tarantini, atelier du C.R.F. du Club André Baillon Faire du social… 35 Vie de quartier, vie de familles Pour une approche communautaire du travail social Pour l’équipe de l’A.S.B.L. La Pioche, travailler en santé mentale avec une population marginalisée, exclue, c’est participer à la vie de quartier en partageant ses possibles. Plutôt que d’identifier les manques, les problèmes, on parlera de compétences, de dynamisme et de solidarité. La Maison des Familles est donc un lieu où les familles peuvent recréer un espace de liberté et réapprendre à faire des projets, car nous pensons que c’est l’isolement social qui crée la perte des ressources. Isabelle Cammarata et Simone Timmermans Assistantes sociales au Service de Santé Mentale La Pioche et à la Maison des Familles à Marchienne-Docherie (Charleroi) Un peu d’histoire C ela fait une trentaine d’années que La Pioche a ouvert ses portes. Le projet a été initié et porté par de jeunes universitaires désireux de mener à bien des actions sociales dans un quartier fragilisé. La Docherie, marquée par le déclin industriel, s’est vite imposée comme étant un quartier qu’il était important de soutenir. Une assistante sociale et une psychologue se sont, dans un premier temps, mobilisées autour des enfants et de leur famille pour répondre à des difficultés de développement et de scolarité mais très vite, d’autres éléments sont apparus : l’isolement de ces familles, leurs envies... de sortir, de faire des rencontres, de nouer des relations, d’être reconnues, d’utiliser leurs propres ressources... La Maison des familles venait de naître. Trois assistants sociaux y soutiennent aujourd’hui une approche plus communau- 36 que pour le présent immédiat. La pression d’agir, de faire quelque chose, est si intense qu’elle élimine la réflexion. Leur tension ne peut être soulagée que par l’action explosive ou par l’utilisation de sources externes (alcool, médicaments). Ces caractéristiques marquent de façon très forte les interactions internes de ces systèmes familiaux, leur structure, leur façon de communiquer, ainsi que leur manière de vivre leur affect ». taire du travail social en santé mentale. Notre public Le contexte social et le public sont assez homogènes dans leurs caractéristiques : chômage, isolement, alcoolisme, séparation, divorce, endettement, … Dans le profil tracé par M. Felzenswalb, « Les familles multiassistées se distinguent par le fait qu’elles ne peuvent plus lutter contre leurs échecs. Leur attitude signifie que rien n’a plus d’importance, et qu’elles ne se rendent plus compte de ce qui leur arrive. Les gens ont tendance à ignorer tout de ce qu’ils ne parviennent pas à comprendre : la pauvreté, les règles imposées par la société et la planification à long terme. Leur comportement devient aléatoire, désorganisé et peu efficace. Les caractéristiques d’une situation de crise apparaissent : l’apathie, l’impulsivité, l’agressivité ; les décisions ne sont prises Confluences n°5 mars 2004 Béatrice LAMBORELLE, atelier du C.R.F. du Club André Baillon Pour situer notre travail social en santé mentale au sein du groupe, il nous semble important de le définir : reconnaître les compétences des individus, les considérer comme acteurs responsables, les encourager à être sujet de leur vie et à prendre une place dans la société ; prendre l’individu dans son contexte et ne pas l’isoler de celui-ci. Où peuvent se situer ceux qui sont exclus de tout ? Comment sortir de l’idée que le travail est la valeur principale, qu’il nous donne une place dans la société ? Nous pensons que la vie com- munautaire incite à une vie citoyenne, participative. Elle est une manière de mettre les gens ensemble, de les faire réfléchir à leur participation collective dans le quartier voire même au-delà ; de réfléchir aux conséquences des actes qu’ils posent et pour cela d’avoir une bonne connaissance politique, sociale, … de leurs droits et de leurs devoirs en vue éventuellement d’amener des changements ; de dépasser leur sentiment d’être une victime de la société. tout faits ; c’est établir des alliances, des passerelles entre deux mondes (travailleurs sociaux et familles défavorisées). Dans ce cadre, on comprend mieux pourquoi les pratiques communautaires sont importantes, dans la mesure où elles consistent précisément à encourager un soutien social informel pour des individus considérés comme acteurs responsables et compétents ; et non comme bénéficiaires ou usagers passifs et ignorants. Ce que l’on peut souligner, c’est que la démarche individuelle nous donne les moyens de travailler le collectif. Elle visera à déployer la dimension collective des difficultés personnelles et à appuyer la recherche de solutions trouvées ensemble ; à changer les circonstances de la vie des gens, à fabriquer une parole publique. Une expérience réussie dans le groupe permet de la revivre en dehors du groupe. Nos moyens sont des rencontres informelles, des activités concrètes et conviviales qui permettent de recréer un tissu social, qui prônent des valeurs différentes de celles de la compétition, de l’excellence, … Si on choisit comme finalité d’être sujet de sa vie et de prendre place dans la société et que l’on considère que c’est important d’y arriver ; il faut pouvoir rester accessible aux gens qui ont des difficultés d’expression, qui n’ont pas de demande, qui sont dans la confusion, qui « sentent mauvais », qui sont agressifs, … Conclusions Travailler à la Maison des Familles, c’est changer notre regard mutuel les uns sur les autres ; c’est briser les clichés Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER Le travail communautaire 37 La Maison des Familles adoucit les mœurs La Maison des Familles est un lieu de rencontres, un espace de liberté et de tolérance ouvert à tous. Cette maison de quartier qui a ouvert ses portes à Marchienne-au-Pont propose des ateliers en tous genres : couture, poterie, théâtre, cuisine, informatique, etc. Le magasin de vêtements de seconde main constitue une porte d’entrée importante. Le lien institutionnel avec le service de santé mentale La Pioche permet un suivi psychologique et social si nécessaire. Nous avons rencontré deux participants qui la fréquentent depuis plus de quatre ans. Ils nous parlent de ce que ce lieu leur apporte, des travailleurs sociaux, de la vie communautaire, et puis de la société en général ! Rencontre avec Anne-Marie et Francis Propos recueillis par François Wyngaerden - IWSM P our Anne-Marie et Francis, « les travailleurs sociaux sont là pour nous rassurer , nous faire comprendre des choses ». La particularité du travail social, c’est du moins comme cela qu’ils la vivent au sein de la Maison des Familles, est très associée à la vie communautaire, au relationnel, au quotidien. « Le psy, c’est bien pour éclaircir, pour parler. Mais c’est pas vraiment le même rôle. Le psy ce n’est que parler sur soi ; l’autre, c’est exister le mieux possible, exister au quotidien ! La vie communautaire, c’est parfois plus intéressant que d’aller chez le psy ». L’association offre un espace qui permet de déposer des choses, de se ressourcer, de nouer des contacts. Cela devient comme une grande famille qui « supporte », particulièrement pour ceux qui n’en ont plus. « Il y a beaucoup de difficultés à vivre. Là bas, on se sent plus doux. Il y a des 38 gens qui sont fait comme dans du roc ! Parfois on s’énerve, nous deux [Anne-Marie et Francis], et c’est une soupape. S’il n’y avait pas la Pioche, ce serait peut-être fini entre nous ! ». Parfois, le seul fait de savoir que « c’est là et qu’on peut y aller », suffit. « Peutêtre que quelque part je suis plus négative, c’est pour cela que c’est bien de savoir qu’elle existe… » Ce qui semble important pour nos interlocuteurs dans un lieu communautaire, c’est la diversité : ils y rencontrent des gens venus de tous les horizons, avec toutes sortes de problématiques. « Ce n’est pas du tout psychiatrisé, ici. Il y a des gens qui sont pas bien, bien sûr, mais il y en a de tous les horizons. Je suis très sensible aux bonnes ondes. Et quand il y a trop de malades, il n’y a pas une bonne énergie ». Ils nous parlent, par exemple, d’une pensionnée du quartier qui vient régulièrement, qui fait des repas. Elle prend un peu le rôle de grand-mère. Même Confluences n°5 mars 2004 avec les assistants sociaux ! Et puis, même s’il y a des problèmes et des souffrances, Anne-Marie et Francis trouvent que ce n’est pas bon de ne parler que de choses graves, de ne réfléchir qu’aux problèmes de la vie. « Faut rigoler ! Les travailleurs sociaux, ils doivent aussi pouvoir venir nous faire rire ! ». Dans la pratique, il apparaît que ce ne sont finalement pas toujours les travailleurs sociaux qui ont le plus d’importance mais bien la vie communautaire et les liens qui s’y nouent. « Au début, on cherche la présence des travailleurs sociaux mais après on s’attache plus aux autres personnes ». La relation avec les assistants sociaux, ils la vivent comme asymétrique, en tout cas au début, et il est bon de pouvoir dépasser cela. « C’est un peu comme une relation enfant/ parents, on le sent bien. Après on se responsabilise. On peut prendre différentes positions parent, enfant, adulte [en référence à l’analyse transactionnelle]. Quand l’amour nous a manqué, on va parfois voir le psy pour cela. Mais il faut aller au-delà ». Un facteur de bien-être Chaque année, la Maison des Familles part en vacances avec tous ceux qui le souhaitent. Pour Anne-Marie, Francis et leurs enfants, c’est la seule possibilité de partir en famille. Organiser cela, seul, est encore trop difficile pour eux. Et là, les enfants ne sont pas toujours obligés d’être avec les parents. Il y a une bonne ambiance et il y a toujours quelque chose à faire. Et puis le grou- Le travail social, c’est donner l’occasion d’apprendre à être citoyen Pourtant, « c’est bien de garder un côté miséreux . Rester un peu miséreux, c’est ne pas chercher à être plus que ce que l’on est ». Garder ce « côté miséreux », pour Francis et Anne-Marie, c’est ne pas oublier d’où on vient, ne pas courir vers une réussite sociale parfois illusoire. « Quand cela commence à aller mieux, on s’assume mieux dans la société, on est plus fier de soi mais ce n’est pas toujours facile à gérer. Luciano TARANTINI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon A la Maison des Familles, on ne demande pas de prouver quoi que ce soit. Il règne une ambiance de tolérance qui est très importante pour les participants. « Pas de compétition, on se trouve une place dans les relations avec les autres, mais c’est plus doux que se trouver une place dans la société. Moi, je ne veux pas ressembler aux gens, rentrer dans l’échelle sociale. Tout le monde est humain et a droit à l’amour. Mon but n’est pas d’être parfait, c’est de faire de mon mieux ! ». Ils veulent pouvoir admettre « qu’on a plus la même réalité, dans nos yeux, et dans ceux des autres ». Pour Francis et AnneMarie, il ne faut pas nécessairement travailler pour s’épanouir, même si c’est très important pour « l’échelle sociale ». « Dans une maison de quartier, par exemple, on peut retrouver une certaine dignité, une fierté, ailleurs que dans l’échelle sociale ». autonomes qu’avant, ils ont l’impression d’être « quelqu’un qui dit ce qu’il pense ». « Peut-être qu’il y a des ‘déclics psy’ mais maintenant je comprends mieux ce qui se passe, […] rien que dans les relations avec la famille. On ne veut pas intégrer l’échelle sociale mais on ne veut pas que l’on décide à notre place ! ». Certains ont alors honte de parler avec ceux qui sont miséreux, qui ne restent pas simples. D’autres sont frustrés dans l’échelle sociale. Même s’ils vont mieux, ils ne trouvent pas pour autant une place satisfaisante. Et puis, cette ambiance un peu miséreuse, ça fait du bien, ça rassure ». Mais, Anne-Marie précise d’ellemême : « Si tout le monde était là dedans [ambiance miséreuse] le monde ne marcherait pas !! » Pourtant, à l’avenir, elle n’imagine pas quitter la Maison des Familles : « ce n’est pas rien que pour être intégré ! On y est bien, pourquoi partir ? ». Elle s’implique au travers de nombreuses activités : théâtre-action, forum social d’une maison de quartier, etc. Francis, lui, a plus de revendications précises, il voudrait changer des choses. Aucun des deux n’a envie de s’intégrer dans « l’échelle sociale », d’intégrer cette société qui valorise la compétition, la performance, mais ils veulent changer la société. Pour eux, l’image valorisante, c’est d’être un citoyen, un sujet. Ils se sentent maintenant plus A travers tout cela se dessinent deux idées fort différentes de la finalité du travail social : d’une part, un travail social qui assiste, et de l’autre, un travail social qui apprend à être citoyen. «L’assistanat, c’est se faire mener par le bout du nez. Je ne veux pas me faire assister, comme c’est le cas de beaucoup de vagabonds…». Il s’agit d’être conseillé, pas assisté. AnneMarie et Francis évoquent ainsi des moments à la Pioche où ont été abordées des notions telles que la différence, l’idée de sujet, la définition de l’humanité ou plus pragmatiquement, la manière de voter, son importance, … En même temps, il y a quand même un besoin d’être rassuré. Finalement, il y a deux extrêmes dans la façon d’être travailleur social : il y a celui qui « laisse tout faire tout seul parce qu’il n’a pas envie de faire le boulot » et celui qui « fait tout à la place ». Au milieu, il y a l’idéal. En conclusion, « ce qui est vraiment important, c’est que la Maison des Familles est un lieu de tolérance par rapport à ce qu’on a fait. J’ai failli faire des trucs très mal et je ne les ai pas faits grâce aux relations que j’ai trouvées là… » Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER pe, dans ces moments privilégiés, représente souvent une aide pour l’éducation, par exemple ou pour donner des conseils. « Ce n’est pas facile avec les enfants de dire non, c’est dur parce qu’on a pas confiance en soi. […] Jeanine est très concrète, elle nous dit comme ça : « il faut dire stop, et il faut expliquer pourquoi aux enfants », etc. ». 39 Santé, Santé mentale, Santé sociale Appelé habituellement pour des problèmes somatiques, le médecin généraliste ne peut envisager son travail sans considérer l’histoire et le contexte de vie de son patient, dans toute la complexité qui caractérise l’être humain. Et, bien souvent, il se trouve confronté à des situations de grande détresse. Au service d’urgence d’un hôpital public, cette complexité lui est renvoyée avec d’autant plus de force que son intervention est ponctuelle. Philippe Delvaux, médecin généraliste et urgentiste dans la région namuroise, nous livre son témoignage sur la façon dont il essaie d’activer les ressources du patient, mais aussi celles des collaborations qu’il a pu mettre en place pour chacun d’eux… Philippe Delvaux, Médecin généraliste à Andenne Urgentiste au Centre Hospitalier Régional de Namur L e métier de généraliste amène le praticien à participer à la vie des familles, à partager leurs secrets, leurs joies, leurs peines… A ce titre, il peut difficilement faire fi des aspects psychologiques et des implications sociales des problèmes de santé. La pratique de la médecine d’urgence, par contre, amène le médecin à rencontrer des personnes qui se retrouvent en dehors de leur contexte de vie, avec une pathologie ponctuelle, dans un environnement peu intime, parmi une foule d’autres patients présentant des affections de gravités diverses. Les patients des services d’urgence ont bien souvent le sentiment d’être considérés comme des numéros, et de recevoir une prise en charge lente et succincte. La surcharge de travail et l’exiguïté 40 des locaux d’accueil d’urgence, ainsi que la difficulté d’intercaler l’avis de spécialistes leur donnent en partie raison. Pour l’urgentiste, s’il prend le parti de l’écoute, il pourra régulièrement mettre en place ce contact, obtenu en médecine générale, avec une connivence installée au travers d’un dialogue singulier, même s’il est a priori posé que le patient ne fera, en principe, qu’un passage au service des urgences. Des problèmes sociaux peuvent ainsi être mis en évidence, l’assistante sociale de l’équipe peut de la sorte intervenir et ébaucher une solution ou une prise en charge salutaire pour le patient. Lorsque, à l’anamnèse, le patient ou son entourage amène ou laisse entendre un problème social, l’urgentiste contacte l’assistante sociale du service. Après entretien Confluences n°5 mars 2004 avec la personne, celle-ci entame les démarches qu’elle juge utiles, en utilisant toutes les ressources à sa disposition. Ces ressources diffèrent selon que le patient reste aux urgences ou est hospitalisé. Il y a, dès ce moment, dans l’intérêt du patient, partage d’informations et, au moins en partie, du secret médical. Le travailleur social est informé du devenir du patient, et, réciproquement, l’infirmière et le médecin sont tenus au courant de l’avancée des démarches sociales. Il y a donc synergie étroite entre les deux approches de la personne. De même, de nombreux problèmes d’ordre psychologique surgissent lors d’une anamèse aux urgences lorsqu’elle est menée avec la dose d’empathie nécessaire. Sans vouloir, systématiquement, « psychologiser » toute agitation ou stress qu’induit inévitablement l’hospitalisation, le « psy » peut, par son écoute - ou, si nécessaire, son aide - soutenir le patient dans sa quête d’un mieux-être. La prise en charge de la famille est en général assurée par l’urgentiste lorsqu’il en a l’occasion, ainsi que par l’infirmière d’accueil si elle n’est pas débordée. L’aide de salle se charge d’offrir des boissons et est à l’écoute de la souffrance de la famille. Ce rôle est également assumé par la secrétaire d’accueil des urgences, lorsque l’afflux de patients maintient toute l’équipe soignante sur la brèche. La famille est généralement invitée dans un local indépendant. Une information régulière sur l’état du patient Quelle que soit la mission à remplir, le lieu et le cadre de la pratique, le type de pathologie rencontrée, l’important est l’intégration de trois aspects : somatique, psychique, social. Cela passe inévitablement par l’écoute de la personne et la motivation à travailler en équipe avec les différents professionnels de la santé. Pour cette intégration, la rencontre des divers intervenants est synonyme d’enrichissement et d’optimisation de la pratique. Je me rappelle d’une jeune Macédonienne qui a été amenée au service des urgences par un ami, suite à l’ingestion d’une grande quantité de paracétamol et d’anxiolytiques. L’action que l’on attribue alors aux travailleurs de l’urgence est l’utilisation du charbon de bois et la surveillance des paramètres. La patiente, mise en confiance par l’empathie que lui manifestait l’équipe, explique son geste: isolée de sa famille qui vit en Macédoine, elle s’est récemment mise en ménage avec son compagnon et a accepté une domiciliation commune. Avec son accord, elle a aussi arrêté la contraception et lui a annoncé, trois mois plus tard, un début de grossesse. Mais l’homme s’y est opposé et a fait comprendre à notre jeune patiente qu’elle avait pour seule alternative l’IVG ou... la rue ; ce qui, d’emblée, limitait son champ d’action. Toute l’équipe l’a beaucoup entourée, particulièrement une des infirmières de nuit, qui a passé plusieurs heures au chevet de cette femme en détresse. Le lendemain matin, cette personne m’a confié n’avoir jamais imaginé qu’on pouvait être accueilli de la sorte dans un service d’urgence. Elle attendait le passage de notre assistante sociale pour tenter de résoudre une partie de ses soucis. De fait, le lendemain, notre collègue avait entamé les démarches en vue d’une nouvelle domiciliation, et attendait certaines confirmations avant de contacter le CPAS en quête d’un logement social et d’une aide alimentaire. Epilogue : en fin de matinée, l’ami de cette dame est tout de même venu lui rendre visite. Forte de A ce titre, la médecine d’urgence est en beaucoup de points semblable à la pratique de médecine générale. l’aide reçue par l’assistante sociale, la patiente a pu discuter sereinement avec son ami, qui, devant l’assurance de la jeune femme, s’est radouci. S’en est suivi un dialogue de couple et ils sont repartis main dans la main. L’histoire leur accorde le secret du devenir. Ont-ils gardé le bébé ou ont-ils décidé l’IVG ? Leur décision leur appartient, mais une chose est sûre, l’écoute et l’aide reçue de la part de l’équipe, tant l’infirmière de la nuit que l’assistante sociale le matin, a procuré à la jeune patiente une assurance qui a modifié le rapport de force au sein du couple. Au même moment, un pompiste, victime d’une agression par balles, est amené par le Samu à l’hôpital. Première tâche, la plus urgente: maintenir le patient en vie jusqu’à sa prise en charge en salle d’opération puis en soins intensifs. Dès que l’on a pu libérer un peu de temps, a débuté la prise en charge de la famille. Cela passe par le choix d’un local un peu isolé, l’écoute de la détresse, de la colère, du désespoir, un café, des coups de téléphone réguliers en salle d’opération pour transmettre les informations en temps réel ; un arrangement avec des amis pour assurer à l’épouse un moment de repos avant les soins intensifs. Là aussi, les heures passées au chevet de la famille en détresse, parallèlement au combat des chirurgiens ont à la fois permis de préserver une vie et de maintenir un lien tout aussi vital pour la famille. Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER est demandée par l’urgentiste au spécialiste, puis transmise et expliquée à la famille. Dès que le patient se trouve aux soins intensifs, les proches sont invités dans ce service et peuvent voir le patient, avec l’accompagnement du réanimateur. A noter que si l’équipe des urgences se trouve dans l’incapacité d’offrir cet accueil, celle du SISU (Service d’Intervention Sociale d’Urgence de la Croix-Rouge) est contactée et prend le relais dans les plus brefs délais. 41 Le travailleur social et le psy comme « artisans du bord » Paul JACQUES Psychologue au Centre de Guidance de Gembloux et dans le cadre du projet Clinique de l’exil, Province de Namur T ravaillant comme psychologue et psychothérapeute dans un service de santé mentale depuis vingt ans, je souhaite ici apporter une contribution à la réflexion sur le thème du travail social en santé mentale. Les travailleurs sociaux, mais aussi l’école, le médecin généraliste, les éducateurs, voire la police, interpellent régulièrement le psychothérapeute en service de santé mentale pour intervenir dans des situations de violence, de décrochage scolaire, de maltraitance, de toxicomanie,… Il s’agit de situations dans lesquelles la souffrance est diffuse, pas identifiée comme telle par le « patient » et où la demande d’aide est portée par un tiers « envoyeur ». Dans de nombreuses situations, les symptômes, d’ordre psychique ou comportemental, qui inquiètent l’entourage ou la société, sont intriqués avec des souffrances somatiques et surtout, des difficultés sociales : logement, emploi, insertion, précarité économique, problèmes judiciaires, éducatifs,… Dans ces situations, les dispositifs habituels de prise en charge psychothérapeutique sont inopérants sans une adaptation du cadre et une approche réellement pluridisciplinaire. On voit se développer des pratiques cliniques dans les « interstices » sociaux. Je souhaite ici me pencher sur ces 42 situations graves de «désaffiliation»1, de rupture des étayages sociaux et culturels, de défaut d’appartenances et examiner quels dispositifs le clinicien peut mettre en place en collaboration avec les travailleurs sociaux. En pratique, à côté de l’aide matérielle, comment prendre en compte la dimension psychique dans les situations de précarité des liens sociaux ? La précarité des liens sociaux Jean Furtos2 distingue les situations de précarité économique et celles de rupture de liens sociaux. La précarité se définit par la perte des « objets sociaux ». Un objet social, c’est le travail, l’argent, le logement, la formation, les diplômes. On en a ou on n’en a pas. Les objets sociaux donnent aux personnes les sécurités de base. Un objet social, c’est ce qui fait lien dans la société : il donne un statut, une reconnaissance d’existence, une valeur, il permet d’être en relation. La perte des objets sociaux, c’est la perte de la place que chacun a dans sa famille, dans le groupe, dans la société. L’exclu, c’est celui qui est hors-lieu. Pour O. Douville3, l’exclu gêne la société parce qu’il est « le témoin insupportable de la destruction de la polis ». Selon J. Furtos, les manifestations psychologiques de l’exclusion corrélative de la perte de l’estime de soi sont la honte, l’inhibition et le découragement. A l’extrême, lorsque tout est perdu, toit, famille, il y a auto-exclusion et déni de la souffrance. L’état de survie crée un gel psychique. Dans la désaf- Confluences n°5 mars 2004 filiation, la vie n’appartient plus à la personne. L’exclu se protège de sa souffrance qui ne peut alors plus être portée que par les aidants. Furtos développe le concept de clinique psychosociale. Les caractéristiques cliniques de la souffrance psychique en contexte de précarité sont : la demande impossible, l’urgence, la paradoxalité4 : lorsqu’il y a atteinte narcissique et souffrance identitaire majeures, les frontières entre moi/non-moi, intérieur/ extérieur, bien/mal, passé/ présent/futur, sont brouillées. Sans l’enveloppe psychique protectrice interne, l’environnement, l’autre, sont vécus comme insécurisants. Ce paradoxe doit être reconnu et toléré pour pouvoir être travaillé. Le syndrome de la « patate chaude » est le reflet de ce paradoxe : un SDF apparaît en grande souffrance psychique dans les lieux du social, et le travailleur social (se) dit « C’est pour les psy. » Cette inversion des signes de la souffrance « donne aux institutions l’obligation de collaborer et de s’entraider ». Ce type de souffrance, caractérisé par les ruptures, la non-demande, la violence, l’urgence, la destructivité, l’arrêt du temps, a pour effet d’empêcher la personne, mais aussi les professionnels, de penser. Ces derniers sont alors tentés de répondre dans le registre de l’agir, en miroir. Il s’agit dès lors de décloisonner les champs d’intervention. Pour les psys, il s’agit d’investir les objets sociaux et leur maniement dans l’économie sociale et psychique des personnes, ce qui passe par une réflexion et Un cadre hors cadre ? Pour D. Mellier5, dans les situations de détresse sociale grave, la précarité des liens est due à la fragilité du double étayage de la psyché sur le corps, d’une part, et sur le groupe et la culture, d’autre part, comme l’a montré R. Kaës. A défaut de « contenant » psychique, les symptômes s’expriment dans le registre mental par une difficulté à penser, dans le registre somatique ou par de l’agir. L’aide psychothérapeutique basée sur la demande et un contrat est inopérante en raison de la paradoxalité santé mentale via le retissage du lien social6. Au niveau Fédéral, la réforme de la psychiatrie est à l’origine de multiples initiatives ambulatoires dans le secteur hospitalier… Pour Mellier, dans ces situations de souffrance identitaire, les dispositifs d’aide mis en place ont surtout une fonction d’accueil et de contenance de ces anxiétés diffuses. Se situant au carrefour du psychique et du social, ces dispositifs doivent nécessairement être pluridisciplinaires et multi-référentiels : « groupes d’accueil, groupes de parole, d’orientation, temps de permanence, actions à visée préventive, travail institutionnel, en réseau ». Outre la fonction contenante de la supervision d’équipe et des groupes d’intervision entre Lionel LEHANSE, atelier du C.R.F. du Club André Baillon professionnels de disciplines difféces dernières années et devant rentes qui permettent de gérer la l’apparition d’une clinique de la crise des institutions ou de con« casse », beaucoup d’initiatives tenir la violence, une autre caracont vu le jour chez nous. Des téristique de l’aménagement du SSM ont créé des équipes « spé- cadre dans ces situations de rupcifiques » en fonction de publics tures répétées est la dimension ou de modalités d’intervention, « proactive », c’est-à-dire, « aller proposent un soutien à des pro- vers », aller à la rencontre des fessionnels de première ligne, personnes en difficulté, sans prise font du travail de prévention. La de rendez-vous et sans attendre saturation des SSM et les lis- la demande : « le psy se déplace tes d’attente ont fait exploser la « le cadre dans la tête »». Cette demande en privé ou dans les démarche curative adaptée et Centres de Planning. Des CPAS les activités de prévention ont ont engagé des psychologues en commun cette fonction d’acpour mener un travail individuel, cueil de la précarité. Le travail groupal ou de promotion de la d’élaboration en équipe est indismentionnée plus haut : SDF dans les hôpitaux psychiatriques, délirant aux urgences de l’hôpital général, traumatisé psychique dans les Centres d’Accueil pour demandeurs d’asile, adolescent violent à l’école, … Devant l’explosion des demandes d’aide psy Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER une pratique avec les travailleurs sociaux sur la dimension psychique de la détresse matérielle et sociale, par exemple, en organisant des groupes conjoints psys et travailleurs sociaux sur l’analyse de la pratique et l’intervision. Derrière l’orientation d’un bénéficiaire d’une aide sociale chez le psy, il y a parfois une demande indirecte de soutien dans sa pratique sociale dans des situations lourdes et source de confusion ou de découragement. Face à ces mêmes situations, le psy aussi se sent démuni. La concertation entre professionnels, ainsi que la supervision d’équipe, crée cette fonction contenante, en « donnant du recul », sans quoi les professionnels risquent euxmêmes d’être mis en situation de précarité. 43 Compte tenu de leur spécificité, ces dispositifs sont eux-mêmes fragiles. En effet, ils impliquent des exigences difficiles à concilier en pratique : travail en équipe et en réseau entre différents partenaires. Le travail clinique se fait avec d’autres professionnels ou dans un cadre qui n’est pas celui du cadre du soin habituel, ce qui peut amener des confusions de rôles entre partenaires. Par exemple, groupe de parole avec des « minimexés » dans le domaine de la réinsertion ; ou animation d’un atelier d’expression dans le secteur de l’éducation permanente. Dans ces situations complexes, il faut une intervention conjointe du psy, du travailleur social, du médecin, dans le respect du rôle de chacun et dans le respect de la personne. On l’a dit, le cadre psy n’est pas toujours indiqué même si le travailleur social estime qu’il y a souffrance psychique ou « maladie mentale ». Inversement, là où domine la seule logique sociale, il est difficile pour le psy de sortir de son cadre habituel en mettant en place des « espaces intermédiaires » qui permettent aux personnes exclues socialement et blessées dans l’estime de soi de se réapproprier une démarche subjective, par exemple dans un groupe de parole. La place du psy auprès d’éducateurs de rue dans 44 des actions de quartiers est aussi à définir. C’est toute la question de la politique de la ville7. De l’individuel au collectif Dans le monde occidental contemporain, ce qui fait problème pour les individus appartenant pourtant à la même société est de savoir ce qui fait société, c’est-à-dire ce qu’ils partagent comme valeurs et intérêts communs. L’individu, plus que la collectivité, est devenu responsable de la gestion de son pas de sens si les individus n’ont pas le sentiment d’appartenir à la même société. « Reconstruire du lien social » n’est donc pas une affaire d’ingénierie sociale pour colmater les brèches comme le veut le Politique en subsidiant de multiples projets sociaux qui portent sur des individualités sans toucher à la source de l’exclusion : du point de vue anthropologique, pour construire son identité, l’homme s’appuie sur ce qui fait lien avec l’autre. La Religion ou l’Etat n’ont plus cette fonction de ciment aujourd’hui. Le libéralisme économique et la « marchandisation du secteur social » ont pour effet d’individualiser des problématiques sociétales et de dépolitiser les politiques sociales. Alors le travail social c’est quoi ? Outre l’aide individuelle réparatrice, outre le repli frileux de professionnels impuissants, « faire du social », ce serait avant tout affirmer que les professions des enseignants, éducateurs, travailleurs sociaux et psy, participent d’un « travail du social », comme le propose Th. Goguel d’Allondans9. Pour lui, le travailleur social, « artisan du bord », est un passeur. Son rôle est de participer à la création de rituels propices à restaurer du lien social et à redonner du sens à une existence singulière. Roberta LUCIOLLI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon pensable pour maintenir la distinction entre le champ du soin et celui de l’action sociale. L’action sociale a encore trop souvent une visée normalisatrice ou réadaptative aux yeux du Politique. Alors qu’elle vise la lutte contre l’exclusion, l’action sociale risque alors d’être à l’origine d’une violence institutionnelle et de contribuer à la rupture des liens. malheur comme de son bonheur. La cohésion sociale fait problème, pas seulement pour des raisons socio-économiques, mais aussi socio-culturelles et anthropologiques. Comme le souligne M. Autès8, aider des exclus n’a de sens que si en amont, le politique prend des mesures pour éviter les inégalités sociales. De même, apporter une assistance sociale à des individualités séparées n’a Confluences n°5 mars 2004 1 Castel R. : voir bibliographie / référence 8. 2 Furtos J. : voir bibliographie / référence 21. 3 Douville O. : voir bibliographie / référence 16. 4 Roussillon R. : voir bibliographie / référence 40. 5 Mellier D. : voir bibliographie / référence 37. 6 Dutrieux B. : voir bibliographie / référence 18. 7 Joubert M., Bertolotto F. : voir bibliographie / référence 31 8 Autès M. : voir bibliographie / référence 1. 9 Goguel d’Allondans Th. : voir bibliographie / référence 22 Les travailleurs sociaux, orphelins de l’appui du social ? Jean-Pierre Lebrun Psychiatre - Psychanalyste P artons d’une considération sans doute trop simple mais néanmoins efficace pour faire entendre l’enjeu : une construction à cinq étages. L’étage de ce que Lacan a appelé l’humus humain, l’étage du social humain, l’étage de la société concrète, celui des premiers autres qui entourent le sujet, autrement dit l’étage de la famille et celui de la réalité psychique du sujet. Comment s’est toujours transmis ce qui est nécessaire au désir humain L’étage de l’humain, si l’on s’en réfère à ce qui le spécifie, à savoir le langage, exige une perte, celle de la jouissance absolue, immédiate, complète. Du seul fait d’entrer dans le monde des êtres parlants, le sujet s’exclut de la toute-jouissance et se trouve ainsi marqué par la négativité. S’inscrit ainsi pour lui que toujours quelque chose vient à manquer non par accident, mais de structure, l’affecte de ce fait une déception irréductible, une insatisfaction incontournable; son être s’entame ainsi d’une perte - d’un moins-dejouir - qui va servir de fondement aussi bien à la Loi qu’au désir. Au deuxième étage, la limite - la négativité - qui sert de fondement à la Loi - même si c’est la Loi qui semble dans l’après-coup fonder la limite - sera dans le social humain toujours signifiée par l’interdit de l’inceste. Ce dernier est en effet universel et sépare, distingue le monde de la culture de la nature. Toute société humaine implique donc ce renoncement à la toute-jouissance que la mère représente et impose de ce fait l’éloignement du corps à corps avec elle pour aller prendre sa place d’homme ou de femme dans le social. Au troisième étage, chaque société selon ses modalités propres qui font d’ailleurs sa spécificité culturelle, organise des règles et des lois qui ne sont que des développements de cet interdit fondateur. Ainsi chaque société s’est toujours donné la charge d’organiser la transmission de cette limitation de jouissance via les normes qu’elle sécrète. Et même si les contenus culturels sont éminemment différents d’une culture à l’autre, il n’en reste pas moins qu’ils ont toujours la même fonction, celle de soutenir l’assentiment de tous à consentir à cette perte de toute-jouissance. A l’étage de la famille, c’est au travers de sa relation aux premiers autres que le sujet va rencontrer cette limite à la jouissance. La mère lui est interdite, et cela du fait du père, ou plutôt de l’homme de la mère. Sans entrer ici dans des distinctions pourtant essentielles, disons que la toutejouissance est représentée par la mère et que le père, en étant la cause sexuelle de la jouissance maternelle, l’ampute nécessairement aux yeux de l’enfant et, à ce titre, représente la perte qu’implique le langage. Ainsi c’est bien aux premiers autres qu’incombe la tâche de faire avaler au futur sujet la couleuvre de cette nécessaire soustraction de jouissance. Dans le même mouvement, l’enfant devra lui-même s’approprier ce travail et consentir à renoncer à la toute-jouissance - ce qu’on appelle aussi renoncement à la toute puissance infantile ou castration symbolique - pour pouvoir accéder au désir. Ainsi, du fait de la solidarité de cette perte nécessaire à chaque étage du dispositif, la ligne de partage entre la jouissance et le langage semble être mise en place par la Loi que servent les parents, alors qu’en fait, ce ne sont que les contraintes de la structure du langage qui ont été Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER Dans un monde sans limite pour reprendre une expression chère à l’auteur, la place des travailleurs sociaux - parmi bien d’autres - se trouve bousculée. Dans une société en mutation, le déplacement - voire la perte - des repères questionne la transmission au sein de la famille de ce qui est toujours nécessaire au désir, rend précaire les limites que pourra se fixer le sujet lui-même et produit une dé-légitimation du rôle des intervenants. Jean-Pierre Lebrun nous propose une lecture de cette évolution et nous invite à chercher à y réagir. 45 ainsi transmises, habillées par l’interdit de l’inceste. Une solidarité aujourd’hui remise en question Il semble bien que la solidarité de ce quintuple étagement a été responsable durant des siècles de la transmission de la limite nécessaire à la spécificité de l’humus humain et à la physiologie du désir. Or, nous soutenons la thèse que cette solidarité est aujourd’hui remise en cause ou en tout cas que sa visibilité est estompée et que c’est aux conséquences de ce nouveau cas de figure que nous avons à faire. Remarquons d’ailleurs qu’en discernant ces cinq étages, nous pouvons sans difficulté discerner dans les deux premiers, ce que l’on pourrait appeler « un noyau anthropologique dur » qui ne laisse pas se faire la confusion entre l’ordre symbolique - du langage - et l’ordre social du patriarcat. Il est en effet important de cerner avec précision ce qui relève des contraintes de la structure du langage et ce qui ne relève que de la contingence historique. Or, tout se passe comme si notre social, emporté par l’hypermodernité, ne transmettait plus la nécessité de cette limite. En revanche, elle donnerait à entendre que nous nous sommes enfin affranchis de cette soustraction et que celle-ci n’était qu’un frein au bonheur auquel nous serions dès lors aujourd’hui en droit de prétendre. Insistons d’emblée sur le « tout se passe comme si » car il ne serait pas difficile de démontrer qu’il ne s’agit que d’une apparence trompeuse, qu’en fait cette limite, cette soustraction de jouissance est toujours au programme, mais qu’elle ne se présente plus avec la 46 visibilité d’antan et certainement plus avec la visibilité suffisante pour persuader spontanément de sa nécessité. mettre les conditions du désir; d’où sans doute, l’apparition de ce symptôme inédit dans l’Histoire à savoir celui d’une génération En effet, remarquons que par les effets conjoints de l’économie capitaliste mondialisée, du déclin du Patriarcat et du discours de la science1, les notions d’impossible, de limite, se voient sans cesse déplacées, si pas purement et simplement pulvérisées. Difficile dès lors de ne pas prendre pour une suppression de toute limite les possibilités qui sont les nôtres de pouvoir sans cesse la déplacer. Difficile de ne pas confondre inflation sans mesure des possibles avec suppression de la catégorie de l’impossible. Difficile de ne pas prendre pour infini ce qui n’est que sortie d’un type de finitude. Tout se passe dès lors comme si, suite aux modifications qu’autorisent les développements et les progrès jamais atteints de notre société, cette limite qui devait se trouver relayée par le social, n’était plus au programme. En revanche, toujours plus de jouissance semble faire office d’idéal ou en tout cas se proposer comme alternative pour ne plus nous encombrer des embarras du désir. Ainsi le « droit au bonheur » justifie d’en appeler au Prozac et au Viagra plutôt que de se confronter à l’angoisse ou à la précarité de l’exercice de la sexualité. Un effet de délégitimation Cette apparente disparition de la limite ainsi que de la nécessité du moins-de-jouir dans le programme de notre société entraîne deux conséquences : du côté des adultes, une délégitimation de ceux et celles - parents, enseignants, politiques etc. - qui ont à trans- Confluences n°5 mars 2004 de parents qui ne sentent plus la légitimité de dire « Non ! » à leurs enfants, mais aussi le discrédit sur les fonctions de l’enseignant, du maître et la dévalorisation des représentants du politique désormais surtout contraints à pourvoir pour pouvoir rester en place. Du côté des enfants, une situation d’« expérience-limite » pour des raison qu’il est justifié de parler comme le fait Alain Ehrenberg des « fatigués d’être soi »2. Luciano TARANTINI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon Une telle délégitimation frappe aussi de plein fouet ceux qu’on appelle les soignants. Ces derniers avaient coutume de soutenir la possibilité d’une parole pour un sujet qui cherchait sa vérité au travers de la conflictualité ; ils doivent aujourd’hui se confronter à des sujets souvent sans demande, si pas sans parole qui, sans cesse, veulent échapper à la subjectivation. Le symptôme devient de ce fait davantage un a-symptôme, c’est-à-dire ne comporte plus cette dimension d’appel à l’Autre du fait de son articulation au langage, mais se présente seulement comme un signe de ce que la régulation entre désir et jouissance n’est pas accessible au sujet. l’autre pour les aider à ce que s’inscrive la limite. Car recevoir la limite de l’autre et avoir à la valider ou devoir la mettre soimême n’a pas le même effet. Se la mettre soi-même - tâche à recommencer sans cesse comme si elle ne s’était pas inscrite - peut être extrêmement lourd à porter. Gageons que c’est pour cette Quant aux travailleurs sociaux, les voilà obligés de supporter eux-mêmes, ce sur quoi notre social fait l’impasse. Qui mieux qu’eux pour - au-delà du concret de leurs interventions - prendre la mesure de ce qu’un problème ne peut prétendre à une solution qu’en étant d’abord reconnu comme l’affaire d’un sujet ? Mais d’où peuvent-ils tirer leur légitimité pour enclencher une telle dynamique, contraints qu’ils sont à endosser l’idéal d’une société du pourvoir ? Comment maintenir la cohésion et la solidarité lorsqu’à celles-ci s’est substituée la déchirure du tissu social ? Là où hier leur intervention suffisait parfois, voire souvent, à redonner symboliquement une place à celui ou celle qui traînait dans la marge, les voilà aujourd’hui réduits, la plupart du temps, à négocier des contrats, à valoriser des compétences, bref à du raccommodage sans perspective. Qui, lorsque l’air ambiant est la recherche des compétences familiales et du consensus décisionnel, pour encore oser soutenir que l’essentiel peut encore être d’abord de garantir un milieu stable au tout jeune enfant et que ceci peut, dans certains cas et sans qu’aucune maltraitance ne soit encore constatée, amener à devoir, par exemple, écarter un enfant d’une mère toxicomane aux prises avec ses hospitalisations répétées ? Quelle légitimité pour soutenir une telle décision3? Un nouveau défi Gageons que dans un tel dispositif social, c’est ensemble que soignants et travailleurs sociaux devront se confronter aux nouvelles modalités de la souffrance psychique. Charge pour eux de réinventer une éthique à la hauteur de la mutation en cours. 1 Nous renvoyons à nos ouvrages : Lebrun JP., : voir bibliographie / références 33, 34 et 35. 2 Ehrenberg A. : voir bibliographie / référence 19 3 Nous renvoyons à ce propos à la recherche-action Confluences n°5 mars 2004 DOSSIER futurs sujets qui ont à tirer seulement d’eux-mêmes la nécessité de ces conditions. De ce fait, ils ne peuvent plus compter sur 47 Repères et références bibliographiques 1. Autès M., Le Travail social ou les aventures de Tintin au Congo, dans : Cultures en mouvement, n° 42, novembre 2001, pp. 28-31 2. Autès M., Les paradoxes du travail social, Paris, Dunod, 1999 3. de Béchillon C., Aider à vivre : propos sur le travail social, Ramonville-Saint-Agne, Erès 1998, coll. Trajets 4. Beck U., La Société du risque : sur la voie d’une autre modernité, Paris, Alto-Aubier, 2001 5. Bouquet B., Ethique et travail social : une recherche du sens, Paris, Dunod, 2003 6. 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