Travail social et santé mentale

Transcription

Travail social et santé mentale
sommaire
Silence, on tourne !
2
Véronique PIROTTON et David COLLARD
Travail en réseau : balises et limites
4
Marc MINET
L’outreaching
6
Francis TURINE
Les patients, majeurs et vaccinés ?
Micky FIERENS
Une autre façon de travailler en psychiatrie
Rencontre avec le Siajef
8
10
Christiane BONTEMPS
Financement de l’hospitalisation partielle
12
Alain WEYERS
Le spectre autistique... J’en ai peur !
13
Les Goélands
In-Folio - infos
14
DOSSIER :
Le travail social en santé mentale
Préface
15
Luc VAN HOUTRYVE
La santé mentale, champ pertinent de l’action sociale
16
Didier VRANCKEN
Psychiatrie et travail social :
de la confrontation à la coopération
19
Marcel JAEGER
«Comment en dire assez sans en dire trop !»
22
Nathalie GÉRARD et Nathalie MATHIEU
Le travail social en santé mentale :
la parole aux acteurs
25
Sylvie MADDISON et Sylvie GÉRARD
Mettre des mots sur des maux
33
Valérie BAUWENS
Vie de quartier, vie de familles
36
Isabelle CAMMARATA et Simone TIMMERMANS
La Maison des Familles adoucit les moeurs
38
François WYNGAERDEN
Santé, santé mentale, santé sociale
40
Philippe DELVAUX
Le travailleur social et le psy comme «artisans du bord»
42
Paul JACQUES
Les travailleurs sociaux, orphelins de l’appui du social?
45
Jean-Pierre LEBRUN
Références et repères bibliographiques
48
1
Silence, on tourne !
Durant le mois de décembre 2002, le Centre Hospitalier Psychiatrique de
Liège (CHP) a été l’un des lieux de tournage du film « Stormy Weather ».
Ce long-métrage, coproduit par les frères Luc et Jean-Pierre Dardenne
et réalisé par la franco-islandaise Sólveig Anspach, relate la rencontre
d’une étudiante en psychiatrie (interprétée par l’actrice française Elodie
Bouchez) avec une femme mentalement malade croisée par hasard
dans une gare. Plus globalement, le film traite des problématiques de la
distance thérapeutique et de la difficulté à communiquer. Une partie du
film a donc été tournée à Liège mais c’est également l’Islande qui tient
un des rôles-clefs dans ce scénario à découvrir.
Véronique Pirotton et David Collard
Chargés de communication du Centre Hospitalier Psychiatrique (CHP) de Liège
C
ontre toutes attentes, le
CHP de Liège a accepté
cette collaboration… Dès
son origine, elle a été
envisagée par l’équipe de production comme un échange entre
les patients de l’hôpital et l’équipe
du film.
Plus que le tournage d’un film tel
qu’on le conçoit classiquement,
l’expérience s’est appuyée sur
différents « ateliers cinémas »
inscrits dans une démarche
thérapeutique. Toute l’institution
était concernée mais c’est plus
particulièrement l’unité d’hospitalisation des Coquelicots (salle
13 et 14 du Site Petit Bourgogne)
qui a servi de lieu d’immersion
à la réalisatrice, aux acteurs et
à l’équipe. Cette unité de soins
est spécialisée dans la prise en
charge de personnes souffrant de
dépression, maniaco-dépression,
schizophrénie et troubles relationnels et somatiques.
2
Une proposition acceptée
avec enthousiasme
La sincérité et la profondeur
de Sólveig Anspach, dans sa
démarche, a vraiment séduit l’hôpital. Des membres du personnel,
cinéphiles avertis, connaissaient
et appréciaient ses précédents
Confluences n°5 mars 2004
travaux dont le film « Haut les
cœurs » avec dans le rôle-titre
Karin Viard. A cette occasion
déjà, la réalisatrice avait tourné
de nombreuses scènes dans un
service d’oncologie d’un hôpital
parisien et avait intégré à son travail des patients souffrant du cancer. C’est ce qui a amené le CHP
à accepter cette collaboration.
1ère étape, prise de contact
Avant de tourner, l’équipe de production s’est rendue sur le site du
Petit Bourgogne pour y exposer
le scénario aux patients et aux
membres du personnel soignant
et pour témoigner de l’importance
de tourner en milieu hospitalier,
dans des conditions réalistes.
De même, plusieurs activités
axées sur le cinéma avaient été
réalisées préalablement, dans le
cadre d’ateliers, de réunions et
de débats afin que patients et soignants puissent approcher les réalités du milieu cinématographique.
Immersion et
respect des patients
L’équipe soignante a accueilli en
son sein la réalisatrice durant
une semaine car elle souhaitait
ardemment s’imprégner des réalités de fonctionnement d’un service de psychiatrie. Pour sa part,
la poétesse islandaise - Didda
Jonsdottir - qui
interprète le rôle
de la patiente, a
carrément vécu
« une hospitalisation » pendant
plus de 8 jours
avant le tournage.
L’élément principal de cette collaboration a été
articulé autour du
respect du patient
et de la vie du
service. L’équipe
du film ne s’est
pas imposée de
manière intrusive.
Au contraire, il
fut toujours question d’échanges
mutuels.
Cette
démarche active
de la part des deux parties s’est
concrétisée par des rôles de figurants attribués à des patients et
membres du personnel de l’hôpital. L’équipe de production a dû
s’intégrer complètement à la vie
du service en essayant de troubler le moins possible le programme des activités quotidiennes. Un
tournage dans un hôpital, malgré
toutes les précautions prises,
c’est un grand chambardement
et beaucoup de « désordre ».
Comme le souligne le personnel
soignant, en dehors du tournage
et des activités préparatoires qui
ont demandé beaucoup d’efforts
et d’énergie, il s’agissait de continuer à gérer les émotions, les
tensions et les diverses tâches
récurrentes.
Clap première !
Au total, une dizaine de jours a
été nécessaire au tournage des
différentes scènes.
Un moment particulièrement marquant pour les figurants mais aussi pour toutes celles et ceux qui
gravitent tout autour : médecins,
services techniques, service hôte-
Une projection en
avant-première au Centre
Hospitalier Psychiatrique
de Liège
Très cohérente dans sa démarche et fidèle à ses engagements,
Sólveig Anspach est également
venue projeter son film en avantpremière au sein de l’hôpital. La
Plus qu’un film, c’est aussi la découverte de l’autre
lier ou encore service d’entretien.
Tous les départements du CHP
ont été mis à contribution mais
au final, chacun est ressorti plus
riche d’une expérience originale.
Parallèlement, durant les différentes étapes du tournage, André
Leclercq, membre de l’équipe
d’entretien du CHP a pour sa part
immortalisé sur la pellicule de
magnifiques images du tournage.
La qualité de ce travail photographique est telle que la société
française de distribution du film a
sélectionné des photos afin d’assurer la promotion officielle du
film. En conclusion, cette expérience s’est également révélée un
excellent vecteur de dé-stigmatisation de la maladie mentale.
salle était comble et à l’issue de
la projection privée, la réalisatrice
a engagé le débat avec le public
présent. Grâce à la sensibilité qui
caractérise Sólveig Anspach, les
patients ont énormément réagi.
Lors de cette étape, une fois de
plus, les échanges se sont révélés particulièrement enrichissants
et riches d’émotions partagées.
Stormy Weather - A voir dès
aujourd’hui dans les salles de
cinéma ! 
Confluences n°5 mars 2004
3
Travail en réseau : balises et limites
Le SAJ de Namur et l’association
SOS Parenfants se sont intéressés, au travers d’une rechercheaction1, au travail en réseau pour
les interventions en matière de
maltraitance et plus précisément
d’abus sexuel intra-familial. Un
rapport vient d’être publié. Il s’intéresse, entre autres, aux stratégies
à mettre en place pour rendre opérationnelle une meilleure coordination des interventions. Marc Minet,
co-auteur de cette recherche, nous
en dresse un premier aperçu.
Marc Minet
Coordinateur de SOS Parenfants
Le travail en réseau :
une nécessité et beaucoup
de difficultés
N
ous sommes partis du
constat que la gestion
de certaines situations
d’abus sexuels intrafamiliaux pose de nombreux problèmes : délais excessivement
longs, interventions qui s’éteignent ou qui sont contradictoires
entre elles, dysfonctionnements.
La recherche-action qui a été
menée a d’abord permis d’inventorier dans des travaux précédents les pistes d’amélioration
concrètes en matière de concertation-coordination des intervenants. Cet inventaire, nous a
permis d’élaborer des modalités
opérationnelles de relations entre
services et de soumettre ces
propositions aux intervenants de
l’arrondissement de Namur.
4
La concertation
comme clé stratégique
De précédents travaux ont mis en
évidence la complexité de la prise
en charge des situations de maltraitance d’enfants, complexité
qui induit des difficultés sérieuses
dans le travail en réseau. Les professionnels agissent de manière
légitime et pertinente, en tenant
compte de leur cadre légal et de
leur logique d’intervention, mais
souvent, l’ensemble du dispositif
mis en place manque de cohérence et d’efficacité.
Quelques pistes ont été lancées
pour améliorer la coordination des
interventions : faire appel à une
évaluation clinique, individuelle
et personnalisée ; à un langage
et à des critères communs pour
les notions de danger, d’urgence,
d’intérêt de l’enfant. Informer et
clarifier les règles de travail et les
missions de chacun et encourager une logique de collaboration
entre services qui porte sur le partenariat plutôt que sur le relais...
Pour une meilleure
coordination des services
Le rapport fait état de multiples
éléments de réflexions théoriques
par rapport à ces questions, mais
présente également des outils
pratiques, proposés par d’autres
ou élaborés en cours de travail.
Notons en particulier une liste
des critères utilisés par différents
intervenants, qui peut servir de
« check-list » lors de l’évaluation
d’une situation d’abus sexuel
intra-familial, mais qui peut également éclairer les professionnels
Confluences n°5 mars 2004
et les familles sur les critères utilisés par les autres, et donc être
un outil utile lors des réunions de
concertation-coordination.
On y trouve également un texte
québécois qui tente de faire
œuvre de « langage commun »
en précisant, voire en concrétisant, les concepts. Il est le
résultat d’un travail réalisé par les
intervenants eux-mêmes. A partir
des articles de loi (déjà définis
de manière relativement opérationnelle), ce texte propose des
commentaires, des réflexions,
des exemples concrets qui permettent à l’ensemble des intervenants d’encore mieux situer leurs
actions et de baliser des notions
qui, sinon, laisseraient largement
place à l’interprétation.
On y trouve encore un questionnaire, proposé par Cirillo2, pour
faciliter la démarche de concertation, ainsi qu’un document appelé
« continuum des comportements
à caractère sexuel » permettant
de différencier les situations.
 SOS Parenfants est une asbl
active depuis 20 ans dans l’aide et
le soutien aux enfants en situation
de maltraitance et à leur famille.
Elle reçoit des enfants, leur famille
mais également des professionnels
confrontés à de telles situations.
SOS Parenfants, c’est aussi une
équipe anténatale dont l’objectif est
de prévenir la maltraitance auprès
d’enfants à naître. L’équipe est pluridisciplinaire (assistantes sociales,
psychologues, juriste, médecin
généraliste et pédopsychiatre). Elle
est reconnue et subsidiée par la
Communauté française via l’ONE.
Structures permanentes de
concertation-coordination
Enfin, le rapport mentionne également plusieurs hypothèses relatives à des stratégies d’interventions
cohérentes entre services. Chacune
d’entre elles propose la mise en
place de structures permanentes
de concertation-coordination sur
le modèle « horizontal » du travail
en réseau, et ce sur 3 niveaux : le
niveau des intervenants médicopsycho-sociaux, le niveau du SAJ,
du Parquet Jeunesse et de SOS
Enfants, et le niveau des juges de
la jeunesse, du SPJ et de l’équipe
SOS Enfants.
Les intervenants-clés du réseau
namurois qui ont été rencontrés
dans le cadre de cette recherche
avancent une série de priorités.
Notamment, la nécessité de différencier les interventions des uns
et des autres et de clairement
identifier les services qui peuvent
évaluer, aider et intervenir dans
ces situations.
Ils pointent aussi la nécessité
de coordonner la gestion de ces
situations. Cette fonction de «fil
rouge» pourrait être assumée par
une organisation spécifique au
niveau des intervenants médicopsycho-sociaux, par le SAJ ou
par le Parquet Jeunesse.
Ils recommandent d’adopter des
modalités de travail qui permettent
une intervention rapide. La notion
d’urgence à laquelle il est souvent
fait référence doit être entendue ici
comme l’engagement rapide d’un
service ou d’un professionnel qui
va se préoccuper de la situation
de l’enfant et de ses proches et
non dans le sens de prendre des
mesures dans l’urgence3. Cette
intervention se concrétise via une
organisation spécifique au niveau
des intervenants.
Enfin, ils proposent de développer
une logique de partenariat plutôt
qu’une logique de relais. Ceci
suppose que les intervenants se
centrent conjointement et collectivement sur la situation d’un
enfant plutôt que de se passer le
témoin. Cette logique de partenariat est nécessaire et bénéfique
aux situations d’abus sexuels
intra-familiaux. Elle permet de
gagner du temps, de partager les
compétences spécifiques des uns
et des autres dans l’analyse de la
situation et dans la construction
des mesures d’aide. Des structures de concertation-coordination
permanentes peuvent favoriser
la mise en place d’un partenariat
entre les différents niveaux sans
devoir passer la main en situation
d’échec. Dans cette perspective, il
est nécessaire que chaque intervenant soit et reste conséquent
avec son éthique professionnelle.
Conclusion
Le rapport de la recherche-action
contient un schéma qui modélise
l’ensemble de ces propositions.
Faisant suite à l’accord qui s’est
dégagé avec les intervenants-clés
du réseau namurois, il propose un
dispositif à trois niveaux :
1.xUne coordination-concertation
au niveau des services médicopsycho-sociaux (MPS) prenant
en charge les situations d’abus
sexuels intra-familiaux. A ce
niveau, il s’agirait d’abord d’identifier parmi les partenaires du
réseau ceux qui sont spécialisés
dans l’évaluation et le traitement
des abus sexuels. Ensuite, il
reviendrait à ceux-ci de préciser
les modalités de leurs collaborations inter-institutionnelles.
2.xLa mise sur pied de la coordination-concertation SAJ/SOS
ou autre service MPS (approche
clinique) d’une part et d’autre
part, la coordination-concertation
SAJ/Parquet Jeunesse/SOS ou
autre service MPS (approche
clinique). Dans cette perspective,
nous soutenons l’idée qu’un criminologue soit engagé au sein
du Parquet Jeunesse pour faire le
lien entre ce Parquet Jeunesse et
les services d’aide.
3.xLa coordination-concertation
SOS (ou services cliniques)/
SPJ/Juges que nous n’avons pu
approfondir, mais qui mérite de
l’être à l’avenir. Il manque effectivement une instance de coordination-concertation à ce niveau.
Nous pensons qu’il serait utile d’y
adjoindre le Parquet Jeunesse.
Enfin, d’autres pistes sont encore
envisagées (personne ou service
référent, consultation-permanence).
Nous pensons que la mise en
œuvre de ces différentes propositions permettrait d’atteindre au
mieux la cohérence recherchée,
autour d’un double objectif : celui
d’assurer à l’enfant des soins et/
ou une protection dans des délais
satisfaisants et celui de repérer,
toujours dans un délai satisfaisant, l’intervention qui optimalise
les potentialités de changement
pour l’enfant et/ou ses proches.
Il est possible de recevoir, gratuitement, sur simple demande, ce rapport par courrier électronique ou d’en
recevoir la version papier moyennant
participation aux frais d’envoi. Trois
documents sont disponibles : le rapport complet (170 p.), le résumé (40
p.), la conclusion (14 p.). 
Infos :
SOS Parenfants
Rue Saint Nicolas, 84 bte 6
5000 Namur
S 081 22 54 15 - 4 081 23 06 89
[email protected]
1 Recherche-action initiée par le SAJ de Namur, réalisée avec le soutien du Ministère de la Communauté
française – Direction générale de l’Aide à la jeunesse,
menée en 2003 par Françoise Dorange, juriste, Béatrice
Houdmont, psychologue et Marc Minet, coordinateur de
SOS Parenfants.
2 Document distribué lors de la journée d’études du 18
septembre 2003 : « Quand les intervenants se mettent à
table... » organisée par le Centre Liégeois d’Intervention
Familiale (CLIF).
3 Même si celles-ci ne sont pas à exclure d’emblée.
Confluences n°5 mars 2004
5
L’outreaching
Dispenser les soins psychiatriques dans le milieu de vie naturel des personnes : une pratique
encouragée aujourd’hui par les
autorités fédérales. Elle s’appuie
sur une approche globale… Un
élément qui n’est pas à négliger
dans un contexte qui a voulu nous
habituer, ces dernières années, à
une approche plus mono-symptomatique ou parcellaire. Il est très
intéressant de relever que ce concept soit proposé, aujourd’hui, à la
pédopsychiatrie, et cela de façon
expérimentale.
Quelques échos des projets-pilotes en cours.
Francis Turine
Directeur du Centre de psychiatrie
infantile Les Goélands
C
omme bon nombre de
références aujourd’hui,
celle de l’outreaching
nous vient de l’Amérique
du Nord. La revue « Santé mentale » de septembre 2002, dans
un article intitulé « L’approche
intégrée anglo-saxonne » nous
donne une définition de l’outreaching dans le cadre de la problématique de la prise en charge des
doubles diagnostics ayant un lien
avec la toxicomanie.
Nous pouvons y lire : « L’approche
« outreach », au fond assez
proche de celle du secteur à la
française, vise à dispenser les
soins dans le milieu de vie naturel
des personnes (leur domicile ou
celui de la famille, un parc, un
restaurant, un refuge pour sans
abris …) plutôt qu’à l’hôpital ou à
la clinique ».
La proposition de l’autorité fédérale a donc été, chez nous, de
retenir 11 projets-pilotes1 qui ont
6
débuté en 2003 et se poursuivent
cette année.
Force est de constater que cette
« permission de sortie et de circuler » donne des idées diverses et
intéressantes, permet des initiatives qui ne manquent pas d’inventivité ; elles donnent matière à
réflexion quant au fonctionnement
parfois trop rigide et contraignant
de nos règlements hospitaliers.
Un premier constat : selon que
le projet s’initie d’un service K,
d’un service de pédiatrie ou d’un
service dépendant d’un service
K mais déjà agissant « hors les
murs », selon qu’il se crée à
partir d’un hôpital universitaire ou
d’un petit service K indépendant,
la conception, l’organisation, la
réalisation de l’outreaching varie.
La population atteinte par ces
projets pilotes varie donc de l’un
à l’autre.
De plus, tous les projets mis en
action, évoluent au fil des situations rencontrées. Les hypothèses de départ ne se vérifient pas
nécessairement sur le terrain. De
nouvelles questions apparaissent… Pourrait-on avancer que la
pédopsychiatrie y découvre ses
lettres de noblesse?
Le réseau et le rapport
aux autres services
L’outreaching interpelle d’un
regard nouveau la question des
réseaux car les interventions de
l’équipe mobile permettent de
tisser ou de renouer un certain fil
rouge entre les structures institutionnelles. Cela favorise donc une
plus grande continuité sans négliger les scansions nécessaires à
Confluences n°5 mars 2004
toute évolution humaine.
Cependant, les réseaux varient
sensiblement d’une Province
à l’autre ; il y a les obédiences
théoriques qui sont diversifiées
mais l’offre des services varie fortement d’un coin de la Belgique à
un autre, la réalité socio-économique n’est pas identique, la densité
de la population est très variable.
Dans certaines équipes, également, le psychiatre se rend à
domicile, ce qui est un peu une
nouveauté.
La source des demandes
Certains projets se sont constitués en vue de répondre exclusivement à des demandes intrahospitalières, tels que les services
d’urgence ou le service de pédiatrie. D’autres projets s’organisent
autrement et offrent un type d’intervention différent aux structures
extérieures telles que les centres
de guidance, les écoles, une institution médico-pédagogique ou le
Juge de la Jeunesse.
L’incidence de l’outreaching
sur les hospitalisations
Il semble qu’il faille rester très
nuancé et réservé à ce sujet.
Certaines interventions ont pu
sans doute éviter une hospitalisation comme certaines autres ont
pu faire en sorte qu’une hospitalisation indiquée, mais refusée
ou crainte jusqu’à présent par un
jeune et sa famille, finisse par être
acceptée et réalisée.
De plus, pour diminuer sensiblement le nombre d’admissions
en hôpital, il faudrait très sensiblement renforcer les moyens
des intervenants en traitement
ambulatoire car celui-ci devrait
être intensif. Dans certains cas
également, l’existence du service d’outreaching a permis de
raccourcir la durée de l’hospitalisation car un suivi à domicile était
à disposition.
A quelle population
s’adressent les projets
pilotes d’outreaching ?
Quelques projets se destinent
exclusivement à de jeunes
enfants de 0 à 6 ans et les autres
aux enfants de 0 à 18-19 ans.
Pour les tous jeunes bébés,
l’outreaching permet un travail
sérieux au niveau de la relation
mère-enfant avec des interventions en famille, à la crèche,
en pouponnière ou en maison
maternelle.
Certains reçoivent des demandes
pour des grands adolescents ou
jeunes adultes de 18 ans à 21
ans. Certains relèvent même que
ceux-ci sont surtout envoyés par
le médecin de famille.
Plusieurs équipes notent que
la population atteinte est une
population qui, ne fût-ce que temporairement, ne pourrait pas être
atteinte autrement, soit que le
mal-être est à ce point non situé
qu’aucune demande ne peut être
formulée, soit que l’isolement
social et géographique est tel qu’il
y a un repli sur soi.
L’intervention à domicile est parfois aussi l’occasion de réaliser
que le problème pointé chez l’enfant est la pointe de l’iceberg de
problèmes familiaux.
Les pathologies pour lesquelles
l’intervention de l’équipe mobile est
sollicitée, sont diverses : troubles
psychiatriques graves, ruptures
scolaires de longue durée, troubles
de la relation entre la mère et l’enfant, troubles psychiques doublés
de problèmes sociaux graves…
La durée de l’intervention et
les modalités d’intervention
de l’équipe mobile
Certains envisagent ce type
d’intervention comme un engagement thérapeutique à part entière
et estiment que l’on ne peut pas
prévoir la durée de l’intervention,
de la relation car on ne peut pas
interrompre la relation transférentielle sans précaution, ni perspective.
D’autres inscrivent leur action
comme « temporaire », limitée
dans une durée de plus ou moins
trois mois, dont l’objectif est de
faire en sorte que les services
proposés par l’équipe mobile permettent à l’enfant ou l’adolescent
de retrouver une place dans une
structure ou un service existant.
Dans ce cas, l’outreaching ne
serait pas un service supplémentaire mais un facilitateur de telle
sorte que les services présents
dans le réseau puissent fonctionner et être réutilisés par le patient
et sa famille.
Quant aux modalités d’intervention, certaines équipes se limitent
à quelques interventions réparties
sur une période plus ou moins
courte telle qu’une intervention
tous les 15 jours ; d’autres voient
leur action de manière plus intensive de telle sorte que le jeune et
sa famille sont rencontrés plusieurs fois par semaine.
Certains projets pilotes limitent
leur action à un rayon de plus ou
moins 25 kilomètres estimant que
les services rendus par l’équipe
mobile seront d’autant plus pertinents qu’elle connaît bien les
intervenants et institutions du
réseau de proximité. D’autres,
comme certains hôpitaux universitaires interviennent dans un
rayon beaucoup plus vaste en
fonction de l’origine des patients
hospitalisés. De nombreuses
interventions se font par paires
d’intervenants.
L’équipe de l’outreaching
Chaque équipe dispose de 2,25
ETP soit, normalement, un psychologue et un infirmier psychiatrique à temps plein et un pédopychiatre à quart temps.
La gratuité des soins
Jusqu’à présent, l’expérience
pilote de l’outreaching ne prévoit
pas d’intervention financière de
la part des patients. En faudrait-il
une ? Certains relèvent que pour
certaines personnes recevant la
visite de l’outreaching, le fait de
préparer une tasse de café et de
présenter un biscuit est déjà un
signe d’engagement. C’est évidemment à prendre en compte.
On peut remarquer aussi que
dans certains cas, le simple fait
de venir à domicile, une fois, permet à la personne - se sent-elle
reconnue par cette visite ? - de se
déplacer ultérieurement jusqu’au
service adéquat.
En conclusion
La découverte de nouvelles
situations psycho-sociales, l’incertitude quant aux réponses à
proposer, la liberté de moduler
les interventions au fil des relations cliniques, sont autant de
perspectives pouvant ouvrir sur
un horizon d’interventions psycho-socio-thérapeutiques dans
un contexte ayant dépassé les
cloisonnements dont le champ de
la santé mentale souffre encore
trop souvent. 
1 En Wallonie, cela concerne le service K du
« Domaine » à Braine-l’Alleud, le service K de « la
Clairière » à Bertrix, le service E de la clinique « SaintJoseph » à Mons, le service E du CHR de Huy et le
service K « les Goélands » à Spy.
Confluences n°5 mars 2004
7
Les patients, majeurs et vaccinés ?
Oui, pardi… ! Et cela semblait
assez clair lors du premier colloque de la LUSS, le 28 novembre
dernier à Wépion. Cette journée,
organisée par les patients, pour les
patients et les professionnels de la
santé, a illustré l’importance d’un
dialogue positif et constructif entre
les différents acteurs de la santé,
patients compris cette fois !
Micky Fierens
Directrice de la Ligue des Usagers des
Services de Santé (LUSS)
R
encontrer « l’autre »
ailleurs que dans un cabinet médical fut apprécié
par chacun. L’occasion
se présente somme toute assez
rarement de se voir, de se parler,
autrement que dans une relation
où l’un est malade, en demande
et en souffrance, et l’autre en
bonne santé, dans le cadre de
son travail et prêt à apporter une
solution.
L’objectif de la journée était clairement énoncé depuis le départ :
quand les patients parlent de leur
vécu, de leurs expériences, leur
point de vue apporte un autre
éclairage sur les services de santé.
Ce point de vue est complémentaire de la perception qu’en ont les
professionnels ou les décideurs
politiques. Car, si des témoignages
– bien réels, bien concrets – ont
illustré les difficultés de la vie quotidienne de beaucoup de patients,
il a également été démontré que
les patients sont aussi des partenaires dignes de ce nom, capables
8
d’analyser le système de santé en
Belgique et bien plus responsables
qu’on ne le laisse croire.
La journée s’est déroulée en plusieurs temps, alternant témoignages et réflexions, mettant l’accent
sur l’expérience et le point de vue
du patient. Des stands réservés
aux associations de patients ont
permis de mieux visualiser le rôle
qu’elles jouent. Les Ministres de
la Santé de la Région wallonne
et de la Communauté française
ont précisé la place qu’ils accordent au patient. Thierry Detienne
a fait part du budget consacré au
soutien du mouvement associatif
(enveloppe multipliée par cinq en
quatre ans), et cité quelques projets qui ont vu le jour grâce aux
associations de patients, soutenues et aidées financièrement
par la Région wallonne. Nicole
Maréchal a souligné l’importance
du soutien moral apporté par les
associations aux patients, qui y
trouvent informations et réconfort. Elle a d’autre part précisé
qu’il est crucial d’impliquer les
patients dans les programmes
de santé, et ce depuis le départ,
comme cela a été le cas lors de la
mise sur pied de la campagne de
dépistage du cancer du sein pour
les femmes de 50 à 69 ans. Les
patients vont également avoir leur
place au Conseil Supérieur de la
Promotion de la Santé.
Les participants, patients, professionnels de la santé, représentants de Mutuelles ou du monde
politique, étudiants et autres
personnes intéressées par la
santé, se sont ensuite retrouvés
dans les ateliers, où la réflexion
se faisait en groupes de +/- 25
Confluences n°5 mars 2004
personnes. Des sujets importants y furent abordés : la loi sur
les droits du patient, la place du
patient, les problèmes liés à l’information, la relation soignant-soigné et la participation du patient,
la perception de la qualité des
soins, l’aide nécessaire pour les
personnes en moins bonne santé,
la mondialisation et la privatisation des systèmes d’assurance…
On a pu comprendre l’importance
et la pertinence d’un dialogue
entre les différents acteurs de la
santé, y compris les patients, en
confrontant les différentes manières de voir les services de santé,
que chacun ne connaît que d’une
manière partielle.
Les participants ont aussi pu
découvrir plus concrètement
les objectifs et champs d’action
des associations présentes.
Beaucoup de contacts ont été
noués et, là aussi, les professionnels ont pu se rendre compte que
ces groupes d’entraide représentent pour eux un relais supplémentaire, complémentaire et non
concurrentiel.
Autre temps fort : les témoignages filmés. Une douzaine de personnes atteintes de pathologies
différentes expliquent, chacune
à leur manière, les difficultés de
la vie quotidienne quand une
maladie s’installe, les coûts parfois exorbitants qu’elle entraîne,
ou décrivent la relation avec leur
médecin et les autres intervenants de la santé… le tout n’a
pris qu’une quinzaine de minutes,
mais ce fut un moment intense et
édifiant. Il y a tellement de choses
qui ne se disent jamais…
Autre témoignage poignant et édifiant, celui de Christine Decantère
qui nous parle des troubles
obsessionnels compulsifs et de
l’aide qu’apporte une association de self-help aux personnes
atteintes de ce trouble. Elle illustra longuement la difficulté qu’ont
ces patients de communiquer
avec les professionnels, les traitements peu adaptés ou très onéreux qui rajoutent des barrières
supplémentaires et difficilement
franchissables pour nombre d’entre eux.
Après un bref exposé sur le rôle
que joue la Ligue des Usagers
des Services de Santé en tant
que relais entre les patients, les
professionnels et les décideurs
politiques, la place est laissée au
débat, en présence des représentants des 3 Ministres de la Santé.
Beaucoup de choses intéressantes ont été dites, bien trop pour
être énumérées ici. On peut en
retenir que bien des préoccupations sont partagées par les
patients et les professionnels :
le manque d’informations, de
moyens, de reconnaissance, de
formation, les difficultés de communication … La loi sur les droits
du patient a été longuement discutée et notamment le service de
médiation, dont l’indépendance
doit absolument être garantie.
D’autres pistes ont été évoquées : réunir certaines associa-
tions au sein de la LUSS (celles
concernées par des problèmes
génétiques, par ex.), assurer une
représentation des patients dans
les instances où les décisions
se prennent (à l’INAMI, par ex.),
assurer une information objective, non-commerciale, pour les
médecins (un site internet officiel,
par ex.), garantir la pérennité de
notre système de sécurité sociale
et limiter les pouvoirs des assurances privées… et puis trouver
le moyen de mieux informer les
patients, surtout ceux qu’on ne
voit jamais et qui n’osent pas
poser de question. 
Infos :
Ligue des Usagers des Services de Santé - LUSS
Rue Muzet, 32 - 5000 Namur
S 081/ 23 50 98
Le carrefour des usagers
Le 7 mai 2004, à Eben-Emael,
aura lieu « Le carrefour des
usagers » en santé mentale. Il
est organisé par l’asbl Together
en collaboration avec l’asbl
Psytoyens.
François Wyngaerden - IWSM
Depuis une dizaine d’années, l’association d’usagers «Together» de
Vottem, organise « le Carrefour des
usagers ». Cet évènement a la particularité d’être entièrement construit
par les usagers, pour les usagers.
Pendant une journée, ils sont, chaque année, plus d’une centaine à
se réunir pour discuter, échanger,
débattre ou partager un moment
de détente. Sur base des réflexions
des Comités d’usagers de différentes structures de l’AIGS (Association
Interrégionale de Guidance et de
Santé), Together détermine un
thème qui servira de fil rouge aux
débats de la journée. Des thèmes
tels que « La qualité de vie, une
attitude active » ou « Usagers-professionnels, pour un autre regard »,
ont déjà été abordés.
En 2004, cette rencontre aura une
dimension régionale. Le but sera
de rassembler des usagers venant
de tous horizons, de tous les coins
de Wallonie et même d’ailleurs pour
un brassage d’idées et d’échanges encore plus large. Pour y
arriver, Together s’associe à l’asbl
Psytoyens, qui réunit plusieurs groupes d’usagers en Région wallonne.
Le thème de cette année s’articulera
autour de la notion de citoyenneté.
Le mot « citoyen» évoque l’intégration dans la société, la possibilité
d’être actif et utile, la participation,
l’égalité des chances. Etre citoyen,
c’est se sentir libre, considéré et respecté, pouvoir faire des choix sans
que d’autres ne les fassent à notre
place. Mais la citoyenneté n’est pas
une liberté totale, il y a toujours des
limites : celles, évidentes, qu’impose
le fait de vivre ensemble et celles
dues à la maladie ou au regard de
l’autre.
La question de la citoyenneté est
donc double. D’un côté, elle amène les usagers à se demander :
« Comment est-on considéré ? »,
« Quelle place nous donne-t-on ? » ;
et de l’autre : « Comment se consi-
dère-t-on ? », « Quelle place sommes-nous prêts à prendre ? ». Ainsi,
l’objectif 2004 sera de réfléchir entre
usagers, à la citoyenneté, à la liberté
et à ce qui limite les choix et les activités dans la vie de tous les jours.
Il s’agit d’essayer de cerner ces
limites et leurs origines (la société,
la souffrance ou la stigmatisation),
pour ensuite tenter de comprendre
l’action que les usagers peuvent
avoir sur elle, individuellement et
collectivement.
Vaste programme, qui prendra tout
son sens dans une vraie rencontre
des diversités lors du carrefour des
usagers. Les organisateurs invitent
donc tous les usagers quel que
soit leur type de vécu, thérapeutique ou institutionnel, à venir les
rejoindre ! Les professionnels de la
santé mentale peuvent être d’une
aide appréciable pour faire circuler
l’information dans leur service et
soutenir la participation des usagers
intéressés. 
Infos :
Together asbl, c/o Comité d’Usagers du Centre de
Réadaptation Fonctionnelle de Vottem
S 04/227.35.35
Psytoyens asbl
S 081/23.50.91 - [email protected]
Confluences n°5 mars 2004
9
Une autre façon de travailler en psychiatrie
Rencontre avec le Siajef
Christiane Bontemps – IWSM
Chaque usager a un référent
qui le soutient en lien avec ses
ressources personnelles (celles
Le Siajef fait partie d’une
UPI. Celle-ci correspond au
territoire de référence (plus
ou moins 200.000 hab. en
zone urbaine) pour penser
l’organisation de l’aide et
des soins. On peut y trouver
l’ensemble des services de
1ère, 2ème et 3ème lignes
nécessaires pour rencontrer
les besoins en partenariat.
(voir schéma)
 La première ligne correspond au SIAS (le Siajef par
ex.). Il y en a un par DSS
(+/-1/35.000 hab. en ville).
Celui-ci couvre une zone à
parcourir à pied en 20 minutes environ.
 En deuxième ligne, on
trouve des services un peu
plus pointus, par ex. des
services d’insertion socio10
L
On n’a pas tous les jours 20 ans !
Pour le Siajef, c’est l’occasion
d’ouvrir ses portes, qui, il faut
le dire, sont rarement fermées.
Rencontre avec Alex Neybuch,
militant de la 1ère heure, et son coéquiper Olivier Croufer. Ensemble,
ils coordonnent le travail d’une
équipe qui cherche à rendre les
soins en santé mentale accessibles à tout un chacun, même
- et surtout - aux plus démunis.
Un projet pensé et construit progressivement au fil de ces deux
décennies…
e Siajef est un « Service
intégré d’aide et de soins
psychiatriques dans le
milieu de vie (SIAS) ». Son
travail s’organise autour des principes d’intégration, de territorialité, d’approche communautaire
et de lutte contre l’exclusion. Actif
en toute première ligne, il propose
une aide et des soins de base aux
personnes en détresse psychiatrique ou psychosociale. On y passe
pour recevoir ses médicaments,
venir en consultation, échanger
une seringue, demander un rendez-vous, régler un problème
administratif, chercher son argent
de poche, prendre une douche…
ou simplement pour parler.
professionnelle,
comme
Article XXIII qui regroupe
un ensemble de mini-entreprises: SCB (secrétariat,
graphisme, multimédia), Col
Revers (Confection assistée
par ordinateur), Les métiers
du bâtiment, le Cheval bleu
(restauration), … Celles-ci
sont ouvertes le temps qu’il
faut, sur base contractuelle,
à des stagiaires issus du
Siajef ou d’autres services
de 1ère ligne de l’UPI. On
y trouve aussi des lieux
d’insertion socioculturelle,
comme Revers, qui proposent des activités culturelles,
de loisirs, artistiques,…
 La troisième ligne prévoit l’aide urgente et les lits
résiduels d’hospitalisation au
sein du SAHU.
Confluences n°5 mars 2004
de son entourage et ses propres
compétences) et en coordination avec les autres intervenants
(à l’interne ou à l’extérieur) qui
s’occupent de sa situation. C’est
lui qui l’accompagne dans la vie
quotidienne et qui veille à rencontrer ses besoins à tout niveau.
Travailler
dans une dynamique
de santé
Le travail du Siajef s’inscrit dans
une logique de santé. Celle-ci
implique d’abandonner un modèle de soins centré exclusivement
sur la maladie et la médecine.
Elle correspond plutôt à une logique territoriale et de réseau qui
permet de prendre en compte les
déterminants de la santé, tels le
logement, les ressources finan-
D.S.S. : District Socio Sanitaire (4 à 6 D.S.S. par Unité Psychiatrique
Intégrée.)
S.I.A.S. : Service Intégré d’Aide et de Soins psychiatrique dans le milieu de vie.
S.A.H.U. : Service d’Accueil Hospitalier d’Urgence.
cières, la formation, la participation à l’activité économique et à
la vie culturelle, … Cette logique
suppose donc d’implanter les services au sein de la communauté,
en pensant leur organisation et
leurs missions en rapport à la
population et aux ressources
existantes sur le territoire local.
Pour changer les logiques, il faut
changer les habitudes… Il est donc
nécessaire de faire de la résistance
et de sensibiliser la population et les
intervenants sur les alternatives et sur
l’intégration dans le milieu de vie.
Entrer dans une logique de santé
implique aussi, pour le Siajef, de
rompre avec des logiques trop
dichotomiques du type ‘absence/
présence’ de maladie. La santé
est un équilibre dynamique qui
fait alterner périodes d’affaiblissement et d’amélioration. Le système de santé devrait permettre
d’accompagner des trajectoires
qui intègrent la gestion des incidents ponctuels dans un parcours
de vie et de soutenir des sujets
en tant qu’acteurs de leur propre
existence et de leur devenir.
Tenter de répondre aux problèmes
de santé mentale des usagers de
la psychiatrie passe aussi et plus
globalement par un changement
de dynamique de la société vis-àvis de ces/ses citoyens.
Au delà des paroles :
les actes
Dans cette dynamique, très concrètement, travailler au Siajef,
c’est mettre l’accent sur l’accueil
et l’analyse de toute demande,
que celle-ci soit formulée par la
personne elle-même, par son
entourage ou par un partenaire
du réseau. Se mettre au service
de la santé mentale de la population sur son territoire, c’est aller
à la rencontre des gens, de ceux
qui expriment une demande qui
n’est pas toujours explicite…et de
ceux qui n’en formulent pas…
L’objectif de l’équipe est de mettre
en place, chaque fois que c’est
possible, des soins ou un accompagnement dans le milieu de vie.
Près de 150 personnes sont ainsi
suivies en permanence (En 2003 :
la file active comptait en moyenne
139 personnes). Même dans des
situations graves et complexes, le
traitement peut s’envisager à domicile, pour autant qu’un intervenant
puisse passer plusieurs fois par
jour au chevet de la personne. Les
suivis intensifs, justifiés pour ¼ de
la population en 2003, correspondent à plusieurs interventions par
jour (soit 220 contacts en moyenne par mois par usager pour cette
catégorie de patient).
Le travail s’appuie sur une équipe
de 17 personnes : éducateurs,
assistants sociaux, sociologues,
psychologues,
criminologues,
médecins… qui se répartissent le
travail en fonction de leurs compétences mais aussi et surtout en
fonction des différentes tâches
à assurer. Il s’appuie aussi sur
les ressources de la personne :
famille, voisins, médecin généraliste, aides familiales, administrateurs de biens, centres de formations, ….Il s’appuie enfin sur les
autres équipes inscrites sur le
territoire. Un partenariat est établi
avec une série de services sélectionnés en fonction des objectifs :
soins de santé, urgence, services
sociaux, logement, emploi, culture, psychiatrie, ….
Il faut sortir d’une pensée « autour
de la maladie », en s’intéressant à
la personne et pas uniquement à ses
problèmes. Les activités proposées,
tiennent compte de ses compétences.
1ère
ligne,
Au delà des soins de
le Siajef a progressivement créé
un dispositif de services d’inser-
tion socioprofessionnelle et puis
socioculturelle. Au départ, la
volonté était d’aider les usagers
à s’intégrer dans les structures
existantes. Pour certains, c’est
possible... Mais pour la plupart
d’entre eux, un temps de passage par un cadre plus structurant est nécessaire… De plus, en
termes d’emploi, le taux de chômage étant important, les circuits
habituels ne sont pas particulièrement ouverts aux personnes
fragilisées…De même, en termes
d’activités, il existe, bien sûr, des
propositions intéressantes dans
la région, mais il y a un problème
d’accessibilité. Elles ne sont pas
adaptées au public. Le système
mis en place par le Siajef est
ouvert à tout le monde, à tout
moment. Il a donc été nécessaire
de penser des ateliers de ce type
parce qu’ils n’existaient pas. Le
principe est de combler les lacunes, et puis de créer des liens.
Une place pour les usagers
Une place est réservée dans ce
dispositif aux usagers qui se réunissent dans un conseil d’action
communautaire. Ce conseil porte
une réflexion sur le fonctionnement du service ainsi que sur la
communauté. Il s’agit d’un temps
de confrontation travailleurs/
usagers pour améliorer les
actions du service vis-à-vis du
public et des partenaires.
Pour en savoir plus, ne pas
manquer les temps forts du
XXème anniversaire… de ce projet qui tient la route depuis 20 ans
et qui aujourd’hui débouche sur
des propositions bien concrètes
d’organisation des soins en santé
mentale. A suivre… 
Infos :
Siajef - asbl Revers
18 rue Maghin, 4000 Liège
S 04 227 68 76 - 4 04 227 68 76
[email protected] - www.revers.be
Confluences n°5 mars 2004
11
Cartes blanches
Financement de l’hospitalisation partielle
Les modalités de financement des
soins de santé témoignent incontestablement des orientations de
politique. L’évolution récente des
perspectives de financement des
hospitalisations partielles a fait
frémir le secteur…
Alain Weyers
Directeur général du C.H.P.
Le Chêne aux Haies
Plate-Forme Picarde de Concertation
pour la Santé Mentale
On le sait, les divers indices
hospitaliers (A, T et K) déclinent deux modalités de prise en
charge selon que l’hospitalisation
s’avère complète ou partielle.
Dans ce dernier cas prévaut une
grande souplesse. Seule est
réglementée la durée journalière
de la présence du patient, alors
qu’est laissée à l’appréciation
des parties la fréquence hebdomadaire des jours ou des nuits
d’hospitalisation. En effet, l’hospitalisation partielle peut être de
jour ou de nuit, avec une très
nette prévalence statistique de la
forme diurne.
Qui ne voit que l’hospitalisation partielle s’inscrit aisément
dans les nouveaux paradigmes de la politique en matière
de
soins
psychiatriques.
Désinstitutionalisation, maintien
du patient dans son milieu de vie,
réhabilitation sociale, réinsertion
dans la trame de la cité, …, voilà
12
12
autant d’objectifs dont l’hospitalisation partielle peut s’accommoder, de manière variée, en fonction des inspirations diverses qui
sous-tendent ses pratiques.
Sans doute le dispositif normativo-financier existant (taux
d’encadrement en personnel,
honoraires médicaux, …) n’at-il jamais vraiment encouragé
son développement. Jusqu’au
jour récent (janvier 1999) où est
revu le financement de l’hôpital
psychiatrique via, notamment,
l’instauration de nouvelles normes d’activités. Désormais, estil édicté, un taux d’occupation
des lits complets à 80% suffit à
garantir la perception de 100%
du budget ; pour les lits partiels,
le taux est fixé à 56%.
N’est-ce là pas un signe d’encouragement tangible qui ne relève
pas seulement d’effets de rhétorique ? C’est en ce sens que
le nouveau dispositif de financement est perçu par une partie
des institutions concernées …
Jusqu’à l’adoption, en section
« Financement » du Conseil
National des Etablissements
Hospitaliers, il y a quelques
mois, d’une mesure dite «technique» qui présuppose que le taux
d’occupation requis en indices
partiels n’est pas, contrairement
aux apparences, de 56% mais
bien de 80%, comme pour les
lits complets.
A coup sûr, les textes sont ambi-
Confluences n°5 mars 2004
gus et disent le noir et le blanc.
Il n’en reste pas moins que le
poids des mots, en l’occurrence,
se mesure aussi en chiffres de
poids, tant rétroactivement que
prospectivement.
Rétroactivement, puisque les
révisions de prix des exercices
1999 et suivants amputeraient les
budgets de manière très significative par l’application de la règle
précitée. Prospectivement, puisque la reconversion de certains
établissements psychiatriques se
fondait sur l’équation : «lit partiel
= 56% de taux d’occupation».
Au travers de l’élément financier
se joue, en fait, une orientation
de politique de soins.
Cette dernière, heureusement,
a été considérée dans le sens
escompté. En concertation avec
l’administration du Service Public
Fédéral concerné, le choix a été
arrêté de favoriser les prises en
charge via les indices partiels.
Dorénavant, en effet, l’hospitalisation partielle sera normée en
matière d’activités en fonction
des jours effectifs de prestation,
à savoir les jours de semaine
hors week-end.
Si la mesure est budgétairement
neutre pour le pouvoir fédéral,
elle n’est pas sans incidence
sur l’étoffement des dispositifs
de prise en charge hospitaliers
et des mises en réseaux dans
le secteur des soins de santé
mentale. 
Le spectre autistique ? ... J’en ai peur !
Certains échos laissent entendre
que nous approchons du point
d’orgue d’une valse triste à trois
temps, valse à laquelle de trop
nombreux « danseurs et musiciens » n’ont pas été conviés. La
coda de cette composition semble
faire apparaître l’aboutissement
d’un mouvement tenace et exclusif, surgissant dans une impressionnante cacophonie collective !
Conseil d’Institution du Centre de
Psychiatrie Infantile Les Goélands (Spy)
F. Cuche, N. De Vreese, B. Geets, M.
Lefebvre, Dr. M.-L. Meunier, Dr. N.
Poolen, F. Turine
Premier temps : 1997, le rapport
de la Fondation Roi Baudouin sur
la problématique de l’autisme en
Belgique1. La rédaction très tendancieuse de ce rapport, malgré la participation de nombreux « experts »
universitaires et parentaux, ne
prend quasi nullement en compte ce
que de très nombreux professionnels ayant une approche psychodynamique réalisent quotidiennement
auprès d’autistes depuis 30 ans.
Dénigrement avéré de ce que sont
ces mêmes professionnels qui ont
été, faut-il encore le rappeler, les
premiers à s’intéresser à l’autisme
en Belgique. Ce rapport affirme de
manière quasi exclusive que la seule intervention adaptée aux autistes
est la méthode orthopédagogique
TEACCH !
Silence.
Le deuxième temps annonce,
avec la déclaration de la Ministre
Alvoet2, la création de centres de
référence pour autistes. A ce sujet,
dans une intervention très pertinente, le Dr André DENIS, président
du groupe de travail « Troubles
Envahissants de Développement
et santé Publique », défendait de
manière précise et nuancée, au
nom des « groupes enfance » des
plates-formes de concertation3, une
opposition à de tels centres si, parmi
de nombreux autres arguments, leur
création se faisait sans concertation
ni dialogue préalables avec les institutions et les professionnels concernés. Il y formulait également un soutien possible à de tels centres s’ils
se destinaient à la recherche et à la
formation, réunissant les différentes
orientations et approches théoriques
et scientifiques.
Force est de constater que cette
prise de position n’a nullement été
prise en compte ; la seule réponse
a été la tactique du silence, du faire
le mort, d’arrangements sous le
manteau.
Silence.
Aujourd’hui, le troisième temps risque d’être celui du fait accompli…
Le texte de convention entre les
«centres de référence pour les troubles du spectre autistique» (sic) et
l’Inami est sur le point d’être finalisé.
L’adoption d’un élargissement des
troubles autistiques à un spectre
autistique y est affirmée, officiellement, sans que cela fasse débat. On
avance l’appellation de «troubles du
spectre autistique» comme on parle
de troubles du langage ! Ainsi, la
conjonction de la détermination
de quelques parents, de l’opportunisme de certains universitaires et
de la soumission des autorités à
des croyances scientifiques outreatlantiques renforce un constat de
politiques à la petite semaine et
sans aucune vue d’ensemble.
Pause.
En cette période où les Ministres
nous parlent de politique de soins
intégrés, où l’on nous prie de
réfléchir et de nous préparer aux
circuits et réseaux de soins, où
l’on prône la concertation, où sont
organisés des dialogues de la
santé, où les Autorités modifient les
plates-formes de concertation en y
intégrant, notamment, les centres
conventionnés avec l’Inami (qui ont
quelque connaissance quant à ce
que autisme veut dire) et enfin où la
Région wallonne soutient la création
d’un Institut Wallon pour la Santé
Mentale, nous déplorons – et le
terme est très faible – que, lorsqu’il
s’agit de prendre une décision dont
l’incidence sur le terrain peut être
grande, les structures existantes ne
sont nullement interrogées.
Dans le même temps, Madame
Maréchal, Ministre de la Santé de
la Communauté française annonce,
« au nom du développement des
connaissances » (sic) mais sans
concertation avec les intervenants
de terrain, sa décision de reconnaître, prochainement, l’autisme comme
catégorie de handicap à part entière ; cette décision renvoyant ainsi
la réalisation financière d’une telle
mesure à l’Awiph qui manque déjà
cruellement de moyens financiers !
A cela s’ajoutent aussi nos difficultés, vu la réduction catastrophique
d’institutions ouvertes le week-end,
à trouver une réorientation pour des
jeunes, notamment autistes, dont
la famille est « hors circuit » (n’en
déplaise au développement des
connaissances, cela existe aussi).
Et bien d’autres choses …
Enfin, nous découvrons - surréalisme suprême ! - l’annonce d’un
colloque, organisé sur le thème :
« les personnes autistes à la conquête de leurs droits » !
L’autisme, déformé par le spectre
dont certains veulent à tout prix l’affubler, l’autisme, par l’intermédiaire
de ses promoteurs, envahit. Il envahit par ses revendications et ses
exclusions à la manière d’un virus
informatique ou impérialiste ; l’autisme envahit le monde de la santé, de
l’éducation, de l’enseignement, des
soins, de l’intégration sociale et de
la santé mentale.
Chaque citoyen a des droits, c’est
le propre de toute société. Mais
quand on met ainsi à l’avant plan la
question des droits, on ne peut pas,
en démocratie, la dissocier de celle
des devoirs.
Le spectre autistique ? Mais qu’y at-il donc derrière ? Nous ne sommes
pas rassurés ! 
1 « L’Autisme. Rapport sur la problématique de l’autisme en Belgique » . (Fondation Roi Baudouin – 1997)
2 « La Psyché, le cadet de mes soucis » Note de politique relative aux soins de santé mentale (2001)
3 « Les Plates-formes de concertation pour la santé
mentale Wallonie-Bruxelles fêtent leurs 10 ans ». Actes
de la matinée de réflexion. Vendredi 26 octobre 2001.
Confluences n°5 mars 2004
13
In-Folio - Infos
A pointer parmi les nouveautés du centre de documentation
In-Folio continue à mettre à votre disposition un ensemble de périodiques, de rapports d’activités, d’ouvrages
et de livres de référence en santé mentale...
Dernièrement, ce fonds documentaire s’est doté de nouvelles acquisitions. Certaines ( présentées ici en gras)
sont en lien avec le dossier : « Le travail social en santé mentale ».
A lire, à découvrir pour poursuivre les réflexions en cours...
 Bernardet P., Douraki T., Vaillant C. Psychiatrie,
droits de l’homme et défense des usagers en Europe
Ramonville-Saint-Agne, Erès, 2002, coll Etudes, recherches, actions en santé mentale en Europe
 Clément P. La Forteresse psychiatrique Paris,
Flammarion/Aubier, 2001
 Delbrouck M. Le Burn-out du soignant : le syndrome d’épuisement professionnel Bruxelles, De Boeck &
Larcier, 2003, coll. Oxalis
 Duchêne J., Delfosse M., Delville J. & coll., Ethique et
handicap mental, Namur, PUN, 1997, coll. Psychologie
 Dufort F., Le Bossé Y., Boucher K. Agir au coeur des
communautés : la psychologie communautaire et le
changement social Québec, Les Presses de l’Université
Laval, 2002
 Dutoit-Sola M., Deutsch C. Usagers de la psychiatrie : de la disqualification à la dignité : l’advocacy
pour soutenir leur parole Ramonville-Saint-Agne, Erès,
2001, coll. Etudes, recherches, actions en santé mentale
en Europe
 Ehrenberg A., Lovell A. La Maladie mentale en
mutation : psychiatrie et société Paris, Odile Jacob,
2001
 Frankard A.-C., Renders X. La Santé mentale de
l’enfant : quelles théories pour penser nos pratiques?
Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2004, coll. Oxalis
 Hardy-Baylé M.-C., Bronnec C. Jusqu’où la psychiatrie peut-elle soigner ? Paris, Odile Jacob, 2003
 Henrard J.-C. Les Défis du vieillissement :
la vieillesse n’est pas une maladie ! Paris, La
Découverte et Syros, 2002, coll. Société et santé
 Jaeger M., Bauduret J.-F. Rénover l’action sociale
et médico-sociale Paris, Dunod, 2002, coll. Action
Sociale
14
Confluences n°5 mars 2004
 Joubert M. Santé mentale, ville et violence
Ramonville-Saint-Agne, Erès, 2003
 Kovess V. Epidémiologie et santé mentale Paris,
Flammarion Médecine-Sciences, 1996, coll. Psychiatrie
 Laplanche J., Pontalis J.-B. Vocabulaire de la
psychanalyse Paris, PUF, 2002, coll. Quadrige
 Leclerc A., Fassin D., Grandjean H. & coll. Les
Inégalités sociales de santé Paris, La Découverte et
Syros, 2000, coll. Recherches
 Leman J., Gailly A. Thérapies interculturelles :
l’interaction soignant-soigné dans un contexte multiculturel et interdisciplinaire Bruxelles, De BoeckWesmael, 1991, coll. L’Homme/L’Étranger
 Louzoun C. Santé mentale : réalités européennes
Ramonville-Saint-Agne, Erès, 1993
 Maisondieu J. Liberté, égalité… psychiatrie Paris,
Bayard, 2000
 Pidolle A., Thiry-Bour C., Droit d’être soigné, droits
des soignants Ramonville-Saint-Agne, Erès, 2003
 Porot A. Manuel alphabétique de psychiatrie, Paris,
PUF, 1996
 Swain G., Gauchet M. Dialogue avec l’insensé précédé de A la recherche d’une autre histoire de la folie
Paris, Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines,
1994
 Tousignant M. Les Origines sociales et culturelles
des troubles psychologiques Paris, PUF, 1992, coll.
Psychiatrie ouverte
 Vercauteren R., Predazzi M. Loriaux M. Pour une
identité de la personne âgée en établissements :
le projet de vie Ramonville-Saint-Agne, Erès, 2001
 Valla J.-P., Bergeron L. L’Epidémiologie de la santé
mentale de l’enfant et de l’adolescent Paris, PUF,
1994, coll. Nodules
dossier
Le travail social en santé mentale
A
ujourd’hui, plus que jamais, s’interroger sur les pratiques du travail social en santé mentale s’avère d’une grande pertinence et
d’une bouillante actualité d’autant plus que le champ de la santé
mentale a toujours été un révélateur du social.
Le travail social a pour mission d’être le garant de la réalité sociale,
autant pour la personne en demande bio-psycho-sociale que pour les
interventions des travailleurs psycho-médico-sociaux.
L’identité des acteurs, les pratiques et le sens du travail social sont
ébranlés par les mutations contemporaines du lien social, du champ de
la santé mentale et de la psychiatrie moderne.
On parle de déliaison, de rupture des liens, de désaffiliation liée entre
autres à la précarisation, de délégitimisation du lien social…
Le champ de la santé mentale a vu apparaître avec le « langage du
moi » du XIXème siècle, à côté des maladies mentales, des souffrances psychiques caractérisées par la sémantique du for intérieur et des
profils cliniques qui sont, ou que nous diagnostiquons, de plus en plus
polymorphes.
La psychiatrie moderne voit le démantèlement des structures hospitalières au profit du développement des structures intermédiaires et
ambulatoires psycho-médico-sociales et une explosion des métiers et
professions travaillant dans le secteur.
Dans ce dossier, travailleurs sociaux, sociologues, psychologues, médecins, psychiatres et usagers s’interrogent sur la manière de réinventer
un travail social adapté à la réalité d’aujourd’hui.
Luc VAN HOUTRYVE
Psychiatre au Service de Santé Mentale La Pioche
et à l’Hôpital du Grand Hornu.
15
La santé mentale,
champ pertinent de l’action sociale
Le champ de la santé mentale est
devenu un secteur particulièrement
pertinent pour étudier les évolutions en matière d’aide sociale et
d’intervention sur les personnes.
Didier Vrancken
Professeur de sociologie à l’ULG
Directeur du Centre de Recherche
et d’Intervention Sociologique (CRIS)
L’« explosion » du champ
de la santé mentale
T
out d’abord, lorsque l’on
se penche sur l’évolution
institutionnelle du secteur
de la santé mentale, on
constate que ce dernier n’a cessé
d’évoluer au cours des années.
Secteur capable d’innover à
travers des réformes, certes,
mais encore de s’étendre à des
questions et à des thématiques
qui, à l’origine, ne relevaient pas
spécifiquement du secteur que
l’on qualifiait alors de « psychiatrique ». Ainsi, des thématiques
plus récentes, telles que la
maltraitance, la toxicomanie, la
formation, l’insertion socio-professionnelle, l’aide précoce, l’aide
aux jeunes en difficultés, l’aide
aux victimes et aux justiciables,
l’accompagnement, la bio-télévigilance, les soins psychiatriques
à domicile, etc. ont-elles fait leur
apparition. On pourrait, certes,
montrer que cette évolution va de
pair avec la réforme des lits hospitaliers psychiatriques qui a très
largement consisté en une fermeture des lits au profit de services
16
Lionel Lehanse, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
extra-hospitaliers. Mais la rationalisation du secteur hospitalier
psychiatrique n’est pas un facteur
suffisant pour expliquer à lui seul
cette formidable évolution qui met
aujourd’hui les intervenants bien
en difficultés lorsqu’il s’agit de
définir et de limiter exactement ce
que l’on entend par « champ de
la santé mentale ». On ne peut
d’ailleurs s’empêcher une comparaison : l’évolution du champ
de la santé mentale présente de
fortes similitudes avec celle du
champ de l’action sociale. Tous
deux ont été confrontés au cours
de ces dernières années à une
véritable explosion des métiers et
Confluences n°5 mars 2004
Didier Vrancken a co-dirigé
avec J. De Munck, J.-L. Genard
et O. Kuty une recherche sur la
santé mentale : Santé mentale
et citoyenneté. Les mutations
d’un champ de l’action publique, Bruxelles, Academia
Press, 2003, et a récemment
publié : Le Crépuscule du
social, Bruxelles, Labor, 2002.
Il vient de publier avec C.
Macquet un ouvrage sur les
formes de l’échange : Contrôle
social et formes de subjectivation, Liège, les Éditions de
l’Université de Liège, 2004.
des spécialistes de la santé publique, des anthropologues, des
diplômés en communication mais
encore en marketing, en comptabilité, en gestion, etc. Santé mentale et action sociale deviennent
des lieux d’intervention d’une
multiplicité croissante de professionnels qui, au départ, n’étaient
pas spécifiquement formés ou
destinés au secteur. De cette
remarque, on peut retenir deux
idées : tout d’abord, un brouillage
considérable des repères professionnels d’autrefois et en second
lieu un phénomène d’interpénétration (ou de dédifférenciation
croissante) des secteurs. Nous
avions, pour étayer cette idée, parlé de « mentalisation du social »
et inversement de « socialisation
du mental ».
Produire du social
Le constat auquel on parvient
aujourd’hui est celui d’un épuisement rapide du mouvement de
professionnalisation de l’action
sociale. Avec la multiplication
croissante des services et des
interventions, on assiste à une
véritable fragmentation tant des
réponses que des métiers. La
profession de travailleur social en
tant que métier reconnu, portée
par des techniques, des savoirs et
des codes normatifs communs est
en perpétuel questionnement. Le
travailleur social ne se définit plus
par ses savoirs acquis et dûment
certifiés par un diplôme attestant
d’une formation reçue. La quête
de définition de son travail ne
s’opère donc plus en amont mais
bien en aval de la pratique. Les
travailleurs doivent désormais
apprendre à se débrouiller à
travers les dédales juridiques et
légaux, la quête de financements,
la coordination, la connaissance
du champ institutionnel local. Le
but de l’action sociale n’est plus
d’exercer une pression sur l’individu pour le faire rentrer dans
des normes préétablies. Il s’agit
bien plus de produire du social
là où précisément le lien apparaît
comme pris à défaut. Produire du
social, c’est, dans cette optique,
mobiliser l’individu, ses relations,
ses ressources, ses aspirations,
ses affects, ses désirs pour
l’insérer socialement quand la
solidarité devient problématique.
Les travailleurs sociaux se retrouvent de plus en plus souvent en
équilibre précaire sur un fil ténu.
Il s’agit alors souvent d’aider la
personne à produire du récit pour
tenter de rapiécer les éléments
épars d’un parcours de vie qui
apparaît souvent complexe,
éclaté, voire même évanescent
aux yeux de l’intervenant souvent
confronté à la trame continue de
récits de désaffiliation, de perte
de liens, de repères et de sens.
Se pose, dès lors, avec encore
plus de gravité, le problème de
la narration. Comment parvenir
à raconter, à faire dire et à livrer
une histoire...? Jusqu’où raconter
et exposer publiquement le récit
d’une vie ? Comment faire dire,
parfois, l’intolérable sans blesser
celui qui expose le poids des
meurtrissures qu’il a subies ou
qu’il a fait subir à autrui ? Les travailleurs sociaux se retrouvent de
plus en plus souvent en équilibre
précaire sur un fil ténu.
Si la narration du récit a pris tant
d’importance aujourd’hui tant au
niveau de l’aide sociale, de la
psychothérapie ou plus largement
dans les sciences sociales, c’est
sans doute aussi parce que notre
expérience de vie en société a
sensiblement évolué. Les individus sociaux (ou les « sujets ») ont
changé. Ils se construisent à partir de nouvelles manières d’être et
de vivre en société. Et précisément, l’évolution des institutions
et des pratiques de santé mentale
rend compte de la production de
nouvelles figures normatives du
sujet, c’est-à-dire, pour le dire
plus simplement, de « nouvelles
personnalités sociales ».
Permettre la mise en récit
de la souffrance…
On peut avancer que, depuis
le XIXème siècle, de nouveaux
cadres de description ont vu le
jour pour proposer de nouveaux
mots à accoler derrière l’action ou
pour se décliner comme une personne en souffrance intérieure.
Les disciplines qui émergeront
alors offriront les catégories permettant l’élaboration progressive
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
des professions intervenant dans
le secteur. A côté des traditionnels psychiatres, psychologues,
assistants sociaux et paramédicaux sont venus s’adjoindre des
criminologues, des sociologues,
17
relatif à l’intime, Ehrenberg
souligne que les troubles psychologiques actuels les plus fréquemment observés relèvent de
problèmes d’addiction tels que
l’alcoolisme ou les toxicomanies,
les troubles alimentaires, les abus
sexuels, les troubles compulsifs,
autant de comportements liés à la
dépression. Alors que la névrose
était une pathologie de la culpabilité face à la transgression de
l’interdit, la dépression est décrite
comme une maladie de l’insuffi-
Lionel Lehanse, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
d’une demande sociale ainsi que
l’émergence d’une clientèle spécifique. Tout un langage du moi se
diffusera à la fin du XIXème et tout
au long du XXème siècle par le
biais des journaux, des romans,
des feuilletons, des magazines,
des débats, des conférences, des
journées d’études, des thérapies
entreprises. Il apprendra aux profanes à mettre des mots derrière
la douleur. Une sémantique du
for intérieur se diffusera progressivement pour aider à saisir mais
… mais aussi questionner la
Société qui la produit
aussi à décrire et à qualifier les
formes de souffrance psychique.
Entrée dans notre culture, cette
sémantique offrira à tout un chacun l’opportunité de dire et de
livrer une part de lui-même, de
son expérience subjective.
Corroborant cette analyse d’une
institution de ce langage social
18
à l’imprévisibilité des marchés et
aux aléas de l’existence. En ce
sens, le secteur de la santé mentale apparaît donc bien au cœur
de ce processus qui a vu peu
à peu la diffusion d’un nouveau
langage capable de formuler de
nouvelles demandes sociales
mais aussi d’y répondre. Cette
détresse évoluant tant au sein
de l’entreprise que de la sphère
domestique, trouve à s’exprimer
grâce au langage psycho-relationnel et à toute une « grammaire
de l’intérieur » largement diffusés
pour permettre la mise en récit de
la souffrance. Cette tendance se
traduit encore par une augmentation du nombre de consultations
dans un champ professionnel et
institutionnel de la santé mentale
qui ne cesse de s’étendre pour
rencontrer les attentes grandissantes des populations.
sance, du vide et de l’incapacité
à agir dans une société qui survalorise l’action. La dépression
peut être comprise comme une
réponse à l’injonction constante
que produisent l’entreprise mais
aussi les conditions modernes de
la vie en société : être soi, flexible, compétent, connecté, inventif, actif et réactif pour faire face
Confluences n°5 mars 2004
Mais ces problèmes sont souvent
lus et traités sur un mode privé,
en tant que problèmes particuliers
et individuels alors qu’ils livrent
énormément de choses sur les
dynamiques de nos sociétés et
sur nos formes de souffrance
sociale à travers lesquelles les
individus s’expriment. Ce dont il
faut rendre compte aujourd’hui,
c’est du fait que l’individu ne se
construit pas tout seul et n’est pas
seul à vivre de tels types de problèmes. Il s’agit de rendre compte
de leur dimension sociale à l’heure où, précisément, le social n’est
plus un donné mais devient une
exigence qu’il faut sans cesse
rappeler, invoquer. 
Psychiatrie et travail social :
de la confrontation à la coopération
Marcel Jaeger
Directeur
de l’Institut Régional du Travail Social
Montrouge / Neuilly-sur-Marne
L’
actualité de la psychiatrie
publique est faite d’une
baisse spectaculaire du
nombre de lits d’hospitalisation et du basculement d’un
nombre croissant de « patients
» vers des structures sociales et
médico-sociales, que ce soit pour
des projets d’insertion ou pour
des prises en charge plus adaptées et souvent moins coûteuses
que l’hôpital (maisons d’accueil
spécialisées, foyers...). On peut
comprendre que les professionnels de la psychiatrie y voient
une dissolution administrative de
la maladie mentale dans le handicap, qu’ils vivent ce changement
sur le mode de la perte, et même
qu’ils perçoivent, dans les institutions médico-sociales, sous
une forme quasi hallucinatoire,
le fantôme de l’asile d’autrefois.
Ils croient souvent se préserver
de ce danger en concevant des
structures sociales et médicosociales dont ils conserveraient
la gestion, tout en préservant leur
culture sanitaire.
A l’inverse et de manière symétrique, du côté du secteur médicosocial, on a vu se développer la
crainte des effets non maîtrisables
d’une immigration institutionnelle
de malades mentaux, des intrusions du monde hospitalier, et ceci
d’autant que la psychiatrie a une
très mauvaise image de marque.
Rappelons-nous la campagne
de publicité haineuse de l’acteur
Michel Creton pour qui l’hôpital
psychiatrique n’avait rien à envier
aux camps de concentration ou
le fantasme d’un contrôle social
généralisé de la société par la
psychiatrie.
Cette double inquiétude en miroir
est fondée sur une méconnaissance réciproque très grave et
tout à fait dommageable aux
enfants, adolescents et adultes
qui ont à la fois besoin de soins
et d’un accompagnement social
et éducatif. Car la réalité de
chacun de ces deux mondes a
heureusement beaucoup évolué.
Encore faut-il que chaque camp
l’admette, accepte de découvrir
l’autre, ce qui est la moindre des
choses quand on s’occupe de
personnes en difficultés... C’est
d’ailleurs grâce à ces dernières
que les rencontres se développent, rappelant ainsi dans le
quotidien qu’il vaut mieux penser les modalités d’une prise en
charge à partir du sujet dans sa
globalité, plutôt que de procéder à
l’inverse, en partant des clivages
institutionnels.
“
Tenir compte, par-delà leurs
logiques propres, de la réalité
complexe et instable des
besoins des personnes en
difficultés
“
Il est en effet essentiel de penser
des réponses ajustées à des
besoins multiples, mouvants, qui
excèdent les grandes catégories
de populations touchées par
l’exclusion sociale avec, souvent,
un mélange de difficultés économiques et sociales, d’anxiété,
de dépression, de dépendances
plus ou moins pathologiques.
En l’occurrence, le besoin de
soins psychologiques ne signe
pas l’existence d’une maladie
mentale et il n’y a aucune raison
de psychiatriser la souffrance
existentielle. Encore faut-il pouvoir
répondre à des situations de
détresse, de dégradation de la
santé, et pour cela favoriser la
combinaison des interventions de
travailleurs sociaux et d’équipes
psychiatriques.
 Marcel JAEGER est infirmier
psychiatrique, licencié en philosophie, docteur en sociologie
et diplômé de l’Institut d’Etudes
Politiques de Paris.
Il est l’auteur de L’Articulation
du sanitaire et du social,
Dunod, 2000 et co-auteur,
avec Jean-François Bauduret,
de Rénover l’action sociale et
médico-sociale : histoires d’une
refondation, Dunod, 2002
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
Les modes de coopération entre
le travail social et la psychiatrie de
service public sont de natures très
diverses selon les endroits et selon
les personnalités des interlocuteurs : indifférence mutuelle dans
certains cas, mépris, voire agressivité réciproque dans d’autres,
mais de plus en plus recherche de
synergies et efforts pour travailler
ensemble. En fait, derrière cette
diversité d’attitudes, deux niveaux
d’analyse doivent être distingués,
selon que l’on parte d’une logique
d’institution ou de préoccupations
plus proches des personnes qu’il
s’agit d’aider¹.
19
20
La rencontre obligée
de deux mondes
Pour la plupart, les travailleurs
sociaux comme les soignants
sont de plus en plus confrontés
à des personnes aux besoins
complexes et fluctuants. De fait,
ces professionnels ne peuvent,
seuls, gérer des situations qui
relèvent, dans de nombreux
cas d’une pluralité d’actions.
Contrairement à l’idée qui fonde
l’ensemble de notre dispositif de
protection sociale, il faut faire
le deuil des supposées populations-cibles. D’abord parce que
les mouvements des personnes
en difficultés s’accélèrent entre
les institutions, voire dans leurs
marges. Ensuite, parce que les
profils « cliniques » sont polymorphes : des intrications et des
balancements entre des difficultés familiales, sociales et économiques, des perturbations psychologiques qui relèvent parfois
de la psychiatrie, des déficiences
diverses aussi bien physiques
que mentales.
Les leçons commencent à en être
tirées, en France, par la Protection
judiciaire de la jeunesse et par les
instituts de rééducation, en première ligne avec des populations
« impossibles ». Le Samu social²
et le Réseau national Souffrance
Psychique et Précarité³ (RNSPP)
aussi. Mais le phénomène le plus
intéressant est le mouvement de
fond qui traverse toutes les structures, à savoir la recherche de
20
partenariats formalisés par des
conventions de mises en réseau
entre des équipes de secteur
psychiatrique et des institutions
sociales et médico-sociales.
Certes, l’évolution des pratiques
ne se résume pas à la signature de conventions. Le travail
en réseau suppose que les différents professionnels de chacune
des filières (infirmiers, médecins,
psychologues, éducateurs spécialisés, assistants de service social,
enseignants...) se connaissent,
apprennent
à travailler ensemble,
coordonnent leur action
autour de projets communs.
centres de formations sociales et
éducatives d’autre part, soit des
actions de formations continues
pluri-professionnelles,
comme
cela se fait dans certaines régions
pour l’application de la loi de lutte
contre les exclusions.
Cela va bien sûr de pair avec la
nécessité de former des professionnels aptes à saisir les muta-
“
Sortir du corporatisme
sans perdre son âme
“
S’il faut un cadre réglementaire pour pérenniser les collaborations
et dépasser les seules
empathies entre différents intervenants, il
importe surtout que soit
pensée la question de la
coordination des actions
(création
de
référents coordonnateurs
ou appropriation de
cette fonction par le
professionnel qui a le
premier contact ?), que
les niveaux de travail en
commun soient parlés et
sans cesse interrogés,
que la rencontre soit
aussi celle de cultures
différentes, donc que
des formations transversales soient mises en place : soit
des collaborations pour les formations initiales entre les instituts de
formation en soins infirmiers et
d’aides soignantes d’une part, les
Confluences n°5 mars 2004
Roberta LUCCIOLLI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
Les dispositifs psychiatriques,
sociaux, médico-sociaux doivent
donc avancer vers des modes de
coopération qui tiennent compte,
par-delà leurs logiques propres,
de la réalité complexe et instable
des besoins des personnes en
difficultés.
tions en cours, à intervenir dans
des dispositifs sociaux nouveaux,
à faire évoluer les pratiques. En
clair, sortir du corporatisme sans
perdre son âme... Pari difficile,
mais tenable et tenu aussi bien
Les formations
muns, mériterait d’être mise en
chantier de manière plus active.
Ceci concerne non seulement les
professionnels de la psychiatrie
et de l’action sociale, mais aussi
ceux de la médecine générale, de
la justice, de la jeunesse et des
sports, de l’éducation...
Les débats toujours présents
entre les travailleurs sociaux et
les soignants ont des racines
anciennes. Ils remontent à la
naissance de ce qu’il a été convenu d’appeler le « travail social »,
à propos de la question de l’assistance sociale et éducative, complémentaire ou antinomique des
prises en charge
hospitalières. La
compréhension de
la nature des difficultés des personnes est également
différente, selon
que l’accent est
mis sur l’histoire
individuelle
et
l’organisation de
la vie psychique,
ou bien sur les
effets pathogènes
ou thérapeutiques
du milieu social,
familial,
professionnel.
Les rencontres de différentes
catégories professionnelles ou
les passages de l’une à l’autre
doivent se faire sur fond d’identités claires. S’il existe des compétences transversales qui se
heurtent à l’émiettement des formations, il existe aussi des blocs
de compétences que l’on ne
Les formations aujourd’hui ne
peuvent s’envisager sans tenir
compte du travail en réseau. Il
en va de même des bénévoles
qui contribuent à certaines initiatives. Il importe donc d’aider
à la construction d’un langage
commun et à la mise en synergie
des savoirs, des expériences. La
« transférabilité » des compétences d’un secteur à un autre
implique également de réfléchir
aux ajustements nécessaires et
possibles entre les pratiques. De
ce point de vue, une organisation
modulaire des formations qualifiantes, avec des troncs com-
saurait dissoudre dans une confusion nuisible à tous, à commencer par les usagers. La difficulté
majeure n’est pas dans la transmission de savoirs constitués ;
elle est dans l’apprentissage de la
capacité, d’une part à travailler en
commun, d’autre part à passer la
main quand il le faut, en fonction
des mandats qui sont confiés aux
uns et aux autres, et du sens que
cela peut avoir pour les personnes aidées ou accueillies.
Lionel Lehanse, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
Les textes législatifs et réglementaires, les conventions plus
ou moins impulsées par l’Etat
peuvent contribuer à dépasser
les cloisonnements, ne serait-ce
que pour réaliser des «économies
d’échelle». En aucun cas cela ne
pourra suffire si les acteurs de terrain et les décideurs ne sont pas
convaincus qu’il s’agit d’abord de
faire face à des personnes aux
difficultés multiples, instables,
transitoires et pour lesquelles le
passage de témoin s’impose et
s’imposera de plus en plus.
Conclusion
Comment penser aujourd’hui une
articulation entre le secteur sanitaire et le secteur social qui ne soit
pas une instrumentalisation de
l’un par l’autre et réciproquement,
et donc qui soit supportable, au
minimum, par les différentes
catégories professionnelles ?
La seule façon de tenter de surmonter les résistances des deux
bords est d’impulser une réflexion
sur les statuts, mais aussi sur les
qualifications et sur les compétences. Inévitablement, cela suppose de repenser les formations,
à la fois en termes d’adaptation à
l’emploi et en opérant une projection sur les besoins à venir. 
¹Cet article se réfère à la situation en France.
²Le Samu Social de Paris a été créé en 1993 pour aller
à la rencontre des SDF qui, dans la rue, paraissent en
détresse physique ou sociale. Il gère le 115 (numéro
national d’urgence et d’accueil pour les sans-abris).
³Au départ d’une cellule de coordination entre services
psychiatriques et le Samu Social de Paris, ce réseau,
créé en avril 1998, vise à préparer l’approche globale
des personnes vivant dans la grande exclusion.
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
par des infirmiers que par des
éducateurs spécialisés, même s’il
faut bien un minimum de traîtrise
à son camp.
22
« Comment en dire assez sans en dire trop ! »
La particularité de la formation
au métier de travailleur social
est de transmettre des savoirs
qui articulent repères théoriques
et méthodologiques, analyse de
l’expérience et surtout recherche
de sens. Oser la relation à l’autre
en souffrance, s’ouvrir au sens non
commun, ces défis quotidiens se
posent tout particulièrement pour
le secteur de la santé mentale.
Nathalie Gérard et Nathalie Mahieu1
Professeurs
à la Haute Ecole Charleroi Europe
Institut Cardijn - Louvain-La-Neuve
Santé mentale, un aspect
important du travail social
M
ultiples sont les lieux
dans
la
formation
des futurs travailleurs
sociaux qui abordent les
questions liées à la santé mentale, sans que ces lieux ne soient
spécifiquement désignés et destinés à ce « champ » de manière
exclusive.
22
Notre principal objectif de formation, dans le cadre du cours de
psychopathologie2 se veut de
construire avec les étudiants une
attitude clinique et des repères
dans les situations de rencontre
avec des personnes en souffrance
psychique. Evidemment dans les
lieux «désignés» tels3 mais aussi
dans tout autre secteur, aide à la
jeunesse, justice, santé, services
sociaux généraux, CPAS….où
inévitablement les situations
de détresse, de précarisation,
de fragilisation sociale côtoient,
révèlent ou initient d’autres problématiques et ont des impacts
qui s’expriment en terme de santé : santé physique et/ou santé
psychique, à côté et en sus des
autres impacts d’ailleurs.
Les problématiques s’entrechoquent.
Des repères pour une
approche de la souffrance
Notre souci de formateur est de
brosser le plus réalistement le
paysage de la santé mentale,
de fournir des repères les plus
compréhensibles possibles pour
que les étudiants deviennent des
partenaires professionnels pertinents et engagés auprès de personnes peu reconnues dans leurs
besoins de réalisation, dans leur
demande d’exister comme elles
le peuvent, avec des attentes
de devenir (pourquoi en serait-il
autrement ?).
Comme travailleur social, il y a
autant à pouvoir être en relation,
à reconnaître l’autre comme sujet
dans sa différence qu’à réfléchir et
construire des modes d’intervention, à initier des lieux, à défendre
avec eux des droits, des espaces
publics de vie, des espaces de
reconnaissance, à construire une
position professionnelle qui se
situe du côté de la révélation des
besoins et qui trouve des interlocuteurs à tous niveaux4.
Dans la formation des futurs travailleurs sociaux, il nous semble
indispensable de développer ce
qui nous atteint tous au cœur de
notre existence, la question du
sens, de la fonction des symp-
Confluences n°5 mars 2004
tômes, de ce que représente la
souffrance sans qu’elle ne soit
connotée du côté du normal ou
du pathologique.
“
Faire lien entre les personnes
en souffrance, leur réalité et
les ressources extérieures
“
Tant dans notre pratique de l’exercice du métier5 que dans l’accompagnement des étudiants réalisant des stages dans ce champ,
nous constatons que selon le
type d’institution d’une part, selon
son orientation théorique, d’autre
part, le rôle des AS (Assistants
Sociaux) est soit très spécifique,
soit tout à fait a-spécifique, quand
il n’articule pas les deux.
Là où son rôle est démarqué des
autres formations, son travail
s’inscrit dans l’interface entre
l’intra et l’extra muros6, le premier vécu comme protecteur, le
second souvent perçu comme
insécurisant.
Interlocuteur des différents partenaires, il est le lien entre les personnes en souffrance, leur réalité
institutionnelle et les ressources
extérieures à mobiliser. Il sera
également amené à faire preuve
de connaissances et de compétences «techniques» susceptibles
de dénouer les situations administratives, juridiques, financières les
plus complexes (Mutuelle, INAMI,
CPAS, FOREM, syndicats, créanciers…).
Une formation spécialisée
dans l’approche généraliste
Qualifiés et reconnus comme
professionnels de première ligne,
généralistes dans leur aptitude
requise à pouvoir saisir la complexité, les AS reçoivent tous les
publics, avec toutes leurs demandes. Ils se trouvent régulièrement
aux premières « loges » des
situations problématiques qu’elles
soient formulées par les personnes elles-mêmes ou par d’autres
instances. Ils interviendront, en
position principale, dans les
demandes de reconnaissance de
droits, d’accès à tel statut, à des
ressources financières, à un logement, à une orientation vers une
structure adéquate… ce qui constitue l’essentiel de la survie…
Dans les lieux spécialisés, ils
interviendront en seconde ligne
et auront à prendre en compte
et à clarifier les situations identifiées comme « insolubles »
tant ces « usagers particuliers »
requièrent la compréhension des
« résistances » qui les empêchent
de s’inscrire dans des modalités
« habituelles » de fonctionnement
social. Ou parce que ces modalités mêmes d’inscription sociale
sont « résistantes » à pouvoir
s’adapter à eux.
Partenaire au sein d’une équipe
pluridisciplinaire dont la composante
prépondérante est « psy », l’assistant social joue un rôle essentiel
dans l’analyse et la compréhension des situations rencontrées
de même que dans l’élaboration
des modes d’accompagnement
proposés.
Il est garant du principe de réalité
à travers l’éclairage social qu’il
apporte pour appréhender et
comprendre le vécu et la demande des usagers. Il est là pour rappeler qu’un sujet en souffrance
est aussi un être social qui s’inscrit dans un réseau socio-familial
plus ou moins développé, qui a
un niveau de vie plus ou moins
satisfaisant, qui est détenteur ou
non d’un emploi,…
“
L’essentiel du travail social
repose sur la relation
“
La souffrance est indissociable de la réalité sociale dans
laquelle elle s’enracine et c’est au
travailleur social d’y être attentif et
d’y sensibiliser ses collègues.
Quelle que soit la nature de son
rôle, l’essentiel du travail social
reposera sur la relation, moteur
d’une perspective d’intervention
possible, d’un changement potentiel pour ceux qu’il rencontre.
Dans ce sens, une des dimensions fondamentales du travail
social en santé mentale concerne
la place occupée par la parole de
l’usager sur laquelle l’assistant
social va prendre appui pour concevoir ses interventions. A la différence de ses collègues « psy1»,
ce que l’usager dépose comme
parole ici et maintenant n’est pas
objet des interventions de l’AS
mais son support. Il ne s’agit pas
de « mettre au travail » une parole et ce qu’elle révèle mais plutôt
de l’entendre et de la prendre en
compte comme une ressource
indispensable, fil conducteur du
projet de l’usager.
Pourtant la tentation est parfois grande pour les travailleurs
sociaux de recourir à des méthodes et à des langages « psy »
comme si ceux-ci étaient plus
crédibles que les leurs.
La dérive est tout aussi grande
pour les AS de se laisser strictement inspirer par la « commande
médicale », plus forte de la
reconnaissance d’une légitimité
scientifique.
Approche méthodologique résolument individuelle, centrée sur
le sujet… là où il y aurait aussi
à penser lien, réseau et communauté de vie, quartier, commune,… Non que les professionnels
n’intègrent pas dans leur pratique
la recherche de construction d’un
réseau mais il reste timide… ; les
pratiques sont peut-être encore
trop peu créatrices et innovantes.
Et c’est au détour de ces réalités,
de la réalité que les AS ont à
jouer leur plus grand rôle… De
la connaissance des institutions
existantes, mais pas seulement…
Sortir des sentiers battus…pour
accéder aux réalités du quotidien,
aux petites choses qui n’ont l’air
de rien mais qui sont autant de
conditions indispensables pour
se sentir intégré à son espace de
vie : les voisins, les commerçants,
le propriétaire, l’accueil des services au téléphone, les bus et les
trams, les lieux publics qui faciliteront ou non la reconnaissance,
la nécessité d’être considéré
comme humain, vivant malgré
tout, avec la différence…
Les AS ont à se préoccuper de
tous ces aspects de liaison, d’inscription des personnes, qui sont
principalement en difficultés dans
la création de liens.
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
Lorsque son rôle est «a-spécifique», il devient alors, au même
titre que les autres professionnels,
socio-thérapeute, référent ou
répondant, « travailleur social »
au sens large.
Son expertise ne sera plus tant
utile à sa pratique d’intervention
mais sera essentiellement reconnue comme ressource pour l’analyse des situations (en réunion
d’équipe par exemple).
23
L’apprentissage
d’un métier difficile
Comment en dire assez
sans en dire trop
De notre point de vue, une des
principales difficultés rencontrées
par les AS en santé mentale8
réside dans le fait d’être dans
l’inaction, dans un temps long,
ressenti parfois comme immobile et peu changeant… C’est un
défi… quant à une représentation
du métier qui vise à apporter du
changement, du soulagement
et des pistes concrètes d’action
avec les publics.
Ici, construire la demande se
révèle parfois plus importante que
de la réaliser.
Alors, pour en revenir au titre
« comment en dire assez sans
en dire trop » à l’issue de cette
brève exploration, il mérite
Autre difficulté, les AS, comme
d’autres professionnels sûrement,
sont quelquefois « perdus » dans
les approches théoriques de la
santé mentale et de la maladie
mentale, dans les conceptions de
l’origine des troubles comme dans
les axes psychothérapeutiques et
pharmacologiques. De nombreux
savoirs s’y additionnent sans
être facilement accessibles, sans
toujours être rendus accessibles
et sans qu’ils s’avèrent sûrs !
Comme s’il existait une certaine
magie à pouvoir exercer dans ce
champ. Les jeunes professionnels s’y lancent avec leur bon
sens, et découvrent des réalités
insoupçonnées à partir desquelles ils commenceront à construire
leur expérience.
La thérapie (dont l’inscription
dans le social) relève de l’art et
de la technique, mais aussi des
savoirs cumulés, capitalisés et
transmis, et de l’expérience. Les
AS se trouvent souvent confus
dans l’approche diagnostique,
non d’un diagnostic posé sur,
mais dans l’élaboration d’un diagnostic dynamique susceptible
d’éclairer et d’orienter leurs interventions.
24
24
Lionel LEHANSE, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
quelques explications.
Comme formateurs, nous nous
posons constamment la question de la rigueur, de la précision
et du mode de transmission des
« savoirs ».
Dans l’abord du champ de la
santé mentale, il nous parait
important de veiller à être précis
dans la description des hypothèses étiologiques, en présence des
courants thérapeutiques et de leur
fondement, en « valorisant » les
contributions de chacun à l’amélioration des conditions de vie des
personnes. Notre principal défi est
d’inviter les étudiants à la réflexion,
de leur proposer de situer le
rôle qu’ils auront à « jouer », de
déconstruire les représentations
construites voire les préjugés,
d’éviter d’énoncer des discours
qui enferment plus qu’ils n’ouvrent
sur la recherche de sens. Il nous
tient à cœur de les amener à
construire leur attitude professionnelle sur des repères théoriques et
cliniques argumentés.
Confluences n°5 mars 2004
“
Un savoir-faire ne s’enseigne
pas comme tel mais se construit
lors de l’expérience
“
Dans le même sens, en tant
qu’enseignants, nous devons
être attentifs à ne pas participer
à l’étiquetage, à la stigmatisation
des publics « fragilisés » tout en
proposant une analyse aussi fine
que possible des besoins, des
pistes concrètes et des initiatives qui permettent de répondre
à des situations à tout le moins
estimées problématiques pour les
personnes elles-mêmes.
Enfin, une attitude, un savoir-faire
ne s’enseigne pas comme tel mais
se construit lors de l’expérience…
Ces découvertes, chaque étudiant
aura à les faire… Ces rencontres,
il devra les oser… 
1 Professeurs, Maîtres assistants, chargés du cours de
psychopathologie et de méthodologie du travail social, et
Maîtres de formation pratique chargés de l’encadrement
des stages, à la Haute Ecole Charleroi Europe, Institut
Cardijn, à Louvain-La-Neuve.
2 Très bref cours de 25 heures en deuxième année, mal
intitulé jusqu’à ce jour.
3 Les étudiants, futurs travailleurs sociaux sont amenés
à réaliser des stages dans les trois années de formation.
Les lieux de stage spécifiques à la santé mentale sont
soit les unités de psychiatrie en hôpital général, soit les
hôpitaux psychiatriques, soit les structures intermédiaires que sont les habitations protégées, les centres de
jour, les communautés thérapeutiques…, soit les services de santé mentale ou les structures alternatives ou
encore les lieux de coordination…
4 Nous soutenons en effet, dans notre Institut, que
l’intervention en travail social requiert une approche
intégrée par la complémentarité des approches et des
analyses micro, méso et macro sociales. En cela, le
travail clinique doit être relayé auprès d’autres acteurs
institutionnels et politiques.
5 Nathalie Mahieu et Nathalie Gérard ont toutes deux
des expériences professionnelles en santé mentale, HP,
SSM, Services hospitaliers.
6 Nous entendons par intra muros tous les lieux de prise
en charge même ambulatoires, et par extra muros, toute
la réalité extérieure (famille, réseaux de proches, voisins,
et les autres acteurs professionnels).
7 Par « psy », nous incluons psychologues, psychothérapeutes et psychiatres.
8 Principalement dans les prises en charge à long terme,
dans les institutions d’hébergement, dans les centres de
jour…Sans doute moins en milieu hospitalier, dans les
services A où les séjours sont relativement courts et plus
centrés vers l’objectif de sortie et de relais.
Le Travail Social en Santé Mentale
La parole aux acteurs
Propos recueillis et mis en forme par
Sylvie Gérard et Sylvie Maddison - IWSM
Merci à Valérie Bauwens, Isabelle Cammarata, Ingrid Della-Croce,
Emmanuelle Demarteau, Francis Garsoux, Claudine Georges,
Pascale Hennebert, André Lambert, Marie-Christine Laurent,
Martine Lemasson, Françoise Lietard, Fabienne Marescaux, Colette Nigot, Michèle Rohart, Bernadette Serve, Simone Timmermans et Cécile Vassen pour leur contribution à cette réflexion.
Le travail social
L
a notion de « travail
social » diffère sensiblement d’un endroit à l’autre,
en fonction de l’institution
où il s’exerce, de l’équipe dans
laquelle il s’inscrit, de la région
dans laquelle il se pratique.
L’identité du travailleur social pose
parfois question. L’appellation
même de « travailleur social »
peut interpeller. Concerne-t-elle
seulement l’assistant social ou
recouvre-t-elle un ensemble de
professions ? La multiplication
25
des métiers dans le champ de
la santé mentale est telle qu’elle
laisse à penser que chacun, quel
que soit son cursus scolaire,
peut, à un moment, se consacrer
un peu plus ou un peu moins à
l’écoute et à l’aide.
Quelles sont, en la matière, les
limites à ne pas franchir ? Où
s’arrête la fonction de l’un, où
commence celle de l’autre ? Fautil « saucissonner » les interventions de chaque professionnel
par peur de faire tous un peu la
même chose ou mal certaines
choses ? Le travail en réseau
peut-il répondre à cette crainte
des doublons et contribuer à créer
Confluences n°5 mars 2004
Cet article s’appuie sur des
échanges avec 17 travailleurs
sociaux inscrits dans le champ
de la santé mentale.
La plupart d’entre eux ont une
formation de base d’assistant
social ou d’infirmier social avec,
dans certains cas, une formation
complémentaire de thérapeute.
Certains de nos interlocuteurs
ont accepté de nous rencontrer, d’autres nous ont adressé
un témoignage écrit ou ont
été interviewés par téléphone.
Quelle que soit la formule, les
échanges ont porté à la fois sur
l’identité et le rôle du travailleur
social ; sur la particularité de
cette fonction dans le cadre de
la santé mentale ; sur l’apport
du travail en équipe, du travail
individuel ou communautaire et
sur le sens qui peut être donné
à leur fonction.
La synthèse proposée n’est
bien sûr pas exhaustive. Elle ne
prétend rendre compte ni de la
complexité des situations, ni de
la richesse des rencontres. Elle
nous autorise toutefois à pointer ça et là des points de vue
qui nous ont semblé éclairer le
thème du dossier et amener une
réflexion sur le rôle et la place
des intervenants sociaux en
santé mentale.
Merci à ces intervenants pour
leurs témoignages qui permettent de lever un petit coin du
voile sur cette part incontournable du travail en santé mentale
et de cerner un peu mieux ce
que recouvrent leurs réalités.
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
Qui sont les travailleurs sociaux en santé mentale ? Quels sont leurs
rôles et comment s’exerce concrètement leur profession ? Une quinzaine
de travailleurs sociaux, inscrits dans différents cadres de travail (hospitalier, intermédiaire ou ambulatoire), ont accepté, pour ce dossier, de
nous livrer ce qui fait leur quotidien, ce qui nourrit leurs réflexions, leurs
questions.
Quelles que soient les divergences et les questions soulevées, les professionnels interrogés s’accordent tous à dire que le travailleur social
est un intervenant incontournable en santé mentale. Une perle rare,
serait-on même tenté d’ajouter, tant la profession requiert des qualités
qui sont autant liées à la formation, à l’expérience qu’à la personnalité
du travailleur social. Bien plus qu’un métier, il s’agit d’une vocation ! En
voici une brève présentation étayée par quelques extraits choisis de ce
qui se dit et se vit sur le terrain.
25
un langage commun où la personne, l’usager, serait
vu dans sa globalité ? Bon nombre de travailleurs
sociaux le pensent. D’autres s’interrogent. Pour être
acceptés, certains se spécialisent et se font « plus
psy ». Certains y voient le témoignage d’un malaise,
d’autres, un excellent moyen de se doter d’outils
nécessaires pour répondre à la spécificité du travail
en santé mentale.
Certains viennent « déposer leur fardeau » une
fois par mois, les uns viennent faire état des
démarches qu’ils ont faites ou doivent faire et qui
leur font parfois peur, les autres viennent chercher
un soutien pour des difficultés administratives,
d’autres encore ont besoin d’un soutien par la
parole…
Profil d’une fonction
Un public spécifique
Chez lui, il fait bon s’arrêter
un instant, s’asseoir, discuter, être entendu, conseillé,
aidé, orienté. C’est aussi,
parfois, le début d’un projet de vie que l’on peut
timidement mais sûrement
élaborer.
Le travailleur social est un
professionnel de l’écoute.
Il est amené à comprendre
les demandes explicites
et implicites de la personne qui vient le consulter.
C’est d’ailleurs ce qu’il répond généralement quand
on l’interroge sur la spécificité de sa fonction. Les
mots-clés qui reviennent régulièrement sont : écoute, formation continue, travail d’équipe, travail de
réseau, bon sens,… S’il n’est pas toujours outillé de
manière suffisante au sortir des études, une de ses
compétences de base est l’écoute.
Il doit pouvoir interpréter, traduire et analyser ce
qui lui est dit et recouper l’ensemble de ces informations. Dans un premier temps, il s’agit de cerner
au plus près la situation d’ensemble de la personne
afin d’activer tout ce qui peut l’être pour lui assurer un maximum de bien être. L’aide est souvent
immédiate et concrète, en matière, par exemple, de
droits sociaux, de recherche de logement, de soins
de santé… Dans un second temps, un travail de
soutien et d’accompagnement peut se poursuivre
avec la personne suivant des modalités qui diffèrent
en fonction de l’évolution de la demande et du cadre
de travail que peut offrir le travailleur social.
26
Confluences n°5 mars 2004
Joseph LELOUP, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
Le travailleur social est aux premières loges face
aux difficultés, aux détresses et à la marginalité de
la société. D’emblée, c’est souvent lui qui accueille
et oriente la personne en souffrance. Il est en quelque sorte « la porte d’entrée » du service.
La manière dont se définissent le rôle et les compétences du travailleur social est fonction du type
de population suivie. Dans le secteur de la santé
mentale, cette population est on ne peut plus hétérogène. A côté des personnes qui présentent des
problématiques psychiatriques, se rencontrent
celles en souffrance affective, relationnelle, existentielle… Générer du changement durable et apaiser
la souffrance font partie des spécificités du travail
en santé mentale.
En santé mentale, vous êtes face à des personnes
fragilisées avec un mode de compréhension qui
est parfois tronqué, ralenti, transformé, ce qui
crée un mode relationnel un peu particulier. Nous
déformons tous la réalité, c’est encore plus vrai
lorsque l’on est atteint de troubles psychiques.
On croit, on déforme, on a mal compris et tout se
complique. C’est là qu’intervient à mon sens le
travailleur social en santé mentale pour faciliter
la lecture des choses et aider la personne à
préserver sa citoyenneté.
Le travailleur social doit avoir une bonne
connaissance des pathologies en santé mentale
et des relations qu’elles peuvent induire. Là où
une personne déprimée souhaitera accueillir
le travailleur social en sauveur mythique, un
autre patient qui souffre de paranoïa percevra
ses interventions comme menaçantes, voire
dangereuses et intrusives. Si quelqu’un avec
une personnalité de type abandonnique
« s’abandonnera » à son bon vouloir, une autre
personne présentant une structure perverse le
mettra au défi de ses compétences,…
Chaque professionnel a une interaction au niveau
de la subjectivité du patient. Ce dernier va se
présenter sous plusieurs facettes en fonction de
son interlocuteur du moment. Ainsi, une personne
peut vouloir trouver un nouveau logement auprès
du travailleur social, alors qu’elle expliquera au
psychologue qu’elle se sent tout à fait incapable
de vivre seule.
Le travailleur social est amené à faire entendre la
demande de la personne et à l’aider à se resituer
comme sujet, acteur de sa vie, de sa citoyenneté.
Un travail de réseau
Un travail d’équipe
Le travailleur social doit avoir une excellente connaissance du champ social, de ses infrastructures,
de ses services, des spécificités et des législations
en cours pour pouvoir, à tout instant, activer et
mobiliser le réseau de la personne en difficultés
en gardant à l’esprit son intérêt premier. On pense
à l’équipe médico-psycho-sociale avec laquelle le
travailleur social collabore directement mais aussi
aux services extérieurs, à la famille, aux proches...
Mettre un nom sur des visages, connaître les personnes de référence, pouvoir comparer des types
de structures afin de veiller à la meilleure orientation possible… Le travailleur social fait lien entre les
différentes personnes et institutions concernées par
une situation.
Le travailleur social ne peut donc pas fonctionner en
circuit fermé, il travaille nécessairement en équipe
où il occupe une place centrale. Il y relaie l’information, il fait lien, il jette les ponts là où des collaborations sont souhaitées et possibles. Il rend compte
de la réalité de l’usager et met tout en œuvre pour
encourager son autonomie, sa qualité de vie, en
fonction de la réalité de ses symptômes.
Tous les travailleurs s’accordent à dire que le travail social est et reste avant tout le travail de toute
une équipe. Et de rappeler l’intérêt d’une approche
généraliste avec des usagers qui présentent souvent une intrication de problématiques diverses…
Les approches respectives des différentes
disciplines qui interviennent dans le champ de la
santé mentale doivent être correctement identifiées
et considérées comme complémentaires, éclairant,
pour le patient, l’espace thérapeutique possible.
La psychiatrie n’est pas qu’une question de neurologie, elle doit être sociale si elle veut rencontrer
les gens dans leur réalité.
Il est indispensable que les professionnels se
parlent entre eux, fassent état de la lecture plus
subjective ou réelle qu’ils font des difficultés
rencontrées par la personne, chacun renforçant
l’intervention de l’autre.
J’ai toujours considéré que le « travailleur social
en santé mentale » est, au sein de l’équipe pluridisciplinaire comme au sein du réseau de soins,
l’élément porteur d’une vision globale de la
situation de la personne, évoquant tour à tour les
différents aspects à prendre en compte pour déterminer les orientations à privilégier quant à l’aide
à apporter.
La formation à la pensée clinique caractérise notre
secteur d’activité. Nous sommes porteurs, au sein
du réseau, des préoccupations relatives à la santé
mentale de la population. Nous sommes aussi
garants d’une bonne articulation du « social »
et du « psychique » dans le processus d’insertion
sociale de la personne. Le travailleur social se
situe à l’interface de ces différents mondes.
L’identité du travailleur social est parfois mise à
mal dans un secteur très ‘psy’ où l’écoute est à la
fois pratiquée par les thérapeutes et les travailleurs
sociaux mais selon des modalités et des finalités qui
diffèrent. C’est ce qui rend ces approches complémentaires. C’est ce qui fait aussi la particularité du
travail social en santé mentale.
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
La notion du temps, la peur du changement, les
angoisses sont autant d’éléments spécifiques dont
il nous faut aussi tenir compte. Quand j’explique
à un enfant qu’il a rendez-vous dans une semaine
avec le dentiste et que chaque jour, il m’interroge
à ce sujet, je me dis que ce n’est pas clair pour lui.
Demain ou dans un an, quelle différence ? Pour
lui, c’est le futur ! Comment dès lors préparer
sa sortie, comment tenir compte de cette notion
du temps et des angoisses que peut susciter tout
changement ou évènement ?
27
Une formation à reconnaître
Une diversité de pratiques
Le travail social suppose un savoir-faire et … un
« savoir-être ». Si la formation de base ouvre l’esprit, apporte les outils et la déontologie nécessaires,
elle ne suffit pas en soi. Des formations continues
affinent cette première approche pour répondre
au plus près aux réalités du terrain. De même, le
travailleur social est appelé à faire preuve de bon
sens, de souplesse, de patience, à comprendre
ce qui se dit, ce qui se « joue », à continuellement
s’adapter, à user de la communication, à s’ajuster
en fonction des interlocuteurs. Une bonne collaboration et la considération des collègues sont aussi
indispensables pour bien fonctionner.
On peut se demander si le travail social en santé
mentale est exercé de la même manière en milieu
hospitalier, au sein de structures intermédiaires ou
en ambulatoire ; si le cadre de travail a une influence
sur les missions qui sont imparties aux travailleurs
sociaux, et sur leur identité.
Pour les professionnels interviewés, il semble qu’il
existe bel et bien quelques spécificités mais c’est
d’abord et avant tout la politique de l’institution et la
personnalité de ceux qui y travaillent qui semblent
donner sens au travail social.
En milieu hospitalier
Il est important, bien sûr, au-delà du graduat
de base, de se former pour mener à bien ce
travail de soutien. Il est difficile de concevoir
les choses autrement, mais nous ne devenons pas
psychothérapeute pour autant. Je pense que cette
fonction sociale a vraiment son sens. Quand nos
collègues nous interpellent, ce n’est pas en termes
de bottin social, on n’a pas besoin de nous pour
ça. Ce qu’ils sollicitent, c’est notre point de vue en
tant qu’assistant social : « Qu’est-ce que tu penses
de cette situation, quelle en est ta lecture ? ».
Je trouve que c’est toute la richesse d’une
reconnaissance mutuelle qui n’existe pas encore
vraiment partout. En Service de Santé Mentale, la
fonction sociale doit encore toujours se battre. Je
trouve ça inadmissible. Cette fonction est inscrite
dans le décret1 et a tout son sens. Pourtant,
j’entends encore trop de collègues en difficultés
avec cette place sociale. Certains se sentent
obligés de faire une formation complémentaire
en thérapie familiale pour être reconnus et
acceptés alors qu’ils effectuent à la base un
travail remarquable. Ce n’est pas normal ! De
même, nos collègues ont le droit d’exiger que
quand on parle de psychose, on s’entende sur
les termes utilisés et sur leurs significations. Il y
a un langage commun qui doit être bâti, ça c’est
clair, mais je trouve que l’on ne doit pas « faire le
psy » pour être reconnu par le psy. Pourquoi la
fonction sociale est-elle une fonction qui a besoin
de s’imposer tout le temps ?
28
Confluences n°5 mars 2004
Le travailleur social en milieu hospitalier est
sollicité pour toutes sortes de raisons. « Je
voudrais contacter un membre de ma famille »,
« Je n’ai pas de sous pour payer mes cigarettes »,
« Je n’ai pas de vêtements ici, il faudrait en
reprendre chez moi », « J’ai plein de factures
impayées, je vous les dépose ... ». Ce qui me
désole, c’est quand on entre dans mon bureau
et que j’ai le sentiment que ce que l’on attend de
moi, c’est d’être un bancontact social.
La demande des usagers est souvent assez
immédiate. Moi, je la vois comme une porte
d’entrée à une relation où je vais essayer d’avoir
une vue plus globale de la situation et où j’essaye
aussi de faire comprendre que non seulement je ne
suis pas toute puissante mais qu’en plus j’attends
d’eux qu’ils collaborent. « Vous avez déclaré
à l’admission que vous auriez des difficultés à
payer l’hôpital. C’est pour ça que je vous fais
venir dans mon bureau. Racontez-moi dans quel
contexte vous arrivez ici. Pourquoi il vous semble
que vous ne pouvez pas payer ? On entre alors
dans un mode relationnel tout autre ».
Les missions du travailleur social font parfois l’objet
d’une monographie de fonctions assez détaillée qui
fait suite à un questionnement sur l’identité qu’il
convenait de lui donner. Tout est établi noir sur
blanc…
Le travailleur social s’attache à recueillir un ensemble d’informations et à identifier les problèmes les
plus urgents ou ceux qui témoignent d’une plus
grande souffrance pour la personne.
L’objet sentimental perdu à l’admission ou le chat
à nourrir peut faire ‘cas de force majeure’ dans
le ressenti du patient. C’est important alors d’y
répondre.
Le travailleur social est aussi amené à participer à
l’élaboration d’un processus de réhabilitation et de
réintégration de la personne hospitalisée vers son
milieu d’origine ou vers un milieu de vie adapté si
cela s’avère nécessaire. Dans la mesure du possible, il s’agit de veiller à respecter une logique
d’accompagnement du patient en fonction de son
autonomie et des ressources du réseau extérieur.
Si l’on interroge le travailleur social sur l’évolution
de son travail au cours des 10 à 20 dernières
années, il répond :
Lucinano TARANTONI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
Les hospitalisations sont souvent plus courtes,
il faut donc aller beaucoup plus vite pour régler
les problèmes qui nous sont exposés. Le temps
consacré au relationnel sera parfois réduit en
conséquence.
Au sein des structures intermédiaires
Le travail social au sein de structures intermédiaires présente d’autres particularités. La démarche
de l’usager se veut plus participative. Celui-ci pose
le choix d’aller en hôpital de jour, en club de jour,...
Chaque matin, il réitère, par sa présence, une
demande d’aide qui nécessite en retour une réelle
implication du professionnel.
L’usager fait preuve, généralement, d’une
plus grande autonomie qu’en hospitalisation
complète où il est plus facile d’être materné,
sécurisé, de s’installer plus passivement dans
une prise en charge. Ce n’est pas un lieu où
on peut être tranquille en tant qu’intervenant.
On peut être à tout instant sollicité, au détour
de chaque couloir, de chaque atelier... C’est un
investissement perpétuel. Le choix du travailleur
social, du thérapeute est important compte tenu
de la relation très étroite qu’il entretient avec le
patient.
Le travailleur social est-il ici thérapeute ? Certaines
structures ont clairement fait le choix d’engager des
assistants sociaux qui ont suivi une formation complémentaire en thérapie familiale.
Cette formation nous apporte une autre lecture
qui donne sens à notre travail, qui nous offre un
cadre de travail « plus confortable », dans lequel
on se sent plus à l’aise pour exercer nos fonctions
en psychiatrie. Ce complément de formation nous
permet de nous situer, de renforcer notre place
en tant qu’assistant social. Il ne s’agit pas de
changer de fonction, d’inter-changer les rôles du
travailleur social et du thérapeute mais bien de
pouvoir, quand cela s’avère nécessaire, glisser de
l’un à l’autre sans déraper.
Cette approche « plus psy » se marque parfois aussi
dans la pratique au travers de groupes de parole qui
peuvent être co-animés par les travailleurs sociaux.
Certains sont axés, par exemple, sur la verbalisation de la souffrance psychique, sur la question de
l’habileté et sur tout ce qui permet de mieux appréhender la vie en société ou encore sur l’expression
artistique et les émotions...
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
Nous avons pour missions prioritaires de veiller à
ce que les personnes soient en ordre de mutuelle,
de vérifier si la personne est à même de financer
son hospitalisation et si ses droits sociaux n’ont
pas été négligés ou abandonnés auquel cas, nous
essayons de ré-enclencher tout ce qui peut l’être
pour améliorer sa situation sociale et matérielle.
29
D’autres infrastructures en hôpital de jour, en club
de jour axent leur travail sur la réinsertion socio-professionnelle du patient au travers de l’apprentissage
de l’informatique, de la recherche de stage ou d’emploi. Il ne s’agit plus ici d’un travail thérapeutique
au long cours (même si l’outil thérapeutique reste
parfois le fil conducteur) mais d’un travail en lien
avec le réel.
Le Club de jour offre à des personnes, souvent
isolées sur le plan familial et social, un terrain de
rencontres pour vivre ou revivre des expériences
de vie. Cela permet, progressivement, d’être
confronté à la réalité dans un contexte sécurisant
et pas trop risqué. Psychologues, assistants
sociaux et éducateurs peuvent y effectuer, sans
distinction, des entretiens individuels et des
ateliers thérapeutiques.
L’institution a trop souvent tendance à ne pas se
sentir concernée par ce qui se passe au dehors,
à oublier ce que la personne est, à négliger ses
appartenances. Le travail social doit être porté
par toute une équipe si on ne veut pas totalement
se déconnecter de la réalité. Même si les hôpitaux
de jour sont d’abord et avant tout des lieux de
soins, la réalité sociale, humaine émerge toujours
à un moment donné, l’assistant social se doit d’en
être garant.
En service de santé mentale
De manière générale, dans les services de santé
mentale, ressort une volonté d’offrir un service
public de qualité et un souci d’inscrire ce service
dans la durée quels que soient les revenus financiers du consultant. L’accessibilité au plus grand
nombre est importante. La question de la solvabilité
ne se pose pas, ou à peine. Les premiers entretiens, généralement assurés par les travailleurs
sociaux, sont plutôt axés sur le « degré d’urgence »
des demandes compte tenu de la gestion de liste
d’attente et de l’offre adéquate à apporter en fonction de la demande de l’usager.
La fonction du travailleur social ? Le décret ne la
définit pas en tant que telle, nous dit-on, ce qui
permet une certaine liberté d’action. Dans les faits,
elle est plus souvent définie par la stratégie institutionnelle mise en place. Elle peut aussi être liée aux
spécificités d’une région, de son tissu associatif, de
l’évolution de son activité économique, et conférer
30
Confluences n°5 mars 2004
aux services de santé mentale une identité de « producteur de soins en santé mentale ». Le terme de
« professionnel de la relation d’aide » est d’ailleurs
parfois préféré à celui de « travailleur social », les
demandes étant de plus en plus axées sur ce qui
relève du malaise existentiel.
Autre élément mis en avant : bon nombre de travailleurs sociaux en service de santé mentale (près
de la moitié selon certains) ont, au-delà de leur
cursus de base, suivi une formation de thérapeute.
Certains y voient l’occasion de parfaire leurs acquis
pour répondre aux spécificités du travail social en
santé mentale d’autres, un risque de dérive et de
confusion des rôles.
Je suis parfois mal à l’aise quand je raccompagne
seule, dans sa famille, un enfant. Je me demande:
« Où est la limite ? », « Jusqu’où puis-je aller
lorsque je suis confrontée à une maman que je
crois psychotique ? ». Je ne suis pas psychologue.
Pourtant, elle me parle de son enfance… Je
l’écoute mais je ne sais pas si je dois questionner,
répondre, conseiller… Parfois, j’ai besoin d’en
parler en équipe. Je ne saurais pas exercer ce
métier sans les échanges en réunions.
En tant que travailleur social, il nous a d’abord
fallu trouver notre place dans un mode de
fonctionnement qui était, il y a quelques années
encore, essentiellement axé sur la consultation.
Les assistants sociaux ont eu un peu de mal à se
faire à cette démarche parce qu’ils ne sont pas
psychothérapeutes. L’assistant social en C.P.A.S.
trouve sa place tout de suite. Dans un service de
santé mentale, il faut la créer.
Chez nous, c’est le travail en réseau, qui,
finalement, nous a permis de mettre en avant la
complémentarité de ces approches. Je pense par
exemple aux demandes émanant des services
d’aide à la jeunesse, des tribunaux, des parquets,
des prisons. La demande n’étant pas ciblée, il y a
tout un travail préalable pour « s’apprivoiser » ;
travail que l’assistant social peut réaliser plus
facilement que dans le cadre de consultation
stricto sensu puisque dans le premier cas, il faut
faire émerger la demande, il faut travailler à
plusieurs.
La collaboration permet d’éclairer les malentendus,
de supporter l’agressivité et de ne pas rompre les
ponts avec les personnes en grande difficulté.
Avec une personne qui présente un diagnostic
de psychose, par exemple, il y a toujours une
agressivité qui peut survenir. A deux, c’est
supportable, on peut la prendre « sur son dos ».
Si le consultant claque la porte, ce n’est rien, il
peut revenir, l’important c’est qu’il continue son
chemin sur le plan intra psychique car il n’y a que
cela qui va l’étayer et l’aider à se reconstruire un
petit peu.
Combien de jeunes viennent avec : « Ma mère
me déteste » et vous recevez la maman en larmes
qui se demande : « Mais comment peut-il penser
cela ? ». On ne peut pas faire sans entendre et
sans reconnaître la souffrance de la personne
même si cette souffrance, de notre point de vue,
peut sembler exagérée. Ils nous arrivent alors de
travailler en tandem. Le thérapeute va tenir la
parole du jeune alors que le travailleur social va
recevoir les parents pour entendre ce qu’ils ont,
eux aussi, à dire et pour voir s’il est possible,
pour eux, d’accompagner le jeune dans cette
souffrance. Alors que le thérapeute garantit un
lieu d’écoute au jeune, le travailleur social le
replace dans un principe de réalité, à l’égard par
exemple de démarches qu’il aurait pu solliciter
auprès du C.P.A.S. … Si le psychologue se met
dans cette position, le jeune ne se confiera plus
de la même manière. S’il veut jouer tous les rôles
à la fois, il va se couper de ce qui est important.
Si on ne donne pas corps à la parole de chacun,
on y arrivera plus, la personne fuit et on ne la
revoit plus. Ce qui est important ici, c’est de
communiquer entre collègues. « Moi j’entends
ça de la maman, et moi ça du jeune, comment en
rendre compte sans trahir la parole de celui qui l’a
confiée ? Comment faire avancer les choses ? »
Le travail s’articule de la sorte. C’est pour ça que
l’on n’est pas dans toutes les positions à la fois. Je
vois tellement l’importance de la fonction sociale
à cet égard !
Joseph LELOUP, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
On se rend compte que tous les consultants ne sont
pas forcément en demande de psychothérapie. Je
dirais même qu’elle affole parfois un petit peu
les gens. Le travailleur social peut recevoir ces
personnes au même rythme que le psychologue
mais l’approche sera plus de l’ordre du travail
de soutien que du travail psychique : aider une
personne qui souffre d’agoraphobie à faire ses
courses, entendre l’angoisse d’une personne
en phase psychotique, l’accompagner dans la
recherche d’une habitation protégée, d’une
infrastructure hospitalière, d’une occupation,
d’un bénévolat sans qu’elle ne soit complètement
paniquée, qu’elle ne se sente menacée. Ce
n’est pas rien de quitter un chez soi, de se
rendre compte qu’on est plus capable de… !
Des choses bien concrètes doivent être mises
en place, pour l’accompagner à l’hôpital, la
mettre en relation avec l’infirmière sociale qui
va prendre le relais au niveau de son dossier...
Et aussi pouvoir dédramatiser ce vécu là. Ce
n’est pas un psychologue qui la reçoit deux fois
par semaine qui va pouvoir le faire. Moi, je peux
l’accompagner, et à la limite la prendre dans mes
bras ; lui dire : « Ca va aller, on va trouver une
solution, on va aller boire un petit café » et parler.
Je pense que c’est une position qui ne doit pas
être celle du thérapeute. Il fait aussi un travail
qui peut être chaleureux mais autrement. Le
travailleur social peut être beaucoup plus concret
et rassurant. Le rôle du psy, c’est d’être plus que
rassurant. L’accompagnement que je propose
peut apaiser les périodes de transitions, rendre
plus facile certains passages, certains relais.
31
Le travailleur social en ambulatoire assure
parfois un suivi à domicile. Ce suivi n’est bien sûr
pas exclusivement centré sur l’écoute et l’aide de la
personne en souffrance mais prend aussi en compte le réseau de vie immédiat du patient (famille,
quartier…).
L’assistant social est un point de repère pour l’usager, une charnière entre l’institution et le monde
extérieur. Souvent seul à domicile, le travailleur
social a besoin d’un grand soutien de la part de
l’équipe. Le fait d’avoir une structure derrière soi
qui est là pour aider et entendre les difficultés que
le travailleur social peut rencontrer, les erreurs
parfois aussi qu’il peut commettre, rassure, donne
confiance.
De même, un Service de Santé mentale peut être
un point d’ancrage pour les intervenants de première ligne, en proposant par exemple, des supervisions aux aides familiales afin de leur permettre
d’échanger des informations et d’apaiser leurs
craintes éventuelles par rapport aux personnes
psychotiques suivies à domicile. 
L’apparition et la croissance, dans notre
patientèle, de familles à détresses multiples et
donc à demandes multiples ainsi que les demandes
de plus en plus pressantes des professionnels
du champ social nous confrontent aujourd’hui
à des situations de plus en plus complexes que
notre offre de services traditionnelle n’est plus
à même de rencontrer. De même, la « désinstitutionnalisation »
des
problématiques
psychiatriques nous oblige progressivement à
inventer de nouvelles pratiques dans le domaine
de l’insertion sociale des patients dans leur milieu
de vie qui font appel à la dimension collective et
communautaire du travail social.
1 Décret du 4 avril 1996 organisant l’agrément et le subventionnement des services de
santé mentale, publié au Moniteur belge le 23 mai 1996.
Roberta LUCIOLLI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
32
Confluences n°5 mars 2004
Mettre des mots sur des maux
Valérie Bauwens
Assistante sociale
Hôpital de Jolimont à la Louvière
Le rôle du travailleur social
L
e travail social fait partie
intégrante du processus
de soins. Mon premier rôle
est donc de participer, au
même titre que mes collègues, à
l’objectif thérapeutique de l’hôpital. En me centrant sur le patient
et son entourage, je tente de lui
apporter l’aide nécessaire pour
résoudre ses problèmes sociaux,
qu’ils soient liés à son état de
santé, à son hospitalisation ou à
un contexte de vie difficile. Il s’agit
aussi, en tant que travailleuse
sociale, de mettre en circulation
les informations, et de coordonner l’ensemble des contacts et
des actions entrepris dans un
souci de cohérence.
Ma pratique quotidienne m’amène régulièrement à jouer un rôle
de médiateur : les « intérêts » des
uns et des autres sont parfois en
contradiction ou en porte à faux...
En s’appuyant sur son expérience
et sa déontologie, je pense que le
travailleur social peut participer à
remettre le patient au centre du
débat dans l’intérêt de celui-ci
compte tenu des limites institutionnelles.
Il s’agit avant tout de soutenir le
patient, pour l’aider à (re)devenir
acteur de ses choix, de sa vie ;
l’accompagner dans la recherche
d’un certain mieux être, en le considérant comme un être unique et
entier et en évitant de susciter ou
d’augmenter sa dépendance aux
services sociaux.
Spécificités
d’une profession
L’homme est un être « bio-psycho-social » en interaction constante avec son environnement.
Le processus de soins doit tenir
compte de chacun des aspects
et envisager le patient dans sa
globalité. Pour la psychiatrie, le
législateur reconnaît implicitement cette vision des choses,
en la traduisant dans l’établisse-
ment des normes en matière de
personnel. Au sein du service
psychiatrique, en gériatrie ou en
hôpital universitaire, par exemple,
chaque intervenant a donc sa
place autour du patient...
Il n’en va pas de même dans
d’autres services hospitaliers où
le modèle « biomédical » prédomine toujours... et où, dixit un
assistant : « on n’a pas fait neuf
ans d’études scientifiques pour se
retrouver devant des problèmes
sociaux ! » Donc, on s’en désintéresse, on ferme les yeux ! J.
Clavreul nous dit de façon moins
abrupte : « le désir du médecin a
la maladie pour objet, parce que
c’est elle qui le constitue comme
tel. Mais c’est le discours médical
qui constitue la maladie comme
cause. Cause de souffrance du
malade et cause de l’intervention
du médecin. L’effet en est la suppression de l’homme malade en
tant qu’homme1 ».
Bien sûr, ce n’est pas parce que
le travail pluridisciplinaire est établi comme tel que chacune des
disciplines ne doit pas oeuvrer à
en faire un outil efficace, interactif. Cela suppose qu’il y ait un but
commun, description et délimitation des tâches, souplesse, communication, circulation de l’info,
respect mutuel... Les réunions
d’équipe permettent d’avoir une
vue d’ensemble de la situation du
patient et de son entourage.
L’adéquation ou non à la réalité
me semble être un autre élément
important dont doit tenir compte
le travailleur social. La maladie
mentale a, en effet, des incidences sur l’objet de la demande et
sur le degré d’aide à apporter.
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
Assistante sociale de formation, je travaille au sein d’un hôpital général
dans un service de 30 lits de psychiatrie. D’autres services hospitaliers me
sont aussi attribués en médecine interne, dans une unité du sommeil.
Travailler en psychiatrie, je l’ai choisi... J’ai été engagée à l’hôpital pour
prendre ce service en charge. L’idée de mettre des mots sur des maux
m’a toujours intéressée. J’ai toujours aussi pensé qu’il pouvait y avoir un
lien entre la santé mentale et le « social »...
Cette pensée se concrétise au quotidien au travers de mes différentes
missions…
33
J’ai souvent l’impression de me
faire le garant de cette réalité
face au patient, face au psychiatre (conditions d’accès à tel
avantage, durée d’attente dans
telle institution, manque de disponibilité des aides familiales). Le
bon sens - qualité dont doit faire
preuve tout travailleur social - me
semble devoir être d’autant plus
aiguisé...
avec la famille si elle est présente
ou en cherchant des relais extérieurs si la personne est isolée...
Ce qui est enrichissant, c’est la
réflexion, la discussion autour des
actions menées... J’ai la chance
de travailler avec des médecins
psychiatres très différents quant à
leur orientation de prise en charge (psychanalytique, systémique)
et quant à leur personnalité, mais
chacun a toujours le souci et le
respect de la liberté individuelle
du sujet. Je constate que toute
l’équipe fait preuve d’une extrême
tolérance et d’un grand respect
face au patient, aussi marginal
soit-il... C’est quelque chose que
j’apprécie énormément et qui fait
que j’aime mon métier.
Articuler le travail social
aux autres disciplines
Lionel LEHANSE, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
Je constate par ailleurs que bien
souvent, les situations sociales
des patients hospitalisés en psychiatrie sont plus « lourdes », plus
détériorées. Dans bon nombre de
situations, « tout » est à refaire, à
revoir... La personne n’a plus de
domicile, plus de logement, plus
de droits sociaux, plus de revenus. Bien souvent, les personnes
hospitalisées profitent, si elles en
sont conscientes, de ce temps
d’hospitalisation pour « se remettre à flots » avant de repartir...
pour un temps...
Si elles n’en ont pas conscience,
on se sent d’autant plus « responsable » d’y veiller, en collaboration
34
Dans le contexte actuel de précarisation multiple (perte d’emploi, perte de statut, perte de
repères,...) et de renouveau du
concept hospitalier (temps d’hospitalisation plus court, hospitalisation de jour,...), une coordination,
un sens commun aux différentes
actions est plus que nécessaire...
Cette articulation entre les différents acteurs se concrétise par
différents biais. Avec le patient, le
travail individuel se fait au travers
des entretiens, de l’accompagnement psychosocial, de l’aide
matérielle, financière, administrative, juridique… Le lien se concrétise ensuite avec l’équipe, comme
cela a été souligné plus haut, au
travers des staffs, des réunions
de service, du travail pluridisciplinaire, des entretiens avec le
médecin, le patient, sa famille,...
L’articulation s’étend encore
ensuite aux autres services hospitaliers (admission, comptabilité,
facturation, contentieux...), les
Confluences n°5 mars 2004
contacts seront là plus ponctuels
et limités.
Quant aux services extérieurs
avec lesquels j’essaie de travailler
un maximum, l’articulation peut se
faire au travers de conventions de
collaboration, de temps de concertation, d’entretiens de triangulation, de contacts réguliers lors
de réunions diverses (Association
Pluraliste
des
Travailleurs
Sociaux,
Association
des
Assistants et Infirmiers Sociaux
Hospitaliers de la Province du
Hainaut,...). Il me semble aussi
que la formation continuée, la
participation régulière à des groupes de réflexions, des formations
de tous horizons, sont autant de
bases à une articulation au réel,
à la société et au monde. Ainsi,
de façon plus large, je pense que
si, dans un premier temps, l’hospitalisation prône l’aspect médical
des choses... la réalité sociale lui
est intimement liée.
Les thérapeutes s’occupent de la
santé mentale de leurs patients...
dans une approche souvent centrée sur l’individu, mais ce patient
est en lien avec le monde...
Donc, nécessairement, deux
réalités à « articuler ». Le monde
médical a pris, selon moi, de
plus en plus conscience de cette
nécessaire articulation du social
et du thérapeutique. Cependant,
le risque serait de croire qu’il
pourra, dans un sursaut de toute
puissance, gérer individuellement
cette globalité en assumant seul
les contacts avec le patient, sa
famille, son employeur éventuel,
les services à domicile, l’école de
ses enfants, le S.A.J., le S.P.J.,...
L’équilibre ne sera vraiment atteint
que dans la reconnaissance et le
respect mutuel des spécificités de
chacun.
Pour moi, cela signifie clairement
travailler avec son cœur et avec
ses « tripes » en plus de sa rai-
oublier d’être créatif ! Pour moi,
c’est aussi aimer l’autre... Croire
en l’Homme, en sa personne, en
ses capacités, en ses qualités.
C’est penser que de ces rencontres peut naître une étincelle, une
flamme ou un feu... qui, en plus
d’éclairer l’autre,... me réchauffera aussi ! 
1 Clavreul J. : Voir bibliographie / référence 11
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
C’est en quelque sorte être « passeur », c’est savoir mettre du
lien... dans le sens de « relation »
et non de « contrainte »… C’est
permettre la rencontre...
son. C’est allier le savoir être au
savoir-faire. C’est se servir de
soi (de ses qualités personnelles,
relationnelles et humaines, de
ses expériences de vie...) comme
instrument de travail... Bien sûr,
tout instrument doit être nettoyé,
entretenu, conservé dans de bonnes conditions... Cela se fait de
façon réfléchie, avec une conscience aiguisée de soi, ... Sans
Luciano Tarantini, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
Faire du social…
35
Vie de quartier, vie de familles
Pour une approche communautaire du travail social
Pour l’équipe de l’A.S.B.L. La Pioche, travailler en santé mentale avec
une population marginalisée, exclue, c’est participer à la vie de quartier
en partageant ses possibles.
Plutôt que d’identifier les manques, les problèmes, on parlera de compétences, de dynamisme et de solidarité.
La Maison des Familles est donc un lieu où les familles peuvent recréer
un espace de liberté et réapprendre à faire des projets, car nous pensons
que c’est l’isolement social qui crée la perte des ressources.
Isabelle Cammarata et Simone Timmermans
Assistantes sociales au Service de Santé Mentale La Pioche
et à la Maison des Familles à Marchienne-Docherie (Charleroi)
Un peu d’histoire
C
ela fait une trentaine
d’années que La Pioche
a ouvert ses portes. Le
projet a été initié et porté
par de jeunes universitaires désireux de mener à bien des actions
sociales dans un quartier fragilisé. La Docherie, marquée par le
déclin industriel, s’est vite imposée comme étant un quartier qu’il
était important de soutenir.
Une assistante sociale et une
psychologue se sont, dans un
premier temps, mobilisées autour
des enfants et de leur famille
pour répondre à des difficultés
de développement et de scolarité
mais très vite, d’autres éléments
sont apparus : l’isolement de ces
familles, leurs envies... de sortir,
de faire des rencontres, de nouer
des relations, d’être reconnues,
d’utiliser leurs propres ressources... La Maison des familles
venait de naître. Trois assistants
sociaux y soutiennent aujourd’hui
une approche plus communau-
36
que pour le présent immédiat. La
pression d’agir, de faire quelque
chose, est si intense qu’elle élimine la réflexion. Leur tension
ne peut être soulagée que par
l’action explosive ou par l’utilisation de sources externes (alcool,
médicaments).
Ces caractéristiques marquent de
façon très forte les interactions
internes de ces systèmes familiaux, leur structure, leur façon
de communiquer, ainsi que leur
manière de vivre leur affect ».
taire du travail social en santé
mentale.
Notre public
Le contexte social et le public
sont assez homogènes dans
leurs caractéristiques : chômage,
isolement, alcoolisme, séparation, divorce, endettement, …
Dans le profil tracé par M.
Felzenswalb, « Les familles multiassistées se distinguent par le
fait qu’elles ne peuvent plus lutter
contre leurs échecs. Leur attitude
signifie que rien n’a plus d’importance, et qu’elles ne se rendent
plus compte de ce qui leur arrive.
Les gens ont tendance à ignorer
tout de ce qu’ils ne parviennent
pas à comprendre : la pauvreté,
les règles imposées par la société et la planification à long terme.
Leur
comportement
devient
aléatoire, désorganisé et peu efficace. Les caractéristiques d’une
situation de crise apparaissent :
l’apathie, l’impulsivité, l’agressivité ; les décisions ne sont prises
Confluences n°5 mars 2004
Béatrice LAMBORELLE, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
Pour situer notre travail social en
santé mentale au sein du groupe,
il nous semble important de le
définir : reconnaître les compétences des individus, les considérer comme acteurs responsables,
les encourager à être sujet de leur
vie et à prendre une place dans
la société ; prendre l’individu dans
son contexte et ne pas l’isoler de
celui-ci.
Où peuvent se situer ceux qui
sont exclus de tout ? Comment
sortir de l’idée que le travail est la
valeur principale, qu’il nous donne
une place dans la société ?
Nous pensons que la vie com-
munautaire incite à une vie
citoyenne, participative. Elle est
une manière de mettre les gens
ensemble, de les faire réfléchir à
leur participation collective dans
le quartier voire même au-delà ;
de réfléchir aux conséquences
des actes qu’ils posent et pour
cela d’avoir une bonne connaissance politique, sociale, … de
leurs droits et de leurs devoirs
en vue éventuellement d’amener
des changements ; de dépasser
leur sentiment d’être une victime
de la société.
tout faits ; c’est établir des alliances, des passerelles entre deux
mondes (travailleurs sociaux
et familles défavorisées). Dans
ce cadre, on comprend mieux
pourquoi les pratiques communautaires sont importantes, dans
la mesure où elles consistent précisément à encourager un soutien
social informel pour des individus
considérés comme acteurs responsables et compétents ; et non
comme bénéficiaires ou usagers
passifs et ignorants. 
Ce que l’on peut souligner, c’est
que la démarche individuelle nous
donne les moyens de travailler le
collectif. Elle visera à déployer la
dimension collective des difficultés personnelles et à appuyer la
recherche de solutions trouvées
ensemble ; à changer les circonstances de la vie des gens,
à fabriquer une parole publique.
Une expérience réussie dans le
groupe permet de la revivre en
dehors du groupe.
Nos moyens sont des rencontres
informelles, des activités concrètes et conviviales qui permettent
de recréer un tissu social, qui
prônent des valeurs différentes
de celles de la compétition, de
l’excellence, … Si on choisit
comme finalité d’être sujet de
sa vie et de prendre place dans
la société et que l’on considère
que c’est important d’y arriver ;
il faut pouvoir rester accessible
aux gens qui ont des difficultés
d’expression, qui n’ont pas de
demande, qui sont dans la confusion, qui « sentent mauvais », qui
sont agressifs, …
Conclusions
Travailler à la Maison des
Familles, c’est changer notre
regard mutuel les uns sur les
autres ; c’est briser les clichés
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
Le travail communautaire
37
La Maison des Familles adoucit les mœurs
La Maison des Familles est un lieu de rencontres, un espace de liberté et
de tolérance ouvert à tous. Cette maison de quartier qui a ouvert ses portes à Marchienne-au-Pont propose des ateliers en tous genres : couture,
poterie, théâtre, cuisine, informatique, etc. Le magasin de vêtements de
seconde main constitue une porte d’entrée importante. Le lien institutionnel avec le service de santé mentale La Pioche permet un suivi psychologique et social si nécessaire. Nous avons rencontré deux participants
qui la fréquentent depuis plus de quatre ans. Ils nous parlent de ce que
ce lieu leur apporte, des travailleurs sociaux, de la vie communautaire,
et puis de la société en général !
Rencontre avec Anne-Marie et Francis
Propos recueillis par François Wyngaerden - IWSM
P
our Anne-Marie et Francis,
« les travailleurs sociaux
sont là pour nous rassurer , nous faire comprendre des choses ». La particularité
du travail social, c’est du moins
comme cela qu’ils la vivent au
sein de la Maison des Familles,
est très associée à la vie communautaire, au relationnel, au
quotidien. « Le psy, c’est bien
pour éclaircir, pour parler. Mais
c’est pas vraiment le même rôle.
Le psy ce n’est que parler sur
soi ; l’autre, c’est exister le mieux
possible, exister au quotidien ! La
vie communautaire, c’est parfois
plus intéressant que d’aller chez
le psy ».
L’association offre un espace qui
permet de déposer des choses,
de se ressourcer, de nouer des
contacts. Cela devient comme
une grande famille qui « supporte », particulièrement pour ceux
qui n’en ont plus. « Il y a beaucoup de difficultés à vivre. Là bas,
on se sent plus doux. Il y a des
38
gens qui sont fait comme dans
du roc ! Parfois on s’énerve, nous
deux [Anne-Marie et Francis], et
c’est une soupape. S’il n’y avait
pas la Pioche, ce serait peut-être
fini entre nous ! ». Parfois, le seul
fait de savoir que « c’est là et
qu’on peut y aller », suffit. « Peutêtre que quelque part je suis plus
négative, c’est pour cela que c’est
bien de savoir qu’elle existe… »
Ce qui semble important pour nos
interlocuteurs dans un lieu communautaire, c’est la diversité :
ils y rencontrent des gens venus
de tous les horizons, avec toutes
sortes de problématiques. « Ce
n’est pas du tout psychiatrisé, ici.
Il y a des gens qui sont pas bien,
bien sûr, mais il y en a de tous
les horizons. Je suis très sensible
aux bonnes ondes. Et quand il y a
trop de malades, il n’y a pas une
bonne énergie ». Ils nous parlent,
par exemple, d’une pensionnée du
quartier qui vient régulièrement,
qui fait des repas. Elle prend un
peu le rôle de grand-mère. Même
Confluences n°5 mars 2004
avec les assistants sociaux ! Et
puis, même s’il y a des problèmes
et des souffrances, Anne-Marie et
Francis trouvent que ce n’est pas
bon de ne parler que de choses
graves, de ne réfléchir qu’aux
problèmes de la vie. « Faut rigoler ! Les travailleurs sociaux, ils
doivent aussi pouvoir venir nous
faire rire ! ».
Dans la pratique, il apparaît que
ce ne sont finalement pas toujours
les travailleurs sociaux qui ont le
plus d’importance mais bien la vie
communautaire et les liens qui s’y
nouent. « Au début, on cherche la
présence des travailleurs sociaux
mais après on s’attache plus aux
autres personnes ». La relation
avec les assistants sociaux, ils la
vivent comme asymétrique, en
tout cas au début, et il est bon de
pouvoir dépasser cela. « C’est un
peu comme une relation enfant/
parents, on le sent bien. Après on
se responsabilise. On peut prendre différentes positions parent,
enfant, adulte [en référence à
l’analyse transactionnelle]. Quand
l’amour nous a manqué, on va
parfois voir le psy pour cela. Mais
il faut aller au-delà ».
Un facteur de bien-être
Chaque année, la Maison des
Familles part en vacances avec
tous ceux qui le souhaitent. Pour
Anne-Marie, Francis et leurs
enfants, c’est la seule possibilité de partir en famille. Organiser
cela, seul, est encore trop difficile
pour eux. Et là, les enfants ne
sont pas toujours obligés d’être
avec les parents. Il y a une bonne
ambiance et il y a toujours quelque chose à faire. Et puis le grou-
Le travail social,
c’est donner l’occasion
d’apprendre à être citoyen
Pourtant, « c’est bien de garder
un côté miséreux . Rester un peu
miséreux, c’est ne pas chercher
à être plus que ce que l’on est ».
Garder ce « côté miséreux »,
pour Francis et Anne-Marie, c’est
ne pas oublier d’où on vient,
ne pas courir vers une réussite
sociale parfois illusoire. « Quand
cela commence à aller mieux, on
s’assume mieux dans la société,
on est plus fier de soi mais ce
n’est pas toujours facile à gérer.
Luciano TARANTINI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
A la Maison des Familles, on ne
demande pas de prouver quoi
que ce soit. Il règne une ambiance de tolérance qui est très importante pour les participants. « Pas
de compétition, on se trouve une
place dans les relations avec les
autres, mais c’est plus doux que
se trouver une place dans la
société. Moi, je ne veux pas ressembler aux gens, rentrer dans
l’échelle sociale. Tout le monde
est humain et a droit à l’amour.
Mon but n’est pas d’être parfait,
c’est de faire de mon mieux ! ».
Ils veulent pouvoir admettre
« qu’on a plus la même réalité,
dans nos yeux, et dans ceux des
autres ». Pour Francis et AnneMarie, il ne faut pas nécessairement travailler pour s’épanouir,
même si c’est très important pour
« l’échelle sociale ». « Dans une
maison de quartier, par exemple,
on peut retrouver une certaine
dignité, une fierté, ailleurs que
dans l’échelle sociale ».
autonomes qu’avant, ils ont l’impression d’être « quelqu’un qui
dit ce qu’il pense ». « Peut-être
qu’il y a des ‘déclics psy’ mais
maintenant je comprends mieux
ce qui se passe, […] rien que
dans les relations avec la famille.
On ne veut pas intégrer l’échelle
sociale mais on ne veut pas que
l’on décide à notre place ! ».
Certains ont alors honte de parler
avec ceux qui sont miséreux, qui
ne restent pas simples. D’autres
sont frustrés dans l’échelle
sociale. Même s’ils vont mieux, ils
ne trouvent pas pour autant une
place satisfaisante. Et puis, cette
ambiance un peu miséreuse, ça
fait du bien, ça rassure ».
Mais, Anne-Marie précise d’ellemême : « Si tout le monde était
là dedans [ambiance miséreuse]
le monde ne marcherait pas !! »
Pourtant, à l’avenir, elle n’imagine pas quitter la Maison des
Familles : « ce n’est pas rien que
pour être intégré ! On y est bien,
pourquoi partir ? ». Elle s’implique au travers de nombreuses
activités : théâtre-action, forum
social d’une maison de quartier,
etc. Francis, lui, a plus de revendications précises, il voudrait
changer des choses. Aucun des
deux n’a envie de s’intégrer dans
« l’échelle sociale », d’intégrer
cette société qui valorise la compétition, la performance, mais ils
veulent changer la société.
Pour eux, l’image valorisante,
c’est d’être un citoyen, un sujet.
Ils se sentent maintenant plus
A travers tout cela se dessinent deux idées fort différentes
de la finalité du travail social :
d’une part, un travail social qui
assiste, et de l’autre, un travail
social qui apprend à être citoyen.
«L’assistanat, c’est se faire
mener par le bout du nez. Je
ne veux pas me faire assister,
comme c’est le cas de beaucoup
de vagabonds…». Il s’agit d’être
conseillé, pas assisté. AnneMarie et Francis évoquent ainsi
des moments à la Pioche où ont
été abordées des notions telles
que la différence, l’idée de sujet,
la définition de l’humanité ou plus
pragmatiquement, la manière
de voter, son importance, …
En même temps, il y a quand
même un besoin d’être rassuré.
Finalement, il y a deux extrêmes
dans la façon d’être travailleur
social : il y a celui qui « laisse tout
faire tout seul parce qu’il n’a pas
envie de faire le boulot » et celui
qui « fait tout à la place ». Au
milieu, il y a l’idéal.
En conclusion, « ce qui est
vraiment important, c’est que la
Maison des Familles est un lieu
de tolérance par rapport à ce
qu’on a fait. J’ai failli faire des
trucs très mal et je ne les ai pas
faits grâce aux relations que j’ai
trouvées là… » 
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
pe, dans ces moments privilégiés,
représente souvent une aide pour
l’éducation, par exemple ou pour
donner des conseils. « Ce n’est
pas facile avec les enfants de
dire non, c’est dur parce qu’on a
pas confiance en soi. […] Jeanine
est très concrète, elle nous dit
comme ça : « il faut dire stop,
et il faut expliquer pourquoi aux
enfants », etc. ».
39
Santé, Santé mentale, Santé sociale
Appelé habituellement pour des problèmes somatiques, le médecin
généraliste ne peut envisager son travail sans considérer l’histoire et le
contexte de vie de son patient, dans toute la complexité qui caractérise
l’être humain. Et, bien souvent, il se trouve confronté à des situations de
grande détresse.
Au service d’urgence d’un hôpital public, cette complexité lui est renvoyée
avec d’autant plus de force que son intervention est ponctuelle.
Philippe Delvaux, médecin généraliste et urgentiste dans la région namuroise, nous livre son témoignage sur la façon dont il essaie d’activer les
ressources du patient, mais aussi celles des collaborations qu’il a pu
mettre en place pour chacun d’eux…
Philippe Delvaux,
Médecin généraliste à Andenne
Urgentiste au Centre Hospitalier Régional de Namur
L
e métier de généraliste
amène le praticien à participer à la vie des familles,
à partager leurs secrets,
leurs joies, leurs peines… A ce
titre, il peut difficilement faire fi
des aspects psychologiques et
des implications sociales des problèmes de santé.
La pratique de la médecine
d’urgence, par contre, amène le
médecin à rencontrer des personnes qui se retrouvent en dehors
de leur contexte de vie, avec une
pathologie ponctuelle, dans un
environnement peu intime, parmi
une foule d’autres patients présentant des affections de gravités
diverses.
Les patients des services d’urgence ont bien souvent le sentiment
d’être considérés comme des
numéros, et de recevoir une prise
en charge lente et succincte. La
surcharge de travail et l’exiguïté
40
des locaux d’accueil d’urgence,
ainsi que la difficulté d’intercaler
l’avis de spécialistes leur donnent
en partie raison.
Pour l’urgentiste, s’il prend le parti
de l’écoute, il pourra régulièrement mettre en place ce contact,
obtenu en médecine générale,
avec une connivence installée
au travers d’un dialogue singulier,
même s’il est a priori posé que le
patient ne fera, en principe, qu’un
passage au service des urgences.
Des problèmes sociaux peuvent
ainsi être mis en évidence, l’assistante sociale de l’équipe peut
de la sorte intervenir et ébaucher
une solution ou une prise en
charge salutaire pour le patient.
Lorsque, à l’anamnèse, le patient
ou son entourage amène ou laisse entendre un problème social,
l’urgentiste contacte l’assistante
sociale du service. Après entretien
Confluences n°5 mars 2004
avec la personne, celle-ci entame
les démarches qu’elle juge utiles,
en utilisant toutes les ressources
à sa disposition. Ces ressources
diffèrent selon que le patient reste
aux urgences ou est hospitalisé. Il
y a, dès ce moment, dans l’intérêt
du patient, partage d’informations
et, au moins en partie, du secret
médical. Le travailleur social est
informé du devenir du patient, et,
réciproquement, l’infirmière et le
médecin sont tenus au courant
de l’avancée des démarches
sociales. Il y a donc synergie
étroite entre les deux approches
de la personne.
De même, de nombreux problèmes d’ordre psychologique
surgissent lors d’une anamèse
aux urgences lorsqu’elle est
menée avec la dose d’empathie
nécessaire. Sans vouloir, systématiquement, « psychologiser »
toute agitation ou stress qu’induit
inévitablement l’hospitalisation, le
« psy » peut, par son écoute - ou,
si nécessaire, son aide - soutenir le patient dans sa quête d’un
mieux-être.
La prise en charge de la famille
est en général assurée par l’urgentiste lorsqu’il en a l’occasion,
ainsi que par l’infirmière d’accueil
si elle n’est pas débordée. L’aide
de salle se charge d’offrir des
boissons et est à l’écoute de la
souffrance de la famille. Ce rôle
est également assumé par la
secrétaire d’accueil des urgences, lorsque l’afflux de patients
maintient toute l’équipe soignante
sur la brèche. La famille est
généralement invitée dans un
local indépendant. Une information régulière sur l’état du patient
Quelle que soit la mission à
remplir, le lieu et le cadre de la
pratique, le type de pathologie
rencontrée, l’important est l’intégration de trois aspects : somatique, psychique, social. Cela
passe inévitablement par l’écoute
de la personne et la motivation
à travailler en équipe avec les
différents professionnels de la
santé. Pour cette intégration, la
rencontre des divers intervenants
est synonyme d’enrichissement et
d’optimisation de la pratique.
Je me rappelle d’une jeune Macédonienne qui
a été amenée au service des urgences par un
ami, suite à l’ingestion d’une grande quantité de
paracétamol et d’anxiolytiques. L’action que l’on
attribue alors aux travailleurs de l’urgence est
l’utilisation du charbon de bois et la surveillance
des paramètres. La patiente, mise en confiance
par l’empathie que lui manifestait l’équipe,
explique son geste: isolée de sa famille qui vit
en Macédoine, elle s’est récemment mise en
ménage avec son compagnon et a accepté une
domiciliation commune. Avec son accord, elle a
aussi arrêté la contraception et lui a annoncé,
trois mois plus tard, un début de grossesse. Mais
l’homme s’y est opposé et a fait comprendre à notre
jeune patiente qu’elle avait pour seule alternative
l’IVG ou... la rue ; ce qui, d’emblée, limitait son
champ d’action. Toute l’équipe l’a beaucoup
entourée, particulièrement une des infirmières de
nuit, qui a passé plusieurs heures au chevet de
cette femme en détresse. Le lendemain matin, cette
personne m’a confié n’avoir jamais imaginé qu’on
pouvait être accueilli de la sorte dans un service
d’urgence. Elle attendait le passage de notre
assistante sociale pour tenter de résoudre une
partie de ses soucis. De fait, le lendemain, notre
collègue avait entamé les démarches en vue d’une
nouvelle domiciliation, et attendait certaines
confirmations avant de contacter le CPAS en quête
d’un logement social et d’une aide alimentaire.
Epilogue : en fin de matinée, l’ami de cette dame
est tout de même venu lui rendre visite. Forte de
A ce titre, la médecine d’urgence
est en beaucoup de points semblable à la pratique de médecine
générale. 
l’aide reçue par l’assistante sociale, la patiente a
pu discuter sereinement avec son ami, qui, devant
l’assurance de la jeune femme, s’est radouci. S’en
est suivi un dialogue de couple et ils sont repartis
main dans la main. L’histoire leur accorde le
secret du devenir. Ont-ils gardé le bébé ou ont-ils
décidé l’IVG ? Leur décision leur appartient, mais
une chose est sûre, l’écoute et l’aide reçue de la
part de l’équipe, tant l’infirmière de la nuit que
l’assistante sociale le matin, a procuré à la jeune
patiente une assurance qui a modifié le rapport de
force au sein du couple.
Au même moment, un pompiste, victime d’une
agression par balles, est amené par le Samu
à l’hôpital. Première tâche, la plus urgente:
maintenir le patient en vie jusqu’à sa prise en
charge en salle d’opération puis en soins intensifs.
Dès que l’on a pu libérer un peu de temps, a
débuté la prise en charge de la famille. Cela passe
par le choix d’un local un peu isolé, l’écoute de la
détresse, de la colère, du désespoir, un café, des
coups de téléphone réguliers en salle d’opération
pour transmettre les informations en temps réel
; un arrangement avec des amis pour assurer
à l’épouse un moment de repos avant les soins
intensifs. Là aussi, les heures passées au chevet
de la famille en détresse, parallèlement au combat
des chirurgiens ont à la fois permis de préserver
une vie et de maintenir un lien tout aussi vital pour
la famille.
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
est demandée par l’urgentiste
au spécialiste, puis transmise et
expliquée à la famille. Dès que
le patient se trouve aux soins
intensifs, les proches sont invités
dans ce service et peuvent voir
le patient, avec l’accompagnement du réanimateur. A noter
que si l’équipe des urgences se
trouve dans l’incapacité d’offrir cet
accueil, celle du SISU (Service
d’Intervention Sociale d’Urgence
de la Croix-Rouge) est contactée
et prend le relais dans les plus
brefs délais.
41
Le travailleur social et le psy
comme « artisans du bord »
Paul JACQUES
Psychologue
au Centre de Guidance de Gembloux
et dans le cadre du projet
Clinique de l’exil, Province de Namur
T
ravaillant comme psychologue et psychothérapeute
dans un service de santé
mentale depuis vingt ans,
je souhaite ici apporter une contribution à la réflexion sur le thème
du travail social en santé mentale.
Les travailleurs sociaux, mais
aussi l’école, le médecin généraliste, les éducateurs, voire la
police, interpellent régulièrement
le psychothérapeute en service
de santé mentale pour intervenir
dans des situations de violence,
de décrochage scolaire, de
maltraitance, de toxicomanie,…
Il s’agit de situations dans lesquelles la souffrance est diffuse,
pas identifiée comme telle par
le « patient » et où la demande
d’aide est portée par un tiers
« envoyeur ». Dans de nombreuses situations, les symptômes,
d’ordre psychique ou comportemental, qui inquiètent l’entourage
ou la société, sont intriqués avec
des souffrances somatiques et
surtout, des difficultés sociales :
logement, emploi, insertion, précarité économique, problèmes
judiciaires, éducatifs,… Dans ces
situations, les dispositifs habituels
de prise en charge psychothérapeutique sont inopérants sans
une adaptation du cadre et une
approche réellement pluridisciplinaire. On voit se développer
des pratiques cliniques dans
les « interstices » sociaux. Je
souhaite ici me pencher sur ces
42
situations graves de «désaffiliation»1, de rupture des étayages
sociaux et culturels, de défaut
d’appartenances et examiner
quels dispositifs le clinicien peut
mettre en place en collaboration
avec les travailleurs sociaux. En
pratique, à côté de l’aide matérielle, comment prendre en compte
la dimension psychique dans les
situations de précarité des liens
sociaux ?
La précarité
des liens sociaux
Jean Furtos2 distingue les situations de précarité économique et
celles de rupture de liens sociaux.
La précarité se définit par la perte
des « objets sociaux ». Un objet
social, c’est le travail, l’argent,
le logement, la formation, les
diplômes. On en a ou on n’en a
pas. Les objets sociaux donnent
aux personnes les sécurités de
base. Un objet social, c’est ce qui
fait lien dans la société : il donne
un statut, une reconnaissance
d’existence, une valeur, il permet
d’être en relation. La perte des
objets sociaux, c’est la perte de
la place que chacun a dans sa
famille, dans le groupe, dans la
société. L’exclu, c’est celui qui
est hors-lieu. Pour O. Douville3,
l’exclu gêne la société parce qu’il
est « le témoin insupportable de
la destruction de la polis ». Selon
J. Furtos, les manifestations psychologiques de l’exclusion corrélative de la perte de l’estime de
soi sont la honte, l’inhibition et le
découragement. A l’extrême, lorsque tout est perdu, toit, famille, il
y a auto-exclusion et déni de la
souffrance. L’état de survie crée
un gel psychique. Dans la désaf-
Confluences n°5 mars 2004
filiation, la vie n’appartient plus
à la personne. L’exclu se protège de sa souffrance qui ne peut
alors plus être portée que par les
aidants. Furtos développe le concept de clinique psychosociale.
Les caractéristiques cliniques de
la souffrance psychique en contexte de précarité sont :
 la demande impossible,
 l’urgence,
 la paradoxalité4 : lorsqu’il y a
atteinte narcissique et souffrance
identitaire majeures, les frontières entre moi/non-moi, intérieur/
extérieur,
bien/mal,
passé/
présent/futur, sont brouillées.
Sans l’enveloppe psychique protectrice interne, l’environnement,
l’autre, sont vécus comme insécurisants. Ce paradoxe doit être
reconnu et toléré pour pouvoir
être travaillé. Le syndrome de la
« patate chaude » est le reflet de
ce paradoxe : un SDF apparaît
en grande souffrance psychique
dans les lieux du social, et le travailleur social (se) dit « C’est pour
les psy. » Cette inversion des
signes de la souffrance « donne
aux institutions l’obligation de
collaborer et de s’entraider ». Ce
type de souffrance, caractérisé
par les ruptures, la non-demande,
la violence, l’urgence, la destructivité, l’arrêt du temps, a pour effet
d’empêcher la personne, mais
aussi les professionnels, de penser. Ces derniers sont alors tentés de répondre dans le registre
de l’agir, en miroir.

Il s’agit dès lors de décloisonner les champs d’intervention.
Pour les psys, il s’agit d’investir
les objets sociaux et leur maniement dans l’économie sociale
et psychique des personnes, ce
qui passe par une réflexion et
Un cadre hors cadre ?
Pour D. Mellier5, dans les situations de détresse sociale grave,
la précarité des liens est due à la
fragilité du double étayage de la
psyché sur le corps, d’une part, et
sur le groupe et la culture, d’autre
part, comme l’a montré R. Kaës.
A défaut de « contenant » psychique, les symptômes s’expriment
dans le registre mental par une
difficulté à penser, dans le registre
somatique ou par de l’agir. L’aide
psychothérapeutique basée sur la
demande et un contrat est inopérante en raison de la paradoxalité
santé mentale via le retissage du
lien social6. Au niveau Fédéral,
la réforme de la psychiatrie est
à l’origine de multiples initiatives
ambulatoires dans le secteur
hospitalier… Pour Mellier, dans
ces situations de souffrance identitaire, les dispositifs d’aide mis en
place ont surtout
une fonction d’accueil et de contenance de ces
anxiétés diffuses.
Se situant au carrefour du psychique et du social,
ces
dispositifs
doivent
nécessairement
être
pluridisciplinaires
et multi-référentiels : « groupes
d’accueil, groupes
de parole, d’orientation, temps de
permanence,
actions à visée
préventive, travail
institutionnel, en
réseau ». Outre
la fonction contenante de la supervision
d’équipe
et des groupes
d’intervision entre
Lionel LEHANSE, atelier du C.R.F. du Club André Baillon professionnels de
disciplines difféces dernières années et devant rentes qui permettent de gérer la
l’apparition d’une clinique de la crise des institutions ou de con« casse », beaucoup d’initiatives tenir la violence, une autre caracont vu le jour chez nous. Des téristique de l’aménagement du
SSM ont créé des équipes « spé- cadre dans ces situations de rupcifiques » en fonction de publics tures répétées est la dimension
ou de modalités d’intervention, « proactive », c’est-à-dire, « aller
proposent un soutien à des pro- vers », aller à la rencontre des
fessionnels de première ligne, personnes en difficulté, sans prise
font du travail de prévention. La de rendez-vous et sans attendre
saturation des SSM et les lis- la demande : « le psy se déplace
tes d’attente ont fait exploser la « le cadre dans la tête »». Cette
demande en privé ou dans les démarche curative adaptée et
Centres de Planning. Des CPAS les activités de prévention ont
ont engagé des psychologues en commun cette fonction d’acpour mener un travail individuel, cueil de la précarité. Le travail
groupal ou de promotion de la d’élaboration en équipe est indismentionnée plus haut : SDF dans
les hôpitaux psychiatriques, délirant aux urgences de l’hôpital
général, traumatisé psychique
dans les Centres d’Accueil pour
demandeurs d’asile, adolescent
violent à l’école, … Devant l’explosion des demandes d’aide psy
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
une pratique avec les travailleurs
sociaux sur la dimension psychique de la détresse matérielle et
sociale, par exemple, en organisant des groupes conjoints
psys et travailleurs sociaux sur
l’analyse de la pratique et l’intervision. Derrière l’orientation d’un
bénéficiaire d’une
aide sociale chez
le psy, il y a parfois une demande
indirecte de soutien dans sa pratique sociale dans
des
situations
lourdes et source
de confusion ou
de
découragement. Face à ces
mêmes situations,
le psy aussi se
sent démuni. La
concertation entre
professionnels,
ainsi que la supervision d’équipe,
crée cette fonction contenante,
en « donnant du
recul », sans quoi
les professionnels
risquent
euxmêmes d’être mis
en situation de
précarité.
43
Compte tenu de leur spécificité,
ces dispositifs sont eux-mêmes
fragiles. En effet, ils impliquent
des exigences difficiles à concilier en pratique : travail en
équipe et en réseau entre différents partenaires. Le travail
clinique se fait avec d’autres
professionnels ou dans un
cadre qui n’est pas celui du
cadre du soin habituel, ce
qui peut amener des confusions de rôles entre partenaires. Par exemple, groupe
de parole avec des « minimexés » dans le domaine de
la réinsertion ; ou animation
d’un atelier d’expression dans
le secteur de l’éducation permanente. Dans ces situations
complexes, il faut une intervention conjointe du psy, du
travailleur social, du médecin,
dans le respect du rôle de
chacun et dans le respect
de la personne. On l’a dit, le
cadre psy n’est pas toujours
indiqué même si le travailleur
social estime qu’il y a souffrance psychique ou « maladie mentale ». Inversement, là où
domine la seule logique sociale,
il est difficile pour le psy de sortir
de son cadre habituel en mettant
en place des « espaces intermédiaires » qui permettent aux
personnes exclues socialement
et blessées dans l’estime de soi
de se réapproprier une démarche
subjective, par exemple dans un
groupe de parole. La place du psy
auprès d’éducateurs de rue dans
44
des actions de quartiers est aussi
à définir. C’est toute la question
de la politique de la ville7.
De l’individuel au collectif
Dans le monde occidental contemporain, ce qui fait problème pour
les individus appartenant pourtant
à la même société est de savoir
ce qui fait société, c’est-à-dire ce
qu’ils partagent comme valeurs et
intérêts communs. L’individu, plus
que la collectivité, est devenu
responsable de la gestion de son
pas de sens si les individus n’ont
pas le sentiment d’appartenir à la
même société. « Reconstruire du
lien social » n’est donc pas une
affaire d’ingénierie sociale pour
colmater les brèches comme le
veut le Politique en subsidiant
de multiples projets sociaux
qui portent sur des individualités sans toucher à la source
de l’exclusion : du point de vue
anthropologique, pour construire
son identité, l’homme s’appuie
sur ce qui fait lien avec l’autre.
La Religion ou l’Etat n’ont plus
cette fonction de ciment
aujourd’hui. Le libéralisme
économique et la « marchandisation du secteur social »
ont pour effet d’individualiser
des problématiques sociétales et de dépolitiser les politiques sociales. Alors le travail
social c’est quoi ? Outre l’aide
individuelle réparatrice, outre
le repli frileux de professionnels impuissants, « faire du
social », ce serait avant tout
affirmer que les professions
des enseignants, éducateurs, travailleurs sociaux et
psy, participent d’un « travail
du social », comme le propose Th. Goguel d’Allondans9.
Pour lui, le travailleur social,
« artisan du bord », est un
passeur. Son rôle est de participer à la création de rituels
propices à restaurer du lien
social et à redonner du sens
à une existence singulière.
Roberta LUCIOLLI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
pensable pour maintenir la distinction entre le champ du soin et
celui de l’action sociale. L’action
sociale a encore trop souvent une
visée normalisatrice ou réadaptative aux yeux du Politique. Alors
qu’elle vise la lutte contre l’exclusion, l’action sociale risque alors
d’être à l’origine d’une violence
institutionnelle et de contribuer à
la rupture des liens.
malheur comme de son bonheur.
La cohésion sociale fait problème,
pas seulement pour des raisons
socio-économiques, mais aussi
socio-culturelles et anthropologiques. Comme le souligne M.
Autès8, aider des exclus n’a de
sens que si en amont, le politique
prend des mesures pour éviter
les inégalités sociales. De même,
apporter une assistance sociale
à des individualités séparées n’a
Confluences n°5 mars 2004
1 Castel R. : voir bibliographie / référence 8.
2 Furtos J. : voir bibliographie / référence 21.
3 Douville O. : voir bibliographie / référence 16.
4 Roussillon R. : voir bibliographie / référence 40.
5 Mellier D. : voir bibliographie / référence 37.
6 Dutrieux B. : voir bibliographie / référence 18.
7 Joubert M., Bertolotto F. : voir bibliographie /
référence 31
8 Autès M. : voir bibliographie / référence 1.
9 Goguel d’Allondans Th. : voir bibliographie /
référence 22
Les travailleurs sociaux,
orphelins de l’appui du social ?
Jean-Pierre Lebrun
Psychiatre - Psychanalyste
P
artons d’une considération
sans doute trop simple
mais néanmoins efficace
pour faire entendre l’enjeu :
une construction à cinq étages.
L’étage de ce que Lacan a appelé
l’humus humain, l’étage du social
humain, l’étage de la société concrète, celui des premiers autres
qui entourent le sujet, autrement
dit l’étage de la famille et celui de
la réalité psychique du sujet.
Comment s’est toujours
transmis ce qui est
nécessaire au désir humain
L’étage de l’humain, si l’on s’en
réfère à ce qui le spécifie, à savoir
le langage, exige une perte, celle
de la jouissance absolue, immédiate, complète. Du seul fait
d’entrer dans le monde des êtres
parlants, le sujet s’exclut de la
toute-jouissance et se trouve ainsi
marqué par la négativité. S’inscrit
ainsi pour lui que toujours quelque chose vient à manquer non
par accident, mais de structure,
l’affecte de ce fait une déception
irréductible, une insatisfaction
incontournable; son être s’entame
ainsi d’une perte - d’un moins-dejouir - qui va servir de fondement
aussi bien à la Loi qu’au désir.
Au deuxième étage, la limite - la
négativité - qui sert de fondement
à la Loi - même si c’est la Loi qui
semble dans l’après-coup fonder
la limite - sera dans le social
humain toujours signifiée par l’interdit de l’inceste. Ce dernier est
en effet universel et sépare, distingue le monde de la culture de
la nature. Toute société humaine
implique donc ce renoncement à
la toute-jouissance que la mère
représente et impose de ce fait
l’éloignement du corps à corps
avec elle pour aller prendre sa
place d’homme ou de femme
dans le social.
Au troisième étage, chaque société selon ses modalités propres
qui font d’ailleurs sa spécificité
culturelle, organise des règles et
des lois qui ne sont que des
développements de cet interdit
fondateur. Ainsi chaque société
s’est toujours donné la charge
d’organiser la transmission de
cette limitation de jouissance via
les normes qu’elle sécrète. Et
même si les contenus culturels
sont éminemment différents d’une
culture à l’autre, il n’en reste pas
moins qu’ils ont toujours la même
fonction, celle de soutenir l’assentiment de tous à consentir à cette
perte de toute-jouissance.
A l’étage de la famille, c’est au
travers de sa relation aux premiers autres que le sujet va
rencontrer cette limite à la jouissance. La mère lui est interdite, et
cela du fait du père, ou plutôt de
l’homme de la mère. Sans entrer
ici dans des distinctions pourtant
essentielles, disons que la toutejouissance est représentée par la
mère et que le père, en étant la
cause sexuelle de la jouissance
maternelle, l’ampute nécessairement aux yeux de l’enfant et, à
ce titre, représente la perte qu’implique le langage. Ainsi c’est bien
aux premiers autres qu’incombe
la tâche de faire avaler au futur
sujet la couleuvre de cette nécessaire soustraction de jouissance.
Dans le même mouvement, l’enfant devra lui-même s’approprier
ce travail et consentir à renoncer
à la toute-jouissance - ce qu’on
appelle aussi renoncement à la
toute puissance infantile ou castration symbolique - pour pouvoir
accéder au désir.
Ainsi, du fait de la solidarité de
cette perte nécessaire à chaque
étage du dispositif, la ligne de
partage entre la jouissance et
le langage semble être mise en
place par la Loi que servent les
parents, alors qu’en fait, ce ne
sont que les contraintes de la
structure du langage qui ont été
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
Dans un monde sans limite pour reprendre une expression chère à
l’auteur, la place des travailleurs sociaux - parmi bien d’autres - se trouve
bousculée. Dans une société en mutation, le déplacement - voire la perte
- des repères questionne la transmission au sein de la famille de ce qui
est toujours nécessaire au désir, rend précaire les limites que pourra se
fixer le sujet lui-même et produit une dé-légitimation du rôle des intervenants. Jean-Pierre Lebrun nous propose une lecture de cette évolution et
nous invite à chercher à y réagir.
45
ainsi transmises, habillées par
l’interdit de l’inceste.
Une solidarité aujourd’hui
remise en question
Il semble bien que la solidarité
de ce quintuple étagement a été
responsable durant des siècles
de la transmission de la limite
nécessaire à la spécificité de
l’humus humain et à la physiologie du désir. Or, nous soutenons
la thèse que cette solidarité est
aujourd’hui remise en cause ou
en tout cas que sa visibilité est
estompée et que c’est aux conséquences de ce nouveau cas de
figure que nous avons à faire.
Remarquons d’ailleurs qu’en discernant ces cinq étages, nous
pouvons sans difficulté discerner
dans les deux premiers, ce que
l’on pourrait appeler « un noyau
anthropologique dur » qui ne laisse pas se faire la confusion entre
l’ordre symbolique - du langage
- et l’ordre social du patriarcat. Il
est en effet important de cerner
avec précision ce qui relève des
contraintes de la structure du langage et ce qui ne relève que de la
contingence historique.
Or, tout se passe comme si notre
social, emporté par l’hypermodernité, ne transmettait plus la nécessité de cette limite. En revanche,
elle donnerait à entendre que
nous nous sommes enfin affranchis de cette soustraction et que
celle-ci n’était qu’un frein au bonheur auquel nous serions dès lors
aujourd’hui en droit de prétendre.
Insistons d’emblée sur le « tout se
passe comme si » car il ne serait
pas difficile de démontrer qu’il
ne s’agit que d’une apparence
trompeuse, qu’en fait cette limite,
cette soustraction de jouissance
est toujours au programme, mais
qu’elle ne se présente plus avec la
46
visibilité d’antan et certainement
plus avec la visibilité suffisante
pour persuader spontanément de
sa nécessité.
mettre les conditions du désir;
d’où sans doute, l’apparition de
ce symptôme inédit dans l’Histoire à savoir celui d’une génération
En effet, remarquons que par les
effets conjoints de l’économie
capitaliste mondialisée, du déclin
du Patriarcat et du discours de la
science1, les notions d’impossible, de limite, se voient sans cesse déplacées, si pas purement et
simplement pulvérisées. Difficile
dès lors de ne pas prendre pour
une suppression de toute limite
les possibilités qui sont les nôtres
de pouvoir sans cesse la déplacer. Difficile de ne pas confondre
inflation sans mesure des possibles avec suppression de la
catégorie de l’impossible. Difficile
de ne pas prendre pour infini ce
qui n’est que sortie d’un type de
finitude.
Tout se passe dès lors comme si,
suite aux modifications qu’autorisent les développements et les
progrès jamais atteints de notre
société, cette limite qui devait
se trouver relayée par le social,
n’était plus au programme. En
revanche, toujours plus de jouissance semble faire office d’idéal
ou en tout cas se proposer comme alternative pour ne plus nous
encombrer des embarras du désir.
Ainsi le « droit au bonheur » justifie d’en appeler au Prozac et au
Viagra plutôt que de se confronter
à l’angoisse ou à la précarité de
l’exercice de la sexualité.
Un effet de délégitimation
Cette apparente disparition de la
limite ainsi que de la nécessité du
moins-de-jouir dans le programme de notre société entraîne deux
conséquences : du côté des adultes, une délégitimation de ceux
et celles - parents, enseignants,
politiques etc. - qui ont à trans-
Confluences n°5 mars 2004
de parents qui ne sentent plus la
légitimité de dire « Non ! » à leurs
enfants, mais aussi le discrédit
sur les fonctions de l’enseignant,
du maître et la dévalorisation des
représentants du politique désormais surtout contraints à pourvoir
pour pouvoir rester en place.
Du côté des enfants, une situation
d’« expérience-limite » pour des
raison qu’il est justifié de parler
comme le fait Alain Ehrenberg
des « fatigués d’être soi »2.
Luciano TARANTINI, atelier du C.R.F. du Club André Baillon
Une telle délégitimation frappe
aussi de plein fouet ceux qu’on
appelle les soignants. Ces derniers avaient coutume de soutenir la possibilité d’une parole pour
un sujet qui cherchait sa vérité
au travers de la conflictualité ;
ils doivent aujourd’hui se confronter à des sujets souvent sans
demande, si pas sans parole qui,
sans cesse, veulent échapper à
la subjectivation. Le symptôme
devient de ce fait davantage un
a-symptôme, c’est-à-dire ne
comporte plus cette dimension
d’appel à l’Autre du fait de son
articulation au langage, mais se
présente seulement comme un
signe de ce que la régulation
entre désir et jouissance n’est
pas accessible au sujet.
l’autre pour les aider à ce que
s’inscrive la limite. Car recevoir
la limite de l’autre et avoir à la
valider ou devoir la mettre soimême n’a pas le même effet.
Se la mettre soi-même - tâche à
recommencer sans cesse comme
si elle ne s’était pas inscrite - peut
être extrêmement lourd à porter.
Gageons que c’est pour cette
Quant aux travailleurs sociaux,
les voilà obligés de supporter
eux-mêmes, ce sur quoi notre
social fait l’impasse. Qui mieux
qu’eux pour - au-delà du concret
de leurs interventions - prendre
la mesure de ce qu’un problème
ne peut prétendre à une solution
qu’en étant d’abord reconnu comme l’affaire d’un sujet ? Mais d’où
peuvent-ils tirer leur légitimité
pour enclencher une telle dynamique, contraints qu’ils sont à
endosser l’idéal d’une société du
pourvoir ? Comment maintenir la
cohésion et la solidarité lorsqu’à
celles-ci s’est substituée la déchirure du tissu social ? Là où hier
leur intervention suffisait parfois,
voire souvent, à redonner symboliquement une place à celui ou
celle qui traînait dans la marge,
les voilà aujourd’hui réduits, la
plupart du temps, à négocier des
contrats, à valoriser des compétences, bref à du raccommodage
sans perspective.
Qui, lorsque l’air ambiant est
la recherche des compétences
familiales et du consensus décisionnel, pour encore oser soutenir que l’essentiel peut encore
être d’abord de garantir un milieu
stable au tout jeune enfant et que
ceci peut, dans certains cas et
sans qu’aucune maltraitance ne
soit encore constatée, amener
à devoir, par exemple, écarter
un enfant d’une mère toxicomane aux prises avec ses hospitalisations répétées ? Quelle
légitimité pour soutenir une telle
décision3?
Un nouveau défi
Gageons que dans un tel dispositif social, c’est ensemble que
soignants et travailleurs sociaux
devront se confronter aux nouvelles modalités de la souffrance
psychique. Charge pour eux de
réinventer une éthique à la hauteur de la mutation en cours. 
1 Nous renvoyons à nos ouvrages : Lebrun JP., : voir
bibliographie / références 33, 34 et 35.
2 Ehrenberg A. : voir bibliographie / référence 19
3 Nous renvoyons à ce propos à la recherche-action
Confluences n°5 mars 2004
DOSSIER
futurs sujets qui ont à tirer seulement d’eux-mêmes la nécessité
de ces conditions. De ce fait, ils
ne peuvent plus compter sur
47
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Disponible au Centre de documentation
In-Folio - Informations : 081/23 50 12
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