coup de choeur à l`opéra
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coup de choeur à l`opéra
COUP DE CHŒUR A L’OPERA Le spectacle terminé, le rideau se ferme et les masques tombent… Qui se cache derrière ces masques ? Immersion dans le quotidien des choristes, au fil de leurs émotions. LES PREMIERS L’OPERA… PAS A P remier contact avec Au cœur de Nantes place Graslin, l’opéra – chef d’œuvre de Néoclassicisme du l’inconnu : Xavier XVIIIème – se dresse immense et imposant. Ribes, chef de chœur Être choriste c’est retomber en enfance : les d’origine catalane nous accueille dans son choristes, installés à leurs pupitres, font face bureau. C’est autour d’un café et d’une au chef de chant comme les écoliers, boîte de chocolats qu’il confie sa vision du installés à leurs tables, font face à leur chœur et de l’opéra. Il expose la place maître. Chamailleries, bavardages et changeante des choristes au sein de cet art rigolades sont le quotidien des choristes et et l’histoire de ce lieu unique. C’est avec cet rythment les répétitions. Or, dès que le chef homme de passion que nous avons fait nos de chant entame la partition le cours débute premiers pas et que nous nous sommes et le professionnalisme reprend le dessus. plongés dans le monde à part de l’art Sérieux, concentration et rigueur dominent. lyrique. « C’est mon truc, j’adore pouvoir partager cet art avec le public » Pour une immersion totale, Claire Pénisson nous guide avec exaltation et fierté à travers les dédales du théâtre Graslin. Choriste depuis 1995, elle révèle combien ce métier lui tient à cœur et combien il est agréable et passionnant. Elle avoue se sentir privilégiée de s’épanouir autant dans sa profession « C’est mon truc, j’adore pouvoir partager cet art avec le public ». Pourtant, chaque moment de pause est propice aux plaisanteries. La coupure est attendue avec impatience: comme des écoliers, les choristes réclament leur récréation quinze minutes avant l’heure prévue. Franche camaraderie, ambiance détendue et bon enfant sont des éléments dont ont besoin les choristes pour exprimer librement leur créativité vocale. C’est ce que confirme Gérard Trimoreau, choriste professionnel à Nantes depuis 1982 : « On est restés de grands enfants, on a parfois besoin d’être recadrés » L’OPERA : UN ART INTEMPOREL Chanter une œuvre ne suffit pas au choriste, il la fait vivre et lui fait traverser les siècles. C’est ce qu’explique l’homme d’expérience qu’est Gérard Trimoreau : « Avec la Flûte Enchantée de Mozart par exemple, il y a une beauté formelle, c’est beau musicalement, c’est ce que l’on essaie de transmettre au public. C’est merveilleux de sentir que l’on communie et que l’on donne de soi et de son savoir-faire pour servir l’œuvre. On l’offre au public ». Il tempère ses propos en admettant que les ouvrages ne les émeuvent pas de la même façon et que l’appréciation d’une œuvre dépend de chacun. Mais comme tout professionnel, il devra se faire violence, quitte à être frustré, pour servir la musique et offrir au public cette magie qu’il est venu chercher. Timidement, il déclarera être plus sensible et touché par les opéras romantiques, tragiques et par les scènes dramatiques, tout particulièrement avec la Traviata de Verdi qu’ils ont joué l’année dernière. Répétition avec le chœur Angers Nantes Opéra et son chef de chœur Xavier Ribes. Être sur scène et être l’interprète de l’idée d’un compositeur, essayer d’être au plus proche de ce qu’il a voulu exprimer à travers son œuvre fait vibrer Christine Craipeau. C’est ce qui lui tient à cœur. Selon elle, « essayer d’interpréter les rôles avec tout ce que cela comporte au niveau de la mise en scène, du jeu, de l’expression, de l’expressivité de la musique et de la voix » est le propre du choriste. TOUT N’EST PAS ROSE DANS LE CHŒUR … Fatigue, attentes du public et de la hiérarchie sont éprouvants pour les choristes. La voix est un instrument fragile, sans elle le choriste n’est rien. La qualité vocale de cet artiste dépend des bouleversements émotionnels liés à des événements personnels. C’est ce que nous a confié un membre du groupe : après une séparation amoureuse difficile, l’artiste s’est senti vidée de toute émotion. La douleur a annihilé toutes les sensations liées à son métier ; elle était plus forte que le stress, l’angoisse des planches et l’avait même privée de son perfectionnisme habituel. À l’image de sa voix grave et puissante d’alto, cette forte personnalité a heureusement repris le dessus. Pour Claire Pénisson, le manque de répétitions et les ensembles partiels créent appréhensions, stress et anxiété. Elle explique que pour certaines œuvres les sopranes et les alti travaillent séparément. Dans ce cas, les ensembles généraux sont assez rares. Mais Christine Craipeau souligne : « c’est le travail du choriste de gérer ses émotions ». À force de travail et de pratique, le stress diminue. Leurs rituels pour pallier le trac : avant d’entrer en scène le groupe se retrouve pour s’échauffer la voix et revoir les passages clés du spectacle. L’implication des choristes n’est pas la même pour tous, ce qui affecte l’osmose du groupe lors des représentations. Pourtant pour Claire Pénisson, « Il faut penser groupe, il ne faut jamais penser individuel dans un chœur ». Pour eux, être choriste ne se limite pas au chant mais inclut aussi le fait de rentrer dans la peau des personnages, ils représentent le peuple. C’est très important pour Gérard Trimoreau : « je me cache derrière mon personnage comme une protection ». Cela crée une frustration chez les choristes car certaines œuvres sont écrites pour les solistes et laissent peu de place au chœur. À l’image de Pelléas et Mélisande où ils sont cloitrés dans les coulisses, au mieux derrière un rideau où ils se voient contraints à chanter sans laisser libre court à leur voix. Claire Pénisson se souvient avoir été très découragée par son premier stage de chant : « Je me suis pris une grosse claque ». Elle a échoué lors d’exercices respiratoires face à un chanteur amateur – alors qu’elle était déjà professionnelle. Le soir en rentrant chez elle, elle a pleuré toutes les larmes de son corps : « je me suis sentie vraiment humiliée, c’était horrible ». Cette expérience l’a secouée : à deux doigts de baisser les bras et partir, elle a finalement choisi de s’accrocher. Grâce à cette remise en question et au travail sur son instrument, elle a réussi à placer sa voix et à ressentir merveilleusement bien toutes les résonances dans son corps : « c’était jouissif ». CHORISTE RIME AVEC BEATITUDE… Comme toute profession, le métier de choriste a ses exigences, ses difficultés, ses remises en question, mais la joie, l’euphorie, l’extase et le ravissement sont toujours plus forts. Le chœur dégage une énergie impressionnante et la communion du groupe se fait ressentir sur scène : sans eux le charme n’est plus le même. Chaque choriste apporte une émotion particulière et, en groupe, cela crée une émulsion qui va crescendo, se propage, porte l’œuvre et transporte le public. L’ouvrage est alors riche d’une puissance émotionnelle ambiante. « On porte les solistes, on les aide à bien chanter et à faire passer des émotions », déclare Gérard Trimoreau. Gérard Trimoreau, Christine Craipeau et Claire Pénisson, interrogés séparément, s’accordent sur un même point : le don de soi à la musique et au public n’a pas d’égal. Claire Pénisson déclare même : « Je suis une bonne servante de la musique et je ne suis pas autre chose. Juste une servante de la musique ». La gratitude des spectateurs et leurs applaudissements témoignent de leur reconnaissance. « Le terme le plus simple, mais sans doute le plus fort : merci. Simplement », déclare Gérard Trimoreau. Les critiques positives peuvent venir du public mais aussi de professionnels, à l’image de Sylvie Leroy, accompagnatrice et professeur d’accompagnement au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon, qui a avoué à Claire Pénisson n’avoir jamais vu un chœur d’aussi bonne qualité, capable de telles nuances, en communion totale avec le chef d’orchestre et si homogène. JEU, PLAISIR, EPANOUISSEMENT… Voilà trois qualificatifs rares pour décrire une profession. C’est pourtant les mots que Gérard Trimoreau a spontanément choisi. Il s’explique : « Jeu pour le côté théâtre qui aide à s’évader de sa propre existence […] ». Le théâtre antique d’Orange. « C’est un lieu magique » C’est à Orange que ces artistes expriment le mieux cette passion. À l’occasion des Chorégies d’Orange, le chœur se produit au théâtre antique, lieu « propice aux grands ensembles », selon Christine Craipeau. Elle ajoute : « C’est incroyable d’être en extérieur dans un site aussi ancien, qui résonne de tous les artistes qui sont passés là depuis des siècles, des millénaires même. C’est toujours émouvant de chanter dans des lieux chargés d’histoire ». Gérard Trimoreau surenchérit : « C’est un lieu magique, avec une acoustique formidable ». Il est toujours aussi ravi de participer à de telles représentations, « même au bout de 32 ans », souligne-t-il. « Épanouissement ? », lui a-t-on demandé : « je n’ai jamais été obligé de me forcer, ça n’a jamais été pénible pour moi de venir travailler. Jamais. Bien qu’il y ait des moments plus ou moins faciles ». C’est à travers ce métier que l’artiste s’est épanoui, professionnellement et personnellement. « J’étais une personne extrêmement timide et réservée. Maintenant c’est terminé ». Une fois dans l’opéra, l’homme a eu un déclic et l’artiste est né. Claire Pénisson raconte : « L’un de mes amis choriste a eu un virus sur les cordes vocales, il a dû subir des opérations et ne pouvait plus se servir de son instrument. Si cela m’arrivait – j’espère de tout cœur que non – je ferai tout pour rester dans la musique ». Elle ajoute qu’elle ne pourrait pas vivre sans, car « la musique est universelle et permet de communiquer ». « J’en garderai un merveilleux souvenir » Notre immersion dans le jardin secret des choristes s’achève avec les projets de retraite de Gérard Trimoreau « Plus on vieillit, plus c’est difficile, je trouve ça raisonnable d’arrêter, mais je ne peux pas dire que je sois impatient de partir. J’en garderai un merveilleux souvenir ». C’est sur cette note positive que Gérard se prépare à partir sous un soleil espagnol, profiter de ses beaux jours.