RACINES169 -mars07

Transcription

RACINES169 -mars07
Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous
Dossier réalisé par
Yvelise Richard
Apprendre une
langue étrangère
L’avis de…
Macha Milliard,
professeur de russe à l'université
permanente de Nantes.
Vous enseignez le
russe à l'université permanente de Nantes depuis trois
ans. Avez-vous beaucoup de
seniors dans votre cours ?
En cours de russe, je n’ai pas des
groupes très importants, et les personnes de plus de 50 ans constituent la
majorité des effectifs : environ les trois
quarts, parfois plus. Il y a parmi eux
un certain nombre d’anciens enseignants, mais aussi des secrétaires, des
fonctionnaires… La plupart exerçaient
ou exercent encore une profession dite
intellectuelle.
Cette année, à titre d’exemple, le
plus âgé de mes étudiants a 72 ans.
Mais il y a aussi dans ces cours des
personnes plus jeunes, souvent de jeunes hommes ayant épousé une Russe.
"Do you speak english ? Sprechen Sie deutsch ?
¿ Habla español ?...” De plus en plus de seniors
se lancent dans l'apprentissage des langues
étrangères, lointaines ou proches. Tous ont
d'excellentes raisons : des désirs de voyages
(réels ou virtuels) ; un enfant à l'étranger,
marié avec un(e) autochtone ; la curiosité
intellectuelle alliée à la volonté de faire
fonctionner ses petites cellules grises…
RACINES
16
mars 2007
Pourquoi ces élèves seniors
ont-ils choisi d'apprendre le
russe ? Quel usage en font-ils :
voyage, correspondance avec de
la famille, simple curiosité intellectuelle ?
Décider d’apprendre ou de réapprendre une langue, une fois la cinquantaine passée, peut correspondre
à un souci global de s’entretenir intellectuellement et au plaisir simple de
continuer à acquérir des connaissances, d’échanger avec d’autres. Mais
choisir d’apprendre le russe coïncide
aussi parfois avec une motivation particulière.
La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine
Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous
Certains de mes étudiants passés
ou présents ont en effet des origines
slaves, russes ou ukrainiennes, par
exemple. Les liens familiaux avec la
Russie peuvent être aussi récents : un
enfant parti travailler en Russie ou
dans une autre république d’ex-URSS ;
un membre de la famille marié à un
russophone…
D’autres encore ont appris le russe
au cours de leur cursus scolaire et souhaitent raviver leurs connaissances.
Quelques-uns envisagent d’effectuer un voyage en Russie ou, dans une
démarche inverse, ont entrepris l’étude du russe suite à un séjour à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, pour
étayer des bribes de connaissances
acquises à cette occasion.
Mais pour la majorité, le choix
d’étudier le russe correspond à un
goût personnel, à une attirance particulière pour la langue, la littérature,
la culture, la musique… russes.
Ces élèves se distinguent-ils
par un comportement particulier ? Est-ce plus dur pour eux de
suivre vos cours ?
Ces seniors sont effectivement, en
général, très assidus. Il y a sans doute
à cela des explications pratiques : on
peut imaginer qu’ils sont moins soumis aux aléas de la vie professionnelle ou familiale (leurs enfants sont
généralement autonomes). Ils sont
généralement davantage maîtres de
leur temps.
Mais cette assiduité s’explique aussi
probablement par la curiosité indubitable dont ils font preuve à l’égard
du pays dont ils étudient la langue.
Ils ont d’ailleurs souvent des connaissances déjà étendues à son sujet. Ils
suivent parfois, outre les cours de langue, un cours de civilisation russe ; ils
mettent en pratique leurs connaissances à la moindre occasion (quand il
leur arrive de rencontrer des Russes,
de découvrir des reportages sur la
Russie…)
Peut-être certains de ces étudiants
seniors mettent-ils un peu plus de
temps que des plus jeunes à mémoriser ce que nous voyons en cours
(c’est loin d’être une généralité), mais
ils ont aussi davantage de références,
une approche sans doute plus raisonnée de la langue étrangère. Ils sont
dans l’ensemble appliqués et rigoureux. Même si quelques-uns présentent des travers que l’on pourrait croire
propres aux enfants (j’enseigne également en collège), comme reproduire inlassablement les mêmes petites
erreurs ! La distraction n’a pas d’âge…
Les étudiants seniors sont bien perçus par les plus jeunes, plutôt admiratifs à leur égard, et qui les trouvent
courageux et sympathiques, souvent
très attentionnés envers les autres.
RACINES
17
mars 2007
Peut-être parfois certains souhaiteraient-ils aller un peu plus vite, mais
là encore, c’est sans doute plus une
question de personne que d’âge.
Quel programme abordez-vous avec eux ?
Le programme dépend un peu de
la composition du groupe, de ses
attentes : ont-ils des objectifs ou des
besoins précis, ciblés, professionnels
par exemple ? Si, comme c’est souvent le cas dans les groupes avec
lesquels j’ai travaillé, il s’agit essentiellement d’une recherche de plaisir
et d’enrichissement personnel, on
n’obéit pas à un programme précis.
On prend notre temps, en essayant
de mettre à profit les effectifs réduits
pour pratiquer l’oral au maximum et
s’exprimer sur des sujets de la vie courante.
On suit quand même un manuel
par commodité, pour que les étudiants
aient des documents à disponibilité.
Le but des cours est d’abord d’acquérir les bases linguistiques indispensables à la compréhension et à
l’expression, puis, au fur et à mesure
que les étudiants progressent, d’introduire de plus en plus de civilisation.
On répond aussi à la demande, lorsque l’actualité ou le calendrier le
justifie ou lorsque des envies particulières s’expriment.
La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine
Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous
S’ouvrir vers un nouveau pays
“L
orsqu'en 1997, notre commune s'est jumelée avec
une commune espagnole,
j'ai suivi les cours de Mme Guibert,
une jeune femme qui avait un
niveau BTS en langues et qui participait au comité de jumelage. Une
fois par semaine, pendant une
heure et demie. Nous étions une
dizaine environ, dans le groupe des
non-débutants à nous retrouver.
J'avais appris l'espagnol de la quatrième à la terminale. J'ai donc
parlé de nouveau cette langue avec
plaisir, sans aucune difficulté. Les
cours ont duré plus d'un an : notre
professeur disposait de supports
audio, elle nous remettait des fiches
de travail, des petits exercices à
faire. On pratiquait quand même
plus l'oral que l'écrit, de la conversation courante… Et puis il fallait
entretenir ses connaissances par
des révisions…
L'objectif était très clair, dès le
départ : favoriser les échanges pour
le jumelage, dans les familles qui
accueillaient ou qui partaient. La
ville espagnole, près de Saint-Jacques-de-Compostelle et près de La
Corogne est un lieu très emblématique de la Galice, une superbe
Catalogne ou Galice,
l’Espagne attire nombre de
seniors qui mettent en pratique
leurs cours de langue.
région, mais avec un tourisme
encore peu exploité. Car bien sûr,
nous y sommes allés, plusieurs fois
(quatre ou cinq). Il nous est aussi
arrivé de recevoir les Espagnoles
en-dehors du jumelage, car on a
gardé des liens. Pouvoir parler dans
la langue de ses hôtes, c'est quand
même un plus. Pouvoir communiquer, c'est essentiel.
Et puis quand les cours ont cessé,
je me suis acheté des cassettes d'espagnol et quelquefois, en faisant
du repassage, j'en écoute une, pour
entretenir l'oreille… De temps en
temps, on passe un petit coup de
fil aux amis là-bas ou on envoie
une lettre.
De plus, j'ai une fille qui a vécu
trois ans en Espagne, dans la même
région que celle de notre ville jumelle. Sans qu'il y ait pour autant de
lien entre les deux choses. Mais cela
a ajouté à l'intérêt et au désir d'aller plus loin dans les connaissances et de les approfondir. Depuis,
ma fille s'est mariée avec un Espagnol et mon petit-fils de 5 ans est
parfaitement bilingue.”
Colette
Pays de Montaigu
“Pas facile de retenir le vocabulaire”
uand mon fils est parti faire
des études en Espagne, je
me suis dit : "j'aurai une bru espagnole ! Il faut que j'essaie d'apprendre l'espagnol." J'ai donc
acheté une méthode d'apprentissage et ça me plaisait beaucoup.
J'aime cette langue, il y a de
nombreux mots qui sont cousins
de ceux en français ou d'origine
latine. Mais l'ennui, c'est que ma
"Q
mémoire oubliait une partie de
ce que j'avais appris la veille.
Quand mon fils est ensuite parti
aux États-Unis, je me suis dit : "je
vais me remettre à l'anglais !" Mais
là, j'ai été très déçu, parce
qu'avec des moyens audio que je
n'avais jamais eus quand j'ai
passé le bac (il y a quarante ans),
je n'ai pas fait de progrès : certains mots que j'avais appris
RACINES
18
autrefois me revenaient mais pas
le vocabulaire nouveau. Je ne
veux pas décourager les gens à
la retraite qui se lancent dans
l'étude d'une langue étrangère,
mais il faut bien qu'ils sachent
qu'ils auront plus de difficultés
que leurs enfants ou que leurs
petits-enfants.”
Georges
Pays yonnais
mars 2007
La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine
RACINES169 -mars07
21/02/07
8:46
Page 19
Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous
Anglais ? Russe ? Patois !
de rustres”, reQuand d'augrette l'ancienne
tres s'ouvrent
commerçante et
aux langues
aujourd'hui auétrangères,
teure de plusieurs
Suzanne perpétue
ouvrages sur la
les mots d'ici.
vie d'autrefois(1).
Elle conte, raconte en patois,
Parmi ses
dans de petites
amis, les retraifêtes, dans les
tés de sa génémaisons de retraiSuzanne Bontems, ration, certains
amoureuse de sa n'osent plus cet
te… “C'est une
langue
maternelle.
langue si belle”,
accent… tandis
s'émerveille touqu'elle joue
jours Suzanne, à 86 ans.
encore avec ses richesses.
Depuis sept ans, la retraitée
Petit combat d'un autre âge ?
de Cherveux (Deux-Sèvres) invi- “Je me suis mise à l'informatique,
te les collégiens de Mazières-en- c'est bien la preuve que je ne suis
Gâtine à découvrir ce langage pas arriérée !”, revendique-t-elle
qui s'efface avec les générations. en souriant. Suzanne voudrait
Sur les planches les jeunes élèves juste que personne n'oublie cette
s'approprient avec humour ces culture poitevine. “Vouloir l'enexpressions oubliées. “Le patois seigner à l'école serait trop artiles amuse énormément! s'enchan- ficiel, ça sonnerait faux. Pour
te Suzanne, car il emploie beau- parler patois, il faut avoir vécu
coup d'images, des dictons avec lui !”, tranche-t-elle.
cocasses.” L'octogénaire sait pourC. B.
tant que sa langue maternelle a
amorcé sa mort depuis long(1) Au Pays de la Moujhass, Au
temps. “Le patois fait partie de cœur de mon village, Chantenotre patrimoine, mais il ne se coucou, Des jours se sont passés
transmet plus. Il était même consi- (sur son mari STO en Allemagne), et
déré comme honteux, une langue bientôt, Sur le chemin du lavoir.
Depuis sept ans, Suzanne fait jouer des sketches
(Photos : Michelle Delavault)
en patois aux collègiens de Mazières-en-Gâtine.
RACINES
19
mars 2007
La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine