Cas clinique Une patiente africaine de 49 ans, mère de 8 enfants

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Cas clinique Une patiente africaine de 49 ans, mère de 8 enfants
Cas clinique
Une patiente africaine de 49 ans, mère de 8 enfants, est référée un mois
après une cholécystite refroidie par traitement médical.
Son taux d’hémoglobine est de 8,6 gr/100 ml, qui justifie une commande
de sang.
Le responsable de la banque de sang ne trouve pas de sang
compatible et vous communique :
- groupe B
- Rh : D partiel, cc, ee
- Groupe sanguin : BRh (+)
C
c
E
e
K
k
-
+
-
+
-
+
-
+
+
M
N
S
s
P1
+
-
-
+
+
Jka Jkb Lea Leb
+
-
-
-
Kpa Kpb Jsa Jsb Fya Fyb
-
-
-
Lua Lub CW
-
+
-
Question de réanimation : en postopératoire : la patiente saigne et, ne
trouvant pas de sang à son nom, une infirmière lui transfuse 2 unités de O
(-) provenant de la salle d’urgence.
Question résolue par le Dr Bérangère PAPEGAY, MACCS Anesthésiologie
JUIN 2002
Plan de réponse
1. Problèmes spécifiques posés par cette patiente et implications pour l’anesthésie
2. Préparation préopératoire et commande de sang
3. Prise en charge peropératoire
4. Prise en charge postopératoire et complications de la transfusion de 2 Unités O (-)
5. Conclusion.
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1. Problèmes spécifiques posés par cette patiente et implications pour l’anesthésie
Cette patiente africaine présente un phénotype sanguin très particulier. Outre la présence d’un D
partiel, elle présente également une absence d’un antigène public : Jsb.
1.1. Rappel immunohématologique
1.1.1. Le système ABO
4 groupes classiques
Fréquence
A
45 %
B
8%
O
44 %
AB
3%
Cette patiente présente donc un groupe B dont la fréquence n’est que de 8 % !
Les anticorps de ce système sont de 2 types :
*Ac naturels = IgM ou IgG présents d’emblée chez le patient ne possédant pas l’antigène sur
la membrane des GR.
Ex. Groupe
A
Ac antiB
B
Ac antiA
O
Ac antiA et antiB
AB
Ø
*Ac immuns = Ac apparaissant à la suite de stimulations antigéniques variées.
Ex. allo-immunisation au cours d’une grossesse de mère O avec enfant A ou B, transfusion
incompatible.
1.1.2. Le système Rh = système très immunogène
Les antigènes connus du système Rh sont actuellement plus de 40, mais en pratique courante, 5 sont
à connaître : D, C, E, c, e.
Fréquence estimée : D 85 %
C 70 %
c 80 %
E 26 %
e 99 %
Notre patiente présente un groupe D cc ee = 2,3 %, ce qui n’est pas habituel puisque D est plus
souvent présent s’il y a l’antigène C et/ou E. Cette particularité se rencontre dans la race noire.
Par définition, les personnes possédant l’antigène D sont dites Rh (+) et celles ne le possédant pas
sont dites Rh (-). Dans les populations non caucasiennes, le phénotype Rh (-) est très rare (fig. 1).
3
Il existe cependant des antigènes D variants. C’est le cas de notre patiente, qui présente un D
partiel. L’antigène D normal (fig. 2) est constitué d’une mosaïque de sous-unités ou épitopes.
Certains sujets Rh (D) (+) peuvent produire un alloanticorps anti D dirigé contre un ou plusieurs
épitopes manquants définissant ainsi les phénotypes D partiels.
Fig 1
Le phénotype Rh (+) est déterminé par le locus composé de 2 gènes homologues étroitement liés :
RHD et RHCE.
Le phénotype Rh (-) est déterminé par le locus ne comprenant qu’un seul gène RHCE.
Fig. 2
Modèle de cartographie des épitopes D
4
Les sujets D partiels peuvent s’immuniser, par transfusion ou par grossesse, contre l’épitope
manquant. Cet anticorps ainsi formé reconnaîtra tous les antigènes D, à l’exception de celui des
hématies du sujet lui-même. On aura donc le paradoxe d’un alloanticorps anti-D chez un sujet D
positif.
D’un point de vue pratique, lorsque les individus D partiels sont donneurs de sang, ils doivent être
considérés comme Rh (+) (ils possèdent l’antigène D, même s’il leur manque un morceau !), alors
que s’ils sont receveurs, il faut leur donner du sang Rh (-).
Il faut remarquer qu’il n’existe pratiquement pas d’anticorps naturels dans le système Rh, les
anticorps sont dans la quasi-totalité des cas des anticorps immuns acquis soit par transfusion, soit
par immunisation foeto-maternelle.
1.1.3. Les autres systèmes immunogènes
Le système Kell (K, k, Kpa, Kpb, Jsa, Jsb)
* notre patiente
Répartition des différents phénotypes :
K (-) k (+)
91 % *
K (+) k (+)
8,8 %
K (+) k (-)
0,2 %
race blanche
Dans les autres races, la fréquence de K est généralement inférieure pour tendre vers 0.
Kpa (+) b (-)
0,01 %
Kpa (+) b (+)
2,26 %
Kpa (-) b (+)
97,73 % *
Jsa (+) b (-)
0,9 % *
Jsa (+) b (+)
17,2 %
Jsa (-) b (+)
81,9 %
race blanche
race noire
Dans la race blanche, il n’a jamais été décrit de Jsa (+) b (-) et dans la race noire, la fréquence varie
entre 6 et 10 pour 1000.
L’anticorps Jsb est rare, moins de 10 exemples étaient connus en 1975.
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Fig. 3
Séries
Antigènes Kell
Rares
K (Blancs ++, Noirs +)
Kpa (Blancs) Kpc (Japon)
Jsa (Noirs)
KEL 17 (Blancs)
KEL 24 (Blancs)
Ula (Finnois, Chinois, Japonais)
Kk
Kp
Js
Weeks/Côté
KEL* 14/KEL* 24
Ul
Fréquents
k
Kpb
Jsb
KEL 11
KEL 14
?
Dans le système Kell, l’haptotype le plus fréquent est : k, Kpb, Jsb, Kell 11, Kell 14.
Le système Duffy (Fya, Fyb)
Le phénotype Fya (-) Fyb (-) est un phénotype silencieux extrêmement rare dans la population
caucasienne mais très fréquent dans la race noire (70 %). Les antigènes Fya et Fyb étant les
récepteurs du plasmodium vivax, le phénotype silencieux confère donc une résistance vis-à-vis de
ce parasite.
Le système KIDD
Phénotype
Fréquence caucasienne
Jka (+) b (-)
28 % *
Jka (+) b (+)
50 %
Jka (-) b (+)
22 %
Jka (-) b (-)
rare
Le système Lewis
Phénotype
Fréquence
Lea (+) b (-)
20 %
Lea (-) b (+)
70 %
Lea (-) b (-)
10 % *
Le système MNSs
Phénotype
Fréquence (caucasienne)
MMSS
7,3 %
MMSs
16,2 %
MMss
9%*
MNSS
4%
MNSs
19,1 %
6
MNss
21,3 %
NNSS
0,6 %
NNSs
5,3 %
NNss
12,6 %
Sur le plan transfusionnel, l’allo-immunisation anti S est exceptionnelle et l’immunisation anti s est
encore moins fréquente. Les antigènes M et N n’ont que peu d’influence transfusionnelle.
Le système P
Phénotype P1 (+)
75 % des cas
Le système Lutheran
Phénotype
Fréquence
Lua (+) b (-)
0,07 %
Lua (+) b (+)
5,58 %
Lua (-) b (+)
94,35 % *
1.2. Problèmes posés pour la patiente
1. Groupe sanguin B représentant 8 % de la population.
2. Présence d’un D partiel → s’il faut transfuser cette patiente, il faut lui donner du Rh (-) ! Or,
dans la race noire, le phénotype Rh (-) est rare.
3. Absence d’un antigène public présent dans toute la race blanche et dans 99,1 % de la race noire.
4. Patiente ayant eu 8 enfants et donc probablement ayant été immunisée contre l’épitope D qui lui
manque, avec production d’anticorps anti-D et ac anti-Jsb ! = allo-immunisation.
5. Anémie existante en préopératoire.
6. Chirurgie élective mais infectée puisqu’il s’agit d’une cholécystite refroidie.
1.3. Implications pour l’anesthésie
Nous nous retrouvons devant un blocage transfusionnel complet, il n’y a pas de possibilité de
transfusion sanguine alors que nous avons une patiente anémique en préopératoire !
Nous allons donc devoir en préopératoire :
*
optimaliser son taux d’Hb
*
discuter des choix transfusionnels possibles
*
choisir la meilleure technique chirurgicale, la moins hémorragique.
Il est donc indispensable d’avoir un consensus anesthésiste-chirurgien-banque de sang de manière à
optimaliser la prise en charge de cette patiente.
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Cependant, il faut souligner que ce type de chirurgie est normalement non hémorragique.
2. Préparation préopératoire et commande de sang
L’anémie est un des problèmes les plus fréquents dans la pratique médicale. Il est donc essentiel
d’en rechercher les causes principales.
L’anamnèse, l’examen clinique et les examens
complémentaires permettront de classer la patiente selon la classification ASA et donc de
déterminer les pathologies importantes qui pourraient intervenir dans le choix de la technique
d’épargne sanguine, d’anesthésie et de chirurgie.
Ex. :
-
taux d’Hb minimum acceptable pour cette patiente ;
-
antécédents multiples d’interventions abdominales qui pourraient contre-indiquer la
coelioscopie ;
-
présence surajoutée d’une pathologie de la coagulation.
Il est donc important chez cette patiente de faire un bilan internistique sur le plan hématologique.
2.1. Optimalisation du taux d’hémoglobine préopératoire
2.1.1. Diagnostic et traitement des anémies
Les valeurs normales d’Hb :
13 g/dl chez l’homme
12 g/dl chez la femme.
Présentation clinique d’une anémie
-
fatigue et faiblesse musculaire
-
pâleur, subictère (si anémie hémolytique)
-
au niveau cardiovasculaire :
o augmentation du débit cardiaque (si le patient est jeune et que l’anémie est
chronique, il n’y a pas de symptômes subjectifs)
o cardiomégalie, souffle systolique fonctionnel
o bourdonnements d’oreilles
o palpitations,…
Si l’anémie s’installe brutalement ou si le système cardiovasculaire est déficient,
l’adaptation est moindre et les symptômes plus importants.
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-
Au niveau digestif :
o Troubles du transit
o Glossite – oesophagite
o Maladies digestives : ulcère,…
o Splénomégalie.
De manière générale, les symptômes se développent lorsque le taux d’Hb est ≤ 8 g/dl.
Examens de laboratoire
On veillera à demander des analyses d’orientation qui donneront le diagnostic ou orienteront vers
celui-ci.
- VS
- GB, plaquettes
- Hb
- Fer sérique, IBC
- Htc
- Ferritine
- GR + réticulocytes
- Haptoglobine
- MCV, MCH, MCHC
- Bilirubine
- LDH
Causes d’anémie
1. Anémie hypochrome – ferriprive
2. Anémie des maladies chroniques
o anémie inflammatoire
o IR chronique, désordres endocriniens, cirrhose
3. Anémies macrocytaires
o carence en vit B12
o carence en acide folique
4. Anémies hémolytiques
o anomalie membranaire : sphérocytose
o Hb anormales
o thalassémie
o anémies hémolytiques immunitaires
o anémies hémolytiques non immunitaires
o …
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Traitement étiologique simple
Traitement de l’anémie ferriprive
-
arrêt du processus responsable du saignement
-
prescription de fer :
soit :
1. administration per os = voie la moins chère et la plus sûre.
150-200 mg de fer élémentaire/jour à continuer jusqu’à normalisation du taux d’Hb et encore 2
mois supplémentaires pour restaurer les réserves
2. administration parentérale IM-IV fer Sorbitol ou fer dextran (50 mgFel/ml)
(15 – Hb malade) x poids (kg) x 3 = mg de fer élémentaire à donner.
! injection IM profonde pour éviter les tatouages
! risque de choc anaphylactique.
Par un traitement en fer bien conduit, l’Hb doit augmenter de 1 g/sem.
Traitement de l’anémie pernicieuse (race blanche ++)
Administration de vit B12 à vie.
Traitement de la carence en acide folique
Prescription magistrale d’acide folique P.O. 5 mg/j.
En conclusion, devant l’importance des causes d’anémie préopératoire, un bilan hématologique est
nécessaire, de manière à traiter si possible cette anémie en préopératoire et éviter le besoin
transfusionnel.
2.1.2. Utilisation préopératoire de l’érythropoïétine recombinante humaine
L’érythropoïétine est le facteur de croissance des cellules précurseurs de la lignée érythropoïétique,
c’est-à-dire qui donne lieu à la formation des globules rouges. Elle est normalement synthétisée au
niveau du rein. L’érythropoïétine humaine est obtenue par génie génétique.
Le traitement par l’érythropoïétine est une alternative pharmacologique efficace au sang
allogénique chez les patients subissant une intervention et pour qui il n’y a pas de sang disponible.
La stimulation de l’érythropoïèse par l’érythropoïétine est indépendante de l’âge et du sexe et la
variabilité de la réponse dépend essentiellement de la restriction en fer. L’expansion des GR se
marque par une augmentation des réticulocytes au J3 du traitement, l’équivalent d’une unité de sang
au 7e jour et 5 unités de sang au 28e jour.
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Deux éléments sont donc essentiels :
1. administration concomitante de fer (IM ou IV)
2. intervalle préop nécessaire à la stimulation érythorpoïétique optimale = 3 à 4 semaines.
La dose proposée = 300 UI/kg 2 x/semaine pendant 4 semaines, ce qui correspond à un total de
2400 UI/kg (3 semaines avant l’intervention et 1 semaine après l’intervention).
Les effets secondaires sont rares :
-
anaphylaxie
-
augmentation de la viscosité sanguine avec augmentation du risque de thromboses veineuses
2.2. Possibilités de commande de sang
Etant donné que cette patiente présente un groupe sanguin rare avec présence d’alloanticorps, nos
possibilités de poches sanguines sont très limitées. Il n’y a aucun individu de race blanche ne
présentant pas l’antigène public Jsb. Nous devons donc trouver ailleurs des sujets compatibles.
Possibilités
1. Faire appel aux banques de sang congelé (2 centres en Belgique : Anvers et Liège)
Il s’agit de banques de sang rassemblant les groupes sanguins rares. Les poches de sang sont
congelées et malheureusement pour nous, ne sont décongelées qu’en cas de stricte nécessité, c’està-dire de certitude de transfusion. Or, chez notre patiente, il y a une forte probabilité qu’elle ne
doive pas bénéficier de transfusion ! (surtout si son hémoglobine préop est optimalisée).
2. Rechercher dans sa famille et ses enfants un phénotype sanguin compatible. S’il existe dans sa
famille un phénotype compatible, nous pourrons proposer une donation de sang en préopératoire. Il
est important de signaler les problèmes légaux et éthiques que cela peut engendrer.
Sur le plan légal
Article 1 : les prélèvements de sang sont effectués sur des sujets de 18 à 60 ans ne présentant pas de
contre-indication médicale au don de sang. Toutefois, à titre exceptionnel, des prélèvements de
faible importance peuvent être effectués en dehors de ces limites d’âge, chez des sujets dont le sang
présente des propriétés ayant un intérêt particulier. L’autorisation écrite des parents est exigée
avant tout prélèvement sanguin chez un mineur.
Article 2 : la fréquence des prélèvements de sang ne doit pas être supérieure à 5 x/an pour les
hommes, 3 x/an pour les femmes. L’intervalle entre les deux étant au moins égal à 2 mois. La
quantité de sang recueilli à l’occasion de chaque prélèvement ne doit pas être supérieure à 400 ml.
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Dans notre cas, il faut évaluer la quantité de poches sanguines nécessaires en préop et si elle
dépasse l’unité, le problème éthique se pose de mettre quelqu’un de sa famille en anémie pour
pouvoir prélever plus d’unités de sang à la fois (intérêt de l’EPO chez le donneur) (1 U de sang est
valable 35 jours).
3. Faire appel à la banque de sang béninoise. Ce centre s’est constitué une banque de données à
partir de donneurs de sang réguliers béninois. Ils ont phénotypé un grand nombre de donneurs, ce
qui a permis de retrouver certaines caractéristiques antigéniques érythrocytaires de la race noire.
Pour notre patiente, comme nous ne pouvons trouver de poche de sang que dans une petite fraction
de la race noire, si la recherche familiale s’avère négative, c’est par ce biais que nous pourrons
trouver du sang. Il est donc possible de faire venir du sang compatible pour cette dame via la
banque de sang béninoise. L’inconvénient est qu’il n’y a que deux avions par semaines qui font le
trajet !!
4. L’autodonation après optimalisation du taux d’hémoglobine serait une solution mais dans notre
cas, la patiente est infectée et il y a donc contre-indication de cette autodonation.
En conclusion, la préparation préop consistera à optimaliser son taux d’hémoglobine et à rechercher
des poches de sang compatibles. Tout cela prend du temps, ça ne se fait pas en un jour. Il faut donc
postposer l’opération de cette patiente, en accord avec le chirurgien, afin de la prendre en charge de
manière optimale.
Il est essentiel de déterminer le laps de temps disponible avant que la
cholécystite ne se réactive.
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⇒ Dose totale réduite et aussi efficace !
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3. Prise en charge peropératoire
3.1. Monitoring
-
ECG, SpO2, NIBP
-
V périphérique
-
Alarmes respiratoires classiques (CO2 ; pression ; FiO2)
-
Stéthoscope oesophagien (si coelioscopie), sonde thermique, contrôle pression du cuff.
→ le choix d’un monitoring plus invasif dépendra de l’état de la patiente. Dans ce cas-ci, un
monitoring simple suffira car cette patiente est probablement en bonne santé.
3.2. Induction et entretien de l’anesthésie
-
Le choix des différentes drogues se fera en fonction de l’état clinique de la patiente. Il n’y a
pas de drogues meilleures que d’autres
-
En cas de coelioscopie
1. il est important de vider l’estomac par une sonde gastrique afin d’éviter la mise en place
du trocard dans l’estomac
2. l’utilisation de N2O est contre-indiquée vu le risque d’embolie gazeuse peropératoire
3. les hyperpressions ventilatoires doivent être contrôlées afin d’éviter les barotraumas.
-
Le positionnement de la patiente doit être optimal vu les positions extrêmes peropératoires
(antitrendelenbourg maximum).
-
Penser - à l’antibiothérapie peropératoire
- à l’infiltration des berges de l’incision en cas de tomie
- à l’humidification des gaz inspirés.
-
Il est important d’exsuffler l’abdomen de la patiente après coelioscopie afin d’éviter les
douleurs abdominales majeures en postopératoire.
-
Le chirurgien doit également s’assurer qu’il n’existe pas de calcul dans la voie biliaire
principale par l’intermédiaire d’une cholangiographie peropératoire.
3.3. Moyens utiles pour diminuer le saignement peropératoire
3.3.1. Choix judicieux de la technique chirurgicale
Dans la plupart des cas, les techniques laparoscopiques entraînent moins de saignement, un réveil
rapide et une sortie précoce de l’hôpital par rapport à la tomie. Cependant, il est indispensable
surtout chez cette patiente, d’avoir recours à un chirurgien expérimenté.
Celui-ci doit prendre soin de manipuler les tissus avec prudence, de manière à diminuer les risques
de lésions tissulaires. Il doit également avoir une connaissance approfondie de l’anatomie et de la
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localisation des vaisseaux car s’il y a un saignement, le chirurgien n’a pas d’accès direct, ce qui
augmente le temps et la quantité de saignement.
Il faut également rechercher, par l’anamnèse, des antécédents de chirurgie abdominale qui
pourraient rendre la laparoscopie plus délicate et dangereuse.
Il est donc essentiel de discuter avec le chirurgien de la meilleure prise en charge de cette patiente.
3.3.2. Hypotension contrôlée
L’hypotension contrôlée permet de diminuer les pertes sanguines peropératoires et permet
également une meilleure visibilité du chirurgien en cas d’hémorragie ;
L’hypotension contrôlée est contre-indiquée en cas de pathologies vasculaires (insuffisance cérébrovasculaire, coronaropathie,…).
Celles-ci doivent être recherchées en préopératoire.
Il faut
également discuter de l’utilité d’une ligne artérielle invasive en fonction de l’état clinique de la
patiente.
Il faut également discuter de l’utilité d’une péridurale en cas de laparotomie, ce qui diminue les
saignements et favoriserait l’hypotension artérielle perop.
3.3.3. Autres techniques
Le récupérateur de sang
Il n’a pas de place dans ce cas, pour deux raisons évidentes :
-
la patiente est infectée et le sang ne peut donc pas être récupéré
-
ce type de chirurgie ne saigne pas ou peu, il n’y a donc pas d’indication de récupérateur de
sang.
Les antifibrinolytiques
Acide tranexamique = Exacyl : il prévient la liaison du plasminogène avec la fibrine.
Le
plasminogène devient inaccessible aux activateurs, il n’y a pas de formation de plasmine et de
dégradation enzymatique de la fibrine.
Il est peu utilisé en chirurgie non sanglante.
Aprotinine – Trasylol : inhibiteur de sérine-protéases utilisé essentiellement en chirurgie cardiaque.
Il n’a pas son indication dans une cholécystectomie simple.
Desmopressine = Minirin : il possède une activité prohémostatique par libération de facteur VIII :
C, prostacycline, tpa et du facteur VW par l’endothélium vasculaire. Il est surtout utilisé dans des
affections congénitales ou acquises de l’hémostase et n’a pas sa place dans ce cas clinique.
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3.3.4. Hémodilution normovolémique aiguë
Cette technique peut être utilisée chez notre patiente pour autant que son état clinique le permette.
L’anamnèse et la classification ASA permettront de déterminer la limite inférieure acceptable
d’hémoglobine.
Si la patiente n’a pas de contre-indication à l’hémodilution, elle pourra descendre son hémoglobine
à 5-6 g/dl sans que le transport en O2 ne soit compromis. Différents mécanismes assureront le
maintien de ce transport en O2 :
1. une augmentation du débit cardiaque
- diminution de la viscosité sanguine
- stimulation du sympathique cardiaque
2. une redistribution régionale du débit cardiaque vers le cœur et le cerveau
3. une amélioration des capacités d’extraction en O2
- recrutement capillaire
- accélération du temps de transit capillaire
4. une diminution de l’affinité de l’hémoglobine pour l’O2, ce qui facilite la libération tissulaire
d’O2.
L’efficacité des mécanismes permettant le maintien du transport en O2 vers les tissus dépendra
avant tout du maintien de la volémie et de l’intégrité de la fonction cardiaque.
4. Prise en charge postop et complications de la transfusion de 2 unités de O (-)
4.1. Prise en charge postopératoire
Postop immédiat
-
réveil en salle d’opération
-
extubation selon les critères habituels de sécurité
-
séjour en salle de réveil avec monitoring classique ECG/SpO2/NIBP et évaluation clinique
régulière
-
assurer une analgésie adéquate
- dérivés morphiniques ex. : dipidolor titré mg/mg
- antispasmodiques ex. Buscopan 20 mg
- Prodafalgan 2 g
- (péridurale si tomie)
- AINS : dans ce cas-ci, je m’abstiendrais car son Hb étant diminuée, tout risque de
saignement doit être évité
-
contrôler les effets secondaires néfastes de l’intervention (nausées – vomissements).
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Postop tardif à l’étage
-
maintenir une analgésie adéquate, surtout si la patiente a subi une tomie car l’incision souscostale est douloureuse et peut entraîner des complications ventilatoires postop
-
maintenir une antibiothérapie peropératoire et J1 postop
-
faire une Rx du thorax au J1 postop pour exclure la présence d’un pneumothorax même
asymptomatique
-
mobilisation précoce de l’opéré, bas varices et traitement préventif des thrombophlébites
postopératoires. Les patients opérés sous coelioscopie sont plus rapidement sur pieds que
pour la cholécystectomie par tomie
-
assurer une kinésithérapie respiratoire intensive pour éviter l’hypoventilation et le
développement de complications respiratoires
-
réalimenter le patient dès la levée de l’iléus postopératoire et après normalisation des
paramètres biologiques CRP, enzymes hépatiques,…
4.2. Complications de la transfusion de 2 unités d’O (-)
La transfusion de sang O (-) chez cette patiente va entraîner une incompatibilité cellulaire se
manifestant soit immédiatement quand l’anticorps dirigé contre un antigène du donneur est présent
chez le receveur avant la transfusion, soit de façon retardée, dans les quelques jours qui suivent la
transfusion lorsque l’anticorps est formé à la suite de la transfusion.
4.2.1. Hémolyse intravasculaire aiguë = réaction immédiate.
Etiologies
Cet accident est provoqué par un anticorps présent chez le receveur et dirigé contre les GR
transfusés. Il y a, dans la circulation du receveur, une destruction immédiate des GR transfusés =
urgence médicale.
Cette réaction est due le plus souvent à une transfusion incompatible dans le système ABO, mais
peut survenir dans les systèmes Kell, Duffy, Kidd, Ss et Lewis. L’activation du complément
entraîne l’hémolyse intravasculaire.
Symptômes
Le délai d’apparition des symptômes est indépendant du volume des GR transfusés.
Signes d’alarmes :
- céphalées
- rougeur du visage
- sensation d’oppression
- douleur lombaire ++
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Autres symptômes :
-
hypotension artérielle qui évolue vers le collapsus cardiovasculaire et le syndrome
hémorragique s’il n’y a pas arrêt immédiat de la transfusion
-
évolution vers l’insuffisance rénale : augmentation urée, créatinine ; oligurie, anurie ;
augmentation K+ plasmatique
-
hémoglobinurie (urines noires)
-
hémoglobinémie plasmatique (par dépassement des possibilités de prise en charge de l’Hb par
l’haptoglobine)
-
augmentation de la bilirubine libre + ictère franc
-
risque d’évolution vers la CIVD.
Traitement
1. Stopper la transfusion, nouvelle trousse de perfusion.
2. Surveillance : - pouls, TA
- FR ; diurèse et coloration des urines
Surveillance USI
3. Traiter l’état de choc initial.
4. Favoriser la diurèse pour éviter l’évolution vers l’IRA et surveiller l’apparition d’un CIVD.
5. Faire le diagnostic de l’hémolyse intravasculaire
-
couleur du plasma :
rose ou rouge (hémoglobinémie)
brunâtre (plus tardivement)
-
couleur des urines : rouge brun.
6. Traiter l’insuffisance rénale par dialyse jusqu’à ce que la diurèse reprenne (8 à 15 jours).
4.2.2. Hémolyse intratissulaire = réaction retardée
Etiologies
Il s’agit souvent d’une réponse anamnestique : le patient est immunisé préalablement à la
transfusion (par grossesse ou transfusion), mais les anticorps étant indétectables, les tests de
compact sont négatifs.
Si la transfusion apporte l’antigène indésirable, il va se produire une
remontée brutale du taux d’Ac (2 à 7 jours). Ceux-ci vont détruire les hématies incompatibles
transfusées.
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Symptômes
Les symptômes varient d’une hémolyse extravasculaire modérée à une intravasculaire grave.
Ictère : soit précoce (J1) avec retentissement rénal,
soit retardé (J5-6) par réactivité d’un anticorps.
Bilirubine indirecte augmente.
Température.
Malaise.
! Parfois, c’est le seul fait que les transfusions soient sans bénéfice qui attire l’attention : diminution
de l’hématocrite. Il faut alors demander les examens immunologiques :
-
Coombs direct
-
recherche d’anticorps irréguliers.
Traitement
L’hémolyse intratissulaire ne nécessite pas de thérapeutique hormis celle de l’anémie, mais impose
la recherche de la spécificité antigénique de ces anticorps et l’obligation de transfuser du sang
phénotypé dépourvu de ces antigènes. Il y a rarement évolution vers l’insuffisance rénale et la
CIVD.
En conclusion, après l’administration de 2 unités de sang O (-), notre patiente développera
probablement une hémolyse extravasculaire dans les jours suivants, avec une persistance d’un taux
bas d’hémoglobine.
La cause de ce saignement postopératoire brutal devra être mise en évidence avec le traitement
étiologique adéquat.
Ex. :
coagulopathie : traitement du déficit.
Saignement chirurgical : appel du chirurgien + homéostase chirurgicale.
Cette patiente devra bénéficier d’un séjour aux USI pour surveillance rapprochée !
Il faudra dans un premier temps restaurer le volume circulant par un remplissage colloïdal et faire
appel, pour la transfusion, à un groupe phénotypique adéquat. Si la patiente n’a pas bénéficié d’une
donation familiale préopératoire, le seul recours sera la banque de sang congelé.
Nous voyons donc l’intérêt de préparer correctement ces patients à phénotype rare en préopératoire
et d’avoir un arbre décisionnel bien construit afin d’éviter ces problèmes d’impossibilité
transfusionnelle aiguë avec risque de mortalité majeure pour ces patients.
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5. Conclusion
Nous avons donc mis en évidence dans ce cas l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire
(internistique, chirurgicale, anesthésique et transfusionnelle) de ces patients, de manière à éviter
tout danger pour leur survie.
Il est bien clair que dans la plupart des cas de cholécystectomie, il n’y a pas de saignement. Mais ce
cas démontre qu’un accident hémorragique peut survenir et peut entraîner le décès de la patiente s’il
n’y a pas eu une prise de conscience préopératoire adéquate du problème.
Ce cas souligne également l’utilité de faire une compatibilité préopératoire chez tous les patients
chirurgicaux, ce qui ne se fait plus systématiquement pour les chirurgies non sanglantes.
Il faut souligner que la prise en charge préopératoire et la coordination des différents intervenants
prend un certain temps. Il faut donc postposer cette patiente et l’opérer dans des délais qui sont
raisonnables pour la banque de sang, la patiente et le chirurgien.
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16. Contact avec Mme Claudine Guerrieri et avec le Dr V. Deneys, responsable de la banque de
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