Compte-rendu formation Stand by me

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Compte-rendu formation Stand by me
Compte-rendu de la formation sur Stand by me, Rob Reiner
Intervention de Catherine Pennarun, enseignante de cinéma, à l’association Gros Plan à
Quimper, le 20 janvier 2010
1. Structure du film
Stand by me fonctionne selon le principe du double point de vue : l’histoire qui se déroule en
1959 est entourée d’une introduction et d’une conclusion 26 ans plus tard.
Le début et la fin ont un intérêt : celui d’introduire un personnage qui raconte son histoire
avec du recul, donc avec un regard omniscient. Ce découpage permet de montrer des choses
qu’on ne verrait pas avec un unique point de vue interne. Cela permet ainsi d’informer le
spectateur que ce que fait la bande de Ace par exemple. Nous avons donc deux points de vue :
celui de Gordon adulte et celui du jeune Gordie. L’avantage de ce regard d’adulte est de
pouvoir alterner le récit des deux bandes.
L’écrivain ne disparaît jamais de l’histoire : à l’écran et en voix-off. Cette voix-off permet
aussi d’accentuer la notion de nostalgie. Le regard caméra à la fin du film prend à témoin le
spectateur : le message lui est donc adressé directement.
Le flash-back se passe en 1959. Durant cette période, la guerre est toujours présente pour
certains américains (on rappelle ainsi souvent les souvenirs de débarquement du père de
Teddy). Mais c’est aussi la période des rebelles sans cause identifiés par la Bande de Ace qui
n’est pas sans rappeler les personnages de La Fureur de Vivre (Rebel without a cause). Ces
jeunes qui s’ennuient et n’ont pas connu la guerre se rebellent juste contre l’image des parents
(cf Elvis Presley, James Dean). Stand by me est marqué par l’absence des parents ou le
manque de contact entre les parents et les enfants (des parents marginaux pour Chris…).
2. Un voyage initiatique
Par cette escapade, les 4 enfants fuient le monde des adultes. Cela leur permet de mettre à nu
leurs blessures et d’affirmer leur personnalité. Ils sont confrontés à la mort, rencontrent
l’angoisse, surmontent leurs peurs et sont solidaires. Ils finissent par avoir des comportements
proches de ceux des adultes à la fin du film. En ce sens, ils évoluent différemment des
membres de la bande de Ace. Le franchissement du pont symbolise celui d’une étape : le
passage de l’enfance à l’adolescence et le cadavre à la fin du film peut être vu comme celui de
leur enfance.
Le voyage initiatique a ainsi servi : ils ont réussi à dormir à la belle étoile, à éviter un train, à
démystifier un chien, à tenir tête à la bande de Ace. La ville de Castle Rock devient plus petite
à la fin du film alors qu’elle représentait le monde entier pour les personnages : ils ont donc
grandi. Gordie devient Gordon, de que Chris et son grand frère espéraient pour lui. Chris
devient avocat.
3. Les personnages
Chris est le meneur du groupe. Il souffre d’être assimilé à sa famille. Mais il a un potentiel.
Gordie est discret, malheureux depuis la mort de son frère. Il est persuadé que son père
préférerait que ce soit lui qui soit mort.
Teddy est un peu fou. Très marqué par les histoires de son père, il souffre de sa mauvaise
réputation.
Vern est le personnage soumis, peureux. Il est le souffre-douleur.
L’amitié est ce qui relie les 4 personnages. Il connaissent tous un manque : Chris n’a pas de
modèle de famille, Gordie souffre de l’absence de son frère, Teddy connaît le vide dû à
l’alcoolisme de son père et Vern manque de courage. Le but du groupe est de retrouver un
cadavre : ce qui les fera passer pour des héros et passer à la télévision. Mais chacun d’entre
eux a un but : Teddy essaie pendant le voyage de réhabiliter l’image de son père, Vern veut
prouver que les autres peuvent eux aussi avoir peur comme lui, Gordie veut résoudre la mort
de son frère.
Des couples se forment : d’un côté, Chris et Gordie et de l’autre, Teddy et Vern. Mais à partir
de la séquence du marais, Gordie s’isole des trois autres. Pour Chris, Vern et Teddy, retrouver
le corps est moins important car ils ont déjà obtenu ce qu’ils cherchaient alors que cela est une
obsession pour Gordie. Gordie n’a pas fini son voyage à cause de la mort de son frère : en
parlant au cadavre il parle à son frère et pleure enfin alors qu’il n’avait pas pleuré pendant
l’enterrement. Il redevient donc normal. Après cette scène, ramener le corps n’est plus utile
pour lui.
4. Cadrages et construction du film
Les cadrages sont très classiques : les cadrages stables, les plans longs, les rapprochements
des visages des personnages pour amener les flash-backs : le montage est volontairement
invisible pour que le spectateur se laisse prendre par l’histoire. Parce qu’il s’intéresse à la
psychologie des personnages, Rob Reiner n’utilise pas d’effets visuels spéciaux : seuls
quelques fondus enchaînés et des plans rapprochés pour ne pas perdre une miette des
émotions des personnages.
Deux effets sont cependant à noter : le ralenti sur le visage de Gordie pendant sa course dans
la casse et un même ralenti sur Gordie quand il met la main sur les rails et hurle le mot
« train ».
On remarque une continuité dans le rythme : les plans sont lents, sauf dans les deux courses.
Les plans sont souvent fixes : ce sont les personnages qui bougent dans le plan.
Le film est construit classiquement en 3 parties :
- Gordon dans la voiture
- Le souvenir
- Ce qu’il fait de ce souvenir : le roman.
La partie du souvenir est elle-même divisée en 3 parties :
- on apprend qu’il y a un corps
- la recherche du corps
- Ce que fait le groupe après la découverte du corps.
La mort relie les 3 parties et permet d’unifier les parties présent/passé.
5. Les thématiques
Le film s’organise autour d’une question : faut-il fuir ou faire face ?
Quelques fuites :
- Chris et Gordie fuient quand ils tirent au révolver.
- La fuite de Gordie dans la casse.
- La fuite de Gordie et Vern sur le pont.
- La fuite de Vern et Teddy quand Ace vient chercher le corps.
Quelques face à face :
-
Le jeu de Teddy qui consiste à esquiver un train quand il arrive.
Le groupe face au groupe d’Ace.
Le face à face avec le cadavre.
Le course de voitures : Ace refuse de céder la place au camion.
Ces face à face se concluent dans la dernière scène : Vern et Teddy s’en vont et Chris se
retrouve seul face à Ace : après un duel dans le regard et l’arrivée de Gordie, Ace finit par
quitter la scène.
C’est en surgissant et en se retrouvant côte à côte avec Chris que Gordie provoque le départ
de Ace. Ce côte à côte était déjà présent dans le film dans l’évocation des souvenirs et les
scènes d’amitié : chacun à leur tour, Chris et Gordie pleurent en racontant leurs souvenirs. Ce
même côte à côte était souligné dans la relation entre Gordie et son grand frère.
6. Une comédie dramatique
Le film est très équilibré et parvient à associer les moments de comédie et de drame. L’idée
de la mort est ainsi omniprésente (la mort de Chris, du frère, le cadavre, l’attitude suicidaire
de Ace et Teddy), mais quelques scènes permettent au spectateur de respirer grâce à des
moments plus légers.
Ainsi, un certain nombre de séquences parviennent à combiner plusieurs émotions.
1er exemple : la scène de nuit dans le forêt
On y voit d’abord les deux personnages Vern et Teddy qui nous font rire en montant la garde.
Puis viennent le cauchemar de Gordie et les larmes de Chris. Enfin, un moment de paix vient
clore la séquence avec la vision poétique de la biche.
2ème exemple : la découverte du corps
Tout le monde se prépare et cherche des branchages. Gordie s’assoit. Chris comprend la
situation et Gordie met fin à cette émotion. L’arrivée de Ace introduit la menace puis la
crainte du duel. Le surgissement de Gordie apporte le soulagement. Pleurs, sourire, tension et
soulagement constituent une palette d’émotions dans cette seule séquence.
7. Les références
-
Le voyage des 4 personnages est vécu comme un voyage vers l’Ouest et rappelle
l’esthétisme des films de John Ford.
L’arrivée du train est à rapprocher de celle en gare de la Ciotat des Frères Lumière.
La vision de la biche rappelle les enfants presque orphelins de La uit du Chasseur de
Charles Laughton.
Enfin, la course de voitures, l’attaque au couteau, le désespoir et l’ennui de la jeunesse
renvoient directement à La Fureur de Vivre de Nicholas Ray.
8. Analyse d’une séquence : la scène de la course chez le casseur
Cette scène très énergique est à rapprocher de celle du train qui présente de nombreux plans
similaires.
Gordie revient à la casse après avoir été acheter de la nourriture. L’image, très équilibrée
(1/3 ; 2/3) le montre occupant une ligne de force verticale dans un décor ravagé.
La caméra est subjective et montre l’endroit où les enfants jouaient, révélant qu’ils ne sont
plus là. Leur absence crée le problème.
Suit alors un champ – contrechamp à 180°. Raccord dans le mouvement, déplacement vers la
gauche : le personnage se déplace dans le plan avec un léger panoramique. Le suspense est
alors créé : le spectateur voit dans la profondeur de champ l’adulte dangereux que Gordie ne
voit pas : on est avance sur le personnage.
De nouveau la caméra subjective nous montre les trois autres enfants qui franchissent la
barrière tout au fond : ceci justifie l’inquiétude que l’on éprouve pour Gordie.
On revient au même plan et un travelling très rapide suit Gordie en plan poitrine. Les trois
autres enfants sont isolés par le grillage. De nouveau un travelling avant puis un plan qu
ralenti qui décroche un peu de la réalité (le décor noir derrière le personnage de Gordie
accentue cette impression). On lit alors la peur dans le regard de Gordie.
On reprend la course normale : le décor redevient net. Le plan est très rapproché, travelling
avant.
Puis une caméra subjective en mouvement crée un effet de ballottement. Un gros plan sur les
pieds de Gordie précède un autre plan presque abstrait : celui du visage de Gordie derrière le
grillage. En fond sonore, le danger se précise : le chien aboie. La caméra continue de suivre le
déplacement du personnage avec un panoramique vers le bas. Suit un contrechamp sur le
chien. Gordie est alors vu en plan rapproché : à ce moment, le mythe s’effondre : le chien n’a
rien d’effrayant.
La caméra s’intéresse alors à Teddy. Le casseur arrive. Une série de champs / contrechamps
en amorce fait voir la barrière qui sépare les deux personnages. Puis Teddy est isolé : on
franchit la barrière quand l’attaque se fait plus violente. Il s’agit d’un face à face : c’est ce que
montre l’image en ne montrant pas les personnages dans le même plan. Puis la situation
s’inverse : le casseur se permet de proférer des insultes car la barrière le protège. Il se
comporte comme un sale gosse. Les autres enfants rattrapent Teddy comme le feraient des
adultes quand une attaque se prépare. L’image les montre groupés : ils forment un bloc contre
l’ennemi. Mais c’est Chris qui se démarque en appelant au calme et en réagissant en adulte.
Les quatre enfants repartent vers la profondeur de champ. Un fondu enchaîné les montre
ensuite de face. On remarque que Gordie est un petit peu à part. La voix-off remet Teddy en
position de second rôle puisque son aventure est ramenée par le narrateur à celle de Gordie.
Un travelling arrière suit le mouvement des enfants. Teddy, en pleurant, met un terme à la
situation. Un seul regard de Chris suffit à faire taire Vern et sa main sur l’épaule de Teddy
signale son rôle de protecteur. Gordie se distingue une fois de plus : il est le seul à avoir une
position à part. Vern désarme la situation et fait repartir le voyage.