L`ÉTRANGER – Albert Camus Éléments de cours MEURSAULT

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L`ÉTRANGER – Albert Camus Éléments de cours MEURSAULT
L'ÉTRANGER – Albert Camus
Éléments de cours
MEURSAULT
Meursault, le narrateur, relate les événements comme s'il était extérieur à lui-même, sans les commenter ou les situer
dans une chaîne logique. Ainsi, il donne l'impression d'être parfaitement étranger au monde dans lequel il vit. Il y a donc
deux points de vues différents dans la narration:
– un point de vue interne (celui de Meursault, qui relate à la première personne son histoire)
– un point de vue externe (Meursault parle de ce qui lui arrive comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre).
Si Meursault est condamné, c'est d'abord pour s'être montré insensible au moment de l'enterrement de sa mère.
Insensible, c'est-à-dire irrespectueux des convenances. Il n'a pas adopté le comportement qu'on attendait de lui en de
telles circonstances. Il a fumé, bu du café au lait, refusé de voir le corps de sa mère; il est allé au cinéma et a passé la nuit
avec Marie Cardona... Tout se retourne contre lui au moment du procès et le procureur demande sa tête parce qu'il n'a
pas montré les signes de douleur et ne s'est justifié ni au cours de l'instruction, ni pendant les audiences. On peut donc
dire que le crime jugé dans l'Etranger n'est pas le meurtre de l'Arabe mais le mépris des conventions sociales.
C'est ainsi que Camus analyse après coup le comportement de son personnage dans la préface d'une édition de
1958: "Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'etre condamné à mort
(.). Le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens il est étranger à la société où il vit, il
erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle (.) il refise de mentir. Mentir ce n'est pas
seulment dire ce qui n'est pas. C'est aussi, c'est surtout dire plus que ce qui est et, en ce qui concerne le coeur
humain, dire plus qu'on ne sent (.); il refuse de masquer ses sentiments et aussitôt la société se sent menacée."
Meursault du reste n'a joué ni au fils éploré ni à l'assassin repentant.
Meursault, le personnage romanesque, vit à Belcourt, un faubourg populaire d'Alger. Il a des habitudes de célibataire
("Je me suis fait cuire des oeufs et je les ai mangés à même le plat, sans pain parce que je n'en avais plus et que je ne
voulais pas descendre en acheter."), et les premières pages du romans le décrivent comme un employé dérangé dans sa
routine par la mort de sa mère, qui va bouleverser son rythme quotidien. A chaque jour, les mêmes occupations, le
bureau, le déjeuner chez Céleste, le "tram", les bains de mer, les promenades sur le port, la contemplation des passants...
C'est cette routine que le meurtre vient interrompre.
Si Meursault n'exprime aucun sentiment, il éprouve des sensations fortes. Juste avant le meurtre, il ressent la brûlure du
soleil de manière particulièrement aigüe. C'est ce mélange de sensations exacerbées sous l'action du soleil qui joue un
rôle déterminant dans l'enchaînement qui le conduit à tuer.
Meursault n'est pas le même au début et à la fin du roman. Dans les premières pages, il évoque la mort de sa mère en
langage administratif ("Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus
officielle."). A la fin du roman, Meursault pense à sa mère en d'autres termes ("Il m'a semblé que je comprenais pourquoi
à la fin d'une vie elle avait pris un "fiancé", pourquoi elle avait joué à recommencer."). Avant son exécution, il ne se
contente plus de raconter les faits matériels qui occupent sa vie routinière. Ses sentiments à l'égard de sa mère ont
évolué. Elle ne lui apparait plus comme une présence lointaine et indifférente. Il l'évoque comme un être humain,
semblable à lui dans leur condition commune. Tout se passe comme si la proximité de la mort permettait à Meursault de
trouver une relation nouvelle avec les autres et le reste du monde. Les différentes étapes de sa transformation
correspondent à sa découverte de l'Absurde.
MEURSAULT, L'HOMME ABSURDE
Dans la première partie de L'Etranger, Meursault vit chaque instant comme un présent, au gré de ses sensations, sans
penser, entraîné par le flux du quotidien. Le lecteur saisit l'absurde parce que les événements lui sont donnés à travers la
conscience vide du narrateur. Après son arrestation, au moment de l'instruction, Meursault continue à éprouver ce qui
ressemble à du plaisir. C'est par la suite que naît cette conscience de l'absurde, c'est-à-dire ce divorce entre lui et le
monde, cette inadéquation entre ce qu'on dit de lui et la réalité qu'il ne peut pas définir.
"L'Etranger qui, a certaines secondes, vient à notre rencontre dans la glace, le frère familier et pourtant inquiétant que
nous retrouvons dans nos propres photographies, c'est encore l'absurde" (Le Mythe de Sisyphe).
Meursault connaît cette expérience de se découvrir étranger à lui-même quand dans sa prison il se regarde dans sa
gamelle de fer:"Il m'a semblé que mon image restait sérieuse alors même que j'essayais de lui sourire."
La deuxième étape de son éveil a lieu pendant le procès, quand un malaise le prend : "J'ai eu l'impression que tout
devenait comme une eau incolore où je trouvait le vertige." Ce passage trouve un écho dans Le Mythe de Sisyphe :"Ce
malaise devant l'inhumanité de l'homme même, cette incalculable chute devant l'image de ce que nous sommes, cette
nausée comme l'appelle un auteur de nos jours, c'est aussi l'absurde.
Enfin, la troisième étape de l'éveil de Meursault s'effectue quand il réfléchit au caractère inéluctable de sa mort
prochaine: "J'essayais pourtant de me représenter une certaine seconde où le battement de coeur ne se prolongerait plus
dans ma tête."
Au cours de son entrevue avec l'aumônier, Meursault laisse éclater sa révolte. Il refuse de prendre en charge ses fautes,
de se remettre entre les mains de Dieu et revendique son statut d'étranger tout en dénonçant la culpabilité universelle. Il
est devenu l'homme révolté, lucide à l'approche de sa mort prochaine, et heureux.
LES AUTRES PERSONNAGES
MARIE
Meursault retrouve cette dactylo qui a travaillé dans son bureau par hasard à l'établissement de bains du port. Avec elle il
parle peu et il a essentiellement des rapports sensuels. Il se baigne avec elle à trois reprises et, à chaque fois, la présence
physique de la jeune femme est associée à la perception d'une harmonie avec les éléments naturels: La mer et le soleil.
Marie permet, en quelque sorte, la communion du héros avec la nature. Au cours des trois bains, Marie est liée à la
présence de la mer, et son corps devient un élément du décors naturel parmi d'autres.
RAYMOND SINTES
Meursault devient son ami sans l'avoir choisi. C'est son voisin qui l'invite chez lui "à manger un morceau". "J'ai pensé
que cela m'éviterait de faire ma cuisine et j'ai accepté." Il reste passif, comme avec Marie. Pourquoi Raymond Sintès lui
demande-t-il d'écrire une lettre à sa maîtresse? Ses motifs restent obscurs au lecteur et à Meursault, qui ne se pose pas la
question. Meursault ne pose pas de jugement sur Raymond tout en connaissant sa réputation de souteneur.
Raymond joue un rôle important dans la condamnation de Meursault: à cause de la lettre qui permet au procureur de
parler de la moralité douteuse de Meursault. C'est aussi Raymond qui a mis en contact la victime et le meurtrier, et a
donné son revolver à Meursault.
SALAMANO
Ce personnage ne joue aucun rôle dans la progression de l'action. A la fin du chapitre 4, Salamano vient de perdre son
chien et Meursault l'entend pleurer. D'autre part, c'est Salamano qui lui avait appris ce qu'on disait dans le quartier quand
il avait mis sa mère à l'asile. La narration établi ainsi un rapport entre les deux couples: Meurault - sa mère et Salamano son chien. Ces effets de miroir soulignent l'idée de la perte d'un être cher sans que de tels sentiments soient directement
attribués à Meursault. Le lecteur est conduit par le jeu du texte à faire ses rapprochements et à interpréter Salamano
comme un double déformé de Meursault.
LE STYLE
Le style de L'Etranger frappe tout d'abord par sa simplicité et son naturel. On ne trouve pas, derrière l'écriture de Camus,
les habitudes rhétoriques, les volontés d'expression propres aux grands romanciers du XIX siècle et souvent
caractéristiques d'une idéologie bourgeoise. Camus ne fait souvent que traduire fidèlement une façon de parler typique
des français d'Algérie, elle-même héritée du style et du rythme du récit des Arabes: transcription simple des faits,
appréciés en eux-mêmes, sans qu'il soit besoin de les organiser et surtout de les coordonner dans un discours cohérent, et
qui finissent, en s'accumulant, par prendre une dimension épique.
En évoquant par de petites phrases courtes, que ne relie le plus souvent aucun rapport de cause ou de conséquences, les
faits apparemment les plus anodins et les plus importants, Meursault paraît dénoncer comme de simples préjugés les
points de vue différents que nous en avons d'habitude.
Son style exprime que pour lui, il n'existe pas de petits problèmes; son observation des détails (les vis du cercueil) ou sa
manière de peser en toutes choses le pour et le contre ("dans un sens... dans un autre...") révèlent un esprit scrupuleux et
observateur.
A travers Meursault, personnage indifférent aux valeurs traditionnelles, Camus nous fait redécouvrir un monde que l'on
croyait familier.
DUREE DE L'ACTION
La première partie du récit couvre dix-huit jours, entre le jeudi où Meursault reçoit le télégramme et le dimanche du
drame. Nous sommes au début du roman au mois de juin (la saison de football, qui ne dépassait jamais le 30 juin en
Algérie, n'est pas terminée). Sans doute sommes-nous en juillet le jour du meurtre.
La deuxième partie couvre près d'un an: l'instruction a duré onze mois, auxquels il faut ajouter le temps du procès et les
jours que Meursault passe dans sa cellule après le verdict. Le proçès lui-même se déroule en juin.
Bien qu'il s'étale sur un an, le récit se situe presque entièrement en été, et plus précisément en juin-juillet.
Le temps du roman est linéaire, c'est-à-dire qu'il ne comporte pas de retour en arrière à l'intérieur du récit de Meursault.
Chaque chapitre nous fait progresser dans le temps, à l'exception des chapitres 1 et 2 de la deuxième partie, qui relatent
les événements d'une même période, mais de caractère différent.
LA SOCIETE
L'indifférence de Meursault devant les autres va se trouver modifiée après le crime. En le prenant à partie, la société va
l'obliger à réagir. Paradoxalement elle éveille en lui des sentiments de sympathie qu'il n'éprouvait pas auparavant. Le
juge lui apparaît "très raisonable et, somme toute, sympathique"; le mécontentement de son avocat le désole:"Il est parti
avec un air fâché. J'aurais voulu le retenir, lui expliquer que je désirais sa sympathie, non pour être mieux défendu, mais,
si je puis dire, naturellement".
L'évolution de Meursault se fait sentir dans la façon dont nous apparaissent les représentants de la société. Il décrit tout
d'abord les petits détails qui le frappent (la cravate bizarre de l'avocat, la robe rouge du président). Cependant dès
l'ouverture du procès, les yeux clairs du journaliste qui l'examine attentivement ne lui échappent pas. Meursault leur
donne même un sens: "Et j'ai eu l'impression bizarre d'être regardé par moi-même." Le procès tout entier va apparaître de
moins en moins à Meursault comme un spectacle et il se sentira de plus en plus concerné par ce qui se passe. Il remarque
"le regard triomphant de l'avocat général", puis "la lueur ironique" qui brille dans ses yeux; il trouve son avocat
"ridicule". Lorsqu'il décrit l'aumônier plus rien ne lui échappe: il remarque la douceur, la tristesse, l'agacement du
personnage.
Lorsqu'il décrivait les autres personnages Meursault ne nous donnait qu'un point de départ, souvent insignifiant. L'idée
qu'il nous donne de l'aumônier, au contraire, est très précise car il est maintenant plus sensible au rapport qu'il entretient
avec les gens qu'à leur apparence brute.
MOTS CLEF
ABSURDE:
Angoisse de l'homme en face d'un monde dépourvu de sens ainsi que les conduites mensongères qu'il adopte pour
échapper à la lucidité ou à la liberté.
La notion d'"absurde" parcourt le XX siècle. On parle de 'théâtre de l'absurde' en évoquant Beckett et Ionesco mais cette
notion reste surtout liée à Camus en raison de l'essai qu'il lui a consacré Le Mythe de Sisyphe. L'auteur y défini l'absurde
à la foi comme un état de fait (le caractère mécanique et insensé des actions humaines, l'absence fondamentale de toute
raison de vivre) et comme la lucidité de l'homme prenant conscience de cet état. Cette prise de conscience est liée à celle
de la mort et du temps. Dans cet essai moral Camus propose plutôt une vision du monde qu'une doctrine philosophique
(à l'opposé de Sartre).
L'EXISTENTIALISME ET LA POLEMIQUE SARTRE-CAMUS
Depuis 1943, Sartre et Camus, grands amis, se montrent partout ensemble. Le public, sans faire de détail, engloble
l'auteur de 'La Nausée' et celui de 'L'Etranger' sous l'étiquette 'Existentialiste'.
A la libération, l'existentialisme est non seulement une philosophie à la mode, mais un style de vie et un lieu: SaintGermain-Des-Prés (quartier de Paris). La plaquette de Sartre, l'existentialisme est-il une humanisme? résume de façon
commode cette philosophie. Pour le grand public elle se résume en une formule: 'l'existence précède l'essence'. Sartre
conçoit l'existentialisme d'abord comme une philosophie de la liberté et de la responsabilité: nous sommes ce que nous
faisons et non des êtres dont le destin serait fixé à l'avance. Le maître mot d'alors est 'l'engagement'. Camus ne refuse
certes pas de s'engager mais refuse l'étiquette 'existentialiste' et même celle de philosophe. A partir de 1947, les
désaccords politiques entre Sartre et Camus s'approfondissent: Camus dénonce les camps staliniens, Sartre ménage les
communistes.
En 1952, Francis Jeanson fait paraître dans la revue de Sartre, 'Les Temps Modernes', un compte-rendu très critique de
L'Homme Révolté. Le dernier livre de Camus est jugé réactionnaire, et certains de ses jugements erronés. Camus,
ignorant Jeanson, répond directement à Sartre. Le numéro suivant des temps Modernes publie à côté de la lettre de
Camus la réponse vigoureuse de Sartre:
"Un mélange de suffisance sombre et de vulnérabilité a toujours découragé de vous dire des vérités entières . Il se peut
que vous ayez été pauvre, mais vous ne l'êtes plus. Vous êtes un bourgeois comme Jeanson et comme moi . Votre morale
s'est d'abord changée en moralisme, aujourd'hui elle n'est plus que littérature, demain elle sera peut-être immoralité."
Camus et Sartre ne vont plus jamais se rencontrer. Pourtant quatre ans plus tard, alors que l'armée rouge écrase
l'insurrection de Budapest, Sartre à son tour (suivi d'un grand nombre d'intellectuels) rompt avec le parti communiste.
Mais la guerre d'Algérie oppose à nouveau Sartre, partisan de l'indépendance, à Camus, qui veut encore croire à un
compromis.

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