Syndrome de glissement

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Syndrome de glissement
Syndrome de glissement
Analyse du concept à travers une étude clinique
Le syndrome de glissement, concept gériatrique français, est un état de grande déstabilisation
physique et psychique marqué par l’anorexie, la dénutrition, un comportement de repli et
d’opposition. Devant l’absence d’étiologie médicale et en raison de sa composante
psychologique, diverses théories offrent des pistes de réflexion autour de ce concept.
PAR N.TARIQ , S.BELBACHIR , FZ.SEKKAT
Hôpital psychiatrique universitaire Arrazi de Salé, service psychiatrie B, CHU Rabat-Salé
Doctinews N° 49 Novembre 2012
L
e syndrome de glissement survient, après un intervalle libre, à distance d’une maladie en
voie de guérison ou d’un événement perturbant.
Un passé pathologique riche en maladies prédispose à l’apparition d’un syndrome de glissement.
Le tableau clinique du syndrome de glissement comporte une double symptomatologie
somatique et psychique. Les symptômes apparaissent après une phase de latence qui ne
dépasse pas 30 jours, et qui peut correspondre à une période asymptomatique ou à la
persistance de signes du facteur déclenchant (maladie somatique).
Constat ou diagnostic ?
La clinique du syndrome de glissement soulève des questionnements et des attitudes diverses. Il
apparaît inconstamment dans la classification internationale des maladies et se retrouve
actuellement dans la CIM 10[1] comme précision du code diagnostique « sénilités » (R.56). Il est
mal défini, souvent galvaudé pour décrire une situation apparemment terminale, il peut aussi
prendre la valeur d’une explication causale.
Dans la pratique, c’est en fait davantage un constat qu’un diagnostic précis. Il mène volontiers à
une prise en charge impulsive, sinon bâclée, où la recherche de solutions immédiates énergiques
est dominante. La présence de symptômes relevant du registre psychique (mutisme, altération de
la communication, opposition aux soins, refus d’alimentation, tonalité dépressive) peut parfois
constituer un appel à l’intervention psychiatrique.
Quels qu’ils soient, soignants et familles se trouvent de toute façon aux limites de la médecine et
de leur attachement pour le patient. Ils se trouvent ainsi exposés à des contre-attitudes parfois
violentes ou à un manque de savoir-faire. Face à ce contexte, une certaine théorisation est
indispensable. Elle apporte un cadre permettant de mieux expliciter ce qui est éprouvé par le
malade comme par son entourage et peut nourrir une réflexion sur les processus
psychopathologiques, les mouvements pulsionnels et les implications relationnelles du syndrome
de glissement.
Evolution du concept
Le syndrome de glissement est décrit pour la première fois en 1956 par le gériatre Jean Carrié
dans sa thèse sur les modes de décès des vieillards à l’hospice [2]. Il est défini comme « un
processus d’involution et de sénescence porté à son état le plus complet ». Il est à distinguer des
autres cachexies séniles susceptibles de conclure une affection chronique, mais son cadre reste
très large. D’autres auteurs en préciseront la sémiologie. Graux [3] insiste sur le caractère brutal
et rapidement évolutif du syndrome. Delomier [4] envisage une définition plus restrictive qui
imprègne encore aujourd’hui la description du terme dans les manuels de gériatrie. Pour cet
auteur, le syndrome de glissement est un état de grande déstabilisation somatique et psychique
d’évolution gravissime. Il touche les personnes âgées d’environ 70 ans, fragiles et
polypathologiques. Il fait suite, après un intervalle libre de quelques jours à un mois, à un facteur
déclenchant qui peut être physique ou psychique comme une maladie aiguë, une intervention
chirurgicale, une chute, une fracture, une perte, un deuil, une hospitalisation ou un placement.
Il constitue un diagnostic d’élimination et ne doit pas empêcher une recherche étiologique
rigoureuse. Il associe des signes physiques tels que l’anorexie, l’adipsie, la dénutrition, la
déshydratation, les troubles sphinctériens à type d’atonie intestinale et vésicale. Les signes
psychiques sont marqués par le repli, la clinophilie, le refus alimentaire, le refus des soins ou le
mutisme.
Son évolution est très sévère, mais pas irréversible. Le décès survient dans 80 à 90 % des cas
suivant les études, le plus souvent rapidement. Des complications de décubitus interviennent,
des rechutes sont possibles. Il n’existe pas de consensus sur le traitement qui comprend
plusieurs volets, dont une dimension symptomatique avec la mise en place de mesures de
renutrition, le traitement des complications et une évaluation de la dimension thymique avec la
prescription de molécules adaptées et surtout l’importance d’un nursing infirmier articulé avec
une conception psychothérapique du soin et de l’institution.
Cette dernière approche permet seule d’assurer une fonction étayante qui est aussi nécessaire à
l’entourage pour continuer d’assurer les soins d’un sujet vécu comme glissant ou se dérobant aux
soins.
Aux côtés du syndrome de glissement, concept gériatrique français, les Anglo-saxons décrivent
le failure to thrive, dont l’acception plus large semble moins spécifique. Il signifie littéralement «
défaillance à croître, à prospérer, à bien se porter » et désigne un fléchissement global associant
amaigrissement, dénutrition, perte d’activité, déficit cognitif et infléchissement dépressif [5]. Il est
d’évolution moins brutale et sa létalité est moindre.
Contexte de l’étude
La présente étude examine les variables associées à la dépression qui seront en rapport avec un
syndrome de glissement chez les personnes âgées.
Il s’agit d’une étude observationnelle menée dans une maison de retraite de la région de Rabat,
subventionnée par des ONG, qui prend en charge en pension complète des personnes âgées de
plus de soixante ans, avec une capacité de 60 lits. Cette structure est dotée d’une infirmerie et la
visite médicale y est hebdomadaire.
Soixante sujets âgés ont participé à l’étude, 19 femmes et 41 hommes avec une moyenne d’âge
de 72.88±8.71 ans, tous complètement délaissés par leurs proches.
Les résidents de la maison de retraite ont participé à cette étude en répondant au GDS (geriatric
depression scale) composé de 30 items avec calcul d’un score. Un score compris entre 15 à 22
correspond à une dépression légère à modérée et un score supérieur à 22 correspond à une
dépression sévère.
33,33 % des participants ont obtenu un score GDS de plus de 22. Le syndrome de glissement est
parfois considéré comme une forme majeure de la dépression, en raison de certains symptômes
qui dominent le tableau clinique comme l’anorexie, l’asthénie, une attitude douloureuse, du
négativisme, de la passivité, voire de l’agressivité envers les tentatives de stimulation de la part
de l’entourage, et le désir exprimé de mourir.
La comparaison avec la dépression anaclitique paraît notamment apporter un éclairage sur la
dynamique psychique du syndrome et ouvrir des pistes pour la conduite des soins à ces patients.
À partir des antécédents des sujets examinés, certaines hypothèses psychopathologiques seront
examinées avant d’insister sur les liens du syndrome avec la dépression et les apports de cette
comparaison pour la pratique.
Résultats
Nous avons cherché d’abord les antécédents médicaux ou chirurgicaux dans les mois qui ont
précédé l’étude et dont les complications pourraient être un facteur précipitant la survenue du
syndrome de glissement, comme représenté sur le tableau.
Tableau : Antécédents médicaux des patients
La pathologie la plus fréquente chez notre population est le diabète, généralement de type 2,
avec notion de mauvaise hygiène de vie et des complications diverses ; il s’ensuit des
pneumopathies dans 57 % des cas et des cardiopathies dans 43,5 %.
La deuxième étape consistait à passer l’échelle GDS (Geriatric depresssion scale). Nous avons
bien expliqué aux participants le but du travail afin d’obtenir un consentement éclairé. Les scores
sont représentés sur la figure ci-dessus.
Les scores variaient de 15 à 22 points chez 61,66 %, et de 22 à 30 points chez 33,33 % alors
que le score de 10 à 15 % n’est retrouvé que chez 5 %.
Suivant les études internationales, 1 à 4 % des personnes âgées hospitalisées seraient atteintes
d’un syndrome de glissement, sans prédominance de sexe. L’âge très avancé et le lourd passé
pathologique constituent le terrain de cette pathologie [6]. Dans notre étude, la moyenne d’âge
est de 72,88 ± 8,71 ans. La moyenne d’âge des sujets atteints d’un syndrome de glissement
serait de 83,4 ans, rapportée dans plusieurs études.
Un passé pathologique riche en maladies prédispose à l’apparition d’un syndrome de glissement.
Parmi ces atteintes antérieures figurent des antécédents neuromusculaires, des affections
pulmonaires et des maladies cardio-vasculaires [7].
Dans la présente étude, 57 % des patients ont eu des pneumopathies récentes, 43,5 % des
cardiopathies, notamment une HTA, 15 % un antécédent d’AVC ischémique et 78,33 % des
endocrinopathies, en particulier le diabète.
Le tableau clinique du syndrome de glissement comporte une double symptomatologie à la fois
somatique et psychique. Les symptômes apparaissent après une phase de latence qui ne
dépasse pas 30 jours, et qui peut correspondre à une période asymptomatique ou à la
persistance de signes du facteur déclenchant (maladie somatique).
L’anorexie est l’un des signes les plus précoces et les plus fréquents. Elle touche aussi bien les
solides que les liquides et donne lieu à un amaigrissement. L’alimentation est trop réduite ou
complètement refusée. La personne refuse d’ouvrir la bouche ou de déglutir, parfois elle recrache
ce qui a été mis en bouche ou vomit.
Figure : Scores de la gériatric depression scale.
Etiologies du syndrome
Les facteurs déclenchants du syndrome de glissement sont multiples et classés par ordre de
fréquence. En premier lieu sont cités les épisodes infectieux (pneumopathies, épisodes grippaux,
infections urinaires, fièvre inexpliquée…) [8], les épisodes traumatiques (fracture…), les
accidents vasculaires cérébraux, puis les interventions chirurgicales.
Des traumatismes psychologiques peuvent aussi provoquer un syndrome de glissement, ce qui
laisse penser à une probable pathologie psychosomatique. Ces chocs psychiques peuvent être
entraînés par le décès brutal du conjoint, pouvant révéler une détérioration intellectuelle latente et
déclencher un syndrome confuso-dépressif. Dans ce cas, le sujet n’est plus capable de se nourrir
normalement, ce qui le mène à un état d’adynamie et d’apragmatisme. L’hospitalisation, surtout
non acceptée, et le sentiment d’abandon familial, entraînent un état psychologique où le
sentiment de découragement et d’impuissance sont au premier plan. Cette situation peut
s’aggraver et évoluer vers un état de dépendance, où le déclin fonctionnel est renforcé par le
patient qui cherche à fuir une réalité insupportable en glissant dans une régression. Le placement
en institution peut aussi jouer un rôle.
Il semble important de décrire l’attitude du sujet face aux traumatismes supposés déclencher un
syndrome de glissement. En fait, le patient apparaît indifférent au décès d’un proche, se montre
difficile à interroger et réduit au maximum sa communication verbale, ce qui reflète une
inaffectivité apparente et un négativisme.
Malgré l’apparente guérison du sujet, celui-ci reste marqué par l’affection responsable : « Il
semble avoir épuisé ses forces à cette occasion et ne peut plus assumer la convalescence ». Il
assiste ainsi à son propre glissement.
Hypothèses pathogéniques
Dans notre étude, 33,33 % ont un score GDS de plus de 22, ce qui correspond à une dépression
sévère. Le syndrome de glissement est parfois considéré comme une forme majeure de
dépression, en raison de certains symptômes qui dominent le tableau clinique comme l’anorexie,
l’asthénie, l’attitude douloureuse, le négativisme, la passivité, voire l’agressivité envers les
tentatives de stimulation de la part de l’entourage, et le désir exprimé de mourir.
Il ne s’agit pas d’une véritable pathogénie, mais d’une « polypathologie infra-clinique qui va
converger sur un malade fragilisé et ceci dans un temps bref ».
Les hypothèses suivantes sont retenues, mais elles ne sont pas nécessairement confirmées par
des tests biologiques. Il s’agit d’une insuffisance rénale fonctionnelle engendrée par la
déshydratation et l’anorexie, du débordement des systèmes de défense par la maladie initiale,
d’une hypoxie cellulaire engendrant une altération des métabolismes cellulaires, de déficits
hormonaux (la stimulation des systèmes endocriniens augmente avec l’installation du syndrome,
et le fonctionnement de ces systèmes serait épuisé chez les personnes âgées et frêles), des
carences, car bon nombre de sujets âgés présentent un état carentiel en vitamines et nutriments
qui reste infra-clinique jusqu’à la décompensation entraînée par la maladie aiguë et d’un état
confuso-dépressif à manifestation somatique, avec un désir de mort probablement inexprimé.
Evolution et pronostic
En pratique, il est fréquent qu’un épisode dépressif majeur soit évoqué et que des
antidépresseurs soient prescrits. Mais par la suite, ce diagnostic est remis en cause car le
traitement antidépresseur n’a pas fait preuve d’efficacité [9].
Quel que soit l’antidépresseur prescrit, 30 % des patients ne répondent pas à un traitement
convenable.
L’absence de la triade suivante dans les états dépressifs : facteur déclenchant/intervalle
libre/détérioration majeure de l’état général évoluant la plupart du temps rapidement vers la mort,
justifie le diagnostic de syndrome de glissement. Dans notre cas, deux personnes sont décédées
au moment du déroulement de l’étude.
Le syndrome de glissement est spontanément mortel. Il n’est pas cependant possible d’affirmer
le caractère obligatoirement fatal de l’évolution. Dans les cas favorables, l’évolution sous
traitement précoce peut être courte, le syndrome de glissement n’étant qu’une menace dans ce
cas.
L’amélioration est marquée par la reprise de nourriture et de boisson. Par la suite, l’état
psychique s’améliore, la personne demande à se lever, et le côté relationnel s’enrichit. La
normalisation des fonctions sphinctériennes semble prédire un bon pronostic.
Actuellement, le syndrome de glissement prend la forme d’un suicide, même en présence d’une
prise en charge thérapeutique adaptée, le syndrome peut évoluer vers la mort en quelques jours,
un mois au maximum, avec aggravation des signes cliniques entraînant l’installation rapide de
complications (état confuso-dépressif grave, infections urinaires évoluant vers la néphrite
ascendante, surinfections pulmonaires…).
L’âge très avancé, le lourd passé pathologique, les tares organiques et fonctionnelles dues à des
maladies antérieures et à la sénescence constituent le terrain du syndrome de glissement.
Ce syndrome, dont le pronostic est réservé, revêt la forme d’un suicide, et nécessite une prise en
charge multidisciplinaire afin d’améliorer la qualité de vie des sujets âgés.
REFERENCES
1- CIM 10 : classification internationale des maladies dans sa 10e version, 1992.
2- N. Weimann Péru, J. Pellerin - Le syndrome de glissement : description clinique,
modèles psychopathologiques, éléments de prise en charge - L’Encéphale, Volume 36,
Supplement 2, June 2010, Pages D1-D6.
3- P. Graux - Le syndrome de glissement - Actual Gerontol, 12 (1978), pp. 21–23.
4- Delomier Y. - Les effets somatiques de la crise et le syndrome de glissement - Psychol
Med 1985; 17: 1111-5.
5- Hollinger SL. - Failure to thrive syndrome : redicting elderly nursing home residents at
risk. Clin Geriatr 1999; 20: 65-88.
6- Verdery RB. - Clinical Evaluation of failure to thrive in older people. Failure to thrive in
older people 1997; 13: 769-78.
7- Monfort JC. - Le syndrome de glissement existe-t-il ? - Ger Prat 1998; 96: 1-3 ; et 97 : 57.
8- Henniaux N. - Le syndrome de glissement du sujet âgé, réflexions psychosomatiques :
existe-t-il un syndrome de glissement réversible ? - Rev Geriatr 1981; 6: 331-3.
9- Lôo H, Gallarda T. - Troubles dépressifs et personnes âgées. Collection : « PathologieScience-Formation ». Paris: John Libbey-Eurotext, 2000.

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