L`accord de trafic aérien entre l`Union européenne et les

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L`accord de trafic aérien entre l`Union européenne et les
New York, 14 juin 2006-06-29
L’accord de trafic aérien entre l’Union européenne et les
Etats-Unis, ce qu’il va changer
Discours prononcé par Jean-Cyril Spinetta, Président-Directeur Général d’AIR FRANCE
KLM
Comme vous le savez, le thème de mon discours d’aujourd’hui est :
« L’accord de trafic aérien entre l’UE et les Etats-Unis, ce qu’il va changer »
Lorsqu’il a été décidé que je parlerais de la structure et des conséquences du nouveau
cadre juridique transatlantique, on m’a appris qu’il était probable que ce discours
coïncide avec la signature officielle du nouvel accord bilatéral de trafic aérien entre l’UE
et les USA que l’on attendait depuis longtemps.
Malheureusement, compte tenu des dernières évolutions de ce côté de l’Atlantique au
sujet des règles de propriété et de contrôle des compagnies américaines, la véritable
question serait plutôt :
« l’accord de trafic aérien entre l’UE et les USA, va-t-il changer ? ou bien quand va-t-il
changer ? »
Je me limiterai donc aujourd’hui à expliquer ce qu’un nouvel accord bilatéral entre l’UE
et les USA pourrait changer et ce que cela pourrait nous apporter à tous pour les
années à venir.
Tout d’abord, un tel accord apporterait au gouvernement américain, à la Communauté
Européenne et à ses Etats membres ainsi qu’à l’industrie du transport aérien, le cadre
juridique stable que nous attendons tous.
Vous vous souvenez certainement que la Commission Européenne a demandé il y a
quelques années à la Cour de Justice Européenne de décider si les accords d’Open Sky
signés entre de nombreux pays de l’UE et les USA étaient conformes à la loi
européenne. En novembre 2002, la Cour de Justice Européenne a déclaré officiellement
que ces accords violaient la loi de l’UE. La Cour a décidé qu’il n’était plus possible
d’attribuer des droits de trafic uniquement à des compagnies nationales.
Tous les droits accordés à un Etat devaient pouvoir être utilisés par n’importe quelle
compagnie de n’importe quel pays membre de l’UE. C’est pourquoi les Etats Membres
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de l’UE ont mandaté la Commission Européenne pour négocier en leur nom avec le
gouvernement américain.
Une première série de discussions a eu lieu en 2004 sans succès. Une nouvelle série a
débuté fin 2005 avec l’espoir de parvenir à un accord en 2006.
Une chose est quasiment sûre : si un accord UE/USA n’est pas signé rapidement, la
Commission Européenne devra prendre des mesures judiciaires à l’encontre de certains
voire de tous les Etats Membres. Cela pourrait même entraîner la résiliation de
l’ensemble des accords bilatéraux en vigueur entre les USA et les pays européens.
Nous avons encore deux ans devant nous mais les droits importants dont profitent tant
les compagnies américaines que les compagnies européennes, et qui sous-tendent les
immunités antitrust, pourraient tout simplement être supprimés.
Chaque partie doit bien comprendre que cela serait une vraie catastrophe pour le
transport aérien et ce, des deux côtés de l’Atlantique. Au cours des dix dernières
années, le nombre des liaisons aériennes a augmenté de façon substantielle entre
l’Europe et les USA grâce aux accords d’Open Sky et en raison également de
l’apparition de grandes alliances comme STAR, l’alliance de Lufthansa et d’United et
SkyTeam, constituée par Air France et Delta et maintenant KLM et Northwest.
Or, tous ces efforts seraient mis à mal.
Cela constituerait un recul nuisible à tous de chaque côté de l’Atlantique.
Deuxièmement, un accord UE/USA constituerait le premier pas vers une harmonisation
des systèmes de réglementation. Le principe d’une harmonisation des procédures dans
les domaines de la sécurité, des aides gouvernementales et de l’application des règles
de concurrence a déjà été agrée mais il faut maintenant l’appliquer.
Pourquoi est-ce si important pour nous ?
Tout simplement parce que les contraintes souvent contradictoires et redondantes que
les autorités américaines et européennes imposent aux compagnies aériennes sont de
plus en plus lourdes pour l’industrie du transport aérien. Nous devons tout faire pour
régler ce problème et éviter toute distorsion de concurrence.
Troisièmement et fait plus important, un nouvel accord offrirait des deux côtés de
l’Atlantique de nouvelles opportunités tant pour les passagers que pour les compagnies
Les compagnies européennes et américaines pourraient alors opérer des vols depuis
n’importe quelle ville européenne vers n’importe quel point des Etats-Unis et vice versa;
Les compagnies américaines pourraient obtenir de nouveaux droits de trafic pour
desservir des pays avec lesquels il n’y avait jusqu’à présent pas d’accord d’Open Sky.
Inutile de vous préciser que cela signifie que plus de deux compagnies américaines
auraient accès à Londres Heathrow.
Actuellement, l’accord protectionniste signé entre le Royaume Uni et les Etats-Unis en
1977 limite cet accès à seulement deux compagnies américaines et deux compagnies
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britanniques en l’occurrence United et American d’une part et British Airways et Virgin
d’autre part. En cas d’accord, Delta, USAir, Continental, British Midlands, voire d’autres ,
seraient en mesure d’assurer des liaisons de et vers Heathrow.
Dans le même temps, la reconnaissance du concept de compagnie européenne va
ouvrir de nouveaux droits de trafic aux compagnies européennes et leur permettre
d’opérer des vols vers les USA depuis n’importe quelle ville européenne.
Ainsi, Air France et Lufthansa pourraient lancer des vols au départ de Londres et British
Airways pourrait faire la même chose au départ de Paris et de Francfort. Cela
constituerait une grande avancée.
Enfin, en offrant plus d’opportunités aux voyageurs et en développant la concurrence ,
les autorités chargées de la concurrence aux Etats-Unis et en Europe seraient
certainement plus enclines à accepter une plus grande intégration commerciale au sein
des alliances existantes.
Cela serait sans aucun doute profitable à SkyTeam , STAR et Oneworld ainsi qu’à leurs
partenaires respectifs aux USA, ce qui leur permettrait d’améliorer sensiblement leur
offre globale tout en restant concurrentes.
Je crains malheureusement que pour le moment il ne s’agisse que d’un rêve !
Permettez moi de vous expliquer rapidement pourquoi il est probable que la situation
entre l’UE et les USA ne change pas.
Revenons simplement deux ans en arrière.
Depuis juin 2004, les Etats Membres de l’UE ont clairement indiqué qu’un accord de
trafic aérien entre l’UE et les USA devait être équilibré. Où en sommes nous sur ce
point ?
Lors des discussions entre les USA et l’UE qui ont eu lieu jusqu’en décembre 2005, l’UE
a proposé aux compagnie américaines des droits de trafic intra européens pour le
passage et pour le fret et a également confirmé d’importantes possibilités
d’investissement ouvertes aux étrangers dans le capital des compagnies européennes..
Les 25 Etats membres ont approuvé les propositions à l’unanimité . L’accord n’a
cependant pas été signé immédiatement car la Commission Européenne et les
gouvernements européens voulaient en savoir plus sur les propositions du DOT
concernant la propriété et le contrôle des compagnies américaines.
Comme vous le savez, la loi américaine limite à 25% les droits de vote des investisseurs
étrangers dans le capital des compagnies américaines. Elle limite également à 3 sur 12
le nombre d’étrangers pouvant siéger au conseil d’administration
L’Administration américaine a indiqué qu’elle ne souhaitait pas modifier cette disposition
en votant une nouvelle loi mais qu’elle envisagerait de redéfinir les droits d’un
actionnaire étranger dans le capital d’une compagnie américaine.
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Aujourd’hui, des investisseurs étrangers, par exemple américains, peuvent détenir
jusqu’à 49% du capital et des droits de vote d’une compagnie européenne et ce, sans
clause de nationalité au sujet des membres du conseil d’administration.
En dépit de ce déséquilibre, les Etats de l’UE ont accepté le fait que la loi ne soit pas
changée mais ont demandé une nouvelle interprétation de la disposition concernant la
propriété et le contrôle des compagnies américaines afin qu’elle soit plus claire, plus
pertinente et plus « robuste ».
Vous ne serez pas étonnés de savoir que l’UE a considéré que la nouvelle proposition
de loi du DOT en date du 3 novembre 2005 était pertinente. Il est certain que la nouvelle
proposition interdit aux investisseurs étrangers d’exercer quelle que responsabilité que
ce soit dans les domaines de la sécurité, de la sûreté et de la défense nationale.
Par ailleurs, la proposition donne plus de droits aux investisseurs étrangers, notamment
dans le domaine commercial. Cela dit, la question était de savoir si elle était
suffisamment « robuste », en d’autres termes, suffisamment stable.
Je conçois que le DOT ait essayé de régler certains de ces problèmes. La proposition
additionnelle publiée par le DOT le 3 mai fait cependant apparaître clairement qu’un pas
a été franchi… mais dans la mauvaise direction.
Les subtilités apportées par le DOT dans la nouvelle version constituent un changement
important de position de la part des autorités américaines au sujet de la demande
exprimée très clairement par le Conseil des Ministres européens. Il s’agissait en quelque
sorte d’un assouplissement des règles de contrôle et de propriété applicables aux
compagnies américaines.
Alors que, dans sa proposition précédente, le DOT indiquait qu’il pouvait y avoir une
substantielle délégation d’autorité au profit d’investisseurs étrangers pour ce qui
concerne des décisions commerciales comme par exemple les produits, la flotte, le
réseau etc., la nouvelle proposition du 3 mai insiste maintenant sur le fait que cette
délégation d’autorité peut être révoquée. Or, elle est ambiguë et les conditions de cette
révocabilité demeurent obscures.
Je ne mâcherai pas mes mots. Je doute fort que la formulation de la proposition
additionnelle convienne, dans sa forme actuelle à l’UE.
La clause dite de « révocabilité » que le DOT souhaite imposer constitue de fait une
barrière importante à tout investissement étranger dans le capital d’une compagnie
américaine.
Et lorsque le DOT suggère que les conditions de cette clause ne sont pas
« irréalisables » ( je cite), on est vraiment dans le flou.
Dans l’état actuel des choses, je demeure convaincu que cette proposition additionnelle
n’incitera aucun investissement étranger dans le capital d’une compagnie américaine
pour la simple raison que les investisseurs potentiels ne sauraient pas exactement quels
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sont leurs droits et qu’ils ne seraient pas en mesure de justifier et de protéger leur
investissement.
Je souhaite être très clair sur ce point. Aucune compagnie européenne n’aurait, à mon
avis, la folle ambition d’absorber une major américaine. Si toutefois, avec l’accord de
ses partenaires, une compagnie européenne souhaitait investir dans le capital d’une
major américaine, il est normal que ses droits en tant qu’investisseur soient clairement
définis et protégés.
Rien n’est encore arrêté, ni au Congrès ni au DOT. En Europe, nous pouvons faire
entendre notre point de vue par l’intermédiaire de l’AEA et nous ne manquerons pas de
le faire avant que le DOT n’émette sa réglementation finale.
J’espère que cette nouvelle proposition sera plus réaliste et qu’elle prendra en compte
les réactions très négatives en Europe.
Si vous me permettez, je voudrais partager avec vous quelques idées à ce sujet
Même dans un scénario très optimiste avec la signature d’un accord UE/USA dans les
prochains mois, on n’en resterait pas là pour autant, ce serait le début d’un processus
de libéralisation profitable à tous. Un processus profitable à nos clients sans nuire à la
main d’œuvre de ce secteur.
Ce qui est important à ce niveau est que les USA s’engagent à accepter un tel
processus.
Cela pourrait entraîner d’autres changements dans les règles de propriété et de contrôle
, des restrictions des règles de cabotage de part et d’autre ainsi que dans l’application
de la loi Fly America, tout cela selon un calendrier à déterminer.
Dans l’état actuel des choses et dans l’hypothèse où nous pourrions signer un premier
accord, il reste encore beaucoup à faire au sujet de la compatibilité de nos systèmes
réglementaires respectifs dans les domaines suivants :
- les aides gouvernementales
- la sécurité
- et l’application des règles de concurrence
Je suis fermement convaincu qu’une fois qu’un accord UE/USA aura été conclu, nous
devrons nous efforcer de réduire les difficultés résultant de deux systèmes juridiques
différents et de deux autorités chargées de l’application des règles de concurrence
différentes.
La protection des données, les mesures destinées à la protection de l’environnement, la
cohérence des mesures de sécurité et le contrôle des accords d’alliance par les
autorités chargées de la concurrence ne sont que quelques exemples de ces difficultés.
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Je serai très clair. Je ne veux pas dire qu’il faut changer les réglementations
européennes ou américaines ou que tout le monde doit penser la même chose. Cela ne
voudrait rien dire et serait contraire au principe de « réalisme » que j’ai toujours prôné.
Ce n’est que lorsque je constaterai les avancées de l’UE et des USA vers une véritable
compatibilité des réglementations que j’en conclurai que quelque chose a définitivement
changé dans les relations UE/USA au sujet du trafic aérien et qu’un nouveau cadre pour
le transport aérien mondial est sur le point de naître.
Cela m’amène à ma conclusion.
Il est toujours absolument nécessaire que les relations entre les USA et l’UE au sujet du
transport aérien avancent
Je serais plus optimiste si j’avais le sentiment que les Etats-Unis partagent vraiment
mon point de vue.
Il y aura peut-être quelqu’un qui m’entendra aujourd’hui…. Je l’espère ….
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