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Dossier de mythologie grecque
Thématique: figuration de la légende d'Oedipe sur les vases grecs
Yann
11VSB
septembre 2013-février 2014
Mon choix : amphore lucanienne
Fiche technique:
type de vase: amphore lucanienne (vers 380-370 av. J.-C.)
représentant un monument consacré à Œdipe
H. : 47,30 cm. ; D. : 26,40 cm.
Lieu d'exposition : Musée du Louvre CA 308(K 531)
Fonction : conservation des liquides et des solides, mais aussi utilisé comme objet funéraire
Courte description :
Cette scène représente 3 personnes entourant, vraisemblablement, la tombe d'Oedipe.
Description détaillée:
On peut, en effet, comparer cette scène à la fin de l' « Oedipe à Colone », tragédie écrite par Sophocle (fin du
Ve s.), spécialement les vers 1500-1800.
J'ai réparti la scène centrale du vase en 4 parties principales:
1) Les cnémides que l'on voit reposant sur la base de la colonne sont peut-être là pour rappeler que cette
tombe est celle d'Oedipe, en rapport à son nom « Οἰδίπους / Oidipous », « pieds enflés », en grec ancien,
mais cela n'est pas sûr : en effet, on retrouve des cnémides représentées autour de tombes ordinaires, tout
comme certains attributs militaires, par exemple dans le tombeau de Philipe II de Macédoine.
Toutefois, il est délicat d'interpréter ce type de scènes peintes sur céramique, comme nous le mettent en garde
certains chercheurs :
"Les études sur l’Antiquité se sont occupées de la Grèce et de Rome, grâce à de multiples sources, dont les
textes, mais nous savons bien peu de choses sur les autres populations, en particulier sur les non Grecs de
l’Italie. Les peintres ont mis en images des gestes, des actions, en se servant de figures importées. (...) Si les
images illustrent des cérémonies, jusqu'à quel point celles-ci sont-elles liées à une religion, c'est-à-dire à un
ensemble de croyances et d'instructions (il n'y a jamais eu de dogme) tel que nous l’entendons, et ne sont pas
inspirées plutôt par une organisation structurante, intégrante, choisie pour des qualités spécifiques ?(...)
Qu'ont-elles en commun avec les réalités de l'époque ?"
Hélène Cassimatis, « Imageries de la céramique paestane », Mélanges de l'École française de Rome - Antiquité [En
línea], 124-1 | 2012, Publicado el 01 julio 2012, consultado el 03 febrero 2014. URL : http://mefra.revues.org/88
2) Ces vases seraient des cadeaux pour le défunt que les jeunes gens (voir ci-dessous la section « Les jeunes
gens » ), ou d'autres avant eux, auraient apportés ; on pourrait imaginer qu'ils représentent des épisodes de la
vie d'Oedipe, en suivant l'hypothèse qu'on a affaire à une tombe héroïque.
Mais cela peut très bien être des vases uniquement « décoratifs ».
3) Le bouclier peut être interprété de deux manières :
1° Comme les armes du défunt, ce qui semble peu probable : Oedipe a-t-il combattu?
Cela dépend, en effet : si l'on suit la tragédie de Sophocle, Oedipe ne prend pas part à des guerres mais,
d'après la tradition épique, il serait un roi guerrier tombé sur le champ de bataille et ne serait pas mort à
Colone.
En effet, Homère (auteur épique) déjà laisse entendre qu'il serait tombé au combat ("δεδουπότος") : ὅς ποτε
Θήβας δ᾽ ἦλθε δεδουπότος Οἰδιπόδαο ἐς τάφον
« Euryale » qui jadis se rendit à Thèbes pour les funérailles (ou : pour les jeux funèbres, mieux que : sur la
tombe) d'Oedipe mort au combat."
Homère, Iliade, XXIII, 679-680
Hésiode, lui aussi (fr. 35 Rz3), fait mourir Oedipe à Thèbes, sans que l'on sache où précisément.
Enfin, les v 1000 s des Sept contre Thèbes, d'Eschyle (tragédie représentée pour la première fois en 467),
laissent à penser qu'Oedipe avait été enterré à Thèbes.
2° Ce bouclier peut être aussi vu comme un monument commémorant le duel des deux fils d'Oedipe.
Comme nous le dit Pausanias, un auteur grec du 2e s. ap. J.-C., que l'on peut considérer comme le "touriste
culturel" de l'époque :
"À quelques pas de la sépulture de Ménécée, on vous montre l'endroit où les malheureux fils d'Oedipe se
battirent l'un contre l'autre, et s'entre-tuèrent. Pour monument de ce funeste combat, on a élevé une colonne,
et l'on y a attaché un bouclier de marbre."
Pausanias, Le Tour de la Grèce, IX, 25, 2
3. Enfin, il peut être interprété comme une sorte de symbole de protection : en effet, d'après certains
chercheurs, les Grecs auraient attribué au bouclier la même fonction protectrice pour le mort que pour le
vivant, faisant de l'un "un abri funéraire provisoire", particulièrement nécessaire sur le champ de bataille,
avant que la terre puisse devenir son abri à jamais...
"Double de la Terre insulaire pour la vue et l'ouïe, le bouclier l'est aussi pour son action protectrice sur le
héros. En effet, l'écu a la vertu de recouvrir le guerrier tout entier (...). On place les blessés sous l'écu
protecteur; large comme la Terre, le bouclier constitue un abri funéraire provisoire pour le corps de Patrocle
mort; les mêmes formules descriptives sont bien appliquées au bouclier et à la Terre."
Sylvie Vilatte
L'insularité dans la pensée grecque, Volume 446
Presses Univ. Franche-Comté, 1991
4) La tombe (stèle) : Elle porte les caractéristiques d'un culte héroïque (comme par exemple celui
d'Agamemnon, voir illustration ci-dessus) : on retrouve une colonne portant le nom du défunt, des vases
funéraires, des armes et des cadeaux qu'offrent au mort des gens venus près des tombes de Héros pour
pleurer, décorer, vénérer le mort ou faire des sacrifices.
LES CULTES HEROIQUES :
Ces cultes regroupaient des personnes visant a vénérer un héros, qui pouvait aussi bien être le
fondateur d'une ville ou d'un village, que l'auteur d'actions épiques. On les vénérait soit sur
leur tombe (officielle ou non ???) soit devant un monument érigé pour une occasion spéciale
(mort au combat).
Les jeunes gens
Les personnes que l'on voit à côté de la tombe ne sont pas identifiables avec certitude, mais, d'après certains
chercheurs, il se pourrait qu'elles représentent les enfants d'Oedipe, Antigone (ou Ismène) et Polynice, cela
suivant la légende héroïque.
Pour ma part je mets en doute cette affirmation car, d'après Sophocle, Oedipe avait demandé à son ami
Thésée de ne pas montrer sa tombe à ses enfants.
"Oedipe: "Mes filles, armez-vous de résignation pour vous éloigner de ces lieux, et ne demandez pas à voir ou à
entendre ce qui vous est interdit. Retirez-vous promptement, que THÉSÉE seul demeure.
ANTIGONE. Ma sœur, retournons sur nos pas.
ISMÈNE. Que ferons-nous?
ANTIGONE. Je veux ...
ISMÈNE. Quoi?
ANTIGONE. Voir la demeure souterraine ...
ISMÈNE. De qui?
ANTIGONE. De mon père. Hélas!
ISMÈNE. Mais il est défendu d'en approcher. Ne vois-tu pas?"
Sophocle, Oedipe à Colone, vers 1640ss
Son corps d'ailleurs ne repose pas sous une tombe, puisqu'il aura été enlevé par un dieu, d'une manière
mystérieuse...
"Seul d'entre tous les mortels, Thésée pourrait dire
comment OEdipe a péri. Il n'a point été frappé par la foudre étincelante
de Zeus, ni englouti par une violente tempête. Sans doute
quelque envoyé des dieux est venu l'enlever, ou la terre favorable
s'est ouverte et l'a reçu doucement dans le séjour des Mânes. Il a
quitté la vie sans gémissement, sans douleur, et d'une manière toute
merveilleuse."
Sophocle, Oedipe à Colone, vers 1656-64
Cependant, cette hypothèse est invérifiable, car les mythes étant très « souples » : on pouvait allègrement
modifier la trame de base pour obtenir plus d'intérêt, moins de violence ou encore pour plus de drama...
Bien que l'on ne sache pas précisément où à été fait le vase, on peut imaginer que l'apparition d'Oedipe sur ce
dernier n'est pas anodine : en effet, on retrouve des traces de colonies thébaines en Lucanie.
L'inscription
Sur cette inscription on peut lire :
NOTOIMENMOLAXH... KOLPOIDOIDIPODAN...
On retrouve ces débuts de vers sur d'autres vases de même type... Les
voici au complet :
NOTOI MOLAXHN TE KAI ASPHODOLON POLGRZON
KOLPOI D OIDIPODAN LAIO GION EXO
Ce qui veut dire :"Sur mon dos, je porte
la mauve et l'asphodèle
aux nombreuses racines, en mon sein, je renferme Oedipe, fils de
Laios".
Ces vers ont certainement été repris, soit dans le but de commémorer
la mort d'Oedipe, soit parce que l'auteur les trouvait « jolis », soit
encore pour leur symbolique : en effet ce type d'amphore se retrouve souvent dans des tombes.
Merci au Musée du Louvre
L'autre face
Sur cette face, on voit trois jeunes hommes,non identifiables
avec certitude.
1° Seraient-ils là pour rendre eux aussi hommage à Oedipe ?
2° Ou alors serait-ce l'illustration d'une forme de mécénat,
consistant à se faire représenter non loin d'une scène de légende ?
3° Ou encore aurait-on représenté là une scène de la vie
quotidienne, correspondant d'ailleurs à l'utilisation prosaïque
d'une amphore ?
Finissons avec la réflexion générale d'H. Cassimatis (art. cit.) :
"Les compositions au verso de ces représentations savantes
présentent des scènes sans liens avec les faces principales et sans
liens avec des textes. Certaines semblent indiquer que les revers
importaient davantage, et que les exemples puisés dans la
mythologie ou les tragédies étaient destinés à des intéressés
spécifiques, et partaient d'intentions particulières."