Texte - Association française de droit constitutionnel

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Texte - Association française de droit constitutionnel
Pour une analyse épistémologique de la querelle autour de
l'article 11 : de la dénonciation à la réhabilitation d'une violation
de la Constitution
Johanna NOEL
Doctorante contractuelle, Université de Lorraine
En 1962 éclate une querelle juridico-politique : De Gaulle estime pouvoir utiliser la
procédure référendaire de l’article 11 pour réviser la Constitution alors que la lettre de la
Constitution ne l’y habilite pas expressément ; seul l’article 89 figure sous le titre XVI intitulé
« De la révision ». Toutefois, le président de la République n’est-il pas un interprète politicojuridique, habilité de manière générale, par la Constitution – à travers son rôle de gardien – à
produire une lecture de celle-ci1 ? Tout ce qui n’est pas normativement interdit est-il permis ?
Hans Kelsen rejette en tout cas cette maxime au regard de la formation du droit, car il
distingue nettement l’habilitation de la permission2. La non-interdiction ne suffit pas à créer le
droit ; il faut être habilité par le droit lui-même pour prétendre à sa création.
Dans une allocution du 20 septembre 1962, le général De Gaulle informe les Français
qu’il souhaite leur demander, par le biais du référendum, de se prononcer sur le mode
d’élection du chef de l’État. Il souhaite en effet introduire le suffrage universel direct, palliatif
au manque de légitimité dont disposeront ses successeurs. Intervenant environ un mois après
l’attentat du Petit-Clamart, cette allocution se présente comme une occasion, pour De Gaulle,
d’enraciner la Ve République dans un système politique présidentiel et présidentialiste en
mettant un terme au « compromis dilatoire »3 né sous les traits de la Constitution du 4 octobre
1958.
1
V. sur cette question, R. Romi, « Le président de la République, interprète de la Constitution », RDP, 1987, pp.
1265 sq.
2
V. H. Kelsen, Théorie générale des normes, trad. fr. O. Beaud et F. Malkani, Paris, Puf, « Léviathan », 1996,
pp. 125-137.
3
V. C. Schmitt, Théorie de la Constitution, trad. fr. L. Deroche, Paris, Puf, « Léviathan », 1993, pp. 162 sq. ; P.
Avril, « Enchantement et désenchantement constitutionnels sous la Vème République », Pouvoirs, 2008, n° 126,
p. 8 ; P. Avril, Les conventions de la Constitution, Paris, Puf, « Léviathan », 1997, pp. 46 sq. Sur une vision
critique, v. F. Mitterand, Le coup d’état permanent, Paris, Plon, 1964, p. 126 : « l’élection du président de la
République au suffrage universel, acceptable en soi, n’avait pas d’autres buts que de parachever la lente
dénaturation des institutions politiques qui régissent la France ».
1
Le recours à l’article 11 s’érige comme l’une des manifestions de la quête gaullienne
de légitimité démocratique : son interprétation s’ancre dans une dimension césariste du
pouvoir traduisant sa volonté d’asseoir l’État en renforçant le pouvoir exécutif4. Utilisé à deux
reprises dans le cadre de la résolution du conflit algérien, l’emploi de l’article 11 en 1962 est
toutefois différent : il concerne un domaine constitutionnel. Or, la Constitution française,
constitution rigide, prévoit à cet égard une procédure particulière de révision, qui dispose, aux
termes de l’article 89, que le « projet ou la proposition de loi doit être […] voté par les deux
assemblées en termes identiques ». De Gaulle, conscient que la réforme qu’il souhaite
entamer ne serait pas votée par les chambres et que le Sénat la bloquerait : il détourne,
contourne, interprète ou viole – selon les points de vue et les époques – la Constitution, en
utilisant non pas l’article 89 mais l’article 11 pour soumettre au peuple, une révision
constitutionnelle d’envergure5. Des protestations politiques et juridiques naissent pour
dénoncer cette pratique. La doctrine n’est alors pas la seule à se saisir de la question : le
Conseil d’État6, le président du Sénat Monnerville, ont également pris part à la discussion
polémique7. Le Conseil constitutionnel se déclara quant à lui incompétent – au regard de
l’esprit de la Constitution8 – pour statuer sur la conformité de la loi référendaire à la
Constitution9.
Le pouvoir exécutif tente alors de justifier l’emploi de cette procédure en soulignant
que l’article 11 doit être lu en combinaison avec l’article 3 de la Constitution selon lequel la
souveraineté appartient au peuple, et qu’il est dès lors compétent pour déterminer le mode
d’élection du chef de l’État, question qui relève bien du champ posé par l’article 11 sous
l’expression « organisation des pouvoirs publics ». Pompidou proposera également une thèse
cherchant à valider l’action gaullienne, celle de « l’équilibre des pouvoirs »10.
4
M. Guillaume-Hofnung, « L’article 11 », in D. Maus, L. Favoreu, J.-L. Parodi (dir.), L’écriture de la
Constitution de 1958, actes du colloque du XXXème anniversaire, Aix-en-provence, 8, 9, 10 septembre 1988,
Puam, 1992, pp. 181 sq.
5
V. S. Pierré-Caps, « Les révisions de la Constitution de la Cinquième République : temps, conflits et
stratégies », RDP, 1998, pp. 412-416.
6
Il a rendu un avis négatif (non publié) sur l’utilisation de l’article 11 afin d’opérer une révision
constitutionnelle, cet avis n’a pas empêché De Gaulle à poursuivre. V. R. Romi, art. cit., p. 1285.
7
V. La lettre de M. Monnerville transmise au Conseil constitutionnel, in Le Monde, 8 novembre 1962.
8
V. C. Coste, op. cit., pp. 174 sq. ; S. Pierré-Caps, « L’esprit des Constitutions », art. cit., pp. 375-376, 388 ; A.
Viala, « L’esprit des Constitutions par-delà les changements », in A. Viala (dir.), La constitution et le temps, Ve
séminaire franco-japonais de droit public, Lyon, L’Hermès, 2003, pp. 27-36 ( préc. p. 32).
9
Cc., décis. n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi relative à l'élection du Président de la République au
suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962, JORF du 7 novembre 1962, p. 10778.
V. L. Hamon, « Note », art. cit., p. 398 ; C. Franck, Les grandes décisions de la jurisprudence. Droit
constitutionnel, Paris, Puf, 1978, p. 279.
10
J. O. Débats parlementaires de l’Assemblée Nationale, 1962, p. 3223 ; « Entretien radiotélévisé du premier
ministre », in Le Monde, 26 octobre 1962. Sur une critique de la thèse pompidolienne, v. G. Berlia, « Le
problème de la constitutionnalité du référendum du 28 octobre 1962 », RDP, 1962, pp. 937-939.
2
L’Assemblée nationale réagit en votant la censure du gouvernement Pompidou le 5
octobre 1962 et De Gaulle utilise, le 9 octobre, son droit de dissolution de l’Assemblée
nationale. Si la controverse semble prendre momentanément fin à la suite du référendum du
28 octobre 1962, car le peuple répondit « oui » à hauteur de 62,25 % des suffrages exprimés ;
dès 1969, la querelle juridique réapparait : De Gaulle souhaite à nouveau utiliser la procédure
de l’article 11 afin de réviser le Sénat et l’organisation territoriale française. Cette nouvelle
utilisation de l’article 11 comme référendum constitutionnel se solde par un échec le 27 avril
1969, échec qui entraînera sa démission.
Depuis 1969, aucun président de la République n’a utilisé l’article 11 pour réviser la
Constitution. Une question est alors pertinente : y-a-t-il encore un intérêt à en discuter sous
cet angle ? Certaines personnalités politiques ont mis en avant, dans leurs discours, une
volonté de renouer avec la tradition gaullienne du référendum11. L’emploi de l’article 11 pour
réviser la Constitution, stratégie politique certaine, doit de nouveau être envisagé au regard du
contexte politique actuel : faire appel au peuple pour modifier une disposition de nature
constitutionnelle et ce, sans qu’un contrôle de constitutionnalité puisse être effectué sur le
contenu du référendum, est-ce constitutionnel ? La Constitution ne le dit pas, la Constitution
ne l’interdit pas. Les professeurs de droit en disent-ils davantage ?
Nous avons choisi de mener une étude ayant pour objet les travaux doctrinaux, car
l’angle méta-théorique montre un réel intérêt : en effet, se situer au niveau d’un méta-méta
langage permet de prendre conscience que notre propre discours vit et se développe grâce aux
discours qui sont déjà des interprétations d’un premier niveau de discours. Notre étude tend à
réfléchir sur cette pratique gaullienne, en prenant appui sur les propos de la doctrine, la
doctrine des années 1960 mais aussi la doctrine contemporaine, c’est-à-dire les auteurs qui
écrivent et réfléchissent sur le droit, notamment la doctrine universitaire. Sa singularité est la
suivante : si en 1962, la doctrine estimait que De Gaulle avait violé la Constitution, de nos
jours, les manuels de droit constitutionnel, réalisent un dessin assez différent et bien plus
nuancé. Comment est-il possible d’expliquer ce changement du comportement doctrinal ?
Deux perspectives peuvent être choisies afin de traiter un tel sujet : une perspective
principalement politique ou une perspective majoritairement épistémologique. Si le droit
constitutionnel est en effet un droit par essence politique, la théorie et l’histoire
constitutionnelles sont également des disciplines permettant d’expliquer certaines situations et
de parvenir à leurs connaissances. En effet, les deux perspectives présentent de vrais intérêts
11
V. S. de Charentenay, « La gauche et la révision de la Constitution : vers une réutilisation de l’article 11 de la
Constitution par le Chef de l’État », Politeia, 2007, pp. 73 sq.
3
heuristiques ; toutefois, analyser les discours tenus sur l’article 11 sous l’angle de la
métathéorie du droit souligne une vision que peu d’auteurs ont tenue ; elle a alors l’avantage
de l’originalité. Cependant, axer davantage notre propos sur une dimension philosophicojuridique tendant à la recherche de la connaissance de la querelle doctrinale autour de l’article
11 ne sous-entend pas de faire l’impasse sur l’aspect politique de cette question. En effet, en
1962, le régime politique a certaines caractéristiques que nous ne pouvons pas passer sous
silence et qui doivent être rappelées : la Constitution française, élaborée quatre années plus
tôt, est encore fragile en termes de popularité. Les détracteurs à l’emploi de l’article 11 pour
réviser la Constitution sont aussi, en parti, des détracteurs de la personne même du général De
Gaulle : mettre en exergue l’inconstitutionnalité de la pratique gaullienne, c’est alors aussi
mettre en place une stratégie politique tentant de délégitimer De Gaulle. Toutefois, les
professeurs de droit sont-ils à classer parmi cette catégorie d’auteurs ? Les professeurs de
droit ne sont probablement pas dans une logique similaire à celles des parlementaires12. En
effet, si les parlementaires sont animés par le fait qu’ils vont perdre un pouvoir conséquent,
celui d’élire le chef de l’État et qu’ils ne seront plus les seuls représentants directs du peuple,
la doctrine apparaît comme une entité situé en dehors du jeu politique partisan. Selon Vedel,
« il existe une morale professionnelle au juriste »13. La preuve en est qu’une partie de la
doctrine, tout en constatant violemment l’inconstitutionnalité, appelle néanmoins à voter
« oui »14, alors que c’est bien le contenu même du référendum qui amène les parlementaires à
voter « non ».
Retracer les travaux doctrinaux quant à leur analyse sur l’article 11 et notamment
quant à sa constitutionnalité pour réviser la Constitution paraît alors intéressant. Intéressant,
car, sous cet angle, l’analyse n’a pas été menée : les auteurs commentent les auteurs passés,
mais ne rendent pas compte de la pensée contemporaine sur l’article 11 de la Constitution et
12
F. Rouvillois note que la classe politique a deux raisons de dénoncer la pratique gaullienne, une « raison de
fond, puisque cette élection directe, en pérennisant la primauté présidentielle, réduit encore ce qui restait de
parlementaire dans le régime instauré en 1958 ; et une raison de forme : l’utilisation, il est vrai juridiquement
douteuse, du “ référendum législatif ” (prévu par l’article 11) » (F. Rouvillois, Droit constitutionnel, 2. La Ve
République, Paris, Flammarion, « Champs Université », 2009, 3e éd., p. 56).
13
G. Vedel, « à propos de la réforme du Sénat. II. Le droit, le fait, la coutume… », in Le Monde, 27 juillet 1968.
14
V. M. Duverger, « Une pièce en deux actes », in Le Monde, 21 et 22 octobre 1962 ; G. Vedel souligne
également : « en octobre 1962, j’étais comme l’âne du Buridan. Juriste, j’aurais laissé sécher ma main droite
plutôt d’écrire que c’était constitutionnel… mais d’un autre côté, on ne pouvait pas interdire à tout jamais aux
Français d’avoir un président de la République élu au suffrage universel, en maintenant un système de
médiatisation complète de la souveraineté nationale. Légalité et légitimité n’étaient pas d’accord » (Entretien G.
Vedel et C. Coste, 23 juillet 1974, in C. Coste, La violation de la Constitution : réflexions sur les violations des
règles constitutionnelles relatives aux pouvoirs publics en France, thèse dactyl., Université Paris 2, 1981, p.
330).
4
surtout de la différence entre ces deux pensées15. Les auteurs, par leurs relectures, apportent
une vision distincte et divergente de celle des années 1960. Une question se pose : pourquoi ?
En effet, pourquoi en 1962 les auteurs concluent majoritairement à l’inconstitutionnalité, et
pourquoi, désormais, la relativité sur celle-ci imprègne les travaux doctrinaux ?
La pensée doctrinale évolue au fil du temps, au fil des transformations sociétales et
politiques : si en 1962, on apercevait clairement la dénonciation doctrinale de la pratique
gaullienne sur la querelle autour de l’article 11 (I), on assiste de nos jours à sa réhabilitation
(II).
I.
LA DÉNONCIATION DOCTRINALE DE LA PRATIQUE GAULLIENNE
Dès l’origine, la doctrine juridique a dénoncé, de manière quasi unanime, la violation de la
Constitution (A). Toutefois, le temps s’écoulant, les travaux doctrinaux font preuves de
davantage de nuances. Alors qu’en 1962, Pierre Lampué était l’un des seuls juristes à
admettre la constitutionnalité de la pratique gaullienne, il est désormais couramment suivi. À
l’image de l’expression revirement jurisprudentiel, il existe ici un « revirement doctrinal » sur
le sens de l’article 11 de la Constitution, notamment à partir de l’après 1962, et surtout dans
les années 1970 (B).
A. LA DÉNONCIATION ORIGINELLE
Si la mise en œuvre du référendum proposant aux français d’élire directement le chef de
l’État n’a eu lieu que le 28 octobre 1962, les mois le précédant ont montré une doctrine agitée,
une doctrine révoltée. Les articles parus en cette année 1962 sont alors autant d’expressions
de contestation et de dénonciation de l’interprétation gaullienne de l’article 11 de la
Constitution16. André Hauriou souligne, à l’instar d’autres auteurs17, que « la première
15
V. certaines exceptions, F. Savonitto, Les discours constitutionnels sur la « violation de la constitution » sous
la Ve République, Paris, LGDJ Lextenso éd., « BCSP », T. 141, 2013, p. 31 ; C. Coste, op. cit., p. 83.
16
V. notamment, J. Fauvet, « La Constitution peut-elle être révisée sans un vote du Parlement ? », in Le Monde,
6 février 1962 ; J. Fauvet, « Vers une révision constitutionnelle ? », in Le Monde, 19 juillet 1962 ; R. Barrillon,
« La réforme de la Constitution se ferait sans vote des Assemblées », in Le Monde, 1er septembre 1962 ; M.
Duverger, « La succession. I. Les fourches caudines », in Le Monde, 1er septembre 1962 ; M. Duverger, « La
succession. II. La carte forcée ? », in Le Monde, 2 et 3 septembre 1962 ; M. Duverger, « La succession. III. La
forme et le fond », in Le Monde, 4 septembre 1962 ; P. Bastid, G. Berlia, G. Burdeau, P. Teitgen, in L’Aurore, le
14 octobre 1962 ; M. Duverger, « La validité du scrutin du 28 octobre », in Le Monde, 17 octobre 1962 ; P.
Reynaud, « Intervention du débat de l’Assemblée nationale du 4 octobre 1962 – Document 11-100 », in D. Maus
(dir.), Textes et documents sur la pratique institutionnelle de la Ve République, Paris, La documentation
française, 1978, pp. 83-85 .
5
constatation qui s’impose, c’est que tout le monde tombe finalement d’accord que la
procédure de révision décidée par le Chef de l’État est contraire à la Constitution ellemême »18. Seuls quelques juristes19 et notamment Lampué ont admis la constitutionnalité de
la pratique gaullienne. Jouant sur l’obscurité de la langue française et ici sur l’équivocité du
langage juridique au sein de l’article 11, Lampué estime que l’expression selon laquelle le
président de la République peut soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur
l’organisation des pouvoirs publics » ne doit exclure aucune loi en particulier. Le terme de loi
peut donc signifier loi ordinaire, organique mais aussi loi constitutionnelle20. Il décide alors de
mener un raisonnement par l’absurde pour convaincre de la constitutionnalité de la pratique
gaullienne en constatant qu’à l’instar des articles 45 et 46 de la Constitution21, l’article 89 ne
précise pas qu’il joue de manière concurrente à l’article 11. Pourtant, la doctrine, tout en
saluant l’argumentation de Lampué22, s’en détache et préfère souligner que la Constitution est
sur le point d’être violée. Cette quasi-unanimité doctrinale peut apparaître paradoxale : la
doctrine est une entité mêlant et entremêlant des idées, des réflexions, des intuitions, et les
controverses sont consubstantielles à sa fonction ; toutefois, ce thème semble faire exception
tant les auteurs se rejoignent sur l’inconstitutionnalité de la procédure entamée par de Gaulle.
Expliquer ce paradoxe revient alors à rappeler tout d’abord que le propre de celui-ci est qu’il
17
Ce constat de la concertation unanime doctrinale a été posé dès 1962 par plusieurs auteurs, v. J. Fauvet, « Vers
une révision constitutionnelle ? », art. cit. ; M. Prélot, « Sur une interprétation “coutumière” de l’article 11 », in
Le Monde, 15 mars 1969. Le constat est également réalisé par de nombreux auteurs contemporains de manière
rétrospective, v. P. Ardant, B. Mathieu, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ Lextenso éd.,
2012, 24e éd., p. 100 ; D. Chagnollaud, Droit constitutionnel contemporain, Tome 3 la Vème République, Paris,
Dalloz, 2009, 5e éd., p. 100 ; V. Constantinesco, S. Pierré-caps, Droit constitutionnel, Paris, Puf, « Thémisdroit », 2013, 6e éd., p. 351 ; P. Foillard, Droit constitutionnel et institutions politiques, Bruxelles, Larcier,
« Paradigme », 2011-2012, p. 183.
18
A. Hauriou, « C’est la première manche qu’il faut gagner », in Le Monde, 21 et 22 octobre 1962.
19
V. R. Chapus, Cours de droit constitutionnel et d’institutions politiques, Paris, Les cours de droit, 1969-1970,
pp. 175 sq. ; F. Goguel, « De la conformité du référendum du 28 octobre 1962 », in Droit, institutions et
systèmes politiques. Mélanges en hommage à Maurice Duverger, Paris, Puf, 1987, pp. 115 sq. : « Nous avons
pensé dès 1962 que, même si la lettre des textes semblait permettre de soutenir la thèse de l’ “irrégularité
formelle” de la décision de recourir à un référendum de l’article 11 pour modifier le mode d’élection du
Président de la République, la contradiction interne dont cette interprétation impliquait l’existence dans la
Constitution la rendait très contestable » ; R. Capitant, in La croix, 24 octobre 1962, cité par C. Coste, op. cit., p.
83 ; C. Cadoux, Droit constitutionnel et institutions politiques, Théorie générale des institutions politiques, éd.
Cujas, 1973, pp. 214-215 ; M.-H. Fabre, Principes républicains de droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 1984, 4e
éd., pp. 414-416.
20
Chapus souligne explicitement : « la réalité est qu’il n’y a qu’une interprétation possible : “tout projet de loi”,
cela ne peut être que, autant tout projet de loi constitutionnelle que tout projet de loi organique et que tout projet
de loi ordinaire » (R. Chapus, op. cit., p. 241).
21
V. P. Lampué, « Le mode d’élection du président de la république et la procédure de l’article 11 », RDP, 1962,
pp. 931 sq. L’article 11 se dresse alors comme une procédure spéciale de révision des lois, alors que les articles
45, 46 et 89 sont les procédures « normales » de révision des lois ordinaires (art. 45), organiques (art. 46) et
constitutionnelles (art. 89).
22
V. M. Duverger, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Puf, 1965, 8e éd., p. 526. Il note : « un
juriste sérieux, et peu suspect de passion politique, le Pr. Pierre Lampué, soutient cependant une thèse contraire,
qui n’est pas sans valeur ».
6
ne devrait pas exister : comment est-il alors possible d’analyser cet engouement collectif
doctrinal en faveur de la thèse de l’inconstitutionnalité de l’interprétation gaullienne ?
Depuis les années 1945, les auteurs entendent étudier la pratique constitutionnelle et non
plus seulement les dispositions textuelles constitutionnelles. Il y a alors une première prise de
conscience que le droit constitutionnel est aussi un droit qui s’analyse au regard de son
application23. De plus, la réforme universitaire de l’année 1954 transforme l’appréhension du
droit constitutionnel, les auteurs montrent une volonté de s’ancrer dans l’analyse des
institutions en raison de l’interdépendance des disciplines juridiques et des sciences politiques
dès la première année de droit. Cependant, un autre mouvement doctrinal existe, en parallèle,
qui est aussi partiellement en contradiction : la sacralisation de la Constitution comme
instrument de stabilité juridique24. Il apparaît que si la première tendance explique le vif
intérêt de la doctrine à s’intéresser au sujet de l’emploi par le président de la République de
l’article 11 de la Constitution, c’est la seconde tendance, cette croyance en la suprématie de la
nouvelle Constitution, qui explique, semble-t-il, son comportement herméneutique. La
philosophie et la sociologie du droit sont alors des disciplines intéressantes à mobiliser afin de
soulever quelques éléments de réponse. Il est à rappeler que la doctrine des années 1960 est
attachée au droit constitutionnel formel et a adopté une position de sacralisation de la
Constitution et du droit écrit25, sacralisation qui s’explique, en partie, par son adhésion à « la
théorie dite de l’acte clair ».
Plus précisément, la « doctrine du sens clair des textes » soutient plusieurs principes26
dont deux paraissent pertinents à expliciter au regard de notre objet d’étude : le premier
souligne qu’ « il existe des textes juridiques clairs dont le sens est “en soi ” manifeste ou
23
V. J. Chevallier, « Droit constitutionnel et institutions politiques : les mésaventures d’un couple fusionnel », in
La République. Mélanges en l’honneur de P. Avril, Paris, Montchrestien, 2001, p. 187.
24
Alors que sous les IIIe et IVe Républiques, le politique et plus précisément les pratiques politiques ont saisi le
droit, sous la Ve République, il y a eu l’espoir que le droit puisse saisir le politique : on oppose alors le discours
juridique et le discours politique. V. Y. Poirmeur, D. Rosenberg, « La doctrine constitutionnelle et le
constitutionnalisme français », in D. Lochak (dir.), Les usages sociaux du droit, Paris, Puf, 1989, pp. 232 sq.
25
P. Pactet, « La désacralisation progressive de la Constitution de 1958 », in La République. Mélanges Pierre
Avril, Montchrestien, 2001, pp. 389 sq. ; R. Capitant, « Le droit constitutionnel non écrit », in Recueil d’études
sur les sources du droit en l’honneur de François Gény, Tome III Les sources des diverses branches du droit,
Paris, Sirey, 1934, p. 2 : « Il règne sur beaucoup d’auteurs comme un principe de légitimité du droit écrit qui
exclut à leurs yeux le caractère juridique de tout règle non écrite. Tout ce qui n’est pas écrit tombe, à les croire,
dans le domaine du fait ou de la politique, et ne saurait être regardé comme règle de droit ».
26
V. M. van de Kerchove, « La théorie des actes de langage et la théorie de l’interprétation juridique », in P.
Amselek (dir.), Théorie des actes de langage, éthique et droit, Paris, Puf, 1986, pp. 221 sq. L’auteur met en
avant cinq principes proposés par la « doctrine du sens clair des textes » : « 1. Il existe des textes juridiques clairs
dont le sens est “en soi” manifeste ou évident. 2. Les termes que le législateur n’a pas explicitement définis
conservent le sens, en principe immédiat, qu’ils possèdent dans le langage usuel. 3. L’obscurité d’un texte ne
peut provenir que de l’ambiguïté ou de l’indétermination du sens usuel de ses termes. 4. La clarté d’un texte est
la règle, ou tout au moins l’idéal auquel peut et doit tendre toute législation écrite. 5. La reconnaissance du
caractère clair ou obscur d’un texte n’implique aucune interprétation de celui-ci ».
7
évident », en l’espèce, les auteurs étaient en 1962 résolument convaincus que les articles 11 et
89 de la Constitution ne possédaient qu’un seul sens et que ce dernier était évident : sur ce
point, les propos de Raymond Barillon sont explicites, « l’article 89 de cette Constitution
indique sans ambiguïté possible que sa révision ne peut se faire sans intervention des
Assemblées »27.
De plus, les auteurs qui adhèrent à la théorie de l’ « acte clair » admettent qu’un terme non
précisé par le législateur prend le sens qu’il détient dans le langage courant. La querelle
juridique, née de la pratique gaullienne, manifeste également une querelle de nature
linguistique : comment doit-on comprendre et interpréter les expressions « projet de loi » et
« organisation des pouvoirs publics » figurant à l’article 11 ? Maurice Duverger, comme
d’autres auteurs28, souligne que « l’expression “projet de loi”, sans précision, s’applique
normalement aux lois ordinaires et organiques, non aux lois constitutionnelles : la preuve en
est que l’article 89 ne l’emploie pas, mais parle de “projet de révision” »29. Le terme « sans
précision » est ici évocateur : l’absence d’adjectif accolé à l’expression « projet de loi »
traduit selon la doctrine majoritaire une impossibilité d’y apercevoir une loi constitutionnelle.
C’est donc en se fondant sur le sens usuel et commun du terme de « loi », en tant qu’un
ensemble des règles juridiques établies par le pouvoir législatif, que les juristes estiment que
l’expression « projet de loi » ne peut concerner que la loi stricto sensu, c’est-à-dire les seules
lois ordinaires et organiques30.
La doctrine dénonce alors violemment et unanimement la pratique gaullienne parce
qu’elle est intimement persuadée que l’article 11 de la Constitution ne peut avoir qu’un seul et
même sens, celui de référendum législatif. Cette attitude traduit plus précisément la place
qu’elle accorde à l’interprétation en tant qu’acte créateur de sens, une place extrêmement
réduite. Par son constat de violation de la Constitution, elle indique de manière sous-jacente
sa vision de la philosophie du droit : une conception exégétique dans laquelle l’interprète doit
se borner à la lettre de la Constitution et réaliser un acte exclusif de connaissance31. En
27
R. Barrillon, « La réforme de la Constitution se ferait sans vote des Assemblées », art. cit.
V. XX, « Le respect de la Constitution », in Le Monde, 19 septembre 1962. L’auteur souligne : « la mention de
l’article 11, “ tout projet de loi portant sur les organisations des pouvoirs publics” ne concerne évidemment que
celles des dispositions relatives à l’organisation des pouvoirs publics qui sont du domaine législatif ; c’est
presque une lapalissade » V. également, P. Pactet, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Masson
et Cie, 1969, p. 210 ; J. Cadart, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Les cours de droit, 1973, p.
214.
29
M. Duverger, Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit., p. 527.
30
Sur une position contraire, v. R. Chapus, Cours de droit constitutionnel et d’institutions politiques, op. cit., p.
241 : « La réalité est qu’il n’y a qu’une interprétation possible : “tout projet de loi”, cela ne peut être que, autant
tout projet de loi constitutionnelle que tout projet de loi organique et que tout projet de loi ordinaire ».
31
V. en ce sens, C. Coste, op. cit., pp. 318-332.
28
8
admettant que l’énoncé de l’article 11 de la Constitution ne peut ainsi conduire qu’à une seule
norme, elle retranscrit en filigrane sa conception « montesquieuse » de l’interprète du droit,
une « bouche » de la Constitution. C’est pourquoi, quand le général De Gaulle interprète
l’article 11 de la Constitution comme une possibilité de mettre en œuvre un référendum
constituant, les auteurs s’entendent sur l’existence d’une violation de la Constitution. Par son
acte de volonté qui modifie les carcans herméneutiques préétablis, De Gaulle a bouleversé la
doctrine dans sa sacralisation de la lettre constitutionnelle. Or, cette adhésion doctrinale à la
conception exégétique de l’interprétation explique également la nature des arguments utilisés
par la doctrine, des arguments fondés majoritairement sur des vices formels. En effet, trois
arguments sont régulièrement présentés pour prouver l’inconstitutionnalité de l’interprétation
de De Gaulle : l’article 11 ne figure pas au sein d’un titre spécial dans la Constitution32,
l’absence de renvoi réciproque entre les articles 11 et 89 de la Constitution33, et l’article 85
précise, au contraire de l’article 11, est une dérogation à l’article 8934. De plus, elle prend
également appui sur les travaux préparatoires de la Constitution en tant que moyen de montrer
le non-respect de l’intention des Constituants par la conception gaullienne35.
Ainsi, par sa dénonciation médiatique de l’interprétation de De Gaulle comme une
violation de la Constitution, la doctrine s’est érigée en « contre-pouvoir ». Contre-pouvoir qui
a défié, par sa mission traditionnelle de diffusion de l’information juridique, l’interprète
authentique, et ce, en affichant une véritable autonomie intellectuelle face à lui. Elle a permis,
par le biais de sa liberté d’expression, de nourrir le débat en montrant « la pluralité des
32
V. G. Berlia, « Le problème de la constitutionnalité du référendum du 28 octobre 1962 », RDP, 1962, p. 938 ;
M. Prélot, J. Boulouis, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1990, 11e éd., p. 636 ; P.
Pactet, op. cit., p. 210.
33
V. G. Berlia, art. cit., p. 938 ; G. Berlia, Vie politique contemporaine, Paris, Les cours de droit, 1970, p. 99 :
« Si les articles 11 et 89 traitaient, l’un et l’autre, de deux procédures de révision constitutionnelle soudées entre
elles par l’étroit rapport de complémentarité […] comment concevoir que ces deux procédures ne se fassent pas
suite, soit dans les articles différents mais successifs d’un même titre, soit mieux encore, dans les alinéas
successifs d’un seul et même article ».
34
V. G. Mollet, « Le président n’a pas le droit de proposer d’autres procédures que celles prévues par la
Constitution », in Le Monde, 17 avril 1969.
35
V. Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, volume II, Paris,
La documentation Française, 1988, pp. 320-325 ; Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la
Constitution du 4 octobre 1958, volume III, Paris, La documentation Française, 1991, pp. 68-71.
Dès les travaux préparatoires, on retrouve toutefois des petits commentaires suggérant la potentielle
constitutionnalité, par exemple, M. Waline : « […] laisser au Gouvernement la possibilité de soumettre au
référendum tout projet de loi, sans limitation » (vol. II., p. 320) ; v. M. Janot : « Je pense que le président de la
République peut soumettre au référendum tout projet de loi » (vol. III, p. 69) ; Documents pour servir à l’histoire
de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, volume IV, Paris, La documentation Française, 2001, p.
165 : « Le président saisi d’une telle proposition est entièrement maître de décider, seul et sans contreseing si oui
ou non un référendum doit avoir lieu. Pourquoi ? Parce qu’il peut y avoir un certain nombre de lois
particulièrement importantes pour l’avenir de la Nation qu’il serait fâcheux de voir votées par une majorité de
hasard ». Or, une partie de la doctrine souligne qu’une loi constitutionnelle ne peut naître d’une majorité de
hasard, v. G. Berlia, art. cit., pp. 941-943 ; G. Vedel, Introduction aux études politiques, Fascicule I, Paris, Les
cours de droit, 1969-1970, p. 205. Sur des travaux plus récents, v. M. Guillaume-Hofnung, art. cit., pp. 181 sq.
9
regards sur la réalité [et en créant] aussi de la visibilité sur le pouvoir lui-même »36. Toutefois,
le succès du référendum du 28 octobre 1962 rappelle que la doctrine, ce pouvoir
« scientifique », connaît des limites en terme d’obligatoriété ; sa propension à créer le droit
trouve en effet sa limite dans sa force de persuasion et de conviction.
Or, face à De Gaulle, créateur de la Constitution de 195837, la doctrine n’a pas réussi à
convaincre le peuple ; De Gaulle a alors opéré un transfert de sa légitimité personnelle dans la
légitimité de la norme qu’il proposait38. Duverger avait fait acte de prophétie en notant que
« les arguments juridiques toucheront peu la masse des citoyens, qui pensent qu’en
démocratie le peuple est souverain, et qu’on peut donc lui demander de régler directement le
problème constitutionnel »39. Le peuple, ne connaissant pas les méandres du droit
constitutionnel40, a alors répondu « oui », mais il est à penser que c’est un « oui » à l’élection
du président de la République au suffrage universel direct41 mais pas nécessairement un
« oui » à l’utilisation de l’article 11 de la Constitution afin de réviser la Constitution.
Nonobstant cela, la doctrine a alors simplement pris acte du vote populaire et des
conséquences qu’elle devait en tirer42.
36
G. Muhlman, « Le gros mot de contre-pouvoir », Pouvoirs, 2006, n° 119, p. 55.
De Gaulle a mis en avant cet argument dans l’une de ses interventions pour montrer qu’en tant que créateur de
la Constitution, son interprétation ne pouvait être contraire à la Constitution : « Étant moi-même le principal
auteur de la Constitution, j’ai arrêté et proposé le texte parce que l’article 11 signifie ce qu’il signifie et
qu’autrement je ne l’aurais évidemment ni arrêté ni proposé », cité par C. Debbasch et al., Droit constitutionnel
et institutions politiques, Paris, Economica, 2001, 4e éd., p. 624 ; v. S. Pierré-caps, « L’esprit des constitutions »,
in L’esprit des institutions, l’équilibre des pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet, Paris, Dalloz,
2003, p. 376 : « l’illustre gardien – authentique – du sens de la Constitution de 1958 en était aussi l’inspirateur ;
le général De Gaulle était l’esprit même de la Constitution et, de fait, lui seul pouvait en définir le sens ».
38
M.-A. Cohendet, « Légitimité, effectivité et validité », in La République. Mélanges en l’honneur de P. Avril,
op. cit., pp. 213-214.
39
M. Duverger, « La succession. Le testament de Louis XIV », in Le Monde, 14 septembre 1962.
40
V. en ce sens, J. Cadart, op. cit., p. 215 : l’interprétation gaullienne se présente comme un « raisonnement
spécieux [qui] camouflait à l’opinion mal informée et naturellement non juriste que les procédures de révision
assurant la rigidité de la constitution étaient ainsi réduites à l’inefficacité et par suite violées » ; Entretien entre P.
Avril et C. Coste, 4 septembre 1974, in C. Coste, op. cit., p. 454.
41
Duverger admettait volontiers que le « oui » est une étape dans la démocratie et qu’il ne fallait pas voter
« non » pour sanctionner la violation de procédure : v. M. Duverger, « La succession. I. Les fourches caudines »,
in Le Monde, 1er septembre 1962 : « En pratique, cela signifie que le processus de révision constitutionnelle
envisagé par le général est probablement le seul moyen, au moins à court terme, de doter la France d’institutions
politiques efficaces, sans lesquelles la République sombrera de nouveau dans des aventures » ; M. Duverger,
« Une pièce en deux actes », in Le Monde, 21 et 22 octobre 1962 : « Voter “non” le 28 octobre parce que le
général De Gaulle n’a pas respecté les procédures de révision constitutionnelle serait une absurdité. Cet
intégrisme juridique est aussi dangereux que l’autre » ; G. Berlia, art. cit., p. 943.
42
V. M. Duverger, « La validité du scrutin du 28 octobre », in Le Monde, 17 octobre 1962 : « Une fois que le
peuple se sera prononcé, on ne pourra plus négliger sa réponse » ; M. Duverger, « Une pièce en deux actes », art.
cit. : « Le vote populaire ne pourra être remis en question : nul artifice juridique ne permettra d’écarter le verdict
de la nation » ; G. Berlia, art. cit., p. 943 ; L. Hamon, « Note », D. 1963, p. 400.
37
10
B. LA NAISSANCE D’UN « REVIREMENT DOCTRINAL »
Si la thèse de la constitutionnalité de la pratique gaullienne a été très peu soutenue
jusqu’en 1962, les résultats du référendum ont modifié les discours doctrinaux et une nouvelle
donnée s’est alors insérée dans cette querelle juridique, la transformant en profondeur au fil
des années43. En prenant acte du « oui » au référendum, les juristes adoptent désormais une
attitude différente : ils ne cherchent plus nécessairement à « se battre » face à la pratique
gaullienne qui reste à leurs yeux – pour un temps – inconstitutionnelle44, mais à composer
avec la mutation constitutionnelle qu’elle a introduite. L’article de Lampué n’est alors plus
unique en son genre, mais il va apparaître comme propédeutique en permettant aux auteurs de
s’appuyer sur des éléments dont ils ne voulaient pas prendre conscience avant le référendum.
Sur le fond, peu d’auteurs reprennent à leur compte son raisonnement45, mais un revirement
doctrinal s’amorce : les discours doctrinaux se nuancent et la frontière entre constitutionnalité
et inconstitutionnalité de la pratique gaullienne s’estompe. Cadart a, semble-t-il, les mots
justes, pour décrire la situation de l’après référendum de 1962 : « on est […] en présence
d’une révision constitutionnelle inconstitutionnelle qui est effectivement appliquée »46.
De nouvelles explications à la constitutionnalité de la pratique gaullienne voient
également le jour, comme la thèse védélienne suggérant la création d’une coutume47, mais
aussi l’affirmation selon laquelle, le peuple, détenteur de la souveraineté, a couvert
l’irrégularité. Ces deux thèses partent d’une volonté commune : prendre en compte le vote
populaire. Elles cherchent à trouver une base juridique pour les futurs emplois de l’article 11
43
Dès 1963, on peut lire ce « genre » de propos : « en matière constituante comme en matière législative, le
recours préalable aux assemblées n’est qu’une des modalités possibles ». (L. Hamon, « Note », art. cit., p. 400).
44
Les articles parus après 1962 dans le journal Le Monde montre que la doctrine persiste majoritairement à
présenter comme inconstitutionnelle l’utilisation de l’article 11 afin de réviser la Constitution. V. M. Duverger,
« La carte forcée », in Le Monde, 22 et 23 décembre 1968 ; G. Vedel, « à propos de la réforme du Sénat. II. Le
droit, le fait, la coutume… », art. cit. : « [La] morale professionnelle du juriste […] commande en 1962 de dire
que le recours direct au référendum était inconstitutionnel ; elle lui commande en 1968 de dire que les textes ne
souffrent pas une autre interprétation » ; A. Hauriou, « Contre le viol des Constitutions », art. cit. ; M. Prélot,
« Sur une interprétation “coutumière” de l’article 11 », art. cit. Sur une position contraire, v. B. Chénot, « loi et
Constitution », in Le Monde, 4 avril 1969. Il constate : « La portée respectives des articles 11 et 89, quel que fût
son intérêt juridique, est dépassée. La révision de la Constitution par la voie de l’article 11 fait corps aujourd’hui
avec nos constitutions ».
45
Prélot souligne toutefois que : « le fait que l’article 89 qui régit la révision ne renvoie pas à l’article 11, et
réciproquement, n’a pas plus de signification que l’absence d’un tel renvoi réciproque dans les articles 45 ou
46 » (M. Prélot, J. Boulouis, Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit., p. 638).
46
J. Cadart, op. cit., p. 216.
47
Vedel a soutenu que le référendum de 1962 a créé une coutume qui habilite l’autorité politique à utiliser à
nouveau, et cette fois de manière régulière et constitutionnelle, l’article 11 afin de réviser la Constitution.
Anticipant la critique, il souligna notamment qu’en matière constitutionnelle, une coutume ne répond pas
nécessairement aux critères de droit commun notamment ceux de répétition et de continuité ; un seul acte peut
créer une coutume. V. G. Vedel, « À propos de la réforme du Sénat. II. Le droit, le fait, la coutume… », art. cit.
11
en tant que référendum constituant. Toutefois, une précision s’impose : si la doctrine, en
admettant que le peuple a couvert l’irrégularité, met en lumière un raisonnement fondé sur le
concept de souveraineté nationale, elle n’adhère pas pour autant à la thèse mise en avant par
De Gaulle, celle d’un peuple détenant de manière inconditionnée le pouvoir constituant48. La
doctrine souhaite, sans nier l’inconstitutionnalité originaire du référendum de 196249, apporter
une cohérence et une stabilité futures à l’ordre juridique. Au contraire, De Gaulle n’a cessé
d’affirmer la constitutionnalité de la procédure.
Il est à noter que ces deux thèses furent reçues de manière inégale au sein de la
communauté des juristes : en effet, si la thèse védélienne fut peu suivie50 (Vedel lui-même
finit par y renoncer51) et a été souvent critiquée, il en va différemment de celle soutenant que
le résultat positif au référendum de 1962 voile désormais l’irrégularité originaire52. Certains
juristes ont toutefois critiqué l’utilisation de cette expression en estimant que : « dire que les
violations de la constitution peuvent être couvertes par un vote majoritaire du peuple au
moyen d’un référendum, c’est renoncer à la notion de constitution, […] contrat fondamental
de la société qui précisément est une garantie pour tous, qui protège contre toute oppression et
même contre celle du peuple »53. Sur ce point, les discours sont ontologiquement assez
décevants et sémantiquement dangereux – quelques exceptions étant néanmoins à souligner54
48
V. « Entretien avec le général De Gaulle », in Le Monde, 12 avril 1969 ; R. Chapus, Cours de droit
constitutionnel et d’institutions politiques, Paris, Les cours de droit, 1969-1970, p. 242 : « On peut songer à un
rapprochement entre cette situation et la doctrine de Sieyès, professant que l’expression de sa volonté par le
peuple ne doit être assujettie à aucune procédure ; on dira qu’il est au fond légitime que la procédure instituée
pour permettre au peuple de se prononcer lui-même soit aussi simplifiée que possible, et, en tout cas, diffère par
sa simplicité de celles qui se rapportent à l’intervention des autorités constituées ».
49
G. Vedel, Introduction aux études politiques, op. cit., pp. 206 sq. : « Le référendum de 1962 […] avait
introduit dans la Constitution un élément nouveau de caractère coutumier consacrant pour l’avenir la procédure
de 1962, originairement inconstitutionnelle ».
50
Sur ce point, v. M. Duverger, G. Vedel, « L’article 11 et la révision de la Constitution », in Le Monde, 22 et 23
décembre 1968 ; M. Prélot, « Sur une interprétation “coutumière” de l’article 11 », art. cit. Sur des travaux
doctrinaux rejoignant la thèse védélienne, v. L. Hamon, Une république présidentielle ? Institutions et vie
politique de la France actuelle, Tome 1, Paris, Bordas, 1975, pp. 110-111.
51
V. G. Vedel, Introduction aux études politiques, op. cit., p. 207 : « Le vote négatif au dernier référendum –
celui de 1969 – a en quelque sorte effacé le précédent de 1962. Dès lors, on peut dire que l’on retrouve la
controverse dans son état primitif : un article 89 qui prévoit les modes de révision de la Constitution ; l’article 11
ne traite pas de la révision de la Constitution ». Sur une position contraire, v. L. Hamon, op. cit., p. 111 : le vote
négatif populaire n’ « est pas un désaveu de la procédure de révision constitutionnelle référendaire mais, […] un
refus de suivre le général De Gaulle ».
52
V. S. Velley, Histoire constitutionnelle française de 1789 à nos jours, Paris, Ellipses, 2009, 3e éd., p. 152 :
« L’opinion dominante estime cependant que la réponse positive du peuple souverain a permis de valider une
procédure irrégulière ».
53
J. Cadart, op. cit., p. 220.
54
G. Monnerville, « La lettre de M. Monnerville », in Le Monde, 8 novembre 1962 : « L’exercice de la
souveraineté nationale, que ce soit par les représentants du peuple ou par les électeurs consultés par voie de
référendum, n’est en effet légitime que dans le respect des règles et des procédures instituées par la
Constitution » ; Xx, « Le respect de la Constitution », art. cit. ; Y. Guchet, La Vème République, Paris,
Economica, 1994, 3e éd., p. 34.
12
–, car ils admettent une définition de la souveraineté comme une puissance ne trouvant aucune
borne, et étant en mesure de tout régulariser55. Or, deux notions doivent être bien distinguées,
celle de souveraineté et celle de puissance56. Le peuple est souverain, selon l’article 3 de la
Constitution, mais la souveraineté est l’expression d’un pouvoir de droit au contraire de
l’arbitraire ou de la puissance. La souveraineté reste donc limitée par le droit. Admettre que
rien ne serait au-dessus de la souveraineté du peuple et qu’il serait en mesure de tout décider
de manière incontestable, ce serait reconnaître que le régime n’est plus démocratique.
Depuis la fin de l’année 1962, cette idée que le peuple, détenteur de la souveraineté
nationale au regard de l’article 3 de la Constitution, a, par son vote positif, « couvert
l’irrégularité »57 occupe une place prépondérante dans les travaux doctrinaux, sans que la
substance même de cette expression n’ait été examinée. En effet, encore utilisée par la
doctrine contemporaine58, celle-ci ouvre pourtant un débat théorique majeur, car, loin de
simplifier le débat, elle conduit à s’interroger sur ce qu’elle signifie : quelle définition
apporter à l’expression « couvrir l’irrégularité » ? Est-ce rendre constitutionnel ce qui ne
l’était pas et, dès lors, valider a posteriori une pratique ? Ou est-ce légitimer une pratique
inconstitutionnelle sans la rendre pour autant constitutionnelle de manière permanente ? Une
véritable attention doit se porter autour de ces deux concepts de légitimité et de validité du
droit59, car même si leur connexité ne fait aucun doute, ils ne sont pas synonymes.
55
V. M. Comiti, « La volonté populaire vaut l’analyse de tous les juristes », in Le Monde, 22 avril 1969 : « En
matière de Constitution, il ne faut pas s’enfermer dans une querelle de juristes. La Constitution, c’est la
souveraineté populaire. Cette souveraineté le peuple l’a exprimée en 1962, lorsque, au moment où l’on disait que
le fait d’avoir recours à l’article 11 était anticonstitutionnel, il a répondu que cette interprétation de la
Constitution était la bonne » ; P. Avril, Les conventions de la Constitution, op. cit. , p. 82 ; P. Braud, La notion
de liberté publique en droit français, Paris, LGDJ, 1968, pp. 60-63.
56
V. notamment, R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Tome 1 (1920), CNRS,
1985, pp. 69 sq. ; G. Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, pp. 103 sq. citant la
définition de la souveraineté de Laferrière comme « un pouvoir de droit originaire et suprême ».
57
Nous constatons de manière curieuse (en raison de la richesse du vocabulaire français), que les auteurs
utilisent de manière systématique cette expression : v. M. Duverger, Institutions politiques et droit
constitutionnel, op. cit., p. 527 ; P. Braud, op. cit., p. 61 ; G. Berlia, op. cit., p. 105 ; P. Dabéziers, Cours de droit
constitutionnel et d’institutions politiques, Paris, Les cours de droit, 1979-1980, p. 441. V. également J. Cadart,
op. cit., p. 218 : il considère que les partis politiques ont également « couvert l’irrégularité » en participant aux
élections postérieures.
58
V. P. Ardant, B. Mathieu, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2012, 24e éd., p.100 ; T.
Debard, Dictionnaire de droit constitutionnel, Paris, Ellipses, 2002, p. 286. Sur l’utilisation d’expressions
similaires par la doctrine, v. M. de Villiers, T. de Berranger, Droit public général, Paris, Litec, 2010, 4e éd., p.
84 : « En approuvant la révision constitutionnelle qui lui était proposée, le peuple neutralisa par sa puissance
souveraine l’éventuel vice d’inconstitutionnalité ayant pu affecter la procédure » ; J. et J.-E. Gicquel, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 2012, 26e éd., p. 550 ; B. Mathieu, M. Verpeaux,
Droit constitutionnel, Paris, Puf, 2004, p. 231.
59
V. sur différentes conceptions de ces concepts, M. Troper, « Droit ou légitimité », in Le droit et la nécessité,
Paris, Puf, « Léviathan », 2011, pp. 47 sq. ; M.-A. Cohendet, « Légitimité, effectivité et validité », art. cit., pp.
201 sq. ; V. Constantinesco, S. Pierré-caps, op. cit., pp. 353-359.
13
Les positions des auteurs apparaissent ambiguës : le vote populaire a à la fois légitimé et
validé la pratique de De Gaulle. Légitimé, car le vote positif du peuple a admis que l’acte de
De Gaulle est conforme à la justice entendue largement, conforme à l’État de droit, à l’esprit
de la Constitution, notamment en raison du contenu du référendum proposé. Mais aussi
validé, car le pouvoir constituant originaire a tranché malgré l’irrégularité de sa saisine, et a
alors créé à terme du droit positif. Ainsi, les professeurs Gicquel soulignent en ce sens que
« si à l’origine, la procédure a pu être jugée contestable, l’adhésion populaire lui a conféré un
pouvoir irrécusable, en ce sens qu’elle a purgé le vice qui était de nature à l’entacher »60.
Il y a alors implicitement une régénérescence, une affiliation partielle61, sur ce point précis
à la conception duguiste du droit : admettre que le peuple a la capacité de couvrir une
irrégularité, c’est définir la règle de droit comme celle qui naît du fait social, celle qui émane
de la conscience du peuple62. Cette conception du droit traduit également la confusion
entretenue par les auteurs entre les concepts de validité et de légitimité, car l’expression
« couvrir l’irrégularité » renvoie, dans les travaux doctrinaux, parfois à l’un63, parfois à
l’autre64.
Après le référendum négatif de 1969, les travaux doctrinaux ont été très peu nombreux sur
la constitutionnalité de l’article 11 de la Constitution65. La querelle s’est donc apaisée en
raison d’une désuétude de l’utilisation de l’article 11 pour réviser la Constitution.
Cependant, dès 1977, le président Giscard d’Estaing relança le débat en soutenant
qu’« aucune révision de la Constitution n’est possible que si elle est votée en termes
identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat »66. Certains juristes ont toutefois émis l’idée
60
J. et J.-E. Gicquel, op. cit., p. 550 ; v. dans le même sens, C. Emeri, C. Bidégaray, La Constitution en France
de 1789 à nos jours, Paris, Armand Colin, 1997, p. 143.
61
Partielle, car Duguit souligne que : « Ce qui nous permet d’affirmer qu’à un certain moment une norme sociale
est une devenue norme juridique, c’est que la masse des consciences individuelles est arrivée à comprendre que
la sanction matérielle de cette norme peut être socialement organisée. » Or, en l’espèce, certes le peuple a
reconnu, par son vote, la pratique de De Gaulle mais, il ne semble pas que la violation de la pratique puisse être
sanctionnée, étant elle-même sujet à controverses.
62
V. L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, Paris, éd. de Boccard, 1927, 3e éd., pp. 65 sq. (précis. pp. 81-89).
63
V. certains auteurs qui estiment que le vote positif a validé la pratique gaullienne, H. Portelli, Droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 9e éd., p. 151 ; A.-M. le Pourhiet, Droit constitutionnel, Paris, Economica, 2013, 4e
éd., p. 325 ; J. Rossetto, « À propos de la stabilisation conventionnelle de la Ve République », RDP, 1998, p.
1500.
64
V. certains auteurs qui estiment que le vote positif a légitimé la pratique gaullienne, M. Morabito, Histoire
constitutionnelle de la France de 1789 à nos jours, Paris, Montchrestien,12e éd., 2012, p. 457 ; P. Fraisseix,
Droit constitutionnel, Paris, Vuibert, 2012, 5e éd., p. 59.
65
V. sur ce point, R.-G. Schwartzenberg, « Sur l’alternance », in Le Monde, 29, 30 et 31 octobre 1972 ; Criton,
« La nation », in Le Monde, 31 octobre 1972 ; B. Fessard de Foucault « Sur l’alternance : le référendum et la
révision de la Constitution », in Le Monde, 7 novembre 1972, et sur la même page, la réponse de R.-G.
Schwartzenberg.
66
V. Giscard d’Estaing, « Le président de la République rappelle les règles de révision de la Constitution », in Le
Monde, 10 novembre 1977.
14
que cette phrase n’était pas nécessairement une condamnation de la pratique gaullienne, et
que derrière le sens a priori évident de cette déclaration, « une ombre »67, « une énigme
présidentielle »68 existait encore. En 1988, le président Mitterrand participa également à
l’histoire constitutionnelle par des propos explicites et radicalement différents de ceux qu’il
avait tenus à l’époque gaullienne69 : « l' usage établi et approuvé par le peuple peut désormais
être considéré comme l'une des voies de la révision, concurremment avec l'article 89 »70.
L’interprète politique reconnaît donc le mécanisme référendaire de l’article 11 comme
procédure de révision constitutionnelle. Qu’en est-il de la doctrine ?
Deux exemples sont révélateurs d’une nouvelle tendance doctrinale, Prélot, qui
considérait à l’origine que l’article 11 de la Constitution ne pouvait être utilisé pour réviser la
Constitution, adopte une attitude plus nuancée dans son manuel datant de 199071. Le manuel
de Pactet et ses différentes éditions sont également des indices de ce revirement doctrinal : en
1969, dans sa première édition, il qualifie l’article 89 de « procédure normale » alors que
l’article 11 est appréhendé comme la « procédure inconstitutionnelle »72. Dès sa 3ème édition,
publiée en 1974, il est mentionné de manière plus tempérée le titre suivant : « la controverse
sur l’article 11 »73. Ces changements terminologiques sont les manifestations de certaines
tendances plus profondes : la pensée de Lampué qui a été stigmatisée comme la seule à mettre
en avant la constitutionnalité de la pratique gaullienne n’est plus désormais une pensée isolée.
Les rapports des comités Vedel (1993) et Balladur (2007) ont proposé de mettre fin aux
incertitudes, en inscrivant formellement la prohibition de l’article 11 à des fins de révision
67
G. Vedel, « Des rayons et des ombres », in Le Monde, 10 novembre 1977.
J.-M. Jeannemey, « Sur une énigme présidentielle », in Le Monde, 1er et 2 décembre 1977.
69
V. en ce sens, F. Mitterrand, Le coup d’état permanent, op. cit., p. 133 : « Je conteste au général De Gaulle la
légitimité et le droit […]. Qu’il ait violé la loi suprême, notamment en 1962, […] est connu de tous. Mais trop de
Français lui accordent encore l’excuse des circonstances ». Il note p. 138 : « Le général De Gaulle […] cherchait
à se défaire d’une tutelle qu’il jugeait insupportable, et à établir un dialogue immédiat avec le peuple, jugea
l’occasion favorable et utilisa le subterfuge de l’article 11 qui ne pouvait tromper aucun juriste et, disons le mot,
aucun honnête homme. Trompé, le peuple l’approuva ».
70
F. Mitterrand, « Sur les institutions », Pouvoirs, 1988, n° 45, p. 138 ; v. de manière plus générale sa position
sur la fonction herméneutique présidentielle, il souligne : « Le défaut de cette constitution est qu’elle laisse libre
cours à plusieurs interprétations dans des matières importantes […] mais c’est le Président qui tranche » (Le
figaro, 7 janvier 1986).
71
M. Prélot, J. Boulouis, op. cit., p. 639 : « Il n’est donc pas si certain que l’usage de l’article 11 en matière de
révision soit, du point de vue juridique, d’une inconstitutionnalité patente ».
72
P. Pactet, op. cit., p. 209.
73
V. P. Pactet, Institutions politiques droit constitutionnel, Masson-Armand Colin, 1974, 3e éd. entièrement
refondue, pp. 242, 504. De plus, il y a un passage dès 1988 du titre de « l’abandon de la voie
inconstitutionnelle » à « l’avenir de la voie inconstitutionnelle » (v. P. Pactet, Institution politiques, droit
constitutionnel, Paris, Masson, 1988, 8è éd. entièrement refondue, pp. 489-548.) Ce titre est toutefois supprimé
dans l’édition actuelle, P. Pactet, F. Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2012, 31e éd., p.
557.
68
15
constitutionnelle74. Pourtant, la lettre de l’article 11 mais aussi celle de l’article 89 restent, sur
le sujet qui nous préoccupe, inchangées. Ainsi, l’ambigüité persiste : la constitutionnalité
comme l’inconstitutionnalité sont donc des voies interprétatives possibles à revendiquer75.
Le paradoxe de la « quasi-unanimité » doctrinale sur l’inconstitutionnalité de l’emploi de
l’article 11 trouve donc son fondement dans l’adhésion de la doctrine à la théorie de l’acte
clair et dans sa croyance en la suprématie textuelle de la « nouvelle » constitution. La doctrine
contemporaine dévoile une interprétation bien différente : nous atteignons ici, semble-t-il, le
paroxysme d’un paradoxe quand celui-ci s’inverse profondément. Désormais, les travaux
doctrinaux sont chargés de neutralité et témoignent d’un passage de l’unanimité doctrinale sur
l’inconstitutionnalité de la pratique gaullienne à une potentielle constitutionnalité. La situation
s’est alors transformée : l’intolérable est devenu le tolérable, la procédure dite
inconstitutionnelle des années 1960 prend les traits d’une procédure dérogatoire,
exceptionnelle, cinquante ans plus tard. Si l’étonnement doit être ici souligné, notre démarche
veut aller au-delà et surtout, nous souhaitons comprendre ce bouleversement, en proposer les
raisons. En effet, comment expliquer ce revirement doctrinal, et surtout quelles conséquences
est-il possible d’en tirer quant au rôle du juriste face à l’histoire et à sa manière de narrer les
moments constituants ?
74
V. « Propositions pour une révision de la Constitution : rapport au président de la République », 15 février
1993, disponible sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000091/. (Consulté le
24.04.2014) Le comité propose que : « Le référendum ne puisse être utilisé pour une révision de la Constitution.
[…] La prohibition de cette pratique doit donc être mûrement réfléchie et, à vrai dire, ne peut guère se concilier
avec le maintien du statu quo en ce qui concerne la procédure de révision de l’article 89. […] Les deux textes
pour le comité sont solidaires l’un de l’autre. C’est pourquoi, politiquement et, dans un sens, même
juridiquement, l’exclusion du référendum sans intervention préalable du Parlement qui résulterait du texte
proposé pour l’article 11 est expliquée sinon conditionnée. » Le comité suggère alors de modifier également
l’article 89 (devenu l’article 82 dans le rapport), en y ajoutant notamment : « lorsque le projet ou la proposition
n’a pas été voté en termes identiques après deux lectures par chaque assemblée, le Président de la république
peut soumettre au référendum le texte adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés par l’une
ou l’autre des assemblées.» V. « Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage
e
des
institutions
de
la
V
République »,
disponible
sur :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/074000697/0000.pdf
(consulté
le
24.04.2014), pp. 75 sq.
75
V. H. Cohen, La problématique de la révision de la Constitution de 1958 entre l’article 89 et l’article 11,
Thèse, Université du Havre, 2005, pp. 323 sq. : « L’étude de la portée et de la valeur des différents arguments en
présence ne permettra pas de trancher le problème du bien-fondé de l’utilisation de l’article 11 en matière
constitutionnelle» ; F. Hamon, M. Troper, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2013, 34e éd., p. 503 : « La
controverse paraît donc indécidable pour ce qui concerne les référendums de 1962 et 1969 ».
16
II.
LA RÉHABILITATION DOCTRINALE DE LA PRATIQUE GAULLIENNE
Dans la notion de réhabilitation, plusieurs définitions se juxtaposent tout en se
conjuguant : d’une part, la réhabilitation peut s’apparenter à une restauration et d’autre part, la
réhabilitation peut être envisagée comme un dédouanement, une situation d’excuse76. La
réhabilitation doctrinale de l’interprétation gaullienne se manifeste par deux aspects, un aspect
négatif et un aspect positif : l’expression même de « violation de la Constitution » a disparu
des discours doctrinaux77 (A) et la doctrine reconstruit théoriquement son histoire et sa
mémoire constitutionnelles au regard de l’article 11 (B).
A. LA DISPARITION DE LA « VIOLATION DE LA CONSTITUTION »
À la suite d’un examen des manuels contemporains, plusieurs constats peuvent être
dressés : concernant la forme, il est à noter que les manuels consacrent peu de pages au sujet
de l’article 11 contrairement aux cours de droit des années 1960-1970. Cette diminution
quantitative est le signe d’un thème qui, à l’heure actuelle, n’intéresse plus la doctrine. Sur le
fond, les termes qualifiant la procédure de l’article 11 sont divers mais convergent vers une
même direction, celle d’une potentielle constitutionnalité. Quelques exemples peuvent être
intéressants à relever. Les manuels proposent les expressions suivantes pour désigner l’article
11 : un « bricolage institutionnel »78, une procédure/une utilisation contestée79, une procédure
exceptionnelle/d’exception80, une procédure qui a subi des controverses81, une procédure
concurrente82, une procédure non prévue par les textes83, une utilisation qui était contraire à
76
V° « Réhabilitation », in Le petit Robert, 2011.
V. sur ce constat, F. Savonitto, op. cit., p. 30 ; Sur quelques exceptions, v. C. Emeri, « Les déconvenues de la
doctrine », in O. Duhamel, J.-L. Parodi (dir.), La Constitution de la cinquième République, Paris, Presses de la
fondation nationale des sciences politiques, p. 77 ; V° « Révision », in R. Barrillon et al. (dir.), Dictionnaire de
la Constitution : les institutions de la Ve République, Paris, éd. Cujas, 1986, 4e éd., pp. 429 sq.
78
B. Chantebout, La constitution française, propos pour un débat, Paris, Dalloz, 1992, p. 59.
79
V. P. Ardant, B. Mathieu, op. cit., p. 99 ; D. Chagnollaud, op. cit., p. 303 ; K. Götzler, Le pouvoir de révision
constitutionnelle, Presses universitaire du Septentrion, 1997, p. 158.
80
V. C. Debbash et al., op. cit., p.623; P. Fraisseix, op. cit., p.59 ; O. Gohin, Droit constitutionnel, Paris, Lexisnexis-Litec, 2010, p. 662.
81
V. P. Pactet, F. Mélin-Soucramanien, op. cit., p. 557.
82
V. P. Foillard, op. cit., p. 183; J. et J.-E. Gicquel, op. cit., p. 550 ; D. Rousseau, A. Viala, Droit constitutionnel,
Paris, Montchrestien, 2004, p. 442 : MM. Viala et Rousseau mettent en avant l’idée de « la dualité des modes de
révision ».
83
V. L. Favoreu et al., op. cit., p. 771.
77
17
son texte même84 ou un « fait producteur de droit »85. Toutefois, deux catégories d’auteurs
défient la généralité exposée : en effet, certains auteurs, peu nombreux, continuent à soutenir
l’inconstitutionnalité86 alors que d’autres choisissent de ne pas qualifier la procédure de
l’article 11 tout en reconnaissant son existence87.
Une typologie peut être proposée montrant d’une certaine manière une échelle de
légitimation : si certains auteurs vont légitimer consciemment la procédure de l’article 11
comme une procédure de révision de la Constitution88, une grande majorité d’auteurs vont
légitimer la procédure en la banalisant, en la normalisant. Cette normalisation prend
traditionnellement trois formes qui ne sont pas nécessairement cumulatives : l’article 11 fait
l’objet d’un titre au sein du thème sur la révision de la Constitution dans les manuels, les
propos sont neutres et relatent de manière historique les contestations antérieures, mais aussi
les auteurs concluent à l’incertitude tant de l’inconstitutionnalité que de la constitutionnalité
d’une telle pratique et soulignent la présence d’une « constitutionnalité à éclipses »89. Ces
différents éléments semblent montrer une doctrine qui cherche à se calquer sur la réalité, mais
qui,
en
raison
d’une
réalité
incertaine,
oscille
entre
la
constitutionnalité
et
l’inconstitutionnalité de l’article 11 pour réviser la Constitution. Il est à penser que les
courants positivistes et notamment le réalisme sont partiellement à l’origine de l’apparition de
ces différents constats sur les discours doctrinaux.
Plus précisément, l’influence du positivisme se ressent sur deux points : le premier
concerne la neutralité des propos et le second, l’idée qu’une acceptation, au sens
philosophique du terme, est désormais ancrée dans les travaux doctrinaux. Avant tout chose, il
paraît nécessaire de revenir sur le sens du terme « positivisme » : Bobbio en recense trois, le
84
V. V. Constantinesco, S. Pierré-caps, op. cit., p. 351.
P. Blachèr, Droit constitutionnel, Paris, Hachette, « HU Droit », 2007, p. 25.
86
V. M.-A. Cohendet, Droit constitutionnel, Paris, Lextenso éd., Montchrestien, 2011, 5e éd., pp. 387-388 : « Le
recours à l’article 11 pour réviser la Constitution était tout simplement inconstitutionnel. On ne saurait prétendre
que ce procédé a été généralement admis ni qu’aucune tentative de sanction a eu lieu, puisque les parlementaires
ont renversé le Gouvernement pour manifester leur indignation. […] Ce n’est pas parce que l’on a pu réviser la
Constitution par le biais inconstitutionnel de l’article 11 que la Constitution a été modifiée (en ce qui concerne la
procédure de révision) ; L. Favoreu, op. cit., p. 772 : « Il semble toutefois difficile, au plan du droit, de
considérer l’article 11 pour réviser la Constitution comme conforme à celle-ci […] ».
87
V. H. Portelli, op. cit., p. 151 : « l’utilisation de l’article 11 » ; F. Hamon, M. Troper, op. cit., p. 501 : « la
révision en dehors du cadre de l’article 89 » ; J.-P. Jacqué, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris,
Dalloz, « mémentos dalloz », 2012, 9e éd., p. 162 : « la voie de l’article 11 ».
88
V. G. Carcassonne, La Constitution, Paris, éd. du Seuil, 11e éd., 2013, p. 99 : « Alors peut-être serait-ce pécher
que d’utiliser l’article 11 pour réviser la Constitution, mais si, par ce moyen, devait être définitivement réglée la
question de l’article 89, mériteraient d’être absous par avance ceux qui pécheraient pour la dernière fois » ; J. et
J.-E. Gicquel, op. cit., p. 550.
89
C. Debbash et al., op. cit., p. 623 ; v. également, G. Conac, « Les débats sur le référendum sous la Ve
République », Pouvoirs, 1996, n° 77, p. 104 : « Reconnaissons en tout cas qu’il est paradoxal que dans un pays
cartésien on ne puisse pas dire avec certitude quels sont les moyens constitutionnels de réviser la Constitution ».
85
18
positivisme comme un mode d'approcher l'étude du droit, comme une théorie et comme une
idéologie90. Nous ne nous intéresserons qu’au premier sens, c’est-à-dire nous souhaitons
participer à l’idée que le courant positiviste, en tant que volonté scientifique d’analyser le
droit tel qu'il est et non tel qu'il devrait être, est l’une des raisons de la neutralité des discours
doctrinaux sur l’article 11. Les auteurs décrivent juridiquement et historiquement la situation
de 1962 et retracent les arguments en faveur et en défaveur de la constitutionnalité de l’article
11 mais peu d’auteurs s’essaient dans le « devoir-être », peu d’auteurs cherchent une solution
permettant de mettre fin tant à l’ambiguïté qu’à la dangerosité de la situation. Une doctrine
minoritaire esquisse cependant une proposition intéressante à relever : l’idée d’un contrôle
préventif qui serait réalisé par le Conseil constitutionnel sur le contenu du référendum91. Si
l’ambigüité ne serait pas totalement supprimée, la dangerosité serait ainsi canalisée ; cela
permettrait également au Conseil constitutionnel de ne pas revenir sur sa jurisprudence
antérieure de 1962 et confirmée en 1992, celle affirmant son incompétence pour contrôler la
loi référendaire, expression directe de la volonté nationale.
Sur la neutralité même des discours, il est à signaler un écueil souvent relaté mais dont la
pertinence n’a jamais été atténuée, celle consistant à soutenir que décrire en toute neutralité,
c’est aussi adhérer implicitement aux propos exposés et se poser en potentielle caution du
pouvoir politique. En réhabilitant théoriquement une procédure, la doctrine pourrait être une
caution, une source de légitimité du pouvoir politique qui s’appuierait sur ses travaux afin
d’utiliser à nouveau l’article 11. Tout au contraire, nous pensons que la mission d’information
juridique doctrinale doit toujours se dresser comme une fonction critique, qui allie à la fois
description et prescription et ce, même sur une pratique désuète.
Ainsi, le postulat positiviste selon lequel l’interprétation authentique est à la fois
incontestable et la seule valide, car seul le droit positif est du droit, se dessine comme une
source de l’acceptation doctrinale contemporaine de la possibilité d’utiliser l’article 11 pour
réviser la Constitution. Plus précisément, c’est l’absence de sanction à la pratique gaullienne
qui a conduit la doctrine à reconnaître celle-ci92. En l’absence de sanction et en l’absence
90
N. Bobbio, Essais de théorie du droit, trad. fr. M. Guéret et C. Agostini, Paris, Bruylant LGDJ, « La pensée
juridique », 1998, p. 24.
91
V. sur ce point, S.-L. Formery, La Constitution commentée article par article, Paris, Hachette Supérieur, 2001,
6e éd., p. 37.
92
V. D. Chagnollaud, op. cit., p. 305 : « En tout état de cause, en l’absence de sanction juridique à l
“inconstitutionnalité” présumée de l’usage de l’article 11 […] l’interprétation du général De Gaulle s’impose » ;
D. Rousseau, A. Viala, op. cit., p. 442 : « Puisque cette démarche iconoclaste n’a été ni empêchée ni sanctionnée
par quiconque, on peut légitimement présenter de façon alternative deux façons concurrentes d’entreprendre une
révision sous la Vème République » ; J.-C. Maestre, « Remarques sur les procédures utilisées pour réviser la
Constitution en 20 ans de Vème République », in Études offertes à P. Kayser, Tome II, Puam, 1979, p. 224 : « Si
cette interprétation a pu s’imposer dans les faits, c’est qu’il n’existe aucun moyen juridique pour sanctionner
19
d’interprétation véritablement concurrente à la pratique gaullienne93, la doctrine va alors
l’accepter comme faisant partie de l’ordre juridique.
En philosophie, l’acceptation prend trois caractéristiques, qui en l’espèce sont bien
présentes : elle est volontaire, hypothétique et pragmatique. Volontaire, parce que la doctrine
a fait le choix, implicite (par banalisation) ou explicite (par légitimation), de consacrer
dorénavant la potentielle constitutionnalité de l’article 11 pour réviser la Constitution ou en
tout cas de ne plus la présenter, comme dans les années 1962, comme un procédé
inconstitutionnel. Hypothétique, car son acceptation reste théorique et celle-ci pourrait se
transformer si le pouvoir réutilisait en pratique cette procédure ; son caractère hypothétique se
conjugue ainsi avec son caractère temporaire. Enfin, cette acceptation est pragmatique, et
c’est ici que l’influence du réalisme produit en partie ses effets : par l’acception d’une
conception réaliste du droit, la doctrine admet que le paradigme du cadre constitutionnel dans
lequel existe les « bonne solutions » mises en évidence par l’acte de connaissance est à
remettre en cause. Il n’y a pas de cadre et donc pas vraies ou fausses interprétations et de fait,
pas de violation possible, car le droit naît de l’interprétation réalisé uniquement par un acte de
volonté94. Si la doctrine n’est pas nécessairement devenue partisane du courant réaliste, elle
admet désormais une nouvelle conception de l’interprétation et par là même de la
Constitution.
En effet, elle est consciente que « la Constitution formelle n’est et ne saurait être qu’un
support à partir duquel se déploie la vie constitutionnelle concrète, bref la Constitution
réelle » et que dès lors « l’écrit ne peut jamais être auto-suffisant »95. Il y alors un passage de
la vision exégétique/légaliste à la vision pragmatique de la notion de Constitution96. Ainsi,
l’éventuelle inconstitutionnalité ». Sur une position contraire, v. M.-A. Cohendet, op. cit., p. 388 : « Si pour des
motifs politiques, [les parlementaires] n’ont pas mis en œuvre la procédure d’accusation du Président pour haute
trahison, cela ne saurait signifier que la norme constitutionnelle n’existe pas ni que cette pratique a été validée.
Elle reste sanctionnable même si cette sanction n’a pas été mise en œuvre ».
93
Malgré l’avis du Conseil d’État et sa réitération, de l’inconstitutionnalité de l’article 11 afin de réviser la
Constitution, dans l’arrêt Sarran et Levacher, cette pratique reste possible et est soumise à la seule interprétation
du président de la République. V. CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, Recueil Lebon p. 368. Il
souligne : « seuls les référendums par lesquels le peuple français exerce sa souveraineté, soit en matière
législative dans les cas prévus par l’article 11 de la Constitution, soit en matière constitutionnelle comme le
prévoit l’article 89, sont soumis au contrôle du Conseil constitutionnel ».
94
V. notamment, M. Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in La Théorie du droit, le Droit, l’État,
Paris, Puf, « Léviathan », 2001, pp. 69-84 ; M. Altweg-boussac, Les changements constitutionnels informels,
Paris, Institut Universitaire Varenne, « collection des Thèses », 2013, pp. 183 sq.
95
A. le Divellec, « Un ordre constitutionnel confus. Indicibilité et incertitudes de la Constitution française », in
D. Chagnollaud (dir.), Les 50 ans de la Constitution. 1958-2008, études réunies par D. Chagnollaud, LitecLexisNexis, 2008, p. 156.
96
V. Y. Poirmeur, D. Rosenberg, « La doctrine constitutionnelle et le constitutionnalisme français », in D.
Lochak (dir.), Les usages sociaux du droit, Puf, 1989, pp. 242 sq. ; P. Avril, Les conventions de la Constitution,
op. cit., p. 7.
20
cette légitimation traduit que la Constitution n’est plus un mythe textuel à entretenir, elle ne
doit dès lors plus être considérée comme « un impératif intangible mais comme un texte que
l’on doit apprécier dans sa relativité et dans sa contingence »97. L’interprétation opportuniste
de De Gaulle réalisée en 1962 prend les traits d’une décision opportune ; il a dialogué avec le
peuple, par et au-delà des mots.
Les théories des actes du langage permettent de comprendre que la doctrine admet l’article
11 comme un procédé de révision constitutionnelle, car elle souscrit à l’idée selon laquelle un
énoncé vit au moment de sa concrétisation98, c’est-à-dire à partir du moment où il prend l’une
de ses potentielles significations99. Chaque expression possède un sens locutoire et un sens
illocutoire, lesquels sont associés et non pas opposés. La norme naît lors de l’interprétation
authentique : tout énoncé constitutionnel se présente comme un énoncé de type performatif, et
seul l’interprète autorisé est en mesure de choisir le sens qu’il souhaite lui attribuer100. La
normativité ne s’épuise donc pas dans la textualité, et la doctrine semble a priori - sur l’article
11- différencier désormais les deux concepts, contrairement à la doctrine des années 1960
centrée sur la lettre constitutionnelle. La contextualité et l’intertextualité doivent être
également appréciées afin de saisir une disposition constitutionnelle101.
Les travaux doctrinaux se sont donc modifiés, et il est à penser que cette transformation
n’est qu’une partie d’une modification d’envergure : une nouvelle approche du droit, de la
norme est en germe. Ainsi, Pierre Pactet estime qu’il semble nécessaire d’accueillir avec
intérêt « une constitution de type “alluvial”, faite des sédiments apportés par le temps et
l’histoire, même s’ils se contredisent parfois »102. Le temps et l’histoire deviennent alors des
97
P. Pactet, « La désacralisation progressive de la Constitution de 1958 », art. cit., p. 399 ; v. sur le changement
de sens des normes, O. Pfersmann, « De l’impossibilité de changement de sens de la Constitution », in L’esprit
des institutions, l’équilibre des pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet, op. cit., pp. 368-370.
98
Sur ce concept, v. notamment, L. Favoreu et al., op. cit., pp. 89 sq. ; A. Dyere, « Comprendre et analyser
l’activité décisionnelle des cours et des tribunaux : l’intérêt de la distinction entre interprétation et
concrétisation », Jus politicum, 2010, n° 4, Science du droit et démocratie.
99
P. Costa, « Histoire, théorie et histoire des théories », in C.-M. Herrera, A. le Pillouer (dir.), Comment écrit-on
l’histoire constitutionnelle ?, Paris, éd. Kimé, 2012, p. 34 : « Comprendre le sens d’un texte n’est pas une
opération simple et automatique : le texte n’est pas un écrin qui contient un et un seul significat univoquement
vérifiable par l’interprète ; c’est plutôt un tissu lexical complexe et disponible à de multiples attributions de sens
qui demandent l’intervention active et créative du lecteur ».
100
V. notamment, J.-L. Austin, How to do things with words, trad. fr. G. Lane, Paris, Seuil, 1970 ; O. Cayla,
« Austin John Langshaw » in O. Cayla et J.-L. Haléprin (dir.), Dictionnaire des grandes œuvres juridiques,
Paris, Dalloz, 2008, p. 17 ; O. Cayla, « Les juristes à l’épreuve du tournant pragmatique », in D. Rousseau (dir.),
Le droit dérobé, Paris, Montchrestien, « Grandscolloques », 2007, p. 41.
101
Olivier Cayla souligne dans son article qu’il existe encore dans les travaux de la doctrine contemporaine une
vraie croyance en l’association de la normativité à la textualité et dès lors une indifférence prononcée de la
pensée juridique française au regard du tournant pragmatique, v. O. Cayla, « Les juristes à l’épreuve du tournant
pragmatique », art. cit., pp. 43-46.
102
P. Pactet, op. cit., p. 399.
21
objets médiats d’étude pour le juriste et il faut se demander comment il les interprète, les saisit
et les organise.
B. LA RECONSTRUCTION THÉORIQUE
L’absence de pratique de l’interprétation gaullienne a transformé sa réception par la
doctrine et a ainsi effacé l’effervescence naguère constatée. Les moments de 1962 et 1969
sont alors relatés comme des pans de l’histoire politico-juridique française. Pourtant, il est à
penser que cette querelle juridique présente davantage qu’un seul intérêt rétrospectif. La
pratique de De gaulle a provoqué un changement constitutionnel103 qui ne fut certes pas suivi
par ses successeurs directs, mais rien n’interdit à un futur président de l’utiliser. En effet, la
non-effectivité de cette pratique ne lui retire pas sa légitimité, car celle-ci ne procède pas de
son caractère répétitif mais de son contenu même : l’appel au peuple, pouvoir constituant
originaire, pour participer à l’interprétation constitutionnelle. Une partie de la doctrine rejoint
en effet cette thèse et considère que, malgré la violation formelle de la Constitution,
l’utilisation de l’article 11 en 1962 a permis de pallier une anormalité constitutionnelle, celle
qu’une assemblée non représentative du peuple puisse bloquer une révision souhaitée par
celui-ci. La « violation » est alors désormais perçue comme axiologiquement conforme à
l’État de droit et à la démocratie104.
La doctrine affiche une pensée que l’on peut qualifier de restaurée : les travaux doctrinaux
ont conservé certaines bases posées en 1962 tout en les modernisant et en les contextualisant
au regard de l’époque contemporaine. Oscillant entre histoire et mémoire, entre rétrospection
et prospection, la réhabilitation doctrinale permet d’expliquer que la doctrine est tiraillée entre
plusieurs lignes temporelles : son passé, son présent et son avenir. Pietro Costa souligne en ce
sens que « la pensée juridique est l’objet et le résultat d’une opération qui est en même temps
historico-recognitive et théorico-constructive »105. L’histoire ne peut se passer de la théorie, et
la théorie de l’histoire, conception savignienne de l’historiographie106. La doctrine doit alors
103
V. sur ce concept la thèse de M. Altweg-Boussac qui étudie, sous un angle méta-théorique les changements
constitutionnels informels. Elle définit cette expression de la manière suivante : « il s’agit dans un même système
de constitution écrite, et en dehors de toute révision constitutionnelle, des phénomènes d’attribution par voie
interprétative d’une ou plusieurs signification(s) normative(s) de la matière constitutionnelle, distincte(s) de
celle(s) que contient le cadre de la constitution écrite » ( M. Altweg-boussac, op. cit., p. 45).
104
V. G. Carcassonne, op. cit., p. 99 ; F. Rouvillois, op. cit., p. 16 ; J. Waline, « Les révisions de la Constitution
de 1958 », in Droit et politique à la croisée des cultures. Mélanges en l’honneur de Philippe Ardant, Paris,
LGDJ, 1999, pp. 241-243.
105
P. Costa, art. cit., p. 27.
106
P. Costa, art. cit., p. 27 : « La théorie occupe […] dans l’historicisme savignien, un rôle central. L’objet de
l’histoire juridique est le droit, mais le droit n’est pas un ensemble de faits, mais un ensemble de normes unifié
22
prendre l’un et l’autre en compte afin de saisir au mieux son objet d’étude, le droit. Si la
doctrine va, d’une manière générale, dans un souci de vérité historique, rappeler les
évènements de 1962, elle va également prendre soin d’insister sur la désuétude de la pratique
gaullienne107. Cette nouvelle interprétation de la doctrine de l’emploi de l’article 11 est alors à
lier au temps, au temps de parvenir à la maturité de la pensée : la doctrine a pris du recul face
aux évènements passés108. Le contexte politique de 2014 ne ressemble plus à celui des années
1958 à 1962 ; il a été profondément bouleversé dès 1962 par l’apparition du fait majoritaire.
La violation commise par De Gaulle a alors, en quelque sorte, perdu son fondement qui était
de vouloir passer outre un veto du Sénat ou des chambres. Le président de la République
possède désormais une majorité tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Ainsi la potentialité
d’un blocage des chambres lors d’une révision de la Constitution par le biais de l’article 89
semble peu probable. Quelles difficultés a alors la doctrine à raconter l’histoire
constitutionnelle, son histoire constitutionnelle ? Sa lecture est nécessairement une nouvelle
lecture.
Si, pendant longtemps, l’historiographie générale n’avait pas les mêmes caractéristiques
que l’historiographie juridique, depuis les années 1970 et la réception française, plus ou moins
effective du linguistic turn109, les deux disciplines tendent à se rejoindre sur l’idée qu’écrire
l’histoire est avant tout une activité herméneutique, sujet à controverses, subjectivité et
pluralité des significations110. Une question se pose alors à tout chercheur souhaitant
s’intéresser au passé : quel rôle doit-il accorder au présent ?
Dans un souci de « vérité », certains chercheurs souhaitent bloquer les interférences du
présent. Toutefois, il semble qu’à cette prétention fait obstacle un écueil majeur, celui
d’oublier que le chercheur est ancré dans une culture, un État, des connaissances et croyances
du présent. Raconter l’histoire, c’est certes tenter d’établir des faits vrais antérieurs, mais c’est
aussi prendre conscience que l’histoire est une « connaissance mutilée », car nécessairement
relative et contingente111. L’historien comme le juriste est donc dans l’incertitude matérielle
de pouvoir reconstruire, de manière fiable et vraie, le passé. Une différence est à noter entre
par la science. […] La pensée juridique préside au double mouvement qui résout le droit en histoire et l’histoire
en droit : l’histoire du droit est (avant tout) l’histoire de ce que les juristes ont pensé autour du droit et pour cela
il s’unit sans solution de continuité avec la théorie juridique du présent ».
107
V. J.-P. Jacqué, op. cit., p. 163.
108
Sur les relations entre le temps et la doctrine, v. M. Nicod, « L’actualité et la doctrine », PA, 13 juillet 2005,
numéro spécial, n° 138, p. 31 sq ; D. Gutmann, « Rapport de synthèse », PA, 13 juillet 2005, numéro spécial, n°
138, p. 60 sq.
109
V. O. Cayla, « Les juristes à l’épreuve du tournant pragmatique », art. cit., pp. 38, 43-46.
110
V. en ce sens, P. Costa, art. cit., p. 31 sq.
111
P. Veyne, op. cit., p. 26.
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ces deux chercheurs : selon Paul Veyne, « il n’existe pas de méthode de l’histoire parce que
l’histoire n’a aucune exigence : du moment qu’on raconte des choses vraies, elle est satisfaite.
Elle ne cherche que la vérité, en quoi elle n’est pas la science, qui cherche la rigueur. Elle
n’impose pas de normes, aucune règle du jeu ne la sous-tend, rien n’est irrecevable pour elle
»112. À l’inverse, il existe plusieurs méthodes pour appréhender le droit : le droit ne cherche
pas la vérité, mais la justice ou encore la cohérence, d’où la pluralité des méthodes. La bonne
réponse que prônait Dworkin n’est qu’une illusion. Le droit impose des normes et pose
plusieurs règles du jeu (juridiques et politiques)113 ; l’irrecevabilité est alors possible à
soutenir. Le droit et l’histoire sont des disciplines autonomes mais qui s’enchevêtrent ;
toutefois, le juriste et l’historien n’ont pas le même angle de vue, ils n’ont pas les mêmes
besoins, car ils n’entament pas les mêmes quêtes épistémologiques. Ceci est partiellement
explicable par la distinction du devoir-être (Sollen) et de l’être (Sein)114 : le juriste décrivant le
droit, s’intéresse à la corrélation et notamment à la conformité entre ce qui « doit être » et ce
qui « est », alors que l’historien ne cherche que ce qui « est » et surtout ce qui « a été ». Le
devoir du juriste est de proposer une clé d’interprétation aux évènements passés pour pouvoir
en extraire des éléments pour le présent et l’avenir. Tout chercheur doit alors présenter les
faits, mais il apparaît que le juriste ne peut s’en contenter : son discours ne se centralise pas
autour d’eux.
De plus, l’entité doctrinale a également connu un changement générationnel qui entraîne
une narration nouvelle des évènements historiques, une narration qui est indirecte et
nécessairement incomplète115. Denis Baranger souligne en ce sens qu’« il est vrai que
l’histoire est écrite par des hommes qui vivent après, et qu’elle est avant tout la science, non
pas des choses passées, mais du rapport de ces hommes au passé, qui devient par là leur
passé »116. Cette affirmation permet de s’intéresser au concept de mémoire, et notamment à la
distinction entre mémoire brute et mémoire organisée117. En effet, les manuels de droit
constitutionnel mais aussi d’histoire constitutionnelle sont des illustrations et réappropriations
112
Ibidem, p. 25.
V. notamment, M. Troper, V. Champeil-desplats (dir.), Théorie des contraintes juridiques, Paris, BruylantLGDJ, « La pensée juridique », 2005.
114
Sur cette distinction, v. H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., pp. 13 sq.
115
V. P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, éd. du Seuil, 1971, p. 15.
116
D. Baranger, « L’histoire constitutionnelle et la science du droit constitutionnel », in C.-M. Herrera, A. le
Pillouer (dir.), Comment écrit-on l’histoire constitutionnelle ?, op. cit., p. 123.
117
V° « Mémoire », in A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Puf, 1999, 5e éd.,
pp. 607 sq. : La mémoire est « la conservation du passé d’un être vivant dans l’état actuel de celui-ci » ; il
rappelle la distinction mémoire brute/mémoire organisée de L. Dugas. La mémoire organisée se définit comme
l’« assimilation et interprétation du passé, qui implique une sélection, spontanée ou réfléchie, mais dans laquelle
interviennent en tout cas l’intelligence et l’activité finaliste de l’esprit ».
113
24
de la mémoire collective française118 : en tant qu’entité habilitée à dispenser des
connaissances, la doctrine se dresse entre son histoire et sa mémoire. Par ses travaux, elle
écrit/réécrit son histoire en présentant de manière factuelle et sélective les évènements de
1962, mais aussi, elle perpétue des représentations et sentiments du passé, de son passé119. La
doctrine entretient ainsi un lien avec son passé par le rappel des écrits doctrinaux antérieurs –
Lampué est par exemple souvent cité – ; la mémoire doctrinale est alors partiellement
sauvegardée par les lignes de la nouvelle génération. Malgré le revirement doctrinal, cela
montre qu’il y a une « extrême disponibilité du passé. Dans le fond ce passé, qu’on l’ait
oublié momentanément, qu’on ne l’ait pas oublié, qu’on l’ait refoulé, il est perpétuellement
disponible par toutes sortes de lectures, toutes sortes d’interprétations »120.
Paul Ricœur considère que la mémoire présente trois états : la présence, l’absence et
l’antériorité121. En l’espèce, la doctrine constitutionnaliste française est détentrice des
souvenirs de la Nation, des évènements politiques passés et en fait une transmission actualisée
entre passé et présent. Si l’emploi de l’article 11 pour réviser la Constitution est un fait
antérieur et désormais absent en lui-même du paysage politique français, ce changement
constitutionnel est pourtant bien présent et rappelé dans tous les manuels de droit
constitutionnel, notamment, car en résulte une conséquence majeure pour le système politique
français : le suffrage universel direct pour l’élection du président de la République. Cet
examen des récits doctrinaux relatifs à l’article 11 souligne en filigrane que la distinction
traditionnelle entre histoire et mémoire est plus artificielle que réelle dans certaines
situations : la doctrine oscille entre ces deux états sans qu’il soit réellement possible de les
différencier avec précision ; mémoire et histoire s’enchevêtrent bien plus qu’elles ne
s’opposent.
***
« Faire [la Constitution] est un art, qui s’inspire du passé, qui exige “science et
conscience” […]. Ainsi se construit le faisceau des acteurs qui participent à la naissance du
118
V. Notamment, M. Halbwachs, La mémoire collective, 2001, version électronique, disponible sur :
http://classiques.uqac.ca/classiques/Halbwachs_maurice/memoire_collective/memoire_collective.html (consulté
le 7 novembre 2013).
119
V. S. Caporal, Histoire des institutions publiques de 1789 à nos jours, Paris, Hachette Supérieur, 2005, p. 83 ;
S. Velley, op. cit., p. 152 ; J.-C. Zarka, L’essentiel de l’Histoire constitutionnelle et politique de la France (de
1789 à nos jours), Paris, Gualino-Lextenso éd., 2011, p. 89.
120
R. Robin, « Une juste mémoire, est-ce possible ? », in T. Ferenczi (dir.), Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?,
Paris, éd. complexe, 2002, p. 107.
121
P. Ricoeur, « Mémoire, Histoire et oubli », Esprit, Mars-Avril 2006, p. 21.
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droit, un pouvoir qui l’édicte, un Peuple qui l’accepte, une Science qui le formule »122. Les
mots de Jean Gaudemet résonnent ici avec justesse sur la querelle de l’emploi de l’article 11
pour réviser la Constitution : De Gaulle l’a édicté, le peuple l’a accepté, la science l’a
formulé. Cette formulation prend les traits d’un palimpseste : si, en 1962, la doctrine a
souligné que cette procédure était inconstitutionnelle en raison d’enjeux politiques mais aussi
de convictions théoriques, elle apparaît dorénavant plus nuancée en raison de la place centrale
qu’elle accorde à l’interprétation. La violation formelle de la Constitution en 1962 se dévoile
dans les manuels actuels sous les traits d’une procédure dérogatoire, concurrente ou encore
d’exception à celle de l’article 89. La doctrine contemporaine a alors relativisé les maux en
changeant les mots : le contexte politico-juridique a été bouleversé par l’apparition du fait
majoritaire qui a joué un rôle dans la nouvelle lecture doctrinale de l’article 11 de la
Constitution. Si le juriste n’est pas un historien, le juriste et notamment le constitutionnaliste,
est amené à être un Hermès-historiographe, un interprète situé aux croisements des disciplines
juridiques et historiques. 122
J. Gaudemet, Les naissances du droit, Le temps, le pouvoir et la science au service du droit, Paris,
Montchrestien, « Domat droit public », 2006, 4e éd., p. 373.
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