QUAND LES ENTREPRISES ENTRENT AU MUSEE DE SCIENCE
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QUAND LES ENTREPRISES ENTRENT AU MUSEE DE SCIENCE
QUAND LES ENTREPRISES ENTRENT AU MUSEE DE SCIENCE… LE PUBLIC EN PROFITE! Claude BENOIT Muséologue, communicatrice scientifique Présidente de Métamorphoses Claude Benoit inc. Montréal, Canada RÉSUMÉ De plus en plus les entreprises dans le domaine des sciences et des techniques participent à des expositions et à des événements organisés par les musées et les centres de sciences. Leurs contributions au développement de la culture et de l’éducation prennent des formes qui se distinguent du mécénat corporatif, et se manifestent par des apports importants en termes de ressources humaines et matérielles. Du point de vue des entreprises, les retombées sont importantes même si elles sont souvent intangibles: une meilleure visibilité des réalisations, une plus grande compréhension publique des champs d’action, un dialogue élargi autour d’enjeux majeurs, etc. Du point de vue des publics, les retombées sont directes et peuvent parfois changer le cours d’une vie grâce au contact direct avec les sciences et techniques que proposent les différentes interventions. Ces contacts viennent, par exemple, permettre une compréhension accrue des outils et des techniques qui habitent le quotidien, offrir une meilleure connaissance des produits sur le marché et en développement, proposer des échanges enrichissants avec les chercheurs et les professionnels. Il en résulte une conscience accrue de l’expertise québécoise et canadienne, et un sentiment de fierté et d’appartenance à cet égard. Du point de vue du musée ou du centre de sciences, la collaboration qui s’établit vient consolider les liens de partenariat, agrandir le cercle des «Amis» de l’institution et ainsi sécuriser les fondements de sa viabilité, tout en ouvrant la programmation des activités à des univers riches en expériences et en aventures. Cette communication viendra donc mettre en valeur différentes contributions d’entreprises dans le cadre d’initiatives concrètes et montrer les bénéfices que celles-ci et les publics-cibles retirent de leurs participations. PARTIR DU VECU 2 Sans le soutien des entreprises, plusieurs musées de sciences et de techniques, plus spécialement ceux orientés sur l’industrie, ne pourraient avoir la qualité et la quantité d’expositions qui font actuellement leur renommée internationale1. Les contributions des entreprises permettent des présentations interactives utilisant des technologies multimédias souvent dispendieuses à mettre au point et à acquérir, qui expliquent des principes, démontrent des applications technologiques et mettent en valeur les impacts sociaux des grands changements. La contribution des entreprises peut prendre plusieurs formes. Par exemple, en 1992, le South Street Seaport Museum de New York a reçu plus de 300 000 enfants dans le cadre d’un programme d’initiation à la biologie marine et à la construction maritime commandité par la Chase Manhattan Bank2. La US Space Academy de Huntsville (Alabama) a reçu en stage de formation en science et technologie de l’exploration spatiale des dizaines d’enseignants grâce au soutien de la compagnie Rockwell International3. Le Museum of History and Science de Louiseville4 à trouvé un partenaire important, la compagnie Colgate, pour documenter, organiser et financer une exposition sur la santé dentaire. Plus près de chez nous, depuis sept étés déjà, l’exposition scientifique et technique «Expotec» profite du soutien des entreprises dont la contribution prend la forme d’équipements de haute technologie, de collections d’objets et d’expositions récemment réalisées. Une telle participation des entreprises permet de réduire jusqu’à 40% les coûts de réalisation. Cette exposition accueille durant quatre mois, dans le secteur touristique du Vieux-Port de Montréal, plus de 250 000 visiteurs. Plusieurs thèmes, comme la santé (1988), les communications (1989), la musique 1. «Retaining Control: Exhibit Sponsorship at Science centers». Victor J. Danilov. Museum News. January/February 1988. p. 54-56. 2. «What Companies Are Doing – Education Special Report». Nancy Ramsey. Fortune. November 29, 1993. 3. Op. cit., 2. 4. «The Museum and the Corporations: New Realities». Lorraine Glennon. Museum News. January/February 1988, p. 36-43 3 (1990), les inventions (1993) et bientôt l’électricité (1994), se sont associés des entreprises tant locales qu’internationales. L’intérêt du partenariat avec les musées de sciences pour les entreprises est le fait que ces institutions projettent une image contemporaine et actuelle des sciences et des techniques. C’est l’attrait du changement, de l’innovation, de la participation au présent qui caractérisent les musées, qui font de l’association avec les entreprises une opération originale et stimulante. Cette communication veut faire le point sur les motivations qui sous-tendent et caractérisent la collaboration entre les musées de sciences et les entreprises, et mettre en valeur les facteurs de succès d’un partenariat fondé sur la satisfaction des besoins et des attentes des différents publics. Les musées de sciences sont des vitrines culturelles, économiques et sociales pour les entreprises Pourquoi des entreprises privées et publiques investissent-elles temps et ressources dans des événements scientifiques et techniques de masse, dans des institutions vouées à la conservation du patrimoine et à l’éducation du public? L’intérêt premier pour les corporations, selon nous, est de travailler avec une institution culturelle respectée et de gagner aussi de la visibilité. La commandite culturelle permet5 aux entreprises d’affirmer et d’influencer: • leur image publique, • leur soutien à la communauté, • leur visibilité, • la qualité de vie, • leur part du marché. 5. Étude sur le financement des arts et de la culture au Québec. Samsom Bélair Deloitte & Touche. Novembre 1990. 4 Plus spécifiquement la collaboration avec les musées de sciences constitue une occasion6 pour les entreprises: • d’établir des contacts personnalisés avec les consommateurs; • de promouvoir leurs produits: la vente, la démonstration, voire l’essai sur place par le public de ces produits ou technologies constituent des formes efficaces de promotion; • d’affirmer les valeurs et la vision de l’entreprise; • de fournir un service au public ou de l’y initier; • de mobiliser le public sur un enjeu ou un défi auquel elles s’adressent; • de mettre en valeur la créativité et l’expertise de l’entreprise et de ses travailleurs, en présentant leurs innovations; • de mettre en valeur, dans le cas des entreprises publiques et parapubliques, leur travail, d’expliquer l’utilisation des fonds publics, de faire connaître les efforts consentis par les instances gouvernementales pour améliorer la qualité de vie de la population; • de rejoindre indirectement, lorsque le public du musée n’est pas la clientèle immédiate, d’éventuels acheteurs par la sensibilisation des visiteurs (sensibilisation qui peut amener ceux-ci à réclamer un produit aux fournisseurs de services); • de montrer leur réseau de partenaires et de faire connaître les maillons de leur industrie; • de faire connaître leurs performances, progrès, innovations et découvertes; • de faire connaître leurs produits et services à leurs propres employés, fournisseurs et partenaires, lors de visites personnalisées, et dans cette optique, 6. Op. cit., 1. 5 les entreprises sont souvent plus intéressées à investir dans leur champ d’intervention au musée7; • de tout simplement aider, par altruisme, la communauté à laquelle elles participent. Les éléments énoncés précédemment nous font comprendre ici que la collaboration des entreprises aux activités du musée est plus qu’une affaire d’argent, c’est souvent une occasion d’exprimer publiquement que les affaires vont bien et que le grand public8 a raison d’avoir confiance, et de montrer, dans une plus large mesure, leur apport concret au développement social et économique du milieu. Participer à la vie d’un musée, une expérience profitable pour les entreprises L’expérience de travailler à la réalisation d’un événement ou d’une exposition avec les musées de sciences laisse les entreprises souvent épuisées, mais grandies de multiples façons. Pour s’être rapprochées du quotidien des visiteurs – allant parfois jusqu’à remettre en question avec eux leurs produits, techniques et méthodes – elles deviennent dorénavant plus ouvertes à un dialogue permanent avec le public consommateur. Pour avoir été confrontées à l’impact public d’une telle manifestation, elles sont plus conscientes des enjeux et de l’importance du développement de la culture scientifique et technique. Pour avoir fait face à un événement qui a des exigences élevées de performance en termes d’efficacité communicationnelle et muséographique, de qualité et de fiabilité des moyens et matériaux, d’intégrité et d’accessibilité des contenus, pour avoir éprouvé, en un mot, les impondérables et les défis associés au transfert d’une information complexe vers le plus grand nombre, elles peuvent dorénavant mieux apprécier le sens de l’intervention muséologique et elles sont mieux outillées pour s’y investir à nouveau. 7. Op. cit., 5. 8. «Le boom du mécénat culturel». Le Monde. 26/04/90 in: Étude sur le financement des arts et de la culture au Québec. Samsom Bélair Deloitte & Touche. Novembre 1990. 6 La vie interne de l’entreprise, enfin, bénéficie de cette expérience unique, grâce à la synergie développée entre ceux et celles ayant œuvré ensemble pour participer à un événement qui a mis en valeur leur travail et leur compétence collective. Enfin, un sentiment d’appartenance9 peut s’être développé autour du fait de savoir que le temps et les ressources investis ont été bien utilisés et appréciés, et surtout, qu’il en restera quelque chose, qu’il y aura une continuité tangible aux efforts et aux énergies déployés. Les entreprises sont des collaborateurs à apprécier et à apprivoiser D’entrée de jeu, il faut dire que les musées de sciences doivent aborder les entreprises avec leurs propres règles du marché10, c’est-à-dire donner aux entreprises ce qu’elles veulent! Les musées, à côté des enjeux sociaux qui attirent l’attention du public, comme l’analphabétisme, la pauvreté, l’abandon scolaire, les sans-abri, le sida, la violence faite aux femmes et aux enfants, peuvent paraître superficiels pour une entreprise qui cherche à consolider son image dans la communauté par un programme d’aide. Mais les musées doivent reconnaître et faire valoir qu’ils offrent quelque chose que les autres entreprises communautaires n’offrent pas, la visibilité d’une association à une institution publique liée au plaisir et à l’éducation. Les musées de sciences sont des attractions pour plusieurs entreprises. Les musées peuvent profiter de la fascination de l’outil, de la machine, de la performance de ces extensions de la main de l’homme pour stimuler la curiosité et susciter leur intérêt, mais elles doivent aussi les informer si ce n’est les investir11 de leur mission et de leurs objectifs et les faire participer au travail du musée. 9. «La gestion des ressources en information dans les musées canadiens». Victoria Dickenson. Document d’information à l’intention du groupe de travail sur la politique des musées. Juin 1988. 10. Op. cit., 4. 11. «The Business of Creating a Partnership». Museum News. January/February 1988. 7 Il faut harmoniser les motivations12 altruistes et affairistes des entreprises pour réussir une opération de partenariat. Montrer qu’il s’agit à la fois d’une affaire de marketing dont les retombées sont importantes au plan tant économique que culturel, et en même temps, qu’elles participent au financement de la vie, voire de la survie du musée, car leurs contributions servent à payer des salaires, à faire travailler des gens13. Par ailleurs, les entreprises de haute technologie, les industries, etc. sont constamment en évolution, il faut les suivre. Ces dernières années elles ont vécu une transition en termes d’administration. Elles sont passées du management fondé sur les individus vers un management plus corporatif, ce qui a professionnalisé et décentralisé les décisions d’affaires, de même que les décisions de soutien corporatif. Aujourd’hui, on s’adresse beaucoup plus à une institution14 qu’à un individu au sein de la corporation pour le financement et le soutien aux activités du musée. Il faut donc bien connaître les intérêts des entreprises, leur secteur de développement commercial, leurs nouveaux produits et en arriver à établir le partenariat sur la base d’intérêts communs15, dans le cadre de retombées politiques et stratégiques que peuvent générer leurs contributions. Par ailleurs, les musées doivent être clairs dans leurs demandes, les enjeux et les risques doivent être connus, les entreprises n’appréciant pas être placées au centre d’une controverse16. Enfin, prendre le temps qu’il faut. Les entreprises ont besoin de temps pour prendre une décision, piloter le projet à l’interne et apprécier les retombées globales du projet17. 12. Op. cit., 4. 13. Op. cit., 11. 14. Op. cit., 4. 15. Op. cit., 4. 16. «The Medici and the Multinationals». Mark Lilla, Isabelle Frank. Museum News. January/February 1988, p. 3-35. 17. Op. cit., 11. 8 Ajoutons qu’il est aussi important de s’adresser à tous les genres d’entreprises autant aux PME qu’aux multinationales. Les PME, investissent dans leur communauté là où elles interviennent. Même chez les donneurs majeurs, les filiales deviennent de plus en plus autonomes et s’activent à dynamiser leur partenariat régional18. Les entreprises locales ont tendance à entretenir des liens plus étroits avec la collectivité et les organismes culturels19. Mieux connaître les entreprises est une expérience profitable pour les visiteurs des musées de sciences Le partenariat des entreprises est déterminant pour plusieurs musées de sciences, car il représente un pourcentage important des ressources investies dans la mise sur pied d’une exposition. Mais au-delà de l’institution, c’est le public servi par les musées qui en ressort gagnant à plusieurs titre. Les visiteurs, jeunes et adultes, en retirent de multiples bénéfices: • un contact direct avec les sciences et techniques qui se font; • une compréhension accrue des appareils, équipements et méthodes offerts: comment ça marche, à quoi ça sert…; • une meilleure connaissance des produits sur le marché et en développement: ils ont souvent pu les tester et s’en faire une opinion; • un échange enrichissant avec les chercheurs et professionnels témoignant de leur passion et expliquant leur parcours personnel; une conscience accrue des liens existant entre le travail des scientifiques et leur propre réalité quotidienne; la démythification du caractère élitiste ou inaccessible souvent associé aux sciences et aux techniques; • le plaisir et la fierté d’avoir témoigné de leur expérience personnelle d’usages liés aux sciences et aux techniques; d’avoir osé manipuler, observer, expérimenter; d’avoir commis des jugements; 18. Op. cit., 4. 19. Op. cit., 9. 9 • une conscience accrue de la compétence nationale et internationale, et le développement d’un sentiment de fierté et d’appartenance à cet égard. Les enjeux du partenariat Certaines entreprises perçoivent encore les musées comme ennuyeux et de peu d’intérêt du point de vue commercial. Il est nécessaire que la communauté muséale projette une meilleure image si on veut notamment que les commanditaires augmentent20. L’argent appelle l’argent. Une bonne campagne de financement repose sur la force du musée. Les fonds publics sont particulièrement importants pour de nombreux musées en raison de l’incitation qu’ils constituent pour d’autres donateurs privés21. De plus, il faut profiter des contributions obtenues pour une intervention précise et les inscrire dans une collaboration récurrente, pour notamment consolider le réseau des «Amis du musée». Questions de censure. Une des limites à la participation des industries aux activités des musées de sciences est le fait que ceux-ci doivent présenter les limites et les promesses dans ces domaines, et que souvent les entreprises se trouvent confrontées22. En général les entreprises font confiance23 aux musées et aux professionnels, elles leur laissent carte blanche. Lorsqu’il y a censure, c’est surtout celle exercée par le musée et ses professionnels, et les équipes doivent prendre garde de trop se défendre de l’ingérence des entreprises. Ce qu’on observe aussi souvent c’est la difficulté des musées à présenter leurs projets dans des termes et selon des approches compréhensibles par l’univers des entreprises, une difficulté à positionner24 leurs projets dans des perspectives différentes de celles qu’elles utilisent normalement. C’est une question de langage et de communication. 20. Op. cit., 9. 21. Op. cit., 9. 22. Op. cit., 11. 23. Op. cit., 4. 24. Op. cit., 11. 10 La stratégie est donc ici de poser clairement les limites du musée, d’envisager la participation des entreprises au développement des contenus et des moyens sur la base et à partir de comités aviseurs où tous les intervenants sont impliqués, et où le musée garde son droit de veto. L’utilisation des produits des entreprises dans les expositions où lors de présentations, n’aura, dans cette optique, souvent pour but que d’illustrer un point de vue, une réalisation explicite25. Trop commercial? Souvent on juge que les expositions présentées par les musées de sciences en collaboration avec les entreprises, sont trop commerciales, biaisées au niveau des contenus et des enjeux, subjectives et défendant le point de vue des entreprises plutôt qu’une vision impartiale26. À ce titre, il est important de distinguer entre les commandites des sociétés et les dons des entreprises. Les dons proviennent d’un budget limité réservé à des «fins philanthropiques», alors que les commandites proviennent d’un budget de marketing qui dans certains cas peut paraître illimité27. Les contributions sont plus ouvertes et libres d’attaches lorsqu’elles proviennent du comité des dons ou d’une fondation parce qu’elles sont vues comme des services à la communauté, comme une initiative d’éducation ou un acte de générosité. Lorsqu’elles viennent du budget de marketing ou de publicité, les contributions sont souvent liées à l’augmentation ou à l’information d’une part du marché et elles sont donc souvent attachées à des objectifs de performance précis28. Il faut donc savoir à qui on s’adresse, d’où l’argent vient et fixer clairement les conditions. L’usure du temps. Pour éviter les déceptions, il faut aussi penser à associer le commanditaire à l’entretien et à l’opération des expositions et des objets. En fait, il faut prévoir dès la signature de l’entente une forme de participation d’une durée de trois à cinq ans par exemple, car les coûts d’entretien des expositions 25. Op. cit., 1. 26. Op. cit., 1. 27. Op. cit., 9. 28. Op. cit., 1. 11 interactives et multimédias sont importants, et les partenaires souvent déçus face au manque de suivi des musées qui restent sans moyens, après quelques mois ou quelques années d’opération29. Ajoutons aussi que les entreprises, en participant à une exposition temporaire, peuvent envisager de réutiliser des unités d’exposition pour d’autres présentations ou proposer à nouveau le contenu de leurs activités d’animation à des écoles, des centres communautaires ou des centres commerciaux, etc. Tous ces enjeux posent un défi à la créativité de la collaboration entre les musées et les entreprises. Le partenariat doit se réaliser, selon nous, dans la perspective d’optimiser le retour sur les investissements et assurer une continuité au travail accompli, car les retombées sont ici sans prix! 29. Op. cit., 1.