Sécurité sociale : le retour du déficit, et comment y faire face
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Sécurité sociale : le retour du déficit, et comment y faire face
REPÈRES ET TENDANCES COMPTES COMPTESNATIONAUX PUBLICS Sécurité sociale : le retour du déficit, et comment y faire face FRANÇOIS MONIER* A Sociétal N° 39 1er trimestre 2003 Après trois années d’excédents, les comptes sociaux sont retombés dans le rouge. Le déficit actuel se concentre sur l’assurance maladie, dont les dépenses augmentent beaucoup plus vite que celles des autres branches. Il faut rétablir l’équilibre avant que ne s’amorce, à partir de 2005-2006, l’accélération des charges de retraites. Au-delà des expédients habituels, c’est tout le financement de la Sécurité sociale qui devra être réformé si l’on veut sauver l’essentiel du système. Objectifs préalables : clarifier les circuits, adapter les ressources des quatre branches à des dynamiques de dépenses différentes, mieux prendre en compte les cycles économiques dans la gestion financière de la Sécurité sociale. Propositions pour y voir plus clair. situation inquiétante n'est pas facile à comprendre par l'opinion publique. Un jour, des excédents sont annoncés qui donnent à penser que la situation est bonne, mais quelques mois plus tard des déficits réapparaissent et tout semble à refaire. Première explication : les excédents des dernières années ont été très modestes ; obtenus dans une conjoncture salariale exceptionnelle, ils ne pouvaient résister à l'apparition de conditions économiques moins favorables. C'est ce qui s'est passé en 2002 avec la conjonction d’un ralentissement des recettes et d’une accélération des dépenses d'assurance maladie, lesquelles connaissent actuellement des taux de progression exceptionnellement rapides. L Ces évolutions mettent la Sécurité sociale en situation difficile. Le système replonge dans le rouge sans disposer d'aucune réserve de trésorerie, et avec la perspective désormais toute proche (à partir de 2005) d'une accélération progressive des dépenses de retraite qu'il faudra bien financer. a Sécurité sociale a connu au cours de la décennie 90 des déficits très importants. Son rééquilibrage, difficile, a pris plusieurs années. Il a débouché entre 1999 et 2001 sur trois exercices excédentaires qui ont donné l’impression d’un rétablissement durable. Mais la situation s’est à nouveau fortement dégradée en 2002, et le déséquilibre entre dépenses et recettes s’annonce important en 2003. Ce passage brutal de résultats apparemment satisfaisants à une * Secrétaire général de la Commission des comptes de la Sécurité sociale. 10 SÉCURITÉ SOCIALE : LE RETOUR DU DÉFICIT, ET COMMENT Y FAIRE FACE LES TROIS GRANDS FONDS DE FINANCEMENT : FSV, FOREC, FRR Le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), créé en 1993, est chargé du financement « des avantages vieillesse à caractère non contributif relevant de la solidarité nationale ». Ses dépenses (12,5 milliards d’euros en 2002) sont des transferts aux régimes de retraites, dont un peu plus de 80 % vont à la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Il prend en charge les allocations correspondant au minimum vieillesse, les majorations de pensions pour enfants et pour conjoint à charge, ainsi que des cotisations forfaitaires au titre de périodes validées gratuitement par les régimes de base de retraite (principalement le chômage). La principale recette du Fonds est la CSG (au taux de 1,05 % depuis 2002). Le Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC), créé par la loi de financement pour 2000, a pour mission de compenser aux régimes de base de Sécurité sociale les pertes de cotisations liées aux mesures générales d’allégement de charges sociales et à la réduction du temps de travail. Il s’est partiellement substitué à l’Etat pour le remboursement des exonérations qui avaient été créées dans les années 90. Ses dépenses, dont la croissance est soutenue, s’élèvent à 15,5 milliards d’euros en 2002. Ses recettes se composent d’impôts et taxes dont la plus grande partie étaient antérieurement affectés au budget de l’Etat ou à la sphère sociale (régime général et FSV). Les droits de consommation sur le tabac représentent la moitié de ces ressources. Comme celles du FSV, les recettes et les dépenses du fonds doivent être équilibrées. Le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), instauré par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999, est d’une nature différente des deux précédents. Il vise à la constitution de réserves pour le financement des retraites à long terme. Ses ressources sont indisponibles jusqu’en 2020. Elles sont très diverses : excédents de la Caisse nationale d’assurance vieillesse et du FSV, prélèvements de nature fiscale, produits des licences UMTS, fraction de recettes de privatisation.A la fin de 2002, les réserves accumulées par le Fonds s’élèvent à 13 milliards d’euros. LA VOLATILITÉ DES RECETTES D ’une façon générale, et même si les évolutions récentes sont plus complexes, les variations du solde de la Sécurité sociale sont surtout liées à la volatilité des recettes. Mais leur perception par l’opinion publique est amplifiée par une illusion d'optique. En gros, les dépenses suivent des tendances lourdes liées à la démographie et au progrès technique, beaucoup moins à la conjoncture économique. En face de ces dépenses, les recettes présentent, elles, un caractère cyclique très prononcé puisqu’elles sont, pour une très large part, assises sur la masse salariale privée (à 70 % pour le régime général). Aux fluctuations de la croissance du PIB s’ajoutent celles de la part des salaires dans la valeur ajoutée : elles ont souvent accentué les premières au cours des vingt dernières années. Sur cette période, la variation annuelle de la masse salariale en termes réels a oscillé entre – 2,7 % (en 1993) et + 4,9 % (en 2000), selon des cycles d’une durée moyenne de quatre ou cinq ans, et avec une longue phase de quasi stagnation entre 1990 et 1997 (+ 0,7 % en sept ans). Ce sont principalement ces fluctuations des recettes qui font les déficits et les rares excédents de la Sécurité sociale. Les dépenses ont une évolution plus régulière, si l’on excepte certains changements de rythme dont l’envolée actuelle des charges d’assurance maladie est un bon exemple. L’illusion d’optique tient au fait que le solde financier de la Sécurité sociale évolue autour de l’équilibre, et qu’on accorde au franchissement du point « zéro » une importance peut-être excessive. Pour une même variation de 0,5 point de PIB, l’impression de dégradation sera plus forte lorsque le solde passera de + 0,3 % du PIB à – 0,2 % que, par exemple, lorsque le déficit budgétaire passe de – 1,5 % à – 2 % du PIB. Dans le premier cas, l’opinion s’émeut du retour du « trou de la Sécu », alors qu’une augmentation du déficit budgétaire de même ampleur passe relativement inaperçue. Ainsi, de 1998 à 2002, le régime général est passé du déficit à l’excédent, puis à nouveau au déficit, donnant l’impression de variations considérables. En fait, le solde est resté sur cette période de cinq années dans une bande ayant pour valeurs extrêmes – 3,3 milliards d’euros et + 1,1 milliard d’euros, soit une amplitude de 4,4 milliards, représentant environ 2 % des dépenses du régime (220 milliards d’euros en 2001) et 0,3 % du PIB, ce qui n’est pas considérable. QUATRE BRANCHES ET TROIS FONDS A vant d'entrer dans un plus grand détail, il faut préciser de quoi on parle. La Sécurité sociale est en effet composée d’une mosaïque de régimes, dont le principal est le régime général des salariés, qui comporte quatre branches : retraite, maladie, accidents du travail, famille. Sociétal N° 39 1er D’autres régimes importants concernent les professions non salariées pour les risques vieillesse trimestre 2003 11 REPÈRES ET TENDANCES et maladie, et les régimes spéciaux (fonctionnaires, grandes entreprises nationales) qui interviennent essentiellement dans le domaine des retraites. Il ne sera question ici que du champ des lois de financement de la Sécurité sociale : régimes de base et fonds de financement qui ont pris une grande importance au cours des dernières années (Fonds de solidarité vieillesse ou FSV et Fonds de réforme du financement des cotisations patronales ou FOREC). Les régimes de retraite complémentaire et l’assurance chômage sont laissés de côté 1 . Ces organismes, qui sont gérés paritairement par des représentants des employeurs et des salariés, relèvent en effet de logiques différentes. En fait, le champ d’examen de la situation financière peut être restreint au seul régime général, puisque celui-ci détermine très largement le solde financier de l’ensemble des régimes de base, la plupart des autres voyant leur équilibre financier assuré par des dispositifs spécifiques : intégration au régime général, subvention de l’Etat, attribution de ressources fiscales pour les régimes de non salariés. Ainsi, le résultat financier du régime général vaut, peu ou prou, pour l’ensemble des régimes 1 Ils font cependant de base. Au-delà de son poids partie des administrations de dans le total (environ 70 %), Sécurité sociale au cette caractéristique justifie l’imsens de la portance qu’on lui donne dans comptabilité les commentaires. nationale et des critères de finances publiques du Traité de l'Union européenne. Sociétal N° 39 1er trimestre 2003 12 Depuis le début des années 90, la Sécurité sociale a été plus souvent déficitaire (neuf fois sur douze) qu’excédentaire. Plus grave est le fait que le montant cumulé de ses déficits ait été beaucoup plus élevé que celui des excédents (50 milliards d’euros contre 2). Cette forte asymétrie est une donnée nouvelle. Jusqu’à la fin des années 80, les phases d’excédents et de déficits alternaient et se compensaient à peu près au fil du temps. Les déficits étaient moins importants qu’aujourd’hui et les pouvoirs publics réagissaient plus rapidement pour les combler. Ce fut le cas sous la gestion de Raymond Barre, mais aussi avec ses successeurs au début des années 80. Ainsi, il est remarquable de constater que la situation économique très défavorable des années 1983 à 1985 (la masse salariale avait baissé en termes réels) n’avait pas empêché la constitution d’excédents substantiels, au prix, il est vrai, de fortes hausses de cotisations. Les gouvernements de l’époque avaient réagi vite et fort. Il n’en est plus de même depuis une dizaine d’années. LES EXCÉDENTS STIMULENT LES DÉPENSES L es excédents, quand ils apparaissent, sont systématiquement écrêtés, ce qui n’arrange pas les choses. En 1990, à l’issue de la précédente phase de haute conjoncture, le régime général était à l’équilibre. Plus récemment, les excédents auraient été spontanément beaucoup plus importants sur les années 1999 à 2001, période marquée par une conjoncture exceptionnelle. La masse salariale en termes réels a augmenté de 4,2 %, 4,9 % et 4,8 % au cours de ces trois années, une séquence sans précédent depuis la fin des Trente glorieuses. Dans ce contexte favorable, le solde du régime général a été « géré » en permanence de manière à rester légèrement positif. Certes, il faut rendre justice au gouvernement de l’époque d’avoir, pour la première fois, mis en réserve une partie du surcroît de recettes en vue du financement à long terme des retraites, au sein du FRR. Mais le reste a été consacré au financement de dépenses nouvelles. Il ne s'agit pas de contester le bien-fondé des mesures prises, dont la plupart étaient très utiles, mais de souligner qu'elles ont pesé sur les résultats COMPTES PUBLICS et la trésorerie du régime général, qui s’est trouvé démuni au moment du ralentissement conjoncturel. Les dispositions des lois de financement ont été dosées de manière à conduire à un excédent annuel de l’ordre du milliard d’euros. Le périmètre d'intervention du régime général a été élargi au financement de nouvelles dépenses d'indemnisation, notamment pour les victimes de l'amiante ou d'accidents thérapeutiques. En cours d’année, les « bonnes surprises » enregistrées sur les recettes étaient généralement consommées par un supplément de dépenses d’assurance maladie, dérapage vraisemblablement favorisé par l’aisance financière du système. Enfin, usage contesté par l'ensemble des partenaires sociaux, une partie du supplément de recettes a servi à financer les allégements de cotisations en faveur de la réduction du temps de travail, par la réaffectation de certaines taxes du régime général (et plus encore du FSV) au FOREC. Cette gestion a été pour le gouvernement un moyen de couper court aux revendications, toujours promptes à se manifester dès qu’apparaît le plus petit signe d’excédent. On croyait le problème financier de la Sécurité sociale résolu pour un temps, alors qu’au point le plus haut du cycle économique l’équilibre était tout juste assuré. La répétition du phénomène à une dizaine d’années d’intervalle montre qu’un tel réglage est l’objet d’un large consensus. Il existe heureusement une différence entre les deux périodes : le début de la constitution de réserves à long terme pour les retraites. CONSTITUER DES RÉSERVES EN PÉRIODE FAVORABLE A insi, depuis une quinzaine d’années, un nouveau mode de gestion de la Sécurité sociale s’est instauré, qui conduit à une forte dissymétrie entre des déficits SÉCURITÉ SOCIALE : LE RETOUR DU DÉFICIT, ET COMMENT Y FAIRE FACE très importants et des excédents très modestes.Du coup,les premiers se manifestent pleinement alors que les seconds sont contenus. moyens de financement, qui ont été conçus pour répondre à des problèmes d'ajustement de trésorerie, principalement infra-annuels, ne sont pas adaptés A l'origine de cette évolution, il y à la couverture de déficits persisa bien sûr la crise des années 90. tants. Lorsque ceux-ci s'accumuUn déficit massif est apparu lent, la dette doit être comblée brutalement en 1993 et s'est par des ressources nouvelles ou perpétué au cours des années être prise en charge par un orgasuivantes, faute de véritable nisme extérieur. Cette seconde reprise. Sa résorption rapide option a été mise en oeuvre dans était pratiquement impossible, les années 90 avec la reprise de sauf à prendre des mesures la dette du régime général, draconiennes qui aud'abord par l'Etat, puis raient encore aggravé la Les moyens par la CADES (Caisse situation économique. d’amortissement de la Mais l’habitude prise de financement dette sociale), créée en du déficit a eu deux de la Sécurité 1996 et dotée d'une types de conséquences : sociale, conçus ressource spécifique, macro-économiques et la CRDS (Contribution pour répondre financières. au remboursement de à des problèmes la dette sociale). L e s c o n s i d é r a t i o n s d’ajustement macro-économiques sont Le remboursement de bien sûr dominantes. de trésorerie, la dette accumulée On laisse jouer les ne sont pas entre 1993 et 1998 se « stabilisateurs auto - adaptés à trouve ainsi étalé jusmatiques » dans le qu'en 2015. Le recours domaine social, pour la couverture à une solution de ce ne pas aggraver la de déficits type était inévitable dégradation de l’activité persistants. compte tenu des monet de l’emploi. Cepentants en cause, mais il ne dant, si des réserves financières saurait être systématisé. Le report suffisantes n’ont pas été préad'une charge dans le futur est en lablement constituées et si le effet une option inadaptée – et creux conjoncturel se prolonge peu responsable – pour une un peu, le déficit peut devenir société vieillissante, qui devra rapidement insupportable. Les déjà supporter le poids du mesures de redressement, qui financement des retraites, et des sont seulement différées de dépenses liées au grand âge, quelques trimestres, doivent alors dans les prochaines décennies. Il être prises à un moment tout ne peut être qu’une réponse aussi inopportun, avec le risque de exceptionnelle à une situation prolonger la récession ou de économique exceptionnelle. « casser » une reprise naissante. Si l'on ferme cette voie, une soluSur le plan du financement, la tion reste à trouver pour que les Sécurité sociale, à la différence de dépenses de la Sécurité sociale l’Etat, n'a pas accès aux marchés puissent être durablement finanfinanciers. Le régime général peut cées par des ressources propres. recourir à des avances de la Compte tenu du caractère très Caisse des dépôts pour couvrir cyclique des recettes, ceci supses besoins de trésorerie, mais pose de laisser s’accumuler des celles-ci doivent normalement excédents en période de haute rester temporaires et d’ampleur conjoncture pour pouvoir les limitée. En d’autres termes, ses utiliser dans les périodes difficiles. Les réserves « conjoncturelles » ainsi constituées devraient être assez élevées pour résister à deux ou trois années de déficit. Elles se distingueraient de celles du Fonds de réserve des retraites par leur horizon temporel et par le fait qu’elles concerneraient toutes les branches de la Sécurité sociale. Il s’agirait, concrètement, de lisser les effets du cycle économique sur une période de cinq à dix ans, alors que le Fonds de réserve vise au financement des retraites à long terme (ses ressources sont indisponibles jusqu’en 2020). LES PRESTATIONS CROISSENT PLUS VITE QUE L’ÉCONOMIE O n s'accorde généralement à considérer que la croissance potentielle de l'économie française est proche de 2,5 % par an, et qu'elle va se réduire légèrement dans la seconde partie de la décennie du fait de la moindre progression de la population active. En réalité, les résultats passés ont été en deçà de ces tendances : sur les vingt dernières années (de 1982 à 2002), la croissance moyenne du PIB en volume a été de 2,1 % par an, celle de la masse salariale de 1,5 % par an en termes réels. Depuis 1990, la croissance moyenne a été la même pour les deux variables : 1,8 % par an en volume. Ces références soulignent le caractère exceptionnel de la progression de la masse salariale enregistrée depuis 1998, due pour l'essentiel à un nombre très élevé de créations d'emplois. Si l'on retient pour les prochaines années l'hypothèse d'une croissance de 2 à 2,5 % pour le PIB, et du même ordre de grandeur pour la masse salariale en termes réels, si l'on suppose que les recettes de la Sécurité sociale progressent au même rythme (ce qui sousentend que les allégements de cotisations à venir lui soient Sociétal N° 39 1er trimestre 2003 13 REPÈRES ET TENDANCES COMPTES PUBLICS LE MYTHE DE L’AUTONOMIE DES BRANCHES LA COURSE DES DÉPENSES 1981-1990 1991-1995 1996-1999 2000-2002 1981-2002 (10 ans) (5 ans) (4 ans) (3 ans) (22 ans) Maladie 3,7 % 3,2 % 2,2 % 4,8 % 3,4 % Accidents du travail 0,2 % - 0,9 % 0,4 % 2,5 % 0,2 % Vieillesse 5,2 % 4,2 % 3,2 % 2,2 % 4,2 % Famille 0,8 % 2,6 % 1,7 % 1,3 % 1,4 % Ensemble 3,3 % 3,2 % 2,4 % 3,3 % 3,1 % PIB en volume 2,4 % 1,1 % 2,4 % 2,2 % 2,1 % Prestations Progression annuelle moyenne des prestations du régime général (croissance en % et en volume). intégralement compensées), il est intéressant de comparer ces chiffres à ceux des prestations sociales, qui constituent l'essentiel des dépenses des régimes. Premier constat : la croissance moyenne des prestations du régime général, en termes réels, a été de 3,1 % par an entre 1980 et 2002, ce qui est supérieur d’un point environ à la croissance moyenne du PIB, et de 1,5 point à celle de la masse salariale (voir le tableau). Cet écart explique pourquoi l’apport de ressources nouvelles (augmentation des prélèvements ou transferts extérieurs) se révèle périodiquement nécessaire pour assurer le financement de la Sécurité sociale. La progression des recettes, liée, on l'a vu, à celle de la masse salariale, ne rejoint ou ne dépasse spontanément celle des dépenses que dans les phases de haute conjoncture. Ce fut le cas entre 1988 et 1990, et dix ans plus tard, entre 1998 et 2001. Sociétal N° 39 1er trimestre 2003 14 Second constat : les grandes branches de la Sécurité sociale connaissent des évolutions très contrastées. • Depuis 1980, la croissance moyenne des prestations maladie, en termes réels, a été de 3,4 % par an, soit 1,3 point de plus que la croissance du PIB. Un tel écart s’explique par plusieurs considérations : le coût du progrès technique, le vieillissement de la population, les transformations sociologiques du rapport des individus avec la santé. Mais tout cela ne justifie pas le rythme d'augmentation actuel (près de 5 % par an en volume), qui est clairement hors norme. • La tendance des prestations vieillesse (essentiellement des retraites), qui était la plus rapide dans les années 80, s'est progressivement ralentie. Elle est en phase avec celle du PIB depuis le milieu des années 90. L'évolution actuelle est modérée par l'arrivée à l'âge de la retraite des classes creuses de 1939-1945, une situation qui va changer radicalement à partir de 2006. Le taux de progression des retraites s'accélérera pour approcher les 4 % par an en termes réels à la fin de la décennie. • Pour des raisons qui tiennent également à la démographie, les prestations de la branche famille connaissent une évolution modérée, inférieure à celle du PIB. E n face de ces dépenses aux dynamiques très différentes, les recettes des trois grandes branches augmentent à des rythmes voisins, puisqu'elles sont constituées pour l'essentiel de cotisations et de CSG, dont l'assiette prépondérante est la masse salariale. En conséquence, les soldes financiers résultant de ces évolutions divergent profondément, et au bout de quelques années les déséquilibres sont très inégalement répartis entre les branches. Ainsi, la croissance très vive des dépenses d'assurance maladie explique que le déficit du régime général se concentre aujourd'hui sur cette seule branche. Dans les domaines de la vieillesse et de la famille, les dépenses augmentent à des rythmes comparables ou légèrement inférieurs à celui des recettes, ce qui assure encore de légers excédents. Dans ces conditions, l'autonomie financière des branches, qui est un principe séduisant, se heurte à la réalité. En clair, les évolutions spontanées conduiront à des excédents toujours croissants pour la CNAF (famille) et à des déficits de plus en plus grands pour la CNAM (maladie), en attendant que la branche retraites subisse le même sort. Pour assurer un équilibre financier d’ensemble, mais aussi branche par branche, les pouvoirs publics sont conduits à déplacer des ressources des branches excédentaires vers les branches déficitaires. Ce rééquilibrage a été l'une des raisons des modifications incessantes des circuits financiers intervenues au cours des dernières années. Pour, la plupart, elles avaient leur logique, mais ont rendu le financement de la Sécurité sociale si difficile à suivre qu’elles ont été sévèrement critiquées. SÉCURITÉ SOCIALE : LE RETOUR DU DÉFICIT, ET COMMENT Y FAIRE FACE L'autre grande cause de ces accroître le montant des exonéramodifications incessantes a été le tions au cours des prochaines financement des allégements de coannées. tisations sociales. Les exonérations générales en faveur de l'emploi et DES PISTES À SUIVRE de la réduction du temps de travail n chantier important pour sont passées, en euros constants de l’avenir sera de mieux adapter 2002, de 3,9 milliards d'euros en les recettes des branches et 1995 à 15,3 milliards d'euros en 2002, des fonds aux dépenses qu’elles soit une multiplication par quatre. financent. Plusieurs critères peuvent A réglementation inchangée, les être retenus : 3,9 milliards d'euros de 1995 représenteraient environ 4,8 milliards - Lier certaines recettes à certains d'euros aujourd'hui. Si les allégerisques. Il paraît logique, par exemple, ments de charges étaient restés à d'affecter les taxes sur le tabac et ce niveau, les cotisations sociales l’alcool, ainsi que les taxes sur les sur salaires du secteur privé (120 assurances automobiles, milliards d'euros en à l'assurance maladie. Il est 2002) rapporteraient Il serait normal que les fumeurs, donc aujourd'hui 10,5 les consommateurs milliards d'euros de plus. normal que d'alcool, les conducteurs A ces cotisations se sont les fumeurs, les d'automobiles financent substitués des transferts consommateurs une partie des dépenses du FOREC au régime occasionnées par l'usage général. C'est l'une des d’alcool, les de ces produits. La situaévolutions majeures du conducteurs tion n'est pas satisfaisante financement de la Sécu- d’automobiles de ce point de vue, puisque rité sociale au cours des financent une ces taxes sont presque dernières années. totalement affectées au partie des FOREC au lieu de l'être Si le FOREC rembourse dépenses à la CNAM. aujourd'hui intégralement les exonérations, occasionnées - Distinguer les vocations l'opération a néanmoins par l’usage de des prestations. Il s'agit de eu un coût pour la Sécu- ces produits. faire la différence entre les rité sociale, dans la prestations d'assurance, mesure où ce fonds a qui compensent une perte de revenu bénéficié de l'apport de taxes (eset ont un lien étroit avec le salaire sentiellement sur le tabac et l'alcool) (retraites, indemnités journalières, qui, antérieurement étaient affecchômage) et les prestations « unitées au régime général ou au Fonds verselles », accordées sans condition de solidarité vieillesse, c'est-à-dire à d'activité ni de ressources (famille, la sphère sociale. Ces transferts de prestations en nature, maladie). Les recettes, intervenus principalement premières ont vocation a être finanen 2000 et 2001, sont les principales cées par des cotisations, les secondes mesures qui ont limité les excédents par la CSG ou d'autres ressources du régime général et du Fonds de fiscales. La principale entorse à cette solidarité vieillesse au cours de ces logique est actuellement le financedeux années. Les ressources corresment de la branche famille, qui pondantes, qui manquent aujourd'hui continue de reposer largement sur à leur financement, sont estimées à des cotisations des employeurs. 4,5 milliards d'euros en 2002. Le nouvel allégement de cotisations - Tenir compte de la dynamique des patronales, qui unifie et amplifie les recettes propre à chaque branche. Une dispositifs antérieurs, et dont la troisième logique, peu présente dans montée en charge sera progressive les choix passés, consisterait à affecter jusqu'en 2005, va de nouveau U aux branches et aux fonds de financement des recettes qui aient une dynamique proche de celle de leurs dépenses. De ce point de vue, la principale anomalie est la composition des ressources du FOREC, qui reposent largement sur des taxes à la consommation peu dynamiques, face à des dépenses en forte croissance. Aucun de ces trois critères ne peut être appliqué à la lettre, mais tous pourraient servir de guides pour améliorer la pertinence et la rationalité du financement de la Sécurité sociale. Apparaissent ainsi quelques grandes lignes de la problématique du financement de la Sécurité sociale, dont la situation financière doit être solidement rétablie avant que ne s'amorce l'accélération des dépenses de retraites à partir de 2005-2006. Le plus urgent est évidemment de revenir à une évolution plus modérée des dépenses d'assurance maladie. Il est malheureusement à craindre que cela ne suffise pas, et que des augmentations de recettes soient nécessaires. Un autre changement d’attitude sera de veiller à ce que la Sécurité sociale n'ait plus à financer, en plus de ses dépenses traditionnelles de prestations, une partie des nouveaux allégements de cotisations. Ceux-ci devront lui être intégralement compensés. Une clarification du financement de la Sécurité sociale est enfin nécessaire, notamment pour les impôts et taxes, qui devraient recevoir une affectation unique et plus rationnelle. Dans ce cadre, il importe de mieux adapter les ressources de chaque branche à la dynamique de ses dépenses. Des transferts de recettes d’une branche à l’autre paraissent donc inévitables. Enfin la gestion financière de la Sécurité sociale devrait mieux tenir compte des cycles économiques, et notamment viser à la mise en réserve d'excédents pendant les périodes de haute conjoncture. Plus facile à dire qu’à faire, l’expérience le prouve, mais tout de même pas impossible.l Sociétal N° 39 1er trimestre 2003 15