Déficit public et retraites par répartition

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Déficit public et retraites par répartition
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
retraites
Déficit public et retraites par répartition
Par Jacques Bichot, Économiste, Professeur émérite à l’université Lyon 3
La Commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS) doit
analyser les comptes des régimes de Sécurité sociale, y compris les
régimes de retraite complémentaires obligatoires. Ses rapports ne
fournissent cependant pas directement ce que serait le résultat en
l’absence de subventions versées par l’État. Celui-ci pourrait porter
ses abondements au niveau requis pour que chaque branche soit en
équilibre. Il pourrait aussi, en les diminuant, réduire son propre déficit
en majorant d’autant celui de la Sécurité sociale. Nous cherchons
ci-dessous à déterminer quel serait le déficit de l’ensemble des
régimes de retraite par répartition si, réduite à ses ressources propres,
cette branche n’avait rien à attendre du Trésor public.
Le déficit officiel de la
branche vieillesse
Le rapport de la CCSS présenté le 26
septembre dernier fournit le déficit 2012
de la branche vieillesse du régime général
(RG), y compris le Fonds de solidarité
vieillesse (FSV) : 8,9 Md€. Il indique en
sus un déficit des “principaux régimes
de base autres que le RG“, soit 1,8 Md€,
mais sans fournir la ventilation par
branches. Quant aux retraites complémentaires, l’article L 114-1 du Code de
la Sécurité sociale dispose que la CCSS
«prend connaissance des comptes des
régimes complémentaires de retraite»,
mais le rapport 2013, à la différence de
celui d’octobre 2012, ne présente pas
leurs comptes.
Selon le rapport 2012, le déficit 2011
s’élevait à 1,6 Md€ pour l’Arrco et 1,7 Md€
pour l’Agirc. En revanche, de nombreux
«petits» régimes complémentaires étaient
excédentaires : 0,2 Md€ pour l’Ircantec ;
0,4 pour le régime complémentaire du
régime social des indépendants (RSI) ;
0,2 pour l’ensemble des régimes complémentaires des professions libérales,
hors avocats. Pour 2012, les rapports
d’activité des organismes indiquent
1 Md€ de déficit pour l’Arrco et 1,6 Md€
pour l’Agirc ; 0,4 Md€ d’excédent pour
l’Ircantec et 0,8 pour le RSI complémentaire ; pour les sections professionnelles
de libéraux, retenons la prévision de la
CCSS dans son rapport d’octobre 2012,
soit un excédent de 0,7 Md€.
Sur ces bases, le déficit “officiel“ de la
branche vieillesse atteint une dizaine de
milliards en 2012. Cet ordre de grandeur
est suffisant pour l’objectif ici poursuivi,
à savoir comparer ce déficit officiel aux
apports effectués par le Trésor pour éviter
un déficit plus conséquent.
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Les contributions
du Trésor public
à divers régimes
Ces apports peuvent prendre diverses
formes juridiques et comptables ; ce sont
principalement des subventions d’équilibre
et des affectations, en totalité ou en partie,
de recettes fiscales (hormis les rentrées
de CSG, car il s’agit là d’un prélèvement
qui s’apparente autant sinon plus à une
cotisation sociale qu’à un impôt, ce que
reconnaît le droit européen). Les unes
sont destinées à compenser des réductions de cotisations sociales, les autres à
suppléer l’insuffisance de la compensation
démographique, particulièrement pour les
régimes généreux comme celui de la Sncf.
La Cnav a ainsi reçu 8,9 Md€ en 2012, dont
1,7 d’impôts et taxes affectés en compensation des réductions de charges sociales
sur les heures complémentaires, et 7,2 Md€
d’impôts et taxes de l’ancien “panier Fillon“.
La branche vieillesse du régime des salariés
agricoles a eu droit à 0,38 Md€ de droits
de consommation sur le tabac, et 0,46
d’impôts et taxes. Celle des exploitants
agricoles bénéficie principalement de
la taxe sur les alcools et boissons non
alcoolisées, soit 2,4 Md€ en 2012. Le RSI
bénéficie de 0,2 Md€ de prise en charge de
cotisations par l’État et surtout de 1,9 Md€
de contribution sociale de solidarité des
sociétés (C3S), prélèvement de 0,13 % sur
le chiffre d’affaires. La CNRACL, bénéficiant
d’une forte croissance du nombre des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, n’est
pas subventionnée. Le régime des ouvriers
des établissements industriels de l’État
reçoit 1,3 Md€ de contributions publiques
pour 1,8 Md€ de prestations.
Certains régimes spéciaux bénéficient
d’une dotation budgétaire assurant automatiquement leur équilibre (“subvention
// N°470 Novembre 2013 // Revue Française de Comptabilité
d’équilibre“). En 2012 la Sncf a ainsi
obtenu 3,3 Md€ (face à 1,9 Md€ de cotisations) ; la Ratp, 0,6 ; la caisse des mines,
1,4 ; le régime des marins (Enim), 0,9 ; en
ajoutant divers “petits“ régimes spéciaux,
le total se monte à 6,3 Md€.
Au total, le déficit des retraites par répartition, hors fonctionnaires de l’État, serait
majoré de 21,8 Md€ si le Trésor ne versait
pas de subventions d’équilibre et ne rétrocédait pas le produit de diverses taxes. Ce
montant est le double du déficit “officiel“.
La retraite des
fonctionnaires de l’État
Le dossier de presse relatif au projet de loi
retraites 2010 détaillait un redressement
de 45 Md€ de la situation du système de
retraites à l’horizon 2020. Le tiers (15,6 milliards) consistait à maintenir à son niveau de
2010 un “effort de l’État“ pour les pensions
de ses propres fonctionnaires. La fourchette
d’estimation de la subvention apportée par
le Trésor au régime des fonctionnaires de
l’État débute donc à 15 Md€. Le haut de la
fourchette est l’estimation des “cotisations
fictives d’employeur“ par la CCSS. Pour
2012 celle-ci compte pour couvrir 48,8 Md€
de pensions : 12,4 Md€ de cotisations (dont
7,2 patronales et 5,2 salariales) et 36,4 Md€
de “cotisations fictives“. Ce calcul s’inspire
des règles budgétaires applicables pour
la présentation du compte d’affectation
spéciale retraites. S’il existait une caisse de
retraite des fonctionnaires de l’État, comme
il existe une caisse des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (la CNRACL), elle
aurait reçu 36,4 Md€ de subventions pour
équilibrer son budget.
L’insuffisance totale
de recettes propres
10 + 22 + (15 ou 36) : le manque de recettes
propres dont souffre le système français de
retraites par répartition se situe en 2012
entre 47 et 68 Md€. Ce trou est bouché
à hauteur d’une dizaine de milliards par
des emprunts de plusieurs caisses ou
fonds liés à la Sécurité sociale, et pour le
reste par le Trésor public qui, incapable
de prélever suffisamment, doit augmenter
massivement son endettement.
Pour en savoir plus
Rapports de la Commission des comptes de la
Sécurité sociale sur le site www.securite-sociale.fr.
A. Robinet et J. Bichot, La mort de l’État providence, Les Belles-Lettres, 2013.

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