Cas pratique de droit pénal : Les trois sœurs

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Cas pratique de droit pénal : Les trois sœurs
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Cas pratique de droit pénal : Les trois sœurs
Nathalie, Héléna et Camille sont trois sœurs très proches et très coquettes qui ont toujours eu pour
habitude de voler ensemble dans les magasins, seules ou à plusieurs.
A l’approche du mariage de leur cousine, elles souhaitent épater la galerie avec de beaux bijoux. Pour
cela, après de minutieux repérages opérés séparément, elles arpentent les beaux quartiers à Paris et
se font passer pour des touristes afin de dérober ensemble, en détournant l’attention des vendeurs,
une parure en diamants et rubis.
Samedi soir, au mariage, Sylvia, leur cousine, est agacée de les voir arriver à une réunion de famille
exhiber les bijoux dont elle suppute l’origine frauduleuse. Elle décide ainsi de prévenir la police au
travers d’un appel anonyme en leur indiquant l’adresse des trois sœurs et la présence d’autres objets
volés. Les policiers font le lien avec une enseigne de joaillerie victime la matinée même d’un vol de
plusieurs bijoux en rubis et qui a immédiatement appelé la police suite aux faits. Ne souhaitant pas
que les suspects leur échappent, ils décident de se rendre à l’adresse indiquée le dimanche matin à
9h afin de bénéficier de l’effet de surprise. Héléna leur ouvre et leur indique ne rien avoir à se
reprocher et les autoriser à perquisitionner.
Au terme d’une fouille minutieuse des lieux, ils retrouvent les bijoux dérobés. Rassurés, ils placent les
trois mises en cause en garde à vue et leur notifient leurs droits.
Durant leurs auditions, les policiers profitent de leur absence pour cacher des micros dans la cellule
dans laquelle les trois sœurs ont volontairement été mises ensemble.
Ces dernières attendent une heure avancée dans la nuit pour décider de mettre au point une version
commune, évoquant par ailleurs une consigne de gare où seraient entreposés les autres bijoux
dérobés.
Le lendemain, les policiers les confrontent à leurs déclarations en garde à vue, amenant les trois
sœurs à se murer définitivement dans le silence.
Que pensez-vous des faits ?
Résolution du cas
Il convient de qualifier juridiquement les faits pour envisager ensuite la validité de la procédure
pénale poursuivie.
I- La caractérisation de l’infraction
Les trois sœurs dérobent, visiblement sans violence ni effraction, des objets de luxe dans une
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bijouterie.
Il s’agit donc d’envisager ici l’infraction de vol.
Le vol est prévu et réprimé à l’article 311-1 CP comme « la soustraction frauduleuse de la chose
d’autrui ».
L’élément préalable consistant dans l’appartenance à autrui de la chose volée ne pose pas de
difficulté en l’espèce.
L’élément matériel du vol exige qu’il y ait un acte de soustraction volontaire, c’est-à-dire que l’auteur
se saisit de la chose ne lui appartenant pas. La jurisprudence exige que l’auteur dépossède la victime
de sa chose en retenant que « pour soustraire, il faut prendre, enlever, ravir » (crim., 18 novembre
1837).
Ici, les sœurs s’approprient les effets dérobés contre la volonté de leurs propriétaires en s’en
saisissant : l’élément matériel tel qu’exigé par la jurisprudence est donc bien caractérisé.
L’élément moral du vol réside dans la volonté de se comporter, même momentanément, comme le
propriétaire de la chose (crim., 19 février 1959), ce qui est également le cas en l’espèce, les sœurs
exhibant les bijoux.
L’infraction de vol est donc pleinement caractérisée en l’espèce et chacune des trois sœurs encourt
de ce fait, conformément à l’article 311-3 CP, une peine de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros
d’amende.
Il convient néanmoins de s’interroger quant aux effets de la commission à trois de ces vols.
En effet, l’article 311-9 CP réprime le vol en bande organisé et en aggrave la répression. Il convient
ainsi de déterminer si la bande organisée peut être caractérisée en l’espèce.
La bande organisée est définie par l’article 132-71 CP comme « le groupement formé ou toute
entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de
plusieurs infractions».
La bande organisée nécessite donc la caractérisation de deux éléments : la structure et la
préméditation.
La structure réside dans un nombre minimal de participants que le code pénal n’a pas précisément
consacré. Néanmoins, il convient de considérer que la bande organisée ne peut être envisagée qu’à
partir de trois participants, ainsi que l’a retenu la circulaire du 14 mai 1993 présentant les dispositions
du nouveau code pénal. Surtout, le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 2 mars 2004, a
définit la bande organisée comme « un groupe structuré de trois personnes ou plus ».
En l’espèce, les sœurs agissent à trois, ce qui permet de retenir la structure.
En outre la bande organisée exige la caractérisation d’une préméditation de l’action. L’article 132-72
CP définit la préméditation comme « le dessein formé avant l’action de commettre un crime ou un
délit déterminé ». Ici, l’énoncé précise qu’avant de commettre les vols, les trois sœurs ont réalisé des
repérages des lieux, ce qui permet de déduire la préméditation.
Cependant, la jurisprudence a restreint les conditions d’application de la circonstance aggravante de
bande organisée : crim., 8 juillet 2015 : la seule constitution d’une équipe de plusieurs malfaiteurs
ne peut suffire à qualifier la bande organisée dès lors que cette équipe ne répond pas au critère
supplémentaire de structure existant depuis un certain temps et que les équipes de malfaiteurs ne
seraient pas toujours constituées de la même manière mais de façon variable avec trois, quatre ou
cinq membres.
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En l’espèce, les trois sœurs ne constituent pas un tel groupement, agissant tantôt seules tantôt à
plusieurs, ce qui implique d’exclure la bande organisée. A défaut, on peut néanmoins retenir le vol en
réunion prévu et réprimé par l’article 311-4 CP s’agissant du vol « commis par plusieurs personnes
agissant en qualité d’auteurs ou de coauteurs sans qu’elles constituent une bande organisée » et puni
d’une peine de 5 ans d’emprisonnement et 75000 e d’amende.
L’infraction poursuivie étant caractérisée, il convient de s’intéresser à la procédure pénale mise en
œuvre par les policiers.
II- La régularité de la procédure pénale :
1- La détermination du cadre d’enquête
Il convient en premier lieu de déterminer dans quel cadre d’enquête la procédure est poursuivie.
L’énoncé ne mentionnant pas l’ouverture d’une information judiciaire, il convient de considérer que
les investigations se déroulent dans le cadre de l’enquête de police.
Il existe deux types d’enquêtes de police : l’enquête préliminaire et l’enquête de flagrance.
Selon l’article 53 alinéa 1 CPP « est qualifié de crime ou délit flagrant le crime ou délit qui se commet
actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un
temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est
trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices laissant penser qu’elle a participé
au crime ou au délit ».
L’enquête de flagrance répond donc à 3 exigences : un critère de gravité suffisante des faits
poursuivis, un critère temporel et un critère d’apparence.
S’agissant du critère de gravité, l’enquête de flagrance ne peut être initiée qu’en matière de crimes ou
de délits, ce qui ne pose pas de difficulté en l’espèce au regard de la qualification correctionnelle
retenue de vol en réunion.
S’agissant du critère temporel, la commission de l’infraction doit avoir eu lieu dans un temps très
voisin de l’intervention des policiers, la jurisprudence consacrant traditionnellement une durée
maximale de 48h depuis la commission des faits (crim., 8 avril 1998). En l’espèce, les policiers
diligentent leurs premiers actes d’enquête contre les trois sœurs après l’appel téléphonique de la
bijouterie, s’agissant d’un vol dans une bijouterie commis le matin même, remplissant dès lors le
critère temporel de la flagrance.
S’agissant du critère d’apparence, la jurisprudence exige que les policiers aient pu constater « un
indice apparent d’un comportement délictueux » (crim., 22 janvier 1953, Isnard). Une telle apparence
peut ressortir de manière alternative d’éléments divers, qu’il s’agisse des constatations matérielles
faites par les policiers et leur révélant l’infraction ou encore de l’appel téléphonique qui requiert
l’intervention des forces de police.
Néanmoins, l’appel téléphonique à la police n’est recevable comme indice apparent d’un
comportement délictueux que dès lors qu’il est formulé par une personne identifiée.
Tel n’est pas le cas lorsque la dénonciation est anonyme, ainsi que l’a retenu la jurisprudence (cass,
crim, 11 juillet 2007), considérant même comme nulle toute procédure ouverte en flagrance sur le
fondement d’une dénonciation anonyme.
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En l’espèce, les policiers ont certes reçu un appel anonyme ne permettant pas de caractériser le
critère d’apparence mais l’apparence est caractérisée par l’appel de la bijouterie dénonçant les faits
à la police.
Ainsi, la flagrance est caractérisée : conformément à 53 CPP elle durera 8 jours après son ouverture
(éventuelle prolongation de 8 jours par le magistrat), dotant l’OPJ, sous l’autorité du PR de pouvoirs
d’enquête étendus (interpellation des suspects, placement en GAV, perquisitions, fouilles et saisies).
Il convient de s’interroger sur la régularité de ces actes d’enquête.
2- La régularité de la perquisition
L’article 56 CPP prévoit les dispositions applicables aux perquisitions et aux saisies en enquête de
flagrance :
- pratiquées par un OPJ qui peut saisir tout ce qu’il considère utile à la manifestation de la vérité
- elles peuvent être réalisées chez les personnes qui paraissent avoir participé à l’infraction ou qui
pourraient détenir des objets ou des éléments relatifs à l’infraction.
- conditions horaires : 6-21h hors régime dérogatoire (non caractérisé ici)
- ne nécessite pas le consentement de l’occupant des lieux mais sa présence est requise, à défaut un
représentant désigné par lui ou bien deux témoins désignés par l’OPJ (pas un assistant de l’OPJ)
En l’espèce, Héléna a consenti à ce que les policiers procèdent à la perquisition, validant cette
dernière. En outre, celle-ci a été réalisée durant les heures légales : si elle a bien été réalisée par un
OPJ, ce qu’il convient de présumer en l’absence de mentions contraires, alors la perquisition est
valide.
De même, la saisie des bijoux appréhendés est valide s’agissant a priori de l’objet de l’infraction.
3- Le placement en garde à vue
Après la découverte des bijoux volés visés par l’enquête des policiers, ces derniers placent les trois
sœurs en garde à vue.
Les conditions de la garde à vue en matière d’enquête de flagrance sont prévues par l’article 62-2et
suivants du CPP.
Ainsi, selon l’article 62-2 CPP « la garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de
police judiciaire sous le contrôle de l’autorité judiciaire par laquelle une personne à l’encontre de
laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de
commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenu à la disposition
des enquêteurs ».
Ainsi, la garde à vue voit sa régularité subordonnée à trois conditions cumulatives : en premier lieu,
la mesure doit être prononcée par un officier de police judiciaire. En l’absence de précision
contraire, nous considérerons que cette condition est remplie.
En outre, il doit exister des raisons plausibles de soupçonner que le mis en cause a commis ou tenté
de commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. En l’espèce, la découverte au
domicile des trois sœurs du collier volé est incontestablement constitutive d’une raison tangible
laissant suspecter leur implication dans le vol commis.
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Enfin, la garde à vue doit constituer « l’unique moyen » de parvenir à l’un au moins des six objectifs
définis par la loi et en l’espèce, de permettre la poursuite des investigations révélant la participation
des trois sœurs mais également d’empêcher une concertation entre elles.
Ainsi, la décision de placement en garde à vue semble régulière, d’autant plus qu’il est indiqué que les
mises en cause ont reçu une notification de leurs droits.
S’agissant du déroulement de la garde à vue, il convient de s’interroger quant à la durée de la mesure.
L’article 63 CPP dispose que la durée légale de la garde à vue est de 24 heures, pouvant faire l’objet
sur autorisation du Procureur de la République d’une seule prolongation de 24 heures, portant la
mesure à une durée maximale de 48 heures.
Ici, il est indiqué que les trois mises en cause ont été interpellées et donc placées en GAV le dimanche
matin à 9h, qu’elles ont passé la nuit en cellule : ils semblent donc que 24h de GAV se soient
écoulées, ce qui valide la durée légale de la mesure pour une infraction de droit commun.
4- La sonorisation des cellules de garde à vue
Les policiers ont profité de l’absence des trois sœurs afin de sonoriser à leur insu une cellule de garde
à vue et de les placer ensemble en vue de les amener à faire des révélations compromettantes. Il
convient de s’interroger sur la régularité d’un tel procédé et sur la recevabilité des preuves ainsi
obtenues.
La sonorisation correspond à l’action de placer des micros en tous lieux afin d’enregistrer les suspects
à leur insu. Conformément à l’article 706-96 CPP, ce procédé est prévu uniquement en matière
d’information judiciaire, sur la base d’une commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction aux
OPJ et aux APJ.
En l’espèce, les trois sœurs sont poursuivies pour l’infraction de vol commis en bande organisée qui
entre dans le champ d’application d’une telle sonorisation. Cependant, en l’espèce, il n’est
aucunement fait mention d’une commission rogatoire en ce sens, permettant ainsi d’en déduire que
les enquêteurs ont pris cette initiative dans le cadre de l’enquête préliminaire. Ainsi, la sonorisation
de la garde à vue est illégale et rend irrecevable les indications faites à leur insu par les trois sœurs.
Enfin, précisons que même si cette sonorisation était intervenue dans le cadre d’une information
judiciaire et d’une commission rogatoire valablement délivrée, la déloyauté du procédé employé
aurait conduit à la même exclusion. En effet, si l’article 427 CPP pose le principe de la liberté de la
preuve, la jurisprudence a quant à elle posé une exigence de loyauté de la preuve incombant aux
autorités de poursuite, considérant que la preuve devait nécessairement être obtenue à l’aide d’un
procédé loyal (crim., 12 juin 1952).
Plus encore, la chambre criminelle de la cour de cassation a considéré comme irrecevable les aveux
obtenus à leur insu et suite à la sonorisation de leur cellule de garde à vue de complices présumés
placés délibérément à proximité estimant que ce « stratagème » constituait un procédé déloyal
conduisant à l’auto-incrimination des suspects (crim., 7 janvier 2014 confirmé par AP, 6 mars 2015).
Ainsi, les enquêteurs ne pourront pas exploiter les renseignements issus de cette sonorisation et
incriminer les trois sœurs du vol des autres bijoux retrouvés dans la consigne de gare sur la base de
leurs seules révélations.
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