La robe de Gaby – Emmanuelle Beaudoin

Transcription

La robe de Gaby – Emmanuelle Beaudoin
La robe de Gaby
Avez-vous déjà remarqué que, dans toutes les familles, aussi éloigné soit-il, il y a toujours un oncle
Jacques? Bien sûr, toute ma crédibilité dépend de si vous, lecteur, en avez effectivement un dans la
vôtre. Si ce n’est pas le cas, prétendez simplement que ça l’est et espérons ensemble que votre
lecture se continue sans encombre.
Que disais-je? Ah oui, l’oncle Jacques que nous avons tous. Aujourd’hui, c’est du mien dont je vais
vous parler.
Jacques Bérubé, mon oncle, possédait une chienne. Une petite chienne blonde dont il aimait
proclamer qu’elle était la plus belle, la plus fine, la plus intelligente de toute la région. Ils vivaient
seuls, tous les deux, mon oncle n’ayant jamais trouvé la nécessité de se caser. « J’l’ai d’jà trouvé,
mon compagnon de vie! C’est Gaby! », disait-il souvent, faisant référence à sa meilleure amie à
quatre pattes. La chienne, elle aussi, vouait une adoration sans fin à son maitre. On pouvait
l’entendre pleurer chaque fois qu’il quittait la maison sans elle.
Un jour, mon oncle reçut une lettre d’invitation pour le mariage de sa petite sœur préférée, ma
mère. Contre toutes attentes, il cocha la case disant qu’il allait venir avec une compagne. Ma mère,
connaissant l’excentricité et la propension qu’avait son frère à être engagé dans une relation
romantique, lui téléphona pour s’assurer qu’il n’avait pas fait une erreur.
« Jacques, t’as coché la coche plusse un, t’es-tu sûr que tu t’es pas trompé?
-Ben non! J’emmène vraiment une date à ton mariage.
-Ah? C’est qui? C’est mieux de pas être une pas d’allure comme celle que Mario a amenée à celui de
Nicole!
-On voit l’estime que t’as d’moi.
-Promets-moi, qu’à va être habillée, la tienne, au moins!
-J’te l’promets.»
Mon oncle, qui ne voulait seulement pas être seul dans son coin comme aux mariages auxquels il
avait assisté précédemment, s’était quelque peu contraint disant cela. Vous l’aurez probablement
deviné, il avait prévu d’y emmener Gaby, mais maintenant, il devait faire en sorte que sa promesse
soit tenue.
Jacques, un homme fort technologique, chercha sur Internet des patrons et récupéra les retailles
de tissus que sa voisine, Madame Lehoux, avait bien voulu lui donner sans trop poser de questions.
Étonnamment, le résultat était plutôt réussi. Le jour du mariage, beaucoup de gens étaient
impressionnés et surpris d’apprendre qu’il l’avait fait lui-même puisque la robe était parfaitement
ajustée à Gaby. Tout le monde a bien ri en le voyant arriver avec sa « date ». Tout le monde, sauf
Madame Lehoux, qui avait elle aussi cousu une robe pour l’occasion, avec le même tissu que celle
de la chienne.
« T’es habillée comme la chienne à Jacques! » lui a-t-on fait remarquer toute la soirée. Et même si
Gaby était très belle, ce n’était tout de même pas un compliment.
Et c’est depuis ce temps qu’on dit d’une personne mal vêtue qu’elle est habillée comme la chienne
à Jacques.
Emmanuelle Beaudoin-Roy
5e secondaire
Texte gagnant du concours d’improvisation de la Commission scolaire