L`acétaminophène, pas si banal que ça
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L`acétaminophène, pas si banal que ça
Pierre-André Dubé B. Pharm., M. Sc., pharmacien et responsable scientifique en toxicologie clinique au Centre de toxicologie du Québec, INSPQ Révision scientifique : René Blais, M.D., FRCPC, ABMT, directeur médical du Centre antipoison du Québec Objectifs pédagogiques ✓ Connaître la réglementation actuelle sur l’acétaminophène. ✓ Présenter les statistiques d’intoxications du Centre antipoison du Québec. ✓ Réviser les mécanismes de toxicité de l’acétaminophène. ✓ Reconnaître les signes et symptômes d’intoxication aiguë ou chronique à l’acétaminophène. ✓ Savoir quand et à qui adresser un patient présentant des signes et des symptômes d’intoxication à l’acétaminophène. Publié grâce à une subvention sans restrictions de L’acétaminophène, pas si banal que ça ! C as clinique Il est vendredi soir, 20 h 50. Vous recevez un appel d’une maman très inquiète. Son jeune garçon de trois ans vient tout juste de boire au complet la bouteille de TempraMD nouvellement acquise, qu’elle avait temporairement laissée ouverte pour aller chercher une cuillère. « Est-ce dangereux ? » En tant que pharmacien, devrait-on diriger la mère vers le Centre antipoison du Québec, l’adresser directement à l’urgence ou bien la rassurer parce que la dose ingérée n’est pas toxique ? Avec plus de 430 produits différents sur le mar ché canadien contenant de l’acétaminophène, ce dernier est le médicament en vente libre le plus facilement accessible pour tous les groupes d’âge1. On peut le retrouver comme ingrédient actif unique dans plusieurs produits de teneurs et de formats différents (Tableau I) ou en asso ciation avec un ou plusieurs produits contre le rhume, la grippe ou les allergies (dextrométhor phane, phényléphrine, pseudoéphédrine, anti histaminiques), des opioïdes (codéine ± caféine, oxycodone, tramadol) et des relaxants muscu laires (méthocarbamol). Dans les produits com binés pour adultes, on retrouve généralement 300 mg, 325 mg ou 500 mg d’acétaminophène par unité posologique. L’acétaminophène est indiqué pour le traite ment de la douleur légère à modérée et pour la réduction de la fièvre. Il est considéré comme le médicament de premier choix pour la gestion de l’arthrose et de la fièvre chez les enfants2. En pédiatrie, des doses d’acétaminophène de 10 à 15 mg/kg/dose toutes les 4 à 6 heures par voie orale ou rectale sont généralement considé rées comme sûres et efficaces3. On recommande une dose cumulative maximale de 90 mg/kg/jour chez l’enfant ou de 75 mg/kg/jour chez l’enfant fiévreux de moins de six ans. Chez l’adulte, les doses usuelles varient entre 325 mg et 1000 mg toutes les 4 à 8 heures par voie orale ou rectale, avec un maximum de 4 g/jour. Réglementation Au Québec, selon le Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments, l’acéta minophène est inscrit à l’annexe III, donc vendu en pharmacie sous le contrôle et la surveillance constante d’un pharmacien5. Selon ce même règlement, l’acétaminophène devient hors annexe (peut donc être vendu hors pharmacie) lorsque disponible sous forme pharmaceutique destinée à une administration par voie orale, dont le format de conditionnement contient moins de 25 unités posologiques de 325 mg ou moins (total 8125 mg) et vendue en emballage unique comprenant un seul format de condition nement. L’acétaminophène est donc disponible en petits formats dans les dépanneurs et les épiceries, mais le format de plus de 24 compri més n’est disponible qu’en pharmacie. Depuis l’automne 2010, tous les produits dis ponibles sans ordonnance contenant de l’acéta minophène doivent satisfaire à la Ligne directrice de Santé Canada dite « Norme d’étiquetage pour l’acétaminophène6 ». Cette norme d’étiquetage détermine les ingrédients acceptables, les poso logies et les allégations permises pour ces pro duits, ainsi que le caractère d’imprimerie, les modes d’emploi et les mises en garde spécifiques aux ingrédients qui seront requis sur les étiquet tes. Pour les formulations dites « pédiatriques », le format de l’emballage doit être d’au plus 1,92 g pour les unités posologiques de 80 mg et de 3,2 g pour celles de 160 mg, mais aucune limite n’est proposée pour les produits destinés aux adultes. Ainsi, au Québec, une formulation destinée aux adultes et vendue en pharmacie n’aura aucune limite de quantité par format, par exemple 200 comprimés de 500 mg (100 g) (Tableau I), dans la mesure où le format respecte la norme d’étiquetage de Santé Canada. Ces dernières années, plusieurs pays ont adopté différentes approches afin de réduire l’incidence des intoxications à l’acétamino phène. En 1998, le Royaume-Uni a adopté une poli tique pour restreindre le contenu d’acétamino phène dans les emballages vendus hors phar macie à un maximum de 8 g, et à un maximum de 16 g lorsque vendu en pharmacie7,8. Cette politique encadrait également les produits contenant de l’acétaminophène en association avec d’autres médicaments. En mars 2009, l’Allemagne a adopté une politique pour restreindre la vente d’acétamino phène en pharmacie uniquement, autorisant un maximum de 10 g par emballage7. En juin 2009, la Food and Drug Administration (FDA) américaine a créé un comité consultatif sur la problématique de santé publique de l’in suffisance hépatique induite par l’intoxication non intentionnelle à l’acétaminophène9. Afin de réduire les intoxications involontaires à l’acéta minophène en vente libre, le comité a émis, en plus des mesures déjà en cours, les recomman dations suivantes : ⦁ Favoriser une meilleure formation du public; ⦁ Améliorer l’étiquetage; ⦁ Limiter la dose quotidienne maximale à 3250 mg et à une dose plus faible si plus de trois boissons alcoolisées sont consommées quotidiennement; ⦁ Limiter la teneur à 325 mg pour les compri més à libération immédiate avec une dose unique maximale de 650 mg; Tableau I Formulations simples d’acétaminophène* Formulation TeneursFormats Comprimé 325 mg 500 mg 24¥; 50; 100; 200; 1000 24; 30; 50; 60; 100; 150; 200; 500; 1000 Comprimé 8 heures 650 mg 24; 30; 50; 60; 72; 100; 120; 170; 200 Comprimé 160 mg 325 mg 500 mg 18¥; 20¥ 12¥; 24¥; 50; 100; 120; 200 10; 24; 36; 50; 100; 150; 200; 250; 500 Comprimé croquable 80 mg 160 mg 24¥ 20¥ Comprimé facile à avaler 500 mg 24; 36; 60; 100; 120; 200 Gélule 500 mg 24; 50; 60; 90; 120 Goutte orale 80 mg/ml 15¥; 24¥ Liquide oral 80 mg/5 ml 160 mg/5 ml 100¥ 100¥ Suppositoire 120 mg 160 mg 325 mg 650 mg 4; 12 4; 12 4; 12 4; 12 *Liste non exhaustive. ¥ = disponible hors annexe. À noter qu’une formulation injectable d’acétaminophène (Ofirmev® 10 mg/ml Sol. inj. IV, fiole 100 ml) est maintenant homologuée depuis 2010 par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis4. www.ProfessionSante.ca | cahier de FC de L’actualité pharmaceutique | mars 2012 1 Tableau II Stades d’intoxication aiguë à l’acétaminophène Figure 1 Voies métaboliques de l’acétaminophène NHCOCH3 NHCOCH3 NHCOCH3 60 % OG 12-15 % Glucuronide 25 % OH CYP2E1 Durée après l’ingestion (h) Effets observés I < 24 h ⦁Asymptomatique, 1% Acétaminophène Stade II 24 h à 72 h oso3 Sulfate CYP2A6 III NHCOCH3 72 h à 96 h NHCOCH3 NHCOCH3 O NAPQI OH SG OH OH Conjugé avec glutation IV > 120 h Hydroxyde nausées, vomissements, anorexie (enfants surtout), diaphorèse ⦁Début de l’augmentation des taux d’AST en premier, puis d’ALT (18 à 24 heures après l’ingestion) ⦁Résolution ou non des symptômes initiaux abdominale dans le quadrant supérieur droit, tachycardie ⦁Poursuite de l’augmentation des taux d’AST et d’ALT et, dans des intoxications sévères, des taux de bilirubine et du RNI ⦁Douleur ⦁Insuffisance hépatique et/ou rénale, pancréatite, ictère, coagulopathie, hypoglycémie, encéphalopathie hépatique progressive, acidose métabolique ⦁Atteinte des taux maximaux en AST, ALT, bilirubine et RNI ⦁Par contre on peut observer une diminution des taux d’AST et d’ALT à la suite de la destruction des cellules hépatiques, accompagnée d’une hausse du RNI. ⦁Résolution complète des symptômes et des insuffisances ou évolution vers une insuffisance de multiples organes (parfois fatale) Adaptation et mise à jour de la référence16. Reproduction autorisée par le Bulletin d’information ⦁ Limiter les options de formulations liquides pédiatriques à une seule teneur; ⦁ Éliminer les produits contenant de l’acétami nophène en association avec d’autres médi caments. Ce comité a également émis des recommanda tions pour l’acétaminophène disponible avec ordonnance médicale : ⦁ Favoriser une meilleure formation du public; ⦁ Améliorer l’étiquetage; ⦁ Utiliser des formats de conditionnement uni dose (p. ex., plaquettes thermoformées, alvéolées); ⦁ Limiter la dose quotidienne maximale à 3250 mg; ⦁ Limiter la teneur à 325 mg pour les compri més à libération immédiate combinant l’acé taminophène avec d’autres médicaments (p. ex., acétaminophène + opioïde). En juillet 2011, la compagnie pharmaceu tique américaine McNeil-PCC a fait parvenir un avis aux professionnels de la santé à propos de leur plan de mise en œuvre progressive de nou velles mesures conçues pour réduire la possibi lité d’une surdose accidentelle d’acétamino phène pour leurs produits de marque TylenolMD10. La première étape fut l’impression de nouvelles instructions de dosage sur l’emballage de TylenolMD Extra-Fort vendu aux États-Unis depuis l’automne 2011, soit : ⦁ prendre 2 comprimés (1000 mg) toutes les 6 heures (au lieu de 2 comprimés toutes les 4 à 6 heures); ⦁ ne pas prendre plus de 6 comprimés (3000 mg) en 24 heures, sauf si indiqué par un médecin (au lieu de 8 comprimés, soit 4000 mg, en 24 heures). À compter de 2012, le fabricant compte éga lement réduire les dosages recommandés pour ses autres produits contenant de l’acétamino phène. Statistiques d’intoxications11,12 Au Québec, les statistiques d’intoxications proviennent principalement des rapports annuels du Centre antipoison du Québec (CAPQ). Ces derniers sont produits à partir des appels reçus directement du public et des pro fessionnels de la santé. Ces statistiques ne sont donc pas absolues puisqu’elles ne consi dèrent que les appels reçus et sous-estiment généralement le nombre réel d’intoxications non déclarées au CAPQ. Par contre, elles peu vent nous donner une bonne idée de l’impor 2 toxicologique16. tance d’une problématique de santé publique à l’échelle provinciale. Le CAPQ a été consulté pour 1 028 075 cas d’intoxications de 1989 à 2010. La répartition des intoxications est la suivante : produits indus triels : 3,76 % (n = 38 670); pesticides : 4,61 % (n = 47 443); produits domestiques : 46,92 % (n = 482 322); médicaments : 43,21 % (n = 444 205). Cela fait maintenant plus d’une vingtaine d’années que l’acétaminophène est la première cause d’intoxication au Québec. Depuis 2004, on rapporte annuellement une moyenne de 4103 cas d’intoxications à l’acétaminophène, ce qui représente environ 20 % des intoxications d’ori gine médicamenteuse et près de 10 % de toutes les intoxications. Les enfants de 0 à 5 ans constituent le groupe d’âge le plus fréquemment impliqué. Le pourcentage des intoxications à l’acétamino phène dans ce groupe, qui était de 56 % en 1990, a progressivement diminué pour s’établir à 43 % en 2009. Il s’agit d’ingestions acciden telles dans 82 % des cas et d’erreurs thérapeu tiques dans 17 % des cas. Heureusement, plus de 85 % des expositions à l’acétaminophène rapportées dans ce groupe concernent des doses ingérées inférieures à la dose toxique et ne nécessitent donc aucun traitement. En effet, la plupart des jeunes enfants ingèrent des formes posologiques pédiatriques d’acétaminophène qui contiennent, pour la plupart, des quantités totales inférieures aux doses toxiques pour la majorité des enfants et donnent rarement lieu à des intoxications significatives. Chez les enfants de 5 à 12 ans, le CAPQ fait état de 123 cas rapportés en 2009, dont la plupart étaient accidentels. On note cepen dant 15 intoxications intentionnelles chez les moins de 12 ans. La situation est beaucoup plus alarmante chez les 12 à 25 ans. En effet, les adolescents et les jeunes adultes représentent 21 % de toutes les intoxications par ce produit et plus de 75 % de ces expositions sont intentionnel les. De fait, l’acétaminophène, un médicament qui leur est facilement accessible, est en cause dans près de 34 % de toutes les intoxi cations médicamenteuses volontaires rappor tées dans ce groupe d’âge. Le pourcentage d’intoxications chez les 25 à 64 ans, qui était de 12,3 % en 1990, a forte ment augmenté, pour atteindre 23,4 % en 2009. Il s’agit d’ingestions intentionnelles dans 69 % des cas et d’erreurs thérapeutiques dans 18 % des cas. Contrairement aux exposi tions accidentelles de l’enfant qui sont, la cahier de FC de L’actualité pharmaceutique | mars 2012 | www.ProfessionSante.ca plupart du temps, bénignes, les intoxications intentionnelles chez les adolescents et les adultes nécessitent des soins en milieu hospi talier dans près de 64 % des cas, alors que les victimes d’erreurs thérapeutiques doivent consulter dans plus de 40 % des cas. Parmi les 65 ans et plus, seulement 110 intoxications ont été rapportées au CAPQ en 2009. Il s’agissait principalement d’inges tions intentionnelles dans 40 % des cas et d’erreurs thérapeutiques dans 37 % des cas. Depuis 2003, parmi les 31 décès résultant d’une intoxication à l’acétaminophène rappor tés au CAPQ, 9 (29 %) sont survenus au cours de 2009 seulement. Physiopathologie13-16 Le métabolisme de l’acétaminophène s’effec tue essentiellement au niveau hépatique. Sa biodisponibilité orale est d’environ 75 % sui vant le premier passage hépatique. Les deux voies métaboliques principales qui sont impli quées dans le métabolisme de l’acétamino phène sont la glucuroconjugaison et la sulfo conjugaison (figure 1). La troisième voie métabolique est catalysée principalement par l’enzyme CYP2E1 (mais aussi CYP1A2 et CYP3A4) du cytochrome p450. L’acétami nophène est ainsi métabolisé par désacétyla tion et N-hydroxylation. Le métabolite N-acétyl p-benzoquinone imine (NAPQI) est l’intermédiaire toxique de l’acétami nophène. À dose thérapeutique d’acétamino phène, le NAPQI est rapidement neutralisé par une réaction avec le glutathion endogène, puis éliminé dans l’urine à la suite d’une réaction de conjugaison avec la cystéine et l’acide mercap turique. Lors d’une intoxication à l’acétamino phène, cette voie métabolique gagne en impor tance par saturation de la glucuroconjugaison et de la sulfoconjugaison. Dans l’éventualité où les concentrations de glutathion deviennent insuffi santes pour neutraliser le NAPQI, ce dernier peut générer une toxicité cliniquement significative. L’adduction du NAPQI aux protéines cellulaires a pour conséquence de modifier les structures et les fonctions de ces dernières. Ainsi, le NAPQI perturbe l’homéostasie calcique, génère une perte d’ATP et de l’œdème cellulaire, produit des radicaux réactifs de l’oxygène et de la nitrotyro sine avec peroxydation lipidique. On assiste ensuite à une augmentation de la perméabilité des mitochondries, qui entraînera rapidement la mort cellulaire. Cela entraîne ainsi une nécrose centrolobulaire et, finalement, une hépatite cyto lytique. Une atteinte rénale découlant du même mécanisme d’action est également possible. Selon certains auteurs, les patients souf frant d’alcoolisme chronique, de malnutrition, d’anorexie, de boulimie, du sida, de fibrose kys tique ou de jeûne prolongé pourraient présenter des concentrations de glutathion endogène plus faibles que la normale et être ainsi plus susceptibles de réagir négativement à des doses suprathérapeutiques d’acétaminophène. Ces affirmations constituent cependant une zone grise dans la littérature médicale. En effet, d’autres recherches montrent plutôt un glutathion cellulaire augmenté lors de mala dies hépatiques, accompagné ou non d’une diminution de l’activité enzymatique des cyto chromes hépatiques. Étant donné l’ambiguïté actuelle des données et jusqu’à ce que d’autres études clarifient ces hypothèses, les toxicolo gues considèrent généralement ces facteurs comme augmentant le risque d’hépatoxicité lors d’une intoxication à l’acétaminophène. Somme toute, trois mécanismes de toxicité ont été proposés à propos de l’acétaminophène : 1 mécanismes de détoxication surchargés; 2 induction enzymatique (p. ex., prise régulière d’isoniazide, prise chronique d’alcool); 3 circonstances favorisant la déplétion en glu tathion (p. ex., facteur génétique, intoxica tion, dénutrition, troubles des conduites ali mentaires ou alcoolisme chronique). Signes et symptômes de l’intoxication16,17 On peut classifier l’intoxication à l’acétamino phène en trois catégories principales 1 ingestion unique : ingestion en une seule dose ou ingestion de doses multiples durant moins de 8 heures; 2 ingestion échelonnée : ingestion de doses multiples durant plus de 8 heures, mais moins de 24 heures ou ingestion d’acétami nophène dont l’heure est inconnue ou suspi cion d’ingestion d’acétaminophène; 3 ingestion suprathérapeutique : ingestion répétée de doses suprathérapeutiques durant plus de 24 heures ou ingestion répétée de doses thérapeutiques à intervalles trop rap prochés durant plus de 24 heures. La symptomatologie de l’intoxication aiguë à l’acétaminophène est résumée et présentée dans le Tableau II. Traitement Le traitement de l’intoxication à l’acétamino phène se résume principalement en une décon tamination gastro-intestinale adéquate à l’aide du charbon de bois activé (CharcodoteMD) et/ou de l’administration de l’antidote de l’acétamino phène, à savoir la n-acétylcystéine (NAC, MucomystMD) par voie intraveineuse. Ces traite ments doivent être commencés le plus tôt possi ble afin d’éviter une hépatotoxicité qui pourrait aller jusqu’à une greffe hépatique, ou même entraîner le décès. L’antidote n-acétylcystéine permettrait prin cipalement de maintenir ou de rétablir les concentrations hépatiques de glutathion, afin de favoriser sa conjugaison au NAPQI ainsi que l’éli mination rénale du complexe non toxique NAPQIglutathion (acide mercapturique). La n-acétyl cystéine aurait aussi une capacité de sulfatation, en fournissant un groupement sulfhydrile. De plus, on croit que la n-acétylcystéine pourrait agir à titre de substitut du glutathion et ainsi se combiner directement avec le NAPQI pour le détoxiquer. Le CAPQ a récemment publié en détail son protocole de traitement de l’intoxication à l’acé taminophène en milieu hospitalier17. Cependant, ce protocole s’adresse principalement aux pro fessionnels en établissements de santé. Alors, que peut faire un pharmacien en milieu commu nautaire ? En 2006, l’American Association of Poison Control Centers (AAPCC) a publié un consensus basé sur les données probantes quant à la ges tion des intoxications à l’acétaminophène en milieu ambulatoire par les spécialistes d’un cen tre antipoison18. De ce consensus ressortent les recommandations générales suivantes : 1.L’histoire initiale devrait inclure l’âge du patient et son intention, la formulation spé cifique et la dose d’acétaminophène, le type d’ingestion (simple ou multiple), la durée d’ingestion, ainsi que la médication conco mitante, s’il y a lieu; 2. Tout patient ayant déclaré s’être automutilé, étant soupçonné de s’être automutilé, ou qui est victime d’une administration malicieuse d’acétaminophène devrait être adressé immédiatement à un service d’urgence, indépendamment de la quantité ingérée; 3. Tout patient présentant des signes compati bles avec une intoxication à l’acétamino phène (par exemple des vomissements répé tés, une douleur abdominale dans le qua drant supérieur droit ou des changements de l’état mental) doit être adressé immédiate ment à un service d’urgence pour une éva luation médicale; 4. Les patients adressés à l’urgence doivent avoir une concentration sérique d’acétamino phène déterminée immédiatement après leur arrivée ou dès que possible, soit ≥ 4 heures après l’ingestion, mais pas trop tardivement pour entamer le traitement < 8 à 10 heures après l’ingestion. Si le temps d’in gestion est inconnu, le patient doit être immé diatement dirigé vers un service d’urgence; 5. Le charbon de bois activé peut être envisagé si : 1) un spécialiste d’un centre antipoison soutient son utilisation préhospitalière; 2) une dose toxique d’acétaminophène a été ingérée; et 3) moins de 2 heures se sont écoulées depuis l’ingestion unique. 6. La décontamination gastro-intestinale pour rait particulièrement être utile si l’acétylcys téine ne pouvait être administrée dans les 8 heures suivant l’ingestion unique. La décontamination gastro-intestinale n’est pas nécessaire suivant une ingestion supra thérapeutique. 7. Si le premier contact avec le centre antipoi son survient plus de 36 heures après la fin de l’ingestion et que le patient est asymptoma tique, le patient ne nécessite pas une évalua tion plus poussée de la toxicité de l’acétami nophène. Les doses toxiques d’acétaminophène sont les suivantes17,19 ⦁ Ingestion unique ou échelonnée d’acétaminophène : ◾≥ 200 mg/kg chez l’enfant < 6 ans; ◾≥ 150 mg/kg ou 7,5 g selon le pire scé nario chez l’enfant ≥ 6 ans et l’adulte; ⦁ Ingestion suprathérapeutique d’acétaminophène : ◾> 90 mg/kg/24 h chez l’enfant ou > 75 mg/kg/24 h chez l’enfant fiévreux de moins de 6 ans; ◾> 4 g/24 h ou > 150 mg/kg selon le pire scénario chez l’adulte; ◾> 4 g/24 h ou > 100 mg/kg selon le pire scénario chez les patients dont les pro blèmes de santé peuvent augmenter la susceptibilité à la toxicité de l’acétamino phène (alcoolisme, jeûne prolongé, traite ment à l’isoniazide). Occasionnellement, des patients plus récal citrants aux soins octroyés en milieu hospitalier signent un formulaire de refus de traitement ou quittent l’hôpital avant même d’avoir terminé leur traitement par la n-acétylcystéine (protocole de 21 heures). Quelles sont alors les options qui s’offrent aux cliniciens pour tenter malgré tout un traitement antidotique chez cette clientèle particulière ? Il est possible, uniquement après consultation auprès d’un spécialiste du CAPQ, de poursuivre un traitement par la n-acétylcys téine par voie orale en utilisant la formulation injectable (200 mg/ml; 20 %) diluée dans du jus de fruits, une boisson de type soda ou dans de l’eau, afin d’obtenir une concentration finale de 5 %. Le protocole antidotique par voie orale le plus étudié, d’une durée de 72 heures, est défini de la façon suivante : une dose de charge de 140 mg/kg, suivie d’une dose de maintien de 70 mg/kg répétée toutes les 4 heures pour 17 doses supplémentaires20. L’administration de cet antidote par voie orale peut induire les effets indésirables suivants : nausées et vomissements (50 %), diarrhée, dysgueusie et, plus rarement, de l’urticaire21. La présence de vomissements pourra nécessiter la répétition d’une ou plusieurs doses, ou l’administration d’un antiémétique (p. ex., métoclopramide), ou même une réhospi talisation. De plus, le charbon activé peut par tiellement adsorber l’antidote et ainsi nécessi ter de plus fortes doses de ce dernier. Quelle que soit la voie d’administration de l’antidote, la n-acétylcystéine peut être poursuivie audelà de la durée usuelle du protocole afin de traiter le patient jusqu’à la diminution des transaminases (AST, ALT) et du RNI, et jusqu’à ce que la concentration sérique d’acétamino phène soit inférieure à 66 μmol/l21. Le patient devra donc être réévalué par un médecin en clinique externe après le traitement et subir certains examens de laboratoire de contrôle22. Idéalement, le pharmacien communautaire ne devrait pas recevoir ce genre d’ordonnance antidotique, car les patients devraient être traités en milieu hospitalier, mais des excep tions peuvent se présenter, même si ce n’est pas une situation optimale. Certains patients pourraient demander conseil auprès de leur pharmacien avant de prendre un produit naturel « antidotique » dis ponible en pharmacie, afin d’éviter de se pré senter à l’urgence. Aucune donnée probante n’appuie l’utilisation des capsules ou compri més de charbon activé ou contenant de l’acé tylcystéine, des produits potentiellement en vente en pharmacie ou sur Internet23. La mor bidité et la mortalité qui résultent d’une intoxi cation à l’acétaminophène étant non négli geables, le pharmacien se doit de refuser la vente de tels produits aux patients et de diriger immédiatement ces derniers vers le service d’urgence le plus proche. En règle générale, on permettra une reprise de la médication contenant de l’acétamino phène à la suite d’une ingestion suprathéra peutique mineure de celui-ci au moins 48 heures après la surdose, si le patient est demeuré asymptomatique. Conclusion L’acétaminophène constitue une cause impor tante d’intoxication non seulement au Québec, mais partout dans le monde. Tout pharmacien doit savoir reconnaître cette intoxication poten tiellement létale et adresser le patient au Centre antipoison du Québec ou au service médical d’urgence le plus proche dès qu’une intoxication est suspectée. Les pharmaciens sont invités à suivre les publications conjointes de l’équipe de toxicologie clinique de l’Institut national de santé publique du Québec et des professionnels du Centre anti poison du Québec figurant sur le portail Toxicologie clinique, accessibles gratuitement grâce au lien suivant : http://portails.inspq. qc.ca/toxicologieclinique/accueil.aspx. ❰ Cas clinique En interrogeant la mère, on apprend que le jeune garçon n’a aucune maladie chronique, ne prend aucun médicament et n’est pas connu pour souffrir d’allergies. Outre une légère fièvre, il est asymptomatique et s’amuse avec ses jouets. La bouteille de Tempra en question contenait 24 ml d’acétaminophène d’une concentration de 80 mg/ml, soit un total de 1920 mg. Pour ce jeune garçon de 15 kg, la dose maximale ingérée est de 128 mg/kg, inférieure à la dose toxique établie à 200 mg/kg pour son groupe d’âge lors d’une ingestion unique. Vous rassurez la mère en lui disant que la dose ingérée accidentellement par son fils n’est pas toxique, mais lui demandez de ne pas lui redonner d’acétaminophène durant les 48 heures prochaines. Par mesure de prudence, vous lui donnez les coordonnées du Centre antipoison du Québec (1 800 463-5060) et lui conseillez de contacter un spécialiste en information toxicologique. Voir page 4 pour l'entrevue-conseil Recommandations au patient L’algorithme suivant permet d’orienter le patient Intention malveillante, suicidaire ou présence d’automutilation? oui Diriger immédiatement le patient au service d’urgence le plus près. NON Plus de 36 heures écoulées depuis l’ingestion et patient asymptomatique ? OUI Toxicité improbable. aucune référence et aucun traitement nécessaires. NON Présence de signes d’atteinte hépatique (vomissements répétés, ictère, douleur abdominale dans le quadrant supérieur droit, changement de l’état mental)? OUI Diriger immédiatement le patient au service d’urgence le plus près. NON Ingestion unique ou échelonnée: ≥ 200 mg/kg chez l’enfant < 6 ans; ≥ 150 mg/kg ou 7,5 g selon le pire scénario chez l’enfant ≥ 6 ans et l’adulte. Ingestion suprathérapeutique: > 90 mg/kg/24 h chez l’enfant ou > 75 mg/kg/24 h chez l’enfant fiévreux de moins de 6 ans; > 4 g/24 h ou > 150 mg/kg selon le pire scénario chez l’adulte ou > 100 mg/kg selon le pire scénario chez les patients avec des conditions pouvant augmenter la susceptibilité à la toxicité de l'acétaminophène (alcoolisme, jeûne prolongé, traitement à l'isoniazide). OUI Diriger le patient ou son représentant à un spécialiste du Centre antipoison du Québec au 1 800 463-5060. www.ProfessionSante.ca | cahier de FC de L’actualité pharmaceutique | mars 2012 3 Questions de formation continue Répondez maintenant en ligne sur www.ProfessionSante.ca Santé publique Références L’acétaminophène, pas si banal que ça ! Question 1 Lequel de ces énoncés est faux ? a) Depuis plus de 20 ans, l’acétaminophène est la première cause d’intoxication au Québec. b) L’acétaminophène est présent dans plusieurs formulations simples et combinées. c) L’antidote utilisé lors d’une intoxication à l’acétaminophène, la n-acétylcystéine, est généralement administré par voie orale. nants gastro-intestinaux lors d’une intoxication aiguë ou chronique à l’acétaminophène. a) Vrai b)Faux Question 5 La n-acétylcystéine permet principalement d’augmenter l’élimination de l’acétaminophène en régénérant le glutathion hépatique. a) Vrai b)Faux Question 6 Question 2 Quelle est la principale toxicité redoutée lors d’une intoxication à l’acétaminophène ? a)Pancréatite b)Hépatite c) Reflux gastro-œsophagien d)Saignements Question 3 Lequel de ces énoncés est faux ? a) L’acétaminophène est principalement éliminé par glucuroconjugaison et par sulfoconjugaison. b) L’acétaminophène est 10 fois plus toxique que son métabolite n-acétyl p-benzoquinone imine (NAPQI). c)Un fort inducteur du CYP 2E1 (p. ex., prise chronique d’isoniazide) peut augmenter la toxicité de l’acétaminophène en élevant la production de NAPQI, surtout lors de la consommation de doses suprathérapeutiques d’acétaminophène ou de l’arrêt récent de l’inducteur/substrat. d) Chez les adolescents, 75 % des intoxications par acétaminophène sont d’origine intentionnelle. Question 4 Il a été démontré que les capsules de charbon activé présentes dans la section des produits naturels sont très efficaces comme décontami- Un patient sous pilulier reçoit régulièrement 1 g d’acétaminophène quatre fois par jour. Il y a deux jours, il a consulté à l’urgence en soirée et a reçu l’ordonnance « Tramacet 2 co q6h régulier x 48 h, puis PRN », qu’il s’est procurée dans une autre pharmacie. Sa conjointe vous consulte car, depuis ce matin, il semble beaucoup plus fatigué que d’habitude et a vomi deux fois. De quel type d’ingestion s’agit-il ? a) Ingestion unique b) Ingestion échelonnée c) Ingestion suprathérapeutique Question 7 Un patient vous consulte après avoir tenté, sans succès, de traiter son mal de dents en ingérant 1 g d’acétaminophène toutes les 1 à 2 heures depuis 16 heures. De quel type d’ingestion s’agit-il ? a) Ingestion unique b) Ingestion échelonnée c) Ingestion suprathérapeutique Question 8 Un patient qui est toujours asymptomatique 18 heures après l’ingestion d’une dose potentiellement toxique d’acétaminophène doit être adressé à l’urgence pour effectuer des tests sanguins supplémentaires et faire une évaluation médicale complète. a) Vrai b)Faux Suite de la page 3 Entrevue-conseil 1. Santé Canada. Base de données sur les produits pharmaceutiques. Santé Canada 2010-04-01; [En ligne.] http://webprod. hc-sc.gc.ca/dpd-bdpp/index-fra.jsp (Consulté le 2011-08-22.) 2. Canadian Pharmacists Association. Acetaminophen (CPhA Monograph). Compendium of Pharmaceuticals and Specialties, online version (e-CPS) 2009-10; [En ligne.] www.e-therapeutics.ca (Consulté le 2011-08-22.) 3. Sullivan JE, Farrar HC. Fever and antipyretic use in children. Pediatrics 2011 Mar; 127(3): 580-7. 4. Gray T, Hoffman RS, Bateman DN. Intravenous paracetamol - An international perspective of toxicity. Clin Toxicol (Phila) 2011 Mar; 49(3): 150-2. 5. Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments. Publications du Québec 2011-08-01; [En ligne.] www2. publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/P_10/ P10R12.HTM (Consulté le 2011-08-13.) 6. Norme d’étiquetage pour l’acétaminophène. Santé Canada 2009-09-21; [En ligne] www. hc-sc.gc.ca/dhp-mps/alt_formats/pdf/ prodpharma/applic-demande/guide-ld/ label_stand_guide_ld-fra.pdf (Consulté le 2011-08-13.) 7. Bateman DN. Limiting paracetamol pack size: has it worked in the UK? Clin Toxicol (Phila) 2009 Jul; 47(6): 536-41. 8. Hawkins LC, Edwards JN, Dargan PI. Impact of restricting paracetamol pack sizes on paracetamol poisoning in the United Kingdom: A review of the literature. Drug Saf 2007; 30(6): 465-79. 9. Krenzelok EP. The FDA Acetaminophen Advisory Committee Meeting - What is the future of acetaminophen in the United States? The perspective of a committee member. Clin Toxicol (Phila) 2009 Sep;47(8):784-9. 10. McNeil Consumer Healthcare: Dear Healthcare Professional letter for new dosing instructions for Tylenol(R) products. McNeil Consumer Healthcare Fort Washington, PA 2011; [En ligne.] www. tylenolprofessional.com/letter_plans_for_ new_dosing_instructions.html (Consulté le 2011-08-22.) 11. Lefebvre L. Acétaminophène : première cause d’intoxication au Québec. Bulletin d’information toxicologique 2011-01-26; [En ligne.] http://portails.inspq.qc.ca/ toxicologieclinique/statistiques-acetami nophene--premiere-cause-dintoxicationau-quebec.aspx (Consulté le 2011-08-13.) 12. Lefebvre L. Statistiques générales d’intoxications 2010 (non publiées); 2011. 13. Tanaka E. In vivo age-related changes in hepatic drug-oxidizing capacity in humans. J Clin Pharm Ther 1998 Aug; 23(4): 247-55. 14. Rumack BH. 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Voici différentes informations à prendre en considération si vous suspectez une intoxication à l’acétaminophène, avant de contacter le centre antipoison : ⦁ Nom et prénom sexe et poids ⦁ Antécédents pertinents (allergies, maladies chroniques, tentatives de suicide) ⦁ Habitudes de vie (grossesse, alcoolisme, tabagisme, toxicomanie) ⦁ Type d’exposition (accidentelle, erreur thérapeutique, volontaire) ⦁ Nom commercial exact du produit contenant de l’acétaminophène ⦁ Date et heure de la dernière ingestion d’acétaminophène ⦁ Âge, ⦁ Définir le type d’ingestion (unique, échelonnée, suprathérapeutique) ⦁ Calculer la dose totale d’acétaminophène ingérée ⦁ Médicaments concomitants et autres drogues (particulièrement les inducteurs du CYP2E1) ⦁ Symptomatologie actuelle ⦁ Service d’urgence le plus proche ⦁ Adresser le patient ou son représentant au Centre antipoison du Québec Veuillez noter que les articles de formation continue sont dorénavant valides pendant un an après leur publication ou mise en ligne. L’Ordre des pharmaciens du Québec accordera 1,5 UFC aux participants qui auront au moins 6 bonnes réponses sur 8. Date limite : 8 mars 2013 Adieu télécopieur ! Maintenant, c’est en ligne ! x Veuillez noter qu’il n’est désormais plus possible de nous faire parvenir vos formulaires de formation continue par télécopieur. Vous devez maintenant répondre aux questions de formation continue en ligne, dans le portail Profession Santé. Vous n’êtes pas encore inscrit ? Vous devez d’abord le faire en vous rendant au www.professionsante.ca Une fois votre inscription confirmée et activée, vous pourrez faire votre formation continue en cliquant sur l’onglet «Formation continue», puis sur «FC en ligne». Pour toute question, veuillez communiquer avec : Francine Beauchamp, coordonnatrice de formation continue, par téléphone : 514 843-2595, ou par courriel : [email protected] 4 cahier de FC de L’actualité pharmaceutique | mars 2012 | www.ProfessionSante.ca Publié grâce à une subvention sans restrictions de