Amenzu n°11 Septembre 2001 - ACBB
Transcription
Amenzu n°11 Septembre 2001 - ACBB
A M E N Z U Bull etin d e l’A s so ciati on C ultu rell e de s Be rb èr e s de Bretagne E D I T O Une année charnière ? C’est la rentrée….les événements nationaux et internationaux nous montrent que nos ennuis ne sont pas terminés. Avec un pouvoir qui, après avoir affiché son mépris devant les revendications, joue la carte du pourrissement afin de discréditer les véritables représentants de la cause amazighe, Boutef continue de souffler le chaud et le froid, comptant sur le temps qui passe pour anéantir toute opposition. Cet été, j’étais en Algérie. J’ai vu de bonnes choses telles que la volonté de faire aboutir la plate-forme d’El Kseur et une maturité certaine des jeunes kabyles déterminés. Il y a aussi du moins bon…comme ces personnes toujours à l’affût du gain ou ces opportunistes qui sont prêts à tout pour assouvir leur soif, facile- R I A L ment récupérables par le pouvoir. Il y a également la femme qui n’est pas assez représentée dans les Comités de village et c’est une aberration pour un mouvement qui combat la dictature. Il faut avoir le courage de balayer devant sa porte si nous voulons faire triompher la démocratie ! Il y avait enfin des propositions de sortie de crise telles que l’autonomie de la Kabylie ou un système fédéral. Tout est bon à condition qu’il y ait un débat franc avec toutes les composantes de la société en évitant les manipulations. L’année qui commence est porteuse d’espoirs, mais aussi de dangers dans une conjoncture internationale explosive. La vigilance ainsi que l’union sont indispensables pour faire face à tous les défis. Boualem Kaci – Chaouch Numéro 11 Septembre 2001 S o m m ai r e Éditorial p1 L’ACBB à Douarnenez p1 A travers la Kabylie meurtrie p2 La parole aux fem- p 3 mes démocrates de 4 De beaux lendemains p 5 p6 De Tahar Djaout aux p 6 tours de Manhattan Le Congrès mondial amazigh et le Maroc p 7 Communiqué des aarouch de Kabylie p 8 L’A.C.B.B à Douarnenez A l’invitation des responsables du festival du cinéma de Douarnenez (dont le thème cette année portait sur les Maoris) qui s’est déroulé du 18 au 25 août dernier, l’A.C.B.B était présente au Village des Associations où nous avons tenu un stand. Des photos prises en Kabylie ont été exposées, elles ont suscité beaucoup de questions des nombreux festivaliers qui nous ont rendus visite. Notre association était également partie prenante dans le débat qui a eu lieu sur les évènements en Kabylie que certains voulaient inscrire dans un cadre plus large. D’autres associations étaient également présentes comme Tamazgha, l’A.C.B Paris ainsi que l’Association France Algérie Brest. Nous remercions les responsables de nous avoir bien accueillis et nous pensons être présents chaque année à cette riche et sympathique manifestation. Photo A.C.B.B Page 1 Août 2001, à travers la Kabylie meurtrie Malgré les recommandations dissuasives du Quai d'Orsay concernant la Kabylie, j'ai tenu à m'y rendre pour y sentir les douleurs et les espoirs de cette région meurtrie par la répression sanglante du printemps. Mon regard est d'abord attiré par l'omniprésence pesante du deuil : drapeaux noirs et banderoles noires à travers les rues des villes et des villages, portraits des jeunes assassinés par les balles explosives tirées par les gendarmes, murs recouverts de tags exprimant la colère et les revendications, édifices publics calcinés lors de l'extrême violence du printemps noir (sur les ruines noircies du tribunal d' Amizour, l'inscription «ici repose le pouvoir»). Les fêtes de l'été ont été annulées comme celle du bijou d'Ath Yenni, les plages d’Azeffoun et de Tigzirt boudées. Ce noir que fait oublier un instant sur les chemins qui montent, rocailleux, les échappées sur les villages des crêtes d'une beauté à vous couper le souffle. Pendant ce temps, à Souk-Ahras près de la frontière tunisienne (où je me suis rendue pour voir les vestiges encore meurtrier de la ligne Morice), la vie s'étire dans la somnolence de la tradition ; à Oran le festival de raï bat son plein, et Alger prépare à coups de centaines de millions le festival international de la jeunesse, en grattant, ripolinant les façades et les trottoirs. Ailleurs donc, c'est une autre Algérie. Mais sous le deuil pointent la colère et la détermination de la population de Kabylie à faire aboutir une lutte engagée pacifiquement depuis des dizaines d’années et ravivée par les évènements du printemps : le « Z » de l’alphabet berbère millénaire, symbole de la revendication identitaire fleurit partout sur les drapeaux, les murs, les poteaux, les arbres, les fontaines. A côté des portraits omniprésents de Matoub Lounès, chanteur assassiné en 1998 et devenu le symbole de la jeunesse révoltée se sont ajoutées des inscriptions comme « Massinissa, on ne t’oubliera jamais» (1er jeune assassiné à Ath Douala ce printemps). Dans le village du bout du monde de Tifilkout, au pied du Djurdjura, les jeunes du comité de village m’accueillent, vigilants, et m’expliquent leur implication dans la coordination de la wilaya de Tizi Ouzou. Sur les murs « Kabylie autonome». C'est une idée nouvelle qui revient souvent dans les discussions au delà du cercle militant, et exprimée sans crainte par des anonymes :" de toute façon ce pouvoir ne nous envoie que des balles, alors prenons notre sort en main" . Dans ce village de 4000 habitants, plus de 600 sont partis manifester à Alger le 14 juin. A Tizi Ouzou, des jeunes filles du «collectif des femmes de Kabylie» me racontent comment, à moins de 10, elles ont organisé l’ extraordinaire marche de 100000 femmes à Tizi . A la permanence du «collectif des avocats» à Tizi ( créé pour aider les victimes et familles de victimes de la répression), les plaintes s’accumulent : des jeunes avocates et avocats affirment avec gra- vité et détermination «malgré tous les obstacles, nous irons jusqu’au bout ! ». Dans les familles à l’hospitalité légendaire, à Zekri, Tifilkout ou Ath Yenni, jeunes et vieux me martèlent «40 ans de mépris, cela suffit ; cette fois, on ne cédera pas ! ». La rupture avec le pouvoir est totale. Ses symboles sont systématiquement balafrés du " Z". Les inscriptions en langue arabe effacées. Les gendarmes mis en quarantaine sont cloîtrés. Le «tube» de l’été, partout, est la chanson de Oul Lahloul «Pouvoir assassin». Nicole Logeais matin, tous les rideaux de fer sont baissés ; bus, fourgons, camions se remplissent, banderoles au vent. A 20 km à Naceria, 1° barrage de gendarmerie, infranchissable, je contourne ; à Corso, 2° barrage : des milliers de jeunes à pied, sous un soleil torride, les poings serrés, avancent vers les gendarmes. La colère monte irrésistiblement. Ils me voient : «une Française ? bravo et merci d’être venue !». Je contourne par la côte. A Alger, quadrillée par un imposant dispositif de répression, les voies d’accès au stage du 5 juillet sont bouclées. Je contourne. A Chevalley quelques centaines d’ « éclaireurs» de la coordination essaient d’avancer. Sous mes yeux, insultes anti-kabyles, agressions, arrestations. La marche vers la présidence encore une fois, n’aura pas lieu. Le soir, alors que s’ouvre à huis-clos un festival- carnaval pour de jeunes étrangers, la jeunesse de Kabylie, indésirable à Alger, étrangère dans son propre pays, est rentrée, la rage au cœur. Des jeunes filles pleurent : «c’est trop de haine ! ». Les émeutes reprennent à Tizi Ouzou. Évidemment ! Jusqu’ à quand ? Et dans toutes les bouches la même question : quelles formes de lutte inventer puisqu'on ne peut plus marcher ? La résistance passive ? La Kabylie est entrée en rébellion contre le pouvoir, durablement. Comme le prouve la grandiose marche du 20 août à Ifri pour la commémoration du Congrès de la Soummam où la Kabylie en se réappropriant son histoire a interdit la présence des officiels sur la terre. Au retour, je m'arrête à Marseille pour rendre visite à un jeune blessé d'Azazga. Je lui apporte la cassette "Pouvoir assassin" et lui donne des nouvelles d'Azazga : un grand sourire malgré un corps transpercé ! Et une question : " Ne me dis pas que la lutte va s'arrêter ?" C'est insupportable et réconfortant à la fois. Mercredi 8 août : journée ubuesque : Je rentre, bouleversée par tant de alors que s’ouvre à Alger le festival mépris et admirative devant une international de la jeunesse, la poputelle détermination . lation de Kabylie et principalement la 2 N.L jeunesse se met en marche une noule 13-08-01 velle fois vers Alger. A Tizi, 9 h du Page 2 La parole au collectif des femmes démocrates de Kabylie Azul Faroudja, peux-tu te présenter aux lecteurs d'Amenzu ? Voilà, je m'appelle Moussaoui Faroudja, ingénieur en énergétique (université de Tizi-Ouzou), née à Boghni à 40 Km au sud de la ville de Tizi-Ouzou, militante de la cause amazigh ayant participé à toutes les actions visant la vulgarisation de la revendication de mon peuple à savoir l'identité amazigh, militante des droits des femmes, notamment sympathisante de la célèbre association thighri n'thmetut ( cri de femmes). Votre première action a été l'organisation de la marche des femmes à TiziOuzou le 24 mai 2001 : 100.000 femmes dans les rues, du jamais vu ! Comment expliquer vous votre succès ? Comment avez vous mobilisé ? Certes, une telle mobilisation est du jamais vu en Kabylie, pas même en Algérie pour une marche de femmes, mais il faut savoir que le contexte et les circonstances nous ont été favorables et qu'à l'instar de toutes les tranches de la société kabyle, les femmes sont aussi concernées par ce qui est arrivé . Il fallait démontrer au pouvoir que les jeunes qui sont sortis dans les rues ne sont pas des voyous comme il voulait le faire croire à l'opinion nationale et internationale mais des jeunes qui sont assoiffés de liberté, qu'ils ont des mères, des sœurs et des femmes et qu'elles sont dans les rues pour crier halte aux massacres de leurs enfants. Pour la mobilisation on a fait un travail de fourmi : affichage dans toutes les localités, contacts de tous les représentants de tous les villages et quartiers notamment de la ville de Tizi-Ouzou, déplacement lors du conclave d'Illoula, réunion des aarachs de Tizi-Ouzou et bien sûr information par le biais de la presse. Dans quelles circonstances vous est venue l'idée de créer un collectif de femmes ? Les évènements qui ont secoué et endeuillé la Kabylie ont vu la naissance d'un mouvement citoyen sans précédent, l'appel fait par les comités de villages, appelés aarachs (les représentants de chaque village siégent dans une organisation ancestrale de notre société, appelée taadjmat, cadre composé exclusivement d'hommes, tradition oblige). Alors nous, les femmes concernées par ce qui arrive à nos enfants, automatiquement il nous fallait trouver un moyen pour nous organiser et crier haut et dire aux goujats qui nous gouvernent d'arrêter de tirer avec des balles réelles sur nos enfants et faire savoir que le combat mené Vous avez appelé à la marche du 14 par les hommes pour notre Kabylie est juin de la Kabylie sur Alger, marche sauvagement réprimée. Peux-tu me le nôtre. donner ton témoignage sur cette répression ? manifester pacifiquement pour une Algérie meilleure, comment il a organisé la chasse au kabyle, insultes, menaces, lynchages en public sous l' œil approbateur des services de sécurité (police et autres), ou comment des policiers s'adonnaient à des sales besognes en plein jour, des scènes de viol dans les rues, sur les plages. C'était une horreur. Il n ' y a pas de femmes dans les comités de villages . Quels sont vos rapports avec la coordination ? La société kabyle est une société conservatrice. Cela ne nous a pas empêchées, nous les femmes, de nous imposer par notre participation aux différentes ac- tions et l’organisation de différentes marches de contestation à travers tout le territoire de la Kabylie, et de travailler en collaboration avec les éléments de la coordination qui sont favorables au changement et au développement de notre société notamment par l’intégration des femmes dans l’organisation citoyenne. Peux-tu dire quelques mots sur la marche du 8 août 2001, marche où nous nous sommes rencontrées ? Et la lutte pour tamazight dans le collectif des femmes ? Le collectif des femmes est né durant les évènements, on s'est organisé autour de la plate forme d' El Kseur, regroupant les revendications concernant tous les jeunes tombés sous les balles du pouvoir criminel,3 et dans laquelle la revendication de tamazight est inscrite sous toutes ses formes. L'appel a été fait par la coordination inter wilaya des aarachs, dairas et communes, bien sûr à l'instar de millions de mes concitoyens j'ai répondu à l'appel. Je ne pourrais trouver les mots pour décrire l'horreur que nous avons vécue, dans une Algérie qui se dit République. J'ai vu comment le pouvoir mafieux a pu dresser la population de l'Algérois contre nous les kabyles qui étions venus Lors de la marche du 8 août, une fois de plus le pouvoir ferme les portes de la capitale aux kabyles. Il a sorti tout son arsenal de guerre pour réprimer les Kabyles, on a eu droit au rituel habituel, à savoir, insultes, propos racistes, coups de matraque, gaz lacrymogène, tirs de balles, emprisonnement et bien sûr une vraie chasse aux Kabyles a été organisée particulièrement aux alentours du stade du 5 juillet où se déroulait un festival pour la jeunesse étrangère afin de redorer son blason vis-à-vis de l’opinion internationale. Ce jour-là mes copines et moi, avons échappé miraculeusement à la matraque des chiens de Bouteflika, grâce à nos amis militants dans l’algérois. Page 3 FEMMES — Tulawin a ve c un p ro gramm e d e contestation sur les mois à venir. Et maintenant, quelle est votre Quelle solidarité attendez-vous appréciation de la situation et des berbères de France en particulier et des démocrates en quels sont vos projets ? général ? Le pouvoir mafieux fait dans le pourrissement de la situation, un Je dirai aux berbères de vrai black out, une sourde oreille s'organiser et de faire connaître le combat de l e u r s s emb lab les réprimés par le p o u v o i r cr im in el d'Alger. Et aux démocrates de composer avec les v ra is d émo c ra t es aux revendications des Kabyles ; d'Algérie. je dirai qu'on ne se laissera pas faire, le combat continue , Faroudja, tu es la présidente du d'ailleurs une série d'actions est c o m i t é M u h e n d A a r a v prévue pour cette rentrée sociale Bessaoud , fo ndate ur d e (Suite de la page 3) A s so c ia t io n C u l t u re l le de s B e r bè re s de B re t a g ne A. C. B. B MJC La Paillette rue Pré de Bris 35 000 RENNES tél. : 02 99 59 88 88 Fax : 02 99 59 88 89 [email protected] R es p o ns ab le d u Bu lle t in : Kh a led DR ID ER Ont collaboré à ce numéro : Hocine Céline Khaled Gérard AIT SEDDIK BOUTET DRIDER HAMON Boualem KACI-CHAOUCH Gérard LAMBERT Nicole LOGEAIS Tawès MEZIANE Nadia OULD-SLIMANE Point de vue Les évènements de Kabylie ont suscité bien des débats et soulevé beaucoup d’interrogations de ce côté-ci de la Méditerranée. Que n’a-t-on pas entendu comme lecture spécieuse ? En effet, quelques-uns nous sommaient d’en faire une traduction nationale de ces évènements au prétexte que la misère, la hogra, l’injustice et tant d’autres problèmes affectent tout le pays et que ces données socio-économiques sont la seule approche pertinente du problème. En somme, ils ne nous demandaient rien moins que de sacrifier ce que nous considérons comme le nœud (de l’histoire) de ce pays, la question identitaire. Cette interprétation cynique de la situation n’est pas différente de celle du pouvoir algérien qui, depuis l’indépendance, a toujours relégué au rang d’accessoire cette question. Si telle est la grille de lecture, que n’y at-on point intégré cet autre élément que pourtant aucune photo et image des nombreuses manifestations n’ont raté, l'Académie Berbère : peux-tu nous parler de cet engagement ? Si aujourd'hui on s'est constitué en comité autour de lui, ce n'est qu'une reconnaissance pour tout ce qu'il a fait pour la cause amazighe, c'est grâce à lui si aujourd'hui je suis fière d'être berbère, il a su nous le transmettre et nous le faire aimer, ce qu'a toujours caché l ' é c o le a l g é r i e n n e . P a r conséquent, on s'attèle dans ce comité à faire connaître Bessaoud et son oeuvre aux Algériens vu qu'il a été exilé pendant 35 ans, interdit par les autorités algériennes, et bien sûr le plus important est de continuer le combat pour l'amazighité (Interview réalisé par Nicole Logeais) montrant des hommes mais surtout des femmes et des jeunes arborer des signes, des symboles et des slogans qui ne laissent aucun doute sur le profond attachement des kabyles à leur identité ? N’ y a-t-il pas une indécence à ne vouloir faire dire aux manifestants que ce que l’on a envie d’entendre ? Les évènements, dit-on, ont repris ces jours-ci comme s’ils avaient cessé. Y a- t-il besoin de citer les innombrables articles de la presse algérienne (par exemple El Watan , Le Matin ou Liberté) qu’on ne peut suspecter de berbérisme outrancier, pour convaincre ces nombreux amis de l’Algérie que ce pays ne saura être entier en étant partiel. Jusqu’à ce pouvoir qui après tant de morts et de blessés, tant de mépris et de violences, tant de morgue et de calculs sordides découvre que le traitement de la question devient urgent. Quel crédit dans tout cela ? La lutte pacifiste continue. Laissons ces amis retrouver la clairvoyance et abandonner leurs contorsions de langage. Wynna Page 4 De beaux lendemains. Céline Boutet ment en question, brûlé, comme abanParler, écrire sur ce voyage est chose à revenir, un jour prochain. Ce4)sont les détails qui attirent l'œil, et donné au cœur de la ville. difficile, tant les émotions ont été(Suite fortes,page tant la découverte a été belle. Il fut ini- forcent les souvenirs. Je me rappelle cet Effectivement, elle est belle, otage noire tiatique à plus d'un titre, un éveil des abri de bus, tout en pierres, sur la route d'un peuple opprimé. "Les gendarmes sens et d'essence à cet ailleurs qui pour- de Tizi Ouzou à Tigzirt, belle image, sur sont interdits de sorties à Tizi et ailleurs. rait être mien, tant l'imagination n'a pas un fond de mer et de montagne. Je re- C'est une réponse à leur mépris à notre trahi la réalité. J'ai posé, à chaque ins- vois les grands Z blancs, gravés sur cha- égard, on ne veut pas de nous à Alger, tant, un regard tour à tour candide, désa- que platane bordant la route pour aller à on ne veut pas nous écouter, alors pourbusé, émerveillé, intimidé devant l'im- Bougie, et la fierté de ceux qui les mon- quoi le ferions-nous ?" Et pour appuyer mensité de ce que j'ai entrevu, tant du trent. C'est leur victoire, cette terre est la ses dires, une inscription explicite sur point de vue des paysages, que de la leur, et ce Z les délivre, les soulage un Zerhouni frappé d'ostracisme en Kabycertitude d'être face à une entité millé- peu des atrocités commises au nom de lie. Je n'ai vu des gendarmes que sur la naire, patrimoniale, à une société qui a quelques fausses idées et de vrais inté- route Tizi-Alger, de loin. En Kabylie, ils l'orgueil de ses montagnes, de son his- rêts. Et il y a ces villages aux maisons si sont absents. Partout, des mots peints en toire, de sa langue, de ses poètes retrou- hospitalières, les jeunes groupés au bord rouge, en noir, sur les murs blancs, parde la route, les petites filles, toutes de tout, des drapeaux noirs témoignent de vés. L'Algérie vous accueille comme elle rires et de robes légères, et ces vieilles la colère, du deuil, de l'exigence du vous quitte, dans le bruit, la foule, les femmes aux robes kabyles, le visage changement. Pour le néophyte, l'exilé, regards, la chaleur poussiéreuse et illuminé d'une gaieté secrète, se donnant ce bras de fer entre les Kabyles et le moite, les désarrois de l'émotion, et vous rendez-vous au pied d'un poteau électri- pouvoir algérien est parfois presque choquant, incompréhensible, illégitime, mène jusqu'à la terre kabyle, à Tizi Ou- que pour quelques conversations. zou, d'abord, cité fourmillante, anarchi- Et il y a le temps qui passe, et ramène à déplacé comme me l'a dit un Kabyle de que, aux constructions éparses, inache- la réalité politique, à la vigilance néces- Paris dans le train nous ramenant à la vées, fournaise au milieu des monta- saire... Car déjà, il faut rentrer, et guet- capitale française. "Comment peut-on gnes, et de loin en loin, presque' à l'hori- ter, l'ancienne peur au ventre surgissant interdire à un ministre l'accès à une parzon, le Djurdjura. Autant de cimes que parfois des mémoires défuntes, au dé- tie du territoire national ? Comment les de caresses au ciel, autant de soleil et de tour d'un virage laissant la route dans la jeunes peuvent-ils détruire l'infrastrucpénombre si un barrage militaire vous ture, en sachant qu'il y aura en consélumière que d'appels à la vie. attend... ou si c'est quence une augmentation des impôts?" La chaleur, une fois le pied dehors vous saisit. J'ai posé, à chaque instant, un autre chose. C'est cet Mais qu'est-ce qu'un bâtiment, sinon C'est ce bonheur volé regard tour à tour candide, dé- autre chose qui en quatre murs ? Et qu'est-ce qu'un symqui appelle, oblige aux sabusé, émerveillé, intimidée appelle à un imagi- bole, et sa force n'échappe à personne, sacrifices de vies, à la devant l'immensité de ce que j'ai naire angoissé, une sinon une arme, un étendard à détruire lutte obstinée. Il y a les entrevu, tant du point de vue des vigilance de chaque ou à protéger selon qu'on l'honnisse ou paysages, bien sûr, aux paysages, que de la certitude instant, o ccultés, qu'on la vénère ? L'indignation, la couleurs du drapeau d'être face à une entité millé- transcendés par l'ha- condamnation doit se trouver ailleurs, bitude, le courage, parce que la vindicte, l'opprobre des amazigh, l'ocre des ver- naire... l'espoir, et une autre rebelles répond à l'oppression, à la sants de terre, de poussière, le vert de la végétation, quand elle actualité. négation culturelle, économique, ton'a pas été brûlée par les militaires, les Et pourtant, il n'est pas tard. Et pourtant, tale, à la mort. falaises, avancées harmonieuses dans on vient de quitter les abords de la Alger est différente, ça et là, on me dit l'azur de la mer. Harmonie, c'est le mot plage, à Bougie ou Tigzirt, ou encore les qu'il y a eu un attentat à cet endroit, un qui sied à cette étendue infinie, aux villages de crête, de laisser des gens autre ici, au coin de cette rue pleine mille détours, aux mille figuiers, aux souriants, pleins de soleil, attablés au d'échoppes. Rien ne le laisserait deviner, café, flânant dans les rues, le sourire aux c'est vrai. Pour autant, ce n'est pas oumille senteurs. Chaque courbe des collines, chaque lèvres, des conducteurs blié. vallée, chaque souffle de vent inspire la fous s'alpalgant dans Mais c'est un autre pays obscur, La détermination en douceur, la quiétude, jusqu'au ciel, de une bonne humeur tein- violent, haineux, silencieux qui Kabylie est intacte; feu, de nuit, de gris quelquefois, qui tée de fausse agressivi- s'immisce, s'infiltre comme une l'effervescence des s'offre au regard, vibrant hommage à cet té. Mais c'est un autre mauvaise herbe, et étouffe le sem- mois précédents s'est en-bas que l'été, certainement doit adou- pays obscur, violent, blant de normalité qui s'installe muée en la certitude cir. Aux crépuscules, les étoiles descen- haineux, silencieux qui en dépit de tout, en attendant les partagée, commudent et se donnent en parures, prêtant s'immisce, s'infiltre prochains combats, le prochain niante, tacite que le leur brillance aux villages de crêtes, comme une mauvaise affront. m o u v e m e nt ne "colliers de perles" scintillantes des hau- herbe, et étouffe le sems'éteindra pas, loin teurs, maintes fois chantées, aux dessins blant de normalité qui s'installe en dépit s'en faut, et que le refus de se conformer mystérieux, inaccessibles, et pourtant si de tout, en attendant les prochains com- au diktat officiel, de pardonner les asproches qu'il suffirait de tendre le bras bats, le prochain affront. La traversée sassinats, les fautes, les incompétences pour s'en saisir et les emporter au loin. des villages amène des commentaires politiques, est définitif, indiscutable. Mais il faut rester au pied des monta- acerbes, ostensiblement satisfaits: gnes à les admirer en silence, le temps "Vois comme elle est belle, la gendar(Suite page 6) qu'elles s'apprivoisent et vous appellent merie!". Le regard se pose sur le bâtiPage 5 De beaux lendemains (suite) Le marasme politique, économique oblige à une crispation identitaire forte, à l'intransigeance, sans nul autre choix possible dans l'immédiat. La Kabylie est une des Algérie, superbe, immense, moderne, cultivant ces contradictions, à l'image de ces trois personne qui marchent devant nous; au milieu un homme, à gauche, une femme, à droite une autre femme. L'une porte le hidjab. Un incident sur la route nous fait rire, et tous trois se retournent vers nous, les sourires laissant deviner une hospitalité généreuse, un désir de connivence, de complicité dans la joie. Plusieurs mondes se côtoient, s'opposent, se défient. Mais il serait trop simple de s'en tenir à une seule vision, l'Algérie kabyle est infiniment plus complexe, un entrelacs d'amitiés, de luttes intestines, de médisances aussi, dangereuses, de poussées libératrices et de traditions ancrées enserrant parfois les individus dans une autre injustice, un autre reniement de leur identité, un autre hermétisme. S'il peut sembler futile de parler de ces paysages kabyles à l'heure des morts, des douleurs exhalées, de la colère, ces montagnes, ces rivières, ces forêts sont autant de souvenirs doux au cœur, d'attachements intrinsèques qui fondent la volonté inaltérable, la conviction immuable que ce bijou abritant des biens plus précieux encore, ce ferment intellectuel, culturel, humain mérite que l'on se donne à lui avec force et sensibilité. On ne revient pas indemne d'Algérie. "I wig ig bwi wadu Inasen m ad ulayen Awit ay d tirga nernu" Aït Menguellet C. B De Tahar Djaout aux tours de Manhattan L' opinion publique internationale se réveille, pro fo ndément cho qu ée par la violence terroriste qui s'est abattue sur les tours de Manhattan et par là sur des milliers de civils américains, allongeant ainsi la liste sinistre des victimes de tous les intégrismes de part le monde. Pourtant les cris du peuple algérien qui a vu sous ses yeux tant d'horreurs, tant d' hommes et de femmes égorgés, décapités, d'enfants brûlés dans des fours lors des attaques sanglantes des GIA sont parvenus depuis longtemps jusqu'à nous, à ceux qui ont voulu les entendre. En 1991 défilaient dans les rues d'Alger des jeunes "afghans" préparés à la guerre sainte depuis 1984 par Ben Laden dans les camps de Peschawar construits par les USA. Des jeunes que le pouvoir algérien avait livré aux idéologues islamistes installés dans l'école. Des jeunes à qui on a caché l'identité et la culture et qui ont cherché dans les prêches enflammés et haineux des islamistes dispensés dans les mos qu ées sous contrôle de l'État une appartenance, une référence. Des jeunes qui, à l'appel du FIS (légalisé par le pouvoir algérien) ont gagné les maquis arrosés de dollars saoudiens et se sont transformés en as- sassins de journalistes et d' intellectuels (le 1er était Tahar Djaout en mai 93) puis de femmes et d'enfants. A ce moment là, dans nombre de pays occidentaux, on donnait l'asile politique à des islamistes considérés comme opposants politiques. C'est de son asile de Virginie aux USA qu' Anouar Haddam en 1994 a revendiqué l'attentat boulevard Amirouche et le détournement d'avion à l'aéroport d' Alger du 24 décembre. C'est de Londres que partaient les fax revendiquant les multiples attentats. Mitterrand pensait qu'il fallait laisser le pouvoir au FIS. Et la France refusait l'asile politique aux démocrates algériens. De nombreux médias semaient la suspicion par la question "qui tue qui ?". Souvenez-vous de ces années où tombaient jour après jour les journalistes algériens : aucun n'a eu droit à une (Liberté 16-09-01) minute de silence sauf de la part de citoyens qui, comme nous dans l’ASDA* ont essayé de dénoncer ces crimes et leurs complices et appeler à la solidari- té. Alors, aujourd'hui que l'Amérique est touchée dans sa chair, le terrorisme islamiste doit être combattu par la communauté internationale. Enfin ! Et tant mieux. L' histoire tragique a fini par nous donner raison. Car personne aujourd'hui ne pose la question "qui tue qui ?" Cependant il ne faudrait pas que ce sursaut salutaire occulte les responsabilités anciennes et actuelles dans ce déferlement de haine et ne se fasse au détriment du peuple afghan. Que l'on dénonce d'abord l'idéologie islamiste rétrograde et porteuse de haine qui nourrit le terrorisme. Que l'on dénonce les responsabilités du pouvoir algérien qui a favorisé ce mouvement fasciste contre la montée des forces démocratiques et qui maintenant libère des terroristes alors qu' il a fait tirer sur la jeunesse de Kabylie. Que l'on dénonce les États du golfe, financiers de ces hordes barbares. Que l'on dénonce toutes les bases arrières et les complicités de ce terrorisme y compris aux États-Unis. Et que l'on apporte un soutien sous toutes ses formes aux forces démocratiques qui luttent dans les pays ravagés par cette terreur. Alors peut - être que les cris des victimes, toutes les victimes, américaines, algériennes ou afghanes auront été enfin entendus. Hocine Aït Seddik, Nicole Logeais, Gérard Hamon, Tawès Méziane, membres fondateurs en 1994 et militants de l'ASDA _____ *ASDA (Association de Solidarité avec les Démocrates Algériens) Page 6 Évènements de Kabylie : le combat continue ! Coordination inter wilayas des arouch, daïras et communes Déclaration ques, à travers un communiqué du gouvernement diffusé par l’Unique (ENTV), nous informe d’une rencontre clandestine avec des représentants fantoches, faisant état de négociations, que nous avons rejetées et dénoncées publiquement, dans le fond et dans la forme. Non satisfait de ces complots, voulant pousser notre mouvement vers une impasse ou un pourrissement, ce pouvoir sans scrupules, une fois de trop, use de son arsenal de guerre pour réprimer une marche pacifique des délégués de villages et de quartiers. Les délégués de l’inter- wilayas réunis aujourd’hui le 5 octobre 2001 au théâtre Kateb Yacine de Tizi - Ouzou : - exigent la libération immédiate des détenus de ce jour, 5/10/2001 ; - dénoncent ces pratiques malsaines répétées ; - mettent en garde le pouvoir quant aux conséquences fâcheuses qui en découleraient et dont il sera le seul responsable ; - défient le Chef du gouvernement à rendre publics les noms et les images de ces pseudo représentants qu’il a eus comme hôtes. - Conscients de notre responsabilité, de la gravité de la situation et des enjeux qui pèsent sur notre mouvement, nous sommes aujourd’hui interpellés, plus que jamais, à changer de stratégie vis-àvis de ce pouvoir et de ses acolytes. - Un conclave extraordinaire interwilayal aura lieu le jeudi 11 octobre 2001 à Bgayet pour engager la réflexion sur les perspectives. Photo Liberté 6/10/01 Notre mouvement citoyen, né dans la douleur des événements du Printemps noir 2001 (une centaine de morts et des milliers de blessés), qui s’inscrit dans la voie résolument pacifique pour la satisfaction pleine et entière des revendications légitimement exprimées par la jeunesse et fidèlement synthétisées dans la plate-forme d’El-Kseur. Après s’être doté d’un cadre de concertation et organisationnel au niveau wilaya et inter-wilayas, il a engagé plusieurs actions populaires et pacifiques, notamment les marches historiques au niveau local (Bouira, Begayet et T. O.) et au niveau national le 14 juin 2001 à Alger qui a drainé des millions de citoyennes et de citoyens pour la remise de notre plateforme de revendications, violemment réprimée, entraînant une dizaine de morts et des centaines de blessés et de détenus. Malgré cette violence subie par notre mouvement, par les tenants du pouvoir maffieux et assassin, fidèle à nos principes directeurs, nous avons engagé d’autres actions pacifiques à Alger (le 5.7.2001 et le 8.8.2001) qui ont été stoppées par les forces de répression munies d’armes de guerre aux portes d’Alger. À notre grande surprise, après avoir arrêté le principe d’une marche à Alger pour la date symbolique du 5 octobre, la présidence de la République choisit un moment de grande écoute (durant la mi-temps du match JSK-WA Casablanca) pour diffuser un communiqué opaque, confus et dilatoire invitant notre mouvement à déposer la plate-forme d’El-Kseur, tout en “Ulac smah ulac” reconnaissant la légitimité et l’objectivité des revendi- “Le combat continue” cations. Tizi Ouzou, 5 octobre 2001 En réponse à cette invitation, bien que venue tardivement, notre mouvement a accepté naïvement et sagement de déposer symboliquement la plate-forme d’El-Kseur. Le pouvoir, fidèle à ses manœuvres machiavéli- Page 7 Congrès Mondial Amazigh Lettre d'Information, N° 2, septembre 2001. Arbitraire au Maroc Deux militants amazighs viennent d'être victimes de l'arbitraire des autorités de la monarchie marocaine. Il s'agit de Ali Harcherras, vice-président du Congrès mondial amazigh (CMA), président de l'association Tilelli à Goulmima ainsi que Hamid LIHI, président de TADA (coordination des associations amazighes au Maroc) et militant de l'association Tilelli à Goulmima. En effet, suite à une convocation des autorités provinciales d'Errachidia, il a été fait savoir aux deux militants qu'il leur est interdit d'organiser de manifestation publique sous peine qu'ils soient poursuivis pour trahison. Une manifestation publique est prévue pour le mois d'octobre, manifestation du mouvement amazigh (berbère) au Maroc. Et ces deux militants sont parmi les organisateurs qui travaillent depuis des mois à la préparation de cette manifestation. Est-ce pour empêcher cette marche que les autorités marocaines ont agit de la sorte ? Une chose est sûre : les autorités marocaines ne veulent pas que les Imazighen sortent dans la rue. Plusieurs activités (rassemblements, conférences, réunions publiques,...) ont été déjà interdites par les autorités marocaines. On se rappelle bien également de l'épisode 1994 quand Ali Harcherras et six de ses collègues enseignants, tous de Goulmima, ont été arrêtés suite à la manifestation du 1er mai 1994 à laquelle ils ont participé avec des banderoles revendiquant la reconnaissance de Tamazight. La forte mobilisation suscitée, aussi bien dans la région qu'ailleurs dans le monde, a contraint les autorités marocaines à les libérer quelque temps plus tard. Et c'est suite à cela que Hassan II, lors de son discours du 20 août 1994, promet l'enseignement "des dialectes berbères", promesse qui est restée lettre morte. Le Congrès mondial amazigh condamne fermement cette attitude des autorités marocaines et exprime son soutien et sa solidarité indéfectibles avec les deux militants. Et nous appelons l'ensemble des acteurs du mouvement amazigh partout dans le monde à dénoncer la politique antiamazighe des autorités marocaines et apporter leur soutien à Ali Harcherras et Hamid Lihi. Communiqué Nous, Hamid LIHI et Ali HARCHERRAS, citoyens marocains, militants du Mouvement Culturel Amazighe et membres de l'association socioculturelle TILELLI à Goulmima : - Informons l'opinion publique nationale, amazighe et internationale que les autorités provinciales d'Errachidia, qui nous ont convoqués le mercredi 29 août 2001, nous ont notifié que nous sommes "interdits d'entreprendre toute sorte de manifestation publique, sous peine d'être poursuivis pour trahison", en nous rappelant les événements qui ont secoué la région depuis l'indépendance, notamment l'affaire Addi Ou Bihi en 1957 et l'épisode de 1973, - Considérons cette forme d'interdiction anticipée, fondée sur un jugement d'intentions, comme une atteinte grave à nos droits civiques et politiques, garantis, pourtant, par la Constitution et le code des libertés publiques, - Appelons les citoyens épris de justice et les organisations des Droits Humains à nous soutenir et à dénoncer ces agissements intimidants des dites autorités, qui privent des citoyens de leurs droits de manifestation et d'expression, - Exprimons notre gratitude à la population de la région pour le soutien qu'elle nous a apporté dans cette épreuve, - Réaffirmons notre détermination à continuer notre combat jusqu'à satisfaction des revendications légitimes de notre région et du Mouvement Culturel Amazighe. Goulmima, le 4 septembre 2001 Hamid LIHI Ali HARCHERRAS ************ Congrès Mondial Amazigh 47, rue Bénard 75 014 Paris (France) Tel : (33) 1 45 45 72 44 Fax : (33) 1 49 81 02 32 Émail : [email protected] Page 8