le processus de composition dans la musique instrumentale du

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le processus de composition dans la musique instrumentale du
LE PROCESSUS DE COMPOSITION DANS LA
MUSIQUE INSTRUMENTALE DU QUÉBEC
JE A N -P IE R R E JO Y A L
Bien que la chanson folklorique au C an ada-français provienne,
on le sait m ain ten an t, en dro ite ligne de la France, la m usique tra ­
ditionnelle de danse du Q uébec s’inspire, elle, en grande partie de la
m usique des Iles B ritanniques. Les prem iers im m igrants de ces pays
am enèrent avec eux leurs “ reels,” “ jig s,” et “ h o rn p ip es” en
venant s’étab lir en terre d ’A m érique. Les colons français déjà sur
les lieux furent sans do u te captivés p a r cette m usique car très tô t ils
l’ad o p tèren t et l’intégrèrent à leurs divertissem ents. Les danses
villageoises du Q uébec, m élange de figures et de pas provenant
ta n tô t de France et ta n tô t des Iles B ritanniques, s’exécutaient dé­
sorm ais sur une m usique celte, ay an t ses racines en Ecosse et en
Irlande.
C ette m usique s’est cependant transform ée au fil du tem ps et
elle sut prendre une couleur distincte, plus fidèle à son pays d ’a d o p ­
tion. A insi, bien que les caractéristiques générales des grandes
familles m usicales usitées dans la m usique de danse des Iles B ritan­
niques (com m e la m esure, la longueur des phrases, le nom bre de
phrases, les tonalités em ployées, la vitesse d ’exécution) soient
généralem ent respectées p ar les m usiciens traditionnels québécois;
les m élodies, elles, ap paraissent b eaucoup plus flexibles, et prennent
des to urn u res différentes selon leur rép artitio n géographique. A
titre de précision, m entionnons q u ’il existe plusieurs styles régio­
naux tels que la G aspésie, Q uébec, la Beauce, le Saguenay-Lac
S t-Jean, l’O u tao u ais, la vallée du Richelieu et m êm e M ontréal,
présentant des aspects spécifiques à leur région, m ais ceux-ci ont
tendance à disp araître étan t rongés p ar l’influence du disque et des
m édias d ’in fo rm atio n .
N ous disions donc q u ’une g ran d e partie du répertoire tra ­
ditionnel québécois est d ’origine celte m ais ceci n ’em pêche nulle­
m ent le m usicien trad itio n n el de m odeler ses m élodies à sa façon,
sinon m êm e de com poser de nouveaux airs selon le p atro n de ces
derniers. D ans les faits, bien q u ’il existe une quan tité im pression­
nante de m orceaux entièrem ent de com position locale, le répertoire
co u ran t est su rto u t constitué soit d ’ad ap tatio n s d ’airs celtes, soit
d ’airs issus d ’un com prom is entre l’ad ap tatio n et la com position
locale. Ce dernier aspect s’avère particulièrem ent intéressant,
augm entan t de beaucoup les possibilités de diffusion d ’une m élodie,
m ais sous une form e hybride. A insi, un reel constitué de deux
parties p o u rra avoir une de ses parties p rovenant d ’un reel écossais
alors que l’au tre partie sera le fruit de la com position locale. Si nous
augm entons le nom bre de phrases m usicales, nous augm entons du
m êm e coup le nom bre de com binaisons possibles. Avec ce vaste
choix de croisem ents à n o tre p o rtée, une m élodie de base p o u rra
pren d re q u an tité de form es diverses selon les régions et les m usi­
ciens. C ’est ce phénom ène qu e nous regarderons brièvem ent, en
exam inant les tra n sfo rm a tio n s encourues p ar un air d ’origine
am éricaine d u nom de “ D ém ocratie Rage H o rn p ip e” présenté ici
sous cinq form es différentes, telles q u ’interprétées p ar des m aîtres
de la m usique québécoise.
N o tre version du D ém ocratie Rage H o rn p ip e provient de la
collection O ne T h ousand F iddle Tunes publié p a r la m aison Cole de
C hicago en 1940.1 Le m orceau, de m esure à 2 /4 , com prend deux
phrases m usicales de 16 tem ps, évoluant toutes deux dans le to n de
si bém ol m ajeur. Les deux phrases sont répétées, d o n n an t ainsi le
schém a A A I /B B .
DEMOCBATIC IUGE-HOR.VPIPE.
U ne version quasim ent identique à l’original s’est infiltrée au
Q uébec p ar le biais de Joseph A llard, violoneux m ontréalais qui
vécut de 1873 à 1947. A llard ay an t dem euré p en dant 28 ans aux
E tats-U nis en N ouvelle-A ngleterre de 1889 à 1917,2 son répertoire
s’est p a r le fait m êm e enrichi de m élodies alors populaires dans ces
environs. Il endisqua le “ Reel d u pêcheur” sur étiquette V ictor en
1928.3
Il serait to u t à fait plausible de croire que le m orceau provienne de
son séjo u r aux E tats-U nis. Q uoi q u ’il en soit, le reel est dans le ton
original de si bém ol m ajeu r. Il com porte deux phrases musicales
d o n t le co n to u r m élodique s’avère sim ilaire à celui du hornpipe
am éricain quoique légèrem ent dépouillé p a r ra p p o rt à celui-ci.4
Jo sep h A llard ré-endisqua le m orceau dans les années 40,
to u jo u rs sur étiquette V ictor, cette fois-ci dans le to n de sol m ajeur
sous l’appellation de “ Reel de la p a ix .” 5 C ette p ratique semble
avoir été couran te chez les folkloristes de l’époque, ceux-ci enregis­
tra n t une m êm e pièce plus d ’une fois en ayan t soin de varier le titre,
la tonalité et mêm e parfois la m élodie. L a prem ière phrase est
identique à la phrase A du Reel du pêcheur, bien que transposée
dans le to n de sol m ajeur. Ce n ’est q u ’à la seconde phrase q u ’une
diversion se fera sentir. Le co n to u r m élodique y est m odifé m ais
s’inspire to u jo u rs fortem ent du p a tro n am éricain.
La région de Q uébec décida elle aussi d ’a d o p ter cet air, m ais en
ayant bien soin de lui donner une petite to u rn u re à sa façon. Ainsi
G érard L ajoie, accordéoniste jadis extrêm em ent célèbre dans toute
cette région, enregistra le “ Reel de Q uébec” vers les années 50.6
Le reel de m onsieur L ajoie est présenté dans la tonalité de do
dièse m ajeu r, son instrum ent étan t ainsi accordé, m ais en pratique
il se voud rait en ré m ajeu r.7 C om m e dans les exemples précédents,
la phrase A de ce reel nous m ontre u n co n to u r m élodique sem blable
à celui de la prem ière phrase du “ D ém ocratie R age H o rn p ip e ,”
bien que m odifié légèrem ent par le style idiom atique de l’accordéon
(ex. les notes répétées; les octaves consécutifs). La phrase B, elle,
nous arrive po u r la prem ière fois vraim ent changée. Bien que l’on
sente to u jo u rs un certain lien de parenté avec la version mère, la
différence de structure m élodique est suffisante p o ur classifier cette
nouvelle phrase d ’entité indépendante. La ligne m élodique y est
sim plifiée étan t su rto u t aérée p a r l’utilisation fréquente d ’octaves.
L ’on serait p o rté à penser q u ’une telle tran sfo rm atio n serait
d ’ab o rd m otivée p ar l’instrum ent lui-m êm e, l’accordéon ayant une
personnalité foncièrem ent différente de celle du violon, mais
m éfions-nous car un pareil jugem ent n ’est vrai q u ’en partie. Il est
indéniable que l’interp retatio n de G érard L ajoie porte ici la m arque
d ’une langage pro p re à l’accordéon, m ais soulignons que cette
m êm e phrase B de son “ Reel de Q uébec” nous revient presque
inchangée sous l’archet de violoneux de la m êm e région. Voyons-y
donc p lu tô t une tran sfo rm atio n progressive de la m élodie am éri­
caine originale, celle-ci ayant dû s’ad ap ter à l’esthétique particulière
de la région de Québec.
R egardons m aintenant une autre version du même m orceau,
interpretée cette fois-ci p ar Joseph B ouchard. M onsieur B ouchard,
violoneux n a tif de P ointe-au-pic, dem eura toute se vie dans la
région de Q uébec, notam m ent à St-L aurent de l’île d ’Orléans où il
décéda en 1979. Il ne serait pas exagéré de dire q u ’il était une des
figures de p ro u e du milieu folklorique québécois. Les deux phrases
m usicales de cette nouvelle version sont sem blables à celles du reel
de G érard L ajoie, bien que la deuxièm e phrase présente u n caractère
nettem ent plus lyrique, ceci étan t entre au tre dû à l’absence
d ’octaves. Ce lyrisme est en quelque sorte devenu la m arque de la
région de Q uébec, où les airs sont généralem ent plus ch antant et où
le violoneux fera souvent usage de vibrato, phénom ène peu
com m un dans les autres régions du Québec.
M c u i Tf t t i F
m - 'T k m
W -
N otre p ro ch ain exemple est tiré du répertoire de Philippe
B runeau, accordéoniste de M ontréal, folkloriste ém érite et ardent
défenseur de la m usique québécoise, qui détient cet air de son père,
lui-m êm e accordéoniste.8 Il s’agit d ’une variante du Reel de Q uébec
où une troisièm e phrase a été ju x tap o sée aux deux phrases initiales.
Les phrases A et B sont presque identiques à celles de la version pré­
cédente, si ce n ’est l’a jo u t de fioritures propres à l ’accordéon. Sur le
plan rythm ique nous voyons certaines affinités avec le “ Reel du
pêcheur de Joseph A llard ” ( f i et
au lieu de • F 3 5 3 ) . La
troisièm e phrase, qui est en fait la prem ière dans l’ord re d ’exécution,
contraste totalem ent avec les deux autres. Les phrases A et B
évoluent dans la tonalité de ré m ajeu r alors que la phrase C se
trouve en si m ineur. C ette dernière semble d ’ailleurs nettem ent plus
lyrique que les deux autres qui, elles, présentent par contre un
im pact rythm ique plus puissant.
L ’arrivée de cette phrase nouvelle tran sfo rm e totalem ent la
personnalité de n o tre “ Reel de Q uébec” vu précédem m ent en lui
d o n n an t une couleur et une subtilité de caractère q u ’il n ’avait pas
au d ép art. Ainsi en est-il de q u a n tité d ’airs à danser qui naissent de
fusions sem blables (pour le m eilleur et p o u r le pire), modelés par
l’inspiration p o pulaire et le génie créateur du m usicien traditionnel.
Ce sera sous l’action de ces forces que n otre h ornpipe am éricain
au ra pu prendre des form es si variées en p énétrant au Q uébec, que
ce soit par la simple tra n sfo rm a tio n de la m élodie, le rem placem ent
d ’une des phrases initiales, ou p a r l’addition d ’une phrase sup­
plém entaire. M ais nous n ’avons exam iné ici que quelques cas types et
bien d ’autres versions p o u rraien t être relevées au cour de recherches
plus appro fo n d ies, car aussi étrange que cela puisse p araître venant
d ’une région du m onde h autem ent industrialisée, les recherches
concernant la m usique traditionnelle instrum entale au Québec n ’en
sont q u ’à leurs prem iers balbutiem ents.
FOOTNOTES
1
C e tte m ê m e c o lle c tio n fu t o rig in e lle m e n t p u b lié e à B o sto n en 1883 so u s le n o m d e R y a n ’s M a m m o th
Collection.
2
V o ir L a b b é , G a b rie l. Les pionniers d u d isq u e fo lk lo riq u e s québécois (M o n tre a l: E d itio n s d e l ’A u r o re ,
1977), pp. 29-30.
3
“ R eel d u p ê c h e u r” (J o s e p h A lla rd ): V icto r 263514 (d isq u e 78 to u rs ). E n re p iq u a g e s u r lo n g -je u x : M asters
o f French-C anadian Dances, J o s e p h A lla rd , F o lk w a y s R eco rd s R B P 110.
4
5
L a tr a n s c r ip tio n m u s ic a le des cin q v e rs io n s q u é b é c o is s o n t d e l ’a u te u r.
“ R eel d e la p a i x ” (J o s e p h A lla rd ): V ic to r 5 5 -5 2 1 9 (d isq u e 78 to u rs ). E n re p iq u a g e s u r lo n g -je u x : Portrait
du vieux Kébec, V o l. II , J o s e p h A lla rd , v io lo n e u x , T a m a n o ir 511.
6
“ R eel d e Q u é b e c ” (G é ra rd L a jo ie ): Gérard L a jo ie et son accordéon, V ol. 2 , C a rn a v a l C - 4 3 1 .
7
S o u lig n o n s q u e lo rs q u e n o u s p a r lo n s d ’a c c o rd é o n d a n s la m u siq u e tra d itio n n e lle q u é b é c o is e n o u s d é sig n o n s
l’a c c o rd é o n d ia to n iq u e à b o u to n s , ég a le m e n t c o n n u so u s le v o c a b le p lu s s c ie n tifiq u e d e m é lo d é o n .
8
L a tra n s c rip tio n p ro v ie n t d e l’in te rp r é ta tio n d e R a y n a ld O u e lle t, j e u n e a c c o rd é o n is te d e F ab re v ille , d iscip le
e n q u e lq u e s o rte d e m o n s ie u r B ru n e a u .
Abstract: In discussing the development o f Quebec’s instrumental music
Jean-Pierre Joyal notes that while French-Canadian songs come mainly
from France, much o f the dance music is inspired by the music o f the British
Isles. However, in Quebec the melodies are influenced by the regional styles
o f the fiddlers and accordionists. H e illustrates by looking at variations o f
the “Democratic Rage H ornpipe” as played by fiv e different Quebec musi­
cians.
THE CRUEL FATHER AND CONSTANT LOVER —
A Broadside Ballad in Tradition
MICHAEL YATES
L ike m an y o th er fine singers from the M iram ichi, M arie H are
has a nu m b er o f B ritish songs a n d ballads in her repertoire. O f great
interest is h er song “ T he M aid o f the E a st,” a recording o f which
m ay be h eard on th e Folk-Legacy album M arie H are o f Strathadam ,
N e w B ru n sw ick (FSC -9). T he ballad concerns the m u rd er o f a
daugh ter by her father, the latter being angered by his d au g h te r’s
choice o f low ly suitor. It is a b allad o f th e type G . M alcolm Laws
called ‘Fam ily O pposition to L o v ers,’ although he did n o t list it in
his study o f th e broadside b a lla d .1
In his adm irable booklet notes to M rs. H a re ’s record, Dr.
E dw ard Ives suggests th a t the b a lla d ’s single, rath er th a n double,
stanzaic fo rm is m ore com m on in the earlier C hild ballad2 th an in
the later b ro ad sid e ballad, a view, one m ight ad d , th a t is strength­
ened by hearing M rs. H a re ’s tune, which is extant in S cotland as a
m elody fo r “ T he Dowie Dens O ’Y arrow ” (Child 214).3 A ccording