Sujet du bac blanc

Transcription

Sujet du bac blanc
TEXTE A : Etienne DE LA BOETIE, Discours sur la servitude volontaire, 1576
TEXTE B : Pierre Carlet de Chamblain de MARIVAUX , La Colonie , 1750 ,
scène 9
TEXTE C : Emile ZOLA, Germinal, 1885,quatrième partie, chapitre 7
TEXTE D : Jacques PREVERT, « Mai 68 », Choses et autres, 1972
TEXTE A : Etienne DE LA BOETIE, Discours sur la servitude volontaire, 1576
Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres1 à votre mal et aveugles à votre bien !
Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller
vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ! […] Et tous ces dégâts,
ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là
même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour
la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Celui qui vous maîtrise
tant, n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps, et n’a autre chose que ce qu’a le moindre
homme du grand nombre infini de vos villes ; sinon qu'il a plus que vous tous c’est l'avantage que vous
lui faites, pour vous détruire. D’où il a pris tant d'yeux, dont vous épie-t-il, si vous ne les lui donnez ?
Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos
cités, d’où les a-t-il, s’ils ne sont les vôtres ? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous autres
mêmes ? […] Que pourrait-il faire, si vous n'étiez receleurs du larron3 qui vous pille ? Complices du
meurtrier qui vous tue et traîtres de vous-mêmes ? Vous semez vos fruits, afin qu'il en fasse le dégât.
Vous meublez et remplissez vos maisons pour fournir à ses pilleries , vous nourrissez vos filles, afin
qu’il ait de quoi soûler sa luxure ; vous nourrissez vos enfants, afin qu’il les mène pour le mieux qu’il
leur fasse, en ses guerres ; qu’il les mène à la boucherie ; qu’il les fasse les ministres1 de ses convoitises et
les exécuteurs de ses vengeances, vous rompez à la peine vos personnes, afin qu'il se puisse mignarder
en ses délices, et se vautrer dans les sales et vilains plaisirs. […] Soyez résolus de ne servir plus, et vous
voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et
vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et
se rompre.
1. Opiniâtre : entêté, obstiné.
2. Receleur : désigne une personne qui transmet ou détient un objet volé.
3. Larron : voleur. Les « receleurs du larron » signifie « les voleurs du voleur ».
4. Ministre : dans le texte, a le sens d’auxiliaire, d’homme de main.
TEXTE B : MARIVAUX, La Colonie, 1750, scène 9
Réunies toutes ensemble en colonie sur une île, les femmes se révoltent contre la domination des
hommes.
ARTHENICE
Venons-en à l'esprit, et voyez combien le nôtre a paru redoutable à nos tyrans; jugez-en par les
précautions qu'ils ont prises pour l'étouffer, pour nous empêcher d'en faire usage; c'est à filer1,
c'est à la quenouille1, c'est à l'économie de leur maison, c'est au misérable tracas d'un ménage, enfin
c'est à faire des nœuds que ces messieurs nous condamnent.
UNE FEMME
Véritablement, cela crie vengeance.
ARTHENICE
Ou bien , c’est à savoir prononcer sur des ajustements 2, c'est à les réjouir dans leurs soupers, c'est à
leur inspirer d'agréables passions, c'est à régner dans la bagatelle, c'est à n'être nous-mêmes que la
première de toutes les bagatelles3; voilà toutes les fonctions qu'ils nous laissent ici-bas; à nous qui les
avons polis4, qui leur avons donné des mœurs, qui avons corrigé la férocité de leur âme; à nous, sans
qui la terre ne serait qu'un séjour de sauvages, qui ne mériteraient pas le nom d'hommes.
UNE FEMME
Ah ! les ingrats ; allons Mesdames, supprimons les soupers dès ce jour.
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UNE AUTRE
Et pour des passions, qu’ils en cherchent.
MADAME SORBIN
En un mot comme en cent, qu’ils filent à leur tour.
ARTHENICE
Il est vrai qu’on nous traite de charmantes, que nous sommes des astres, qu’on nous distribue des
teints de lys et de roses, qu’on nous chante dans les vers, où le soleil insulté pâlit de honte à notre
aspect, et comme vous voyez, cela est considérable ; et puis les transports, les extases, les désespoirs
dont on nous régale, quand il nous plaît.
MADAME SORBIN
Vraiment, c’est de la friandise qu’on donne à des enfants.
UNE AUTRE FEMME
Friandise, dont il y a plus de six mille ans que nous vivons.
1 . Allusion aux travaux domestiques de la femme qui filait à l’aide d’une quenouille.
2. Ajustements : arrangements de toilette.
3. Bagatelle : chose frivole, sans importance.
4 . Polir : élever une personne afin d’en faire un être civilisé.
TEXTE C : Emile ZOLA, Germinal, 1885, quatrième partie , chapitre 7
Le roman de Zola relate le parcours d’un ouvrier, Etienne Lantier , qui se fait embaucher dans
une mine du Nord de la France .Il devient bientôt le meneur de la grève déclenchée par les mineurs .
– C'est dans ces circonstances, camarades, que vous devez prendre une décision ce soir. Voulez-vous
la continuation de la grève ? et, en ce cas, que comptez-vous faire pour triompher de la Compagnie ?
Un silence profond tomba du ciel étoilé. La foule, qu'on ne voyait pas, se taisait dans la nuit, sous
cette parole qui lui étouffait le cœur ; et l'on n'entendait que son souffle désespéré, au travers des arbres.
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Mais Étienne, déjà, continuait d'une voix changée. Ce n'était plus le secrétaire de l'association qui
parlait, c'était le chef de bande, l'apôtre apportant la vérité. Est-ce qu'il se trouvait des lâches pour
manquer à leur parole ? Quoi ! depuis un mois, on aurait souffert inutilement, on retournerait aux
fosses, la tête basse, et l'éternelle misère recommencerait ! Ne valait-il pas mieux mourir tout de suite, en
essayant de détruire cette tyrannie du capital qui affamait le travailleur ? Toujours se soumettre devant la
10 faim, jusqu'au moment où la faim, de nouveau, jetait les plus calmes à la révolte, n'était-ce pas un jeu
stupide qui ne pouvait durer davantage ? Et il montrait les mineurs exploités, supportant à eux seuls les
désastres des crises, réduits à ne plus manger, dès que les nécessités de la concurrence abaissaient le prix
de revient. Non ! le tarif de boisage n'était pas acceptable, il n'y avait là qu'une économie déguisée, on
voulait voler à chaque homme une heure de son travail par jour. C'était trop cette fois, le temps venait
15 où les misérables, poussés à bout, feraient justice.
Il resta les bras en l'air. La foule, à ce mot de justice, secouée d'un long frisson, éclata en
applaudissements, qui roulaient avec un bruit de feuilles sèches. Des voix criaient :
– Justice ! ... Il est temps, justice !
Peu à peu, Étienne s'échauffait. Il n'avait pas l'abondance facile et coulante de Rasseneur1. Les mots
20 lui manquaient souvent, il devait torturer sa phrase, il en sortait par un effort qu'il appuyait d'un coup
d'épaule. Seulement, à ces heurts continuels, il rencontrait des images d'une énergie familière, qui
empoignaient son auditoire ; tandis que ses gestes d'ouvrier au chantier, ses coudes rentrés, puis
détendus et lançant les poings en avant, sa mâchoire brusquement avancée, comme pour mordre,
avaient eux aussi une action extraordinaire sur les camarades. Tous le disaient, il n'était pas grand, mais il
25 se faisait écouter.
– Le salariat est une forme nouvelle de l'esclavage, reprit-il d'une voix plus vibrante. La mine doit être
au mineur, comme la mer est au pêcheur, comme la terre est au paysan... Entendez-vous ! la mine vous
appartient, à vous tous qui, depuis un siècle, l'avez payée de tant de sang et de misère !
1. Rasseneur : ancien mineur, il est devenu le propriétaire d’un bar. Il n’est pas favorable à la grève.
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TEXTE D : Jacques PREVERT, « Mai 68 », Choses et autres, 1972
MAI 1968
I
On ferme !
Cri du cœur des gardiens du musée homme usé
Cri du cœur à greffer
à rafistoler
Cri d’un cœur exténué
On ferme !
On ferme la Cinémathèque et la Sorbonne avec
On ferme !
On verrouille l'espoir
On cloitre les idées
On ferme !
O.R.T.F.1 bouclée
Vérités séquestrées
Jeunesse bâillonnée
On ferme !
Et si la jeunesse ouvre la bouche
par la force des choses
par les forces de l'ordre
on la lui fait fermer
On ferme !
Mais la jeunesse à terre
matraquée piétinée
gazée et aveuglée
se relève pour forcer les grandes portes ouvertes
les portes d'un passé mensonger
périmé
On ouvre !
On ouvre sur la vie
la solidarité
et sur la liberté de la lucidité.
1. O.R.T.F : Office de radio-télévision française
.Etablissement de tutelle et de contrôle de la
radiodiffusion et de la télévision publique .
Vous répondrez d’abord à la question suivante. ( 4 points)
Après avoir lu textes du corpus, vous répondrez, dans un texte organisé, à la question suivante :
en quoi et comment les quatre extraits reposent-ils sur une incitation à la révolte ?
Vous traiterez ensuite un des sujets suivants (16 points)
COMMENTAIRE.
Vous commenterez le texte de Zola (texte C ) .
DISSERTATION.
Le poète et résistant René Char, dans ses Feuillets d'Hypnos rédigés pendant les années de guerre
(1940-1944), prononce cette formule catégorique: « Je n'écrirai pas de poème d'acquiescement. » Plus
largement, faut-il penser avec René Char que la littérature, ce soit forcément de la rébellion et de la
révolte ?
Vous construirez votre réponse en vous appuyant sur les textes du corpus, ainsi que sur vos
connaissances et lectures personnelles.
INVENTION.
En vous inspirant de procédés d’écriture mis en œuvre dans le texte de La Boétie (texte A), vous
écrirez une lettre ouverte à un journal devant un événement ou une situation qui a provoqué en vous
un sentiment de révolte.
Vous ne devez en aucun cas signer la lettre de votre nom.
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