Laurence

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Laurence
Montréal, ENAP, 12.2.2016
«Enjeux paradoxaux de l’autonomie pendant le
placement juvénile »
Laurence Ossipow
HETS Genève, HES-SO Genève
Avec le soutien du FNS, du CEDIC, de la HES-SO et de l’ASTURAL
(Actions éducatives et pédago-thérapeutiques)
Ossipow, L. Berthod M.-A, Aeby G, 2014
Les miroirs de l’adolescence :
anthropologie du placement juvénile.
Lausanne: Antipodes (collection regards
anthropologiques); avec une postface de C.
Duclos et R. Gonzales.
La recherche : 2006-2013





Etude de la vie collective de trois institutions à
Genève (filles; garçons; mixte)
Jeunes âgés de 14 à 18 ans
Placements publics, civils et pénaux
Durée variable
Origines socio-économiques et nationales diverses
des adolescent-e-s; classes dites défavorisées en
majorité; parcours scolaires difficiles; retard dans la
formation.
3
Le champ de l’accompagnement
socio-éducatif des mineur-e-s
Maisons et Espaces de quartier
 Dispositifs scolaires et médicaux
 Hospice général (aide sociale)
 Tribunal des mineures
 Brigade des mineur-e-s (police)
 Placement en famille d’accueil
 Placement en foyers ouverts
 AEMO (Aide éducative en milieu ouvert)
 Centre éducatif fermé
Voir aussi Ossipow, Berthod, Aeby 2014: 49 [graphique de
l’éducation spécialisée dans le canton de Genève (Suisse) en
2013]

4
Approche et méthodologie

Observation directe/participante (Aeby 2012)


Entretiens semi-directifs avec les jeunes (29) et
avec les membres des équipes éducatives (21)
Entretiens informels

Pas de récits de vie

Monographique et mutisites, mais pas multisituée
(Marcus 1995 ); sauf les camps et les sorties
5
Approche et méthodologie (suite)

Sources écrites internes

Recensions (Olivier de Sardan 1995) : tableaux
d’affichage; PV réunions de foyer; repas/menus;
organisation de l’espace domestique, répartition des
chambres…
Réalisation de films, de de photos avec les jeunes


Restitutions en cours et en fin de recherche
(Ossipow 2014)
6
Les mirages de l’autonomie
Je pense que les jeunes entendent cent fois plus
le mot autonomie ici que dans une famille.
L’autonomie, c’est vraiment le cheval de bataille
du foyer
– Une notion thématisée alors que celle de
citoyenneté ne l’est pas…
– Une notion souvent utilisée en référence aux
groupes sociaux les plus vulnérables…
– Une nécessité temporelle liée à la majorité
(18 ans), sortie obligatoire des foyers de
placement»
Transition à l’âge adulte
•
Les bornes de « l’entrée dans la vie adulte » ne sont plus
linéaires, ni synchronisées (Galland 1991).
•
« Allongement » généralisé de la jeunesse (Galland 1991)
•
Des espaces liminaires ont été ouverts dans lesquels les jeunes
ne sont ni des ados, ni des adultes (Galland 2010; Ossipow,
Csupor, Felder 2016)
•
L’entrée dans l’âge adulte est davantage une question de selfrepresentation que de statut (Van der Velde 2008)
•
La transition change de pays en pays parce que les politiques
de jeunesse y sont différentes (Van der Velde 2008)
Autonomie/indépendance/respon
sabilisation
De Singly (2000) associe
• l’indépendance avec l’autosuffisance et
• l’autonomie avec la capacité de se
donner ses propres règles

Autonomie, droits de l’enfant;
responsabilisation VS contrôle/sanction
(Milburn 2009)
Autonomie matérielle et
autonomie de la volonté
Joint-Lambert Milova (2006) et Goyette (2006)
établissent une différence entre:
• L’autonomie matérielle, l’autonomie
fonctionnelle // hard skills ou habilités
tangibles
• L’autonomie de la volonté// soft skills ou
habilités intangibles; capacité relationnelles
• L’idée d’une vie autonome est très souvent
une excuse pour forcer les jeunes à être
financièrement indépendant-e-s…(Goyette
2006)
Educateur au foyer des garçons
Ici on leur apprend des tas de choses pratiques pour être
autonomes: la lessive, la gestion de l’argent. On leur fait acheter
l’abonnement de bus: penser à demander l’argent et aller l’acheter.
Dans l’ensemble, ça marche assez bien, je suis toujours assez
surpris. Faire à manger, préparer la table, débarrasser et faire la
vaisselle, nettoyer une partie de la maison, passer l’aspirateur dans
le salon, vider les poubelles, nettoyer les toilettes, prendre en
charge sa chambre. Ce sont des petites choses pratiques de
l’ordre du quotidien […] Et après il y a l’autonomie, toute la gestion
de la vie en générale, toute une liste de choses qu’ils doivent faire
par rapport à leurs choix de vie, leurs relations, leur choix
politiques, l’autonomie relationnelle et affective […]. Les choix des
relations avec les gens et comment les gérer. C’est vaste de
développer son autonomie[…; c’est nous qui soulignons]
Directrice du foyer des filles
Qu’est-ce que j’entends par autonomie ? Pour
moi l’autonomie c’est d’abord les aspects très
pratiques de la vie. Mais on peut savoir faire
des lessives, faire à manger, puis ranger sa
chambre et puis ne pas du tout être autonome.
Pour moi, l’autonomie c’est plutôt avoir
confiance en soi et en ses capacités, en ses
compétences et en ses ressources parce
qu’après, quand on a une bonne image de soi,
on apprend à faire les choses [c’est nous qui
soulignons]
Educateurs au foyer des garçons
Pour moi, le plus important, c’est que le jeune fasse son
chemin avec le maximum d’armes en sortant. Qu’il soit
bien équipé pour sortir et commencer quelque chose.
Dans la réalité, un jeune, il n’est jamais prêt. Pour moi,
il commence à travailler quand il sort d’ici en fait. On
propose un endroit où il peut apprendre à se calmer et
réapprendre le contact avec les gens, avec la vie. Le
foyer, c’est un lieu de passage, un lieu de préparation.
Où l’on fait semblant, où l’on s’entraîne à être autonome
[c’est nous qui soulignons]
C’est une mise à l’épreuve dans le concret avec un filet
de sécurité
Hard skills => être responsable
Se lever à temps
 Etre suffisamment relaxé pour bien
dormir
 Apprendre à faire la cuisine et la
lessive*
 Faire le ménage*
 savoir manager son budget

être
 **
responsable
pour les variations de genre, voir Ossipow,
Berthod, Aeby 2014
Soft skills => savoir choisir

Avoir des bonnes relations avec les autres;
 savoir où trouver de l’information;
 atteindre un certain degré de de self-control
 « tenir son placement »
=> apprendre à formuler ses attentes, savoir
demander de l’aide, négocier, être capable
de formuler un projet en même temps que
d’arriver à le mener.
Un accompagnement aux soft skills

Des bilans avec le psychologue de
l’institution.
 La possibilité d’élargir son monde (sorties
culturelles, sportives, voyage, camps;
rencontres-débat; soirée majorité civiles;
discussions politiques informelles…)
 L’incitation à développer son réseau
social et de connaissances par des
activités et loisirs et personnels
(volontairement, très peu de loisirs organisés
sur place)
Le must pour l’autonomie …: la
capacité à manager son budget

D’un côté c’est une hard skill parce que vous
avez besoin d’apprendre comment organiser
vos ressources financières dans différentes
catégories qui ne sont pas perméables.

De l’autre côté, c’est une soft skill parce que
vous avez souvent l’occasion de négocier le
changement de catégorie
Le point de vue des ados
« Nous n’avons pas besoin d’apprendre ces
trucs, faire la cuisine, la vaisselle, la lessive, on
connaît, on sait déjà... »
• Insistent au contraire sur l’importance des
routines, des rythmes liés à la stabilité, au
calme, à une certaine sérénité
• Mettent aussi en avant l’importance de pouvoir
prendre de la distance par rapport à leurs
proches
• Considèrent l’apprentissage du budget comme
le plus important
•
La nécessité des hard skills et des
soft skills
Les soft skills sont difficiles à
mesurer…ainsi l’on passe souvent par les
hard skills pour les repérer
 Apprendre le relationnel et mesurer le
changement en faisant des choix (d’activités,
de rencontre ou pas, de formation…)
 Rassurer, légitimer le travail éducatif par les
hard skills, même si ce sont les softs skills qui
sont considérées comme primordiales par les
équipes éducatives.
Reformater l’individu ? Ou agir sur
les cadres de l’action ?

Le travail des équipes éducatives est moins basé sur
le changement des dispositions internes propres aux
personnes placées que sur un changement des
cadres de l’expérience (Goffman1991) dans leur
environnement social (Ossipow, Berthod, Aeby 2014)

Le travail éducatif et le passage en foyer tablent sur
une série de transformations s’appuyant sur la
maturité progressive des jeunes dans des cadres
sociaux tantôt permissifs tantôt contraignants, tantôt
discrets, tantôt visibles
Le couperet des 18 ans : une
jeunesse écourtée ?

Entrer, sortir des institutions: des moments
cruciaux (Aeby, Berthod 2011)
 Sortie obligatoire et brutale du foyer;
prolongation possible d’un an si placement
pénal. Quelques appartements postplacements.
 C’est la jeunesse socialement défavorisée qui
voit son apprentissage du devenir adulte
écourté
Le couperet des 18 ans : la
faille entre deux dispositifs

Rupture entre deux dispositifs qui
communiquent peu: Département de
l’instruction publique (éducation) pour les
mineur-e-s et Département des affaires
sociales pour les majeur-e-s
 Prise en charge par l’aide sociale dans un
dispositif spécifique pour les moins de 25 ans
(éducateurs et assistant-e-s sociaux) qui
peine à se légitimer et est souvent menacé
de restrictions budgétaires
MERCI POUR VOTRE
ATTENTION
23
Références
AEBY Gaëlle.
2012. « Le journal à la croisée de trois regards : le cheminement d’une recherche en foyers
d’éducation pour adolescent-e-s », in GOTHARD-RADENKOVIC A. , POULIOT S. , STALDER, P. (éds),
Journal de bord, journal d’observation, un récit de vie en soi ou les traces d’un cheminement .
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2006. « Autonomie et participation d’adolescents placés en foyer (France, Allemagne, Russie) »,
Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], n°2 | Automne 2006, mis en ligne le 17 octobre
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Références (suite)
George
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OSSIPOW , Laurence, BERTHOD Marc-Antoine et AEBY Gaëlle
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OSSIPOW Laurence
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MARCUS