Le Monde - entree

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Le Monde - entree
NOUVELLE COLLECTION
APPRENDRE
À PHILOSOPHER
JEUDI 14 AVRIL 2016
72E ANNÉE – NO 22160
2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Kant
Que pouvons-nous savoir
et que devons-nous faire ?
De la morale et la connaissance
€
9,99
KANT
N° 6
LIRE NOTRE SUPPLÉMENT
A P P R E N D R E À P H I LO S O P H E R
Le gouvernement renonce à réduire
la part de l’énergie nucléaire
▶ La loi de transition éner-
▶ Mais la programmation
▶ Hormis la fermeture
▶ La ministre de l’environ-
gétique de 2015 actait la
promesse faite par Hollande de ramener à 50 % la
part de l’atome dans la
production d’électricité
pluriannuelle de l’énergie,
promise « avant l’été », repousse les arbitrages sur
l’atome à 2019, après les
élections
de Fessenheim, qui devrait
faire l’objet d’un décret
avant l’été, aucun démantèlement de centrale n’est
planifié
nement explique qu’elle
souhaite donner la priorité au développement des
énergies renouvelables
PLANÈTE – LIR E PAGE 6
KAMEL DAOUD
“JE NE VEUX
PAS PORTER
UNE GUERRE
SUR MON DOS ”
▶ Reportage à Oran, sur
les pas de l’écrivain qui doit
vivre en semi-clandestin
dans sa ville
ENQUÊTE – L I R E PAG E S 14- 15
BACHIR BELHADJ POUR « LE MONDE »
E N V E N T E U N I Q U E M E N T E N F R A N C E M É T R O P O L I TA I N E
Politique
Hollande,
face caméra
et dos au mur
Avant son émission jeudi
sur France 2, les socialistes, députés ou ministres,
doutent de la capacité
du chef de l’Etat
à remobiliser la gauche
LIR E PAGE S 8 - 9
Conjoncture
Le FMI alerte sur
le ralentissement
de la croissance
mondiale
▶ Elle ne devrait pas
dépasser 3,2 % en 2016,
un niveau « décevant »
▶ L’OFCE table, lui,
sur une croissance
de 1,6 % en France
▶ En présentant son pacte
de stabilité, mercredi,
le gouvernement maintient ses prévisions à 1,5 %
et promet 3,8 milliards
d’économies supplémentaires cette année
LIR E LE C A HIE R É CO P. 3 ET 4
Logement
Une réforme
pour davantage
de mixité sociale
dans les HLM
LIR E PAGE 1 1
Panama papers
▶ Comment analyser
plus de 11,5 millions
de documents ?
▶ La révolution du
journalisme collaboratif
▶ Pierre Moscovici, pour
la transparence fiscale
International
Culture
A Los Angeles, l’art à l’hectare Au Daghestan,
l’autre guerre
de la Russie
contre l’EI
LIR E PAGES 2 2 - 2 3
REPORTAGE
makhatchkala, khassaviourt
(daghestan) - envoyée spéciale
Universités
La créativité peutelle s’enseigner ?
S U P P LÉM ENT
1
ÉD ITO R IAL
LA SALUTAIRE
PRISE DE
CONSCIENCE
DE L’ÉGLISE
→ LIR E P A GE 2 4 E T NOS
INF OR M A T IONS P A GE 1 2
Le Broad Museum, à Los Angeles. ROBYN BECK/AFP
L
es galeries d’art à Los Angeles
ont pris des proportions ahurissantes : la succursale des
Zurichois Hauser & Wirth, inaugurée le 13 mars, couvre une surface de
plus de 10 000 m2. Avec un mélange
des genres qui fait frémir en France :
un quart des œuvres ont été prêtées
par des musées.
Un mois plus tôt était inaugurée la galerie des Berlinoises Monika Sprüth et Philomene Magers, sur – seulement – 1 300 m2.
Ces énormes galeries sont à
l’unisson du Musée privé Broad,
fraîchement inauguré lui aussi, et
qui porte le nom d’un des collectionneurs les plus influents au
monde. Cette démesure tient
moins à l’existence d’un réel marché qu’à la présence en Californie
d’artistes influents, comme John
Baldessari ou Paul McCarthy. Près
de 70 % des achats d’art effectués
à Los Angeles le sont par des
clients venus d’ailleurs, indique
The Art Newspaper.
→ LIR E
PAGE 1 6
Au bout d’une méchante piste
caillouteuse qui serpente à flanc
de montagne, des militaires russes contrôlent l’accès du village de
Balakhani. Mitraillette à la main,
ils inspectent le coffre des véhicules avant de lever la barrière cernée de sacs de sable et de projecteurs. Dans ce hameau du district
montagneux d’Ountsoukoul, le
visiteur étranger n’est pas le bienvenu. Quelques jours auparavant,
Ramazan Abdoulatipov, le dirigeant du Daghestan, est venu ici
proclamer que « l’ordre serait rétabli ». « Dans chaque village doivent
être installés des portraits de la
honte », a-t-il déclaré, censés désigner ceux qui sont partis en Syrie
dans les rangs djihadistes.
→
isabelle mandraud
LIR E L A S U IT E PAGE 2
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
2|
INTERNATIONAL
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Devant la
mosquée salafiste
de Makhatchkala,
vendredi 25 mars.
MARIA TURCHENKOVA
POUR « LE MONDE »
Au Daghestan, l’autre guerre russe à l’EI
Depuis fin 2015, plusieurs attentats ont frappé la petite république du Caucase, où l’islam radical se développe
suite de la première page
Ce 30 mars, peu avant l’entrée
dans le tunnel Gimrinski, qui relie
la région centrale aux villages
d’altitude, on croise encore un
convoi de blindés et de camions
militaires. En deux ans pour l’essentiel, le Daghestan, petite république musulmane du Caucase de
3 millions d’habitants, membre
de la Fédération de Russie, a
fourni le plus gros contingent de
candidats russophones au djihad.
« Officiellement, 900 à 1 000 hommes sont partis, selon le ministère
de l’intérieur », relève Ruslan Gereiev, le directeur du Centre d’études islamiques du Caucase du
Nord, pro-gouvernemental. En
trois mois et demi, quatre attentats ont suivi la première fusillade
revendiquée par l’organisation
Etat islamique (EI) le 29 décembre 2015 au pied de la forteresse
millénaire de Derbent (un mort,
onze blessés), à 130 kilomètres au
sud de la capitale Makhatchkala.
La dernière attaque en date, le
30 mars, aux abords de Sirtitch,
dans le district du sud de Tabassaran, a fait un mort et plusieurs
blessés après l’explosion d’un véhicule, sans compter les deux kamikazes. Un combattant « a actionné sa ceinture d’explosifs à un
barrage de police au Daghestan »,
s’est félicité l’EI dans un communiqué publié en arabe. L’organisation djihadiste, qui a menacé la
Russie dans plusieurs vidéos et revendiqué l’attentat contre l’avion
de touristes russes dans le Sinaï, le
31 octobre 2015, avec 224 passagers
et membres d’équipage, entend le
faire savoir : elle a bien, désormais, un pied sur son territoire.
Dans cet autre village de haute
montagne encore couvert de
neige, un homme confirme cette
nouvelle donne, sous couvert de
l’anonymat : à cinq reprises, lui et
sa femme ont fait le voyage jusqu’en Turquie pour tenter de ramener l’un de leurs fils parti en
Syrie. « De l’autre côté » de la frontière, ils ont pu le voir dans la région de Rakka, le quartier général
Mer
Caspienne
RUSSIE
Abkhazie
Mer
Noire
Tchétchénie Khassaviourt
Makhatchkala
Balakhani
Daghestan
Derbent
Ossétie
du Sud
GÉORGIE
TURQUIE
AZERBAÏDJAN
HautKarabakh
ARMÉNIE
République autonome
de la Fédération de Russie
Territoire sécessionniste
de l’EI sur le territoire syrien, sans
le convaincre. A la troisième tentative, le sexagénaire réalise que
son fils est emprisonné. « Il voulait rentrer. On nous a d’abord dit
qu’il était mort », témoigne
l’homme, qui comprend peu à
peu qu’il n’en est rien mais que
plusieurs compagnons de son fils
ont été décapités. A force de recourir à « toute la communauté
d’Istanbul », et sans doute aussi
moyennant de fortes sommes
d’argent, il parvient à le « faire sortir ». Depuis un mois, son fils est à
l’abri, « en Ukraine ».
« Moi, l’EI, je l’appelle la secte »
A Ountsoukoul, village éponyme
de la région, le chef de l’administration locale est fier. « Ici, personne n’est parti ! », claironne Abdul Magomedov tout en saisissant une feuille de papier sur son
bureau. Dessus figurent les noms
de cinq hommes, bannis : « Tenez,
celui-là se trouve en Turquie avec
sa famille, et celui-ci est parti “étudier” en Egypte. » Un procès-verbal précise qu’ils ont été « reconnus coupables de propagande wahhabite ». « Si un jeune veut revenir
de Syrie, soit on le met en prison,
soit on le tue, assure Mouhamad
Abou Hamza Magomedov, le porte-parole de la mosquée Omarova
de Makhatchkala. Il n’y a pas de retour possible, ou alors il faut des
AZ.
IRAN
50 km
parents haut placés avec beaucoup d’argent. » « On parle de
700 retours mais ce chiffre me paraît largement sous-estimé », indique de son côté Sirajoudine Datsiev, responsable de Memorial,
une ONG de défense des droits de
l’homme.
Le terreau était favorable. Depuis les guerres russo-tchétchènes des années 1990-2000, la région abrite des combattants radicaux réunis dans l’Emirat du Caucase (EC), une organisation
proche d’Al-Qaida, qui a progressivement jeté ses bases dans le maquis daghestanais, mitoyen de la
Tchétchénie. Le groupe, responsable de 75 attentats majeurs commis en Russie, est aujourd’hui exsangue depuis les opérations menées pour sécuriser les Jeux olympiques de Sotchi en 2014. A partir
de cette date, souligne le think
tank International Crisis Group
dans une note du 16 mars consacrée au Caucase du Nord, « les ser-
Le vendredi,
la police utilise
un fichier
antiterroriste
pour contrôler
l’accès à la prière
vices de sécurité russes ont vaincu
et paralysé l’EC, dont les opérations et la communication sont devenues impossibles, en même
temps que les appels de l’EI pour
un djihad cinq étoiles gagnaient en
popularité ».
Les ralliements se sont multipliés, malgré l’opposition d’Aliaskhab Kebekov, le premier émir daghestanais de l’EC, tué par les forces russes en avril 2015. Deux
mois après sa mort, le 21 juin, l’ensemble des commandants de l’EC
a prêté allégeance à Abou Bakr AlBaghdadi, le chef de l’EI, lequel a
aussitôt proclamé la création de la
« wilayat [province] du Caucase »
et nommé pour émir le Daghestanais Roustam Aselderov. Ce basculement, paradoxalement, a entraîné une baisse sensible du
nombre d’attaques armées dans
tout le Caucase et singulièrement
au Daghestan du fait des départs
en Syrie. Selon le site spécialisé
Kavkaz-uzel, le nombre de morts
violentes a chuté de près de 40 %
entre 2013 et 2015. Cet « exode » a
affaibli un peu plus encore l’Emirat du Caucase.
« Magomed »,
appelons-le
ainsi, fait partie des derniers partisans de l’EC. Massif, portant
une barbe noire fournie, cet
homme qui ne se déplace jamais
avec son téléphone accepte un
rendez-vous discret. « Chaque
musulman rêve du califat, mais
moi, l’EI, je l’appelle “la secte”, ils
déshonorent l’islam. Le Front AlNosra [filiale d’Al-Qaida en Syrie]
n’applique pas les mêmes punitions et prend en compte l’état
d’esprit de la population, dit-il
sans ambages. Kebekov avait interdit l’utilisation de femmes kamikazes. Il ne faut pas recourir
aux assassinats de masse mais
aux assassinats ciblés. »
L’intervention militaire russe
en Syrie, en septembre 2015, n’a
eu selon lui qu’une résonance limitée : « En Russie, 90 % des musulmans sont sunnites mais Poutine va soutenir des chiites et des
alaouites… C’est très logique tout
ça », ironise Magomed, qui pour-
suit : « Poutine est islamophobe »
et mieux vaudrait pour la Russie
octroyer un statut particulier au
Caucase avec application de la
charia. « Sans quoi, prévient-il, si
vous aggravez la situation pour
les musulmans, alors ce sera
l’Afghanistan. »
Mosquée incendiée
La situation est d’autant plus délicate qu’elle se double d’une vive
tension avec le courant salafiste,
en pleine expansion. Introduit il
y a vingt ans, ce mouvement fondamentaliste, qui prône le retour
à l’islam des origines, a suscité
l’apparition d’un registre tenu
par le comité antiterroriste, dans
lequel sont recensés les « wahhabites », comme on désigne ici avec
mépris les porteurs de barbes et
de pantalons courts. Seize mille
personnes y figureraient avec
empreintes ADN et enregistrement de voix, le tout en parfaite
violation de la Constitution
russe. Tous les vendredis, la police, en armes, prend appui sur le
fichier pour contrôler les accès
des lieux de prière.
Les incidents se multiplient
autour des mosquées réputées
salafistes qui, comme les madrasas, écoles coraniques non officielles, ne cessent de croître. Plusieurs d’entre elles ont été fermées ou se voient privées de prêche le vendredi. Une autre, dans
le quartier de l’aéroport de Derbent, a été incendiée.
Dans la ville de Khassaviourt, à
80 kilomètres au nord-ouest de
Makhatchkala, les événements
ont failli tourner à l’aigre lorsque
plus de 5 000 « wahhabites » sont
descendus dans la rue. « Les flics
doivent remplir des objectifs, proteste l’imam Nabil Magomed Magomedov. Je ne vois pas d’autre
explication. Enfin si : quand je suis
entré en fonction en 2001, il devait
y avoir 500 fidèles ; maintenant,
nous sommes plus de 100 000 au
Daghestan. » Le 9 avril, ce dernier
a été interpellé et placé en détention provisoire pour « apologie
du terrorisme » et « incitation à la
haine » alors qu’il était venu réclamer la libération de personnes
interpellées qui fréquentaient sa
mosquée.
La nervosité est aussi palpable
autour de la mosquée Omarova à
Makhatchkala, où des policiers armés procèdent régulièrement à
des interpellations. Le 25 mars,
l’imam Nimatoulla Rajdabov faisait son prêche en colère : « Allah
n’a pas besoin de musulmans peureux mais combatifs ! C’est une
épreuve que nous envoie Dieu ! »
Son porte-parole résume : « Les
vrais extrémistes, la police les connaît. Soit ils leur mettent la pression pour qu’ils partent à l’étranger, soit ils les manipulent, et généralement ils finissent par être tués
dans ce que l’on présente comme
une opération antiterroriste. » A
l’été 2015, une dizaine de jeunes
ont choisi la Syrie. p
isabelle mandraud
LE CONTEXTE
Dès l’annonce de l’intervention
militaire russe en Syrie, le 30 septembre 2015, Vladimir Poutine
avait mis en avant ce motif : « Ne
pas attendre qu’ils [les djihadistes] reviennent chez nous ». Dans
un rapport diffusé le 15 mars, le
Conseil russe des affaires étrangères le soulignait encore : « Le
retour des combattants de l’organisation Etat islamique est l’une
des principales menaces pesant
aujourd’hui sur la Russie. » Leur
nombre est estimé à plus de
3 000 et plus de 800 enquêtes
contre des ressortissants russes
revenus du Proche-Orient ont été
ouvertes selon le comité de lutte
antiterroriste. Un homme de
28 ans, originaire du Daghestan,
soupçonné selon la police d’avoir
participé à un camp d’entraînement de l’Etat islamique en Syrie, a été interpellé mardi 12 avril
dans la région de Saint-Pétersbourg par les forces de sécurité.
international | 3
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Les «cronies», vrais gagnants de la transition birmane
Anciens alliés de la junte et nouveaux amis d’Aung San Suu Kyi, ces hommes d’affaires continuent de prospérer
rangoun - envoyé spécial
« Le dernier
régime était
inefficace,
économiquement
parlant »
L’
antichambre du bureau
de Khin Shwe, magnat
des affaires et l’une des
dix plus grosses fortunes de Birmanie, sénateur sortant
de la Chambre haute du Parlement, membre du parti des militaires, homme de l’ancien régime
et nouvel ami très cher d’une Lady
nommée Aung San Suu Kyi, en dit
long sur le personnage – et sur les
paradoxes d’une Birmanie désormais démocratique : partout, sur
les murs, des photos de lui, prises
dans des poses avantageuses, y
sont accrochées.
Ici, il est debout devant un éléphant blanc porte-bonheur. Là,
toujours en compagnie d’un éléphant, mais assis sur son dos.
Ailleurs, on le voit, dans une pose
guindée, au palais du Peuple de
Pékin en train de serrer la main du
président chinois, Xi Jinping.
Ailleurs encore, il s’esclaffe devant
l’objectif aux côtés d’un ancien
premier ministre thaïlandais.
L’homme a des relations.
Le « docteur » Khin Shwe fait
son entrée. Il tend une carte de visite sur laquelle sont gravés son
nom et son titre universitaire. Hélas inventé de toutes pièces,
comme l’a sournoisement révélé
le journal birman en ligne Irrawaddy, certes souvent malintentionné à l’égard des proches
d’un régime qui fut dictatorial.
Mépris de la population
A 64 ans, le patron de Zaykabar,
l’un des grands groupes de construction immobilière du pays, est
un homme affable, souriant,
ouvert, dont la silhouette arrondie confère à sa démarche une
certaine majesté. Il évalue son patrimoine, en une moue faussement modeste : « Environ 500 millions de dollars. »
Khin Shwe ne tarde pas à entrer
dans le vif du sujet : « On dit que je
suis un crony, c’est faux, je n’ai jamais profité de ma proximité avec
les dirigeants des précédents gouvernements pour faire fortune. »
Le « gros mot » anglais est lâché :
crony au singulier, cronies au pluriel, en français ça veut dire « copain ». En Birmanie, c’est plutôt
« copain-coquin », et c’est la façon
dont tout le monde désigne ici les
affidés des ex-généraux de l’ancienne dictature ayant joui de re-
KHIN SHWE
homme d’affaires birman
Khin Shwe, le président du groupe Zaykabar, à Rangoun, en 2012. SOE ZEYA TUN/REUTERS
lations complexes, mais fructueuses, avec ces derniers. Ce qui
leur a permis à tous de se bâtir de
coquettes fortunes. Cronies, c’est
aussi une engeance haïe par la population, dont le mépris à l’égard
de ces businessmen prorégime
n’a eu d’égal que celui qu’elle réservait au régime lui-même…
« J’ai commencé ma carrière d’ingénieur sous le général Ne Win
[l’auteur du putsch de 1962], raconte Khin Shwe. J’ai bien connu
Than Shwe [dictateur retiré des affaires en 2010 quand la junte s’est
autodissoute]. Je jouais au golf et
buvais l’apéro avec Thein Sein [expremier ministre de la junte et
président sortant du dernier régime issu de la dictature], mais je
vais vous dire : ce gouvernement
quelque peu démocratisé présidé
par Thein Sein était inefficace, économiquement parlant. Alors, aux
élections [de novembre 2015], j’ai
A leur arrivée
au pouvoir, les
anciens généraux
ont fait émerger
une nouvelle
génération
de « cronies »
appelé à aller voter pour la NLD
[Ligue nationale de la démocratie,
le parti d’Aung San Suu Kyi]. »
Un comble pour ce compagnon
de route de la tyrannie qui était
sénateur du Parti pour le développement et la solidarité de l’Union
(USDP), la formation politique
soutenue par les militaires et les
caciques de la junte défunte.
Raison de ce lâchage tardif :
quand ils sont arrivés au pouvoir
en 2010, explique en substance
Khin Shwe, les nouveaux dirigeants, qui étaient tous d’anciens
généraux, ont essayé de se « blanchir ». « Ils se sont désolidarisés de
nous, accuse-t-il, parce que nous
étions attaqués dans les médias
pour nos activités passées. »
Résultat, sous le régime sortant a
ainsi émergé une « nouvelle génération de cronies », comme l’explique, un peu dépité, Khin Shwe, assis, tel le pacha d’un autre temps,
dans un profond fauteuil qui disparaît sous sa royale corpulence.
Le Wall Street Journal affirmait,
au mois d’août 2015, que « des entreprises qui font partie de la liste
de celles encore ciblées par les
sanctions américaines ont en réalité prospéré depuis quelques années et, dans certains cas, ont
même accru leur contrôle sur
l’économie ». Serait-ce le cas de
Khin Shwe ? Peut-être pas : il est
lui aussi sur la liste noire des
Américains, mais il n’est plus
« l’homme le plus riche », ce qu’il
avait été auparavant, concède-t-il.
« Les cronies sont les principaux
gagnants », analyse Sean Turnell,
expert des questions économiques birmanes et conseiller de
la NLD, cité par l’AFP. « Le gouvernement sortant leur a donné
des licences et les protège de la
concurrence. »
Vers une « continuité »
Cronies d’hier, cronies d’aujourd’hui, qu’importe : la question essentielle est de savoir comment
ces hommes d’affaires peu fréquentables vont profiter ou non
de la nouvelle situation politique. « L’arrivée au pouvoir de la
NLD et de la “Dame” ne va pas
bouleverser les choses, économiquement parlant », estime un expert basé à Rangoun. « Le nou-
La Chine s’invite dans les négociations sur la Syrie
R
estée en retrait sur le dossier syrien malgré un soutien indéfectible à Bachar
Al-Assad, la Chine entend peser
davantage sur les scénarios de
sortie de crise qui s’élaborent. Pékin a désigné, le 29 mars, son premier émissaire pour la Syrie, Xie
Xiaoyan, un diplomate de carrière
qui fut ambassadeur en Iran, puis
en Ethiopie et auprès de l’Union
africaine. Cette nomination doit
permettre de « contribuer plus efficacement en sagesse et en propositions chinoises », avait alors déclaré Hong Lei, le porte-parole du
ministère des affaires étrangères.
Les premières interventions de
M. Xie sur le dossier résument la
position chinoise : la résolution de
la crise syrienne passe par un compromis politique, pas par des opérations militaires. « Par la négociation, un consensus sera atteint et
une solution peut être trouvée, a
voulu croire M. Xie le 9 avril, nous
insistons pour que la recherche
d’une solution politique soit la ligne
directrice pour régler le problème. »
Sur le dossier syrien, la Chine a
jusqu’à présent collé aux positions russes, exerçant à quatre reprises son droit de veto au Conseil
de sécurité de l’ONU aux côtés de
Moscou pour bloquer les projets
de résolutions occidentales entre
2012 et 2014. « La Chine est restée
relativement conservatrice sur le
dossier syrien. Elle n’est pas assez
sûre d’elle-même, ou pas assez
prête, pour intervenir dans les
troubles au Moyen-Orient », analyse Zhu Feng, directeur adjoint
du Centre d’études internationales et stratégiques de l’université
de Pékin. « Maintenant que la Syrie
va avoir besoin d’investissements
pour sa reconstruction, la Chine estime que c’est le bon moment, et la
nomination d’un envoyé spécial
indique qu’elle est prête à devenir
plus active », poursuit-il.
Partenaire commercial privilégié
La Chine tire plus de 50 % de ses
approvisionnements en pétrole
du Moyen-Orient. Elle est la première cliente aussi bien de l’Arabie saoudite que de l’Iran, deux
acteurs-clés du jeu syrien. « Il est
évident que les Chinois veulent
jouer un rôle plus important au
Moyen-Orient et apparaître
comme partie prenante de ce qui
s’y décide, explique Jean-Pierre
Cabestan, auteur de La Politique
internationale de la Chine. Entre
intégration et volonté de puissance (éditions Presses de Sciences Po, 2015). Cela participe de leur
montée en puissance et fait suite à
la tournée du président Xi Jinping
en Arabie saoudite, en Egypte et en
Iran de janvier. »
Pékin, qui a eu un rôle-clé dans
l’accord sur le nucléaire iranien de
juillet 2015 en jouant de son statut
de partenaire commercial privilégié de la République islamique,
émerge comme un acteur incontournable dans la région, d’un
point de vue économique, mais
aussi politique. « Après la fin de la
guerre en Irak, les Chinois ont placé
très vite leurs billes en achetant du
pétrole. Certes, avec l’Iran, ils sont
conscients du fait que les Iraniens
vont désormais vouloir faire plus
avec l’Occident : le consul iranien à
Hongkong a parlé récemment de
“relations plus réalistes” de l’Iran
avec la Chine. Avec la Syrie, en tout
cas, ils entendent faire partie de
l’équation et participer aux
contrats d’infrastructures et de financement », poursuit M. Cabestan, qui est basé à Hongkong.
Islamistes ouïgours
Le programme des nouvelles
« routes de la soie » et son cortège
d’investissements en infrastructures sont l’outil idoine pour promouvoir l’influence économique
de la Chine dans la région. Pékin
s’engage toutefois à petits pas sur
une nouvelle voie depuis l’arrivée
au pouvoir de Xi Jinping : celle
d’une présence militaire en dehors de la zone Asie-Pacifique. La
Chine va ouvrir une base navale à
Djibouti et a annoncé fin mars
qu’elle se dotait, dans le cadre de la
restructuration de ses forces armées, d’un nouveau département
d’action outre-mer destiné à coordonner ses « activités non combattantes » sur les territoires extérieurs. En outre, de nouvelles lois
antiterroristes autorisent désormais l’Armée de libération à intervenir en dehors de ses frontières.
bruno philip
MALI
Mort de trois soldats
français dans le Nord
Après avoir contribué à l’accord sur le nucléaire iranien, Pékin entend peser dans la résolution du conflit syrien
pékin - correspondant
veau gouvernement démocratique va s’inscrire dans la continuité de l’ouverture économique
d’inspiration libérale commencée
il y a quelques années. La NLD a
besoin de grands groupes pour relancer la machine. Et les plus malins des cronies arriveront à
s’adapter en transformant leur
manière de fonctionner. »
Les « copains-coquins » n’ont
rien à craindre. Aung San Suu Kyi
a déjà promis aux anciens dirigeants à épaulettes, coupables de
crimes de guerre, qu’il n’y aurait
pas de chasse aux sorcières. Alors
les cronies, n’en parlons pas !
Certains d’entre eux sont de
curieux personnages : Tay Za, qui
s’est enrichi dans le trafic d’armes
et de bois précieux, l’hôtellerie et
l’aviation, se promène dans Rangoun en Bugatti. On dit que ce
grand fêtard termine souvent ses
soirées très arrosées en piteux état
après avoir joué au tennis, parties
égayées par la présence de son
bébé tigre qui ramasse les balles.
Steven Law, PDG de la puissante
compagnie Asia World, qui a décroché le juteux contrat de construction du nouveau terminal de
l’aéroport de Rangoun, est le fils
du Sino-Birman Lo Hsing Han,
décédé en 2013 : ce dernier fut
l’un des plus grands parrains de
la drogue du pays.
Déjà, tous les cronies prennent
leurs marques. Khin Shwe nous
dit sa passion tardive, mais forte
pour « Sister Suu », avec laquelle il
lui arrive de dîner. « C’est une
femme extraordinaire, qui va s’occuper des pauvres, comme moi,
qui donne chaque année de grosses sommes à des organismes de
charité », se félicite notre homme.
Souriant, il confie, prenant tendrement la main de son interlocuteur : « Je lui dis souvent : “Ne vous
tuez pas à la tâche, vous allez
vieillir trop vite” ! » Une belle amitié vient de naître. p
Cette inflexion discrète de sa
traditionnelle politique de noninterférence est pour l’instant
motivée par le besoin d’assistance
à ses ressortissants en Afrique et
au Moyen-Orient et sa politique
de participation aux opérations
de maintien de la paix onusiennes. Personne n’imagine par
exemple Pékin s’engager dans
une intervention militaire
comme la Russie l’a fait en Syrie.
La Chine n’en a pas moins un intérêt crucial à une stabilisation de
la Syrie. La guerre syrienne sert de
terrain d’entraînement à des islamistes ouïgours, issus de la minorité musulmane et turcophone du
Xinjiang, surtout en soutien aux
rebelles du Front Al-Nosra, affilié
à Al-Qaida. La chaîne saoudienne
Al-Arabiya, dont les informations
sont à prendre avec des pincettes,
faisait état, début mars, de milliers de combattants ouïgours et
de leurs familles nouvellement
installés dans les zones rebelles.
La Chine est toujours restée évasive sur ce qu’elle sait de l’implication d’Ouïgours en Syrie. p
brice pedroletti
La France a annoncé mercredi 13 avril le décès de
deux soldats du 511e régiment
du train d’Auxonne, grièvement blessés la veille par une
mine dans le nord du Mali,
ce qui porte le bilan de cette
explosion à trois morts.
Un convoi logistique français
parti de Gao pour ravitailler
le détachement présent à
Tessalit a sauté sur une
bombe artisanale. Seize soldats de l’opération « Serval »,
devenue en août 2014 opération « Barkhane », sont morts
depuis 2013.
PAN AMA
Perquisition dans
les locaux du cabinet
Mossack Fonseca
Le procureur général du
Panama a diligenté mardi
12 avril une perquisition dans
les bureaux de Mossack
Fonseca, le cabinet d’avocats
qui se trouve au centre
de l’affaire des « Panama
papers ». Dans un communiqué, la police s’est dite à la
recherche de documents
« susceptibles d’établir l’utilisation éventuelle de la société
pour des activités illicites ». –
(Reuters.)
4 | international & europe
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Le Mouvement 5 étoiles perd son idéologue
Gianroberto Casaleggio, penseur très secret du parti de Beppe Grillo, est mort d’une tumeur au cerveau
DISPARITION
T
rome - correspondant
héoricien » ? « Gourou » ?
« Marionnettiste » ?
Quels que soient les
qualificatifs qui s’attachaient au nom de Gianroberto
Casaleggio – décédé, mardi
12 avril à Milan, des suites d’une
tumeur au cerveau à l’âge de
61 ans –, tous se faisaient l’écho
d’une influence souterraine, d’un
pouvoir occulte sur le Mouvement 5 étoiles (M5S) dont il fut le
cofondateur, en 2010, aux côtés
de l’exubérant Beppe Grillo. Si le
second, homme de one-manshow et de télévision, est logorrhéique, le premier, homme de
l’ombre, était farouche, taiseux
voire inquiétant.
Cheveux long et gris, souvent
coiffé d’une casquette, lunettes
rondes, Gianroberto Casaleggio
n’a accordé que de rares entretiens aux médias qu’il tenait
tous, à des degrés divers, comme
des complices du pouvoir destinés à disparaître. Il leur préférait
la transparence sans filtre d’Internet et des réseaux sociaux
dont il était un spécialiste. Son
entrée sur la scène publique date
du 22 février 2013, lorsque Beppe
Grillo le fit monter à la tribune de
son meeting romain clôturant la
campagne des législatives et des
sénatoriales. « Nous allons changer l’Italie », s’était-il contenté de
dire. Il s’en est fallu d’un cheveu.
Une semaine plus tard, le M5S
devenait le deuxième parti de la
Péninsule et envoyait 164 élus au
Parlement.
Né en 1954 à Milan, Gianroberto
Casaleggio travaille d’abord pour
Olivetti, puis pour la société de
services informatiques Webegg
SA avant de fonder, en 2005, la Casaleggio Associati. C’est cette an-
Utopiste,
Casaleggio
gardait toutefois
les pieds sur terre
et une main
de fer pour gérer
le Mouvement
5 étoiles
née-là qu’il fait la connaissance
de Beppe Grillo, lequel deviendra
son client en lui confiant la création et la gestion de son blog
« Beppegrillo.it », le plus lu d’Italie. Tout le reste demeure flou : de
l’organigramme de la société à
ses bénéfices en passant par les
revenus de son fondateur. « Quiconque s’oppose à Casaleggio est
systématiquement
attaqué »,
nous confiait le journaliste Pietro
Orsatti, auteur d’une enquête
fouillée sur la société.
Main de fer
En revanche, son idéologie est
plus documentée. Dans un livre
disponible seulement sur Internet, Veni vidi Web, paru en 2015, il
pronostiquait l’arrivée prochaine
d’une société de décroissance
dans laquelle Internet aurait
libéré les citoyens de toutes
contraintes, à commencer par le
travail. « Pourquoi travailler un
mois entier pour acheter un vêtement griffé ou un nouveau smartphone ? », s’interrogeait-il.
C’est également à la Toile qu’il
confiait son espoir de l’avènement d’une nouvelle classe politique contrôlée en permanence
par les citoyens internautes. Proposition : voter tous les cinq ans,
en ligne bien sûr, une réforme de
la Constitution. Dissident du
Vers la réduction des pouvoirs du Sénat
La Chambre des députés italienne a approuvé, mardi 12 avril, la
dernière étape parlementaire du projet de réforme constitutionnelle mettant fin au bicamérisme en réduisant les pouvoirs du
Sénat. Pour le président du conseil, Matteo Renzi, cette réforme
assurera la stabilité politique du pays. Il ne lui reste plus qu’une
étape à franchir : celle d’un référendum qui se déroulera à
l’automne. M. Renzi, décidé à mettre tout son poids dans cette
dernière bataille, a assuré qu’il démissionnerait s’il devait être
désavoué par les électeurs.
“Elles viennent du fond des temps
et de tous les continents
nous raconter leur histoire.”
Beppe Grillo, à gauche, et Gianroberto Casaleggio, à Rome, en mai 2014. GREGORIO BORGIA/AP
mouvement, le maire de Parme,
Federico Pizzarotti, a estimé que
Gianroberto Casaleggio était « un
rêveur qui d’un rêve a construit un
projet politique dont le pays avait
et a encore vraiment besoin ».
Utopiste, se disant ni de droite
ni de gauche, il gardait toutefois
les pieds sur terre et une main de
fer pour gérer le Mouvement
5 étoiles. C’est la Casaleggio Associati qui supervise la communication des groupes M5S au Parlement italien comme au Parlement européen. C’est elle encore
qui délivre des cours de media
training aux élus les plus
brillants. C’est elle, enfin, qui organise, sans aucun contrôle extérieur, les votes en ligne pour
valider une réforme, préciser un
point de doctrine ou exclure un
parlementaire déviant. Un
GIANROBERTO CASALEGGIO
cofondateur du M5S
Alors que Beppe Grillo évoque,
lui aussi, de plus en plus souvent,
son retrait du mouvement, estimant qu’il est « assez grand pour
marcher tout seul », la disparition
de son cofondateur met-elle en
péril le M5S ? Depuis deux ans,
Davide Casaleggio, 29 ans, aussi
secret que son père, s’est vu confier des responsabilités, aussi
bien politiques qu’entrepreneuriales, au sein de la Casaleggio Associati, dont il devrait prendre les
rênes.
De son côté, le parti, jusqu’alors
rétif à toute idée de structure et de
hiérarchie, s’est doté d’un directoire duquel émerge la figure de
Luigi Di Maio, 30 ans, vice-président de l’Assemblée nationale.
« Ses capacités sont reconnues
même par ses concurrents et les
sondages placent le mouvement
juste derrière le Parti démocrate de
Matteo Renzi, analyse Roberto
D’Alimonte, politologue de l’université Luiss de Rome. Tant que
cette situation durera, l’avenir du
M5S est assuré. » Premier test : les
élections municipales de juin. p
philippe ridet
Rome proteste contre la décision de l’Autriche, qui craint un nouvel afflux de migrants
A
près avoir fait fermer la
route des Balkans au début du mois de mars,
l’Autriche prépare depuis mardi
12 avril les travaux de construction d’une nouvelle clôture très
symbolique, cette fois à sa frontière avec l’Italie, provoquant la
colère de Rome, de Bruxelles et du
pape François. Vienne estime que
les frontières extérieures de
Schengen ne sont toujours pas
« protégées » de manière efficace
et reproche à son grand voisin du
sud de ne pas tout mettre en
œuvre pour empêcher les
migrants de continuer leur route
vers les riches destinations
germaniques.
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
« Pourquoi
travailler un mois
entier pour
acheter un
vêtement griffé
ou un nouveau
smartphone ? »
Vienne veut fermer sa frontière italienne
vienne, rome - correspondants
Un hors-série
contrôle constant au point que le
M5S a pu apparaître comme la
traduction politique d’une stratégie d’entreprise.
La nouvelle de son décès a occupé, mardi, une grande partie
des journaux télévisés et des
chaînes d’information continue.
Les candidats du mouvement
aux élections municipales de juin
ont interrompu leur campagne,
notamment à Rome où la représentante du M5S a les faveurs des
sondages.
Les parlementaires grillinis assisteront tous à ses obsèques,
jeudi, à Milan. Le président de la
République, Sergio Mattarella, et
de nombreux autres responsables politiques ont adressé leurs
condoléances à la famille de celui
qui les méprisait tous, ou à peu
près.
Contrôles avec la Hongrie
« Les arrivées de réfugiés sur les côtes italiennes sont plus importantes en mars 2016 qu’elles ne
l’étaient en mars 2015, constate de
son côté Christoph Pinter, le représentant en Autriche du HautCommissariat aux réfugiés de
l’ONU (9 676 contre 2 283 un an
plus tôt). C’est l’indice d’une déviation possible de la route des migra-
tions de la Grèce vers l’Italie. » Une
théorie des vases communicants
qui se heurte toutefois aux statistiques. Alors que les migrants arrivés en Grèce sont dans leur immense majorité syriens, afghans
ou irakiens, ceux qui ont rejoint
les côtes italiennes depuis le
1er janvier sont traditionnellement africains.
Entre le 1er janvier et le 31 mars,
l’Autriche (8,5 millions d’habitants) a enregistré 14 328 demandes d’asile. Or, depuis le 6 mars,
plus aucun réfugié ne s’est
présenté au centre de tri mis en
place au poste de Spielfeld, à la
frontière slovène. Pour le gouvernement de coalition entre les sociaux-démocrates et les conservateurs, c’est donc la preuve que les
nouveaux arrivants – entre 100
et 200 par jour en avril – entrent
maintenant illégalement dans
l’espace Schengen.
L’Autriche entend instituer de
nouveaux contrôles à partir
du 1er juin, afin de filtrer les migrants dans un premier temps à
quatre postes-frontières avec l’Italie, mais aussi avec la Hongrie. Elle
menace surtout d’entraver unilatéralement l’important trafic au
col du Brenner, lien pourtant névralgique pour le transit NordSud en Europe. Une perspective
qui traduit l’inquiétude des partis
au pouvoir à l’approche de l’élection présidentielle, le 24 avril.
« Une réponse fausse »
Selon, les sondages, les candidats
des sociaux-démocrates et des
conservateurs ne figureraient pas
au second tour, alors que leurs
formations tiennent un même
langage de fermeté face aux migrants. Les Verts et l’extrême
droite feraient largement la
course en tête. La société se polarise de plus en plus entre les pro et
les antiréfugiés, laissant les partis
traditionnels affaiblis par la gestion de la crise.
En Italie, c’est la consternation.
Sandro Gozi, secrétaire d’état
chargé des affaires européennes,
dénonce « une grave erreur qui
viole les règles européennes. Ce
n’est pas en érigeant des murs improvisés qu’on gère les problèmes ». Mardi, le ministre de l’intérieur, Angelino Alfano, et son collègue des affaires étrangères,
Paolo Gentiloni, ont envoyé une
lettre conjointe au commissaire
européen chargé des migrations,
Dimitris Avramopoulos, afin
qu’il intervienne d’urgence
auprès de Vienne.
Sans faire explicitement référence à la fermeture de la frontière italo-autrichienne, le pape
François a invité les Etats « à abattre les murs », pas seulement « au
sens figuré », mais dans « la triste
réalité ». « Une réponse fausse et
dramatique », se désole la Conférence épiscopale italienne. Seule
la Ligue du Nord se félicite de la
décision autrichienne.
L’Italie, qui a peut-être suscité
l’inquiétude de ses voisins en pronostiquant l’arrivée en 2016 de
« 300 000 migrants », redoute de
voir son territoire se transformer
en une sorte de piège pour migrants, alors que les arrivées en
provenance des côtes libyennes et
égyptiennes sont en hausse par
rapport à 2015. Une inquiétude
exprimée par Angelino Alfano,
qui en a fait part à son homologue
autrichienne, Johanna MiklLeitner. Rome redoute également
« des retombées économiques négatives » avec la fermeture de cet
axe vital. p
blaise gauquelin et ph. r.
international & europe | 5
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Vers un échange limité des « données passagers »
Les eurodéputés devraient adopter le dispositif Passenger Name Record pour une quinzaine de pays de l’UE
strasbourg - envoyée spéciale
C’
est la fin d’un psychodrame qui aura
duré des années : à
moins d’un très improbable accident de dernière minute, le Parlement de Strasbourg
devait donner son feu vert définitif, jeudi 14 avril, au projet de directive sur le Passenger Name Record (PNR), encadrant la coordination des fichiers européens de
données des passagers aériens.
Le gouvernement français en
avait fait un cheval de bataille
après les attentats contre Charlie
Hebdo et l’Hyper Cacher. La pression exercée sur les élus – notamment les sociaux-démocrates, très
réticents à voter un texte de leur
point de vue insuffisant – n’a cessé
de s’intensifier après les attentats
du 13 novembre 2015, à Paris et à
Saint-Denis, et elle a été décisive
après les attaques de Bruxelles, le
22 mars. Manuel Valls a rencontré
à plusieurs reprises la délégation
socialiste française à Strasbourg,
au cours des derniers mois, pour
évoquer le sujet. Le premier ministre a récidivé lors de sa visite au
Parlement européen, mardi.
Les derniers blocages ont été levés avec le vote, quasi concomitant, d’un « paquet » législatif sur
la protection des données personnelles. Les élus écologistes, libéraux, sociaux-démocrates et d’extrême gauche ont obtenu de lier
l’adoption des deux textes, le « paquet » protection des données
étant entre autres censé sécuriser
l’usage par les Etats des informa-
tions sur leurs passagers stockées
par les compagnies aériennes.
Quel est l’objectif de la directive
PNR ? Il ne s’agira en rien d’établir
un fichier unique réunissant les
informations personnelles (identité, coordonnées bancaires, choix
alimentaires dans l’avion, lieu de
séjour, relations dans le pays de
destination, etc.) détenues par les
compagnies et concernant les passagers aériens qui empruntent un
vol partant ou arrivant dans un
pays de l’Union européenne (UE).
Mais il s’agit bien de définir les règles pour que les différents
PNR européens – une quinzaine de
pays sont en train de s’en doter –
dialoguent au mieux entre eux.
Petite victoire
Ce « dialogue » ou ces échanges
d’informations n’auront, en
outre, pas de caractère contraignant. Sophie in’t Veld, une eurodéputée libérale néerlandaise très
attentive à la protection des données privées, a bien déposé un
amendement pour exiger que les
transferts de données entre PNR
nationaux soient rendus obligatoires. « Cela n’a aucune chance de
passer jeudi », dit une source diplomatique. « Si c’était le cas, l’ensemble du projet tomberait, et il
faudrait recommencer toutes les
négociations avec les Etats membres [qui refusent ce caractère
obligatoire] », précise une autre.
Les sociaux-démocrates et les libéraux ont toutefois décroché
une petite victoire : depuis des années ils exigeaient que le projet de
PNR soit couplé à une protection
Angela Merkel, coincée
entre un humoriste et Erdogan
berlin - correspondant
U
n humoriste allemand ayant insulté le président turc,
Recep Tayyip Erdogan, place Angela Merkel dans une
situation très délicate. Dans les jours qui viennent, la
chancelière allemande va devoir trancher : soit elle s’en prend à
la liberté d’opinion et se met une bonne partie des Allemands à
dos, soit elle prend le risque d’ouvrir une crise avec la Turquie,
son partenaire privilégié dans la lutte contre l’afflux de réfugiés
en Europe. Dans les deux cas, elle risque d’être perdante.
La genèse de la polémique remonte au 17 mars. Ce jour-là, la
chaîne publique régionale allemande NDR diffuse un clip de
deux minutes se moquant de M. Erdogan, « le boss du Bosphore », et critiquant sa dérive autoritaire. Le président turc apprécie peu, et va jusqu’à convoquer l’ambassadeur d’Allemagne à
Ankara. A Berlin, le gouvernement défend – plutôt mollement –
la liberté d’opinion. Angela Merkel, en vacances, ne réagit pas.
L’affaire aurait pu en rester là, mais le 31 mars, deuxième épisode : l’auteur du clip, l’humoriste Jan Böhmermann, va jusqu’à
insulter M. Erdogan lors d’une autre
émission, qualifiant, entre autres, le
président de « pédophile » et d’« encuPOUR ANKARA,
leur de chèvre ». Autant les médias al« 78 MILLIONS
lemands et les responsables politiques ont défendu sa première vidéo,
DE TURCS »
autant la seconde les met mal à l’aise.
La chaîne la retire d’ailleurs très rapiSONT OFFENSÉS
dement de son site.
Sans doute pour désamorcer l’affaire, Mme Merkel prend soin, le 4 avril, de téléphoner au
premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, et de condamner
l’émission, qu’elle juge « sciemment blessante ». Car en Allemagne, insulter le représentant d’un Etat étranger constitue un délit passible de trois ans de prison. Mais l’Etat concerné doit
d’abord réclamer la poursuite pénale des insultes, et le gouvernement allemand doit l’autoriser, puis laisser le parquet trancher. Le chah d’Iran et le dictateur chilien Augusto Pinochet y
ont eu recours dans les années 1960 et 1970, et à son tour,
M. Erdogan entend l’utiliser.
Pour Ankara, ce sont « 78 millions de Turcs » qui sont offensés.
Mardi, la chancelière a confirmé qu’une décision serait prise
« dans les prochains jours ». « Nous avons les valeurs fondamentales de notre loi fondamentale, dont l’article 5 sur la liberté d’opinion, académique et artistique », a-t-elle indiqué, affirmant que
tout cela « n’avait rien à voir » avec la crise des réfugiés.
Mme Merkel avait été à l’initiative de l’accord sur le renvoi vers la
Turquie de réfugiés négocié en mars. Mardi 12 avril, le Parti
social-démocrate (SPD) a appelé le gouvernement, auquel il
participe, à rejeter la demande turque. Quant aux Verts, ils demandent l’abrogation de cet article du code pénal. L’affaire a
pris une dimension européenne : mardi, le député européen
Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge, a appelé
Mme Merkel à « défendre la liberté de la presse ». p
frédéric lemaître
enfin sérieuse sur la protection
des données privées. Ce dossier
était encalminé à Bruxelles, bloqué par le Conseil, et soumis à un
intense lobbying des géants du
web, comme Facebook ou Google.
Deux textes devaient donc être
adoptés, jeudi, parallèlement au
PNR. D’abord, un règlement définissant clairement les droits des
citoyens à l’égard de leurs données. Les entreprises ne pourront,
ainsi, pas faire n’importe quoi.
Elles devront avoir obtenu un
consentement clair et affirmatif
préalablement au traitement des
données qu’elles collectent. Les citoyens pourront jouir d’un véritable droit à l’oubli numérique et de
lourdes amendes pourront être
prononcées contre les sociétés qui
enfreindraient les règles.
L’autre texte est un projet de directive concernant la coopération
policière en matière d’informations numériques. Il devrait permettre une harmonisation, au niveau de l’UE, des règles de coopé-
« Le PNR,
cela équivaut
à chercher une
aiguille, même
pas dans une
botte de foin, mais
dans un champ »
SYLVIE GUILLAUME
vice-présidente du Parlement
européen
ration entre les forces de police. Et
préciser les garde-fous afin d’éviter un usage abusif par celles-ci
des données privées des citoyens.
Les sociaux-démocrates et les libéraux continuent de mal digérer
le procès en « obstruction » que
leur ont intenté différentes capitales européennes, Paris en tête, et
aussi le Parti populaire européen
(PPE, conservateur), très favorable,
lui, au projet de PNR. Les élus de
gauche et du centre assurent qu’ils
ne voulaient qu’améliorer la directive et la rendre vraiment efficace.
« Ce qui m’énerve le plus, c’est que
ceux qui avaient tant insisté pour le
PNR ont fait semblant de découvrir
que le Parlement européen demandait depuis longtemps que son vote
soit couplé au “paquet” données »,
s’agace Pervenche Berès, chef de la
délégation socialiste à Strasbourg.
« J’ai dit à Valls que nous n’étions
pas des droits-de-l’hommistes
“hors sol” », a lâché l’élue, à l’issue
d’une rencontre avec le premier
ministre français.
Sylvie Guillaume, vice-présidente du Parlement européen,
précise que sa délégation avait demandé un règlement plutôt
qu’une directive sur le PNR, ce qui
aurait permis une plus grande
uniformité entre les PNR nationaux – le règlement ne laisse pas
de marge d’appréciation aux Etats
dans l’application du texte européen. Le PNR devrait fournir une
énorme masse d’informations
supplémentaires aux services de
police et de renseignement. La
grande question reste celle de la
coopération entre les services, au
plan national comme européen,
et leur capacité à rendre toutes ces
données intelligibles. « Le PNR,
cela équivaut à chercher une
aiguille, même pas dans une botte
de foin, mais dans un champ »,
insiste Mme Guillaume.
La question du manque de dialogue et de coopération entre les
services européens – certains ne
cachant pas leurs réticences à partager leurs renseignements – a
d’ailleurs été abordée, mardi, lors
des débats au sein du PPE : selon
nos informations, les élus réfléchissent à la création d’une commission spéciale chargée d’enquêter sur les failles de sécurité
européennes dans la lutte contre
le terrorisme. Les ministres de
l’intérieur discuteront de cette
question récurrente le 21 avril, à
Luxembourg. p
cécile ducourtieux
6 | planète
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Jeu de dupes de la France sur la baisse du nucléaire
Ségolène Royal encourage les énergies renouvelables mais remet à 2019 les arbitrages sur l’atome
L
aisser filer le temps.
Ajourner la décision, sans
renoncer formellement.
C’est la stratégie adoptée
par le gouvernement sur le dossier brûlant de la baisse du nucléaire, qui devait être un marqueur fort de sa politique énergétique. La loi de transition énergétique pour la croissance verte,
promulguée en août 2015, prévoit,
dans son article 1er, de « réduire la
part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % [contre
77 % en 2014] à l’horizon 2025 ».
Un engagement solennel pris par
François Hollande avant son élection et réitéré depuis avec constance. Mais, au pied du mur, le
gouvernement tergiverse et laisse
à ses successeurs le soin de trancher dans le vif, suscitant l’incompréhension et la défiance des associations environnementales,
qui l’accusent de renoncer à une
vraie transition énergétique.
Avec sa loi de croissance verte,
la France s’est pourtant fixé un
cap ambitieux : quatre fois moins
d’émissions de gaz à effet de serre
en 2050 par rapport à 1990, deux
fois moins d’énergie consommée
au milieu du siècle, moins 30 %
de fossiles en 2030 et 32 % de renouvelables à la même échéance.
Le tout assorti, donc, d’une réduction d’un tiers du poids de
l’atome, en 2025, dans le bouquet
électrique. Ces objectifs complémentaires doivent être mis en
musique par une programmation pluriannuelle de l’énergie
(PPE), dont la loi précise que,
« fixée par décret, elle établit les
priorités d’action des pouvoirs publics ». La première PPE devrait
couvrir deux périodes, 2016-2018
et 2019-2023.
Or, huit mois après l’adoption
de ce texte, dont le chef de l’Etat
avait fait l’un des « grands chantiers du quinquennat », force est de
s’interroger sur les « priorités d’ac-
tion » de l’exécutif. La PPE était attendue fin 2015. Repoussée de
mois en mois, elle devait être présentée, début mars, à un comité
de suivi, lequel a été ajourné.
Après beaucoup d’hésitations,
Mme Royal vient finalement d’annoncer que le décret créant la PPE
« sera mis en consultation formelle
avant l’été ». Dans un premier
temps, elle a demandé au Conseil
supérieur de l’énergie d’examiner, vendredi 15 avril, un « arrêté
relatif à la programmation des capacités de production d’énergie
renouvelable ». Un texte qui fait
l’impasse sur le nucléaire.
« Surcapacité de production »
« J’ai choisi de procéder en deux
temps, en avançant d’abord sur les
renouvelables, explique au Monde
la ministre. C’est une façon de sécuriser leur développement, en le
rendant indépendant du volet nucléaire, plus compliqué à traiter et
conflictuel. Les filières renouvelables ont besoin de visibilité. Si leur
sort était lié à celui du nucléaire, les
professionnels pourraient craindre que tout soit remis en cause en
cas d’alternance politique. »
En procédant de la sorte, elle va
pouvoir « lancer les appels d’offres pour les différentes filières,
fixer les tarifs de rachat de l’électricité et accélérer la transition
énergétique ». L’éolien terrestre
doit monter fortement en puissance, en passant d’une capacité
installée de 9,3 gigawatts (GW),
en 2014, à 22 ou 23 GW, en 2023, de
même que le solaire photovoltaïque, qui doit grimper de 5,4 GW à
18 ou 22 GW.
Ce mécanisme à double détente
pose toutefois deux problèmes.
D’abord, il s’affranchit pour l’instant de la PPE, c’est-à-dire du fil
rouge de la loi. L’arrêté ministériel sur les renouvelables, sur lequel le Conseil supérieur de
l’énergie doit rendre un avis d’ici
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
SARL IMMO JORRE
4 Route de Laval
53170 MESLAY-DU-MAINE
RCS: 501 700 454
depuis le 1er janvier 2008 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIERE cessera de porter effet trois jours francs après
publication du présent avis.Les créances
éventuelles se rapportant à ces opérations
devront être produites dans les trois mois
de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SARL IMMO JORRE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
SARL HENRI JAMES
47 rue Pierre Charon
75008 PARIS
RCS: 508 853 397
depuis le 1er avril 2011 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIERE cessera de porter effet trois jours francs après
publication du présent avis. Les créances
éventuelles se rapportant à ces opérations
devront être produites dans les trois mois
de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SARL HENRI JAMES.
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
SARL MAURO ET SYLVIE
IMMOBILIER
16 Avenue de France
06400 CANNES
RCS: 479 801 771
depuis le 1er janvier 2005 pour ses activités
de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES
ET FONDS DE COMMERCE cessera
de porter effet trois jours francs après
publication du présent avis. Les créances
éventuelles se rapportant à ces opérations
devront être produites dans les trois mois
de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour A
– 110 esplanade du Général de Gaulle –
92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé
qu’il s’agit de créances éventuelles et que le
présent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause
la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL
MAURO ET SYLVIE IMMOBILIER.
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que la garantie financière dont
bénéficiait:
APATRIMMO CONSEIL SARL
34 Rue Claire Pauilhac
31000 TOULOUSE
SIREN : 479 123 762
depuis le 19 mai 2005 pour ses activités de
: TRANSACTIONS SUR IMMEUBLE ET
FONDS DE COMMERCE cessera de porter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Etablissement
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause
la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL
APATRIMMO CONSEIL.
La centrale nucléaire de Cattenom (Moselle). FRANCIS CORMON/HEMIS. FR
à la fin avril, pour une publication
au Journal officiel en mai, va simplement modifier les programmations pluriannuelles des investissements (PPI) de production d’électricité et de chaleur de
2009. Un dispositif qui, comme
son nom l’indique, ne porte que
sur les investissements et non
pas sur l’ensemble de la politique
énergétique.
Ensuite, passer sous silence la
question du nucléaire a pour conséquence, aux yeux des ONG, de
fragiliser les filières alternatives,
au contraire de ce qu’avance la ministre. « On ne peut pas sécuriser
les renouvelables sans garantir,
dans le même temps, qu’on va leur
faire de la place sur le marché et
sur le réseau, analyse Cyrille Cormier, chargé des questions énergétiques à Greenpeace. La France
et l’Europe sont en surcapacité de
production électrique, si bien que
ces filières ne pourront pas progresser sans une baisse effective du
nucléaire, donc sans fermeture de
réacteurs. » Les atermoiements du
gouvernement s’expliquent, selon lui, par « une difficulté à choisir
entre la transition énergétique et
l’exportation du nucléaire français, qui nécessite de conserver une
vitrine nationale, un parc, des
équipes et un savoir-faire ».
« Commencer par les renouvelables ne doit pas servir de prétexte
pour enterrer le volet nucléaire. Sur
« On ne peut pas
sécuriser les
renouvelables
sans garantir
qu’on va leur
faire de la place
sur le marché »
CYRILLE CORMIER
Greenpeace
ce point, les ONG ont raison », concède Mme Royal. Dans le cadre de la
PPE, « il y aura des réacteurs prolongés et des réacteurs fermés,
sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ». Une autre
option permettrait de réduire le
poids de l’atome sans toucher au
parc installé, en « diminuant la
production des centrales ». Mais,
précise la ministre, aucun arbitrage ne sera rendu avant 2019 :
« C’est dans la seconde période de
la PPE, entre 2019 et 2023, qu’il va
falloir prendre des décisions, avec
l’ASN, en fonction du développement constaté des énergies renouvelables et de l’évolution de la demande en électricité. »
De fait, la série des quatrièmes
visites décennales – les inspections approfondies qui décideront de l’aptitude des chaudières
nucléaires à rester en activité au-
delà de quarante ans – ne débutera qu’en 2019, avec l’unité de Tricastin 1 (Drôme et Vaucluse).
Pour autant, la Cour des comptes estime, dans son dernier rapport annuel, que baisser la part de
l’atome à 50 % du bouquet électrique revient à arrêter « de 17 à 20
réacteurs » sur les 58 que compte
l’Hexagone. Ce qui, en bonne programmation, exigerait de planifier et d’étaler les fermetures. Au
lieu de quoi l’exécutif se défausse,
de facto, sur les gouvernements
futurs. Le seul acte posé au cours
du quinquennat sera un décret,
« avant l’été », promet Mme Royal,
abrogeant l’autorisation de fonctionnement de Fessenheim,
même si la centrale alsacienne ne
s’arrêtera que fin 2018, lors de la
mise en service prévue de l’EPR de
Flamanville (Manche).
« On nage en pleine hypocrisie »
Cette dérobade n’étonne guère
Hervé Mariton, député (Les Républicains) de la Drôme et coauteur
d’un rapport sur le coût de la fermeture anticipée des réacteurs
nucléaires. « Depuis le début, on
nage en pleine hypocrisie avec une
loi de transition énergétique qui
est perçue par beaucoup – parlementaires, membres du gouvernement, industriels – comme n’ayant
pas vocation à être appliquée,
commente-t-il. La preuve en est
qu’EDF ou Areva n’intègrent pas
d’évolution majeure du parc nucléaire dans leurs calculs financiers. On est dans un jeu de rôle, de
feinte systématique du gouvernement. Sur le nucléaire, la transition
énergétique réside dans la PPE, le
reste n’est que du baratin. » Tout
aussi sévère, l’ex-ministre de l’environnement Corinne Lepage,
présidente du mouvement Le
Rassemblement citoyen-Cap 21,
juge que « sur le nucléaire, le bilan
de Mme Royal est égal à zéro ».
A quelques jours de la cérémonie de signature, le 22 avril à New
York, de l’accord de Paris sur le climat, pour lequel la France veut
s’afficher en moteur de la transition énergétique, les associations
environnementales s’étranglent.
« Signer l’accord de Paris sans avoir
rendu publique une PPE qui transcrive les objectifs de la loi serait
comme faire un chèque en bois »,
estime Anne Bringault, du Réseau
action climat et du Réseau pour la
transition énergétique.
France nature environnement
exprime, elle aussi, son inquiétude : « Si la France veut tenir à l’international son rang acquis avec
l’accord de Paris, cela passe nécessairement par la mise en œuvre de
la loi de transition énergétique et
l’exemplarité de l’Etat », prévient
son président, Denis L’Hostis.
Ajoutant : « Aujourd’hui, nous
pouvons en douter. » p
pierre le hir
Denis Baupin : « Une histoire est en train de s’achever »
vice-président (Europe Ecologie-Les
Verts) de l’Assemblée nationale, Denis Baupin décrypte les hésitations du gouvernement sur le nucléaire.
La ministre de l’environnement dissocie nucléaire et énergies renouvelables
dans la programmation énergétique de
la France. Est-ce légitime ?
J’y vois un côté positif : celui de ne pas
perdre de temps pour donner un nouvel
élan aux renouvelables. L’arrêté soumis au
Conseil supérieur de l’énergie représente
pour ces filières, par les objectifs de production affichés, un pas en avant comme
jamais elles n’en ont connu.
Pour autant, cela ne peut pas remplacer ce
que prévoit la loi de transition énergétique,
c’est-à-dire une véritable programmation
pluriannuelle de l’énergie (PPE). Celle-ci
constitue une démarche beaucoup plus
globale, intégrant les différents scénarios
énergétiques, l’évolution de la demande,
l’efficacité énergétique et donc la réduction
de la consommation, l’articulation des ressources, et bien sûr, pour ce qui est de l’électricité, la part du nucléaire. La PPE va audelà d’une liste d’investissements. Elle doit
parler de la mobilité, de l’habitat, de l’industrie, de l’agriculture… D’accord donc
pour lancer sans attendre les énergies renouvelables. Mais il faut un engagement
rapide sur la PPE qui, selon la loi, devait être
mise en consultation fin 2015. Tous les acteurs du secteur énergétique, y compris
EDF, ont besoin d’y voir clair.
Pourquoi le gouvernement a-t-il tant de
mal à trancher sur le nucléaire ?
La question du nucléaire est la plus sensible, au moment où EDF et Areva sont dans
une situation financière très difficile. Tout le
monde sait qu’il va falloir redimensionner
les capacités nucléaires, mais les politiques
n’osent pas affronter le fait qu’avec l’arrivée
des réacteurs aux quarante ans de fonctionnement, avec aussi le mur d’investissements qui se dresse devant EDF, une histoire
est en train de s’achever. C’est la fin du nucléaire flamboyant, et potentiellement sa
fin tout court, car les réacteurs de nouvelle
génération sont en rade et ne sont pas compétitifs face aux renouvelables. Les politiques ont du mal à assumer cette mutation.
Il y a une réticence à endosser la responsabilité de dire que passer de 75 % à 50 % de
nucléaire signifie que des réacteurs vont
fermer, qu’il faut y préparer les collectivités
locales et cesser de mener des travaux de
rajeunissement sur des centrales que l’on
va stopper. Tout politique a peur d’apparaître comme celui qui va arrêter des installations industrielles et menacer des emplois.
Les emplois de la filière nucléaire ne
sont-ils pas un vrai enjeu ?
Bien sûr. Mais reporter les choix peut
conduire à des ruptures plus douloureuses
encore. Tant qu’on aura des surcapacités
de production, les prix baisseront sur les
marchés. Il faut anticiper, accepter que le
nouveau monde remplace le vieux
monde, que les vieilles énergies sont remplacées par des énergies nouvelles,
d’autant qu’elles sont bien plus créatrices
d’emplois. Sans oublier que l’après-nucléaire, c’est aussi de l’emploi pendant des
décennies sur les sites.
Chaque fois qu’il y a progrès, il y a rupture,
qu’il faut naturellement accompagner en
sécurisant les parcours professionnels. Il ne
s’agit pas d’y aller à la hache, mais on ne
peut pas avancer à rebours de l’histoire. p
propos recueillis par p. l. h.
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FRANCE
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Hollande, face caméra et dos au mur
Le chef de l’Etat est l’invité, jeudi 14 avril, de « Dialogue citoyen », la nouvelle émission politique de France 2
I
ls sont de moins en moins
nombreux à y croire. Ministres, anciens comme actuels,
députés ou membres du PS
sont inquiets concernant l’avenir
de François Hollande et, au-delà,
de la gauche dans son ensemble.
Car beaucoup doutent de la capacité du chef de l’Etat à renverser la
vapeur en vue de 2017, voire à se
présenter à la présidentielle.
Les socialistes attendent un signal pendant l’émission exceptionnelle « Dialogue citoyen », à
laquelle François Hollande doit
participer jeudi soir, sur France 2,
afin de remobiliser son camp. « ll
faut que la gauche se retrouve
autour du président de la République (…). Il faut que nous défendions son bilan, mais il lui appartient, surtout, de dire la suite, de
montrer le chemin », déclare le
premier ministre, Manuel Valls,
dans Libération, mercredi 13 avril.
« On doit montrer la cohérence de
notre action et la façon dont les politiques publiques qu’on a menées
ont changé la vie des gens », ajoute
Hélène Geoffroy, la secrétaire
d’Etat à la ville, qui accueillait,
mercredi, tout le gouvernement
pour un comité interministériel à
Vaulx-en-Velin (Rhône), commune dont elle fut maire.
Mais le format de l’interview télévisée « face aux Français » semble, pour beaucoup, éculé. Et le
chef de l’Etat, quoi qu’il puisse
dire, comme déconnecté du pays.
« François Hollande est d’une génération qui a appris par cœur la
différence entre les sovkhozes et les
kolkhozes, il reste sur de vieux
schémas. Pour lui, le monde des réseaux sociaux, d’Internet et de la
mondialisation, c’est de l’hébreu »,
lâche, la dent dure, le député socialiste Malek Boutih.
« Il ne sent plus rien »
« La réalité, c’est que, quoi qu’il arrive, c’est déjà fini pour Hollande, il
n’a plus aucun levier, plus aucun
ressort », estime Aurélie Filippetti,
l’ex-ministre de la culture, pour
qui la page du quinquennat est
déjà tournée, du fait des renoncements présidentiels. « C’est très
mal embarqué, reconnaît un autre
ancien ministre. Hollande a dilapidé tout son crédit acquis après les
attentats. La dernière séquence, révision constitutionnelle et “loi travail”, est une catastrophe qui l’a
déjà achevé. Hollande sentait le
peuple, aujourd’hui il est comme
Sarkozy ou Chirac avant lui à l’Elysée, il ne sent plus rien. »
Après la déchéance de nationalité, le projet de loi sur le code du
travail continue de semer le trouble dans la majorité. « Je ne crois
pas qu’être moderne, c’est accom-
François Hollande, à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris, mercredi 6 avril. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »
« On est prêts à
l’aider en 2017, on
a envie d’y croire,
mais il faut qu’il
fasse un geste »
KADER ARIF
député PS de la Haute-Garonne
pagner la droitisation de la société », dit un proche de M. Hollande, qui avoue « ne pas comprendre » la stratégie de ce dernier. Au sein du gouvernement,
plusieurs ministres exhortent le
président à frapper les esprits. « Il
y en a marre des politiques d’austérité, Hollande doit trouver un sujet
qui rassemble tout le monde, il doit
redonner du sens, le pays a besoin
de rêve », s’emporte l’un, comme
s’il voulait se persuader lui-même
que le chef de l’Etat pouvait encore renverser la situation.
En privé, certains de ses soutiens les plus fidèles lui con-
seillent d’envoyer un message à sa
majorité déboussolée. « On est
prêt à l’aider en 2017, on a envie d’y
croire, mais il faut qu’il fasse un
geste », confie Kader Arif, député
de la Haute-Garonne. Comprendre : un coup de barre à gauche.
D’autres suggèrent au chef de
l’Etat de s’engager sur quelques
mesures fortes pour l’avenir,
comme le secrétaire d’Etat au
commerce extérieur, Matthias
Fekl, qui prône un big bang institutionnel, une redynamisation
du couple franco-allemand en Europe et des mesures pour lutter
contre les discriminations.
Hollande joue gros
M. Hollande a passé ces derniers
jours à préparer son intervention.
Plusieurs réunions se sont tenues
à l’Elysée avec son cabinet, ainsi
qu’avec plusieurs poids lourds du
gouvernement et du PS. Différents ministres ont été chargés de
lui préparer des notes sur la sécurité, les questions sociales et économiques ou la situation de la
jeunesse. « Hollande consulte
beaucoup, écoute plein de monde,
mais ne dit rien. En réalité, comme
d’habitude, il prépare tout tout
seul », dit en souriant l’un des participants à ces réunions.
L’enjeu est grand pour le chef de
l’Etat. Dans la situation actuelle,
qui ressemble autant à un champ
de ruines politiques qu’à un puzzle
éclaté, M. Hollande sait qu’il joue
gros. Son engagement à faire baisser le chômage est toujours un
échec, la menace du FN ne recule
pas, le risque terroriste demeure et
le mouvement Nuit debout, certes
limité mais de plus en plus installé
et fortement médiatisé, montre
chaque jour la défiance du pays, où
la colère monte, y compris et surtout parmi les électeurs qui l’ont
élu en 2012. Au-delà des très mauvais sondages (huit Français sur
dix ne souhaitent pas que François
Hollande soit candidat en 2017, selon un sondage IFOP publié dans
Le JDD du 10 avril), c’est sa relation
aux Français qu’il semble devoir
reconstruire.
Voile à l’université : Mandon contre Valls
Manuel Valls semble regretter de ne pouvoir légiférer sur l’interdiction du voile à l’université. « Il faudrait le faire, mais il y a des règles
constitutionnelles qui rendent cette interdiction difficile, déclare-t-il
dans un entretien à Libération, mercredi 13 avril. Il faut donc être
intraitable sur l’application des règles de la laïcité dans l’enseignement supérieur. » Ce à quoi le secrétaire d’Etat à l’enseignement
supérieur, Thierry Mandon, a réagi sur RTL, mercredi, en estimant
qu’« il n’y a pas besoin de ce texte ». « Si j’ai l’occasion de lui en parler, je lui dirai qu’il n’y a pas besoin de loi, a-t-il indiqué. Ce que je
vois sur le terrain, ce que me disent les présidents d’université, c’est
qu’il n’y a pas de problème. » En décembre 2015, l’Observatoire de
la laïcité, placé auprès de Matignon, avait jugé qu’il n’était « ni utile
ni opportun » de légiférer sur le foulard islamique à l’université.
des noms des invités ainsi que du public,
pour « des raisons de sécurité », selon
M. Field. Celui-ci affirme que la place laissée aux témoins a été au cœur de ses
échanges avec l’Elysée et revendique
avoir défendu un équilibre entre eux et
les journalistes. « En accord avec nous, ils
ont réduit le temps de dialogue avec les
Français pour que le président passe plus
de temps à aborder l’actualité avec les
journalistes », a assuré au Canard enchaîné le conseiller communication de
l’Elysée, Gaspard Gantzer.
Cette polémique survient alors que les
méthodes managériales de M. Field sont
très contestées dans la rédaction. Les trois
sociétés de journalistes (France 2, France 3
et Francetv Info) ont appelé à une assemblée générale, jeudi, qui pourrait discuter
du principe d’une motion de défiance
contre le directeur. Et fait redouter à certains un parasitage de l’émission. p
mais plusieurs socialistes craignent qu’il ne s’autonomise définitivement et n’échappe à François Hollande. « Il faut qu’il montre
à la télé que c’est lui le patron et que,
quand il le décidera, Macron rentrera dans le rang », juge un pilier
de la majorité.
Outre le cas du ministre de l’économie, c’est surtout contre l’impression de désorganisation de ses
troupes que doit lutter le chef de
l’Etat. « Hollande a intérêt à être
très bon et à casser la baraque. Tout
n’est pas encore perdu, mais le
temps presse pour stopper le bordel
général », prévient un député PS. A
l’Elysée, on convient que l’opération de reconquête doit être menée « d’ici à l’été », en tout cas avant
la rentrée de septembre et le lancement officiel de la campagne de la
primaire de la droite.
En plus de l’émission diffusée
sur France 2, le chef de l’Etat va
donc multiplier les déplacements
et les prises de parole dans les prochaines semaines : une intervention sur une radio est déjà dans les
tuyaux, comme une conférence
de presse, ainsi que de nouvelles
visites de terrain dans « la France
qui gagne ». « Il ne faut pas croire
qu’une émission télé va tout changer, il faut semer, et puis ensuite récolter », estime Jean-Christophe
Cambadélis, le premier secrétaire
du PS. En espérant que le temps de
la moisson arrive avant 2017. p
alexis delcambre
et alexandre piquard
bastien bonnefous
et nicolas chapuis
D’autant qu’au sein même du
gouvernement, Emmanuel Macron continue sa chanson de geste.
Le ministre de l’économie ne sera
pas devant sa télévision jeudi soir :
au même moment, il est censé être
à Londres pour dîner avec des banquiers et lever des fonds pour son
nouveau mouvement, En marche !. L’Elysée tente, tant bien que
mal, de se persuader que le jeune
patron de Bercy est sous contrôle,
Quatre Français et un président dans une émission préparée dans la confusion
un président expliquant son action
sous la forme d’un dialogue direct avec
des Français, dans l’espoir de rebondir
avant la fin de son mandat : tel est le tableau, pas tout à fait inédit, que l’émission « Dialogue citoyen » devrait offrir,
jeudi 14 avril, sur France 2. Quatre « témoins » ont été sélectionnés pour échanger avec le chef de l’Etat, dans un dispositif qui prévoit aussi la présence de trois
journalistes : David Pujadas, Karim Rissouli et Léa Salamé.
« La volonté initiale de l’Elysée, c’était que
le président soit face à des Français », explique un journaliste de la chaîne. « C’est
un classique », sourit un autre. Depuis
l’émission fondatrice « Ça nous intéresse,
monsieur le Président », conçue par Jacques Pilhan pour François Mitterrand
en 1985, tous les présidents se sont prêtés
à l’exercice. Cette intention a croisé celle
de France Télévisions d’introduire davantage de « citoyens » dans ses émissions politiques – le directeur exécutif chargé de
l’information, Michel Field, admet qu’il
s’agit d’une de ses « marottes ».
Les quatre témoins incarnent les thèmes retenus pour l’émission : le travail,
le terrorisme et la crise démocratique.
Anne-Laure Constanza est une chef d’entreprise qui a fondé Envie de fraises, une
PME de vente de vêtements pour femmes enceintes. Electrice de Nicolas
Sarkozy en 2012, elle estime que diriger
une société donne « l’impression de courir un marathon avec dix kilos aux pieds ».
Autre invitée, Véronique Roy est la mère
d’un djihadiste converti, parti en Syrie et
mort en janvier. Marwen Belkaid est un
blogueur de gauche revendiqué et un
soutien du mouvement Nuit debout. Un
électeur du FN complétera le panel.
Accusations de pressions de l’Elysée
Ce casting a fait l’objet d’une polémique
après que deux témoins initialement
pressentis ont été écartés, une semaine
avant l’émission : un éleveur de porcs
breton, Nicolas Le Borgne, et une déléguée syndicale Force ouvrière (FO) du volailler Doux, Nadine Hourmant, habituée des passages à l’antenne.
M. Field a expliqué au Monde que le
passage de six à quatre invités était lié au
constat qu’« avoir moins de citoyens permettait d’avoir un vrai dialogue » et que
le thème de la crise agricole, auquel ces
deux témoins étaient rattachés, n’avait
pas été retenu.
Mais Mme Hourmant a affaibli cette version, en expliquant qu’elle devait en fait
parler de la loi travail – ce que Le Monde a
pu vérifier. Des sources internes à France
Télévisions reprochent à M. Field d’avoir
cédé à des pressions de l’Elysée, ce qu’il
dément. Sur Europe 1, une source élyséenne a affirmé : « A aucun moment,
nous ne sommes intervenus dans la composition du panel pour interroger François Hollande. » Reste que l’Elysée a pu
prendre connaissance des « grands équilibres » de l’émission, de son « squelette »,
france | 9
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Hollande-Sarkozy, la malédiction de l’Elysée
A un an de la présidentielle, le chef de l’Etat et son prédécesseur sont massivement rejetés par les Français
H
ANALYSE
ollande-Sarkozy, même combat ? Mêmes
tracas, en tout cas,
comme en attestent à
la fois leurs difficultés sondagières et leurs déboires respectifs du
moment. Si elle n’est pas encore
perdue, pour l’un comme pour
l’autre, la perspective de l’emporter, voire de bien figurer – et
même désormais de simplement
concourir – lors de la bataille présidentielle de 2017 se révèle chaque jour un peu plus compromise. A des degrés divers, certes.
Mais dans un étonnant parallélisme des formes.
Singulière communauté de destin. On savait les Français rétifs à
ce retour vers le futur présidentiel
de 2012. Cela se vérifie inexorablement, semaine après semaine,
dans les courbes d’opinion respectives de l’ex et de l’actuel président. Comme si ce qui se cristallisait actuellement, à travers les vicissitudes éprouvées par l’un
comme par l’autre, était bien le rejet massif de ce scénario dont personne, à l’exception des principaux intéressés, ne veut.
Les déboires de M. Hollande,
certes, s’avèrent ces jours-ci plus
spectaculaires que ceux de son rival. Après les attaques terroristes
du 13 novembre 2015, le chef de
l’Etat semblait réhabilité par l’opinion, y opérant un rétablissement
spectaculaire, mais fugace : trois
mois plus tard, il était déjà retombé au fond du trou, celui qu’il
avait atteint à l’automne 2014,
après le limogeage d’Arnaud Montebourg et le déballage de Valérie
Trierweiler. « Amateurisme, défaut
de présidentialité : toute une série
de critiques éteintes depuis les attentats de janvier 2015 reviennent
en force, diagnostique Jérôme
Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP. On a l’impression que le roi est nu. »
Pis encore : le monarque semble
condamné à la guillotine électorale. Notre sondage Ipsos Steria,
publié dans Le Monde du 30 mars,
était sans appel. A l’en croire, le
candidat Hollande serait non seulement éliminé dès le premier
tour, mais de surcroît humilié
quel que soit l’adversaire de
droite : avec 16 % des suffrages
dans l’hypothèse où il serait face à
M. Sarkozy et 14 % face à Alain
Juppé. Du jamais-vu pour un chef
de l’Etat sortant. Le navire présidentiel est atteint sous la ligne de
flottaison. Il n’est désormais plus
aussi certain que, dans quelques
mois, il arrive à bon port, celui
d’une nouvelle candidature.
« Un sondage n’est jamais incapacitant », relativise le ministre
de l’agriculture, Stéphane Le Foll.
« Tant qu’il n’est pas à 3 %, c’est
bon », ajoute son collègue des finances, Michel Sapin. Mais « sur
le papier, on est mort de chez
mort », admet un conseiller de
M. Hollande.
« On a
l’impression
que le roi est nu »
JÉRÔME FOURQUET
directeur du département
opinion de l’IFOP
cains (LR) constitue une valeur
inexorablement baissière à la
bourse de l’opinion. Déjà largement distancé par M. Juppé dans
les intentions de vote pour la primaire, il est désormais talonné
par Bruno Le Maire, qui menace
de lui ravir la deuxième place.
Enfin, et c’est le plus inquiétant
pour M. Sarkozy : depuis le début
de l’année, il dévisse même chez
les sympathisants de LR, son
cœur de cible.
Comme pour M. Hollande, les
bonnes nouvelles ne constituent
que de fugaces espoirs. Ainsi, le
succès de son livre La France pour
la vie (Plon), paru fin janvier, fait figure de simple parenthèse au milieu d’une séquence catastrophique. Car l’ancien chef de l’Etat est
touché par une grave crise de confiance. Entre ses mauvais sondages et ses ennuis judiciaires, qui
constituent un sérieux risque
d’empêchement, ils sont chaque
jour plus nombreux, à droite, à
douter de ses chances de mener
son camp à la victoire. Comble de
lèse-majesté, plusieurs de ses soutiens historiques – Frédéric Lefebvre, Nadine Morano, Geoffroy Didier – ont même décidé de concourir face à lui à la primaire…
Ces déboires partagés vont-ils
pour autant aboutir à un naufrage
conjoint ? Beaucoup, à droite, en
sont persuadés : le ressort des difficultés de M. Sarkozy réside dans
son mano à mano obsessionnel
avec M. Hollande. Comme si son
successeur, après l’avoir battu
en 2012, l’entraînait quatre ans
plus tard avec lui dans sa chute
vertigineuse.
« Dans l’opinion, Hollande et
Sarkozy sont liés – un peu comme
Copé et Fillon – car les sympathisants de droite et de gauche ont
une perception commune de leur
exercice du pouvoir. Ils pâtissent
tous deux du rejet à l’égard des
sortants car tous deux sont perçus
comme des présidents ayant
échoué », observe Frédéric Dabi,
directeur général adjoint de
l’IFOP. L’abandon de la déchéance de nationalité a cristallisé ce sentiment d’échec com-
mun – M. Sarkozy s’étant placé
dans la roue de M. Hollande sur
ce sujet.
Hollande-Sarkozy, même combat, donc ? Demeure entre eux
une différence de taille : contrairement à son successeur, l’ancien
chef de l’Etat reste majoritaire
auprès des adhérents de LR, dont
une partie lui voue toujours un
véritable culte. Ce qui n’est pas le
cas de M. Hollande, coupé de son
camp après la double fracture de
la déchéance de nationalité et de
la « loi travail ». M. Sarkozy ne
manque pas de le relever : « Il y a
un divorce entre les Français et le
pouvoir. Le plus préoccupant pour
François Hollande, c’est que ce divorce concerne d’abord son électorat. » Maigre consolation. p
alexandre lemarié
et david revault d’allonnes
Grave crise de confiance
C’est un destin parallèle, quoiqu’à plus bas bruit et à plus faible
intensité, qu’est en train de vivre, depuis quatre mois,
M. Sarkozy. Les régionales de décembre 2015 devaient constituer
pour lui un triomphe réparateur : son parti y a obtenu des résultats en demi-teinte. Depuis, le
président du parti Les Républi-
Pour 2017, Cambadélis rêve
d’une Belle Alliance populaire
nicolas chapuis
DESSIN : MARTIN VIDBERG POUR
S
e dépasser soi-même avant que les autres ne le fassent. Le
Parti socialiste lance, mercredi 13 avril, la Belle Alliance populaire, une tentative d’élargissement de sa base qui passe
par une ouverture aux syndicats, aux associations et à la société
civile. « L’objectif est d’élaborer une alternative au libéralisme ambiant et au nationalisme montant », affirme Jean-Christophe
Cambadélis. Le premier secrétaire du PS, qui est à l’origine de
l’appel, avait annoncé ces derniers jours une surprise dans la
liste des personnalités. Au final, pas de révolution.
Côté politique, le collectif se compose d’une cinquantaine de
personnalités issues de la majorité gouvernementale : Claude
Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, Emmanuelle
Cosse, l’ancienne patronne d’EELV et actuelle ministre du logement, la radicale de gauche Sylvia Pinel, qui l’a précédée dans ce
même ministère… Aucun membre de la gauche du PS n’est associé et, à l’inverse, Emmanuel Macron n’a pas été invité. A noter, le
retour de Fadela Amara qui avait été secrétaire d’Etat à la ville
sous Nicolas Sarkozy de 2007 à 2010. Se joignent à cet aréopage
50 représentants des corps intermédiaires, parmi lesquels des
anciens dirigeants de syndicats proches du PS – Alain Olive (UNSA), Jacky
Bontems (CFDT)… –, des acteurs « enAUCUN MEMBRE
gagés dans la société » comme Jean
DE LA GAUCHE DU PS Jouzel du Groupe d’experts sur l’évolution du climat, et des anonymes de
N’EST ASSOCIÉ, ET
« la gauche du quotidien ».
L’appel fondateur décline treize
EMMANUEL MACRON
points consensuels, renvoyant dos à
N’A PAS ÉTÉ INVITÉ
dos le nationalisme xénophobe et le
fondamentalisme religieux, défendant une transition écologique, une modernisation économique du pays et une repolitisation de l’Europe. Deux séminaires
doivent être organisés fin mai et fin septembre. Entre-temps, la
Belle Alliance populaire doit s’exporter en région et l’université
d’été du PS, délocalisée de La Rochelle à Nantes, y sera consacrée.
Une « convention de fondation » doit avoir lieu le 3 décembre à
Paris, juste après la désignation du candidat de la droite à la présidentielle et juste avant une éventuelle primaire de la gauche.
« S’il y a une primaire, on aura fait le rassemblement autour de notre candidat. S’il n’y en a pas, l’Alliance populaire a vocation à propulser le candidat de gauche au premier tour de la présidentielle »,
explique un dirigeant socialiste. L’objectif apparaît clairement :
constituer le plus gros bloc à gauche, pour s’imposer au moment
du choix comme le seul recours viable face à la droite et l’extrême droite. Si son nom n’a jamais été prononcé pendant la préparation du projet, le dispositif est pensé sur mesure pour que
François Hollande puisse s’appuyer dessus le moment venu. p
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10 | france
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Surveillance de Solère :
Guéant dénonce
« une diversion »
L’ex-ministre se défend d’avoir fait écouter
par la DGSE son adversaire aux législatives
L
Le siège de la Direction générale de la sécurité extérieure, à Paris, en juin 2015. MARTIN BUREAU/AFP
Comment la DGSE
a pu espionner des Français
En 2012, les renseignements extérieurs ont écouté un candidat aux législatives
ANALYSE
L
a découverte, en 2012, par
la direction technique de
la Direction générale de la
sécurité
extérieure
(DGSE), du détournement frauduleux des moyens techniques de ce
service de l’Etat, pour surveiller un
cadre du Commissariat à l’énergie
atomique (CEA) puis un élu (LR),
Thierry Solère, n’est pas intervenue par hasard. Le blocage, par la
direction technique, de ces surveillances, révélées par Le Monde,
a, en effet, été décidé à un moment
charnière de l’histoire d’une loi de
1991 sur les interceptions administratives à bout de souffle. Et l’arrêt
brutal de ces interceptions sauva-
ges a mis en lumière des tensions
sein du plus puissant des services
de renseignement français.
Longtemps considérée comme
le parent pauvre de la DGSE, la direction technique est devenue,
en 2012, un poids lourd de cette
maison, sur le terrain du budget,
des effectifs et surtout stratégique. Née du Livre blanc sur la défense de 2008 et d’un chèque de
plus de 500 millions d’euros,
l’agence technique nationale de
renseignement, développée et
opérée par la direction technique
de la DGSE a été, au début, perçue,
par les anciennes générations,
comme une simple évolution
technique. En réalité, il s’agissait
d’une véritable révolution.
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Lorsque la direction technique
découvre, en 2012, que des officiers de la direction du renseignement peuvent procéder à des interceptions d’identifiants français,
sans contrôle et sans justification,
les craintes de voir cet outil mis en
danger apparaissent. A la direction
du renseignement, beaucoup
d’anciens du « service K » qui s’occupaient du contre-espionnage,
reconvertis dans le « contre-terrorisme », estiment même agir dans
le cadre de la loi de 1991. L’article 20 de ce texte a, en effet, exclu
toute compétence à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) sur
la surveillance et le contrôle des
transmissions empruntant la voie
hertzienne pour « les seules fins
des intérêts nationaux ».
Diplomates étrangers
« L’article 20, c’était le hertzien et
l’international, par mots-clés et de
manière aléatoire, certainement
pas pour procéder à des interceptions ciblées et encore moins des
identifiants français », rappelle
Jean-Jacques Hyest, représentant
du Sénat au sein de la CNCIS de
2010 à 2014. Pour surveiller des
communications françaises ciblées et attachées à une menace
identifiée, la loi impose aussi à la
DGSE, comme aux autres services
de renseignement, de passer par
le filtre de la CNCIS.
Néanmoins, cet article 20 est devenu une boîte de Pandore. Dès
lors qu’un moyen de communication émet des ondes, même sur le
sol français, alors il peut faire l’objet d’interception, considèrent une
partie des services. La DGSE a ainsi
pris l’habitude de surveiller des
numéros français ou des adresses
Internet rattachées à la France, de
diplomates étrangers, de personnes suspectées d’espionnage ou de
trahison, de liens avec le crime organisé ou le terrorisme.
Les officiers de la Direction du
renseignement avaient donc la
possibilité d’entrer sur leurs re-
La DGSE a pris
l’habitude
de surveiller
des numéros
ou des adresses
Internet français
cherches des « 06 » ou des adresses françaises. Une pratique qui a
pu être détournée au profit de surveillance n’ayant aucun rapport
avec leur mission. Ayant réuni,
dès 2008, en un seul et même système l’ensemble des données collectés par tous ses capteurs, la direction technique a donné accès,
sous forme de « dictionnaires », à
une immense base de données.
Les soupçons sur cet article 20 ne
sont pas nouveaux. « J’ai toujours
dit que c’était insupportable d’utiliser l’article 20 pour tout et n’importe quoi », insiste M. Hyest. En
octobre 2010, le directeur de cabinet du premier ministre François
Fillon, Jean-Paul Faugère, a rappelé
au ministère de l’intérieur que
« l’article 20 de la loi de 1991 ne peut
être invoqué pour recueillir les données personnelles » comme cela
sera fait, mi-2010, par le service de
renseignement intérieur pour justifier la surveillance des « fadettes » d’un journaliste du Monde.
Dans ce contexte, la direction
technique de la DGSE dialogue
avec la CNCIS, y trouvant un
moyen de sécuriser juridiquement son outil de travail. « Il existait une vraie confiance avec cette
direction », se souvient Jean-Louis
Dewost, président de la CNCIS de
2003 à 2009. Un avis partagé par
Daniel Vaillant, représentant de
l’Assemblée nationale au sein de
la CNCIS, de 2007 à 2012 : « La
Commission s’est appuyée sur la
direction technique pour mettre en
adéquation les pratiques et la loi.
La Direction du renseignement,
était beaucoup plus politique et
considérait que son outil ne devait
pas être mis en danger ».
En mars 2012, la loi de 1991 est
pourtant abrogée et inscrite, à
droit constant, au sein du code de
sécurité intérieure sans consultation de la CNCIS qui y voit une atteinte à sa fonction. « Une
manœuvre arbitraire », assure
M. Vaillant. L’article 20 reste intact et devient l’article 241-3.
« En 2012, pourtant, la loi de 1991
ne pouvait pas rester en l’état », estime M. Hyest. Au terme d’un vif
débat interne à la DGSE et à défaut
de loi plus protectrice des libertés, la direction technique installera, à la fin de l’été 2012, des filtres sur les consultations informatiques interdisant d’y introduire « en première requête », des
identifiants français. p
jacques follorou
es révélations du Monde
daté 13 avril au sujet de la
surveillance exercée par la
Direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE) sur Thierry Solère en 2012 ont entraîné des réactions politiques et un début d’affrontement à droite. Claude
Guéant, qui était à l’époque ministre de l’intérieur mais aussi adversaire de M. Solère lors de la campagne des législatives dans les Hautsde-Seine, s’est défendu, mercredi
13 avril, sur Europe 1.
« C’est tout à fait scandaleux. Jamais je n’ai demandé des écoutes
sur qui que ce soit. J’ai découvert
cette affaire dans le journal
Le Monde », a déclaré M. Guéant
qui a demandé au ministère de la
défense d’enquêter sur ces faits
tout en se posant en victime politique : « Cette affaire est une diversion dans un paysage qui, pour la
majorité, est particulièrement dégradée. A travers moi, c’est Nicolas
Sarkozy qui est attaqué. »
En déplacement en Inde,
M. Sarkozy a défendu M. Guéant :
« Vous imaginez le ministre de l’intérieur faire appel à la DGSE alors
qu’elle dépend du ministère de la
défense ? Et puis Thierry Solère s’exprime six fois par jour à la télé. Si on
avait voulu le tracer, ça aurait été
simple », a estimé le président du
parti Les Républicains, selon
France Info. L’ex-chef de l’Etat feint
donc d’ignorer qu’à cette époque –
mars 2012 –, M. Solère n’était qu’un
simple conseiller général des
Hauts-de-Seine. Inconnu du grand
public, il ne faisait pas l’objet d’une
couverture médiatique. En off,
certains sarkozystes soulignent
que M. Solère était un proche de
Jean Sarkozy, fils de l’ancien président, et qu’ils n’avaient donc
aucun intérêt à le surveiller.
Interrogé lors du « 20 heures » de
France 2, mardi 12 avril, M. Solère a,
lui, indiqué qu’il allait « probablement » porter plainte contre X
avant de se montrer très critique à
l’égard des services de renseignement. « Quand je vois la date à laquelle je suis censé avoir été mis sur
écoute par la DGSE en mars 2012, je
me rappelle que le 19 mars, c’était
l’attentat de Mohamed Merah. (…)
Je ne peux pas imaginer que nos
services pour lesquels j’ai le plus
profond respect (…) puissent être
utilisés de cette manière », a déploré le député des Hauts-deSeine, devenu un personnage-clé
de LR puisqu’il dirige le comité
d’organisation de la primaire et est
un soutien affiché de Bruno Le
Maire, candidat à cette élection.
« Politique des barbouzes »
Ces révélations ajoutent de la tension à droite, alors que les écuries
se forment à l’approche de la primaire des 20 et 27 novembre. La
plupart des rivaux de M. Sarkozy
ont pour le moment préféré garder le silence, à l’image de François
Fillon interrogé en marge d’une
visite d’un espace consacré aux associations œuvrant pour l’entrepreneuriat à Paris. « Pas de réaction à une information que je découvre », a commenté l’ancien premier ministre de M. Sarkozy. Les
ténors de LR ont peur de rendre
explosive la compétition politique
acharnée. Seule Nathalie Kosciusko-Morizet a fait ce commentaire :
« On croyait que la politique des
barbouzes c’était fini, et là on a envie que ce soit vraiment fini », a lâché sur France Info l’ancienne ministre de M. Sarkozy.
Interrogé lors d’un point de
presse à l’issue d’une visite au Parlement européen, M. Valls a promis que « si elle doit être saisie, la
justice fera son travail en toute indépendance ». « Le renseignement
(…) doit être utilisé (…) pour lutter
contre le terrorisme, la criminalité
organisée, l’espionnage économique et sortir de ces objectifs-là, évidemment, est insupportable », a
ajouté le premier ministre. Les attaques d’une partie de la gauche
ont visé plus directement Nicolas
Sarkozy. « L’espionnage de Thierry
Solère révélé par Le Monde : une
preuve de plus du dévoiement des
services de sécurité sous Sarkozy »,
a écrit sur Twitter Sandrine Mazetier, députée PS de Paris. p
matthieu goar
OU T R E- MER
Violences urbaines
à Mayotte
Des violences urbaines ont
éclaté dans la nuit du lundi 11
au mardi 12 avril à Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte. La
préfecture évoque des affrontements entre « bandes rivales » qui ont provoqué des dégâts matériels – 85 véhicules
saccagés – et au moins un
blessé. Un conflit oppose depuis deux semaines les autorités mahoraises et plusieurs
syndicats revendiquant
« l’égalité réelle » entre la métropole et Mayotte. Une intersyndicale a décrété la grève
générale, bloquant les principales routes. – (AFP.)
sident du MoDem, invité de
« Preuves par 3 », de Public Sénat-AFP-Dailymotion.
Fillon promet un taux de
chômage inférieur à 7 %
François Fillon (LR) a présenté
son programme sur les travailleurs indépendants, mardi
12 avril. Le candidat à la primaire de la droite a proposé
de « passer à l’acte II de l’autoentrepreneur », en permettant
aux entreprises de bénéficier
pendant trois ans des prestations d’un autoentrepreneur
ou de supprimer le régime social des indépendants. « Je
pense qu’on peut, avant la fin
du quinquennat, être en dessous de 7 % de chômage. »
POLI T I QU E
DJ I HAD I S ME
Bayrou dénonce
« l’absence de projet
construit » chez Macron
Filière de Champigny :
12 condamnations
« L’absence de fond et de projet
construit est pour moi une interrogation », a déclaré François Bayrou, mardi 12 avril, à
propos d’Emmanuel Macron
et de son mouvement, En
marche ! « Le sentiment qu’il
n’y aurait que l’économie et
que l’économie financière qu’il
faudrait servir (…), cette petite
musique qu’on entend – il suffit
de voir les soutiens –, pour moi,
cela ne correspond pas à ce
que j’attends », a ajouté le pré-
Les 12 prévenus au procès de
la filière djihadiste de Champigny-sur-Marne (Val-deMarne) ont été condamnés,
mardi 12 avril, à Paris, à des
peines allant de trois ans,
dont deux avec sursis, à
dix ans d’emprisonnement.
Par deux vagues successives,
les 10 et 12 août 2013, les membres du groupe s’étaient rendus en Syrie. Certains s’y trouvent encore, et ont été
condamnés par défaut, en
leur absence.
france | 11
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Une loi contre « l’apartheid » des quartiers difficiles
Présentée en conseil des ministres, la loi égalité et citoyenneté s’articule autour de trois grands chapitres
A
pporter une « réponse
globale » à l’ensemble
de la société française,
choisie par Manuel
Valls depuis les attentats de janvier 2015, afin de réaffirmer la République et ses valeurs. Voilà l’objectif affiché du projet de loi égalité et citoyenneté présenté en
conseil des ministres, mercredi
13 avril. Quelques heures plus
tard, un comité interministériel
est prévu à Vaulx-en-Velin
(Rhône). Manuel Valls devait y
faire des annonces.
Porté par le ministre de la ville,
Patrick Kanner, en collaboration
avec Emmanuelle Cosse, ministre
du logement, et Ericka Bareigts,
secrétaire d’Etat à l’égalité réelle,
le texte veut répondre à ce que le
premier ministre avait appelé
« un apartheid territorial, social et
ethnique ». Mais ce troisième rendez-vous interministériel en
quinze mois acte le tournant pris
depuis les attentats de janvier 2015 : la politique de la ville
visant à cibler les quartiers prioritaires n’est plus à l’agenda du gouvernement.
De fait, le projet de loi égalité et
citoyenneté – dont la première
lecture à l’Assemblée nationale
devrait avoir lieu en juin pour une
adoption définitive à l’automne –
et le troisième comité interministériel ad hoc de mercredi ne dérogent pas à la volonté de Manuel
Valls. Un certain nombre des mesures, qui avaient été annoncées
le 6 mars 2015, nécessitaient une
transposition législative. Le projet
de loi présenté y remédie.
Le premier comité interministériel avait listé quelque soixante-cinq mesures, long catalogue
touchant tous les ministères. Le
texte gouvernemental s’articule
autour de trois grands chapitres :
citoyenneté, mixité sociale, égalité réelle. Ainsi, sur le premier
Le gouvernement
ne veut pas
afficher
de politique
spécifique pour
les habitants
des quartiers
populaires
volet, la création pérenne de la réserve citoyenne et la généralisation du service civique pour encourager la participation citoyenne sont désormais inscrits
dans la loi.
Sur le deuxième volet, le projet
met en musique les annonces
liées à la réforme de la loi relative
à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) – qui impose
un taux de 25 % de logements sociaux –, qui avaient été faites le
26 octobre 2015, pour « casser les
logiques de ségrégation et d’apartheid ». L’idée centrale était de
mieux répartir l’offre de HLM sur
le territoire en évitant les « concentrations de pauvreté » et de
forcer les communes récalcitrantes par des outils d’intervention
et de coercition. Liant le volet
production de logement social et
le volet attribution, c’est sans
doute la partie du texte qui a le
plus de cohérence.
Volet « discriminations » oublié
Le troisième, intitulé « pour l’égalité réelle », en a moins. Entre
autres dispositions, il fait de
l’amélioration de la maîtrise du
français une « priorité nationale »
en prévoyant différentes formations pour tous les publics concernés, aussi bien à l’école, au travail
que dans le cadre de l’intégration
des étrangers. Un volet spécifique
Le parc Kalliste, à Marseille (15e), en mars 2015.
YOHANNE LAMOULÈRE/TRANSIT/PICTURETANK POUR « LE MONDE »
pour la rénovation urbaine seront mobilisés. Les collèges en réseau d’éducation prioritaire bénéficieront du plan numérique et
de la « démocratisation de l’excellence ».
Matignon entend aussi s’appuyer sur les
contributions de la plate-forme de discussion qu’il a mise en place pour réfléchir aux
solutions censées faciliter l’engagement citoyen. Outre la nomination d’un haut-commissaire à l’engagement, chargé d’accompagner les dispositifs encourageant la participation citoyenne, le premier ministre
s’est gardé la primeur de certaines annonces. Elles seront débattues dans les ateliers
prévus avec les contributeurs lors de cette
journée appelée « collaborative ». p
lieu d’un catalogue varié, seules
quelques annonces ciblées pour
l’emploi des jeunes pourraient
surnager. Il en est ainsi de l’engagement que tous les jeunes diplômés des quartiers prioritaires seront reçus par Pôle emploi d’ici à
la fin du mois de juin, ou encore
qu’ils bénéficieront d’un accompagnement spécifique dans leur
recherche d’emploi.
A Vaulx-en-Velin, on assistera
sans doute encore à beaucoup de
paroles fortes mais peu de mesures concrètes. Près de quatre ans
après l’élection de François Hollande et le soutien massif qu’il
avait reçu des habitants des quartiers populaires, le gouvernement
ne veut pas afficher de politique
spécifique en leur faveur. Depuis
les attentats de janvier contre
Charlie hebdo et encore plus après
ceux de Paris et de Saint-Denis, la
ligne soufflée par Manuel Valls a
eu raison de tout dispositif et crédit spécifiques visant à remédier à
la relégation et la stigmatisation
propres aux quartiers. La situation sociale continue pourtant de
s’y dégrader avec des taux de pauvreté et de chômage progressant
plus vite et plus fortement
qu’ailleurs. Et l’abstention y est à
chaque scrutin plus massive, tant
la déception est grande. p
s. z.
sylvia zappi
ouvre plus largement l’accès à la
fonction publique afin de diversifier son recrutement : la « troisième voie » réservée aux candidats issus du monde associatif,
syndical ou politique est élargie à
tout public et spécifiquement aux
jeunes peu ou pas qualifiés. Enfin,
comme attendu, le texte modifie
la loi pour faire entrer les délits racistes dans le droit commun en
durcissant les peines encourues.
Mais il oublie tout le volet des discriminations : les outils de lutte
contre les mécanismes de traite-
ment différencié en fonction des
origines qui font tant de ravages
dans l’emploi, le logement ou tout
autre domaine de la vie sociale
sont les grands absents de ce volet
dit de l’« égalité réelle ».
Le projet de loi n’est « pas figé »
précise-t-on à Matignon. Le comité interministériel devrait voir
le premier ministre, entouré de
plusieurs ministres, compléter
ces mesures par une série d’annonces « enrichies » par les contributions citoyennes déposées
sur une plateforme ad hoc. Au mi-
Un catalogue de mesures annoncé au comité interministériel
après le conseil des ministres où le
gouvernement devait présenter son projet
de loi égalité et citoyenneté, Manuel Valls
devait se rendre mercredi après-midi 13 avril
à Vaulx-en-Velin (Rhône) pour y tenir un comité interministériel. Entouré de plusieurs
ministres (éducation, travail, logement,
ville, jeunesse et sports, égalité réelle), il devait annoncer une série de mesures visant à
prolonger l’engagement de l’Etat.
En plus des annonces en direction des
jeunes déjà détaillées auprès des organisations de jeunesse (garantie locative et CMU
pour les jeunes précaires), le premier ministre devait préciser quelques mesures déjà
évoquées le 6 mars 2015 lors du premier comité interministériel, comme le lancement
de l’Agence France entrepreneur, une
agence pour le développement économique des territoires ou encore la nomination
de 12 délégués gouvernementaux, en appui
des préfets, dans les quartiers les « plus
prioritaires », cumulant tous les indicateurs de pauvreté et d’exclusion.
Dans le domaine scolaire, le gouvernement prévoit la création de 5 000 services civiques pour faciliter les relations entre
l’école et les parents ainsi que la distribution
d’une mallette d’aide à l’orientation pour les
parents d’élèves de 3e. Pour remédier à l’état
de délabrement de certains établissements
– notamment les collèges des quartiers prioritaires – les crédits du Fonds à l’investissement local et ceux de l’Agence nationale
LE CHIFFRE
Près de 90 % des Français soutiennent l’introduction en classe
de débats civiques, la réalisation
de projets solidaires ou environnementaux, l’écoute de « grands
témoins »…
C’est l’un des enseignements du
sondage BVA réalisé pour le
Conseil national d’évaluation du
système scolaire (Cnesco) et la
Casden (banque coopérative de
la fonction publique), et publié
mercredi 13 avril. « Si les Français considèrent que l’esprit civique, les valeurs et la morale se
transmettent principalement
dans la famille [à 91 %], ils font
aujourd’hui confiance à l’école à
plus de 70 % pour participer à la
construction des futurs citoyens », observe la sociologue
Nathalie Mons, présidente du
Cnesco.
Alors que la majorité des pays
européens ont fait le choix d’un
enseignement intégré à d’autres
matières, la France propose l’enseignement spécifique le plus
long – douze ans. Et pourtant,
4 jeunes sur 5 considèrent ne
pas avoir, encore, une connaissance suffisante de leur rôle de
citoyen, à leur sortie du lycée.
Logement social : une réforme pour davantage de mixité
Le gouvernement veut mieux répartir les ménages les plus modestes parmi les logements HLM et faire partir les plus riches du parc social
L
e projet de loi égalité et citoyenneté, présenté en conseil des ministres, mercredi
13 avril, est sans doute la dernière
occasion législative du quinquennat de réaffirmer le principe de
mixité sociale dans le logement.
Le texte bouscule le monde HLM
sur le dossier sensible des attributions de logements sociaux. L’objectif du gouvernement est de faire
de la place à la population la moins
aisée et mieux la répartir géographiquement parmi les 4,76 millions de logements HLM que
compte la France. La mesure phare
prévoit que, dans les 354 intercommunalités dotées de la compétence habitat, un quart des logements HLM situés hors des quartiers prioritaires de la ville (QPV),
soient attribués au quart des candidats les plus modestes inscrits
sur la liste des demandeurs de l’agglomération, pour ne pas systéma-
tiquement diriger les plus pauvres
vers les zones déjà paupérisées.
« Il s’agit de donner aux familles
aux revenus les plus faibles la
même chance que les autres d’accéder à un HLM, tout en étant plus
transparents car, chaque année,
les intercommunalités publieront
le bilan de leurs attributions », détaille la ministre du logement,
Emmanuelle Cosse.
En Ile-de-France, par exemple,
seuls 11 % des HLM (hors QPV)
vont aux populations les plus modestes ; à peine mieux, 14 %, en
Provence-Alpes-Côte d’Azur, et
19 % en moyenne nationale. Ces
chiffres inédits, présentés dans
l’étude d’impact de la loi, corroborent les résultats d’une enquête
menée par le Lab’urba de l’université Paris-Est-Créteil qui montrait
que les ressources des entrants
dans le parc social étaient de 26 %
supérieures, à Paris, aux revenus
moyens des demandeurs, et, dans
les Yvelines, de 34 %.
« Cette mesure n’est pas à la hauteur des enjeux, c’est un peu vouloir vider la piscine avec un dé à
coudre, s’insurge Marianne Louis,
secrétaire générale de l’Union sociale de l’habitat (USH), qui fédère
les 740 bailleurs sociaux de
France, le texte ignore délibérément le stock, le fait que 50 % de
nos locataires relèvent du premier
quartile de revenu [niveau au-dessous duquel se situent 25 % des salaires], et rien n’est prévu pour
améliorer la vie et l’attractivité des
quartiers difficiles. » Le monde
HLM se dit d’ailleurs lassé de ces
réformes incessantes, qu’il juge
« inopérantes et complexes ».
Pour loger des familles modestes
dans les meilleurs secteurs, il faut
aussi pouvoir baisser leurs loyers,
quitte à les augmenter ailleurs.
« Nous desserrons un carcan histo-
rique qui voulait que le mode de financement de l’immeuble détermine le niveau de loyer, “très social”, “social”, “intermédiaire”, et
donc son type d’habitants. Les
bailleurs sociaux pourront désormais brasser les populations au
sein d’un même bâtiment », se félicite la ministre qui précise : « Les
loyers devront rester à masse constante et cela ne s’appliquera qu’à
l’arrivée de nouveau locataires. »
« Ménages prioritaires »
Elle répond, là, aux représentants
des habitants qui reprochent à
cette mesure de « faire payer aux
locataires HLM une péréquation
qui devrait relever de la solidarité
nationale, ce qui n’est pas admissible », estime Michel Fréchet, président de la Confédération générale
du logement (CGL).
La future loi entend aussi imposer le « partage des efforts pour ac-
cueillir les ménages prioritaires et
les bénéficiaires du droit au logement opposable (Dalo) ». Toutes
les filières, comme Action logement (ex-1 % logement des entreprises), mais aussi les collectivités
locales qui désignent des locataires, devront réserver 25 % de leur
contingent à ce public prioritaire…
De quoi faire grincer les dents de
bien des maires ! Les préfets ne
pourront, en outre, plus déléguer
aux communes leur droit de désignation, qui conduisait à ce que,
par exemple, dans les Hauts-deSeine, moins de la moitié (40 %)
des réservations que le préfet avait
abandonnées aux communes est
proposée à des ménages Dalo, à
peine 60 % dans les Yvelines et
20 % seulement dans vingt-quatre
communes du Var.
Le projet de loi souhaite aussi
encourager la sortie du parc social
des locataires les plus riches, dont
les ressources dépassent de 50 %
les plafonds réglementaires (contre 100 % auparavant). Ils devront
quitter leur HLM dans un délai de
dix-huit mois contre trois ans
auparavant. Cette mesure concernera 1 600 locataires contre 900
avec l’ancienne règle.
Toutes ces nouveautés irritent
les associations de locataires :
« On veut réserver le parc social
aux plus pauvres ! Nous ne voulons
pas de cette conception à l’anglosaxonne », proteste Michel Fréchet. Pour la Confédération générale du logement, « le gouvernement rend le logement social responsable de la ségrégation mais
ces mesures auront pour effet de
pousser les classes moyennes à
quitter le parc social pour la jungle
du secteur locatif privé et risquent,
au contraire, de favoriser l’exclusion et la ghettoïsation ». p
isabelle rey-lefebvre
12 | france
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Comment mieux protéger les lanceurs d’alerte
Le Conseil d’Etat recommande de se doter d’outils meilleurs pour assurer plus d’efficacité aux vigies civiques
L
sence de réponse apportée dans
un délai raisonnable ou s’avère
impraticable, un canal externe
pourra alors être choisi », note le
rapport. Mais pour le Conseil
d’Etat, il ne s’agit pas ici de divulguer des informations aux médias ni au public qui ne peuvent
être alertés « qu’en dernier recours ». « L’alerte externe » est destinée aux autorités administratives compétentes (Agence du médicament, Autorité des marchés
financiers, future Agence de prévention et de détection de la corruption prévue dans le projet de
loi Sapin II, etc.), aux ordres professionnels ou à la justice.
e scandale des « Panama
papers », l’affaire du Mediator comme le démarchage illégal des fortunes
françaises par UBS ou les privilèges fiscaux accordés par le
Luxembourg à certaines grandes
entreprises n’auraient jamais
éclaté au grand jour si une personne isolée n’avait pas décidé de
tirer le signal d’alarme. Au risque
de compromettre sa carrière professionnelle. Certains de ces lanceurs d’alerte se retrouvent en effet poursuivis en justice par leurs
anciens employeurs. Une étude
réalisée par le Conseil d’Etat à la
demande du premier ministre et
rendue publique mercredi 13 avril
recommande que la France se
dote de meilleurs outils pour assurer une efficacité aux alertes
lancées, un encadrement pour
éviter les abus et délations malveillantes et une réelle protection
de ces vigies civiques.
Six lois en neuf ans
Malgré six lois en neuf ans qui
ont cherché à les protéger à des
degrés divers, on est loin du
compte. « Il en résulte un manque
de cohérence, des lacunes en matière de procédure et, au final, peu
de protection effective des lanceurs d’alerte », constate JeanMarc Sauvé, le vice-président du
Conseil d’Etat.
Les lois ont en particulier omis,
à l’exception de celle sur le renseignement de 2015, la question
du secret professionnel. Or, le
viol de ce secret (médical, fiscal,
lié à la défense nationale, etc.) est
pénalement répréhensible dans
de nombreux domaines. « Si la loi
ne précise pas les dérogations au
secret professionnel, il n’y aura
pas de lanceurs d’alerte », prévient M. Sauvé. C’est donc par des
lois sectorielles que le législateur
devrait définir, secret par secret,
quelles sont les exceptions ou, à
défaut, les personnes habilitées à
recevoir une alerte sans lever le
secret professionnel.
Mais auparavant, c’est bien la définition d’un socle commun par la
loi qui figure au premier rang des
quinze propositions approuvées
par l’assemblée générale du Conseil d’Etat. Le groupe de travail qui
a réalisé cette étude a d’abord tenu
à s’entendre sur une définition
précise du lanceur d’alerte. C’est
« un acteur civique qui signale, de
bonne foi, librement et dans l’intérêt général, des manquements graves à la loi ou des risques graves
menaçant des intérêts publics ou
privés, dont il n’est pas l’auteur ». Il
peut être salarié, collaborateur occasionnel ou extérieur. Une définition qui a ainsi conduit à rejeter
fermement, à une voix discordante près, l’idée de rémunération des lanceurs d’alerte. « On ne
fait pas un geste civique pour de
l’argent », tranche M. Sauvé.
D’ailleurs, le groupe de travail,
présidé par Emmanuelle Prada
Bordenave et auquel ont participé
des représentants d’associations
comme Transparency Internatio-
Pédophilie : l’Eglise s’engage
à mieux écouter les victimes
Secouée par différentes révélations, l’institution présente des mesures
E
ntendre les victimes, faire
la lumière sur les cas anciens, protéger les enfants,
prendre conseil si nécessaire en
dehors de l’Eglise catholique. Le
conseil permanent de la Conférence des évêques de France (CEF)
a présenté, mardi 12 avril, un ensemble de dispositions destinées
à montrer que l’institution a pris
la mesure des questions soulevées
par les affaires de pédophilie surgies depuis l’automne 2015 dans le
diocèse de Lyon, dirigé par le cardinal Philippe Barbarin.
C’est sans doute la première fois
que l’Eglise catholique se tourne
de manière aussi explicite vers les
victimes de prêtres. La CEF demande à chaque diocèse – certains
l’ont déjà fait – de mettre en place
« un lieu où elles soient assurées,
écoutées et accompagnées », serait-ce au niveau d’un regroupement de diocèses. Un site Internet
permettra aux victimes de trouver
à qui s’adresser. En attendant qu’il
soit créé, une adresse électronique
leur est ouverte ([email protected]). Les associations de
victimes, elles, pourront s’adresser à une cellule permanente de
lutte contre la pédophilie, qui remplacera la cellule de veille dont
était chargé Mgr Stanislas Lalanne,
évêque de Pontoise, auprès de la
Conférence épiscopale.
L’épiscopat est bien conscient
que d’anciennes affaires, jamais
parvenues jusqu’à la justice, jamais ouvertement reconnues par
l’Eglise, souvent prescrites aux
yeux du droit, tourmentent encore, des décennies plus tard, d’anciennes
victimes
parfois
aujourd’hui âgées. Sur ces cas
« même anciens », affirme la CEF,
« il est nécessaire de faire la lumière ». Combien y en a-t-il ?
« Nous n’avons pas les éléments
pour répondre », a affirmé mardi le
président de la CEF, Georges Pontier, archevêque de Marseille.
Faute de données en France, le
prélat s’est référé à une statistique
qui porterait sur les prêtres au niveau mondial : entre 0,7 % et 1,5 %
des prêtres seraient concernés par
des actes de pédophilie.
Un guide complet
C’est la gestion d’une ancienne affaire de ce type par le diocèse de
Lyon qui est venue bousculer un
épiscopat qui se croyait quitte
avec les mesures prises depuis la
mise en cause puis la condamnation, en 2001, de l’un des siens,
Pierre Pican, ancien évêque de
Bayeux, pour non-dénonciation
de crimes pédophiles de l’un de
ses prêtres. En 2003, la CEF avait
édité un guide assez complet sur
la pédophilie, qui rappelait aux
évêques qu’ils étaient tenus de
porter à la connaissance de la justice des faits dont ils auraient eu
la connaissance.
Mgr Pontier a rappelé la règle : un
évêque placé dans cette situation
doit inviter la victime à porter
plainte. Si elle ne le fait pas, l’évêque doit inciter le prêtre à se dénoncer. S’il ne le fait pas, le chef du
diocèse doit informer lui-même
les autorités judiciaires. Dans l’affaire du Père Bernard P., l’ancien
aumônier de Sainte-Foy-lès-Lyon
qui avait abusé de scouts dont il
avait la charge entre 1971 et 1991,
les archevêques successifs de
Lyon n’ont pas saisi la justice lorsqu’ils ont été informés. Ils n’ont
pas non plus, semble-t-il, songé à
se préoccuper des victimes.
Les évêques, explique la CEF,
sont chargés d’éloigner des enfants et des jeunes les prêtres accusés de façon précise d’avoir commis des attouchements sexuels
sur des mineurs en attendant que
la justice se prononce. S’ils ont des
doutes sur l’attitude à tenir dans
telle ou telle circonstance, ils
auront la possibilité de consulter
une commission d’experts (anciens magistrats, médecins, psychologues…) présidée par un laïc,
qui sera mise en place d’ici à l’été.
« Les évêques ont des relations de
proximité avec les prêtres, a fait valoir Mgr Pontier, qui vont bien audelà de celles de patron à salariés.
Parfois, cela peut ne pas nous rendre service. D’où la nécessité d’une
expertise extérieure. » p
cécile chambraud
nal ou la fondation Sciences citoyennes, parle d’« alerte éthique ». S’inspirant de ce qui a été
mis en place au Royaume-Uni et
en Irlande, il préconise des mécanismes pour favoriser en priorité
l’alerte interne à l’administration
ou à l’entreprise concernée.
Le Conseil d’Etat estime que le canal hiérarchique ou un canal interne spécifique (déontologue,
service d’inspection…) sont les
mieux à même pour prendre en
compte rapidement et efficacement une alerte émanant d’un col-
laborateur. A condition que le dénonciateur soit protégé (comme la
personne éventuellement visée
tant que les faits ne sont pas établis) et averti des suites données à
son information.
Cette solution interne ne semble pas adaptée aux cas où la
fraude est organisée en système,
comme dans l’affaire des prothèses mammaires de la société PIP
ou dans celle des logiciels antipollution truqués chez Volkswagen. « Si et seulement si un tel recours [interne] se heurte à l’ab-
Un travail de longue haleine
Il est proposé, pour faciliter l’accès
à l’institution compétente, de passer par un portail unique qui serait assuré par la Commission nationale de la déontologie et des
alertes en matière de santé publique et d’environnement prévue
par la loi Blandin de 2013 (et toujours pas installée !).
Pour mieux protéger les lanceurs d’alerte contre les velléités
de représailles, le Conseil d’Etat
propose de lister très largement
ce que ces dernières pourraient
être, comme le non-renouvellement d’un CDD, espérant ainsi les
bannir. Surtout, il propose d’étendre la compétence du Défenseur
des droits, qui pourrait être saisi
par les personnes concernées
sans attendre l’issue des procédures judiciaires.
Quelques-unes des propositions de cette étude pourraient
être déjà intégrées dans le projet
de loi Sapin II sur la corruption qui
viendra en discussion à l’Assemblée nationale d’ici à l’été. Mais
d’autres lois seront nécessaires. Le
développement d’une culture de
l’alerte en France reste un travail
de longue haleine. p
émeline cazi
et jean-baptiste jacquin
« Salle de shoot » à Paris :
les ultimes débats toujours tendus
V
ous allez drainer et concentrer toute
la toxicomanie de Paris. Vous avez
fait le choix de sacrifier un quartier »,
a déploré la porte-parole du collectif d’habitants contre l’ouverture de la « salle de
shoot ». Pendant près de trois heures, mardi
12 avril dans la soirée, plus de 200 opposants
et partisans de ce projet se sont retrouvés – et
parfois bruyamment invectivés – dans la
salle des fêtes de la mairie du 10e arrondissement, à l’occasion de la première réunion publique d’information sur ce sujet depuis
juin 2013. Les riverains hostiles au projet ne
sont pas les mêmes qu’il y a trois ans. Mais
les inquiétudes et les questions liées à
l’ouverture de la première salle de consommation de drogue à moindre risque à Paris
n’ont pas changé.
Entre-temps, les élections municipales
sont venues conforter le maire (PS) de l’arrondissement, Rémi Féraud, et la loi santé
autorisant l’expérimentation de telles salles
pendant six ans a été votée et promulguée.
Un nouvel emplacement, 2, rue AmbroiseParé, dans un bâtiment autonome de l’hôpital Lariboisière, a été retenu en lieu et place
du 39, boulevard de la Chapelle, le site initial
fortement contesté par les voisins. Les deux
sont à proximité de la gare du Nord, où les
toxicomanes sont très présents.
L’ouverture de la structure, qui doit accueillir entre 100 à 150 toxicomanes par jour
(soit environ 400 passages aux postes d’injection et d’inhalation), est désormais prévue à l’automne, à la même période que celle
prévue à Strasbourg. « Cette salle, c’est le chaînon qui nous manquait dans la politique de
réduction des risques à Paris », a fait valoir
Bernard Jomier, l’adjoint à la santé à la mairie de Paris.
« Vous opérez une partition évidente au sein
du 10e entre une partie gentrifiée et une partie
populaire et abandonnée », a regretté la porte-parole du collectif d’habitants hostiles à
l’ouverture de la salle, dénonçant un « déni de
démocratie ». Crainte récurrente d’une partie
des opposants : l’amplitude horaire trop limitée. Ouverte tous les jours de l’année, la salle
ne sera accessible que de 13 h 30 à 20 h 30.
« C’est une aberration, les toxicomanes ne font
pas les 35 heures », a critiqué un riverain.
Si certains opposants politiques étaient venus chercher une tribune, d’autres étaient
simplement venus apporter leur soutien ou
témoigner de leur désarroi. « Si ça se trouve,
avec cette salle, ça ne sera
pas pire, ça sera bien et je
serai ravie », a reconnu CRAINTE RÉCURRENTE
une femme qui dit ne
plus dormir que quatre D’UNE PARTIE
heures par nuit en rai- DES OPPOSANTS :
son de la présence de
toxicomanes sous ses fe- L’AMPLITUDE HORAIRE
nêtres. Une autre a raconté une « qualité de vie TROP LIMITÉE.
détestable » aujourd’hui
LA SALLE NE SERA
dans le quartier, entre
les seringues usagées et ACCESSIBLE QUE
les intrusions dans les
DE 13 H 30 À 20 H 30
immeubles.
« On s’engage à ce que
les tensions dans le quartier diminuent et que
les choses s’apaisent », a lancé Elisabeth Avril,
la directrice de Gaïa, la structure de prévention et de soins en toxicomanie qui pilotera
la salle. Un dépliant distribué à l’entrée de la
salle rappelle d’ailleurs que la ville de Vancouver, au Canada, a enregistré une baisse de
moitié du nombre de personnes consommant des drogues dans l’espace public
autour de la salle d’injection. Une baisse qui
aurait même atteint 83 % à Rotterdam.
« J’attends une amélioration de la santé publique et une réduction des nuisances. Si cette
salle amenait plus de problèmes qu’elle n’en
résout, l’expérimentation ne sera pas poursuivie », a promis le maire Rémi Féraud. p
françois béguin
SPORTS
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
| 13
Le grand gâchis de la « génération Zlatan »
Battu par Manchester City, le PSG a encore été éliminé de la Ligue des champions dès les quarts de finale
manchester - envoyé spécial
L
e regard noir, Nasser AlKhelaïfi s’engouffre dans
l’un des nombreux tunnels de l’Etihad Stadium,
où l’attendent, en rang d’oignons,
les journalistes français. Escorté
par son communicant Jean-Martial Ribes, le président du ParisSaint-Germain est d’humeur particulièrement maussade après la
défaite (1-0) de son club, mardi
12 avril, sur la pelouse de Manchester City. Six jours après le nul
(2-2) arraché par les Citizens au
Parc des Princes lors de la manche
aller, ce revers scelle l’élimination
de la formation de la capitale en
quarts de finale retour de la Ligue
des champions.
« C’est la quatrième année d’affilée qu’on sort en quarts, a constaté,
amer, le dirigeant qatari. C’était
notre rêve d’aller en demi-finales.
On a eu deux suspendus ce soir
[Blaise Matuidi et David Luiz],
Marco Verratti était blessé et
Thiago Motta s’est blessé avant la
mi-temps. Mais on ne va pas chercher d’excuses. On va se calmer et
on va réfléchir pour la suite. On
veut réfléchir à long terme, sur cinq
ans. »
A l’image de son directeur général délégué, Jean-Claude Blanc,
peu désireux de s’exprimer, Nasser Al-Khelaïfi a fait profil bas
après cette contre-performance
qui constitue un échec retentissant pour les actionnaires de Qatar Sports Investments (QSI), propriétaires du PSG depuis juin 2011.
Les investisseurs de Doha ont, en
effet, injecté en cinq ans plus de
500 millions d’euros pour recruter des stars comme le Suédois
Zlatan Ibrahimovic ou l’Argentin
Angel Di Maria, joueur de Ligue 1
actuellement le mieux rémunéré
(24 millions d’euros de revenus
annuels) et acheté, en août 2015,
contre 63 millions d’euros.
Limites du projet
Si le PSG est devenu le quatrième
club européen en termes de chiffre d’affaires (480 millions d’euros
à l’issue de la saison 2014-2015), les
dirigeants de QSI peuvent-ils infiniment tolérer de voir leur formation caler à l’orée du dernier carré
de la plus prestigieuse des compétitions européennes ? Et ainsi
échouer à égaler la performance
réalisée par le club, en 1995, sous
l’ère Canal+. Quadruple championne de France en titre depuis
2013, l’équipe de la capitale – qui
dispose, cette saison, d’un budget
Le milieu
de terrain
parisien
Thiago
Motta, blessé
lors de la
défaite (1-0)
à Manchester
City, mardi
12 avril.
OLI SCARFF/AFP
d’environ 500 millions d’euros –
pâtit du manque de concurrence
sur la scène hexagonale et, saison
après saison, se montre incapable
de percer le plafond de verre qui
circonscrit ses ambitions continentales.
Comme le firent le FC Barcelone
en 2013 et en 2015, et Chelsea
en 2014, Manchester City a révélé
une fois de plus les limites du projet sportif mis en place par QSI à
Paris. Cette élimination est
d’autant plus cruelle pour les dirigeants du PSG que les Citizens atteignaient pour la première
fois les quarts de finale de la Ligue
des champions depuis 2008 et
leur rachat par le cheikh Mansour
d’Abou Dhabi. « Cela fait mal. On
parle, on parle et après on commet
les mêmes erreurs, a tempêté
Thiago Silva, le capitaine brésilien
du PSG. On ne peut plus dire qu’on
manque d’expérience. »
« On parle,
on parle, et après,
on commet les
mêmes erreurs.
On ne peut plus
dire qu’on
manque
d’expérience »
THIAGO SILVA
capitaine du PSG
Ce fiasco outre-Manche devrait
contraindre Nasser Al-Khelaïfi à
remettre sensiblement en cause
le projet élaboré, dès le rachat du
club, par Leonardo, son ex-directeur sportif brésilien, démissionnaire en 2013. Car cet échec est
d’abord celui de la génération in-
carnée par Zlatan Ibrahimovic,
spectral à l’Etihad Stadium après
avoir raté un penalty lors du
match aller. Meilleur buteur de
l’histoire du PSG (avec 145 réalisations depuis 2012), le géant de
34 ans s’était fixé comme objectif
de remporter sa première Ligue
des champions avec la locomotive
du football français. Or, le contrat
du joueur expire en juin, comme
celui de son coéquipier Maxwell,
également âgé de 34 ans. « On a offert ces deux matchs à City », a bougonné l’icône scandinave, priée
par les journalistes anglais de rejoindre la Premier League la saison prochaine. Touché aux ischios et remplacé en première période, le milieu Thiago Motta,
33 ans, symbolise, lui aussi, la
faillite d’une escouade de trentenaires programmés pour offrir à
QSI un sacre européen.
« Effectivement, il y a des cadres
en fin de contrat, mais on verra ça
plus tard car ce soir on est déçus »,
a balayé Laurent Blanc, très affecté, dans l’auditorium de l’Etihad Stadium. Nommé en 2013
pour remplacer le chevronné
transalpin Carlo Ancelotti, l’entraîneur du PSG a clairement assumé la responsabilité de cette
défaite. « Je ne me débine pas », a
insisté le Cévenol, dont le contrat
a été prolongé, en février, jusqu’en 2018 par Nasser Al-Khelaïfi.
Sorti pour la troisième fois d’affilée à ce stade de l’épreuve, l’ex-sélectionneur des Bleus (2010-2012)
se voit notamment reprocher des
choix hautement discutables. Sa
décision de titulariser, au match
aller, le défenseur ivoirien Serge
Aurier – banni un mois et demi
pour avoir qualifié en février son
entraîneur de « fiotte » – avait suscité la polémique. Mais que dire
du schéma tactique inédit, avec
seulement trois défenseurs, expérimenté à Manchester ?
« Le coach fait ses choix. Mais
ceux qui jouent, c’est nous », a argué Thiago Silva, prônant l’union
sacrée derrière son entraîneur.
« Si on prend une décision ce soir,
on prendra la mauvaise. On fait
confiance au coach. On veut vraiment bien réfléchir pour améliorer
l’équipe en Ligue des champions la
saison prochaine », a insisté Nasser Al-Khelaïfi.
Sacré en Ligue 1 dès la mi-mars, le
PSG tâchera de remporter pour la
troisième fois d’affilée la Coupe de
la Ligue, dont la finale face à Lille
est programmée le 23 avril. Il tentera également de conserver, en
mai, son titre en Coupe de France.
De maigres consolations pour les
propriétaires qataris du club, en
quête de trophées européens et
dont la patience a des limites. p
rémi dupré
La folle « remontada » de Ronaldo et du Real Madrid
Le Portugais, auteur d’un triplé face à Wolfsburg (3-0), a été le grand artisan de la victoire des Madrilènes
madrid – envoyé spécial
E
n football, louer les qualités
du collectif pour ne pas
mettre trop en avant une
individualité est un stratagème
aussi ancien que le métier d’entraîneur. La combine peut parfois
paraître artificielle, mais c’est une
manière de maintenir la paix des
vestiaires et des ego. Mardi 12 avril,
au sortir d’une nette victoire de
« son » Real Madrid face aux Allemands de Wolfsburg (3-0), synonyme de qualification pour les demi-finales de la Ligue des champions, Zinédine Zidane s’est livré à
l’exercice avec application.
La tâche paraissait pourtant
particulièrement ardue pour le
nouvel entraîneur. Car si le club
madrilène a rectifié le tir, après
son faux pas du match aller en Allemagne (0-2), elle le doit à Cristiano Ronaldo, auteur à lui tout
seul des trois buts de la soirée et
qui a porté une équipe pas tou-
jours transcendante. « Il démontre
ce qu’il est : le meilleur joueur du
monde », a estimé Zidane, à propos du Portugais, triple Ballon
d’or. Avant d’ajouter dans la foulée : « Mais Cristiano a besoin de
l’équipe. Il a besoin des autres pour
faire ce qu’il fait. Je suis très content de ce que les joueurs ont fait
ensemble. Après, il est spécial car
tous les autres ne peuvent pas mettre trois buts. »
« Nuit magique »
La dernière phrase est difficilement contestable ; les statistiques
sont effarantes. Depuis le début
de la saison de Ligue des champions, l’attaquant affiche seize
réalisations en dix matchs. Soit à
une unité seulement du record
absolu de dix-sept buts établi lors
de la saison 2013-2014 par un certain… Cristiano Ronaldo. Le public
du stade Santiago-Bernabeu ne
s’y est pas trompé. A cinq minutes
de la fin de rencontre, et alors que
le Portugais venait d’inscrire le
but de la qualification sur un joli
coup franc (77e), les spectateurs
madrilènes commencèrent tous à
entonner : « Cristiano, Cristiano,
Cristiano ! »
Le principal intéressé a apprécié
une « nuit magique », avec deux
buts inscrits dès les vingt premières minutes, tout en soulignant,
dans une formule éculée, comme
un écho à son coach : « Le plus important, c’est l’équipe. » Loin de ses
propos polémiques – et sans
doute plus sincères – de février,
lorsqu’il affirmait, en réaction au
retard de son équipe dans le
championnat espagnol : « Si tout
le monde était à mon niveau, nous
serions premiers. »
Grâce à son succès face à Wolfsburg, le Real Madrid évite un accident industriel. Certes, Luiz Gustavo et Bruno Henrique, côté allemand, sont parvenus à allumer
quelques timides mèches, notamment en première mi-temps. Cer-
tes, il fallut attendre le dernier
quart d’heure pour que les Madrilènes valident leur billet pour le
tour suivant. Mais la performance,
face à des adversaires trop timorés
pour vraiment inquiéter les spectateurs de Bernabeu, est apparue
comme une simple formalité.
Depuis six ans, les Merengue
n’ont pas connu l’affront d’une éli-
mination avant les demi-finales
de la plus prestigieuse compétition continentale. Zidane ne sera
pas le premier à rompre la série. La
performance ne doit pas être minorée pour autant : avec cette « remontada », le club espagnol, dix C1
au compteur, s’offre un renversement de situation tel qu’il n’en
avait plus connu depuis la saison
Benzema « confiant » pour l’Euro
Si Karim Benzema n’a pas marqué face à Wolfsburg, l’attaquant
français du Real Madrid a fait un match plein, allant jusqu’à s’offrir une belle occasion sur une frappe détournée par le gardien
(80e) adverse. Sera-ce suffisant pour lui permettre de faire partie
de l’aventure de l’Euro, à partir du 10 juin ? Déclaré « non sélectionnable » à la suite de sa mise en examen dans « l’affaire de la
sextape », son cas devait être discuté par le sélectionneur, Didier
Deschamps, et par le président de la Fédération française de
football, Noël Le Graët, mercredi 13 avril, dans la matinée. Une
décision devrait être annoncée au plus tard jeudi 14. Quelle
qu’elle soit, et Benzema a dit l’attendre avec « confiance », le
joueur a gagné le droit de prolonger le plaisir d’une compétition
continentale, en Ligue des champions pour l’instant.
2001-2002, lors d’une confrontation face au Bayern Munich.
Vainqueur du clasico face au
Barça (2-1), le 2 avril, et désormais
qualifié pour le dernier carré de la
Coupe d’Europe, Zinédine Zidane,
lui, peut continuer de savourer.
Son équipe donne parfois l’impression d’une addition de talents individuels plus qu’elle ne
dégage une réelle force collective,
mais elle enchaîne les succès et
est d’ailleurs revenue à 4 points
du leader de la Liga, le Barça. « Je
suis content de comment les choses se passent, même si je ne suis
pas dupe : il y a aussi des moments
difficiles, a commenté Zidane. J’ai
un groupe fantastique. Je continue
à avancer, j’aime ce que je fais. »
Mardi soir, l’ancien meneur de
jeu n’a finalement connu qu’une
fausse note : sur un mouvement
trop brusque, il a déchiré la jambe
droite de son élégant pantalon
bleu marine. p
yann bouchez
14 | enquête
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
La rue Yveton,
dans la vieille
ville d’Oran.
Kamel Daoud,
un étranger à Oran
Féroce critique des dévots musulmans
et de la gérontocratie algérienne, l’auteur de
« Meursault, contre-enquête » s’est attiré bien
des ennemis. Après avoir renoncé au journalisme,
il vit dans une semi-clandestinité dans sa ville
Kamel Daoud.
texte : raphaëlle bacqué
photos : bachir belhadj
pour « le monde »
oran (algérie) - envoyés spéciaux
A
la descente de l’avion venu
de France, le policier algérien
examine longuement le visa
« journaliste ». Il appelle un
collègue. Puis un autre. Et encore un troisième.
« Pourquoi voulez-vous rencontrer Kamel
Daoud ?
– Parce que c’est un grand écrivain algérien…
– Oui, mais pourquoi voulez-vous le
rencontrer ?
– Justement parce que c’est un grand écrivain
algérien… »
Dans la file d’attente, personne ne s’impatiente. Mais on ne semble pas perdre un mot
du débat. Un monsieur très élégant murmure, avec cet accent doux des Oranais : « Dites-lui qu’il a failli avoir le Goncourt… » Derrière lui, un autre homme glisse, suffisamment bas pour ne pas être entendu : « Mais ne
parlez pas trop de ses chroniques… » Le tampon claque sur le passeport. On passe. Bien-
venue à Oran, la ville dont Kamel Daoud est à
la fois la star et le visage controversé.
Au téléphone, dans les semaines précédentes, l’écrivain n’avait pas mâché ses mots. Depuis le succès de son roman Meursault, contre-enquête, un brillant récit qui redonne une
identité à « l’Arabe » tué par le héros d’Albert
Camus dans L’Etranger – et qui a décroché le
prix Goncourt du premier roman en
mai 2015, après sa publication par Barzakh
en 2013, puis Actes Sud en 2014 –, Kamel
Daoud craignait de ne plus s’appartenir. « Je
ne peux plus prendre une bière sans que l’on
veuille me l’offrir, jurait-il. Si j’écris un mot en
Algérie, il est repris jusqu’en Suède. Cela pourrait être flatteur pour l’ego mais c’est un enfer. »
Trop de sollicitations venues du monde entier – son livre a déjà été traduit dans vingtneuf langues. Trop de tournées dans les grandes universités américaines – Harvard, Yale
ou Columbia. Trop d’émissions télévisées en
France. A 45 ans, il ne voulait pas, disait-il, « céder à la vanité, cet ennemi du talent ». Une fracture de la jambe l’obligeait depuis trois mois à
marcher avec une béquille, bon prétexte pour
refuser toutes les interviews.
Sofiane Hadjadj, le fondateur des éditions
Barzakh, à Alger, qui a sillonné pendant des
mois avec son auteur cette vaste Algérie où
« C’EST L’UN
DES DEUX OU TROIS
CHRONIQUEURS
LES PLUS
TALENTUEUX
D’ALGÉRIE. MAIS
LA VIOLENCE
DES RÉACTIONS
QU’IL SUSCITE
LE LAISSE PARFOIS
PERPLEXE »
SOFIANE HADJADJ
éditeur algérien
de Kamel Daoud
les librairies sont rares, a complété les explications. « Il est très courageux et aussi un peu
inconscient, a prévenu l’éditeur. C’est l’un des
deux ou trois chroniqueurs les plus talentueux
d’Algérie, solitaire, subversif et impertinent.
Mais la violence des réactions qu’il suscite le
laisse parfois perplexe. »
En France, sa tribune « Cologne, lieu de fantasmes », publiée le 31 janvier dans La Repubblica et le 5 février dans Le Monde, un
mois après les agressions de dizaines de jeunes Allemandes venues passer la nuit de la
Saint-Sylvestre à Cologne, a déchiré la gauche. En pleine crise des réfugiés, il y voyait
une manifestation de « la misère sexuelle
dans le monde arabo-musulman » et de son
« rapport malade à la femme ». L’affaire lui a
valu les reproches désolés d’Adam Shatz, cet
ami journaliste qui lui avait consacré un an
plus tôt un long portrait dans le New York Times. En France, une quinzaine d’universitaires l’ont décrété « islamophobe ». Trois semaines durant, les médias ont convié ses
soutiens, favorables à la « libre pensée », ses
adversaires, refusant « le choc des cultures ».
Même Manuel Valls, qui avait téléphoné
quelques mois plus tôt à l’écrivain afin de
dire son admiration pour Meursault, contreenquête, lui a apporté publiquement son
soutien. « Ce que demande Kamel Daoud, a
écrit le premier ministre sur Facebook, c’est
qu’on ne nie pas la pesanteur des réalités politiques et religieuses, que l’on ait les yeux
ouverts sur ces forces qui retiennent l’émancipation des individus, sur les violences faites
aux femmes, sur la radicalisation croissante
des quartiers, sur l’embrigadement sournois
de nos jeunes. »
« COLLABO », « HARKI », « YOUPIN »
En Algérie, cependant, les critiques les plus
virulentes avaient débuté deux ans et demi
plus tôt. En juillet 2014, dans Le Quotidien
d’Oran, Kamel Daoud avait osé écrire : « Non,
je ne suis pas solidaire de la solidarité avec la
Palestine. » En pleine guerre de Gaza, le journaliste voulait signifier qu’il ne choisirait pas
mécaniquement un camp du seul fait d’être
musulman. Cette fois, les insultes ont été
bien plus virulentes : « collabo », « harki »,
« sioniste », « youpin », « traître », « salaud ».
Bon nombre d’amis de la gauche algérienne
ont rompu avec lui. « D’un côté comme de
l’autre, on lui reproche de ne pas parler au nom
des siens », regrette Sofiane Hadjadj.
Le 2 mars, lassé des polémiques, l’écrivain a
annoncé qu’il renonçait au journalisme et à
cette chronique tenue depuis dix-neuf ans
enquête | 15
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Rue des Aurès, à Oran.
« MOI AUSSI,
COMME CAMUS,
JE SUIS PRIS
ENTRE DEUX
CULTURES ET CELA
NE ME LAISSE
PAS EN PAIX »
KAMEL DAOUD
Boulevard Mascara.
ger ce garçon qui sait si bien raconter les faits
divers sur lesquels on l’envoie. Daoud parle
arabe aussi, et connaît parfaitement le Coran.
Lorsqu’il était encore au lycée, le mouvement
islamiste en pleine expansion l’a séduit,
comme beaucoup de jeunes gens de son âge,
et un professeur membre des Frères musulmans l’a convaincu qu’il trouverait l’idéal
auquel il aspirait dans le combat pour un Etat
islamique. Kamel voulait devenir imam. Il
voulait aussi être écrivain. En 1988, à 18 ans, il
a tranché. Lui qui portait barbe, turban et
djellaba a quitté le mouvement. Furieux de
s’être laissé embrigader par ce Front islamique du salut (FIS) en passe de devenir le plus
puissant opposant d’un régime à bout de
souffle, il a tourné le dos à la politique pour se
plonger dans la littérature française à l’université d’Oran.
Et voilà que six ans plus tard, dans ce petit
quotidien qui débute, porté par un Abdou
Benabbou amoureux de la langue française
et suffisamment courageux pour braver les
menaces d’attentats et la censure, ce passé
lui sert. En pleine guerre civile contre « les
barbus », comme l’on dit alors, le jeune Kamel est l’un des rares reporters à oser louer
un âne pour pénétrer le maquis et interroger
les djihadistes.
Mépris du danger et esprit tranchant. Voilà
les premiers traits du caractère de Daoud. La
chronique qu’il tient dès 1997 ne le dément
pas. Chaque jour, pendant dix-neuf ans, le
journaliste a écrit ses trois feuillets, aiguisés
et durs comme des silex, pour dénoncer la
corruption du régime ou l’hypocrisie des religieux. Une flèche brillante et acide, lancée
pile sur les tabous de la société algérienne, la
gérontocratie au pouvoir et les dévots
musulmans.
Depuis son épisode islamiste, Kamel Daoud
déteste les Tartuffe et l’orthodoxie religieuse.
Sa femme, un jour, s’est mise à porter le foulard, comme ces très nombreuses Algériennes
que l’on croise dans les rues et que les cafés relèguent dans les arrière-salles « réservées aux
familles ». Ils ont divorcé en 2008, après la
naissance de leur deuxième enfant. Avant
même de rencontrer Kamel Daoud, on comprend rien qu’à voir la tête de ses confrères les
tumultes que suscite ce caractère entier. Pas
un compromis. Pas une petite lâcheté. Les correcteurs ont tous entendu, un jour ou l’autre,
le journaliste lâcher devant un rédacteur en
chef trop frileux : « Si tu veux couper, vas-y,
mais moi, mon whisky, je le bois sec ! »
« ÉCRIRE, MON REMÈDE À L’ANGOISSE »
Boulevard Mascara.
dans Le Quotidien d’Oran. C’est pourtant bien
là, ont prévenu ses amis, qu’il faut commencer à chercher les traces de Kamel Daoud.
Dans ce journal de la deuxième ville du pays.
Au cœur d’un petit immeuble sans apprêt, sis
dans une rue perpendiculaire à la bruyante
avenue de l’ANP.
Sur un des murs de la rédaction, on a accroché l’inévitable portrait du président
Bouteflika. Et un peu plus loin, gravée sur une
plaque, la liste des quatre-vingts actionnaires
du quotidien. Il y a des noms de petits patrons et de nababs de la finance oranaise, celui d’un épicier dont la boutique est à trois
pas, les patronymes d’avocats logés dans ces
quartiers au charme délabré en bord de mer,
ceux de médecins de Tlemcen, à deux heures
de route d’Oran. « Bref, un mélange de types
qui passent leur journée au bar et d’autres à la
mosquée », s’amuse Mohamed Abdou Benabbou, le directeur du journal. Aucun d’eux n’a
jamais possédé plus de dix actions, ils ne sont
jamais d’accord entre eux. Tant mieux. Cela
évite de pencher du côté du pouvoir algérien
ou de celui des conservateurs religieux.
Depuis 1994, Le Quotidien d’Oran navigue
ainsi en français sur toutes les eaux. Un jour
blanc, un autre noir, dans cette schizophrénie
si typiquement algérienne qui s’exprime jus-
que dans ces bars où la vente d’alcool n’est
pas formellement interdite mais où l’on boit
en cachette. Une fois, un général bardé de
médailles a convié Abdou Benabbou au ministère de la défense, à Alger, puis s’est penché à son oreille pour l’interroger : « J’adore
votre journal, mais je n’arrive pas bien à saisir
quelle est sa ligne éditoriale… » Le directeur de
la rédaction, avec cet air affable qui lui sert
d’armure, a répondu par une autre question :
« Mais, mon général, quelle est la ligne de l’Algérie ? » Et, devant l’officier interdit, a asséné
sa philosophie : « Le jour où l’Algérie trouvera
sa ligne, nous la trouverons nous aussi. »
C’est dans ce journal un peu foutraque, sur
ce petit bureau à droite en entrant dans la
salle de rédaction que Kamel Daoud a débuté.
Jeune homme débarqué de Mesra, un petit
village près de Mostaganem, à 80 km d’Oran,
il y a été recruté en 1994 par la « logique des cimetières » : le pays est alors déchiré par le terrorisme islamique et une centaine de journalistes ont déjà été assassinés. Daoud est fils de
gendarme, il a fréquenté l’école française et a
été le premier de sa famille à savoir lire. Il est
pauvre, sans moyens pour se loger. Les premiers temps, Abdou Benabbou l’a laissé dormir sur un canapé, dans un coin de la rédaction avant de tout mettre en œuvre pour lo-
En fin d’après-midi, Kamel Daoud a enfin fixé
un rendez-vous. Il a choisi curieusement un
hôtel ultramoderne et sans charme, bâti dans
l’une de ces nouvelles zones industrielles qui
fleurissent un peu partout à Oran. « L’endroit
est sûr », a-t-il dit au téléphone. L’hôtel s’appelle Liberté. C’est là qu’il retrouve, le soir, le
directeur de l’établissement, Mohamed
Afane. Ce vieil ami fut, dans les années 1980,
le producteur des grands concerts de raï qui
firent autrefois la renommée d’Oran – avant
que les puritains ne fassent fermer la plupart
des cabarets pour « sauver la ville de la saleté ». Dans son bureau, des photos de Cheb
Mami et de Khaled voisinent avec des clichés
d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé
(aujourd’hui l’un des actionnaires du Monde)
dans leur maison de Marrakech. Pour accueillir Daoud, Mohamed Afane a fait apporter des olives, des boureks, et fait déboucher
des bouteilles d’un vin algérien, épicé
comme le sont les vins du Sud, d’un vin turc
plus lourd qu’un porto et d’un bordeaux de
bonne facture.
L’écrivain arrive directement en voiture de
la nouvelle maison où il vient d’emménager,
dans l’une de ces résidences modernes où
l’on ne peut entrer qu’après avoir décliné son
identité auprès d’un vigile. Il fume beaucoup.
Des cernes mauves soulignent le regard mobile, au-dessus de pommettes hautes. « Ecrire,
dit-il, c’est mon remède à l’angoisse. Le seul
moment où je me sens consistant. »
Autrefois, il aimait lire à l’ombre des magnolias, dans les jardins publics d’Oran ouverts
sur la mer. Il flânait sous les arcades, là où habita longtemps Camus, s’arrêtait sur les marches de la cathédrale du Sacré-Cœur, transformée il y a trente ans en bibliothèque. Mais la
ville est devenue menaçante. Cet homme qui
peut combattre sans frémir tous les pouvoirs
s’est mis à craindre qu’un fou ne le frappe un
jour d’un coup de couteau au détour d’une
ruelle. Ses amis se sont bien inquiétés pour
lui. Ils espèrent que le pouvoir algérien le fait
discrètement protéger pour ne pas prendre le
risque de voir un écrivain désormais mondialement connu assassiné chez lui. La France l’a
convié à s’exiler. Il a refusé tout net. « Ici, les
gens me protègent et je connais mes adversaires », veut-il croire. « Et puis, dit-il en souriant,
je serais moins en sécurité chez vous. »
Le 8 mars, une femme, juge au tribunal
d’Oran, a condamné à six mois de prison,
dont trois ferme, Abdelfattah Hamadache,
un imam presque inconnu mais soupçonné
d’être un indicateur pour les services secrets.
Il avait écrit en décembre 2014 sur sa page Facebook : « L’écrivain apostat, mécréant, algérien, sionisé, criminel, insulte Dieu. Nous appelons le système algérien à le condamner à
mort publiquement. » Trois jours avant cette
fatwa, Kamel Daoud avait été invité par Laurent Ruquier à « On n’est pas couché », sur
France 2, que les Algériens regardent grâce à
ces paraboles accrochées un peu partout aux
fenêtres des immeubles. L’écrivain algérien
n’avait fait qu’y redire ce qu’il écrit depuis
longtemps sur la religion – « ce mal du monde
arabe qui empêche d’avancer ». Mais le déclarer depuis la France, ce pays toujours soupçonné de vouloir rejouer la colonisation, c’est
tout autre chose.
LE SOUTIEN PUBLIC DE MANUEL VALLS
« Que Kamel dénonce de façon acerbe dans ses
chroniques le régime, les dérives salafistes ou
le conservatisme de la société, cela passe. Mais
qu’il critique l’Algérie à l’extérieur, cela ne
passe plus dans un pays où l’école et l’Etat ont
développé un patriotisme paranoïaque », regrette depuis Alger, au téléphone, Adlène
Meddi, rédacteur en chef de l’édition du
week-end d’El Watan. Le jour de la condamnation d’Abdelfattah Hamadache, cet ami de
Kamel Daoud a été le seul journaliste, avec le
correspondant de RFI, à se déplacer jusqu’au
tribunal. Le lendemain, l’imam salafiste affirmait : « Notre combat contre la France va continuer. » L’écrivain fait mine de s’en moquer.
« Etre un intellectuel et libéral, c’est être profrançais aux yeux de beaucoup d’Algériens »,
dit-il en haussant les épaules.
Dans ces conditions, le soutien public de
Manuel Valls est une difficulté supplémentaire. « Une catastrophe ! », a tranché son éditeur algérien, Sofiane Hadjadj lorsqu’il a appris que le premier ministre français envisageait de venir, jeudi 14 avril, à la cérémonie de
remise du prix Jean-Luc Lagardère du journaliste de l’année qui doit être décerné à Daoud,
à Paris. L’intéressé ne s’en émeut pas outre
mesure. Il a déjà dit à Manuel Valls ce qu’il
pensait des polémiques françaises sur l’islam, « qui en disent plus sur vos ruptures que
sur la réalité. Vous êtes obsédés par la radicalisation sur Internet, mais vous ne vous préoccupez pas des dizaines de chaînes religieuses
financées par l’Arabie saoudite qui déversent
leurs programmes chez vous ! »
La nuit tombe. Il flotte dans le petit groupe
comme une légère ivresse et l’écrivain a proposé d’aller dîner à la Villa Saint-Tropez, un
restaurant tenu par un Marseillais installé
depuis huit ans en Algérie. On parle de Houellebecq, qu’il admire. « J’aime d’abord son style.
Cette façon de raconter les détails de la vie. Et
puis, les gens sont choqués par Soumission ?
Mais c’est de la fiction, et la fiction a tous les
droits. » Il a croisé l’autre fois l’Algérois Boualem Sansal à… Saint-Malo. Sansal le soutient.
Lui aussi est vilipendé en Algérie. Pas tant
pour son livre d’anticipation 2084 (Gallimard, 2015), qui imagine le pays sous la férule
totalitaire d’un pouvoir religieux, que pour
cet appel à la paix signé en 2012 aux côtés de
l’écrivain israélien David Grossman. « Parfois,
mes détracteurs écrivent de moi : “Il fait son
Boualem Sansal.” Et je peux vous assurer que,
dans leur bouche, ce n’est pas un compliment », soupire-t-il. Il regrette encore de ne
pas avoir eu le Goncourt, attribué en 2014 à
Lydie Salvayre. « Vous imaginez ce que cela
aurait été dans les pays francophones ? Pour la
langue française ? », s’amuse-t-il rien qu’à
cette pensée. Il parle parfaitement l’arabe, au
point de superviser la traduction de son
Meursault. Mais le français reste pour lui « la
langue dans laquelle il a appris à être libre ».
Il a encore deux prochains romans à écrire,
dont il a l’idée depuis longtemps. Mais auparavant, il doit terminer le 30 avril sa chronique
hebdomadaire pour Le Point. Et rendre une
dernière tribune au New York Times. « Je crois
que je vais la faire sur le racisme », prévoit-il
déjà. Il l’écrira en moins d’une demi-heure. Il a
toujours écrit ses chroniques comme dans
l’urgence. Au Quotidien d’Oran, lorsqu’il avait
terminé de trousser en un quart d’heure un
petit chef-d’œuvre étincelant et flânait au nez
de confrères plus laborieux, Abdou Benabbou
venait gentiment le tancer : « Fais semblant
d’être plus lent ! » Mais sa discipline est le tir à
l’arc. « La chronique, c’est comme l’amour. Si on
ment, cela se voit », juge-t-il.
Les rues d’Oran sont parfaitement vides,
maintenant, alors qu’il n’est pas minuit.
Daoud rêverait de passer deux jours de liberté à Paris. Mais il ne peut quitter sa ville
plus de quelques semaines sans qu’elle lui
manque. « Moi aussi, comme Camus, je suis
pris entre deux cultures et cela ne me laisse
pas en paix », dit-il en souriant. Et puis,
comme par association d’idées, il lâche : « Je
ne veux pas porter une guerre sur mon dos. »
Juste au moment de se quitter. p
16 |
CULTURE
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
A L.A., l’art
taille XXL
« The Broad »,
une collection
parmi
les meilleures
ouvert depuis six mois, le musée créé par les collectionneurs Eli
et Edythe Broad connaît un succès remarquable : 400 000 visiteurs, des files d’attente canalisées par des barrières, des admissions toutes les demi-heures.
L’entrée est pour l’instant gratuite, mais se fait sur réservation,
et il semblerait que tout soit complet au moins jusqu’au mois de
mai. On en a presque mal pour le
Museum of Contemporary Art, situé presque en face, et qui paraît
du coup un peu déserté, ce qui est
bien dommage.
Il faut dire que « The Broad »,
comme on le nomme en toute
simplicité, a bénéficié d’une promotion inédite pour un musée :
la chanteuse britannique Adele y
a réalisé le clip de When We Were
Young, dans une salle conçue par
l’artiste Yayoi Kusama. Postée sur
Instagram, la vidéo a suscité plus
de 665 000 « like ». Résultat, une
étude, menée par le National Endowment for the Arts, montre
que la moyenne d’âge des visiteurs est inférieure de quatorze
ans à la moyenne nationale,
32 ans au lieu de 46 ans…
Les galeries aux dimensions
exceptionnelles se multiplient
dans la « cité des Anges »
REPORTAGE
los angeles
U
n hectare ! Pour un
champ de patates, ce
n’est pas mal, pour
une galerie d’art contemporain, c’est exceptionnel.
C’est la surface (10 498 m2 précisément) de la succursale inaugurée
le 13 mars à Los Angeles par les Zurichois Hauser & Wirth, qui
s’ajoute à leurs satellites de New
York et de Londres, sans oublier
une thébaïde dans la campagne
du Somerset.
Les espaces d’exposition proprement dits s’étendent sur plus
de 2 200 m2, auxquels sont adjoints une librairie (185 m2 seulement), un restaurant (ouverture
prévue cet été) et un jardin intérieur qui pourra accueillir des
sculptures. C’est d’ailleurs à ce
genre artistique que l’exposition
inaugurale est principalement dévolue, avec une particularité : elle
ne comporte que des femmes.
Autre caractéristique intéressante, s’agissant d’un espace
commercial : sur la centaine
d’œuvres, souvent monumentales, présentées ici, un quart a été
prêté par des musées, relève le Los
Angeles Times. Un mélange des
genres qui peut faire frémir sous
nos climats (en France, la chose
est interdite) mais qui est courante aux Etats-Unis et peut aussi
s’expliquer par la présence en ces
lieux d’un ancien conservateur
du Museum of Contemporary Art
de Los Angeles (MoCA), Paul
Schimmel, très respecté de ceux
qui furent autrefois ses pairs, tout
comme des artistes. Il est même
devenu vice-président de Hauser
& Wirth et, dans sa version californienne, l’esperluette de la galerie a été déplacée : elle se nomme
Hauser Wirth & Schimmel.
Exposer au pays
L’événement survient moins d’un
mois après une autre inauguration, le 23 février, celle des Berlinoises (originaires de Cologne, elles ont aussi une galerie à Londres) Monika Sprüth et Philomene Magers, qui exposent
actuellement une série remarquable d’une des stars de la Côte
ouest, John Baldessari.
L’espace est plus modeste, un
immeuble des années 1960 de
deux étages et 1 300 m2 (on allait
écrire : seulement !) mais idéalement situé sur le « Miracle Mile »,
juste en face du Los Angeles
County Museum of Arts, alors
que l’ancienne minoterie reconvertie par l’architecte vedette de
New York, Annabelle Selldorf,
pour Hauser Wirth & Schimmel,
se situe « downtown », un quartier peu fréquenté par la jet-set
(prononcez le mot « downtown
dans une soirée de Beverly Hills,
et vous verrez des dames se pâmer et les messieurs chercher
leur revolver). Nos confrères du
New York Times y ont relevé, à
quelques « blocks » de distance, la
présence du « plus grand campement de sans-abris » qu’ils aient
jamais vu dans une cité américaine. Ils auraient toutefois pu
aussi signaler qu’à quelques
autres « blocks », mais vers l’ouest,
on trouve sur Grand Avenue deux
musées, le MoCA et, depuis six
mois, le Broad Museum, créé par
un des plus grands collectionneurs des Etats-Unis, Eli Broad.
Los Angeles serait-elle un réservoir de milliardaires prêts à tout
pour acquérir de l’art contemporain ? Oui et non. Le salon Paris
Photo y a cru, et devait être suivi
par la FIAC parisienne, pour y
créer deux événements. Le premier s’y est cassé les dents, le second y a renoncé. Erreur de casting, disent les autochtones,
comme le galeriste Louis Stern,
installé là depuis vingt-huit ans,
qui pointe le fait que ces salons
avaient été confiés à des personnalités peu au fait des particularités de la région.
La vraie raison de l’ouverture de
tant de galeries sur la Côte ouest
tiendrait moins, selon les spécialistes, à l’existence d’un réel marché qu’à la présence en Californie
d’artistes très influents, car,
comme on dit là-bas, « bankable ». Ceux qu’on ne peut pas se
permettre de perdre à l’international et qui, installés dans la région, veulent aussi une représentation locale. C’est en tout cas
l’avis de The Art Newspaper, qui
cite un galeriste de L.A., Brian Butler, selon lequel 70 % des achats
sont faits ici par des collectionneurs venus d’ailleurs.
L’implantation de Hauser Wirth
& Schimmel et Sprüth Magers serait une conséquence de leur compétition directe pour assurer la représentation de ceux qui, comme
John Baldessari, Mark Bradford,
Barbara Kruger, Paul McCarthy ou
Sterling Ruby, sont des vedettes
du marché international, mais
veulent aussi exposer au pays : pas
question d’en laisser les bénéfices
à un marchand du coin. Et les artistes en question sont très impli-
« The Broad Museum » dispose de 4 600 m2 de surface d’exposition. ROBYN BECK/AFP
La vraie raison
de l’ouverture
de tant
de lieux
d’exposition
tiendrait moins
à l’existence
d’un réel marché
qu’à la présence
en Californie
d’artistes
très influents
qués dans le fonctionnement des
institutions de leur cité : mécontents des méthodes de l’ancien directeur du MoCA, Jeffrey Deitch –
celui-là même qui avait provoqué
la démission de Paul Schimmel –,
ils avaient claqué la porte collectivement, et bruyamment, du conseil d’administration.
A terme, c’est Deitch qui a fini
par partir. Ils sont aussi très liés
aux universités, UCLA, University
of Southern California (sans
oublier le très respecté California
Institute of the Arts), qui occupent
des quartiers entiers de la ville, où
beaucoup ont étudié, et où certains enseignent.
Des « superdonateurs »
Pour avoir une idée de leur influence en ces lieux, il suffit de
consulter la – longue – liste des
donateurs du Hammer Museum,
qui est associé à UCLA. Un des
plus petits, mais des plus agréables musées de la ville, envahi
qu’il est par les étudiants, utopiste
qu’il est à présenter la première
La galerie Hauser,
Wirth & Schimmel,
inaugurée le 13 mars,
s’étend sur 10 498 m2.
HWS
exposition jamais montrée en Californie d’un rêve d’artistes,
l’aventure du Black Mountain
College, le successeur américain
du Bauhaus. Parmi les bienfaiteurs du Hammer figurent quelques grands noms du marché de
l’art, comme Matthew Marks,
mais qui ne contribue que modestement : il est dans la tranche des
mécénats inférieurs à 25 000 dollars (22 000 euros).
De 25 000 à 50 000 dollars, on
trouve les noms de Barbara Gladstone, Blum and Poe, Maccarone,
mais aussi les maisons de ventes Christie’s et Sotheby’s. De
50 000 à 100 000 dollars, l’air et
les liquidités se raréfient, on n’y
relève que Larry Gagosian, le plus
grand marchand du monde, mais
aussi un enfant du pays. Toutefois, une galerie est au sommet
avec les « superdonateurs », ceux
qui ont dépensé entre 100 000 et
250 000 dollars. Il s’agit de Hauser
Wirth & Schimmel : devinez qui
veut être le roi de L.A. ! p
harry bellet
Démesure
Cela tombe bien, le lieu paraît fait
pour eux. Pas tant parce qu’il
jouxte le bidule improbable qu’a
construit Frank Gehry pour abriter le Walt Disney Concert Hall
que parce que, par contraste, il
semble tout doux et accueillant :
un voile de béton armé à la fibre
de verre, surface autoportante délicatement nervurée, qui lui aussi
cultive la démesure avec 4 600 m2
de surface d’exposition répartis
entre le rez-de-chaussée et le
deuxième étage, le premier étant
occupé par les bureaux et surtout
une impressionnante salle de réserve (2 000 m2). Celle-ci est inaccessible au public mais visible par
des fenêtres percées dans une très
ronde cage d’escalier.
A l’intérieur, une collection
parmi les meilleures du monde
(Eli Broad chasse peu ou prou sur
les mêmes terres que François Pinault) pour qui aime Jeff Koons
et Murakami, mais aussi Cindy
Sherman, Ellsworth Kelly – un ascenseur a été prévu spécialement pour une de ses œuvres, un
peu grande – ou le pop art, avec,
dans ce dernier cas, des œuvres
historiques. p
ha. b.
culture | 17
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Rollins, colosse
sentimental
A 85 ans, le saxophoniste publie
sa quatrième anthologie de concerts
H
JAZZ
olding the Stage
(Road Shows, Vol. 4)
est le nouvel album
de Sonny Rollins : un
carnet de route couvrant une
vingtaine d’années, une anthologie concertée. Avec des merveilles
(You’re Mine you), des haikaï élégiaques (Professor Paul) et le final
très attendu, un long Solo absolu
enchaînant sur Don’t Stop the Carnival, le calypso de Trinidad que
lui chantait sa mère.
Depuis le 20 novembre 2012
– date du dernier concert à Barcelone de sa dernière saison européenne –, le « Saxophone Colossus » n’est plus venu dans le Vieux
Monde. Décrochant son téléphone, dimanche 3 avril : « J’avais
le désir de revenir en Europe l’an
dernier. Mais ma respiration ne
me le permet pas encore… Je ne désespère pourtant pas de retrouver
bientôt tous mes moyens et de
pouvoir le faire. »
« Waow ! j’aurais “bonne voix”
dites-vous ? » L’expression le fait
rire d’un rire sonore : « Oui, je vous
en remercie, j’ai bonne voix. Dans
l’ensemble, je me sens bien. La
question, la seule question, c’est le
souffle. »
L’improvisation absolue
Qu’irait-il fabriquer en studio à
son âge ? « Lors de ma première entrée en studio, en 1948, avec Babs
Gonzales, puis, très vite, J. J. Johnson, Max Roach, Miles Davis, Thelonious Monk, on faisait deux prises et c’était dans la boîte. Sans la
moindre possibilité de doubler, reprendre, corriger ou effacer. Jamais je ne me suis senti si libre, si
peu inhibé. »
Puisque
l’âge
d’or
des
chefs-d’œuvre est bouclé, Sonny
Rollins a donc choisi la voie
étroite. Celle de l’improvisation
absolue en scène. Des récitals uniques en leur genre : quelques dates ; quelques lieux bien-aimés ; les
plus grands festivals ; des cérémonies avec un orchestre immuable
pour cadre sûr ; des sortes de fêtes
de l’énergie, de la fureur, de la joie
et de la sincérité… Une autobiographie musicale sans exemple.
Dans le choix effectué avec Richard Corsello, l’ingénieur de confiance, se succèdent une dizaine
de sélections. Ni ordre chronologique, encore moins thématique : de
Londres (2007) à Boston, quatre
jours après le 11 Septembre 2001,
en passant par Marseille, Pori (Finlande) ou Paris (souvenir ancien
de l’Olympia, en 1996). Le 11 septembre, il était à New York, pas loin
des Towers, avec sa précieuse Lucille. Il voulait annuler Boston.
C’est elle qui l’a poussé à jouer le
concert. Elle qui le guidait. Elle est
morte aussi, en 2004. Et rien n’est
plus comme avant.
« Vous savez, c’est très difficile
pour moi, de me réécouter, de procéder à ce tri et de trouver un sens.
Je suis face à des milliers de bandes.
Je dois tout supporter. Je le fais,
mais décider m’est réellement pénible. Je préfère tellement jouer ! »
On le sent à fond dans In a Sentimental Mood (Londres), composé
« C’est très
difficile pour moi,
de me réécouter,
de procéder
à ce tri et de
trouver un sens »
SONNY ROLLINS
Sonny Rollins, en 2008. OLIVIER MONGE/MYOP
et enregistré par Duke Ellington
en 1935. A la fin, orchestre muet,
Rollins le déplie, le tord dans tous
les sens, l’offre cubiste sous tous
ses angles, dans un stupéfiant
« stop-chorus ».
Lui, Sonny, il l’a gravé dès 1953
avec le Modern Jazz Quartet. Il y
revient toujours. En 1978, avec
McCoy Tyner, le pianiste de Coltrane, lequel l’avait superbement
enregistré avec Duke… Vous voulez savoir ce qu’est le « jazz », ce
mot un poil raciste dont aucun de
ces seigneurs ne veut ? Vous prenez toutes les versions possibles
de In a Sentimental Mood. Avec Internet, c’est facile. En prime, grâce
aux extraordinaires moyens modernes, le son est celui d’un canard sentimental.
« En scène, j’aime le rapport direct d’être humain à être humain.
J’aime m’adresser directement à
des personnes que je vois, là. Sans
répétitions, sans trafic, juste dans
l’art de la communication immédiate. » S’il y a une perte, entre le
sentiment de la scène et l’écoute ?
« Corsello est formidable. Il a un
goût très sûr. Cela dit, quand je réécoute, tout est complètement différent. Ce n’est jamais aussi parfait
que je le désire… »
« Vous savez que le désir de la
perfection est ce qui a mené l’humanité à sa perte : religions, totalitarismes, systèmes, tout le
prouve ?
– Je sais, oui, je sais. C’est en partie
ce qui m’a conduit à pratiquer le
bouddhisme et le yoga zen. Je sais,
mais je suis assez stupide pour rechercher encore et toujours la perfection : dans ma vie, dans l’envie
d’être une meilleure personne, dans
le souci de l’Autre, chaque jour…
– Vous pratiquez le ténor tous
les jours ?
– J’essaie, mais je ne peux plus.
Parfois, je manque de souffle.
– Comment pensez-vous à la
mort ?
– Sans m’en faire… La mort et la
vie sont une même chose… Mais j’y
pense. Rien de plus normal. Rappelez-vous ceci, l’esprit, lui, ne meurt
jamais. Le corps, sans doute, mais
ne vous bilez pas, l’esprit est là
pour l’éternité.
– Si je peux me permettre, c’est
un peu le corps qui joue le saxophone, non ?
– Dans ce monde, sans doute.
Mais l’esprit, on n’en a aucune idée,
telle est l’erreur que commettent
les gens.
– L’un de vos maîtres, Mr Coleman Hawkins, a changé le cours
de la Grande Musique noire avec
son interprétation en solo de
Body and Soul ?
– Voilà, c’est une histoire de soul,
d’âme si vous voulez, une histoire
de soul à jamais. Une histoire de
corps et âme… Vous comprenez
pourquoi jouer, vivre, c’est chercher à être toujours plus universel…
Vivre, jouer, avec générosité, donner… Se rapprocher de l’univers… Je
ne peux rien prouver, mais je sais
que c’est vrai. Tout tient dans une
belle et bonne vie. Tout dans le don
que vous faites aux gens. Vous,
n’ayez pas peur de la mort !
– Alors, Don’t Stop the Carnival,
please ! » p
francis marmande
Holding the Stage (Road Shows,
vol. 4), 1 album Okeh/Sony Music.
Une histoire vraie enin révélée
Un Rigoletto désincarné et sans âme
La nouvelle production du chef-d’œuvre de Verdi, présentée à Paris,
à l’Opéra Bastille, souffre d’une mise en scène qui cumule les poncifs
C’
LYRIQUE
était un événement attendu. Lundi 11 avril,
l’Opéra de Paris présentait une nouvelle production
de Rigoletto, le premier
chef-d’œuvre de la fameuse « trilogie populaire » de Verdi, avec Il
Trovatore et La Traviata. Si l’histoire tourne mal pour le bouffon
Rigoletto, elle commence plutôt
bien pour le public, qui voit
s’ouvrir sur scène une immense
boîte en carton, laquelle va contenir (et expédier) tout l’opéra.
L’autre bonne et immédiate
surprise est la qualité d’un orchestre encore dopé à l’EPO wagnérien des récents Maîtres
chanteurs. Sous la direction passionnelle du chef italien Nicola
Luisotti, elle ne fera que se confirmer au fil du drame verdien, qui
voit le bouffon dépossédé de son
seul amour, sa fille Gilda, et la
musique se renforcer d’une tension, d’un éclat et d’une expressivité que salueront les vivats
d’une ovation finale.
Il n’en va, hélas, pas de même
pour la mise en scène de Claus
Guth, dont la collection de poncifs et de déjà-vu laisse une impression de prématurément
vieilli. L’image convenue d’une
vidéo avec sa petite fille en robe
blanche qui court dans les
champs – elle se rapproche au fur
et à mesure que Rigoletto évoque
son amour dévorant pour Gilda,
puis s’éloigne quand il ne peut la
retenir dans la mort –, de même
la démultiplication des doubles
– Gilda en ballerines gigognes
qui danse sur la pyramide des
âges, Rigoletto et son vis-à-vis
clochardisé,
l’ombre
d’un
homme détruit qui ressasse à
l’envi son traumatisme…
Le talent reconnu du metteur
en scène allemand Claus Guth
laissait présager d’autres aventures que ces chœurs traités
comme des caricatures de musichall (mais superbes vocalement),
ces chorégraphies pseudo-naturalistes, cette direction d’acteurs
sans relief.
Manque de sueur, de larmes
Sur le plan vocal, même défaut
d’incarnation. La Gilda d’Olga Peretyatko possède une technique
superlative et un timbre fruité
(plutôt très concentré en vitamines), mais jamais l’émotion ne
surgit dans le fameux « Caro
nome » qu’elle développe en légiste assermentée de la vocalité.
Guère de charme pour le Duc de
Mantoue un rien factice de Michael Fabiano, qui promène ses
aigus et sa morgue avec une décontraction stylistique que ne
traduit pas toujours une ligne de
chant au soutien parfois fléchissant, doublé d’une tendance à détimbrer (à moins que ce ne soit
voulu). Peu à dire de sa « La
Donna è mobile », morceau de
bravoure joliment entonné avec
la bandaison sans panache d’un
Don Juan à la retraite (la reprise
de l’air en coulisse après le meurtre de Gilda semblera se prévaloir
de couleurs plus « italiennes » et
d’un legato plus « pressant »).
Pour être en possession d’un
émouvant baryton aux belles
teintes semi-voilées, le Rigoletto
de Quinn Kelsey manquera, lui,
de sueur, de larmes et de sang
– en bref de puissance vocale et
dramaturgique. Sa défaite ultime
nous laissera spectateur. Rien à
reprocher, en revanche, aux seconds rôles : la sensuelle Maddalena de Vesselina Kasarova (en
maîtresse fétichiste), le glaçant
Sparafucile de Rafal Siwek, tueur
à gages aussi tranchant que sa
lame, le Marullo acerbe de Michal Partyka, bras armé de la vengeance sociale. p
marie-aude roux
Rigoletto, de Giuseppe Verdi.
Claus Guth (mise en scène),
Teresa Rotemberg (chorégraphie),
Orchestre et Chœurs de l’Opéra
national de Paris, Nicola Luisotti
(direction). Opéra Bastille, Paris 12e.
Jusqu’au 30 mai. De 15 € à 231 €.
Operadeparis.fr
Diffusion en direct,
dans les cinémas UGC, le 26 avril,
sur France Musique, le 28 mai,
à 19 h 08, disponible sur
Culturebox, à partir du 27 avril.
© Zero One ilm GmbH
actuellement
www.arpselection.com
www.lecinemaquejaime.com
18 | culture
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Heureux comme un Français à Naples
Sylvain Bellenger entend dynamiser le Musée Capodimonte, qu’il dirige avec ferveur depuis 2015
ART
F
rome - correspondant
inalement, il a bien fait de
ne pas écouter ses convictions. « J’ai toujours dit
qu’il faut vivre en Italie
mais ne pas y travailler. »
Aujourd’hui, Sylvain Bellenger,
60 ans, directeur du Musée Capodimonte, à Naples, vit, travaille et
paraît particulièrement ravi de
son sort en Italie. Nommé au mois
d’août 2015, nous l’avions rencontré dans un salon du ministère de
la culture à Rome, le 15 septembre,
où, en compagnie de vingt nouveaux directeurs, dont six autres
étrangers, il était censé symboliser
« la révolution culturelle » voulue
par le gouvernement. Après un appel à candidatures international,
celui-ci avait décidé de confier la
gestion des plus importants musées péninsulaires à des personnalités alliant un solide bagage d’historien de l’art à une réputation de
manageur, afin de concilier la conservation des œuvres et leur valorisation. « Une humiliation pour
l’Italie », avait titré un journal se
faisant le porte-parole de la frustration de fonctionnaires italiens.
Sept mois plus tard, Sylvain Bellenger a oublié cet accueil frisquet.
Le jour de sa prise de fonctions, il a
trouvé sur son bureau une boîte de
chocolats offerte par le personnel
avec ces mots : « Benvenuto direttore. » « Etre français est un avantage. Nous avons une bonne réputation de gestionnaires et je ne peux
pas être soupçonné d’avoir profité
d’un passe-droit pour obtenir mon
poste. Un Italien du Nord aurait eu
plus de difficultés à s’imposer à Naples », dit-il. Oubliés les polémiques et les propos venimeux de
ceux qui s’étonnaient qu’il n’ait dirigé que « des musées de province »
en France (Montargis et Blois) ou
« sans rapport avec la haute tradition picturale italienne » (Cleveland
et Chicago). A l’un de ses détracteurs, Sylvain Bellenger a répondu : « Je suis normand, né à Valognes, et les Normands étaient à
Naples bien avant les Italiens. » Depuis, on le laisse tranquille.
Sa feuille de route est simple :
faire de Capodimonte – ancienne
résidence des Bourbons construite à partir de 1738, puis du
prince Murat et enfin des ducs de
Savoie −, situé à l’entrée d’un parc
de 120 hectares, un des musées les
plus courus d’Italie. En 2015,
150 000 visiteurs sont venus se
confronter aux trois étages de collections, dont la célèbre collection
Farnèse, où les Titien, les Masaccio,
les Bellini côtoient les Caravage,
qui voisinent eux-mêmes avec des
dessins de Michel-Ange. Sans
oublier les sections d’art napolitain et d’art contemporain, où
trône une flamboyante version du
Vésuve par Andy Warhol. « Il faudrait arriver à un million », lâchet-il sans paraître intimidé. Pourtant, cet objectif paraît inatteignable : il faut descendre à la 21e place
pour trouver la trace d’un musée
italien parmi les établissements
les plus fréquentés du monde – celui des Offices, à Florence, avec
1,7 million de visiteurs par an. Son
mandat de quatre ans, ses 200 employés et un budget (hors salaires
et entretien) de 3 millions d’euros
suffiront-ils à Sylvain Bellenger
pour atteindre cet Everest ?
Ouverture sur la ville et le monde
Le premier des travaux du nouveau directeur est de faire connaître le musée aux Napolitains euxmêmes. A l’entrée du parc très fréquenté, il n’y a même pas un panneau qui signale sa présence. Il a
fait tailler les arbres qui cachaient
la vue sur le golfe. Dans quelques
jours, une navette partira du centre-ville pour porter les touristes
jusqu’à Capodimonte. Des négociations sont en bonne voie avec
les croisiéristes – qui, chaque année, déposent des milliers de voyageurs sur les quais du port – pour
inscrire la visite du musée à leur
programme. Fort de ses contacts
américains, Sylvain Bellenger veut
également faire de son établissement un centre de recherche sur la
« culture des grands ports », en association
avec
l’université
du Texas, afin d’offrir 12 bourses
d’études à des chercheurs internationaux. Egalement en projet, une
exposition autour de Vermeer et
une autre sur le court séjour de
Picasso à Naples.
« Capodimonte
est un mélange
de la Villa
Médicis et de
Central Park »
SYLVAIN BELLENGER
directeur du Musée
Capodimonte à Naples
« J’ai trouvé une équipe remarquable, se félicite Sylvain Bellenger. Très bien formée et compétente. Seul problème : il n’y avait ni
organigramme ni salle de réunion.
C’est un mode de fonctionnement
très italien. » Après avoir importé
un modèle d’organisation plus rationnel, il voudrait rendre le musée, structuré en grandes sections
chronologiques, plus pédagogique, tourné vers le grand public.
Les cartels des salles et des œuvres
devraient prochainement porter
la marque de ce changement. Et
puis il y a le parc et ses 17 dépendances : une fabrique de porcelaine, une chèvrerie, un ermitage,
dans lequel il voudrait accueillir
une école d’horticulture. Mais il y a
un « mais » : l’administration italienne, tentaculaire, tatillonne, tarabiscotée, qui épuise les meilleures volontés. « Aux Etats-Unis, une
fois un projet accepté, toute la machine administrative se met à votre
service. Ici, l’administration est une
classe à part, autoréférentielle, qui
a toujours raison, même contre les
faits, qui se protège », regrette Sylvain Bellenger. On devine qu’il
commence à souffrir…
Sylvain Bellenger, à Naples, en avril. MICHELA PALERMO POUR « LE MONDE »
Pas de deux raté de Jan Fabre en Grèce
Michel Houellebecq expose
son bulletin de santé
C
omment se porte Michel Houellebecq ? Malgré son visage creusé, sa
bouche édentée et son teint décrépi, il
pète la forme. C’est le docteur Henry Perschak,
de la clinique privée Hirslanden de Zurich, qui
l’assure. « Il sait, comme tous les grands fumeurs, qu’il joue à la roulette russe, mais bon,
tout va bien », ajoute le médecin. Le bilan de
santé de l’écrivain controversé n’a, a priori,
pas lieu d’être rendu public. Sauf que l’intéressé a décidé de faire de son check-up une
« installation artistique » qu’il présentera
dans le cadre de la biennale européenne Manifesta, du 11 juin au 18 septembre à Zurich, à
la même période que son exposition personnelle au Palais de Tokyo, à Paris, cet été.
« Un ping-pong au ralenti »
L’auteur français avait d’abord été invité à
écrire un texte dans le catalogue de Manifesta.
Le courant entre lui, l’artiste et le commissaire
Christian Jankowski est si bien passé que ce
dernier l’a invité à participer à l’événement en
qualité d’artiste. Pour cela, il s’est plié au protocole imaginé par le curateur, à savoir collaborer
avec un professionnel d’un champ différent du
sien. « Il a su très vite ce qu’il voulait, raconte
Georgina Casparis, membre de l’équipe curatoriale. Pour lui, une clinique privée helvétique
était aussi énigmatique qu’une banque suisse. »
Inversement, pour le médecin zurichois,
Houellebecq avait tout d’une énigme. « J’avais
lu des choses sur lui, mais il est loin de l’enfant
terrible qu’on décrit dans la presse, rapporte
Henry Perschak, qui l’a gracieusement examiné. Discuter avec lui, c’était comme faire un
ping-pong au ralenti : il met du temps à répon-
Patience et revanche
« Naples vaut bien que l’on souffre
pour elle », dit-il, philosophe et patient. C’est ici qu’il avait, en 2008,
choisi de résider pendant une année entière pour amortir sa déception de ne pas avoir été choisi pour
diriger l’Académie de France à
Rome (Frédéric Mitterrand lui fut
préféré). Aujourd’hui, il tient sa revanche et son morceau d’Italie :
« Capodimonte est un mélange de
la Villa Médicis et de Central Park. »
Reste à le faire savoir. p
philippe ridet
Nommé en février curateur du Festival international d’Athènes
et d’Epidaure, le Belge a été contraint de démissionner
dre, parle calmement, de manière posée. Il est
sarcastique, je n’irai pas jusqu’à dire cynique, et
quand il rit, il me fait penser à Puck, le farfadet
du Songe d’une nuit d’été. »
En trois rencontres, l’affaire était pliée. « La
première fois, je lui ai demandé : “Allons-nous
parler d’art ?” En fait non, lui voulait parler médecine, poursuit le généraliste. C’est un sujet qui
le fascine. Il m’a dit qu’il aurait voulu être médecin. » Lors de leur premier
tête-à-tête, l’auteur de Sou« CE QUI
mission (Flammarion, 2015)
lui présente l’IRM de son
L’INTÉRESSE,
cerveau ainsi qu’une angioC’EST LE FLUX
graphie récente. A priori
rien à signaler. Suivront
DU SANG,
deux autres rendez-vous où
le praticien pousse plus loin
LES BATTEMENTS
les examens. « Ce qui intéDU CŒUR »
resse Michel Houellebecq,
c’est le système sanguin, le
HENRY PERSCHAK
flux du sang, les battements
médecin
du cœur, confie-t-il. Il était
fasciné par le son du doppler,
qu’il a enregistré pendant plusieurs minutes. »
D’aucuns verront dans l’étalage de ses résultats médicaux une énième preuve du narcissisme d’un auteur qui, après avoir semé le
trouble dans les cercles littéraires, s’attaque à
une sphère artistique qu’il avait passablement égratignée dans son livre La Carte et le
Territoire (Flammarion, 2010). « Exhibitionniste ? Je ne suis pas sûr, tempère Henry Perschak. Il a eu des moments de doute. Je ne crois
pas qu’il aurait montré les résultats s’il avait
été malade. » p
roxana azimi
DANSE
athènes – correspondance
L’
affaire Jan Fabre », comme
on l’appelle désormais en
Grèce, laisse un goût
amer, le sentiment d’un rendezvous raté. Le 10 février, à la surprise générale, l’artiste belge est
nommé par le ministre de la culture grec, Aristide Baltas, curateur
du Festival international d’Athènes et d’Epidaure, qui existe depuis plus de soixante ans. Ce dernier est le principal pourvoyeur de
subventions et d’emplois pour des
artistes grecs malmenés par la
crise économique. On promet
alors à Fabre un budget annuel de
5 millions d’euros et une « carte
blanche » sur ses choix artistiques.
Il a fallu faire vite. Un mois et
demi plus tôt, Georges Loukos,
président depuis 2006 du festival,
qu’il avait entrepris de réformer, a
été limogé, accusé d’avoir mal géré
les finances et entraîné des pertes
de 2,7 millions d’euros. Il ne restait
que quelques mois avant le début
du festival, en juin. Aristide Baltas
espère alors, en choisissant Jan Fabre, élargir le profil international
du festival. Echaudée par le licenciement brutal de Loukos, mais curieuse de l’animal artistique qu’est
Fabre, innovateur et provocateur,
la scène culturelle grecque attend
l’annonce de la programmation.
C’est la stupeur. Lors d’une conférence sur invitation, accompagné
du ministre grec de la culture et
entouré de son staff, exclusivement flamand, Fabre dévoile son
programme. Des spectacles 100 %
belges la première année, avec Fabre lui-même à Epidaure. Et puis
du Fabre en 2017, en 2018, en 2019…
Pas ou peu d’artistes grecs. Jan Fabre prévoit de les former aux subtilités de la création belge dans une
académie pour jeunes artistes.
Une condescendance qui blesse.
« Relents colonialistes »
L’écrivaine Mari-Mai Corbel, qui
vit et travaille en Grèce, écrit
alors : « Jan Fabre, par son ignorance de la situation grecque, n’a
pas mesuré ce que son projet pouvait avoir de relents colonialistes
nauséabonds dans le contexte politique et historique grec. » Le
1er avril, près de 500 artistes se
réunissent au théâtre Sfendoni
d’Athènes. Ils déclarent Jan Fabre
persona non grata et demandent
sa démission ainsi que celle de ses
collaborateurs. Ils exigent aussi le
départ du ministre de la culture.
Le lendemain, Fabre démissionne
et dénonce, amer, « un milieu artistique hostile ». Trois jours plus
tard, en catastrophe, le metteur
en scène grec Vangelis Theodoropoulos est nommé nouveau curateur du festival. Fin de l’acte I.
Mais la blessure est profonde. Jan
Fabre répond le 8 avril, dans une
lettre ouverte aux artistes grecs.
« Si vous invitez un artiste multidisciplinaire à devenir le curateur d’un
festival, ne vous attendez-vous pas
à ce qu’il présente son univers ? »,
plaide-t-il. Quant à la question de
la sous-représentation de la création grecque, Jan Fabre souligne
qu’étant conscient, avec son
équipe, de leur « méconnaissance »
de la scène artistique nationale, il a
fait le choix d’opérer une sélection
internationale pour la première
année. Mais, dit-il, « nous avons demandé qu’un curateur artistique
grec soit engagé pour sélectionner
les créations grecques pour 2016
(…), ce qui a été rejeté par le conseil
d’administration du festival ».
L’affaire Jan Fabre continue de
susciter la polémique en Grèce,
puisque, désormais, ce sont les
dessous des nominations à divers
étages du festival qui font débat. A
trois mois d’ouvrir ses portes, celui-ci fonctionne en roue libre. p
adéa guillot
télévisions | 19
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Luz Long et Jesse Owens, amis envers et contre tout
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Aux Jeux de Berlin, en 1936, les deux champions, l’un blanc allemand, l’autre noir américain, vont défier le régime nazi
PLANÈTE +
JEUDI 14 – 20 H 45
DOCUMENTAIRE
C’
est une simple photo
en noir et blanc. L’un
des rares documents
encore visibles d’un
événement étonnant survenu le
4 août 1936 à Berlin. Les Jeux olympiques, organisés depuis le 1er août
par le pouvoir national-socialiste,
se déroulent parfaitement après
que les rues de Berlin ont été débarrassées des affiches antisémites pour ne pas effrayer les touristes venus du monde entier. Dans
un stade rempli, deux hommes, allongés par terre, fixent en souriant
les objectifs, après leurs essais respectifs en saut en longueur. Image
banale de deux athlètes après l’effort ? Bien plus que cela.
L’un est noir américain, l’autre
blond aux yeux bleus, citoyen du
Reich et fier de l’être. Jesse Owens
et Luz Long, immenses champions, s’admirent mutuellement
et ne s’en cachent pas. Une proximité qui, à Berlin, en 1936, sous les
yeux du Führer et d’un aréopage
de dirigeants nazis installés dans
la tribune officielle, ne passe pas
inaperçue. Si Hitler a refusé de serrer la main du champion noir, le
documentaire rappelle que Roosevelt ne recevra pas à la Maison
Blanche le futur quadruple médaillé d’or de Berlin. A quelques
Luz Long et Jesse Owens, le 4 août 1936, à Berlin. LA CUISINE AUX IMAGES PRODUCTIONS
jours d’une élection dans les Etats
du Sud, cela aurait pu lui coûter de
précieux votes…
Un outil de propagande
Ce documentaire, riche en archives et témoignages, revient sur
cette amitié entre deux champions que le vent de l’Histoire
aurait pu emporter. Mais, au-delà
du symbole, l’intérêt est de remet-
tre en perspective ce qu’a été la
préparation des athlètes américains et allemands avant ces Jeux,
de détailler l’ambiance qui régnait à Berlin pendant l’événement et de rappeler que les 18 athlètes noirs américains sélectionnés avaient droit à un régime spécial : les Blancs d’un côté, les Noirs
de l’autre. D’où l’étrange paradoxe
qui voit Jesse Owens, victime du
racisme depuis sa naissance, découvrir la tolérance dans les rues
de Berlin, où la foule acclame l’immense champion qu’il est ! Et au
village olympique, dans la banlieue berlinoise, tous les athlètes
– noirs, blancs ou métis – sont
mélangés. Pour Jesse Owens, c’est
une révélation.
Agé de 22 ans, il est déjà un
champion exceptionnel. Ses ex-
ploits dans plusieurs disciplines
(100 mètres, 200 mètres, saut en
longueur) lui ont permis de devenir le premier Afro-Américain à
faire la « une » de la presse américaine en 1935. Elégant, souriant,
l’homme est un bon client pour
les médias. Le petit-fils d’esclave
est devenu un athlète sortant de
l’ordinaire à Cleveland (Ohio), où
sa famille, qui fuit la misère du
sud des Etats-Unis, s’est installée.
De l’autre côté de l’Atlantique,
Luz Long est son contraire : issu
d’une famille bourgeoise de Leipzig, en Saxe, il vit dans un manoir,
où ses performances sportives lui
permettent, à 16 ans, d’intégrer le
célèbre Leipzig Sport Club. Très
vite, il deviendra un athlète adulé,
dans un pays où le nouveau régime utilise le sport comme un efficace outil de propagande.
En ce 4 août, les deux champions
vont discuter amicalement avant
les dernières épreuves de saut en
longueur. Lors du dernier essai,
Owens pulvérise tous les records
avec 8,06 mètres. Le premier à lui
tomber dans les bras est Luz Long.
L’Allemand mourra au combat, en
Sicile, à l’âge de 30 ans. L’Américain
évoquera son ami berlinois jusqu’à la fin de sa vie, en 1980. p
Jesse Owens et Luz Long, le temps
d’une étreinte, de Véronique
Lhorme (France, 2015, 50 min).
David Muntaner prend la ville allemande pour cadre pour relater l’impitoyable affrontement entre la CIA et le KGB
L
es ambitions des Etats-Unis
et de l’Union soviétique
étaient trop universelles
pour être conciliables. Lénine
l’avait dit : « Ce sera eux ou nous. »
Après la capitulation de l’Allemagne nazie, le 8 mai 1945, la guerre
froide prend le pas sur l’alliance
entre Américains et Soviétiques.
Pendant près de quarante-cinq
ans, de l’Iran au Vietnam en passant par l’Angola, se jouera une
guerre entre les services secrets
des deux superpuissances.
David Muntaner, réalisateur de
ce « Duel », a fait le choix judicieux
d’en fixer l’intrigue à Berlin. Des
anciens espions de la CIA, du KGB
et du service est-allemand, la Stasi,
retracent l’histoire des opérations
d’espionnage et d’intoxication
menées de part et d’autre.
En 1945, les Soviétiques ont une
longueur d’avance. Dès 1917, ils se
sont dotés d’un service de renseignement, la Tchéka, qui deviendra
le KGB en 1954. Si les Américains
ont mis sur pied un bureau de ren-
seignement entre 1942 et 1945
(l’OSS), il faut attendre 1947 pour
que soit créée une agence centralisée, la CIA.
Un tunnel sous Berlin
Peter Sichel, patron de la CIA à Berlin, raconte comment ses renseignements ont permis d’organiser,
entre juin 1948 et mai 1949, le plus
grand pont aérien de l’histoire.
Pendant le blocus de Berlin imposé par les Soviétiques, près de
280 000 vols permettent d’acheminer plus de deux millions de
tonnes de fret.
Le KGB se montre plus redoutable dans le contre-espionnage.
En 1954, le triple agent George
Blake lui révèle l’existence d’un
tunnel creusé sous Berlin par la
CIA pour écouter ses conversations téléphoniques. La Loubianka
(siège du KGB) bénéficie également des renseignements de
l’agent secret est-allemand Günter
Guillaume, infiltré au sein du cabinet du chancelier ouest-allemand
Willy Brandt et démasqué en 1974.
Mais en 1983, les Américains lancent l’initiative de défense stratégique, dite « guerre des étoiles ».
TF1
20.55 Falco
Série créée par Clothilde Jamin.
Avec Sagamore Stévenin, Clément
Manuel, Anne Caillon
(Fr., saison 4, ép. 3 et 4/8).
23.05 New York, unité spéciale
Série créée par Dick Wolf.
Avec Christopher Meloni, Mariska
Hargitay (EU, S10, ép. 11/22).
France 2
20.15 Dialogue citoyen
avec François Hollande
En direct du Musée de l’Homme
à Paris. Animé par David Pujadas,
Léa Salamé et Karim Rissouli.
22.25 Un œil sur la planète
« Afrique, le pari de la réussite ».
Magazine présenté par Samah Soula.
France 3
20.55 The Missing
Mini-série créée par Jack Williams
et Harry Williams. Avec James
Nesbitt, Frances O’connor
(GB, S1, ép. 1 et 2/8, 2 × 55 min).
23.35 La France
des grands patrons
Documentaire de Laurent Jaoui
(Fr., 2014, 75 min).
alain constant
Berlin, un nid d’espions en pleine guerre froide
FRANCE 5
JEUDI 14 – 22 H 20
DOCUMENTAIRE
J E UD I 14 AVR IL
L’URSS vacille. Les dirigeants soviétiques sont persuadés que l’affrontement nucléaire est imminent, lorsque l’OTAN amorce de
grandes manœuvres militaires en
novembre 1983. Le KGB intervient
pour éviter le pire. A Berlin-Ouest,
du haut de la « montagne du diable », station d’écoute haute de
120 mètres, les Américains savent
alors que la victoire est proche. p
antoine flandrin
KGB-CIA, au corps-à-corps,
de David Muntaner et Philippe
Levasseur (Fr., 2015, 52 min).
Canal+
21.00 The Affair
Série. Avec Dominic West, Ruth
Wilson (EU, S2, ép. 9 et 10/12).
22.55 L’Emission d’Antoine
Animé par Antoine de Caunes.
France 5
20.50 La Grande Librairie
Magazine animé par François Busnel.
22.20 Duels
« KGB-CIA, au corps-à-corps ».
Documentaire de David Muntaner
(Fr., 2015, 52 min).
Arte
20.55 Our Girl,
Molly une femme au combat
Série. Avec Lacey Turner, Kerry
Godliman, Sean Gallagher
(GB, S1, ép. 5 à 7/7, 3 × 45 min).
23.40 Solness le constructeur
Téléfilm de Michael Klette. Thomas
Serbacher, Julia Schacht
(All., 2015, 105 min).
M6
20.55 Scorpion
Série. Avec Elyes Gabel, Katharine
McPhee, Alana De La Garza
(EU, S2, ép. 8/24 ; S1, ép. 5 à 8/22).
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 16 - 089
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
I. Met tout le monde aux pas. II. Un
bon coup pour les bons descendeurs.
Morceau d’intestin grêle. III. Grande
page d’histoire. Ses pointes sont souvent mordantes. IV. Interdit sur les
lots et sur la toile. Luth à trois cordes.
V. Victime d’un coup de soleil. Criai
comme un porteur de bois. VI. Entretient la confusion. Personnel. Région.
VII. Belle saison. Blesser en venant de
la droite. Le temps de faire un tour.
VIII. Pour tirer droit. Savait choisir ses
robes avec soin. Epuise totalement.
IX. Crevant. Violente ou amusante,
elle se moque. X. Arrachements au
bloc.
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
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de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
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Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60
SUDOKU
N°16-089
VERTICALEMENT
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 088
HORIZONTALEMENT I. Virilisation. II. En-avant. Alma. III. Rh. Optes. Oit.
IV. Tamiserait. V. Uber. Remiser. VI. GI. Enjeu. Ne. VII. Ale. OE. Orel.
VIII. Détention. Il. IX. Itou. Elucide. X. Nectarifères.
VERTICALEMENT 1. Vertugadin. 2. Inhabileté. 3. Râ. Me. Etoc. 4. Ivoire.
Eut. 5. Laps. Non. 6. Interjeter. 7. Stérée. Ili. 8. Samu. Ouf. 9. Ta. Ii. Once.
10. Ilots. Ir. 11. OMI. Enéide. 12. Naturelles.
1. Plate mais toujours bien grasse.
2. Gagne-petit au jeu et en afaires.
3. Alimente le vannier. Finit sa course
à Gravelines. 4. En rade. Espace de
culture. Fin hollywoodienne. 5. Fait
paraître. Ça barde pour lui. 6. S’occupa des problèmes. Divise le yen.
7. Font peur aux enfants. Structure
d’entreprise. 8. Arrivée en premier. Sa
grâce ne dure qu’un temps. 9. Facile à
prendre quand il est mauvais. Ecrasé.
10. Sœur de Zeus, restée vierge.
Grande en Amérique. 11. La plus petite chez les Grecs. Marque de passage. 12. Du genre gonlantes.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
hors-sé
ÊTRE FRANÇAIS
rie
Êtreais
franç
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Les grands Edgar Morin
uieu à
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Les no
60 auteurs
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LES GRANDS TEXTES
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Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
20 |
styles
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
les flashs d’anne valérie hash
Toute en nonchalance
et en mélange de styles, la créatrice
a su devancer l’air du temps.
Une exposition à Calais retrace
treize ans de travail
I
MODE
l n’y a pas si longtemps, Anne Valérie Hash présentait ses collections chez elle, dans cet ancien
restaurant du boulevard BonneNouvelle, le Marguery, tout en miroirs
et dorures, où Zola faisait des lectures.
Rare femme à prendre part aux défilés
haute couture, elle a, au début des années 2000 et pendant treize ans, occupé une place à part. Travailleuse
acharnée, souriante et disponible,
aussi concentrée que chaleureuse,
couturière hors pair qui dessine ses
silhouettes à l’aiguille plus qu’au
crayon, fine connaisseuse des textiles
et de la technique tailleur, elle dégage
une joie bienfaisante et reste indéfectiblement optimiste, même quand
elle a dû annoncer qu’elle stoppait l’activité de sa maison en décembre 2013.
« Mon défilé de septembre 2013 s’intitulait “Pause”, car je savais que j’allais
en faire une. Je n’avais pas réussi à trouver mon binôme business, et je voulais
m’occuper de moi et de ma famille. Il
n’y a pas beaucoup de femmes indépendantes dans ce métier, avec deux
filles et un mari qui travaille à Rungis…
Je devais assumer quatre défilés de
prêt-à-porter par an et une ligne enfant. Il fallait que je digère aussi la vitesse à laquelle allaient désormais les
choses, avec Internet notamment. Plutôt que de risquer d’abîmer la marque,
je me suis dit que je reprendrais quand
l’énergie serait à nouveau là. »
Entre janvier et mai 2014, elle se met
à prendre en photo toutes ses archives et à faire des « boîtes » sur le
cloud : un look sur Stockman, les
photos de presse ou de pub qui l’accompagnent, le film du défilé. Tout
est bien rangé, uniquement à usage
personnel, pour clore l’histoire le
plus proprement possible.
Elle entre alors en relation avec Sylvie Marot, via LinkedIn, pour peaufiner l’archivage. La spécialiste des patrimoines de mode voit tout de suite
le potentiel de ce petit trésor et
pense à en tirer une exposition (dont
elle a assuré le commissariat et la direction éditoriale). « J’avais peur que
ce ne soit pas compris, et aussi peur
de présenter quelque chose alors que
je n’avais rien à vendre sauf le livre de
l’expo ! », raconte Anne Valérie Hash
qui, depuis l’arrêt de sa marque, a assuré la direction artistique de Comptoir des cotonniers entre juin 2014 et
décembre 2015 (sa dernière collec-
Blouse d’organza
à manches
soufflées plissées,
haute couture
hiver 2008,
Anne Valérie
Hash.
FABRICE LAROCHE
tion pour l’enseigne arrivera en boutique cet automne).
Voir son travail avec quelques années de recul le replace étonnamment
au cœur des enjeux stylistiques actuels : le masculin-féminin, les volumes chahutés qui arrêtent l’œil et interrogent le bon goût, l’« upcycling »,
l’idée d’un luxe cool. L’exposition nichée dans l’aile moderne de la Cité internationale de la dentelle et de la
mode, à Calais, échappe à l’exercice patrimonial empesé. La scénographie
fait passer le visiteur de la lumière des
émouvantes toiles de haute couture à
l’ombre des « caissons-vitrines » noirs
(sans verre pour réduire la distance
entre le vêtement et le visiteur).
Une robe en 162 morceaux
Sur les cartels, la description des pièces indique le nombre de « morceaux » de tissu nécessaires à leur
composition. Pour exemple, cette
robe origami en compression de tulle
de soie plissée, vingt-sept morceaux
et six épaisseurs, donc 162 morceaux.
Les textes précis et bien troussés de
Sylvie Marot valent la peine d’être
tous lus, et les vidéos patiemment regardées. Les photos de Fabrice Laro-
che et Michelangelo di Battista dégagent quant à elles une grâce sans nostalgie. Elles montrent aussi combien
il faut voir ces vêtements portés pour
que leur complexité structurelle et
leur nature masculine n’étouffent
pas la sensualité et la féminité
qu’Anne Valérie Hash fait jaillir des
pantalons et vestes de costume,
transformés en robe, en « chemise
renversée » ou en « jumpsuit ».
Quand elle défilait, Anne Valérie
Hash ne faisait pas partie des branchés. Elle n’était sûrement pas assez
snob. Pourtant, si les vestiaires pouvaient parler, on aimerait entendre
aujourd’hui ce que dirait le sien à ceux
de Jacquemus, de Demna Gvasalia
pour Balenciaga, de Marques’Almeida
ou de Koché… Cette exposition-témoignage est intéressante, voire nécessaire. Sans elle, qui entendrait encore la voix si personnelle d’Anne Valérie Hash ? Qui percevrait cette rage
mise dans la décomposition des vêtements (treillis acheté aux puces, déguisement de clown pour enfant, sarouel rapporté du Maroc, costume
d’homme, robe de baptême…), et
cette liberté folle dans la recréation de
pièces qui tournent, vrillent, flottent,
VOIR SON TRAVAIL
AVEC QUELQUES ANNÉES
DE RECUL LE REPLACE
ÉTONNAMMENT
AU CŒUR
DES ENJEUX STYLISTIQUES
ACTUELS
dégueulent ? Qui apprécierait le soin
qu’elle pouvait mettre à soigner le dos
de ses tenues alors que tout le monde
lui disait « laisse tomber, on s’en fout
du derrière, on ne shoote que l’avant » ?
Au fil du parcours, les plissés de Lognon jouxtent la passementerie-broderie d’Annette Gabelle, le tissu le plus
léger du monde (5 grammes le mètre)
voisine avec un tissu de sport recouvert de dentelle. Dentelle omniprésente chez Anne Valérie Hash, qui la
poussait souvent dans les derniers retranchements de sa délicatesse en la
confrontant aux étoffes masculines
ou en lui accrochant un gros zip, dans
un équilibre magique et précaire.
A 43 ans, la créatrice, qui avait repéré
Lou Lesage dans la rue quand elle était
enfant et avait fait d’elle sa muse, son
modèle, sa partenaire de jeu, est loin
d’avoir réalisé toutes ses envies. La
dernière : trouver une riche collectionneuse qui, régulièrement, achèterait les cent vêtements ou accessoires
de mode repérés sur les podiums et
qui lui auraient « remué le cœur ».
Elle énumère avec gourmandise :
« Il y aurait, rien que sur la saison dernière, du Vetements, du Comme des
garçons, du Loewe… En taille 36, 38,
40. Et moi, dans cinq ans, j’ouvre une
boutique à l’opposé d’une logique
“vintage et pièce unique”, mais en considérant le vêtement comme du vin
qui se bonifie et peut mieux se comprendre avec le temps. » Dans cette
boutique idéale, sa couture de l’hiver
2003 ne dénoterait pas auprès des
collections automne-hiver 2016-2017
des marques les plus pointues. p
caroline rousseau
« Anne Valérie Hash. Décrayonner »,
jusqu’au 13 novembre à la Cité
internationale de la dentelle et de la
mode, 135, quai du Commerce,
62100 Calais. Cite-dentelle.fr
Jeremy Scott, la pop attitude selon Longchamp
Depuis dix ans, le maroquinier français collabore avec le Californien le plus kitsch de la mode
M
Jeremy Scott, lors du lancement
du sac « Greetings from Hollywood »,
à Los Angeles, en novembre 2015. LONGCHAMP
arilyn Monroe fait la
moue sous les feux des
projecteurs, devant l’iconique cinéma le Théâtre chinois de
Grauman, à Los Angeles, pendant
qu’au loin, King Kong escalade la
tour de la maison de disques Capitol
Record Buildings, femme hurlante
au poing. Cette saynète digne d’une
bande dessinée est ornée des mots
« Greetings from Hollywood » (un
équivalent de « bons baisers de Hollywood »). C’est avec cette carte postale imprimée sur son fameux sac
Pliage que la marque française Longchamp a fêté cette année le dixième
anniversaire de sa collaboration avec
le créateur californien Jeremy Scott.
« Je voulais rendre hommage à la ville
que je considère comme ma maison »,
explique le styliste, qui, depuis une
décennie, dresse un portrait de
l’Amérique de ses fantasmes pour la
griffe parisienne.
La maison, plus BCBG qu’underground, approche le créateur à l’es-
thétique très pop en 2005, pour tenter un grand écart entre deux univers que tout semble opposer. Le premier modèle, épuré dans la forme et
explosif par son ornement, rencontre un vif succès : le sac Pliage (un
best-seller depuis vingt et un ans)
comporte alors les inscriptions
« This is not your bag » (« ceci n’est
pas votre sac ») et « Fragile », inspirées des tampons d’aéroport.
Dès lors, Jeremy Scott crée un sac
Pliage par saison, mettant en scène
une ribambelle de références puisées dans la culture populaire américaine – souvent osées car synonymes de kitsch ou de mauvais goût
sur le marché français. On peut notamment penser à ses imprimés de
cartes bancaires très bling-bling, de
dollars, de madballs (balles rebondissantes aux visages de monstres pour
enfants), qui apparaissent dans ses
propres collections, ou encore de signes astrologiques. Le dernier modèle, attendu pour l’été et en vente
dès début mai, représente des combinés téléphoniques vieille génération à cordon en spirale pour d’ironiques « appels longue distance ».
Un canevas personnel
Pour Scott, « la source d’inspiration
est aussi aléatoire que la couleur du
véhicule de location que je conduis
ou aussi connue que Barbie ». Ainsi,
ce sac épuré devient une sorte de canevas personnel, que la directrice
artistique de la maison, Sophie Delafontaine, s’attache à retranscrire
« à travers le savoir-faire de la maison », dit-elle, ajoutant que « son
sens de l’humour parle à tout le
monde, il réussit à être drôle sans
pour autant tomber dans la vulgarité, ce qui est une qualité rare ». Un
décalage entre chic européen et sensibilité postmoderne qui fait des
émules, puisque Jeremy Scott a été
nommé à la tête de la création de
Moschino en 2013, où il produit des
collections tout aussi ludiques.
« Offrir aux artistes un territoire
d’expression est aussi une façon pour
Longchamp de dépasser ses limites »,
explique le directeur général et petitfils du fondateur de la marque, Jean
Cassegrain, qui n’en est pas à sa première collaboration avec des créatifs
d’univers très variés. Par le passé, la
marque a travaillé avec l’artiste britannique féministe Tracey Emin, la
top model Kate Moss, ou encore la
styliste grecque avant-gardiste Mary
Katrantzou.
Dernière carte blanche en date, et
non des moindres : pendant les travaux de la boutique historique du
404, rue Saint-Honoré à Paris, qui
s’achèveront fin juillet, l’immeuble
d’angle du XVIIIe siècle est recouvert d’une bâche gigantesque qui a
servi de toile à l’artiste new-yorkais
Ryan McGinness. Une œuvre XXL,
colorée et foisonnante, qui, comme
les sacs de Scott, est loin de passer
inaperçue. p
alice pfeiffer
disparitions & carnet | 21
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Frédéric Badré
Ecrivain
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
En 2003.
HANNAH ASSOULINE/
M. et Mme Christopher
DEMETROPOULOS
OPALE/LEEMAGE
F
rédéric Badré, critique,
écrivain et peintre, est
mort à Paris, le 5 avril, à
l’âge de 50 ans. Il souffrait
depuis 2012 de la SLA, une maladie
orpheline – appelée aussi maladie
de Charcot. Dans La Grande Santé
(Seuil, 2015) son dernier et magnifique livre (qui fut aussi son premier ouvrage de création littéraire) écrit avec son index replié
dans l’application Note de son
iPhone, l’écrivain racontait sa résistance à la maladie à travers
l’écriture.
Comme Hervé Guibert dans son
journal d’hospitalisation (Cytomégalovirus, Seuil, 1992), Frédéric Badré note le pire de ce qui lui arrive :
sa langue qui se ramollit et menace sa parole, le risque que son
diaphragme faiblisse, l’empêchant
alors de respirer. « Mon corps se
suicide », constate-t-il. La littérature constitue peut-être la seule issue pour espérer dépasser mentalement cette effroyable maladie.
Car pour Badré, cette quête de l’absolu littéraire fut l’aventure de
toute une vie. Et bien avant la SLA
qui l’emporta.
Né le 6 mai 1965 à Versailles (Yvelines), après des études d’histoire,
Frédéric Badré s’intéresse d’abord
à la bibliophilie, avant de se consacrer à la littérature d’une façon militante en créant une revue littéraire, dans la continuité de La Nouvelle Revue française (NRF) de Jean
Paulhan – à qui il consacra une biographie en 1996 (Paulhan le juste,
Grasset). C’est en 1997, avec les écrivains Yannick Haenel et François
Meyronnis, qu’il fonde Ligne de risque, publication radicale dont l’enjeu consiste à dépasser le nihilisme, qui, pour Badré, est le fléau
de l’époque. Dans L’Avenir de la littérature (Gallimard, 2003), l’écrivain dresse un portrait peu réjouissant de la vie littéraire : « Sur
une planète ficelée par la toile invisible du réseau, arraisonné par le
virtuel, le nihilisme marchand règne en maître. »
Redoutable sens critique
Contre l’épuisement des avantgardes et le retour du roman français gouverné par le « subjectivisme le plus rabougrissant », la revue Ligne de risque ambitionne de
« rouvrir l’histoire de la littérature »,
en injectant autant d’exigence de
pensée que de poésie dans l’aventure des textes.
S’il n’écrit pas encore de récit, ou
de roman, dans L’Avenir de la littérature, Badré fait preuve d’un redoutable sens critique. Il explore
un espace littéraire qui oscille entre un amour absolu de la littérature et l’intuition de son déclin
contemporain. Il se passionne notamment pour l’écrivain Bernard
partagent avec
6 MAI 1965 Naissance
à Versailles (Yvelines)
1996 « Paulhan le juste »
(Grasset)
1997 Création de la revue
« Ligne de risque »
2003 « L’Avenir de la littérature » (Gallimard)
2015 « La Grande Santé »
(Seuil)
5 AVRIL 2016 Mort à Paris
Lamarche-Vadel, aussi génial que
désastreux (il programma son suicide dans ses textes), dont il signe
en 2000 la nécrologie dans Le
Monde. A travers ce maître noir,
Frédéric Badré perçoit « la désolation du Temps ».
Pour Yannick Haenel, après avoir
écrit ce livre, l’écrivain en tire une
conséquence majeure : « la littérature française est arrivée à un moment terminal, nécessitant une renaissance », explique-t-il. Badré se
tourne alors vers le dessin, et la
peinture, sans doute, en reprenant
le mot de Henri Michaux, pour « se
déconditionner du verbal ».
Croquis, portraits saisis sur le vif
et dessinés au Bic, souvent dans
des cafés en attendant la sortie de
classes de ses enfants, l’écrivain
s’adonne à cette nouvelle discipline avec l’humilité et le détachement d’un amateur. En silence, il
rend hommage à Jean Paulhan ou
encore Bernard Lamarche-Vadel,
dessinant leurs visages. « En dessinant au stylo à bille, il continue, en
un sens, à écrire, témoigne Yannick
Haenel, mais c’est une écriture dégagée de la lettre, et de sa dangereuse intransitivité, une écriture
adaptée à ses nerfs : agile, souple,
ronde. Il écrit : “Mes dessins écrivent
ma vie par d’autres moyens. Dessiner (disegnare) est l’autre verbe
pour méditer”. »
Est-ce l’irruption de la maladie
qui rend à nouveau possible l’écriture ? L’expérience littéraire de La
Grande Santé est sidérante. Quelques semaines avant de mourir,
Frédéric Badré, anéanti par la maladie, n’a cependant pas encore
cessé d’écrire. Il remet à la NRF un
texte qui s’appelle « L’Intervalle »,
extrait d’un nouveau livre en
cours. « L’intervalle, c’est le nom
que Saint-Simon donnait à l’espace
qui sépare la vie de la mort », explique sur son blog Michel Crépu, le
directeur de la revue. Sans pathos,
Badré réactive sa mémoire esthétique (de belles pages sont consacrées à Venise), tout en décrivant la
décrépitude de son corps. « Je chemine dans la maladie avec des objectifs modestes. Ainsi, j’essaie
d’ajuster ma tête et mon corps. En
somme, c’est peut-être une bonne
définition de la vie. » p
amaury da cunha
Danaë et Théofanis
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Edouard HAYAT,
survenu le 10 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Ses obsèques ont eu lieu le mercredi
13 avril, à 12 heures, au cimetière
du Montparnasse, 3, boulevard EdgarQuinet, Paris 14e.
Nicole HESSE,
veuve LEVIN,
médecin psychanalyste,
croix de guerre 1939-1945,
médaille de la Résistance,
médaille des Evadés,
à Zürich, en Suisse, le 19 mars 2016.
Décès
Francis et Sylvie,
Martine et Philippe Hénon,
Arnaud et Pascale,
Pascal,
Laurent et Annie,
Eric et Christine,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
Les familles Bordet, Barré, Malbrancke
et Oudin,
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Claude BORDET,
premier ingénieur géologue à l’EDF,
survenu le 9 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
La célébration religieuse aura lieu
en l’église de La Trinité-sur-Mer,
le samedi 16 avril, à 14 h 30, 12, rue du
Latz, La Trinité (Morbihan).
Ses amis de Paris,
Patricia Baron, Laure Dumoulin,
David Leclerc, Delphine Pineau,
Pierre et Béatrice Rosenberg,
font part avec une grande émotion,
de la disparition de
Lilli
DORIGUZZI MACCAFERRI,
artiste,
survenue le 9 avril 2016,
à l’âge de cinquante-six ans.
San Marco 52 03,
30124 Venise,
(Italie).
Oulins. Nevers. Brunoy.
Mme Annick Fessol,
son épouse,
a la douleur de faire part du décès de
M. Roger FESSOL,
survenu le 9 avril 2016, à Brunoy,
à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le vendredi 15 avril, à 10 h 30,
en la chapelle Notre-Dame du Sauvageon,
à Brunoy (Essonne), suivie de l’inhumation
au cimetière de l’Aiguillon, à Nevers
(Nièvre), à 15 h 30.
Avec beaucoup d’émotion
Sonia et Albert Loeb
annoncent le décès, à Chicago,
le 3 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-deux ans, de
Robert GUINAN,
peintre.
Nous nous réunirons après l’été,
pour un dernier hommage.
Gérard, Sophie, Joan,
ses illeuls
et leurs familles,
Josiane, Pierre et Lucien,
ses neveux,
Les familles Blazi, Bachès, Delseny
et Bonet,
ont la tristesse de faire part de la mort de
Gisèle MARC,
survenue le 10 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le vendredi 15 avril, en l’église SaintSéverin, Paris 5e, à 10 h 30.
Claude Coustou Moreau,
son épouse,
Une cérémonie de recueillement
aura lieu le vendredi 15 avril, de 9 h 30
à 10 heures, au crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, où elle sera incinérée.
Claude Moreau,
son frère
Et Helga,
sa belle-sœur,
L’urne funéraire sera déposée,
dans l’intimité, dans le caveau familial
du cimetière des Batignoles.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Sa famille
Et ses proches.
Mme Annie Hohl,
son épouse,
Olivier et Catherine Hohl,
Sylvie et Christophe Sauvage,
François et Patricia Hohl,
ses enfants,
Benoît, Clara, Emma, Grégoire,
Garance, Antonin et Vincent,
ses petits-enfants
Ainsi que toute sa famille,
Claude HOHL,
Christopher,
Marie-Andrée Fontcouberte,
sa ille adoptive
et sa famille,
Ernest Napoli,
son compagnon
et ses enfants et petits-enfants,
s’est éteinte dans sa quatre-vingt-dixhuitième année, le lundi 11 avril 2016.
ont la douleur de faire part du décès de
la très grande joie d’annoncer
la naissance de
Galerie Albert Loeb,
11, rue des Beaux-Arts,
75006 Paris.
Anne-Marie, Nicole et Jean-Michel
Hayat,
ses enfants,
Marc-Antoine, Gabrielle, Guillaume
et Stéphanie,
ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants,
conservateur en chef honoraire
des Archives nationales,
oficier
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
chevalier
dans l’ordre des Palmes académiques,
Ecole des Chartes promotion 1960,
survenu le 9 avril 2016, à Rouen,
à l’âge de quatre-vingts ans.
Un hommage sera rendu le vendredi
15 avril, à 15 heures, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
19, rue Dupont Delporte,
76000 Rouen.
Catherine,
son épouse,
Thomas, Marie, Lise, Loane,
Renaud et Chloé,
Lucas et Jenny,
ses enfants et petits-enfants,
ont l’immense chagrin de faire part
du décès, de
Henri JULLIEN,
professeur
de Sciences économiques et sociales,
survenu le 7 avril 2016, à Pessac,
à l’âge de soixante-deux ans,
au terme d’une longue maladie.
Famille Jullien,
45, route de Tiquetorte,
33480 Moulis-en-Médoc.
Laure, Sophie, Francois, Emmanuel,
Jean-Elie
ses enfants
et leurs conjoints,
Catherine et Rémi,
sa sœur et son frère,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
Les familles Langlois, Wasserman,
Guinemer, Löwensohn, Cerf, Vitkine,
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Nicole LANGLOIS,
née CERF,
survenu le 10 avril 2016,
dans sa quatre-vingt-dixième année.
Cet avis tient lieu de faire-part.
3, rue Richer,
75009 Paris.
Anne et Michel Haas,
Nancy et Antoine Levain,
ses enfants,
Florence, Myriam, Sébastien
et Caroline, David, Nicolas et Charlotte,
Benjamin, Noémie,
ses petits-enfants,
Benjamin et Adrien,
ses arrière-petits-enfants,
Cécile Friedmann,
sa belle-sœur,
ses enfants
et petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Janine LEVAIN,
née FRIEDMANN,
survenu le 9 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-six ans
Les obsèques auront lieu dans
l’intimité.
Yann, Anne, Claudine, Louis, Maya
et Maïwenn,
Aurélie, Valérie et Mathias,
ses neveux et nièces,
leurs conjoints
Ses petits-neveux et petites-nièces,
Ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Jacques MOREAU,
dit « Le Maréchal »,
peintre et graveur,
Communication diverse
Autour de l’exposition
Habiter le campement
Images/Cité
Projection-débat en présence
de Michel Agier, anthropologue,
directeur d’études à l’EHESS
et chercheur à l’IRD,
Anita Pouchard Serra,
photographe du collectif d’architectes
« Sans plus attendre »,
Sara Prestianni, photographe,
et de Cyrille Hanappe,
architecte et ingénieur,
enseignant à l’ENSA,
jeudi 14 avril 2016, à 19 heures.
Plateforme de la création architecturale
Considérant Calais...
Documenter ce qui s’afirme à Calais,
à l’interface entre le bidonville
et la ville, par le Pôle d’exploration
des ressources urbaines (PEROU),
mardi 19 avril, à 18 h 30.
État d’urgence,
habitat d’urgence
rencontre avec des membres de l’ONG
Shelter Box, organisation internationale
de secours aux sinistrés de catastrophes,
dimanche 12 juin, à 16 heures.
Entrée libre
inscription citechaillot.fr
Débat
survenu dans son atelier, à Paris,
le 7 avril 2016.
Une bénédiction aura lieu en l’église
Saint-Jean-Baptiste de Sceaux, le jeudi
14 avril, à 15 h 30 et sera suivie
de l’inhumation, au cimetière de Sceaux.
Cet avis tient lieu de faire-part.
La maison des Bout’chou,
représentée par sa présidente,
Les membres du conseil
d’administration,
Ses collègues et les équipes
des crèches,
ont la profonde tristesse de faire part
de la disparition de
Mme Odile PARIS,
directrice opérationnelle
de l’association,
survenue le vendredi 8 avril 2016,
à Paris, à l’âge de quarante-huit ans
et s’associent à la douleur de sa famille
et de ses proches.
Le jeudi 14 avril à 20 h 30
Le féminisme, au cœur de l’actualité.
Avec : Julia Kristeva, psychanalyste,
Fawzia Zouari, journaliste tunisienne,
Armelle Carminati-Rabasse, MEDEF.
30 ans après la mort
de Simone de Beauvoir,
une rencontre-débat animée
par Elizabeth Cremieu
Espace Landowski,
28, avenue André Morizet,
92100 Boulogne-Billancourt
www.forumuniversitaire.com
Conférence
Ceux qui ont eu la chance de travailler
avec elle ont pu admirer ses grandes
qualités humaines.
La cérémonie religieuse aura lieu
le mardi 19 avril, à 14 h 30, en l’église
Saint-Médard, 141, rue Mouffetard,
Paris 5e.
Marie-Josèphe RANQUE
s’est éteinte le vendredi 8 avril 2016,
à son domicile,
à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
Sa famille et ses amis se réuniront
le mercredi 13 avril, à 14 h 30,
en l’église Saint-Paul Saint-Louis,
Paris 4 e , puis au cimetière du PèreLachaise, Paris 20e, à 16 h 15, pour son
inhumation.
La Revue de Psychothérapie
Psychanalytique de Groupe
a la tristesse d’annoncer le décès de
Jean Claude ROUCHY.
La Fédération française
de l’ordre maçonnique
mixte international
« Le Droit Humain »
et le Grand Maître National,
Madeleine Postal,
organisent une conférence publique :
« Franc-maçonnerie et spiritualités »
Conférenciers :
André Comte-Sponville,
philosophe,
Bruno Pinchard,
professeur de philosophie
à l’université Jean Moulin Lyon 3,
Fondateur de la revue en 1985,
il a contribué à développer la recherche
dans le champ de l’analyse de groupe
et d’institution et à promouvoir
les pratiques thérapeutiques de groupe.
La continuité de la revue repose sur
son action coopérative et internationale.
le samedi 16 avril 2016, à 14 heures,
9, rue Pinel, Paris 13e.
Nous adressons à sa famille nos sincères
condoléances.
Informations :
www.droithumain-france.org
Inscription par courriel :
[email protected]
Tél. : 01 44 08 62 62.
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DÉBATS & ANALYSES
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
La Nuit debout contre le Panama partout
L‘occupation de la place
de la République, à Paris,
et le scandale des « Panama
papers » sont un nouvel
épisode de l’affrontement
qui, depuis quinze ans,
oppose deux mouvements
internationaux :
l’un populaire, l’autre élitiste
Par DAVID GRAEBER
L
a récente actualité, avec d’une
part la révélation des « Panama
papers » et d’autre part l’émergence du mouvement Nuit debout, à Paris et dans d’autres villes françaises, traduit la lutte entre deux formes de solidarité, deux cultures mondiales – la première déjà bien trop développée, l’autre
encore naissante. La première est la solidarité des riches et des puissants ou,
plus précisément, de ceux dont la richesse est fondée sur la puissance ; la seconde exprime l’apparition de nouvelles
formes de démocratie révolutionnaire
qui, de plus en plus, prennent une dimension planétaire. L’une et l’autre
créent pour survivre des espaces extérieurs à la structure formelle de l’Etat.
Ce que les « Panama papers » révèlent
avant tout est l’existence d’une classe
politique mondiale qui se serre les coudes pour se protéger. Le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif, le président du Zimbabwe Robert Mugabe, le
président russe Vladimir Poutine ou le
premier ministre britannique David Cameron… Tous ont beau faire mine de
s’affronter sur la scène mondiale, ils font
preuve, dès lors qu’il s’agit de ce qui est
vraiment important pour eux (la sécurité financière de leurs enfants, par
exemple), d’une remarquable solidarité.
Pourtant, il reste un point véritablement intrigant dans ces révélations :
pourquoi est-il si important pour ces
gens de ne pas payer d’impôts ? C’est une
question moins évidente qu’il n’y paraît.
Alors que la richesse de la classe dominante provient de plus en plus de la spéculation financière, il n’est pas ici question de protéger les profits du commerce et de l’industrie des griffes accaparantes de l’Etat ; presque toutes ces
fortunes sont édifiées en collusion avec
LES « PANAMA
PAPERS » RÉVÈLENT
L’EXISTENCE D’UNE
CLASSE POLITIQUE
MONDIALE QUI SE
SERRE LES COUDES
POUR SE PROTÉGER
un pouvoir étatique. Si vos revenus sont
générés grâce au contrôle des leviers du
pouvoir, pourquoi aller les dissimuler au
Panama ? Ne serait-il pas tout aussi facile d’extraire deux fois plus de bénéfices et d’en restituer ostensiblement la
moitié en gage de loyauté ?
Face à cela, une conclusion : ce n’est
pas tant la cupidité qui motive ces décisions que le goût du pouvoir. La création
de ces paradis fiscaux représente l’instauration non pas d’une souveraineté
en forme d’état d’exception, mais d’un
état d’exception financière au sein d’un
ordre juridico-bureaucratique mondial
dont les bénéficiaires sont ses architectes eux-mêmes. La création de cet ordre
nouveau est probablement le développement historique le plus important de
ces deux dernières générations.
Qu’était après tout le mouvement altermondialiste du début des années 2000, sinon la première rébellion
sociale contre ce système bureaucratique planétaire en formation ? Pour avoir
participé à quelques-unes de ses mobilisations les plus célèbres – à Washington
(2000), Québec (2001) ou Gênes (2001) –,
je peux attester que c’est exactement
ainsi que nous nous percevions. Ce qui
était qualifié de « mondialisation », et
présenté comme une sorte de processus
naturel et inévitable généré par le « libre-échange » et Internet, était en réalité
créé et entretenu par d’innombrables
fonctionnaires travaillant pour des bureaucraties publiques et privées, et, plus
encore, pour des bureaucraties agissant
dans une zone grise intermédiaire : le
Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce, le Partenariat transatlantique de commerce et
d’investissement, Goldman Sachs, Credit Suisse, Standard & Poors – autant
d’institutions ayant pour seul objectif de
perpétuer la richesse et le pouvoir d’une
minuscule élite.
INSTAURER DES ESPACES EXTÉRIEURS
Comment combattre un adversaire antidémocratique se tenant en dehors de
tout ordre national ou politique ? Notre
solution a consisté à ouvrir des espaces
démocratiques eux aussi extérieurs à
l’ordre juridique et politique : des espaces préfiguratifs, qui sont devenus
autant de zones d’expérimentation
d’une démocratie directe dépourvue de
dirigeants. Ces nouvelles formes démocratiques n’étaient pas exclusivement issues de réflexions européennes ou
nord-américaines ; elles étaient les produits d’une nouvelle civilisation insurgée, planétaire, issue d’une longue convergence d’expériences similaires menées depuis les forêts du Chiapas et du
Brésil jusqu’aux villages du Karnataka
en Inde, des squats de Lisbonne à Quito,
avec des apports substantiels venus du
féminisme, de l’anarchisme ainsi que
des traditions non violentes de désobéissance civile. Un répertoire de termes, de tactiques et de gestes alimenté
et décliné dans une infinité de variations locales, et qui devait finir par ex-
COMMENT
COMBATTRE
UN ADVERSAIRE
ANTIDÉMOCRATIQUE
SE TENANT
EN DEHORS DE TOUT
ORDRE NATIONAL
OU POLITIQUE ?
mencé à reprendre puis à recréer leur
propre version du nouveau langage
mondial de la démocratie directe. Des
centaines de milliers de personnes les
ont suivis sur les médias sociaux et ont
apporté leur pierre à l’édifice. Tandis que
des activistes chevronnés du monde entier – dont moi-même – affluaient à Paris pour partager leur propre expérience
de ce genre de mouvements.
DÉMOCRATIE ET CRÉATIVITÉ
OLIVIER BONHOMME
ploser une décennie plus tard dans des
espaces publics du monde entier, de la
place Tahrir (Le Caire) à la place Syntagma (Athènes), en passant par le parc
Zuccotti (New York).
Pour le grand sociologue Immanuel
Wallerstein, toute véritable révolution
est une révolution mondiale. Dans certaines, les combats de rue se sont déroulés en un seul endroit (1789, 1917) ; dans
d’autres, ils ont touché le monde entier
(1848, 1968). Mais à chaque fois, l’ordre
mondial lui-même s’en trouva transformé. C’est l’acception même que l’on
avait jusque-là du politique qui en était
bouleversée. Qu’en est-il dans ces conditions de ce que Wallerstein appelle déjà
la « révolution mondiale de 2011 » ? Il est
fort possible que les futurs historiens
considèrent que celle-ci a marqué un
changement profond dans la conception populaire de ce qu’est un mouvement révolutionnaire ou, simplement,
démocratique. Les experts officiels
comme les théoriciens marxistes ne se
lassent pas de proclamer l’échec des
mouvements de 2011. Mais si l’on considère ce qui s’est passé en Turquie, au Bré-
sil, en Bosnie, à Hongkong – et, à présent,
en France –, ces mouvements ont modifié à jamais le langage de la démocratie
populaire. Ils ont montré que les soulèvements populaires ne prennent plus la
forme d’une révolution armée, ni ne
tentent de modifier le système de l’intérieur ; à chaque fois, leur première initiative est de créer, dans la mesure du possible, un territoire totalement extérieur
au système, en dehors de l’ordre légal de
l’Etat : un espace préfiguratif dans lequel
peuvent s’inventer de nouvelles formes
de démocratie directe.
Le refus de s’insérer dans l’ordre politique existant ne signifie pas que ces
mouvements ne visent pas de prolongements législatifs. Mais ils ne cherchent
pas à y parvenir en courtisant ni en dénonçant les politiciens, mais en les menaçant de la perspective d’une délégitimisation. C’est ce qui s’est passé en
France. Les organisateurs de la première
manifestation contre la loi travail
n’avaient prévu qu’une seule journée
d’action. Mais les choses leur ont
échappé. Les milliers de participants
aux assemblées générales ont com-
On a entendu formuler de nouvelles revendications audacieuses (annulation
de la dette, revenu universel, tirage au
sort…), qui étaient jusqu’ici totalement
exclues du débat politique « sérieux ».
Alors que le mouvement menace de
s’étendre aux banlieues ouvrières et aux
quartiers à forte présence immigrée, le
mépris initial dans lequel la classe politique l’a d’abord tenu semble se transformer en une sorte de panique, et de plus
en plus d’hommes en armes se remarquent aux abords de la nouvelle agora,
comme pour empêcher la démocratie
d’en outrepasser les limites.
La justification traditionnelle des espaces d’exception est qu’ils peuvent devenir des espaces de créativité : après tout,
seuls ceux qui ne sont pas prisonniers
de l’ordre juridique existant sont en mesure de créer de nouvelles lois. Mais il est
de plus en plus difficile d’imaginer des
solutions aux problèmes urgents que
pose cet espace d’exception financière
dans lequel évoluent désormais les élites politiques et économiques de la planète. Des millions d’êtres humains, qui
n’ont pas accès à ce genre d’espace extraterritorial, s’entendent intimer en permanence de se taire et de continuer à
travailler. La seule possibilité de nous extraire des impasses actuelles ne pourra
provenir que des nouveaux espaces extraterritoriaux, que la révolution mondiale de 2011 a permis d’ouvrir. p
(Traduit de l’anglais par Gilles Berton)
¶
David Graeber, anthropologue,
est professeur à la London
School of Economics. Il est l’un
des instigateurs du mouvement
anticapitaliste Occupy Wall Street.
Il participe à Nuit debout
depuis le 10 avril
Pour la transparence fiscale des multinationales
La Commission a présenté le 12 avril au Parlement
européen un projet de directive qui vise
à contraindre 6 500 grandes entreprises à déclarer
leurs bénéfices et leur imposition pays par pays
Par VALDIS DOMBROVSKIS,
LORD JONATHAN HILL
ET PIERRE MOSCOVICI
N
ous avons proposé le 12 avril au
Parlement européen un projet
de directive qui imposerait à
toutes les grandes multinationales exerçant des activités en Europe de publier
des informations, pays par pays, sur le
lieu où elles réalisent leurs bénéfices et
celui où elles paient leurs impôts. Cette
mesure concernerait 6 500 entreprises
dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros. Elles seraient aussi tenues
de déclarer le montant total d’impôts
qu’elles acquittent en dehors de l’UE, en
fournissant les informations par pays requises pour les impôts payés dans des ju-
ridictions fiscales problématiques (paradis fiscaux).
Ces informations seraient accessibles
pendant cinq ans sur le site de l’entreprise. Ainsi toute personne intéressée
pourrait savoir où les multinationales
paient leurs impôts. Afin de s’assurer que
les entreprises européennes ne sont pas
les seules à agir ainsi, les mêmes règles
s’appliqueraient aux grandes filiales d’entreprises de pays tiers qui exercent des activités en Europe.
Cette proposition est un moyen simple,
efficace et proportionné de contribuer
aux efforts déployés pour veiller à ce que
les multinationales paient leur juste part
de l’impôt. Nous ne demandons pas la divulgation de secrets d’entreprise et ne
voulons pas porter préjudice à la compétitivité mondiale des multinationales,
mais nous devons nous attaquer aux désavantages fiscaux auxquels les PME sont
confrontées. Ces mesures s’inscrivent
dans le cadre d’un programme de réforme fiscale plus vaste, antérieur à la divulgation des « Panama papers ». Nous
avons travaillé avec l’Organisation de coopération et de développement économiques et le G20. Nous sommes parvenus à
un accord sur l’échange d’informations
en matière de décisions fiscales entre les
Etats de l’UE. Nous avons signé des accords de transparence fiscale sur les revenus sous la forme d’intérêts et de dividendes avec l’Andorre, le Liechtenstein,
Saint-Marin, la Suisse, et bientôt Monaco,
et nous souhaitons en conclure d’autres.
CRÉER DES EMPLOIS ET LA CROISSANCE
Nous avons proposé des mesures contraignantes pour lutter contre l’érosion de la
base d’imposition et le transfert de bénéfices, à savoir les pratiques auxquelles se
livrent des entreprises pour réduire leur
contribution fiscale en déclarant les bénéfices ailleurs que là où les activités économiques ont lieu.
Certaines de ces mesures visent à ga-
rantir que les bénéfices que les multinationales placent dans des pays à fiscalité
faible ou nulle soient imposés au sein de
l’UE. En mars, les Etats de l’UE ont convenu d’autoriser l’échange automatique
entre les administrations fiscales nationales des déclarations pays par pays remplies par les multinationales.
En 2015, nous avons découvert que Fiat,
Starbucks et d’autres entreprises situées
en Belgique avaient bénéficié d’aides
d’Etat illégales sous la forme d’avantages
fiscaux sélectifs.
Un renforcement de la transparence
peut contribuer à ce programme. Si la législation a été enfreinte, des poursuites
pénales devraient être engagées et assorties de sanctions sévères.
Si tel n’est pas le cas et que des moyens
permettant d’éluder l’impôt ont été utilisés, la transparence aidera à déterminer si
la législation est bien appropriée et si
dans le cas contraire nous sommes disposés à combler les lacunes. Les sociétés
peuvent se demander si elles agissent
dans l’intérêt à long terme de leurs actionnaires eu égard à leur réputation.
Un environnement fiscal compétitif est
nécessaire pour la prospérité des entreprises. Mais cet aspect devrait relever de
la compétence des gouvernements, et
non être la conséquence des agissements
de juristes et de conseillers fiscaux, qui
trouvent des mécanismes toujours plus
complexes pour alléger la charge fiscale
de certaines entreprises. Pour créer les
emplois et la croissance, les sociétés doivent être robustes et inspirer confiance.
Un renforcement de la transparence permettra de l’instaurer et d’assurer des conditions de concurrence loyale. p
¶
Valdis Dombrovskis est
vice-président de la Commission
européenne chargé de l’euro
et du dialogue social
Jonathan Hill est commissaire
européen pour la stabilité financière,
les services financiers et l’union
des marchés des capitaux
Pierre Moscovici est commissaire
européen pour les affaires économiques et financières, la fiscalité et les
douanes
débats & analyses | 23
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
La révolution du journalisme collaboratif
Analyse
cécile prieur
Directrice adjointe de la rédaction
P
anama papers ». Comme
leurs illustres ancêtres les
« Pentagon papers », ces deux
mots résonnent déjà comme
un tournant dans le journalisme d’investigation. En 1971,
le New York Times publiait des documents
secrets du Pentagone sur la guerre du Vietnam, qui démontraient comment les
Etats-Unis avaient délibérément entraîné
l’escalade du conflit. Quarante-cinq ans
après, ce n’est plus un seul média mais
bien l’association de plus d’une centaine
d’entre eux, mis en réseau par le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), qui a permis la divulgation
des « Panama papers ». L’analyse des millions de documents issus de la firme panaméenne Mossack Fonseca, mettant au jour
l’ampleur de l’évasion et de la fraude fiscales, n’a pas seulement créé une onde de
choc internationale. Elle a aussi confirmé
l’entrée du journalisme dans la mondialisation et la collaboration transfrontière
entre rédactions.
Tout, dans les « Panama papers », appelle
les superlatifs. Plus grande fuite de l’histoire du journalisme (2,6 téraoctets de données ou 2 600 Go, soit plus de 11,5 millions
de documents accumulés, 1 000 fois plus
que les « câbles diplomatiques » révélés par
WikiLeaks en 2010), c’est aussi le scoop partagé par le plus grand nombre de journalistes (370 confrères issus de 109 médias, dont
une vingtaine au Monde), qui ont travaillé
en secret pendant près d’un an, de juin 2015
à avril 2016. Après Offshore Leaks en 2013,
ChinaLeaks et LuxLeaks en 2014, puis SwissLeaks en 2015, qui dénonçaient tous l’évasion fiscale, l’ICIJ, sis à Washington, confirme, avec les « Panama papers », sa force
de frappe et sa capacité à fédérer des reporters du monde entier.
A chaque fois, c’est le gigantisme des données et leur caractère mondial qui justifient le partage entre médias. Dans le cas
des « Panama papers », ce sont les journalistes allemands de la Süddeutsche Zeitung,
à l’origine du scoop, qui ont contacté l’ICIJ
après qu’un lanceur d’alerte anonyme leur
a fait parvenir les données de Mossack Fonseca. Le Monde avait adopté la même démarche lors de l’affaire SwissLeaks, en livrant un fichier contenant des données
clients de la banque HSBC aux médias partenaires du consortium.
PARTAGE, CONFIANCE ET CONFIDENTIALITÉ
La mise en commun de ces informations
répond à un impératif : face à des fuites impliquant potentiellement des acteurs du
monde entier, un seul média, aussi prestigieux soit-il, ne fait plus le poids. Même le
plus robuste réseau de correspondants ne
peut répondre à l’effort d’enquête nécessaire pour embrasser une telle masse de
données. En revanche, qui mieux que des
journalistes brésiliens, russes, suisses ou
américains pour chercher les informations
ou les pistes concernant les ressortissants
de leur pays ? Et qui mieux que l’ICIJ, qui
s’est fait une spécialité des enquêtes d’intérêt mondial, pour les faire travailler ensemble ? Grâce aux nouvelles technologies,
Comment démêler
11,5 millions de documents
Avec les « Panama papers », l’enquête a basculé dans l’ère du big data.
Le Consortium international des journalistes a mis à disposition
des 109 médias des outils performants. Et il a fallu en bricoler bien d’autres
D
errière les « Panama papers », ses centaines de
journalistes impliqués
et ses milliers d’articles publiés,
il y a une base de données. Un
leak – une « fuite », en anglais –
massif de 2,6 téraoctets (soit
2 600 Go, plus de 11,5 millions de
documents) transmis par une
source anonyme au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et
partagé par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Confrontés à ce
basculement dans l’ère du big
data, les 109 médias impliqués
ont dû abandonner le calepin et
le crayon au profit d’outils informatiques avancés.
Parcourir chacun des documents des « Panama papers »
n’était tout simplement pas envisageable, même pour 376 journalistes. Il était donc indispensable
de disposer d’un moteur de recherche performant pour explorer la base de données.
Rompue à ce type d’investigation, l’équipe technique de l’ICIJ
disposait déjà d’un moteur solide, fondé sur le système Solr –
une plate-forme de recherche en
licence libre –, amélioré pour
cette nouvelle opération. Il dispose d’opérateurs avancés et
d’un système de filtres pour trier
les milliers de résultats générés
par certaines requêtes grâce aux
métadonnées, comme le type de
document, sa date de création, le
nom de la société.
Toutes ces enquêtes étaient
possibles grâce à l’extraction du
texte brut de dizaines de formats de fichiers, du .pdf au .doc,
en passant par les obsolètes
.msg, qui recouvraient l’essentiel de la correspondance interne du cabinet panaméen
Mossack Fonseca.
Mais surtout, le moteur est
doté d’un mécanisme de « requête approximative », qui permet d’isoler une chaîne de caractères qui renvoie à un motif
approchant, plutôt qu’à une correspondance exacte. Ainsi, une
requête approximative sur
« Jean Dupont » renvoie également des résultats pour « Dupont Jean » ou « Jean Edouard
Michel Dupont ».
Malgré ces fonctionnalités,
l’enquête s’est heurtée aux limites structurelles du leak. De
nombreux documents n’étaient
pas directement exploitables
sous forme de texte, comme les
scans ou les images. Ils ont été
passés à la moulinette d’un système de reconnaissance de caractère (OCR) par l’ICIJ, au risque
de mal retranscrire des mentions manuscrites. Les scans de
mauvaise qualité, les fautes d’or-
NOUS SOMMES
CERTAINEMENT
PASSÉS À CÔTÉ
D’HISTOIRES POUR
NE PAS « NOYER »
NOS CANAUX
DE COMMUNICATION
AVEC DU « BRUIT »
INUTILE
la mise en réseau de journalistes nationaux, experts dans leur zone d’investigation, est le gage d’une exploitation la plus
complète possible des données. Chaque
média peut ainsi faire appel à l’expertise de
tous les autres, amplifiant d’autant l’efficacité de l’enquête.
Au préalable, il a fallu recourir aux
meilleures techniques de datajournalisme
pour rendre lisible le « trésor » de Mossack
Fonseca. Forte d’une expérience accumulée
lors des précédents leaks – « fuites » en anglais –, l’ICIJ a mis au point un moteur de recherche perfectionné et des techniques de
datavisualisation pour permettre aux reporters de plonger dans la base et d’extraire
les pistes qui les intéressaient. Une fois formée et dotée des outils adéquats, chaque
équipe a pu mener ses propres recherches,
doublées, quand les pistes avaient émergé,
d’un travail plus classique d’investigation.
Les « Panama papers » sont ainsi nés de l’alliance, souvent inédite, entre datajournalistes, rompus aux techniques de recherche de
données, et journalistes d’enquête, experts
FACE À DES FUITES
IMPLIQUANT
POTENTIELLEMENT
DES ACTEURS DU
MONDE ENTIER, UN
SEUL MÉDIA NE FAIT
PLUS LE POIDS
thographe, sans parler des problèmes de traduction du russe,
du chinois ou de l’arabe ont
aussi rendu de nombreuses recherches infructueuses.
Il a rapidement fallu rationaliser les enquêtes : chercher l’ensemble des parlementaires français plutôt que quelques députés
connus, par exemple. Pour cela,
l’ICIJ a mis en place un mécanisme de requête par lot. Plutôt
que d’examiner fastidieusement
les 500 familles les plus riches
de France, il a été possible de
soumettre une liste construite.
Quelques minutes plus tard,
l’outil retourne un tableau de résultats sous le format .csv, avec
toutes les occurrences pour chaque entrée de la liste.
La recherche par nom n’est
qu’un moyen parmi d’autres.
Nous avons ainsi concentré une
partie de nos forces à trouver
des résidents français, en utilisant le registre interne des sociétés de Mossack Fonseca, la seule
partie du leak à se présenter
sous la forme d’un tableau structuré de données. Aux 214 488 sociétés offshore étaient associés
pas moins de 450 000 actionnaires, quasiment tous liés à une
adresse postale.
« NETTOYER » ET HARMONISER
Avec l’aide du logiciel de traitement de données OpenRefine, il
a fallu ensuite « nettoyer » et
harmoniser ces adresses pour
en extraire le millier d’actionnaires domiciliés en France. De
même, sachant que tous les
comptes bancaires français ont
un identifiant IBAN de structure
identique, nous avons pu tous
les retrouver. Enfin, nous avons
pu mettre la main sur la plupart
des passeports français grâce à
leur code d’identification.
Remonter la piste des véritables
bénéficiaires, lorsque des sociétés-écrans s’emboîtent comme
des poupées russes, a été laborieux. L’ICIJ a mis à disposition
l’outil de visualisation en graphes Linkurious, qui fait le lien
entre quatre entités de la partie
« construite » du leak : les socié-
notamment des questions d’évasion et de
fraude fiscales.
L’autre élément-clé de la réussite de l’opération a été la confiance qui a su s’établir,
leak après leak, entre les médias partenaires
de l’opération. A rebours de l’investigation
classique, traditionnellement solitaire, l’ICIJ
a bâti un réseau planétaire qui dépasse la
concurrence parfois féroce que se livrent les
organes de presse. Avec les « Panama papers », le Consortium international a su
créer une « newsroom » mondiale, portée
par un intérêt commun, plus soucieuse du
succès collectif que de l’échappée individuelle. C’est ainsi que 370 journalistes ont pu
garder le secret pendant toute l’enquête,
sans être tentés de briser l’embargo, fixé au
dimanche 3 avril dans la soirée. Il en a résulté
une formidable caisse de résonance quand
le scoop a été divulgué, repris comme en
écho par une centaine de médias étrangers.
Partage, confiance et confidentialité : c’est
à ces trois conditions, associées à des mois
d’enquête acharnée, qu’a pu naître le succès
des « Panama papers ». L’opération a créé
l’événement dans la communauté journalistique mondiale, en démontrant les effets
vertueux d’une démarche non concurrentielle. Pour un métier qui se réinvente sans
cesse au contact des nouvelles technologies, ce « journalisme de partage » ouvre
des perspectives inédites. Au-delà des leaks,
cette approche pourrait encourager
d’autres types d’échanges et de mise en
commun de données au profit de l’information. Portée par le big data, la révolution
du journalisme collaboratif n’en est sans
doute qu’à ses tout débuts. p
[email protected]
tés, les intermédiaires, les actionnaires et leurs adresses.
Bien entendu, les seules données du leak ne suffisaient pas.
D’une part, parce que le détail
des comptes en banque, actifs et
activités de chaque société offshore était rarement disponible,
mais, d’autre part – et surtout –,
parce que l’enchevêtrement des
montages conduisait bien souvent à des sociétés enregistrées
ailleurs que chez Mossack Fonseca. Il a fallu parfois remonter à
des holdings au Luxembourg,
un pays à la fiscalité limitée,
mais au journal officiel transparent et bien documenté sur les
entreprises.
L’absence de référencement de
ce greffe dans les moteurs de recherche n’a cependant pas permis de faire des enquêtes inversées – pour savoir dans quels
dossiers une société apparaissait
comme actionnaire, par exemple. La difficulté a été contournée
en utilisant le très pratique Legicopylux, un copié-collé du journal officiel luxembourgeois, qui
a l’avantage d’être indexé dans
les moteurs de recherche.
Hors du Luxembourg, il a encore fallu jongler avec les sites
semi-gratuits en France, au
Royaume-Uni ou en Belgique et
sur l’indispensable OpenCorporates, qui tente de rassembler les
informations publiques sur les
sociétés en agrégeant en ligne
les registres du commerce du
monde entier.
Parfois, aucun de ces outils n’a
suffi. Au pied du mur, il a fallu
utiliser un matériel incroyablement sophistiqué conçu pour les
situations d’urgence : le téléphone. Si l’on met de côté quelques désagréables bordées d’injures et quelques mensonges
éhontés, ces conversations nous
ont souvent permis de grappiller,
auprès des personnalités impliquées dans les montages offshore, de précieuses informations sur leur usage.
Par ailleurs, préserver la sécurité de nos communications était
crucial pour limiter le risque de
fuite ou de piratage. Ce qui n’est
guère pratique, quand on doit
rester en contact avec près de
400 confrères du monde entier.
En interne, nous avons recouru
au chiffrement PGP pour sécuriser les échanges de courriels au
sein du Monde, ainsi qu’à la messagerie mobile Signal.
Pour faire travailler ensemble
les médias partenaires des « Panama papers », l’ICIJ a mis à disposition son forum collaboratif
sécurisé « Global I-Hub », mis sur
pied grâce à une bourse de la Knight Foundation, qui investit dans
la promotion d’un journalisme
de qualité. Ce forum a permis de
constituer des groupes en fonction des thèmes et des pays, et de
partager les trouvailles pendant
les neuf mois d’enquête.
OUTIL COLLABORATIF
En outre, la nécessité de mener
un long travail de vérification
nous a souvent fait renoncer à signaler certains noms à nos partenaires – et vice versa. C’est la limite d’une « méta-rédaction » si
grande : nous sommes certainement passés à côté de nombreuses histoires par souci de ne pas
« noyer » nos canaux de communication avec du « bruit » inutile.
Par manque de temps, un outil
collaboratif mis en place par
l’ICIJ s’est aussi révélé être un
échec : il consistait à détecter
automatiquement dans la base
de données les bénéficiaires
réels des sociétés, derrière les
prête-noms, grâce à un algorithme informatique, puis de
faire valider le résultat (forcément incertain) par au moins
trois journalistes différents.
Par manque de temps et vu
l’immensité de la tâche, cette tentative de « vérification crowdsourcée » n’a jamais porté ses
fruits. Il s’agit, pourtant, de la
prochaine étape de l’investigation assistée par ordinateur :
l’utilisation systématique des
outils du big data, pour l’instant
limitée au monde de la recherche
et de l’entreprise, et encore étranger à celui des médias. p
jérémie baruch
et maxime vaudano
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0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
EUROPE | CHRONIQUE
par ar naud l e par m e nt ie r
L’euro ne parle
plus allemand
Taux d’intérêt trop bas
Le principal grief allemand porte
sur les taux d’intérêt trop bas. Pas
un jour ne passe sans qu’un journal ne déplore la chute du revenu
des petits épargnants. « Les 99
banques qui ne versent plus
aucun intérêt », dénonce le tabloïd Bild Zeitung. Pire que les
Grecs, les taux de la BCE ! La banque DZ Bank a fait ses simulations : depuis 2010, le manque à
gagner de chaque Allemand serait
de 2 450 euros.
La colère des épargnants est entretenue par les banques et les assurances-vie, menacées de faillite
par des taux trop bas. Rien ne va
plus depuis que la BCE a fixé des
taux négatifs : payer pour déposer
son argent à la banque, voilà qui
dépasse l’entendement. Pour
l’heure, les particuliers ne voient
pas leur épargne ponctionnée
chaque mois, mais la hausse des
frais bancaires produit le même
effet.
Or cette mesure extraordinaire,
censée relancer la croissance, est
contestée. Pas seulement par les
Allemands mais aussi par le prestigieux fonds d’investissement
américain BlackRock. Selon son
économiste en chef, Larry Fink,
une personne de 35 ans doit épargner trois fois plus pour sa re-
LES ALLEMANDS
ONT LE SENTIMENT
QUE MARIO DRAGHI
EST PRÊT À FAIRE
N’IMPORTE QUOI
DEPUIS 2010, LE
MANQUE À GAGNER
DE CHAQUE
ÉPARGNANT
ALLEMAND SERAIT
DE 2 450 EUROS
M
ieux vaut tard que jamais. Pendant trop longtemps, la hiérarchie catholique française a fait
preuve d’une complaisance coupable à
l’égard de prêtres impliqués dans des affaires de pédophilie. Trop souvent, elle a préféré occulter – par le silence ou l’inertie,
quand ce n’était pas par la dénégation – des
abus sexuels sur des mineurs par des hommes d’Eglise. Elle a cru possible d’échapper
ainsi à l’opprobre. En réalité, elle a pris le
risque de laisser s’installer une suspicion
délétère à son encontre.
Nous y sommes. Les révélations récentes
accablantes sur l’affaire d’un prêtre lyonnais qui a eu la charge de jeunes scouts
pendant des décennies, en dépit des plaintes répétées des enfants et de leurs parents
traite si les taux passent de 5 % à
2 %. « Une politique monétaire destinée à doper la croissance pourrait, en fait, conduire à réduire la
consommation », explique-t-il, affligé, dans un entretien au Financial Times.
Pour ajouter à la confusion, c’est
ce moment qu’ont choisi les Européens pour faire la chasse aux
billets de 500 euros. Officiellement pour lutter contre l’argent
sale, en réalité pour lutter contre
l’économie au noir, voire appliquer à terme des taux négatifs
aux dépôts des épargnants. Las,
les Allemands chérissent leurs
billets comme naguère les Français leurs louis d’or. L’affaire ne
fait qu’accélérer la défiance.
Politique accommodante
Troisième grief, plus technique, la
politique non conventionnelle de
la BCE, qui à force d’être pratiquée
devrait être qualifiée d’habituelle.
Pendant des mois, les beaux esprits ont expliqué qu’il fallait racheter la dette des Etats ou des entreprises à coup de milliards,
pour relancer l’économie. Il s’agit
du
fameux
« Quantitative
easing ». Sans écouter les Cassandre qui mettaient en garde contre
un scénario à la japonaise. On y
est. Mais aucun mea culpa vis-àvis des Allemands. Au contraire, il
faut aller plus loin, et faire du déficit budgétaire, comme si on avait
déjà oublié la terrible crise des
dettes européennes à partir de
2009. Ou se lancer dans le fameux « helicopter money »,
même si les statuts de la BCE interdisent tout don d’argent.
La BCE prend un rôle sans cesse
plus important : parce que sa politique trop accommodante permet aux Etats de ne pas accomplir les réformes douloureuses ;
parce qu’en finançant directement l’économie, elle devient un
acteur quasi budgétaire, empiétant sur les prérogatives des Etats
et des Parlements, seuls habilités
à lever l’impôt et à dépenser l’argent public. Cette dérive exaspère
Berlin. La fronde n’est pas nouvelle. L’Allemagne conteste depuis des années la politique de la
BCE. L’affaire avait conduit
en 2011, sous le règne de JeanClaude Trichet, à la démission de
Jürgen Stark de son directoire et
au retrait de l’ancien président de
la Bundesbank, Axel Weber.
L’affaire a pris une tournure si
grave que le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a été
obligé de voler au secours de la
BCE – dont il conteste les orientations, dans le Financial Times.
Pour soutenir l’institution et son
indépendance.
Il n’empêche, la BCE devient une
question allemande. Le dossier
sera brûlant lorsque sera ouverte
la succession de Mario Draghi,
dont le mandat s’achève fin 2019.
En 1998, Theo Waigel, le ministre
des finances d’Helmut Kohl, avait
vanté un euro et une BCE construits selon les canons de la Bundesbank : « l’euro parle allemand », avait-il proclamé. Trop rapidement. Nul ne doute qu’Angela
Merkel ou son successeur exigera
du futur président de la BCE qu’il
maltraite moins la grammaire allemande. p
[email protected]
Tirage du Monde daté mercredi 13 avril : 244 770 exemplaires
auprès de sa hiérarchie, semblent avoir enfin produit un électrochoc. D’autant plus
qu’elles ont conduit à la mise en cause,
pour non-dénonciation d’agressions
sexuelles, du cardinal Philippe Barbarin,
l’archevêque de Lyon.
La Conférence des évêques de France l’a
compris. Non pas qu’elle n’ait rien fait depuis une quinzaine d’années, comme en témoigne le livret Lutter contre la pédophilie
publié en 2002. Mais c’était loin, à l’évidence, d’être suffisant. Mardi 12 avril, les
évêques ont annoncé un ensemble de mesures qui témoignent de leur volonté de ne
plus esquiver le problème. Mieux, de s’y attaquer sérieusement.
Ainsi, pour la première fois, priorité est
donnée à l’accueil, à l’écoute et à l’accompagnement des victimes, trop souvent négligées comme le démontre l’affaire lyonnaise. Sera donc mise en place, en principe
dans chaque diocèse, une cellule d’écoute
sur le modèle de celle qui est déjà expérimentée à Orléans. Et ces cellules seront
coordonnées par une nouvelle instance
permanente de lutte contre la pédophilie.
Le deuxième engagement essentiel pris
par la Conférence des évêques est d’empêcher des prêtres impliqués dans de telles affaires, ou soupçonnés de l’être, de poursuivre leur ministère. Concrètement, ces prêtres seront suspendus de leur mission
auprès d’enfants ou d’adolescents jusqu’à
ce que la justice pénale ait tranché. Cette articulation plus étroite entre procédures canoniques et judiciaires est indispensable.
Pour plus de transparence, le guide pratique des procédures à suivre par les évêques
– dont le pape Benoît XVI avait demandé la
rédaction dès 2012 – sera publié sur le site
Internet de la cellule de veille.
En outre, une commission nationale d’expertise indépendante, composée de magistrats, de médecins, de psychologues et présidée par une personnalité laïque qualifiée,
va être mise en place pour aider les évêques
à mieux évaluer la situation de prêtres convaincus d’abus sexuels sur des mineurs.
Enfin, la Conférence des évêques de France
entend ne pas laisser dans l’ombre des affaires anciennes restées impunies. A rebours de l’attitude de Mgr Barbarin à Lyon,
la hiérarchie catholique assure qu’elle
« n’est pas juge de la prescription ».
Cette prise de conscience et les bonnes intentions affichées sont salutaires. Reste à
les mettre en œuvre avec détermination et
efficacité. Reste, surtout, à restaurer, au
sein de chaque diocèse, la confiance ébranlée entre l’Eglise et ses fidèles, à commencer par les parents et leurs enfants. C’est
une condition indispensable. Elle réserve
probablement à l’Eglise catholique des moments difficiles et de pénibles mises à jour.
Mais c’est le prix à payer pour son manque
de vigilance passé. p
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LE JEUDI 14 AVRIL DÈS 17H
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L
es Allemands n’en sont
pas revenus, ce jeudi
10 mars, en écoutant Mario Draghi. « C’est une idée
intéressante… mais nous ne
l’avons pas encore réellement examinée », a déclaré le président de
la Banque centrale européenne
(BCE). Cette « idée intéressante »,
c’est l’« helicopter money », l’argent distribué par hélicoptère. On
imagine déjà le banquier central
jetant, tel un deus ex machina,
des liasses de billets de 100 euros
au bon peuple européen. Derrière
cette image saisissante, une idée
très sérieuse chemine auprès des
économistes : pour relancer le
pouvoir d’achat, la croissance et
l’inflation, les banquiers centraux
pourraient distribuer des espèces
sonnantes et trébuchantes aux citoyens. Directement.
Les Allemands, eux, n’ont pas eu
la vision d’un hélicoptère, mais
celle de vieilles brouettes. Celles,
remplies de billets, qu’ils transportaient en 1923, ruinés par l’hyperinflation, lorsque le dollar valait
4 200 milliards de marks.
Cette fois-ci la coupe est pleine.
A l’été 2012, Mario Draghi avait déclaré qu’il ferait tout ce qu’il faudrait – « Whatever it takes » – pour
sauver l’euro. Les Allemands ont
surtout le sentiment que le président de la BCE est prêt à faire
n’importe quoi. Y compris ruiner
les Européens en jetant leur argent dans les airs.
La brouille a éclaté sur la place
publique vendredi 8 avril, avec
l’amer reproche du ministre des
finances allemand, Wolfgang
Schäuble : « J’ai dit à Mario Draghi : “Sois fier. Tu peux attribuer à
cette politique 50 % du score” » de
l’Alternative für Deutschland
(AfD), le parti d’extrême droite allemand. Le reproche est exagéré :
la percée de l’AfD aux élections régionales de mars (15 % des voix
environ) s’explique largement
par la politique d’accueil des réfugiés. Mais elle est entretenue par
la sourde colère qui monte contre
l’euro et sa gardienne, la BCE.
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Le sombre diagnostic du FMI
Finances
publiques : la
France assure
tenir le cap
▶ Le Fonds a de
nouveau abaissé
ses prévisions
de croissance
mondiale
à 3,1 %-3,2 %
pour 2016
▶ Le FMI ne croit
pas à un rebond
marqué des
émergents. Et
prédit un avenir
morose aux
pays avancés
▶ Il exhorte
les Etats à agir
M
algré l‘annonce de
nouvelles dépenses
– plan emploi, mesures en faveur des jeunes, des agriculteurs et des fonctionnaires –,
le gouvernement affirme vouloir
respecter ses temps de passage en
matière de finances publiques.
Présenté mercredi 13 avril en
conseil des ministres, le programme de stabilité de la France,
qui détaille les prévisions macroéconomiques de l’exécutif jusqu’en 2019, sera transmis à Bruxelles d’ici à la fin du mois. Paris
maintient sa prévision de hausse
de 1,5 % du PIB pour 2016 et 2017.
Côté finances publiques, Bercy
confirme son objectif de réduire le
déficit public à 3,3 % du PIB en 2016
– après 3,5 % en 2015 –, puis à 2,7 %
pour 2017, conformément aux engagements pris auprès de Bruxelles. Mais, en raison de l’inflation
quasi nulle qui pèse notamment
sur les rentrées de TVA, le gouvernement va devoir faire des économies de 3,8 milliards d’euros
en 2016 et de 5 milliards en 2017.
Le gouvernement va devoir
trouver comment financer les différentes mesures exceptionnelles
annoncées depuis le début de l’année. « Toute dépense nouvelle sera
financée », affirme Christian Eckert, le secrétaire d’Etat chargé du
budget. La baisse du taux de prélèvements obligatoires, amorcée
en 2015, devrait se poursuivre. p
→ LIR E PAGE 3
Plate-forme pétrolière
offshore de Petrobras
au large d’Angra
dos Reis, au Brésil.
DADO GALDIERI/BLOOMBERG
VIA GETTY IMAGES
Perquisitions au siège du groupe Bolloré
→ LIR E PAGE 4
▶ L’industriel est soupçonné d’avoir obtenu la concession de ports en Afrique après avoir aidé à l’élection de chefs d’Etat
D
epuis plus de deux ans, l’enquête
judiciaire
française
ouverte sur la société Pefaco,
spécialisée dans l’hôtellerie et les jeux,
très présente en Afrique, avançait en
toute discrétion. Elle a finalement conduit les policiers de l’Office central de
lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF)
chez l’industriel Vincent Bolloré.
Vendredi 8 avril, la tour Bolloré, à
Puteaux (Hauts-de-Seine), siège notamment du groupe Bolloré Africa Logistics,
a fait l’objet d’une perquisition sur commission rogatoire des juges d’instruction financiers Serge Tournaire et Aude
Buresi.
A cette occasion, le bureau du PDG, Vincent Bolloré, alors en déplacement en
Bretagne, ainsi que ceux du directeur général et du directeur juridique du groupe,
ont été visités par les enquêteurs. Une
AÉRIEN
PERTES & PROFITS | FRANCE
SERVAIR POURRAIT
PASSER SOUS
PAVILLON CHINOIS
→ LIR E PAGE 5
HIGH-TECH
FACEBOOK
ET LA RÉVOLUTION
DES « CHATBOTS »
→ LIR E PAGE 8
j CAC 40 | 4 409 PTS + 1,47 %
j DOW JONES | 17 721 PTS + 0,94 %
J EURO-DOLLAR | 1,1346
J PÉTROLE | 41,28 $ LE BARIL
j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,51 %
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opération qui donne une tout autre dimension à l’enquête initiale. Les policiers
se demandent en effet aujourd’hui si le
groupe du milliardaire breton a utilisé
son bras publicitaire, Havas, pour faciliter l’obtention de la gestion des ports de
Conakry, en Guinée, et de Lomé, au Togo.
C’est de façon incidente que les magistrats ont été amenés à s’intéresser aux affaires africaines du groupe Bolloré, présent dans 46 pays du continent, où il s’est
imposé dans la logistique portuaire. Plus
précisément, en se penchant sur l’entregent de Francis Perez, président du
groupe Pefaco, société française basée à
Barcelone, proche de plusieurs figures
corses de l’univers des casinos, et de certains chefs d’Etat africains comme les
présidents togolais, Faure Gnassingbé, et
congolais, Denis Sassou-Nguesso.
Embauches, mode d’emploi
V
ous cherchez un emploi pour cet
été ? Allez cueillir des abricots ou des
fraises. Le secteur de la cueillette,
dans les arbres, par terre ou sur les
vignes est celui qui devrait le plus embaucher
cette année. Près de 104 000 recrutements prévus en 2016, selon l’étude annuelle de Pôle emploi sur les besoins en main-d’œuvre des entreprises, chiffrés cette année à 1 827 300 postes. Un
document plein d’enseignements, qui éclaire
les mouvements de l’emploi en France et par
conséquent les politiques publiques à engager
pour coller aux besoins de l’économie réelle.
Premier constat, l’emploi est en train de repartir. Déjà en mars dernier, l’Insee avait noté pour
2015 une reprise des créations de postes, même
si elle ne s’accompagnait pas encore d’un recul
du chômage. L’évolution est plus nette pour
2016. Le nombre de projets de recrutement dans
les 405 bassins d’emploi français est en hausse
de plus de 5 %, soit 88 000 postes de plus
qu’en 2015, le plus haut niveau observé depuis
sept ans. Parmi les raisons de cette embellie, le
retournement des intentions d’embauche dans
le bâtiment, en forte baisse en 2015 ( 16,6 %) et
en hausse de plus de 12 %, cette année. Mais
aussi les services aux entreprises (+ 8 %).
Mais cela ne donne pas une image complète
des réservoirs d’emplois et des difficultés à recruter, deux données de base pour qui veut agir
sur le niveau du chômage. Et dans ce domaine,
les chiffres sont sans appel : l’emploi se trouve
chez les « petits » et dans les services. Près de
sept intentions d’embauche sur dix émanent
Cahier du « Monde » No 22160 daté Jeudi 14 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
simon piel et joan tilouine
→ LIR E L A S U IT E PAGE 5
3,8
MONTANT, EN MILLIARDS D’EUROS,
DES MESURES D’ÉCONOMIES
COMPLÉMENTAIRES POUR 2016
HORS-SÉRIE
UNE VIE, UNE ŒUVRE
d’entreprises de moins de 50 salariés. Et presque la moitié (45 %) se situent dans des structures de moins de dix personnes. Tout effort en
direction des grandes entreprises visera surtout à réduire les suppressions de postes. Seuls
14 % des emplois créés en 2016 le seront par des
groupes de plus de 200 salariés. D’où l’importance de prendre en considération les besoins
des TPE et PME, plus que ceux des grands groupes dans tout projet (ou loi…) d’aide à l’emploi.
Un tiers des postes difficiles à pourvoir
Ensuite, cap sur les services, qui représentent
en France plus des deux tiers des besoins de
main-d’œuvre. Avec en première ligne, le commerce, le tourisme et le médico-social. C’est
peut-être moins enthousiasmant que de fabriquer des Airbus, mais c’est beaucoup plus prometteur en termes d’emploi. Seules 8 % des
embauches devraient se faire cette année dans
l’industrie et l’encadrement qui lui est lié. Cela
n’enlève rien à l’importance de l’industrie
dans la création de richesse nationale, notamment à l’exportation, mais relativise son rôle
dans la lutte contre le chômage.
Reste la lancinante question des freins à
l’embauche. Cette année encore, un tiers des
postes, soit tout de même près de
600 000 emplois, seront difficiles à pourvoir,
notamment dans l’hôtellerie-restauration et
l’aide à domicile. Ce qui est pour le moins étonnant, pour ne pas dire scandaleux, au pays des
3,5 millions de chômeurs. p
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0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Avec son application
pour mobile, la pépite des
jeunes pousses berlinoises
donne un sacré coup de vieux
aux établissements classiques
et aux banques en ligne
berlin - correspondance
N
e vous fiez pas à son nom.
Number26 a de grandes
ambitions : rien de moins
que de devenir la première
banque européenne sur
mobile. La start-up berlinoise est l’une de ces jeunes pousses dont
tout le monde parle dans le petit monde de la
fintech : ces sociétés technologiques spécialisées dans l’innovation financière, qui bousculent les modèles des banques traditionnelles. La jeune société symbolise aussi la vigueur de la scène start-up de Berlin, devenue
en quelques années un point névralgique de
l’économie digitale européenne.
Number26, qui revendique 160 000 clients
un an après son lancement, compte parmi
ses investisseurs Peter Thiel, le cofondateur
de PayPal et un des premiers investisseurs de
Facebook. Nantie de cet illustre parrainage,
Number26 figure parmi les invités d’honneur du premier FinCamp, conférence consacrée « à l’avenir de la banque numérique »
organisée à Berlin par le ministère allemand
des finances, jeudi 14 avril. Les start-up y côtoieront les banques et les grandes institutions financières du pays.
Au numéro 62 de la Klosterstrasse, dans
d’anciens locaux de la Stasi, la police politique de la RDA, on doit demander son chemin
pour arriver jusqu’à l’accueil de Number26.
« Nous avons emménagé ici il y a seulement
six mois, nous n’avons pas encore mis le nom
sur la porte », s’excuse Helena Treeck, 27 ans,
porte-parole de l’entreprise. Sur la moquette
des bureaux est imprimé le gigantesque
code informatique qui programme l’application de Number26, régulièrement sélectionnée par les utilisateurs comme une des
meilleures du marché dans sa catégorie.
« Nous voulions avant tout faire une “app”
cool, indépendamment du fait qu’elle soit
bancaire. Nous attirons la génération des
18-35 ans », explique Valentin Stalf, cofondateur de la start-up.
Né à Vienne en 1985, le trentenaire parle
très vite, dans un allemand teinté d’accent
autrichien, avec un mot sur trois en anglais.
Avec son associé Maximilian Tayenthal, il
avait d’abord pensé à faire une application de
carte prépayée pour permettre aux parents
de surveiller les dépenses d’argent de poche
de leur progéniture. « Mais quand nous
avons fait nos premiers essais fin 2013, nous
nous sommes aperçus que les parents utilisaient l’application pour eux-mêmes. Nous
avons donc changé de concept. »
Number26, la fintech
qui vise la place de numéro un
UN COMPTE EN QUELQUES MINUTES
Number26 a été lancée fin janvier 2015.
Aujourd’hui, l’application propose à ses
clients un compte courant, assorti d’une
carte de crédit. La différence avec un compte
en banque classique ? Toutes les opérations
sont effectuées en temps réel et classées
dans l’application. Mais surtout, l’ouverture
du compte se fait en quelques minutes, entièrement depuis son smartphone. Après
avoir rentré quelques informations personnelles, l’application se connecte par vidéo à
un service de vérification que la start-up a
externalisé. « Bonjour, vous voulez ouvrir un
compte chez Number26, je vais vérifier votre
identité, » commence l’agent de l’autre côté
de la caméra, qui va scanner notre pièce
d’identité et poser quelques questions. Quelques minutes plus tard, le compte est créé. Ni
courrier à envoyer, ni visite en agence, tout
se fait en quelques tapotements.
Ce qui a surtout fait le succès de Number26,
c’est sa capacité à enrichir rapidement ses
services de base avec des « innovations fintech ». Quelques mois après son arrivée sur
les smartphones, l’application permet ainsi
de bloquer sa carte ou son débit d’un simple
clic, ou encore d’envoyer de l’argent à ses
proches par SMS ou e-mail sans passer par
une banque tierce. Grâce à une coopération
avec TransferWise, elle propose des virements internationaux à prix très compétitif. Et par l’intermédiaire d’une association
avec une autre start-up berlinoise, Barzahlen, Number26 propose à ses clients de déposer et retirer de l’argent de 8 000 commerces partenaires, ce qui permet d’éviter
les distributeurs automatiques dont les frais
sont souvent très élevés en Allemagne.
« Nous voulons faire de l’application un mar-
ché pour les innovations financières que
nous sélectionnons. Il y a un énorme potentiel sur le crédit, l’assurance, l’épargne. Grâce
à l’intelligence artificielle que nous injectons
dans notre produit, on peut faire du conseil
financier personnalisé, même avec de petits
budgets, car nos coûts sont faibles, » poursuit Valentin Stalf.
Olivier de Montety, un des experts français
de la finance en ligne, cofondateur de Compte-Nickel et bon connaisseur de la scène fintech berlinoise, estime que Number26 a un
très grand avenir. « Ce qu’ils ont bien compris,
c’est l’importance de l’expérience utilisateur. A
un horizon de cinq ans, la génération des 20 à
35 ans n’ira même plus pousser la porte d’une
agence ou regarder le site Internet d’une banque classique. Sur la banque de détail, elles ont
perdu, elles ne pourront jamais rattraper leur
retard », tranche-t-il. Parce qu’elles utilisent
les nouveaux systèmes informatiques capables de tourner en temps réel, les nouvelles
banques en ligne ou sur mobiles sont considérablement plus rapides et moins chères
que les banques traditionnelles, qui traitent
les opérations en différé et doivent financer
un coûteux réseau d’agences.
En Allemagne, où chaque chef-lieu de canton dispose de sa propre caisse d’épargne et
de sa banque populaire locale, la perspective
d’un monde sans agence bancaire paraît
pour certains soit improbable, soit carrément apocalyptique. Mais Jens Spahn, secrétaire d’Etat au ministère des finances, qui
suit personnellement le dossier du numérique, se veut rassurant : « C’est plus une évolution qu’une révolution. Lorsque la banque directe par téléphone est apparue, il y a vingt
ans, on annonçait aussi la fin des banques.
L’APPLICATION
PERMET DE BLOQUER
SA CARTE OU SON
DÉBIT D’UN SIMPLE
CLIC, OU ENCORE
D’ENVOYER
DE L’ARGENT
À SES PROCHES
PAR SMS OU E-MAIL
SANS PASSER PAR
UNE BANQUE TIERCE
Rien de tel ne s’est produit, » explique au
Monde l’ancien banquier de 35 ans.
Avec sa conférence FinCamp, le ministère
des finances souhaite organiser le dialogue
entre les start-up, les banques traditionnelles et les institutions financières du pays
comme la Bundesbank, la banque centrale
allemande et la BaFin, l’autorité de surveillance des marchés financiers. « Je veux
faire comprendre aux banques traditionnelles que les start-up ne sont pas des ennemis
ou des voleurs, mais des acteurs du changement, avec qui il faut coopérer. Si on passe à
côté du changement, on le subit », dit Jens
Spahn. Il veut faire évoluer la régulation
pour faciliter le passage au tout numérique
et apporter aux jeunes pousses de la fintech
allemande un soutien logistique et politique. « Sinon, on sera dépendants de services
faits dans la Silicon Valley, à Londres, à Singapour ou à Hongkong. Berlin a un bon environnement, il faut l’encourager. »
BERLIN, CAPITALE DU NUMÉRIQUE
Le choix du lieu de la conférence, Berlin plutôt que Francfort, capitale financière du pays,
en dit long sur le peu d’empressement des
banques traditionnelles allemandes à monter dans le train du numérique. Il montre
également l’importance de Berlin, devenue
en quelques années capitale allemande du
numérique. Outre Number26, les start-up de
technologie financière Mambu, Finleap,
Spotcap, Raisin et Sumup se sont fait un nom
sur les bords de la Spree et au-delà.
Dans la première moitié de 2015, la ville a
attiré pour la première fois plus d’investissements en capital-risque que Londres, avec
1,4 milliard d’euros. Selon le classement
mondial des écosystèmes de start-up réalisé
par le groupe Compass, Berlin pointe au neuvième rang mondial et au second rang européen derrière Londres. Si la scène start-up
berlinoise a longtemps été considérée
comme une fabrique de clones de leurs homologues américaines, elle est désormais en
phase de maturation et profite de ses atouts.
« Grâce à son orientation première sur le commerce en ligne, Berlin dispose aujourd’hui de
deux atouts clés : un pôle de compétences en
matière de marketing en ligne qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde, ainsi
qu’un savoir-faire pour dérouler des modèles
économiques sur plusieurs pays » estime
Christian Nagel, cofondateur du fond de capital-risque Earlybird, spécialisé dans le financement des start-up.
Pour attirer les talents, la ville dispose de
quelques atouts comme une qualité de vie
renforcée par des prix immobiliers encore
abordables, même si le secteur a fortement
grimpé ces dernières années. Les développeurs d’Europe de l’Est s’installent volontiers à Berlin et il n’est pas rare de croiser une
trentaine de nationalités différentes dans les
entreprises de plus de cent salariés. « Cette diversité est un moteur pour l’expansion à l’international. La tendance en faveur du développement de Berlin est très claire, » juge
Christian Nagel. A condition de conserver
l’autonomie de ces jeunes entreprises. Faute
de fonds de capital-risque suffisants en Allemagne, capables de financer les entreprises
en phase de croissance, le risque est de voir
les jeunes pousses cultivées à Berlin être rachetées par des groupes américains une fois
arrivés à maturité. p
cécile boutelet
économie & entreprise | 3
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Nouvelle alerte du FMI sur la croissance mondiale
Le Fonds invite les Etats à mettre au point « un plan de secours » au cas où le ralentissement s’aggraverait
L
a croissance économique
mondiale est « trop faible,
depuis trop longtemps ».
Présenté mardi 12 avril, le
nouveau diagnostic du Fonds monétaire international (FMI) est encore plus pessimiste que les précédents. Selon la dernière édition
des Perspectives de l’économie
mondiale, le PIB mondial ne devrait s’accroître que de 3,1 % à 3,2 %
en 2016 et de 3,5 % en 2017, un niveau « décevant », selon Maurice
Obstfeld, l’économiste en chef de
l’institution créée en 1944. La dernière prévision, faite en janvier,
tablait sur une croissance de 3,4 %
de la richesse mondiale en 2016.
Dans un discours prononcé devant le who’s who de la finance
mondiale réuni cette semaine à
Washington pour les traditionnelles réunions de printemps du
Fonds et de la Banque mondiale,
M. Obstfeld n’a pas caché son inquiétude. « Nos prévisions sont de
moins en moins optimistes », a
souligné
cet
universitaire,
nommé au FMI en septembre 2015, et qui était auparavant
conseiller économique du président américain, Barack Obama.
Demande en berne
Les risques qui pèsent sur l’économie mondiale sont bien connus :
la chute du prix du pétrole, les conséquences de la guerre en Syrie, les
menaces terroristes, ou encore la
perspective du « Brexit » (c’est-àdire la sortie du Royaume-Uni de
l’Union européenne). Mais ce qui
laisse le FMI perplexe, c’est l’absence d’efficacité des remèdes conventionnels.
Compte tenu des politiques monétaires « accommodantes » des
banques centrales, l’argent n’a ja-
Banque mondiale, OMS et déprime
Au moment où le FMI livre son diagnostic économique, la Banque
mondiale et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appellent à
lutter contre la déprime. Selon les organisations internationales, la
dépression et l’anxiété coûtent chaque année 1 000 milliards de
dollars à l’économie mondiale (880 milliards d’euros), et près de
10 % de la population serait touchée. Investir dans leur prise en
charge est pourtant très rentable, estime l’OMS, dans une étude
publiée mardi 12 avril dans The Lancet Psychiatry.
Portant sur un échantillon de 36 pays, elle révèle qu’un investissement de 147 milliards de dollars pour la période 2016-2030 se traduirait par un bénéfice de 399 milliards en termes de productivité,
et par une économie de 310 milliards sur d’autres dépenses de
santé. Jim Yong Kim, le président de la Banque mondiale, en a fait
l’une de ses priorités. « Nous devons agir maintenant car la perte de
productivité est quelque chose que l’économie mondiale ne peut
tout simplement pas se permettre », justifie-t-il.
Ce qui laisse
le Fonds
perplexe,
c’est l’absence
d’efficacité
des remèdes
conventionnels
mais été si bon marché, et pourtant, la demande, qu’il s’agisse de
la consommation ou de l’investissement, est en berne. S’ils ne veulent pas s’enliser dans une situation que plusieurs économistes,
parmi
lesquels
l’Américain
Lawrence Summers, qualifient de
« stagnation séculaire », les Etats
doivent réagir « immédiatement ».
« Il n’y a plus beaucoup de place
pour l’erreur », a averti Maurice
Obstfeld.
Dans ce contexte incertain, le
FMI se soucie plus particulièrement de l’avenir des pays émergents, frappés de plein fouet par
l’effondrement du prix des matières premières. Tant qu’ils n’auront
pas diversifié leur économie, un
retour à la croissance semble peu
probable. « En principe, les pertes
enregistrées par les pays producteurs devraient se traduire par des
gains équivalents pour les pays importateurs, mais le bilan s’avère négatif », soulignent les économistes
du Fonds. Entre janvier et avril, ils
ont notamment abaissé de 0,9
point leurs perspectives pour le
Nigeria, premier exportateur afri-
cain de pétrole, dont la croissance
devrait se limiter à + 2,3 % en 2016.
Le Brésil, plongé dans une grave
crise politico-financière, et la Russie, frappée par les sanctions liées
à l’Ukraine, devraient de leur côté
s’enfoncer dans la récession cette
année avec un PIB en recul respectivement de 3,8 % et 1,8 %, d’après
ces nouvelles prévisions. La Chine
tire bien mieux son épingle du jeu
avec une croissance de 6,5 % un
peu plus dynamique que prévu.
Les Douanes chinoises ont annoncé mardi 12 avril un rebond
marqué des exportations de la
Chine en mars (+ 11,5 %), qui interrompt un plongeon de plusieurs
mois. Ce résultat, s’il dure, est de
nature à conforter le diagnostic du
Fonds. Mais la transition de Pékin
vers une économie davantage fondée sur la consommation pourrait
être « moins douce » que prévu, au
risque de créer de nouvelles turbulences financières, avertit le FMI.
Le quasi-statu quo que l’organisation prédit aux économies avancées n’est guère plus enthousiasmant : ses estimations pour les
Etats-Unis comme pour la zone
euro sont plus faibles que prévu
(− 0,2 point), avec une croissance
de 2,4 % et 1,5 % respectivement.
Selon ses calculs, le Japon devrait
tomber en récession en 2017. Dans
ces économies, « l’impact négatif
de la démographie, la faible croissance de la productivité et les séquelles de la crise financière continuent d’entraver la reprise de l’activité », regrette le FMI.
L’ordonnance du Fonds est assez
classique, avec les politiques de
grands travaux comme bon vieux
remède. « Pour un certain nombre
de pays, il peut être opportun d’investir dans les infrastructures (…)
afin de profiter de la baisse des taux
réels d’emprunt », indique Maurice
Obstfeld. Afin d’inciter les entreprises à investir, notamment dans
la recherche, l’économiste encourage aussi les gouvernements à
adopter des politiques fiscales
plus « amicales ». Le tout sans
plomber les finances publiques.
Exercice d’équilibrisme
Préoccupé par le niveau élevé du
chômage dans de nombreux
pays, le Fonds consacre un chapitre entier de son rapport à la réforme du marché du travail. Pour
faciliter le travail des femmes par
exemple, il plaide pour des réductions du coût des gardes d’enfant,
des aménagements dans les congés parentaux et des allégements
d’impôts sur le deuxième salaire
au sein d’un couple. Il insiste aussi
sur la nécessité de mieux intégrer
les jeunes en mettant l’accent sur
la formation, la baisse des cotisations sociales et l’adoption d’un
Dans ce contexte
incertain,
le FMI se soucie
plus
particulièrement
de l’avenir des
pays émergents
salaire minimum spécifique. L’intégration des migrants fait l’objet
de recommandations spécifiques
comme l’autorisation de travailler pendant l’examen de la demande d’asile, la prise en charge
d’une partie de leur salaire ou encore la reconnaissance des qualifications professionnelles.
Le Fonds suggère en revanche
de limiter la durée et le niveau des
indemnités versées à ceux qui ont
perdu leur emploi et de faciliter
l’ajustement du temps de travail
et du salaire en fonction de l’activité. Il reconnaît cependant que
les effets de telles réformes peuvent créer des tensions à court
terme. « Des réformes dans les systèmes de protection de l’emploi
peuvent déclencher des licenciements rapidement alors que les
embauches peuvent prendre plus
de temps à se concrétiser », reconnaît le rapport.
Conscient qu’un tel exercice
d’équilibrisme est loin d’être gagné à l’échelle mondiale, le FMI
demande aux Etats de plancher
sur un « plan de secours » au cas où
la croissance économique continuerait de ralentir. Pour « améliorer à la fois le fonctionnement du
système monétaire international
et la stabilité des marchés financiers, la coopération internationale est fondamentale », a-t-il insisté. « Beaucoup de progrès ont
été accomplis depuis la crise financière [de 2008] mais il reste beaucoup à faire. » Un constat qui
sonne d’abord comme un aveu
d’impuissance. p
chloé hecketsweiler
4 | économie & entreprise
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Budget : Sapin promet de nouvelles économies
L’inflation quasi nulle conduit la France à trouver 3,8 milliards d’euros d’économies complémentaires
L
e changement, c’est la
continuité. C’est en quelque sorte ce qui caractérise le programme de stabilité présenté mercredi 13 avril
en conseil des ministres. Ce document annuel, qui doit être transmis à la Commission européenne
avant la fin du mois, établit la
stratégie macroéconomique de la
France jusqu’en 2019. Il fera l’objet d’un débat, sans vote, le
26 avril à l’Assemblée nationale et
le lendemain au Sénat.
La première indication fournie
par ce programme de stabilité,
c’est que la France maintient ses
objectifs de croissance et de réduction du déficit public. « La
croissance s’est installée sur des
bases solides », estime Michel Sapin, le ministre des finances.
Alors que la loi de finances prévoyait 1 % en 2015, elle a finalement atteint 1,2 %. Le gouvernement maintient sa prévision de
1,5 % en 2016 et en 2017. Pour 2018
1,8 milliard
d’euros
vont être
économisés
grâce à la
moindre charge
des intérêts
de la dette
et 2019, elle est respectivement
prévue à 1,75 % et 1,9 %. Une prévision, s’agissant de 2016, que le
Haut Conseil des finances publiques, dans son avis rendu public
mercredi, juge « atteignable »,
même si elle se situe dans le haut
de la fourchette des prévisions
économiques. Pour les années
suivantes, le scénario du gouvernement lui paraît « plausible »
mais il souligne « l’importance
des risques qui l’affectent ».
Pour sa part, la Banque de
France attend 1,4 % sur l’année.
« La croissance en France en 2016
devrait se montrer résistante,
c’est-à-dire au moins au niveau de
l’an dernier, tout en restant insuffisante. Nous serons en dessous de
la moyenne de la zone euro », a déclaré, mardi, le gouverneur de
l’institution monétaire, François
Villeroy de Galhau. En revanche,
l’Observatoire français des conjonctures économiques se montre plus optimiste dans ses perspectives publiées mardi puisqu’il
prévoit 1,6 % en 2016 et en 2017.
Mouvements de crédits
C’est la même stabilité qui prévaut en ce qui concerne la trajectoire de réduction du déficit public : après 3,5 % du PIB en 2015,
contre 3,8 % anticipés, il devrait,
selon les hypothèses maintenues
du gouvernement, atteindre 3,3 %
en 2016 avant de repasser sous la
fameuse barre des 3 % en 2017,
comme la France l’a promis à
Bruxelles, et être abaissé à 2,7 %.
« Nous nous y sommes engagés,
nous nous y tiendrons, assure
M. Sapin. Les résultats obtenus depuis deux ans démontrent que notre méthode fonctionne. »
Le gouvernement se défend de
vouloir ouvrir les vannes de la dépense publique et de laisser dériver le déficit public, malgré les annonces successives depuis le début de l’année : au plan emploi
lancé en janvier se sont ajoutés le
plan d’urgence en faveur des agriculteurs, la revalorisation du
point d’indice et des carrières des
fonctionnaires et les mesures
proposées lundi en faveur des
jeunes. Le programme de stabilité fixe un objectif de croissance
de la dépense publique, hors crédit d’impôt, de 1,1 % en 2016 et
en 2017. Cela se traduit par une diminution de la part de la dépense
dans le PIB, qui, après avoir été ramenée de 56,1 % en 2014 à 55,3 %
Une collection
à
PHILOSOPHER
« Pensez le monde autrement
avec les grands philosophes »
L’
économie française possède des marges de croissance. » C’est le message
délivré par l’Observatoire français
des conjonctures économiques
(OFCE), organisme de recherche
indépendant classé à gauche, qui
a présenté mardi 12 avril ses prévisions macroéconomiques.
« Alors que 2014 et 2015 avaient
été marquées par un décrochage
de la croissance française par rapport au reste de la zone euro, l’économie française aborde 2016 dans
de meilleures conditions », a résumé Mathieu Plane, économiste
à l’OFCE, pour qui « de nombreux
signaux positifs sont passés relativement inaperçus ».
D’abord, l’année écoulée a été
marquée par une reprise de la
création d’emplois, avec 122 000
emplois marchands créés, et
166 000 au total. Le déficit public
s’est révélé moins important que
prévu l’an dernier, à 3,5 % du PIB,
alors que la loi de finances prévoyait 3,8 %. Autre point positif :
une meilleure maîtrise de la dépense publique, « qui a ralenti à
un niveau jamais vu depuis les années 1960 », selon M. Plane.
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Enfin, 1,8 milliard d’euros d’économies seront réalisés grâce à la
moindre charge des intérêts de la
dette. En effet, même si la dette
continue de progresser légèrement en 2016 (96,2 % du PIB) et
2017 (96,5 %) après 95,7 % en 2015,
la politique monétaire de la Banque centrale européenne permet
de maintenir des taux d’intérêt
bas. La France a emprunté à dix
ans, jeudi, à un taux record de
0,43 %. Alors que la loi de finances
était établie sur une prévision de
taux d’intérêt de 2,4 % fin 2016,
celle-ci est abaissée à 1,25 %, avant
de remonter à 2 % en 2017.
En 2017, ce sont 5 milliards
d’euros d’économies complémentaires qui devront être réalisés, alors que, dans le même
temps, le mouvement de baisse
du taux de prélèvements obligatoires amorcé en 2015 devrait se
poursuivre. Le gouvernement a
ramené ses prévisions de 44,5 % à
44,2 % en 2016, puis 44 % en 2017.
La France compte ainsi, cette fois,
passer sans encombres l’examen
de la Commission européenne. p
patrick roger
L’Observatoire table sur une hausse
du PIB de 1,6 % en 2016 et 2017
ÉTHIQUE, LIBERTÉ, JUSTICE
Présentée par Jean Birnbaum,
essayiste, directeur du
« Monde des livres ».
en 2015, devrait passer à 54,6 %
en 2016 et 54 % en 2017.
« Toute dépense nouvelle sera financée, affirme Christian Eckert,
le secrétaire d’Etat chargé du budget. Ce que nous avons réussi l’an
dernier, nous allons également le
réussir cette année. » Pour ce faire,
Bercy, d’une part, dispose d’une
réserve de précaution augmentée
de 1,8 milliard d’euros grâce au
gel des crédits reportés de 2015 à
2016 et, d’autre part, va procéder
à des mouvements de crédits entre ministères au cours du printemps.
Surtout, il va prendre, comme
en 2015, des mesures d’économies complémentaires, pour un
montant de 3,8 milliards d’euros,
afin d’absorber, notamment,
l’impact négatif de la faible inflation sur les finances publiques.
Dans son document, en effet,
Bercy prend acte de l’absence de
regain de l’inflation et abaisse sa
prévision d’inflation de 1 % à
0,1 %.
De ce fait, après financement
des mesures nouvelles, l’Etat et
ses opérateurs vont devoir diminuer leurs dépenses de 1 milliard
d’euros. Un même montant
d’économies devra être réalisé
sur les dépenses des administrations de Sécurité sociale.
L’OFCE confiant sur
la croissance française
APPRENDRE
Une collection
Le déficit public
devrait atteindre
3,3 % en 2016,
avant de repasser
sous la fameuse
barre des 3 %
en 2017
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« Deux points noirs »
Les comptes des entreprises se
sont aussi améliorés. L’investissement a crû de 3,2 % fin 2015, et le
taux de marge des entreprises
s’est nettement redressé, en particulier dans les secteurs exportateurs (industrie), « qui sont passés
de 33 % de marge mi-2014 à 39 %
aujourd’hui, au plus haut depuis
1980 », souligne l’OFCE.
Les économistes concèdent toutefois « deux points noirs » : le recul
de l’investissement des ménages,
c’est-à-dire de la construction, qui
a amputé la croissance de 0,2 point
de PIB en 2014 comme en 2015 ; et
la baisse des investissements des
administrations publiques.
Par ailleurs, dans la production,
le taux d’utilisation des machines
n’est pas revenu à sa moyenne historique. Et sur le marché du travail, le sureffectif est estimé à
70 000 personnes – les entreprises n’ayant pas licencié dans les
proportions de la contraction de
l’activité au plus fort de la crise.
Quant à la consommation des ménages, socle de la reprise, elle n’a
pas augmenté autant que le pouvoir d’achat, ce qui laisse à penser
que les Français ont préféré épargner plutôt que dépenser.
Mais pour l’OFCE, ce bémol devrait être source d’optimisme
pour 2016. « Depuis 2008, jamais la
capacité d’épargne des ménages n’a
été aussi élevée. Couplé au rebond
du taux de marge des entreprises,
cela permet à la France d’aborder
2016 avec des capacités financières nettement plus élevées que par
le passé », explique M. Plane.
L’OFCE attend un rebond de la
consommation, par effet ricochet
après un quatrième trimestre
marqué entre autres par les attentats de Paris, et parce que les Français devraient désormais davantage piocher dans leurs bas de
laine. Les économistes de l’OFCE
prévoient une croissance de 1,6 %
pour cette année – le gouvernement table sur 1,5 % et le FMI sur
1,1 % – et d’autant pour 2017.
« Cela reste très mou au regard
des reprises précédentes », souligne
toutefois M. Plane. Il suffit, pour
s’en convaincre, de regarder l’effet
sur l’indicateur le plus important
pour les Français : le taux de chômage. Celui-ci, qui stagne autour
de 10 % depuis la mi-2013, devrait
redescendre à 9,5 % en 2017, selon
l’OFCE. Un effet de la reprise de l’activité, mais aussi du plan de formation de 500 000 chômeurs annoncé par François Hollande en
janvier, qui fera baisser le nombre
des demandeurs d’emploi mécaniquement… et temporairement. p
audrey tonnelier
économie & entreprise | 5
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Les activités
africaines
de Bolloré sous
l’œil des juges
Le terminal
à conteneurs
du port
de Conakry,
en Guinée,
en 2011.
L’industriel breton est soupçonné
d’avoir utilisé Havas pour faciliter
l’obtention de la gestion de ports
suite de la première page
Dans un communiqué en réaction aux révélations du Monde, le
groupe Bolloré a indiqué mardi
« qu’il n’a entretenu et qu’il n’entretient aucune relation avec la société Pefaco et ses dirigeants ».
Francis Perez compte pourtant
dans ses relations un certain JeanPhilippe Dorent, dont le nom apparaissait déjà dans le signalement Tracfin – le service antiblanchiment du ministère des finances – qui avait provoqué
l’ouverture de l’enquête préliminaire en juillet 2012. M. Dorent est
l’un des cadres dirigeants de
l’agence de communication Havas, détenue aujourd’hui à 60 %
par le groupe Bolloré, où il est
chargé du pôle international. « Je
connais M. Perez, tout comme je
connais plein de monde en Afrique
et ailleurs », précise-t-il au Monde.
Très actif sur le continent,
M. Dorent s’est notamment occupé en 2010, pour le compte
d’Havas (alors détenu à 32,9 % par
Bolloré), de la campagne présidentielle guinéenne du candidat
Alpha Condé, rentré d’un long
exil parisien au cours duquel il
s’était lié d’amitié avec l’ancien
ministre des affaires étrangères,
son camarade de lycée Bernard
Kouchner, et avec Vincent Bol-
loré. « Il est exagéré de dire qu’Havas a fait la campagne. En tant
que consultant, j’ai fait du conseil
pour Alpha Condé, que je considère comme un ami et une figure
de la lutte africaine contre la dictature et contre l’apartheid », souligne M. Dorent.
M. Dorent a aussi eu la charge
d’une partie de la communication du jeune président togolais,
Faure Gnassingbé, fils de Gnassingbé Eyadema, resté plus de
trente-sept ans à la tête de ce petit
pays d’Afrique de l’Ouest.
« Un fantasme »
En février 2014, puis en février 2015, les policiers ont effectué plusieurs perquisitions dans
les bureaux de M. Dorent chez Havas, sixième groupe publicitaire
mondial, présidé depuis août 2013
par Yannick Bolloré, 36 ans, le fils
Philippe Dorent,
un des cadres
dirigeants
d’Havas, avait
déjà fait l’objet
d’un signalement
Tracfin
TOURE BABACAR/
PANAPRESS/MAXPPP
du PDG. Ils y ont mis la main sur
des éléments qui n’ont plus forcément de liens avec Pefaco et ses casinos africains, mais qui ont conduit aux perquisitions menées le
8 avril au siège du groupe Bolloré.
Les conseils de M. Dorent et
d’Havas pour la campagne électorale ont-ils facilité l’octroi à Bolloré Africa Logistics des concessions portuaires de Conakry, en
Guinée, et de Lomé, au Togo ? A ce
titre, le cadre de l’information judiciaire ouverte en novembre 2013 a été élargi au début de
l’année 2016 aux faits de « corruption d’agent public étranger ».
En novembre 2010, Alpha
Condé a accédé à la magistrature
suprême à la suite de la première
élection libre du pays, qui sortait
de cinquante-deux ans de régime
autoritaire. Dans la foulée, en
mars 2011, la convention de concession du terminal à conteneurs
du port de Conakry, octroyée
en 2008 pour une durée de vingtcinq ans à Getma, filiale du
groupe français Necotrans, spécialisé dans la logistique por-
tuaire en Afrique, a été rompue.
Alpha Condé a confié la gestion
du port à son « ami » Vincent Bolloré. Une bataille judiciaire a été
engagée par Necotrans en France,
ainsi qu’une longue procédure
arbitrale.
« C’est un fantasme que de penser
qu’un coup de main à la campagne
d’un candidat à la présidentielle
qui faisait figure d’outsider comme
Alpha Condé permettrait l’obtention d’un port », balaie M. Dorent.
Au Togo, le groupe Bolloré a également remporté en 2010 – année
de la réélection de M. Gnassingbé –
la concession du terminal à conteneurs du port de Lomé pour une
durée de trente-cinq ans. Une décision elle aussi contestée, cette fois
par un autre concurrent. Jacques
Dupuydauby, ancien associé de
Bolloré au Togo, a multiplié les recours judiciaires pour dénoncer
les conditions dans lesquelles il
considère avoir été évincé.
« Concernant ses activités portuaires, le groupe Bolloré rappelle
qu’il s’agit d’investissements considérables, réalisés en partenariat
avec d’autres grands groupes internationaux », précise l’entreprise
familiale dans un communiqué.
L’avocat du groupe, Olivier Baratelli, a néanmoins confirmé les informations du Monde : « Lors de
cette perquisition, il nous a été demandé des documents sur des concessions portuaires en Afrique et
nous les avons remis, a-t-il précisé.
Tout en assurant que le groupe
n’est nullement partie ou impliqué
dans cette information judiciaire. »
Mardi 12 avril, un porte-parole
d’Havas a indiqué à l’AFP que l’entreprise a « cessé toute communication politique depuis 2011 ». Cependant, fin 2015, Jean-Philippe
Dorent s’est occupé personnellement de la communication du
président camerounais Paul Biya
durant la COP21 à Paris. Par
ailleurs, Havas a assuré la campagne présidentielle de l’homme
d’affaires Sébastien Ajavon au Bénin en janvier et février 2016, candidat arrivé troisième au premier
tour du 6 mars. p
simon piel
et joan tilouine
Servair pourrait tomber
dans l’escarcelle d’un groupe chinois
C’
est la dernière ligne
droite pour Servair. Air
France a lancé le processus de vente de sa filiale à 100 %,
spécialisée dans l’avitaillement,
le « catering » des compagnies aériennes. Selon nos informations,
cinq candidats sont sur les rangs
pour racheter une partie du capital de Servair.
Mais sur les cinq prétendants,
trois seulement seraient considérés comme « sérieux » par la compagnie. Le trio de tête comprend
le français Newrest, spécialisé
dans la restauration collective,
I’austro-turc Do & Co, et le suisse
Gategroup, maison mère de la société Gate Gourmet, spécialisée
dans le catering. Et c’est bien cette
dernière qui pourrait l’emporter,
dans la foulée d’une opération capitalistique qui vient de se déclencher en Suisse.
En effet, le groupe chinois HNA,
présent dans l’hôtellerie, le tourisme et le transport aérien, a déposé, lundi 11 avril, une offre publique d’achat (OPA) d’un montant de
1,2 milliard d’euros sur Gategroup.
Cette opération a reçu le soutien
du conseil d’administration du
groupe helvète. L’OPA devrait être
finalisée entre le 27 mai et le
23 juin. HNA n’est pas un inconnu
en France depuis qu’il a noué, en
novembre 2015, un partenariat
stratégique avec le groupe Pierre et
Vacances notamment pour aider
le français à développer des Center
Parcs en Chine.
Cette opération capitalistique
sino-helvétique pourrait renforcer
les chances de Gate Gourmet de
mettre la main sur Servair. L’arrivée de HNA aux commandes de
Gategroup donnerait en effet les
moyens financiers au suisse pour
faire des acquisitions d’importances. « Cela leur apporterait beaucoup d’argent pour se développer à
l’international. Notamment en
Asie », fait savoir un bon connaisseur du dossier. « C’est idéal pour
Servair », ajoute-t-il.
Retour des bénéfices
Surtout, Gate Gourmet, renforcé
par l’apport du chinois HNA, semble bien correspondre au profil
recherché par Air France. Il y a
trois ans, la compagnie aérienne
avait déjà évoqué l’ouverture du
capital de Servair, notamment
pour permettre à sa filiale de faire
des acquisitions.
Air France a fixé deux étapes
pour la reprise de sa filiale. Dans
un premier temps, le futur repreneur devra acquérir la minorité de
blocage de Servair avant d’en devenir l’actionnaire majoritaire. Mais
Air France restera présente au capital. Lors de l’annonce de la mise
en vente de Servair, , au cours d’un
comité central d’entreprise le
10 mars, la compagnie aérienne
avait précisé qu’elle souhaitait en
rester un actionnaire de référence
avec environ 20 % du capital.
Le spécialiste de la restauration
collective Newrest, qui aurait fait,
un temps, figure de favori ne présenterait pas les mêmes atouts. La
société présidée par Oliver Sadran,
également à la tête du club de football de Toulouse, serait « moins
complémentaire avec Servair »,
que Gate Gourmet, pointe un proche du dossier. Comme Servair,
Newrest serait principalement
présente en France et en Afrique.
Longtemps dans le rouge, Servair a renoué avec les bénéfices.
Elle est redevenue profitable depuis trois ans, malgré la baisse des
achats d’Air France, qui demeure
son principal client. Toutefois, la
société qui emploie environ
10 000 salariés ne détient plus
que 6 % de part de marché de l’avitaillement. Sans doute pour compenser la politique de réductions
de coûts menée par Air France,
Servair, a entamé sa diversification. La filiale de catering gère désormais des établissements de la
chaîne de restauration rapide
Burger King en Afrique.
Servair serait valorisée 500 millions d’euros. Le calendrier de la
vente pourrait désormais s’accélérer. Air France devrait ainsi annoncer être entré en négociations exclusives avec l’un des candidats au
rachat d’ici à la fin avril. p
guy dutheil
On ne choisit pas son nom,
mais on choisit qui on devient.
#bedistinctive
© campus com
La filiale d’avitaillement d’Air France est convoitée par le suisse
Gategroup, lui-même en passe d’être racheté par le chinois HNA
6 | économie & entreprise
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
En Espagne, Abertis se sent pousser des ailes
LOI SI RS
LVMH s’allie à la
Compagnie des Alpes
pour garder le Jardin
d’acclimatation
Le groupe de luxe LVMH
est candidat à sa propre
succession pour la concession du Jardin d’acclimatation de Paris, qui sera renouvelée en septembre.
Il a indiqué, mardi 12 avril,
avoir conclu à cette occasion
un partenariat à (80 %/20 %)
avec la Compagnie des Alpes
qui exploite des domaines
skiables et des parcs de loisirs. – (AFP.)
LUXE
Chanel épaule
Sophie Hallette
Chanel a pris une participation très minoritaire dans
Holesco, la maison mère de
l’entreprise de dentelles Sophie Hallette, a-t-on appris
mardi 12 avril. Chanel épaule
ainsi Holesco dans sa reprise
de la PME calaisienne de dentelles Codentel. Sont aussi sur
les rangs les managers
de Codentel et le chinois
Yongsheng, nouveau propriétaire de Desseilles. Le tribunal
de commerce de Boulognesur-Mer doit trancher jeudi.
Le concessionnaire d’autoroutes profite de la reprise et de sa diversification
madrid - correspondance
L
e trafic routier est un
bon thermomètre de la
reprise : on peut y lire
l’amélioration de l’activité, le rétablissement du moral
des ménages et le redressement
de l’économie des familles, l’emploi qui repart ou les voyages
d’agrément qui reprennent…
Qu’Abertis, la principale société
concessionnaire d’autoroutes
espagnole, ait vu augmenter le
trafic de 6,1 % en 2015 sur les
1 777 km de voies à péages qu’elle
gère dans le pays (60 % du total)
confirme ainsi la bonne marche
de l’économie espagnole. « Nos
revenus sont très liés au PIB des
pays où nous opérons », convient
le directeur financier du groupe,
José Aljaro, dans les lumineux
bureaux du siège, situé dans le
quartier chic de Pedralbes, à Barcelone. En 2015, le PIB de l’Espagne a augmenté de 3,2 %. Parallèlement, la circulation des poids
En 2015,
le bénéfice net du
groupe a bondi,
à 1,88 milliard
d’euros, trois fois
supérieur
à celui de 2014
lourds a progressé de 8,5 % et
celle des véhicules de tourisme,
de 5,7 %.
L’Espagne revient de loin. « Entre 2007 et 2014, le trafic sur nos
autoroutes à péage espagnoles
avait baissé de plus de 32 % », se
souvient José Aljaro. Il aura fallu
attendre le dernier trimestre
2013 pour voir la courbe s’inverser, et 2014 pour noter une augmentation sensible de près de
4 % du trafic. « Les premiers résultats montrent que 2016 s’annonce
très positive », ajoute le directeur
financier devant d’immenses
baies vitrées qui donnent sur la
Finca Güell, un monument peu
connu du célèbre architecte catalan Antoni Gaudi.
Ce mardi 12 avril, Abertis a présenté les résultats et les points
forts de l’exercice 2015 devant
l’assemblée générale des actionnaires. En 2015, le bénéfice net du
groupe a bondi, à 1,88 milliard
d’euros, trois fois supérieur à celui de 2014, grâce à l’entrée en
Bourse de 66 % de la compagnie
d’infrastructures de télécommunication Cellnex (2,6 milliards
d’euros de plus-value).
« En supprimant les opérations
et événements extraordinaires,
notre bénéfice a augmenté de
7 % », précise M. Aljaro. De quoi
lui permettre d’augmenter de
10 % les dividendes tout en réduisant sa dette nette de 9 %,
suivant en cela la politique de
désendettement des entreprises
espagnoles. Celle-ci reste élevée,
à 12,5 milliards d’euros, soit
VOIT GRAND
POUR VOTRE WEEK-END
4,7 fois l’ebitda. Néanmoins, le
groupe considère désormais que
sa priorité n’est plus de la
réduire, mais de « chercher activement des opportunités à
l’étranger ».
Durant les sept ans de la crise
espagnole, Abertis a misé,
comme de nombreuses entreprises du pays, sur la recherche de
nouveaux marchés pour contrer
la crise, et l’expansion en Amérique latine, pour des raisons de
proximité culturelle et linguistique et une longue tradition de
présence des groupes espagnols
sur place.
L’Amérique latine pour horizon
Le concessionnaire était déjà
présent en France, où il contrôle
la Sanef avec 52,4 % du capital depuis 2006. C’est aujourd’hui son
premier marché : il y réalise 37 %
de son chiffre d’affaires, contre
30 % en Espagne. Il est ensuite
entré au Brésil en 2012, à Puerto
Rico et au Chili.
Actuellement 70 % des revenus
du groupe proviennent de
l’étranger, contre 48 % en 2007.
« Ces dernières années, nous
avons misé sur une diversification géographique qui permet de
stabiliser nos comptes de résultats, les rendre plus solides face
aux cycles économiques, résume
M. Aljaro. La crise a frappé durement l’Espagne et l’Europe en général, mais l’Amérique latine est
allée très bien pendant cette période. Les uns compensent les
autres. Cette stratégie nous a
permis de maintenir une rentabilité élevée. »
La France est le
premier marché
d’Abertis :
il y réalise 37 %
de son chiffre
d’affaires, contre
30 % en Espagne
LES QUOTIDIENS ET SUPPLÉMENTS DU WEEK-END
Aujourd’hui, comme beaucoup
d’entreprises espagnoles qui ont
misé sur le Brésil, à commencer
par Telefonica ou Banco Santander, Abertis souffre des difficultés que traverse sa filiale, Arteris,
touchée par la récession, une
baisse du trafic de 2,3 % et la
chute des taux de change. Mais il
maintient son pari sur le géant
sud-américain, qui a représenté
13 % de ses revenus en 2015. « Ce
qui se passe au Brésil à court
terme est relatif. Ce qui nous importe, ce sont les perspectives à
long terme. C’est une économie riche en ressources », assure le directeur financier. En attendant,
le groupe augmentera les tarifs
et tentera de compenser les résultats en demi-teinte brésiliens
par les performances au Chili,
où, en janvier, il a obtenu la concession de l’autoroute centrale,
la plus fréquentée du pays.
Avec 8 300 kilomètres d’autoroutes dans douze pays, il vise
aujourd’hui l’obtention de deux
concessions en Italie et l’entrée
sur de nouveaux marchés sur le
continent américain. Abertis espère aussi reproduire le modèle
du plan de relance français, qui
lui a permis d’allonger la durée
des concessions moyennant un
investissement de 590 millions
d’euros sur le réseau, sur
d’autres marchés comme le
Chili, l’Argentine et Puerto Rico.
« Le plan de relance est l’exemple parfait de combinaison entre
les intérêts des concessionnaires
et des administrations », a défendu mardi Salvador Alemany,
le PDG du groupe, qui en a profité pour vanter le modèle de
gestion des infrastructures routières public-privé. En Espagne,
où moins de 30 % des autoroutes
sont à péages (contre plus de
75 % en France), l’augmentation
du nombre de concessions autoroutières pour entretenir le réseau et doter l’Etat de ressources
supplémentaires avait un temps
été envisagé, durant la crise.
Abertis n’attend que ça… p
sandrine morel
Quand le régulateur ferroviaire
craint pour son droit de veto
D
* Prix normal d’abonnement
L’ÉDITION ABONNÉS NUMÉRIQUE 7/7
ABONNEZ-VOUS SUR LeMonde.fr/offrewe
écidément, la décision ne passe pas… Quelques jours
après le refus par le régulateur ferroviaire (Arafer) de la
nomination de Jean-Pierre Farandou, le PDG de Keolis,
à la tête de SNCF Réseau en remplacement de Jacques Rapoport,
démissionnaire, le gouvernement tenterait de faire évoluer la
loi ferroviaire, votée à l’été 2014, craint-on chez le régulateur.
Son objectif : restreindre la notion de conflit d’intérêts pour les
nominations à la tête des entreprises du secteur, voire modifier
le rôle du régulateur, quitte à le priver de son droit de veto. Pour
mémoire, un cadre ayant officié à un haut niveau à SNCF Mobilité ne peut prétendre diriger la partie réseau du groupe ferroviaire. Et ce, pour garantir son indépendance dans le cadre de
l’ouverture à la concurrence.
Au lieu de revoir la loi française directeLA FRANCE
ment, le gouvernement cherche à influer
sur la directive européenne (le 4e paquet
ENTEND LIMITER
ferroviaire) en discussion à Bruxelles ce
mercredi 13 avril. Cette dernière primant
LA NOTION MÊME
sur le droit français, la loi ferroviaire devrait être revue et corrigée.
DE CONFLIT
Le 4 avril, la France a ainsi proposé trois
D’INTÉRÊTS
amendements à la directive qui doit être
adoptée au mois de juin. Selon ce document de travail obtenu par Le Monde, le gouvernement veut modifier l’appréciation sur les conflits d’intérêts du régulateur, car
son rôle « est de corriger des dysfonctionnements et non d’empêcher par avance toute situation qui pourrait un jour constituer un
problème dans des circonstances particulières », argue le texte.
la France entend limiter la notion même de conflit d’intérêts :
« Lorsqu’un gestionnaire d’infrastructure et une entreprise ferroviaire sont indépendants l’un de l’autre, tout en étant directement
contrôlés par une même autorité publique, la situation ne doit pas
être considérée comme donnant lieu à un conflit d’intérêts. »
Mauvais procès, se défend une source gouvernementale. « La
France veut limiter l’examen des situations de conflits d’intérêts
aux seuls dirigeants des entreprises qui, de par leurs missions,
pourraient discriminer ou favoriser d’autres acteurs du secteur. Il
n’est, en revanche, pas question de toucher au droit de veto du régulateur, la directive ne modifiera pas la loi. » affirme-t-elle. p
philippe jacqué
idées | 7
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
VU D’AILLEURS | CHRONIQUE
par mart in wol f
L’Inde reste l’économie la plus performante du monde
L’
Inde est décidément fascinante. La capacité de cet immense pays pauvre à faire
fonctionner une démocratie vivante
constitue indubitablement l’une des
merveilles politiques du monde.
Parmi les grandes économies mondiales, elle enregistre le meilleur taux de
croissance. Sa performance économique n’a cependant pas été à la hauteur
de ce que l’on pouvait attendre.
Alors que nombre de ses partisans
s’attendaient naïvement à le voir impulser un virage favorable au marché,
le gouvernement dirigé par le parti
nationaliste hindou Bharatiya Janata
(BJP) du premier ministre Narendra
Modi, au pouvoir depuis 2014, incarne la continuité. Certes, la performance économique à court terme est
positive ; elle devrait aussi être convenable à moyen terme, en raison de
l’énorme potentiel du pays et à condition que les réformes esquissées
soient mises en œuvre. Mais la réussite n’est pas acquise.
Le gouvernement n’a montré aucun
penchant pour la privatisation radicale ni pour la restructuration de monopoles publics inefficaces ; et il conti-
nue à dépenser d’énormes sommes en
subventions inutiles. Rappelons, pour
être équitable, que la Chambre haute,
qui échappe au contrôle du BJP, a jusqu’ici bloqué toutes les innovations,
par exemple une taxe sur les services
qui aurait permis d’accélérer l’intégration du marché intérieur.
Lorsque M. Modi est arrivé au pouvoir, l’économie pâtissait d’une forte
inflation et de graves déficits budgétaires. Grâce à la chute des prix du pétrole, la première est passée de plus de
10 % en 2013 à moins de 6 %
aujourd’hui. Le déficit du gouvernement central devrait baisser de 4,5 %
du PIB en 2013-2014 (d’avril à mars) à
3,5 % en 2017. La croissance, de 5,3 %
en 2012-2013, devrait atteindre 7,5 %
en 2015-2016. Le ministère des finances table sur une croissance située entre 7 % et 7,75 % en 2017.
Ces performances devraient perdurer, notamment parce que la banque
centrale pourrait abaisser au cours des
prochains mois ses taux d’intérêt,
aujourd’hui à 6,75 %, et qu’après deux
saisons médiocres les pluies de la
mousson devraient être plus abondantes cette année. En revanche, les
ENTREPRISES
Un éléphant n’est pas une souris
qui a grossi
par pierre-yves gomez
O
n connaît l’avertissement
de Camus : « Mal nommer
un objet, c’est ajouter au
malheur de ce monde. »
Dans toutes les sociétés, les individus
apprennent à reconnaître les objets
qui les entourent selon un système de
classification.
Dans une tribu dite primitive, un
enfant sait différencier des dizaines
de végétaux ou d’animaux en fonction de catégories subtiles propres à
sa culture. Lorsque le botaniste Carl
von Linné présenta en 1735 dans son
ouvrage Système de la nature une nomenclature systématique du règne
vivant, il ne fit qu’utiliser les critères
de la rationalité moderne pour poursuivre un effort constant de l’intelligence humaine.
Depuis lors, le milieu dans lequel vit
l’homme moderne occidental est devenu moins naturel qu’économique.
Il est peuplé, entre autres, d’innombrables organisations productives qui
entrent en compétition pour les ressources ou les marchés, qui coopèrent, fusionnent ou se battent à mort
pour survivre et s’imposer. La forme,
la taille, le projet ou la manière de
gouverner ces créatures dotées
d’autonomie et de personnalités morales composent une biodiversité
économique plutôt complexe. Savons-nous la reconnaître ?
Nous parlons couramment des « entreprises » comme s’il existait une espèce unique, au mieux différenciée
selon qu’elles sont grandes ou petites.
Or, d’innombrables travaux scientifiques les observent non seulement
d’après leur taille, mais aussi d’après
la structure de leur actionnariat, leurs
ressources et leurs savoir-faire, leur
dépendance technologique, leur trajectoire historique ou leur inscription
dans un territoire. Pourtant, l’idée de
dégager une classification des entreprises, comme le fit Linné pour les
êtres vivants, ne nous semble pas nécessaire.
Nous n’avons, en conséquence, ni le
regard affûté ni les mots adaptés. Si
nous savons distinguer substantielle-
¶
Pierre-Yves Gomez
est professeur à l’EM
Lyon business school
ment un éléphant d’une souris, si
nous considérons qu’un éléphant
n’est pas une souris qui aurait grossi,
rien ne nous permet de telles distinctions entre les entreprises.
Sans doute est-ce dû à un préjugé
moderne selon lequel l’accumulation
de capital est la condition déterminante de la puissance économique, ce
qui conduit à classer les organisations
prioritairement selon leur taille :
grandes, moyennes ou petites. On
conclut que les petites et les moyennes aspirent à devenir grandes, mais
leur vitalité, leur dynamique et finalement leur puissance propres nous
échappent.
LES RISQUES DE MYOPIE
Or, quoi de commun entre un atelier
artisanal et une unité de production
intensive, entre un cabinet dentaire
et un cabinet d’avocats internationaux, entre une société de médias et
un constructeur aéronautique, entre
Lego et Total ?
L’entrepreneur américain Peter
Thiel, dans son livre De zéro à un
(JC Lattès, 2015), met incidemment en
lumière les risques de cette myopie
pour la compréhension du capitalisme contemporain. Fondateur de
PayPal, devenu un géant du paiement
en ligne, et de Palantir, leader sur les
logiciels de big data, Peter Thiel finance des sociétés technologiques qui
transforment notre vie quotidienne,
comme Facebook ou LinkedIn.
Pour lui, ces entreprises ont un actionnariat très engagé, des stratégies
clairement subordonnées au projet
industriel, des relations humaines
étroites et très élitistes et des conseils
d’administration minimalistes. Bien
que leur influence soit désormais
considérable, elles ne ressemblent en
rien aux bureaucraties multinationales que l’on a coutume d’appeler
« grandes entreprises ». Un Linné de
l’économie aurait sans doute classé
Paypal, Facebook ou Tesla parmi les
entreprises de type associatif, de faible taille et de culture missionnaire.
Selon Peter Thiel, leur réussite s’explique par ces caractéristiques.
Mal nommer l’objet « entreprise »,
c’est se condamner à une connaissance pauvre du capitalisme réel et de
sa dynamique. C’est appliquer des
analyses, des politiques, un droit du
travail ou de la gouvernance communs à des organisations substantiellement différentes. Obnubilé par
la puissance des éléphants, on s’interdit finalement de percevoir l’action
patiente mais décisive des souris. p
exportations, stagnantes depuis des
années, sont en chute libre ; la croissance du crédit a fortement ralenti ;
l’investissement brut est passé de
39 % du PIB en 2011-2012 à 34,2 %
en 2014-2015.
Selon le Fonds monétaire international, le PIB indien par tête (en parité de
pouvoir d’achat) ne se situe qu’à 11 %
du niveau américain, alors que celui
de la Chine s’établit à 25 %. Il existe
donc une marge de croissance de rattrapage substantielle.
VIGILANCE NÉCESSAIRE
Des améliorations sont en cours : accélération des investissements d’infrastructure ; plus grande ouverture
aux investissements directs étrangers ; administration plus efficace ;
consolidation et recapitalisation des
banques du secteur public ; législation
adaptée sur les faillites ; liberté laissée
aux Etats de rivaliser sur des politiques favorables à la croissance ; régulation de la fourniture d’aides publiques grâce au nouveau système de
numéro d’identité unique délivré à
chaque citoyen ; enfin, création d’une
taxe sur les produits et services (TPS).
L’Inde doit pourtant rester vigilante.
Le pays est passé d’un socialisme limité à un capitalisme limité : fermer
une entreprise et en licencier les employés y reste très difficile. Cela explique que les emplois dans le secteur
privé organisé ne représentent que
2 % de la main-d’œuvre totale. Les
marchés du foncier, du travail et des
capitaux sont largement faussés. Les
fortes protections douanières restreignent la capacité de s’insérer dans les
chaînes de valeur mondiales.
D’importants marchés de produits
ne sont pas compétitifs. Même le secteur des technologies de l’information, tant vanté ces dernières années,
semble perdre de son dynamisme.
L’éducation est, globalement, de piètre
qualité. La pression d’une classe
moyenne en développement pourrait
contraindre le gouvernement à procéder aux réformes indispensables.
Restent trois dangers. Premièrement, un conflit armé avec le Pakistan,
éventualité aujourd’hui peu probable.
Deuxièmement, un ralentissement
économique mondial, mais tant que
le pays est correctement géré, la probabilité d’un ralentissement assez
brutal pour faire dérailler la croissance dans un pays aussi grand et diversifié semble mince. Le dernier danger pourrait provenir de la frange
chauvine et intolérante du BJP.
Les musulmans représentent 14 %
de la population. L’un des miracles de
l’Inde d’après l’indépendance est la façon dont des personnes aussi différenciées par leur religion, leur caste et
leurs opinions ont réussi à cohabiter
démocratiquement et, la plupart du
temps, pacifiquement. Pour que cela
perdure, les dirigeants politiques doivent garder à l’esprit qu’ils gouvernent au nom de tous les Indiens. La
tolérance à l’égard des différences est
importante dans toutes les démocraties. Dans le cas d’une démocratie
aussi énorme et complexe, elle est
tout simplement vitale. p
Traduit de l’anglais par Gilles Berton
¶
Cette chronique de Martin Wolf,
éditorialiste économique,
est publiée en partenariat exclusif
avec le « Financial Times » © FT
La transition énergétique,
mine d’or pour l’industrie chinoise
Les entreprises chinoises multiplient les projets
à l’étranger dans le domaine de la production
et de la distribution d’électricité « propre »
par christophe granier
et alexandre xing
L’
accord de la COP21 adopté à
Paris le 12 décembre 2015 est
une opportunité pour le développement international
de la Chine. Ses entreprises dans les
secteurs de la production et de la distribution d’électricité possèdent en effet
les compétences techniques, la capacité de financement et une approche
des partenariats bien perçue dans
beaucoup de pays.
La centrale thermique la plus puissante du monde (1 000 MW) a été construite à Shanghaï. C’est aussi celle qui
offre le meilleur rendement et l’impact
le plus réduit sur l’environnement
grâce à la technologie dite « ultrasupercritique ». Ses performances sont
meilleures que celles des turbines à
gaz, ce qui en fait une référence à
l’export et devrait susciter l’intérêt de
pays ayant d’abondantes ressources en
charbon et une forte pression environnementale. En juillet 2015, State Power
Investment (SPI) a signé un contrat
d’étude de préfaisabilité pour la construction d’une centrale ultra-supercritique de 2 x 660 MW au Bangladesh.
Les grands fabricants chinois de chaudières et de turbines (Shanghai Electric,
Dongfang), qui maîtrisent le savoirfaire des équipements ultra-supercritiques, devraient trouver leur place sur
le marché international.
La Chine occupe aussi la première
place dans le domaine des centrales
hydrauliques (300 GW, 25 % des capacités installées dans le monde). Le
groupe dominant est China Three Gorges Corporation (CTGC), qui a construit
des centrales hydrauliques en Asie, en
Afrique et en Amérique du Sud, certaines réalisées en collaboration avec Alstom. Au cours de ces dernières années,
EN 2015, LA CHINE
A DÉPASSÉ L’ALLEMAGNE
POUR DEVENIR LEADER
MONDIAL DANS
LE DOMAINE DES FERMES
PHOTOVOLTAÏQUES
CTGC a réalisé des projets au Pakistan,
au Kazakhstan, en Malaisie, au Népal et
au Laos. En 2012, elle a acquis 21 % de
l’électricien portugais PEC. SPI et China
Energy Engineering sont les autres acteurs majeurs du secteur. Datang se développe notamment dans la région du
Mékong et mène des projets au Kazakhstan et en Afrique du Sud.
La Chine est le premier pays du
monde pour la capacité installée de
turbines éoliennes. Quatre chinois figurent parmi les dix premiers fournisseurs de ces turbines en 2015. Leader
mondial, Goldwind développe des projets aux Etats-Unis, au Chili, en Equateur, au Pakistan et en Ethiopie. Une filiale de Guodian a ouvert des bureaux
d’études à l’étranger, a construit un
parc éolien de 99 MW au Canada et termine deux parcs d’une capacité installée de 244 MW en Afrique du Sud.
UN ACCORD AVEC EDF
En 2015, la Chine a dépassé l’Allemagne
pour devenir leader mondial dans le
domaine des fermes photovoltaïques,
avec une capacité totale installée de
43 GW. Las des mesures antidumping
et antisubventions prises par l’Union
européenne et les Etats-Unis, les fabricants chinois de panneaux solaires se
concentrent sur l’Inde, l’Afrique et les
pays des « Routes de la soie ». Les noms
à retenir dans ce secteur sont Golden
Concord (numéro 1 mondial), Hareon
Solar, Jiangsu Shunfeng et Trina Solar.
Avec 28 réacteurs nucléaires installés
d’une capacité totale de 27 GW, 24 en
construction pour 27 GW, 40 en projet
pour 47 GW et la technologie nationale
de centrale de 3e génération Hualong
One, les entreprises chinoises du secteur nucléaire sont de grands acteurs
sur le marché international. Les trois
majors sont China National Nuclear
Corporation (CNNC), General Nuclear
Power Corporation (CGN) et SPI.
Face aux technologies plus éprouvées, Hualong One a besoin de temps
et de références pour prouver son efficacité, mais la compétitivité des sociétés chinoises en matière de construction de centrales et leur capacité de financement sont attirantes. Leur
stratégie consiste à s’associer avec un
fournisseur de technologie reconnu,
prendre une part dans le consortium
d’investisseurs, participer à la construction, fournir le financement du
projet et vendre dans le même temps
Hualong One pour un autre projet de
centrale nucléaire.
En octobre 2015, CGN a signé un accord avec EDF pour financer, construire et exploiter deux centrales de
technologie française à Hinkley Point,
en Angleterre. L’accord inclut aussi la
collaboration des deux groupes pour la
construction d’une centrale Hualong
One à Bradwell. CNNC a fait de même
pour son premier contrat en Argentine : grâce à un engagement de financement, le groupe a remporté en novembre 2015 la construction de deux
centrales de technologie canadienne et
signé en même temps un accord-cadre
pour la 5e centrale nucléaire du pays, de
technologie Hualong One.
Dans le secteur de la distribution
électrique, State Grid, géant chinois des
réseaux, a mis au point la technologie
à « ultra-haut-voltage » (UHV), sûre, efficace et verte, qui cumule les avantages d’une capacité plus grande, d’une
distance plus longue, d’une perte de
transmission réduite, d’une emprise
au sol moindre, donc d’une excellente
économie d’échelle. Liu Zhenya, président de State Grid, est convaincu que la
meilleure façon de relever les défis de
la raréfaction des ressources naturelles, de la pollution et du changement
climatique est d’utiliser les énergies
propres renouvelables et de remplacer
au maximum la combustion des énergies fossiles par la consommation
d’électricité. Selon lui, 0,05 % du potentiel existant d’énergie hydraulique, éolienne et solaire suffirait à satisfaire les
besoins de l’être humain. Le reste est
affaire d’interconnexion des réseaux
d’électricité entre les nations et entre
les différents continents.
L’application réussie de la technologie UHV sur le réseau électrique domestique chinois prouve que l’idée est
techniquement faisable et économiquement intéressante. Il reste aux gouvernements à accepter l’idée d’une interconnexion au niveau mondial.
En mai 2015, State Grid a inauguré
son premier projet étranger de transmission UHV pour transférer l’électricité de la centrale hydraulique de Belo
Monte, dans le nord du Brésil, vers le
sud-est du pays, sur une distance de
2 084 km. La construction sera achevée
fin 2017. p
¶
Christophe Granier
et Alexandre Xing sont conseillers
du commerce extérieur de la France
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
JEUDI 14 AVRIL 2016
Facebook fait le pari des « chatbots »
T ÉLÉCOMS
Le réseau va permettre aux entreprises d’utiliser ces « robots de conversation » sur Messenger
Le cabinet indépendant RootMetrics a dévoilé, mardi
12 avril, son rapport sur la
performance des réseaux
mobiles en France. Orange
devancerait Bouygues, Free et
SFR à Paris et à Marseille et se
placerait ex aequo avec Bouygues et SFR à Lyon. Les vitesses moyennes de téléchargement les plus grande
relevées à Paris rivalisent
avec celles de Londres,
Madrid et New York.
L’enjeu de la monétisation
Facebook partage cette vision.
Avec Messenger, le réseau social
entend devenir la plateforme de
communication privilégiée entre
les entreprises et leurs clients.
Plus besoin de télécharger une
multitude d’applications mobiles, de se rendre sur un site Internet ou de passer un coup de téléphone. « Je ne connais personne
qui aime appeler un service client
ou télécharger une application
pour chaque chose », assure
M. Zuckerberg.
En 2015, Facebook avait déjà
ouvert Messenger aux entreprises, leur permettant de bâtir des
services sur sa plateforme. Par
exemple, KLM et Voyages-SNCF
l’utilisent pour envoyer billets et
informations. Les chatbots ouvriront de nouveaux usages, notamment en matière de e-commerce.
« Les applications mobiles ne vont
pas disparaître du jour au lendemain, nuance Jeffrey Hammond,
analyste chez Forrester. Mais les
usages vont basculer petit à petit,
à l’image de la transition des sites
Web vers les applications. »
Pour atteindre son objectif, le réseau social dispose d’un atout de
Une première
phase de tests
a débuté
aux Etats-Unis
avec une
trentaine
de partenaires
taille : les quelque 50 millions de
sociétés qui ont créé une page sur
son site. « Nos utilisateurs adorent
discuter avec des entreprises sur
Messenger, assure David Marcus,
le responsable des activités de
messagerie chez Facebook. Chaque mois, un milliard de messages
sont envoyés à des entreprises. »
Pour ces sociétés, petites ou
grandes, les applications de messagerie représenteront un nouveau canal de distribution, per-
0123
A
cheter des vêtements,
réserver un billet
d’avion, consulter ses
comptes bancaires et
même imprimer des documents.
Ces prochains mois, Messenger,
l’application de messagerie instantanée de Facebook, va considérablement élargir son champ d’action. Pour réaliser ces tâches du
quotidien, il suffira bientôt de lancer une discussion avec un « chatbot », un petit programme informatique capable de converser.
Attendue, cette évolution a été
officialisée mardi 12 avril par Mark
Zuckerberg, le patron et fondateur
de Facebook, en ouverture de F8,
sa conférence annuelle destinée
aux développeurs. Une première
phase de tests a débuté aux EtatsUnis avec une trentaine de partenaires. Parmi eux : Bank of America, CNN, Expedia ou Burger King.
« Communiquer avec une entreprise devrait être aussi simple que
de discuter avec ses amis », argue
M. Zuckerberg. L’entreprise de
Menlo Park (Californie) n’est pas la
première à se lancer. Cinquante
ans après leur apparition, les chatbots redeviennent à la mode. L’application de messagerie chinoise
WeChat a ouvert la voie. Elle a été
suivie par Kik, Telegram et Slack.
Fin mars, Microsoft a aussi dévoilé
ses ambitions dans le domaine.
Deux raisons expliquent ce retour au premier plan. D’abord, les
progrès en matière d’intelligence
artificielle, en particulier grâce
aux méthodes de « machine learning » (apprentissage automatique). Ensuite, le succès des applications de messagerie mobile, plateformes idéales pour ce type
d’interactions. Le cabinet eMarke-
ter estime que ces « app » sont déjà
utilisées par 1,4 milliard de personnes dans le monde.
« C’est un concept simple mais
qui pourrait avoir un impact très
important, aussi important que les
précédents changements de plateforme », assure Satya Nadella, le
directeur général de Microsoft, citant la bascule du PC vers le mobile. « Les applications de messagerie vont devenir les nouveaux navigateurs, et les bots, les nouveaux
sites Internet », estime Ted Livingston, le patron de Kik.
HORS-SÉRIE
san francisco - correspondance
mettant de s’adresser à une cible
très large. « Avec Messenger, vous
pouvez toucher plus de 900 millions de personnes dans le
monde », fait valoir M. Marcus. Les
chatbots doivent désormais permettre d’automatiser le processus, afin de gérer un nombre important de requêtes.
Pour aider les développeurs à
concevoir ces robots, Facebook
met à disposition des outils consacrés. En particulier, ses capacités
d’intelligence artificielle issues du
rachat, en 2015, de la start-up
Wit.ai. Celles-ci sont au cœur d’un
autre projet maison : M, un assistant personnel en cours de développement. Sur ce terrain, Facebook devra affronter Microsoft,
qui prévoit de mettre ses outils à
disposition de tous. Les deux sociétés assurent qu’il sera ainsi très
facile de créer un chatbot.
Les premiers programmes présents sur Messenger restent limi-
Performance
des réseaux mobiles :
Orange en tête
tés, loin d’une véritable conversation. Les interactions se limitent
souvent à un choix entre plusieurs réponses. « Les progrès récents ont été plus rapides que
prévu, note cependant M. Hammond. Bientôt, il sera difficile de
faire la différence entre un robot et
un être humain. »
L’offensive de Facebook doit
aussi lancer la monétisation de
son application. Pour les entreprises, l’utilisation de chatbots sera
gratuite et sans aucune commission. Mais Facebook leur proposera d’acheter de la publicité pour
promouvoir leur programme. A
terme, le réseau social offrira des
fonctionnalités payantes, par
exemple des campagnes marketing auprès d’anciens clients. L’an
passé, devant les investisseurs de
Wall Street, M. Zuckerberg s’était
montré extrêmement optimiste
sur le potentiel de Messenger. p
jérôme marin
MUS I QU E
Spotify menace
de quitter la Suède
Daniel Ek et Martin Lorentzon, les cofondateurs du
site de streaming musical suédois Spotify, ont menacé de
quitter la Suède, et de déplacer des milliers d’emplois vers
les Etats-Unis, si le gouvernement ne réglait pas les problèmes du pays en matière
d’éducation et de logement.
Dans un blog, ils pointent
aussi la difficulté à payer leurs
salariés en stock-options.
Réussir son bac
PROGRAMME
2016
avec
0123
Lancement de Mediawan
La société cotée fondée par MM. Capton, Niel
et Pigasse veut lever 250 millions d’euros
O
n en sait désormais plus
sur Mediawan, le projet
d’investissement dans
les médias lancé par le producteur
Pierre-Antoine Capton, associé à
Xavier Niel et Matthieu Pigasse
(actionnaires à titre personnel du
groupe Le Monde). Mardi 12 avril,
les souscriptions ont commencé
et sont ouvertes jusqu’au 20 avril,
a annoncé un communiqué.
« L’offre sera effectuée sous la
forme d’un placement privé auprès
de certains investisseurs qualifiés
en France et en dehors de France »,
selon ce texte. La souscription minimale a été fixée à un million
d’euros. De leur côté, les fondateurs souscriront « pour un montant d’environ 6 millions d’euros »
et « détiendront un nombre total
d’actions représentant approximativement 20 % du capital et des
droits de vote de la société ».
Une acquisition dans les 24 mois
Les fondateurs ont l’« intention
de lever (…) un montant de
250 millions d’euros, susceptible
d’être porté à environ 300 millions
d’euros en cas d’exercice intégral
de la clause d’extension ». Une
fois la souscription menée à
terme, Mediawan doit être coté
sur le compartiment professionnel du marché réglementé
d’Euronext Paris.
Dans leur communiqué publié
mardi, les trois fondateurs rappellent avoir constitué ce véhicule
d’investissement « dans le but
d’acquérir une ou plusieurs sociétés
cibles dans le domaine des médias
traditionnels et digitaux ou dans le
secteur du divertissement en Europe ». Techniquement, il s’agit
d’un « SPAC » (special purpose ac-
quisition company), ce qui implique que la première acquisition
« doit intervenir dans un délai
maximum de vingt-quatre mois »
et « représenter au minimum 75 %
des fonds levés ».
Il doit s’agir d’entreprises « déjà
présentes dans le secteur des contenus », « se positionnant comme
un acteur majeur et établi en Europe ou à l’étranger et jouissant
d’une notoriété de premier ordre
dans le secteur des médias et du divertissement » et « bénéficiant
d’une
position
concurrentielle forte au sein de leurs segments respectifs, avec à leur tête
une équipe expérimentée ».
Ces entreprises doivent présenter « un important potentiel de
création de valeur via une restructuration, un repositionnement ou
une réorganisation » et/ou avoir
« la capacité de générer ou “ré-générer” des revenus sans subir de
coûts de développement liés à la
création de nouveaux moyens de
production ».
Enfin, les fondateurs visent des
cibles « offrant un potentiel de développement et de complémentarité avec plusieurs entités ayant vocation à devenir des parties intégrantes du groupe que la société à
l’intention de créer après la réalisation de l’acquisition initiale ».
Le conseil de surveillance de Mediawan sera présidé par Pierre
Bergé (actionnaire du Monde) et
rassemblera Rodolphe Belmer (Eutelsat), Cécile Cabanis (Danone), Julien Codorniou (membre du conseil de surveillance du Monde et
responsable des partenariats chez
Facebook), Pierre Lescure ou encore Andrea Scrosati (Sky Italia). p
alexis delcambre
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universités
&
GRANDES
ÉCOLES
&grandes écoles
tendances
DR
« devenez
ingénieur,
c’est superrigolo ! »
Entretien avec Luc Julia,
responsable du centre
d’innovation de Samsung.
PA G E 8
profession
fab lab
manageur
La créativité
peut-elle s’enseigner ?
Lydie Passot, une pionnière
dans un secteur à la croisée
de l’animation, de la gestion
et de la maîtrise des
nouvelles technologies.
Portrait. PA G E 7
Différentes techniques, dont celle du «design thinking», en vogue,
contribuent à favoriser les idées novatrices
en management de l’innovation sont apparus, de
même que des « cours de créativité », comme à HEC
Paris. La créativité est en effet l’un des facteurs qui
favorisent l’innovation, avec la recherche, notamment. Mais peut-on apprendre à être créatif ? Il est
certain – et ce dossier le démontre – que différentes
techniques et approches y contribuent.
L’une d’entre elles a pour nom design thinking,
concept à la base de la fondation, en 2004, de la fameuse d.school de Stanford, qui a essaimé à travers
le monde, y compris à Paris.
L’enseignement est construit en partenariat avec
une entreprise ou une ONG ; il mêle des étudiants
de différents horizons qui fonctionnent par tâtonnements, essais et erreurs. Mais toujours – c’est le
principe de base – à partir de l’observation des usages et des besoins. Dans tous les cas, l’expert s’efface devant l’apprenti : c’est de son œil neuf que
surgira, espère-t-on, l’étincelle de l’innovation. Le
design thinking – indissociable des Post-it collés sur
un tableau au fur et à mesure des idées émises, de
l’imprimante 3D et de l’atelier de prototypage –
invite au décloisonnement, autre ingrédient favorisant la créativité. Il s’agit de faire travailler ensemble des élèves (et des professionnels) ingénieurs, des étudiants en management, en sciences
humaines, en design, en arts et en multimédia, par
exemple. Cette transversalité est, elle aussi, de plus
en plus prônée dans les entreprises et dans l’enseignement supérieur.
D’autres techniques en créativité mettent l’accent
sur le dé-formatage des modes de pensée et des jugements. Toutefois, la créativité est parfois mise en
avant dans de nouveaux intitulés de cours alors
qu’ils proposent principalement des techniques de
communication et d’animation éprouvées. Un
préalable, il est vrai, à tout travail de groupe, au sein
d’une entreprise ou d’une classe dynamique, voire
créative. p
martine jacot
reportage
ILLUSTRATIONS : JEAN-PIERRE CAGNAT
L’
esprit start-up est en passe de gagner
écoles et universités. De quoi
s’agit-il ? D’idées novatrices qui
jaillissent le plus souvent à plusieurs,
de manière construite ou fortuite. Il
arrive en effet que l’on trouve autre
chose que ce que l’on cherchait, définition de ce
qu’on appelle la sérendipité. Larry Page et Sergey
Brin, les fondateurs de Google, n’ont-ils pas conçu
un moteur de recherche alors qu’ils s’échinaient au
départ à créer une bibliothèque numérique ?
« Le défi, pour une entreprise, est de garder l’étincelle de l’innovation », dit John Hennesy, le président
de l’université Stanford (Californie). Pour les établissements d’enseignement supérieur, le défi est aussi
de s’adapter à cette nouvelle donne. Aussi voit-on se
multiplier en leur sein les fab lab, les boot camps, ces
sessions intensives où les étudiants sont priés de
phosphorer utilement, et les concours pour récompenser les plus innovants d’entre eux. Des masters
au cœur de
la d.school
de stanford
Reportage à la célèbre école de
l’université californienne, là où est
né en 2004 le « design thinking ».
Un concept qui a essaimé à travers
le monde, y compris à Paris.
PA G E S 4 E T 5
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Cahier du « Monde » No 22160 daté Jeudi 14 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
2|
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| Créativité
0123
Jeudi 14 avril 2016
Le nouveau credo
des grandes écoles
Les écoles d’ingénieurs et de commerce s’efforcent de développer davantage la fibre créative de leurs étudiants,
en misant notamment sur l’interdisciplinarité
C’
est le concept en vogue. Un centre « i-Magination » à l’Essec de
Cergy-Pontoise, dans
le Val-d’Oise ; un cours
de créativité dispensé
à HEC ; un « learning lab » créé par Centrale Lyon et l’EM Lyon pour développer
l’interdisciplinarité et la créativité… Les
étudiants des écoles de commerce et
d’ingénieurs sont un peu partout incités
à inventer, utilement si possible.
« Nous devons aujourd’hui former des
ingénieurs capables d’exercer plus tard
des métiers qui n’existent pas encore, de
résoudre des problèmes à ce jour inconnus, avec des outils qui n’ont pas encore
été créés. Nous devons donc développer la
capacité créative de nos étudiants, en plus
de leur donner des savoirs et des compétences techniques solides », explique JeanPierre Berthet, directeur du learning lab
lyonnais. « Dans un monde incertain où
« Nous devons former
des ingénieurs capables
d’exercer des métiers
qui n’existent pas encore,
avec des outils qui n’ont
pas encore été créés »
Jean-Pierre Berthet
(learning lab de Centrale Lyon et EM Lyon)
les entreprises innovent de plus en plus
vite, la créativité est une compétence-clé »,
ajoute Anne-Laure Sellier, professeure de
marketing à HEC, chargée d’un cours sur
la créativité, qui a remporté le prix de
l’initiative pédagogique de la Fondation
HEC en 2013.
Contrairement aux idées reçues, elle
affirme que la créativité n’est pas un don
tombé du ciel, réservé à quelques génies.
« Dans mon cours, je commence par démystifier cette notion, puis j’amène les
étudiants, souvent très cultivés, mais parfois formatés, à identifier les jugements de
valeur qui les empêchent d’aller vers des
propositions originales », précise-t-elle.
Comment générer de nouvelles idées ?
« En croisant les champs disciplinaires, en
allant vers des secteurs complètement différents de son domaine d’expertise », répond
Xavier Pavie, directeur du centre i-Magination de l’Essec. Il organise chaque année
depuis cinq ans une « iMagination Week »
pour les 600 étudiants du cycle master en
management, invités à plancher sur le
monde de demain, avec la participation de
personnalités, comme l’astrophysicien
Hubert Reeves ou le chocolatier Jacques
Genin, conviées à parler de leur processus
de création et de leur spécialité.
A la Défense, le pôle Léonard-de-Vinci
mise sur l’idée de faire travailler ensemble des étudiants issus de formations dif-
férentes. « Nous avons la chance de pouvoir rassembler des étudiants de nos trois
écoles [une école d’ingénieurs (Esilv), une
école de management (EMLV) et l’Institut
de l’Internet et du multimédia (IIM)], ce
qui nous permet de jouer à fond la carte
de la transversalité pour travailler sur la
créativité », indique Laure Bertrand, directrice du département soft skills (« qualités humaines et compétences relationnelles ») et transversalité. Une semaine
transversale a été suivie en février par les
650 étudiants de 2e année, avec pour
thème « Créativité et numérique au ser-
vice du handicap ». Une tablette tactile
en braille et un fauteuil électrique avec
GPS intégré ont ainsi vu le jour.
De son côté, l’Ecole polytechnique propose à ses élèves de 3e année du cycle ingénieurs un cours de « Design des technologies innovantes », créé en 2013 par
Charles Baroud, professeur associé au département de mécanique de l’X. Chaque
année, la vingtaine d’étudiants qui le suit
est priée de démonter une imprimante
pour la détourner de sa fonction initiale.
Objectif : en faire un tout autre objet, par
exemple un chronomètre, ou même un
instrument de musique !
« C’est un projet difficile, déstabilisant,
qui permet aux élèves de surmonter leurs
appréhensions et de prendre le risque de la
créativité », estime Charles Baroud. Il dit
s’être inspiré des cours qu’il a suivis au
Massachusetts Institute of Technology
(MIT). « L’ingénieur y est perçu et formé
comme un inventeur, et non comme un
scientifique qui résout des équations,
comme c’est parfois le cas en France »,
ajoute-t-il.
Influence américaine aussi pour le
« design thinking », conceptualisé à Stanford (Californie) en 2004, dont s’inspire,
depuis une quinzaine d’années, l’alliance Artem de trois écoles lorraines,
les Mines Nancy, l’ICN Business School
et l’Ecole nationale supérieure d’art et
de design de Nancy – ainsi que Centrale
Lyon et l’EM Lyon. Ces deux dernières
écoles ont créé le programme « Innovation, design, entrepreneurship et arts »
(IDEA) et un learning lab, lieu d’innovation pédagogique. Dans cet espace modulable de 400 m2 doté d’un écran géant
tactile, les étudiants expérimentent, et
collaborent en design thinking. « C’est
une approche centrée sur l’usager : il
s’agit de comprendre ses besoins puis,
par tâtonnements, de tenter d’y répondre
en proposant rapidement un prototype,
que l’on peut améliorer en cours de route.
Bref, d’expérimenter en continu », détaille Nicolas Minvielle, coauteur du livre Are you design ? Du design thinking
au design doing (Pearson, 2015). Le maître mot de cette méthode est la collaboration entre designers, ingénieurs, et
spécialistes du marketing.
« La créativité, résume Delphine Manceau, directrice de l’European Business
School de Paris et professeure de marketing de l’innovation, est l’un des facteurs
qui favorise l’innovation, tout comme la
recherche. Mais elle n’y aboutit cependant
pas forcément… » p
françoise marmouyet
« Le potentiel créatif s’appuie sur quatre types de ressources »
entretien
T
odd Lubart,
est professeur de psychologie
différentielle à l’université Paris-Descartes et coauteur du livre Psychologie de la
créativité (Armand
Colin, 2015).
Qu’est-ce que
la créativité ?
D’où vient-elle ?
La créativité se définit comme la
capacité à générer une production originale et adaptée à son
contexte. Elle s’appuie sur quatre
types de ressources qui fondent le
potentiel créatif d’un individu :
les aptitudes cognitives, les traits
de personnalité alliés à la motivation, les émotions, l’environnement. Les capacités cognitives
permettent par exemple d’associer des informations, d’imaginer
Pour le professeur de psychologie différentielle Todd Lubart, les germes de la créativité s’inscrivent
dans les aptitudes cognitives alliées à la motivation, les émotions et l’environnement
de nombreuses solutions à un même
problème ou de
faire des liens entre
des données qui
n’en ont pas a priori.
Certains traits de
personnalité peuvent favoriser la
créativité, notamment l’ouverture à
de nouvelles idées,
DR
la tolérance à l’ambiguïté, la persévérance ou la prise de risque. Les
émotions jouent elles aussi un
rôle favorable, qu’elles soient négatives ou positives. Enfin, l’environnement constitue une source
de stimulation ou d’inhibition.
Par exemple, un entourage qui
critique ce que l’on fait, ou qui valorise la tradition, peut incarner
un frein. Le potentiel créatif
d’une personne peut être variable selon la tâche proposée. Quel-
qu’un peut se montrer créatif
dans le domaine artistique, mais
pas scientifique.
De quelle manière se déroule
le processus créatif ?
La créativité suppose un enchaînement d’actions et de pensées,
qu’il s’agisse d’une composition
musicale, d’une œuvre picturale
ou d’une invention technique.
Concrètement, on va réfléchir au
problème posé, le définir, trouver
des idées à partir d’associations,
faire des pauses, apporter des détails, synthétiser, finaliser. Ces étapes peuvent suivre des ordres différents et engendrent ainsi une
multiplicité de parcours qui mènent de la « page blanche » à une
production finale. Les différents
ingrédients de la créativité agissent de manière plus ou moins efficace selon leur mise en œuvre
pendant le processus ; c’est un peu
comme une recette de gâteau.
Est-il possible d’améliorer
ses capacités créatives
au cours de sa vie ?
Il existe une composante innée,
mais la créativité est en évolution constante et peut se développer au fil des expériences. Par
exemple, à travers des voyages, la
« Un entourage qui
critique ce que l’on
fait, ou qui valorise
la tradition, peut
incarner un frein »
confrontation à d’autres cultures
ou des immersions dans des contextes multiculturels, on peut
cultiver son ouverture d’esprit,
ce qui est propice à la créativité.
On peut aussi accroître la flexibilité mentale – sa capacité à
s’adapter à la nouveauté – ou l’as-
sociation d’idées par des exercices comme celui de la carte mentale : il consiste à élaborer un
schéma avec l’idée maîtresse au
centre, puis, autour, des ramifications avec d’autres idées dérivées. Une autre méthode consiste à développer la pensée métaphorique, souvent très utile
dans la création.
Comment favoriser
la créativité dans le cadre
de productions concrètes ?
Certaines techniques peuvent
encourager la capacité créative. Il
s’agit d’aides ponctuelles. Par
exemple, en cas de blocage sur
un problème que l’on cherche à
résoudre, on peut inverser la
perspective : si l’objectif est de
produire un bel objet, on va imaginer quelque chose de laid.
Cette démarche aide à sortir des
mécanismes de pensée habituels. On peut aussi rechercher
des idées très éloignées de son
sujet, ce qui accroît la probabilité
de trouver de nouvelles pistes de
réflexion.
Que pensez-vous du « design
thinking » ?
Il aide à structurer le processus
de création et peut donc le faciliter. Il offre une procédure intéressante pour décloisonner les
modes de pensée, avec de nombreuses variantes. D’autres méthodes produisent des effets
comparables, comme le modèle
de « résolution créative de problèmes », très utilisé aux EtatsUnis. C’est un système d’étapes
successives qui canalise la créativité. Cependant, ces techniques
dépendent fortement de la manière dont on les utilise. Ce n’est
pas un bouton qu’on pousse et
qui ouvre une porte… p
propos recueillis par
diane galbaud
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Tel: +33(0) 661 449 369
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4|
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| Créativité
0123
Jeudi 14 avril 2016
Au cœur de la d.school
de Stanford
Les créateurs de la Silicon Valley ont appris dans cette célèbre école de design
à se préoccuper des personnes et à combler leurs besoins
C
‘est ici que se forme la génération des créateurs de demain. A
la d.school, l’école de design de
l’université Stanford, en Californie. Le bâtiment ressemble à un loft.
Dans les classes, le mobilier est amovible. « On ne veut rien de trop confortable.
Il faut que tout le monde puisse bouger
pour faciliter la conversation », explique
l’enseignante Jules Sherman. Le matériel
pédagogique consiste en des tableaux
blancs, marqueurs et Post-it. Les ordinateurs sont proscrits, un phénomène unique dans le temple de l’informatique
qu’est Stanford.
La d.school – de son nom officiel, le
Hasso Plattner Institute of Design – travaille au « changement social » dans des
domaines aussi variés que la conception
d’objets, les politiques publiques ou la médecine. La classe de Jules Sherman s’appelle « Design et sécurité de l’accouchement ». L’idée est de repenser l’environnement de la maternité. « Les Etats-Unis sont
au 37e rang mondial pour la mortalité infantile, précise le docteur Henry Lee, spécialiste de néonatalogie à l’hôpital pour
enfants Lucile-Packard, de Stanford. Nous
nous sommes habitués à accepter une
certaine inefficacité. » Le médecin est associé à la classe mais intervient peu. A la
d.school, les experts s’effacent devant les
néophytes : le potentiel d’innovation
vient de l’œil neuf. « C’est comme l’histoire
du chat qui demande au poisson : “comment est l’eau ?” Et le poisson dit : “quelle
eau ?” », explique le praticien.
Au premier trimestre, les étudiants ont
interrogé des infirmières et des nouveaux parents sur leur expérience de la
maternité. Ils ont visionné des vidéos
tournées dans les salles de travail à l’hôpital. Chacun s’est fabriqué un « profil »
(« Mary, infirmière, 38 ans », etc.) en
vertu du principe de base du « design
thinking » : l’empathie.
« On veut que les étudiants apprennent à
marcher dans les pas des autres », explique
la directrice, Sarah Stein Greenberg, elle-
même une ancienne élève. Avant toute
recommandation, ils doivent étudier ce
que les utilisateurs « font », « disent »,
« pensent » et « ressentent ». « L’innovation
ne doit pas se centrer sur ce dont le monde
pourrait avoir besoin mais sur ce dont il a
vraiment besoin », ajoute-t-elle.
Le design thinking est né dans les années 1950 (son ancêtre est le brainstorming du publicitaire Alex Osborn). Le
concept a été popularisé par l’ingénieur
en mécanique et patron de la société
Ideo, David Kelley, qui a fondé la d.school
en 2004. Pour la plasticienne Jules Sherman, c’est une révolution. « Tout était
pensé autour du processus de fabrication.
Maintenant, il s’agit de design centré sur
l’humain. » Elle a passé quinze ans dans
le design industriel. « Je ne connaissais
que les acheteurs des chaînes de distribution Costco ou Walmart. Ils nous disaient :
voilà ce qui est vendeur en ce moment, et
on changeait la finition d’un produit ou la
couleur. Jamais on ne se serait soucié
d’aller parler aux consommateurs pour
savoir comment ils utilisent leur étagère à
épices ! »
La d.school offre une quinzaine d’enseignements qui touchent à des secteurs variés : médecine, relations internationales, éducation. Le cours le plus populaire
s’appelle « design de l’extrêmement
abordable » : les étudiants mettent à profit leurs connaissances technologiques
pour trouver des solutions bon marché à
des problèmes d’accès aux ressources
essentielles dans les pays pauvres. Au
rez-de-chaussée de l’école, une vitrine
présente quelques-uns des « succès » qui
sont maintenant utilisés ou commercialisés : l’enveloppe thermique et la couveuse à bas coûts de l’ONG Embrace pour
les prématurés ; la d.light, une ampoule
LED à énergie solaire. Et la prothèse pour
enfants atteints d’un pied bot, développée pour l’ONG Miraclefeet. Après
avoir pris conscience au Brésil de la lourdeur des modèles existants, les étudiants
ont conçu une prothèse qui dissocie la
M
Jeux de rôle
Mustafa a choisi le cours intitulé « Design thinking pour les
innovations en politiques publiques ». Les responsables de l’école
sont persuadés que leur philosophie peut aider à résoudre des
conflits religieux ou ethniques.
L’exercice de base est l’apprentissage de l’écoute. Les étudiants
participent à des jeux de rôle. Ils
apprennent à ne jamais dire
« non » à un interlocuteur, ni
même « oui mais », qui trahit
« Tout était pensé
autour du processus
de fabrication. Maintenant,
il s’agit de design
centré sur l’humain »
Jules Sherman
plasticienne
terme, libre à eux de se lancer dans la création d’entreprise. « Environ 40 % des projets aboutissent d’une manière ou d’une
autre sur le marché », indique-t-elle.
Sarah Stein Greenberg a suivi la première classe de David Kelley, quand la
d.school était hébergée dans un préfabriqué. Elle a participé au premier projet,
des pompes à eau en Birmanie. Depuis, la
d.school est intervenue dans une vingtaine de pays, du Cambodge à l’Inde, au
Népal et au Nicaragua.
Chaque année, 700 étudiants sont acceptés, pour deux à trois fois plus de postulants. Le modèle est maintenant étudié
dans le monde entier. « C’est devenu un
mouvement global », dit la directrice.
Après avoir donné au monde Google et
ses algorithmes, Stanford ne désespère
pas d’y ramener l’humain. p
corine lesnes
(san francisco, correspondante)
A Nantes, un « boot camp »
pour mieux phosphorer
« Design thinking »
chez les policiers
ustafa Abdul-Hamid, 27 ans, a grandi à Ferguson, la localité du Missouri
où la révolte noire s’est enflammée après la mort du jeune Michael Brown, tué par la police en
août 2014. Arrivé à Stanford par la
voie du sport (le basket, qu’il a
aussi exercé comme professionnel à Lille en 2010, puis en Allemagne), il termine un master de
relations internationales.
A la d.school, le champion de
basket s’est aussi lancé dans un
autre projet avec deux camarades, Amanda Ussak et Lucy Svoboda. Un projet qui lui tient à
cœur : favoriser les liens entre la
police et la population par la
technologie. Il sait d’expérience
que la tension monte vite entre
jeunes et policiers. « En tant
qu’Afro-Américain, je suis de l’autre
côté », indique-t-il pudiquement,
sous-entendu pas le bon.
chaussure de la tige. Stanford a déposé le
brevet en 2014. Depuis janvier, la prothèse est à l’essai dans neuf pays.
L’enseignement est conduit en partenariat avec une entreprise ou une ONG. Tous
les jours, la directrice, Sarah Stein Greenberg, reçoit des propositions de la part
d’organisations qui ne demandent qu’à
bénéficier de la créativité de la d.school.
Les étudiants ne sont pas pour autant
transformés en consultants bon marché,
affirme la directrice. « Cela reste une formation. Le but premier est de leur montrer
comment acquérir de l’empathie pour des
gens qui ne sont pas comme eux. » A
qu’ils ont une autre vision en
tête. La réponse empathique est :
« oui et », qui va dans le sens de
l’autre. L’idée de Mustafa et de ses
camarades est de créer une passerelle entre les communautés par
le moyen que les jeunes utilisent
le plus pour communiquer : le
SMS. Avec l’assistance du juriste
Mugambi Jouet, qui enseigne à la
faculté de droit, l’équipe a convaincu la police de Palo Alto, la
ville voisine, de participer au projet. Les habitants qui ont eu affaire à un policier sont invités à
« noter leur expérience » en envoyant un SMS au numéro indiqué. La police s’est engagée à répondre. « Nous espérons pouvoir
ouvrir la boîte noire de la suspicion réciproque qui conduit à l’escalade », dit Mustafa. Selon les
préceptes de la d.school, les étudiants ont accompagné les policiers dans leurs rondes. « Une des
perceptions que nous avons eues,
c’est que les gens ne se rendent pas
compte à quel point c’est un
travail dangereux », explique
Amanda Ussak.
Dans les cités déshéritées de
l’est de Palo Alto, les étudiants ont
en revanche eu du mal à convaincre les jeunes que ce serait formidable de pouvoir envoyer des SMS
à la police. « Beaucoup n’étaient
pas intéressés par l’idée d’améliorer les relations », reconnaît
Amanda. La réalité résiste, même
au design thinking. p
c. ls
L’école de commerce nantaise Audencia a organisé en mars une session durant laquelle
une centaine d’étudiants ont relevé les défis lancés par neuf start-up et entreprises. Reportage
L
e nom de l’exercice en dit
long : boot camp, un
terme qui désigne à l’origine l’entraînement intensif réservé aux jeunes recrues
de la marine américaine… Pas de
rangers ni de treillis, les jeudi 3 et
vendredi 4 mars, dans les salles
de cours de l’école de commerce
Audencia à Nantes mais des
Post-it, des Lego multicolores et
une imprimante 3D. D’un côté,
des entreprises, des start-up et
des créateurs cherchent des pistes pour développer leurs activités ; de l’autre, des équipes de dix
étudiants ont deux jours pour
leur apporter gratuitement des
réponses novatrices.
Tristan Fraud est l’un des neuf
porteurs de projet. Il souhaite
créer un jeu qui incite les adultes
à aller donner leur sang. Assis
avec les étudiants autour d’une
table, ce jeune designer indépendant de 26 ans prête une oreille
attentive aux idées – surtout les
plus farfelues – lancées par les
étudiants. « Je suis venu à ce boot
camp pour avoir des idées neuves,
voire folles, auxquelles je ne pense
pas, dit-il. C’est un moyen d’entraîner ma propre créativité. »
Parmi les huit autres porteurs de
projet figurent des dirigeants de
start-up plutôt axées sur l’inno-
vation, mais aussi des représentants d’entreprises bien installées
comme le géant de la chaussure
Eram. Face à eux, 70 étudiants
suivent les cours des mastères
« business développement » ou
« stratégie en marketing digital »
d’Audencia. Les autres étudient à
l’Ecole de communication visuelle de Nantes (ECV).
« Post-it tous azimuts »
Dans le rôle de conseiller, Thomas Dupeyrat, fondateur de l’Atelier Iceberg, une société de design
nantaise, passe de groupe en
groupe pour faire le point et relancer la réflexion. « Essayez maintenant de cerner les clients visés. Et
collez des Post-it tous azimuts ! »
Son injonction s’adresse à l’équipe
Eram à laquelle incombe d’imaginer le magasin du futur. Très vite,
des nuages de papillons adhésifs
et de croquis viennent tapisser les
murs. Expériences personnelles,
articles lus, techniques apprises
en cours de marketing : les étudiants font feu de tout bois pour
relancer leurs réflexions.
Le groupe d’Adrien Jimenez,
étudiant en « marketing à l’ère digitale », n’a pas la tâche facile. Il
s’agit de concevoir une montre
connectée (en carton) pour le
compte de la jeune pousse Doo-
loo, afin que des patients transmettent à intervalles réguliers
des informations sur le degré de
douleurs chroniques dont ils
souffrent. « L’une des difficultés a
été de maîtriser rapidement les
termes techniques et médicaux »,
avoue l’étudiant. Peu emballé au
départ par le projet qui lui était
assigné, Adrien Jimenez dit s’être
finalement « pris au jeu ».
Etudiante en troisième année,
Margaux Oscaby, 22 ans, travaille
avec son groupe sur un sujet délicat : un outil devant permettre à
une entreprise de mieux évaluer
les compétences de ses salariés
lorsqu’ils changent d’affectation.
« Comme le concept était, à nos
yeux, assez difficile à saisir, durant
les deux premières heures, nous
avons collé des Post-it machinalement sans trop savoir où on allait.
Progressivement, avec l’aide du
porteur de projet qui nous recadre
un peu, nous rentrons dans le sujet. Surtout, nous avons mieux défini les limites légales du projet. »
Dans le cadre de son double cursus d’ingénieur et de manageur
« où [elle est] rarement amenée à
défendre ses idées », elle a déjà
participé à d’autres boot camps.
Elle apprécie l’exercice qui se déroule sur deux journées, au lieu
d’une lors des précédentes ses-
sions : « C’est moins stressant et
plus constructif. Au début, on ne
voit pas ce qu’on peut apporter et
puis progressivement, on se lâche.
Et cette fois, les porteurs de projet
travaillent avec nous. »
Vendredi, à 18 heures, le temps
est écoulé. Les équipes convergent vers l’amphithéâtre principal pour présenter en trois minutes le fruit de leurs deux journées
de cogitation. Ils recourent à des
sketchs, des maquettes en Lego.
Ils savent que leur créativité est
évaluée jusque dans leur dernière
prestation. Face à eux, un public
de 150 personnes et un jury constitué de six professionnels prêts à
les pousser dans leurs retranchements. Les jurés sont, dans l’ensemble, satisfaits. Ils soulignent
« de belles prestations, des idées
très sérieuses et créatives ».
Enric Kayo, porteur du projet
MyJomo, une jeune pousse qui
commercialise des badges connectés, est, quant à lui, enchanté.
« On bosse sur ces badges depuis
un an et demi. En deux jours, les
étudiants ont trouvé des usages
auxquels nous n’avions pas du
tout pensé », se réjouit-il. L’équipe
chargée de son projet a remporté
le boot camp. p
angèle guichard
(nantes, envoyée spéciale)
Créativité |
0123
Jeudi 14 avril 2016
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
|5
La cuisine de demain à la Paris d.school
En quatre ans d’existence, cette école de « design thinking » française a donné naissance
à de nombreux projets industriels. Incursion dans l’étape finale de l’un d’entre eux
I
l est conseillé de ne pas négliger
ses jambes quand on veut utiliser
toute sa tête à l’Ecole des Ponts
ParisTech de Champs-sur-Marne
(Seine-et-Marne). Au rez-dechaussée du bâtiment avant-gardiste à énergie positive baptisé Coriolis,
une pancarte incite à préférer les escaliers
à l’ascenseur pour atteindre le troisième
étage – ce qui équivaut à brûler, précise
l’écriteau, les calories contenues dans un
verre d’une célèbre boisson à la pulpe
d’orange. L’exercice accompli, on pénètre
dans un étonnant loft qui n’a rien à envier
aux start-up californiennes : des espaces
de travail côtoient une… cuisine ; un fauteuil poire invite à paresser ; un baby-foot
attend ses joueurs.
La Paris d.school, créée en 2012 sur le
modèle de celle de Stanford (Californie),
associe l’Ecole des Ponts, l’Ecole supérieure d’ingénieurs en électrotechnique et
électronique (Esiee Paris), l’Ecole nationale
supérieure d’architecture de la ville et des
territoires (Ensavt), l’Ecole des ingénieurs
de la Ville de Paris (EIVP) et l’université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEMLV). Financée par le mécénat et par l’Agence nationale de la recherche (ANR), la d.school
francilienne « vise à enseigner à des étudiants multidisciplinaires une approche de
l’innovation centrée sur l’utilisateur, explique Florence Mathieu, chef de projet. Dans
un monde de plus en plus complexe, il s’agit
de privilégier le pragmatisme ».
Ce matin-là, fauteuil poire et baby-foot
resteront inoccupés. Les étudiants du programme « ME310 Design Innovation »,
mis au point par le département mécanique de l’université Stanford – un an à
plein temps sur un même projet –, exposent les résultats de leurs travaux prospectifs aux représentants de Lapeyre, groupe
français d’équipement de la maison. Deux
équipes – l’une, française, composée
d’une Colombienne, d’une Ukrainienne
« Nous apprenons
à naviguer entre le désir
d’innover, la faisabilité
du projet et les besoins
de l’utilisateur.
Ma génération a envie
de travailler comme ça »
Benoît Christophe
étudiant à la d.school
et d’un Français ; l’autre réunissant trois
Finlandais inscrits à la d.school d’Aalto
(Helsinki) – ont eu à imaginer une cuisine futuriste pour seniors. Leur présentation se fait en anglais, tout comme les
cours qu’ils ont suivis.
Avec les outils de l’ethnographie, les
étudiants ont analysé les habitudes des
Les futurs hauts
fonctionnaires
priés d’innover
personnes âgées. Ils exposent les différents types de déplacements de leurs
« cobayes », qu’il s’agisse de couples de
sexagénaires alertes ou d’octogénaires
ayant des problèmes de mobilité. Les
Post-it et les photos qui couvrent les
murs de la zone de travail témoignent
des nombreuses idées qui ont surgi. Ils
ont pu les concrétiser dans la « protothèque » voisine, dotée des matériaux et machines nécessaires à la réalisation de prototypes. « Nous offrons la possibilité de dépasser le stade du projet sur papier. Il faut
que les étudiants se confrontent rapidement à l’épreuve du réel », indique Véronique Hillen, fondatrice et doyenne de la
d.school française.
Diplômé de l’école d’architecture de
Marne-la-Vallée, Benoît Christophe,
24 ans, a travaillé un an dans une agence
avant de reprendre ses études à la
d.school et de plancher sur ce projet de
cuisine futuriste. « La dynamique d’ap-
prentissage est très différente de celle de
l’école d’architecture, commente-t-il. Ici,
j’ai le sentiment de m’exprimer avec mes
mains. Nous conceptualisons les choses en
les voyant faire et en les faisant. Nous apprenons à naviguer entre le désir d’innover,
la faisabilité du projet et les besoins de l’utilisateur. Je crois que ma génération a envie
de travailler comme ça. »
Les étudiants présentent leurs propositions finales. Impossible de les dévoiler,
secret industriel oblige. Mais l’inventivité
et le pragmatisme dont ils ont fait preuve
épatent les spécialistes de chez Lapeyre,
qu’on imagine pourtant rompus à ce
genre d’exercices. « Vous avez remis l’humain au centre de la démarche », admire
l’un. « Votre projet est très abouti ! », s’exclame l’autre. Le groupe se congratule
avec un petit temps de retard, celui de la
traduction en anglais des compliments reçus, à l’adresse des étudiants finlandais. p
joséphine lebard
Futur leader
ou leader du futur ?
L’Ecole nationale d’administration propose
pour la première fois aux étudiants
une session innovation. Objectif :
repenser et renouveler les méthodes
pour améliorer l’action publique
« En ces temps
de transformation,
toutes les écoles
s’interrogent »
Nathalie Loiseau
directrice de l’ENA
Comment faire pour connaître les
attentes et mieux associer les citoyens ? Il existe pour cela des
outils de dialogue. On a déjà dématérialisé [les procédures] mais
il faut aller plus loin. »
Allers-retours avec les publics
Les élèves de la promotion
Orwell ont donc planché sur le
sujet, les 1er et 2 mars, à l’Ecole
nationale supérieure de création
industrielle (ENSCI), l’un des partenaires de l’ENA dans ce dispositif. Après avoir été sensibilisés
aux différents aspects de l’innovation, les 112 élèves ont travaillé, en petits groupes, sur trois
cas : comment rendre plus efficace la sécurité routière afin que
le nombre de victimes de la
route diminue ; comment faciliter la création d’entreprises, de
l’immatriculation jusqu’aux six
premiers mois de leur existence ;
comment améliorer le parcours
retraite dès les premières fiches
de paie du salarié. But du jeu :
proposer une réponse avec des
méthodes innovantes, en faisant
par exemple des allers-retours
avec les publics concernés, audelà des classiques enquêtes
d’usagers.
Méthodes différentes
« L’objectif n’est pas que nos élèves deviennent des rois de l’innovation, explique Fabien Geledan,
chargé du module, mais qu’ils
sachent que, face à un problème
difficile, ils peuvent recourir à des
méthodes différentes. » Il ne
s’agit pas de faire table rase du
passé ni d’abandonner la note
administrative mais « de donner
davantage d’outils » aux futurs
hauts fonctionnaires. Les horaires de cet enseignement seront
renforcés pour les prochaines
promotions.
L’école reconnaîtrait-elle ainsi
un certain conservatisme et une
responsabilité dans le manque
d’imagination souvent reproché
aux élites ? Nathalie Loiseau estime qu’il s’agit là de « caricatures, signes de la pauvreté des
débats ». En ces temps de transformations, toutes les écoles s’interrogent, rappelle-t-elle, cherchant à préparer à des métiers de
demain dont elles ignorent souvent les contours.
D’après les témoignages recueillis, les élèves ont apprécié
leur première session en innovation. L’ambiance était même détendue à l’ENSCI. Il faut dire que
le module ne figure pas parmi
les épreuves comptant pour le
classement. p
véronique soulé
précision
Dans le supplément « Universités & grandes écoles » daté
du 14 janvier, en page 10, nous
avons omis de mentionner
la source du graphique intitulé
« Les différents parcours
en détail » : l’Onisep.
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P
our la première fois
cette année, les 112 élèves de l’Ecole nationale
d’administration (ENA)
ont suivi un enseignement sur
l’innovation en matière d’action
publique. Le dispositif, encore
expérimental, sera étoffé pour
les promotions suivantes. C’est
un impératif aux yeux de la directrice, Nathalie Loiseau, nommée il y a trois ans avec pour
mission de réformer la scolarité
– une refonte entrée en vigueur
cette année.
L’action publique innovante en
est « l’un des fils rouges », dit-elle.
« Nos concitoyens attendent
beaucoup de l’Etat dans de nombreux secteurs, poursuit-elle. En
même temps, ils demandent à
être consultés sur les politiques,
voire à suivre leur mise en œuvre.
6|
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| Créativité
0123
Jeudi 14 avril 2016
Un diplôme en créativité,
et après ?
Certificat de spécialisation en poche, trois jeunes femmes
évoquent la manière dont elles ont tiré parti de leur formation
O
uvert aux détenteurs
d’un bac + 3 (ou expérience professionnelle
équivalente), le certificat de spécialisation « Développement de la créativité dans les
entreprises et les collectivités »,
proposé par Créa-Université en
partenariat avec le CNAM PoitouCharentes, a été décerné à quelque 200 personnes en huit ans.
Ce cursus dispensé à Paris et à
Poitiers consiste en six journées
de cours théoriques, six journées
pratiques et un mémoire à rendre pour obtenir ce certificat.
Géraldine Rimbault-Gaulard,
Nadia Benedetti et Laurence Wagner l’ont obtenu, la première
en 2013, les deux dernières
en 2015. Si Laurence Wagner a pu
le faire financer par son entreprise dans le cadre de la formation continue (à hauteur de
5 200 euros), les deux autres
l’ont pris en charge sur leurs
propres deniers (2 950 euros). La
créativité est-elle devenue une
matière comme une autre ? « On
a souvent tendance à limiter la
créativité à la question de l’imagination, à une sorte de talent
inné. Or, l’imaginaire n’est qu’un
pan de la créativité. Elle prend
aussi en compte l’amélioration
de ce qui existe et l’évaluation de
ce qui est faisable ou non »,
répond Nadia Benedetti, responsable du développement
pour l’Europe du Sud chez Lego
Education.
Laurence Wagner est responsable du pôle développement durable à la Direction de l’information légale et législative (DILA)
lorsqu’une consœur enthousiaste lui parle de la formation.
Titulaire d’un master en développement durable et d’un autre
en coaching, elle y a vu l’occasion
de « bien compléter » son profil et
de « [s]’appuyer sur une “boîte à
outils” pour innover comme pour
résoudre des difficultés au sein de
[son] organisation ».
De son côté, Géraldine Rimbault-Gaulard travaillait en indé-
pendante, éloignée de sa formation initiale (ingénieure en biologie). « Ayant beaucoup appris
sur le terrain dans mes reconversions, je souhaitais obtenir le diplôme correspondant à mes compétences et mettre du sens sur des
choses que je faisais naturellement », dit Géraldine, qui travaille aujourd’hui au département des études qualitatives de
Bouygues Telecom.
Durant les cours, « la répartition a été équilibrée entre apports
conceptuels et mises en pratique.
Nous avons été formés à la technique baptisée Creative Problem
Solving (CPS), un modèle à la
base de nombreuses approches
créatives pour résoudre les pro-
« Des techniques
m’ont permis
de combler
le décalage culturel
qui pouvait exister
entre mes équipes »
Nadia Benedetti
responsable du développement
chez Lego Education
blèmes », se souvient Laurence
Wagner. Géraldine RimbaultGaulard insiste, elle, sur la dimension « soudée » de sa promotion. « Nous avons eu de vraies
séances de travail, que nous animions tour à tour. Nous avons
ainsi cogité sur l’idée de redonner
vie au marché de Châtillon. Le
fruit de ces séances n’a pas été exploité mais elles nous ont permis
de nous tester et d’obtenir les
retours de nos pairs. »
« Je me sers souvent du CPS pour
animer mes réunions, poursuit
Géraldine
Rimbault-Gaulard.
Mes séances de travail y ont gagné en fluidité. » Laurence Wagner a également mis ses connaissances en pratique : « Un objectif est fixé au départ et il s’agit
de trouver les meilleurs choix possibles. J’ai travaillé sur un “plan
Classe
préparatoire
solution déchets”. Pour le concevoir, nous avons rassemblé les acteurs et cherché ensemble ce qu’il
était possible de faire. Avec ces
techniques, les gens deviennent
véritablement acteurs. Résultat :
nous avons quatorze actions en
cours de mise en place ! »
Pour Nadia Benedetti, qui travaille dans une structure « où le
management est situé en Angleterre et le marketing en Allemagne, en Angleterre mais aussi au
Danemark », le certificat s’est
également révélé précieux : « Les
techniques de créativité m’ont
permis de combler le décalage
culturel qui pouvait exister entre
mes équipes et d’aller au-delà des
barrières linguistiques. »
Elle a noté par ailleurs un
changement dans les réunions
auxquelles
elle
participe :
« Avant, seuls les meneurs de
groupe prenaient la parole. »
Laurence Wagner la rejoint aussi
sur ce point : « L’intelligence collective émerge plus facilement,
constate-t-elle. J’ai vu, dans des
groupes, des personnes qui ne
prenaient jamais la parole défendre leur point de vue. »
Nadia Benedetti observe un
autre changement de fond, après
avoir étudié, au cours de sa formation, les différents profils de
personnalité qui peuvent exister
au sein d’une entreprise – « clarificateurs, idéateurs, réalisateurs
et meneurs ». Elle a ensuite modifié son attitude face à des profils
qu’elle avait auparavant du mal à
comprendre, car trop différents
de son mode de fonctionnement. « Ce certificat m’a permis
de voir les choses autrement »,
résume-t-elle.
La formation met en avant la dimension polysémique que peut
recouvrir la notion de « créativité ». En l’occurrence, d’après les
témoignages recueillis, créativité
rime aussi avec innovation dans
les techniques de communication en groupe et psychologie en
entreprise… p
joséphine lebard
–
100 % de réussite
aux concours d’entrée
des écoles supérieures d’art
www.prepa-lyon.net
Candidatures
jusqu’au 12 mai 2016
École nationale
supérieure des
beaux-arts de Lyon
Cinq sessions gratuites « créativité et expression »
sont ouvertes aux élèves de licence
à l’université Lyon-III depuis la rentrée
N
os étudiants n’ont pas tous eu
le même accès à l’art étant
jeunes. Pour leur offrir une
ouverture à la création, cinq
ateliers sont proposés depuis la rentrée
2016. On essaye de leur donner les mêmes chances afin que certains ne se retrouvent pas sur la touche », explique
Marie Cunnac, coordinatrice des ateliers
« créativité et expression » à l’Institut
d’administration des entreprises (IAE)
de l’université Lyon-III. L’inscription est
facultative, gratuite, ouverte à tous les
étudiants de licence et les ateliers ne
contribuent à aucune note. Des professionnels interviennent dans chacun des
domaines proposés, soit scénographie,
vidéo, dessin collectif, atelier d’expression corporelle et écriture créative.
Inscrite aux quatre séances de l’atelier
scénographie, Mélissa Can, 20 ans, est
enthousiaste : « J’ai appris à faire une
prise de vue, à cadrer et à recueillir un témoignage à travers les reportages ou les
carnets de voyage qu’on nous a proposés. » Elle a ajouté ces compétences dans
son CV, sûre qu’elles l’enrichissent.
Nouer des liens
L’atelier danse met l’accent sur la communication. Comment se tenir devant
un public ? Quels messages renvoient les
expressions de mon visage ? La posture
de mes épaules ? Comment occuper une
scène ? « Finalement, il y a beaucoup de
points communs entre la danse et le management, dit Emilie Hercule, chorégraphe intervenante. Les étudiants ont appris à être tour à tour meneurs puis menés, c’est-à-dire à reprendre la main dans
une discussion, à passer d’un état de tension à un état de relâchement : autant de
clés pour être à l’écoute de ses futures
équipes. Des élèves qui n’avaient jamais
dansé se sont révélés », constate-t-elle.
Les étudiants étrangers plébiscitent
davantage l’atelier d’écriture créative.
« Ce n’est pas un tutorat sur l’orthographe mais un atelier de création »,
prévient Zsuzsa Kis, professeure de
français à l’IAE. « J’ai demandé à mes
élèves d’écrire un texte en s’inspirant de
leur prénom. Il y a un temps d’écriture,
puis de lecture des textes devant la
classe. C’est un moment de partage
et d’intimité. Ils ouvrent une fenêtre
sur eux vers leurs camarades. Et ils se
connaissaient bien mieux à la fin des
séances », remarque-t-elle.
Ces ateliers sont aussi l’occasion de
nouer des liens avec les anciens. Plusieurs rendez-vous sont programmés
chaque année pour entretenir leur
curiosité. Le dernier a eu lieu au Musée
des Confluences, à l’occasion de la biennale d’art contemporain de Lyon. Un
autre moyen, estiment les intervenants,
d’encourager « les artistes en herbe pourvus d’un haut potentiel qu’ils ignoraient
jusqu’alors ». p
maxime françois
témoignage
«J’ai appris à marcher!»
Mariam Maréchal, 19 ans, double licence
administration des entreprises et société
et LEA anglais-espagnol, a suivi l’atelier
danse à l’université Lyon-III
« ÇA PEUT PARAÎTRE très
futile, mais j’ai appris à
marcher ! A comprendre
quelle image je renvoie
selon ma posture. J’ai pris
conscience qu’elle peut
être positive ou très négative en fonction des expressions de mon visage,
des mouvements de mes
mains et même de mes
DR
hanches. On a fait des
exercices assez drôles où l’on marchait avec les
épaules détendues puis complètement repliées.
J’ai aussi appris à travailler en équipe car, pour
danser avec un partenaire, il faut lui accorder sa
confiance. Moi qui n’avais jamais dansé, ce
n’était pas évident. Laisser un garçon me diriger
les yeux fermés a été un défi à surmonter. Il a
fallu que j’évacue mes réticences, que je me
laisse aller. Pour y parvenir, nous avons eu des
exercices de respiration pour contrôler le stress
et l’angoisse. Avec un peu de recul, je me rends
compte que j’ai gagné au niveau de la confiance
en moi. Le professeur m’a d’ailleurs vivement
conseillé de continuer la danse. » p
propos recueillis par m. fr.
Les promesses
de « Promising »
–
60 élèves accueillis
au cœur de Lyon
de l’éCole
–
nationale
Un enseignement artistique
public post-bac de haut niveau
supérieure des
beaux-arts de lyon
www.ensba-lyon.fr
Des ateliers pour
un accès à l’art pour tous
Sous l’égide de l’université de Grenoble, un programme
d’enseignement s’attache à remettre
l’humain au cœur de tout projet d’innovation
L’
innovation et la créativité
« doivent aussi infuser les sciences humaines et sociales », estime Marielle Thiévenaz, chef
de projet du programme « Promising »
coordonné par l’université GrenobleAlpes et regroupant sept autres établissements, dont le CNAM, l’université Stendhal - Grenoble-III, l’université SavoieMont-Blanc, l’Ecole nationale supérieure
de création industrielle, HEC Montréal et
l’université de Bangkok.
Enjeux humains
L’objectif de Promising est que des étudiants en sciences humaines et sociales
amènent des ingénieurs, des scientifiques ou des commerciaux à prendre en
compte les enjeux humains de tout programme d’innovation.
Une préoccupation qui se traduit, par
exemple, par une conférence intitulée « La
question du désir dans l’innovation : perspectives croisées du marketing et de la
philosophie ». Soutenu par le programme
Idefi (Initiatives d’excellence en formations innovantes), Promising a été créé
en 2012 pour une durée de sept ans. Une
quarantaine d’enseignants ont d’abord été
formés aux différentes méthodes de créativité puis ont mis sur pied des modules
par lesquels sont passés quelque 900 étudiants. L’un d’eux vise à apprendre, par la
pratique de l’improvisation, à « s’engager
Un module vise à
apprendre, par la pratique
de l’improvisation,
à « s’engager malgré la peur
de l’inconnu »
collectivement malgré la peur de l’inconnu ». Selon Marielle Thiévenaz, la partie sera gagnée lorsque tout étudiant
« trouvera normal d’avoir un module de
créativité dans son cursus ».
Promising diffuse également son savoir à l’extérieur de l’université. Une
Ecole d’hiver de la créativité a été lancée
mi-mars, qui propose des formations
payantes sur trois jours à des professionnels. Un MOOC intitulé « Innovations et
Société » a par ailleurs obtenu 9 000 inscrits sur plusieurs sessions. p
j. le.
Tendances |
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Jeudi 14 avril 2016
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
|7
EN COULISSES
Profession : fab lab manageur
Lydie Passot fait partie des pionnières qui dessinent les contours d’un nouveau métier,
à la croisée de l’animation, de la gestion et de la maîtrise des nouvelles technologies
portrait
E
lle navigue entre imprimantes 3D, découpeuses laser et
autres machines à commande numérique. A 27 ans,
Lydie Passot, passionnée de
bricolage et de technologies,
gère un fab lab (contraction de fabrication laboratory, laboratoire de fabrication), un de ces ateliers qui essaiment,
depuis la fin des années 2000, dans les
collectivités, les entreprises ou les universités pour encourager la création et le
partage de savoir-faire.
« Il s’agit de mettre à la portée du plus
grand nombre des outils de haute qualité,
d’ordinaire réservés aux professionnels,
et que nul ne pourrait s’offrir personnellement », explique la jeune femme. Elle a
découvert ce concept en suivant le Master of Science IDEA (Innovation, Design,
Entrepreneurship & Arts) porté par
l’école de management EM Lyon et
l’école d’ingénieurs Centrale Lyon. Un
programme fondé sur une pédagogie
par projets qui intègre un fab lab.
Lydie Passot s’est d’abord lancée dans
le conseil une fois diplômée, en 2014,
mais elle espérait bien « à plus ou moins
long terme » s’investir dans l’un de ces
ateliers de l’ère numérique. Quand elle a
su, fin 2015, que son ancien programme
recrutait un fab lab manageur, elle n’a
pas hésité une seule seconde à postuler.
Compte tenu de sa bonne connaissance
de la formation, sa candidature a été retenue. Depuis quatre mois, à l’EM Lyon,
elle accompagne dans leurs projets les
70 étudiants du mastère en innovation,
mais aussi, plus ponctuellement, des
élèves ingénieurs ou des manageurs en
herbe. Elle leur propose des ateliers en
petits groupes pour apprivoiser le fonctionnement des machines, la devise
d’un fab lab étant d’« apprendre en faisant ». Les visiteurs la consultent ensuite
dehors des horaires classiques. Si la
jeune femme est si à l’aise dans ce nouveau métier, c’est aussi qu’elle a pris l’habitude d’explorer des voies inédites et de
s’adapter à différents secteurs.
Après le lycée, cette bachelière toulousaine a d’abord opté pour un BTS audiovisuel pour « gérer la régie sur les tourna-
« Mettre à la portée du
plus grand nombre des
outils de haute qualité,
d’ordinaire réservés
aux professionnels »
DR
au fil des problèmes techniques qu’ils
rencontrent dans leurs réalisations.
Ces dernières semaines, certains ont
réfléchi à un nouveau système d’assainissement de l’air tandis que d’autres
préparaient une manifestation artistique autour du Rhône. Dans tous les cas,
pour démontrer que leurs idées sont
viables, ils élaborent des maquettes ou
des prototypes. Lydie Passot s’assure
qu’ils ont tout le matériel et les informations nécessaires pour y parvenir. Car
au-delà de l’entretien des outils ou de
l’approvisionnement des machines, son
poste inclut une dimension pédagogique, avec un leitmotiv : favoriser le sens
de l’initiative. Sous peu, une équipe de
« fab lab manageurs juniors », nommée
parmi des étudiants volontaires, pourra
la relayer et assurer des permanences en
programme IDEA sur lequel elle a embrayé. « Le master nous apprend à analyser des situations très diverses en peu de
temps, ce qui m’a permis de rejoindre un
cabinet de conseil, après un long stage à
la Lyonnaise des eaux. » Mais les objectifs
étaient un peu trop théoriques à son
goût. Son nouveau métier de fab lab manageur lui convient parfaitement. « Je ne
reste pas derrière un écran à longueur de
journée et j’apprécie mon rôle pédagogique », dit-elle. Pour Lydie Passot, la satisfaction professionnelle passe par le fait
de jongler entre différentes missions,
« tout en faisant travailler [ses] mains ».
ges ». Réalisant que « ce métier n’était pas
forcément sa vocation », elle a bifurqué
vers une licence métiers du jeu et du
jouet à Angers. La conception de produits ludiques lui plaisait mais les débouchés n’étaient pas au rendez-vous.
Après deux années de petits jobs, surtout dans la vente, Lydie Passot a tenté
de nouveau sa chance dans l’univers de
la culture, par l’entremise d’un service
civique dans un théâtre. Cette mission
lui a donné envie de reprendre des études. « L’Institut de l’engagement venait
d’être créé pour aider les volontaires à valoriser leurs expériences ; j’ai fait partie
des 150 premiers lauréats », précise-t-elle.
On lui a alors conseillé le tout nouveau
aurélie djavadi
Se former
Le métier de fab lab manageur étant récent, il
n’existe pas encore de parcours type pour y accéder.
Mené fin 2014 auprès de 65 pionniers, un sondage
du site spécialisé Makery. info indique que 50 %
d’entre eux ont moins de 35 ans, avec une majorité
de bac + 4 ou 5, et qu’ils viennent de l’informatique,
du design, de l’industrie ou du domaine artistique.
Cependant, depuis 2015, le FacLab de l’université de
Cergy-Pontoise propose une formation continue sur
mesure. En 110 heures, dont 70 d’ateliers, les inscrits
découvrent comment « animer une communauté
apprenante », résume le responsable Laurent Ricard.
A ce jour, 10 personnes ont décroché ce diplôme universitaire de « facilitateur » et 5 autres sont en cours
de formation. Prochaine session en septembre.
AU RAPPORT !
L’année de césure rate
sa rentrée en fac
Promise par François Hollande, l’introduction de cette
parenthèse dans le cursus universitaire se fait attendre
F
rançois Hollande en avait pris
l’engagement, le 6 mai 2015, lors
d’une rencontre avec des jeunes :
l’année de césure ferait son entrée dans le cycle universitaire lors de « la
prochaine rentrée ». Onze mois plus tard,
force est de constater que la parole présidentielle s’est peu traduite en actes dans
nombre d’universités.
Une césure vise à marquer une pause
dans son parcours universitaire, d’une
durée maximale d’un an, pour mener
une expérience personnelle. La pratique
est intégrée de longue date dans les écoles de commerce et d’ingénieurs, qui y
voient l’opportunité, pour leurs élèves,
d’entrer dans le monde professionnel et
d’affiner leur orientation future.
Modalités trop « rigides »
Dans une circulaire publiée le 22 juillet
2015, le ministère de l’éducation a indiqué les modalités de l’année de césure,
mais a laissé les universités libres de la
mettre en place dès la rentrée de septembre 2015, ou plus tard. L’université AixMarseille a ainsi repoussé son application à la rentrée 2016 ; à Nantes, « rien
n’est encore opérationnel » ; à Lille-I, seuls
deux étudiants en ont bénéficié… « Un
mois est un délai bien trop court pour
mettre en place ce type de procédure », estime Kevin Nadarajah, vice-président représentant les étudiants au sein du bureau de l’université Rennes-II. Une analyse partagée par tous les responsables
universitaires interrogés. Mais le man-
que de temps n’est pas la seule raison invoquée : les modalités d’application
fixées dans la circulaire sont jugées, au
sein de la Conférence des présidents des
universités, « trop rigides et inadaptées
aux particularités des différentes filières ».
Parmi les éléments estimés inapplicables figure l’obligation de réintégrer l’étudiant dans la « formation dans le semestre ou l’année suivant » celle validée. Un
étudiant de master 1 qui décide de prendre une année de césure a donc la garantie d’avoir, à son retour, une place en M2
alors que les places y sont limitées.
« Nous ne pouvons pas prendre ce risque »,
déclare Sabine Lepez, vice-présidente
chargée de l’orientation professionnelle
à l’université de Cergy-Pontoise. L’intégration d’un stage dans cette année de
césure pose aussi problème. La loi prévoit un nombre maximal de seize étudiants par enseignant référent, un ratio
« extrêmement compliqué à atteindre »,
regrette Maud Geffrault, responsable de
l’insertion professionnelle à l’université
de Bordeaux.
Le nouveau cadre a, en outre, eu un effet pervers pour les précurseurs, ces universités qui, depuis plusieurs années
déjà, appliquent l’année de césure. Les
nouvelles conditions posées compliquent le dispositif.
Au total, pour que la promesse de François Hollande se réalise, le ministère de
l’éducation va devoir revoir sa copie, bien
avant la prochaine rentrée. p
éric nunès
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UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| Tendances
0123
Jeudi 14 avril 2016
C’EST DÉJÀ DEMAIN
« Devenez ingénieur,
c’est super-rigolo ! »
Intelligence artificielle, objets
connectés, santé… Selon Luc Julia, responsable
du centre d’innovation de Samsung, tous
les secteurs en pointe sont ouverts à la profession
entretien
L
uc Julia a été nommé
en 2012 vice-président
chargé de l’innovation
et de la stratégie chez
Samsung, le sud-coréen
installé à Menlo Park, au
cœur de la Silicon Valley, en Californie. Ce passionné de recherche dirige une équipe d’une cinquantaine
d’ingénieurs qui inventent les technologies de demain, particulièrement dans l’Internet des objets, des
données et de l’intelligence artificielle. En 2015, il a également contribué à ouvrir un centre de recherche
de Samsung à Paris et a y embaucher une dizaine d’ingénieurs pour
bénéficier de l’écosystème du Silicon Sentier.
Avant de travailler pour Samsung,
Luc Julia a passé un an chez Apple, où
il a contribué, en 2011, à développer le
système de reconnaissance vocale
Siri, tout en dirigeant une équipe passée en quelques mois de 40 à 85 ingénieurs. Toulousain d’origine, Luc Julia
est installé dans la Silicon Valley depuis vingt-deux ans. A 50 ans tout
juste, il résume ainsi sa vie professionnelle : « Dix ans à faire de la recherche, dix ans à créer et développer
cinq start-up – qui existent toutes encore, sauf une – et dix ans à travailler
dans des grosses boîtes. »
croché un doctorat d’informatique à
ce qui était alors l’Ecole nationale supérieure des télécommunications,
devenue Télécom ParisTech.
Quelles études avez-vous suivies ?
Une fois mon bac scientifique en
poche, je me suis dirigé vers un DEUG
de mathématiques à l’université
Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) de Paris. J’y ai obtenu une maîtrise en mathématiques et informatique, puis un
DEA d’informatique. J’ai ensuite dé-
Dans un secteur très innovant
comme le vôtre, quels sont les profils qui seront privilégiés demain ?
Le grand domaine qui s’ouvre
devant nous, c’est l’intelligence artificielle. Et la vérité, c’est que dans cette
discipline, ce sont les maths qui dominent tout. Dans les années qui vien-
Pourquoi êtes-vous parti
aux Etats-Unis ?
J’appartenais à une unité de recherche du CNRS rattachée à Télécom ParisTech. Le travail était beaucoup trop
administratif pour moi. J’ai sauté sur
l’occasion qui m’a été offerte de partir
au soleil de Californie, pour travailler
à l’Institut de recherche de l’université Stanford. J’y ai créé le Computer
Human Interaction Center, le CHIC !
Quels sont les profils actuellement
recrutés par Samsung ?
Principalement des ingénieurs, quel
que soit leur pays d’origine, capables
d’apporter leur contribution aux projets de recherche que nous menons.
Actuellement, nos efforts portent en
particulier sur la santé digitale, le traitement des données, l’interface homme-machine, l’Internet des objets ou
l’éclairage intelligent. Nous n’avons
pas de profils prédéfinis, nous recherchons des personnalités créatives,
capables d’avoir une vraie vision. A
mon niveau, je n’embauche que trois
ou quatre personnes par an, principalement à l’issue de leur stage.
Luc Julia, vice-président de Samsung, chargé de l’innovation et de la stratégie. DR
nent, nous allons moins chercher des
ingénieurs ayant des connaissances
pratiques que des mathématiciens.
De même, le foisonnement extraordinaire qui a lieu autour des objets
connectés a besoin de personnes
compétentes en maths. Le niveau des
Français en mathématiques est excellent. Les Américains commencent
à être bons quand ils arrivent au niveau du PhD [doctorat]. Tout le
monde croit qu’ils sont très bons
parce qu’ils sont meilleurs que les
Français en marketing ! Les bases
théoriques françaises en mathématiques vont être excessivement recherchées, alors que les savoirs pratiques
comme ceux des ingénieurs américains seront moins valorisés. Les
Sud-Coréens créent des entreprises
intéressantes parce qu’ils ont poussé
l’enseignement des mathématiques.
UNIVERSITÉ DE TECHNOLOGIE DE COMPIÈGNE
Comment recrutez-vous ?
J’ai embauché une centaine d’ingénieurs français dans ma carrière, et
chez Samsung la moitié environ
sont français. Ils sortent des grandes
UTC
Au
Centre d’innovation
de l’UTC,
espace de créativité
idée,
je mature mon projet,
je réalise des prototypes,
j’élabore des preuves de concept,
je définis un business model
innovant, je crée ma start up...
interactions.utc.fr • webtv.utc.fr
Que recommanderiez-vous à un
jeune de 17 ans qui veut être sûr
d’avoir un travail dans quelques
années, à la fin de ses études ?
Je ne vois pas comment on peut se
détacher des maths. Même la médecine va changer et devenir un métier
d’intelligence artificielle. Je conseille
à mes enfants de devenir ingénieurs : c’est super-rigolo parce qu’il
y a plein de choses à faire, dans tous
les secteurs.
Faut-il privilégier les grandes
écoles ou l’université ?
Depuis quelque temps, j’ai pris en
stage des étudiants de l’UPMC et j’ai
pu constater que les meilleurs étudiants sont au moins aussi bons que
ceux des grandes écoles d’ingénieurs.
Et puis ils n’ont pas le défaut de bon
nombre de diplômés des grandes
écoles : la grosse tête. C’est d’ailleurs
l’un des problèmes essentiels de ces
jeunes ingénieurs qui débarquent ici :
ils ont un peu l’impression qu’ils
savent tout. Quand on arrive dans la
Silicon Valley, ça peut poser quelques
problèmes…
Est-ce une bonne idée
que d’envisager de poursuivre
ses études aux Etats-Unis
ou au Royaume-Uni ?
Non, je n’en vois pas l’intérêt. Il suffit de faire un stage de six mois pour
apprendre à parler correctement
l’anglais. Curieusement, depuis des
années qu’on le déplore, cela n’a pas
changé : les jeunes Français parlent
mal l’anglais. C’est pourquoi il faut
faire des stages à l’étranger. Mieux
vaut rester en France. D’ailleurs, mes
deux enfants, qui sont encore collégiens, sont revenus y faire leurs
études, parce que c’est l’excellence. p
propos recueillis par
béatrice madeline
LU/RELU
je développe mon
www.utc.fr
écoles de premier rang comme Epitech, Supinfo, Epita, Télécom ParisTech, plus rarement de Normale-Sup
ou des Ponts. Chez moi, les entretiens durent six mois : je les prends
en stage pour mesurer leur niveau
réel. A la fin, j’en garde la moitié.
HBS, une grande muette
Le professeur Anteby se livre à une « auto-ethnographie » à la Harvard Business School
L
e propos est alléchant :
quels principes moraux
président à la formation
des étudiants en MBA de
l’école de management d’Harvard, l’une des plus réputées du
monde, d’où sont sortis bon
nombre de grands patrons américains ? L’auteur est, à cet égard,
un observateur particulièrement
bien placé. Diplômé de l’Essec et
de l’EHESS à Paris, il a enseigné
l’administration des entreprises
dans cette vénérable institution
de Boston, de 2005 à 2015, après
avoir officié dans les business
schools de Yale et de l’université
de New York.
Michel Anteby explique toutefois d’emblée qu’il n’a pu effectuer l’« enquête ethnographique »
qu’il comptait mener. Parler de
censure est mal comprendre le
monde feutré de la Harvard Busi-
ness School (HBS) : certains lui
ont discrètement signifié qu’une
telle entreprise menacerait sa
promotion de professeur assistant à professeur associé… Michel Anteby a préféré mettre fin
aux entretiens auprès de ses collègues pour se contenter de ce
qu’il appelle une « auto-ethnographie », fondée sur sa propre
expérience dans l’école.
Sans jamais citer donc, ni les
autres professeurs ni les étudiants de l’école, l’auteur étaye sa
thèse : HBS « défend une idéologie
de la non-idéologie pour socialiser ses membres » ; elle « promeut
un silence relatif sous couvert de
respecter une multitude de points
de vue ».
Michel Anteby décortique un
« silence parlant », à savoir une
« routine qui implique une prise
de décision déterminante des
participants, moyennant peu de
consignes directes de leur hiérarchie ». Silence auquel contribue
un ordonnancement de longue
date entre les murs néogéorgiens de l’école, installée depuis
1926 dans un univers assez clos.
Sur quatorze hectares arborés
circulent 3 200 personnes, dont
quelque 900 étudiants en MBA
dûment sélectionnés pour un
cursus de deux ans, et 200 professeurs, souvent eux-mêmes
anciens élèves d’Harvard.
A l’instar d’une formation en
médecine, écrit l’auteur, celle en
gestion « incite à considérer la vie
de l’entreprise comme une succession de problèmes qui exigent des
solutions variées et éprouvées ».
Dans les cours et les études de
cas, méthode pédagogique qui a
autrefois distingué la HBS, l’individualisme héroïque est valorisé
mais les contraintes sociales
sont souvent ignorées : « Il est
ainsi difficile de trouver dans le
cursus des cas qui traitent d’actions syndicales. »
Que penser d’un monde où,
par exemple, la question de la réduction des inégalités sociales et
celle de la recherche de profit
sont jugées d’égale importance ?
Michel Anteby pose la question
mais élude la réponse.
Aujourd’hui professeur en sociologie à l’université de Boston,
Michel Anteby bénéficie de ce
fait d’une expérience supplémentaire en matière de formation des élites américaines. Pour
un prochain ouvrage ? p
martine jacot
« L’Ecole des patrons »,
de Michel Anteby, Editions
Rue d’Ulm, 264 p., 22 €.

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