Le Monde - entree
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NOUVELLE COLLECTION APPRENDRE À PHILOSOPHER JEUDI 14 AVRIL 2016 72E ANNÉE – NO 22160 2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Kant Que pouvons-nous savoir et que devons-nous faire ? De la morale et la connaissance € 9,99 KANT N° 6 LIRE NOTRE SUPPLÉMENT A P P R E N D R E À P H I LO S O P H E R Le gouvernement renonce à réduire la part de l’énergie nucléaire ▶ La loi de transition éner- ▶ Mais la programmation ▶ Hormis la fermeture ▶ La ministre de l’environ- gétique de 2015 actait la promesse faite par Hollande de ramener à 50 % la part de l’atome dans la production d’électricité pluriannuelle de l’énergie, promise « avant l’été », repousse les arbitrages sur l’atome à 2019, après les élections de Fessenheim, qui devrait faire l’objet d’un décret avant l’été, aucun démantèlement de centrale n’est planifié nement explique qu’elle souhaite donner la priorité au développement des énergies renouvelables PLANÈTE – LIR E PAGE 6 KAMEL DAOUD “JE NE VEUX PAS PORTER UNE GUERRE SUR MON DOS ” ▶ Reportage à Oran, sur les pas de l’écrivain qui doit vivre en semi-clandestin dans sa ville ENQUÊTE – L I R E PAG E S 14- 15 BACHIR BELHADJ POUR « LE MONDE » E N V E N T E U N I Q U E M E N T E N F R A N C E M É T R O P O L I TA I N E Politique Hollande, face caméra et dos au mur Avant son émission jeudi sur France 2, les socialistes, députés ou ministres, doutent de la capacité du chef de l’Etat à remobiliser la gauche LIR E PAGE S 8 - 9 Conjoncture Le FMI alerte sur le ralentissement de la croissance mondiale ▶ Elle ne devrait pas dépasser 3,2 % en 2016, un niveau « décevant » ▶ L’OFCE table, lui, sur une croissance de 1,6 % en France ▶ En présentant son pacte de stabilité, mercredi, le gouvernement maintient ses prévisions à 1,5 % et promet 3,8 milliards d’économies supplémentaires cette année LIR E LE C A HIE R É CO P. 3 ET 4 Logement Une réforme pour davantage de mixité sociale dans les HLM LIR E PAGE 1 1 Panama papers ▶ Comment analyser plus de 11,5 millions de documents ? ▶ La révolution du journalisme collaboratif ▶ Pierre Moscovici, pour la transparence fiscale International Culture A Los Angeles, l’art à l’hectare Au Daghestan, l’autre guerre de la Russie contre l’EI LIR E PAGES 2 2 - 2 3 REPORTAGE makhatchkala, khassaviourt (daghestan) - envoyée spéciale Universités La créativité peutelle s’enseigner ? S U P P LÉM ENT 1 ÉD ITO R IAL LA SALUTAIRE PRISE DE CONSCIENCE DE L’ÉGLISE → LIR E P A GE 2 4 E T NOS INF OR M A T IONS P A GE 1 2 Le Broad Museum, à Los Angeles. ROBYN BECK/AFP L es galeries d’art à Los Angeles ont pris des proportions ahurissantes : la succursale des Zurichois Hauser & Wirth, inaugurée le 13 mars, couvre une surface de plus de 10 000 m2. Avec un mélange des genres qui fait frémir en France : un quart des œuvres ont été prêtées par des musées. Un mois plus tôt était inaugurée la galerie des Berlinoises Monika Sprüth et Philomene Magers, sur – seulement – 1 300 m2. Ces énormes galeries sont à l’unisson du Musée privé Broad, fraîchement inauguré lui aussi, et qui porte le nom d’un des collectionneurs les plus influents au monde. Cette démesure tient moins à l’existence d’un réel marché qu’à la présence en Californie d’artistes influents, comme John Baldessari ou Paul McCarthy. Près de 70 % des achats d’art effectués à Los Angeles le sont par des clients venus d’ailleurs, indique The Art Newspaper. → LIR E PAGE 1 6 Au bout d’une méchante piste caillouteuse qui serpente à flanc de montagne, des militaires russes contrôlent l’accès du village de Balakhani. Mitraillette à la main, ils inspectent le coffre des véhicules avant de lever la barrière cernée de sacs de sable et de projecteurs. Dans ce hameau du district montagneux d’Ountsoukoul, le visiteur étranger n’est pas le bienvenu. Quelques jours auparavant, Ramazan Abdoulatipov, le dirigeant du Daghestan, est venu ici proclamer que « l’ordre serait rétabli ». « Dans chaque village doivent être installés des portraits de la honte », a-t-il déclaré, censés désigner ceux qui sont partis en Syrie dans les rangs djihadistes. → isabelle mandraud LIR E L A S U IT E PAGE 2 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2| INTERNATIONAL 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Devant la mosquée salafiste de Makhatchkala, vendredi 25 mars. MARIA TURCHENKOVA POUR « LE MONDE » Au Daghestan, l’autre guerre russe à l’EI Depuis fin 2015, plusieurs attentats ont frappé la petite république du Caucase, où l’islam radical se développe suite de la première page Ce 30 mars, peu avant l’entrée dans le tunnel Gimrinski, qui relie la région centrale aux villages d’altitude, on croise encore un convoi de blindés et de camions militaires. En deux ans pour l’essentiel, le Daghestan, petite république musulmane du Caucase de 3 millions d’habitants, membre de la Fédération de Russie, a fourni le plus gros contingent de candidats russophones au djihad. « Officiellement, 900 à 1 000 hommes sont partis, selon le ministère de l’intérieur », relève Ruslan Gereiev, le directeur du Centre d’études islamiques du Caucase du Nord, pro-gouvernemental. En trois mois et demi, quatre attentats ont suivi la première fusillade revendiquée par l’organisation Etat islamique (EI) le 29 décembre 2015 au pied de la forteresse millénaire de Derbent (un mort, onze blessés), à 130 kilomètres au sud de la capitale Makhatchkala. La dernière attaque en date, le 30 mars, aux abords de Sirtitch, dans le district du sud de Tabassaran, a fait un mort et plusieurs blessés après l’explosion d’un véhicule, sans compter les deux kamikazes. Un combattant « a actionné sa ceinture d’explosifs à un barrage de police au Daghestan », s’est félicité l’EI dans un communiqué publié en arabe. L’organisation djihadiste, qui a menacé la Russie dans plusieurs vidéos et revendiqué l’attentat contre l’avion de touristes russes dans le Sinaï, le 31 octobre 2015, avec 224 passagers et membres d’équipage, entend le faire savoir : elle a bien, désormais, un pied sur son territoire. Dans cet autre village de haute montagne encore couvert de neige, un homme confirme cette nouvelle donne, sous couvert de l’anonymat : à cinq reprises, lui et sa femme ont fait le voyage jusqu’en Turquie pour tenter de ramener l’un de leurs fils parti en Syrie. « De l’autre côté » de la frontière, ils ont pu le voir dans la région de Rakka, le quartier général Mer Caspienne RUSSIE Abkhazie Mer Noire Tchétchénie Khassaviourt Makhatchkala Balakhani Daghestan Derbent Ossétie du Sud GÉORGIE TURQUIE AZERBAÏDJAN HautKarabakh ARMÉNIE République autonome de la Fédération de Russie Territoire sécessionniste de l’EI sur le territoire syrien, sans le convaincre. A la troisième tentative, le sexagénaire réalise que son fils est emprisonné. « Il voulait rentrer. On nous a d’abord dit qu’il était mort », témoigne l’homme, qui comprend peu à peu qu’il n’en est rien mais que plusieurs compagnons de son fils ont été décapités. A force de recourir à « toute la communauté d’Istanbul », et sans doute aussi moyennant de fortes sommes d’argent, il parvient à le « faire sortir ». Depuis un mois, son fils est à l’abri, « en Ukraine ». « Moi, l’EI, je l’appelle la secte » A Ountsoukoul, village éponyme de la région, le chef de l’administration locale est fier. « Ici, personne n’est parti ! », claironne Abdul Magomedov tout en saisissant une feuille de papier sur son bureau. Dessus figurent les noms de cinq hommes, bannis : « Tenez, celui-là se trouve en Turquie avec sa famille, et celui-ci est parti “étudier” en Egypte. » Un procès-verbal précise qu’ils ont été « reconnus coupables de propagande wahhabite ». « Si un jeune veut revenir de Syrie, soit on le met en prison, soit on le tue, assure Mouhamad Abou Hamza Magomedov, le porte-parole de la mosquée Omarova de Makhatchkala. Il n’y a pas de retour possible, ou alors il faut des AZ. IRAN 50 km parents haut placés avec beaucoup d’argent. » « On parle de 700 retours mais ce chiffre me paraît largement sous-estimé », indique de son côté Sirajoudine Datsiev, responsable de Memorial, une ONG de défense des droits de l’homme. Le terreau était favorable. Depuis les guerres russo-tchétchènes des années 1990-2000, la région abrite des combattants radicaux réunis dans l’Emirat du Caucase (EC), une organisation proche d’Al-Qaida, qui a progressivement jeté ses bases dans le maquis daghestanais, mitoyen de la Tchétchénie. Le groupe, responsable de 75 attentats majeurs commis en Russie, est aujourd’hui exsangue depuis les opérations menées pour sécuriser les Jeux olympiques de Sotchi en 2014. A partir de cette date, souligne le think tank International Crisis Group dans une note du 16 mars consacrée au Caucase du Nord, « les ser- Le vendredi, la police utilise un fichier antiterroriste pour contrôler l’accès à la prière vices de sécurité russes ont vaincu et paralysé l’EC, dont les opérations et la communication sont devenues impossibles, en même temps que les appels de l’EI pour un djihad cinq étoiles gagnaient en popularité ». Les ralliements se sont multipliés, malgré l’opposition d’Aliaskhab Kebekov, le premier émir daghestanais de l’EC, tué par les forces russes en avril 2015. Deux mois après sa mort, le 21 juin, l’ensemble des commandants de l’EC a prêté allégeance à Abou Bakr AlBaghdadi, le chef de l’EI, lequel a aussitôt proclamé la création de la « wilayat [province] du Caucase » et nommé pour émir le Daghestanais Roustam Aselderov. Ce basculement, paradoxalement, a entraîné une baisse sensible du nombre d’attaques armées dans tout le Caucase et singulièrement au Daghestan du fait des départs en Syrie. Selon le site spécialisé Kavkaz-uzel, le nombre de morts violentes a chuté de près de 40 % entre 2013 et 2015. Cet « exode » a affaibli un peu plus encore l’Emirat du Caucase. « Magomed », appelons-le ainsi, fait partie des derniers partisans de l’EC. Massif, portant une barbe noire fournie, cet homme qui ne se déplace jamais avec son téléphone accepte un rendez-vous discret. « Chaque musulman rêve du califat, mais moi, l’EI, je l’appelle “la secte”, ils déshonorent l’islam. Le Front AlNosra [filiale d’Al-Qaida en Syrie] n’applique pas les mêmes punitions et prend en compte l’état d’esprit de la population, dit-il sans ambages. Kebekov avait interdit l’utilisation de femmes kamikazes. Il ne faut pas recourir aux assassinats de masse mais aux assassinats ciblés. » L’intervention militaire russe en Syrie, en septembre 2015, n’a eu selon lui qu’une résonance limitée : « En Russie, 90 % des musulmans sont sunnites mais Poutine va soutenir des chiites et des alaouites… C’est très logique tout ça », ironise Magomed, qui pour- suit : « Poutine est islamophobe » et mieux vaudrait pour la Russie octroyer un statut particulier au Caucase avec application de la charia. « Sans quoi, prévient-il, si vous aggravez la situation pour les musulmans, alors ce sera l’Afghanistan. » Mosquée incendiée La situation est d’autant plus délicate qu’elle se double d’une vive tension avec le courant salafiste, en pleine expansion. Introduit il y a vingt ans, ce mouvement fondamentaliste, qui prône le retour à l’islam des origines, a suscité l’apparition d’un registre tenu par le comité antiterroriste, dans lequel sont recensés les « wahhabites », comme on désigne ici avec mépris les porteurs de barbes et de pantalons courts. Seize mille personnes y figureraient avec empreintes ADN et enregistrement de voix, le tout en parfaite violation de la Constitution russe. Tous les vendredis, la police, en armes, prend appui sur le fichier pour contrôler les accès des lieux de prière. Les incidents se multiplient autour des mosquées réputées salafistes qui, comme les madrasas, écoles coraniques non officielles, ne cessent de croître. Plusieurs d’entre elles ont été fermées ou se voient privées de prêche le vendredi. Une autre, dans le quartier de l’aéroport de Derbent, a été incendiée. Dans la ville de Khassaviourt, à 80 kilomètres au nord-ouest de Makhatchkala, les événements ont failli tourner à l’aigre lorsque plus de 5 000 « wahhabites » sont descendus dans la rue. « Les flics doivent remplir des objectifs, proteste l’imam Nabil Magomed Magomedov. Je ne vois pas d’autre explication. Enfin si : quand je suis entré en fonction en 2001, il devait y avoir 500 fidèles ; maintenant, nous sommes plus de 100 000 au Daghestan. » Le 9 avril, ce dernier a été interpellé et placé en détention provisoire pour « apologie du terrorisme » et « incitation à la haine » alors qu’il était venu réclamer la libération de personnes interpellées qui fréquentaient sa mosquée. La nervosité est aussi palpable autour de la mosquée Omarova à Makhatchkala, où des policiers armés procèdent régulièrement à des interpellations. Le 25 mars, l’imam Nimatoulla Rajdabov faisait son prêche en colère : « Allah n’a pas besoin de musulmans peureux mais combatifs ! C’est une épreuve que nous envoie Dieu ! » Son porte-parole résume : « Les vrais extrémistes, la police les connaît. Soit ils leur mettent la pression pour qu’ils partent à l’étranger, soit ils les manipulent, et généralement ils finissent par être tués dans ce que l’on présente comme une opération antiterroriste. » A l’été 2015, une dizaine de jeunes ont choisi la Syrie. p isabelle mandraud LE CONTEXTE Dès l’annonce de l’intervention militaire russe en Syrie, le 30 septembre 2015, Vladimir Poutine avait mis en avant ce motif : « Ne pas attendre qu’ils [les djihadistes] reviennent chez nous ». Dans un rapport diffusé le 15 mars, le Conseil russe des affaires étrangères le soulignait encore : « Le retour des combattants de l’organisation Etat islamique est l’une des principales menaces pesant aujourd’hui sur la Russie. » Leur nombre est estimé à plus de 3 000 et plus de 800 enquêtes contre des ressortissants russes revenus du Proche-Orient ont été ouvertes selon le comité de lutte antiterroriste. Un homme de 28 ans, originaire du Daghestan, soupçonné selon la police d’avoir participé à un camp d’entraînement de l’Etat islamique en Syrie, a été interpellé mardi 12 avril dans la région de Saint-Pétersbourg par les forces de sécurité. international | 3 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Les «cronies», vrais gagnants de la transition birmane Anciens alliés de la junte et nouveaux amis d’Aung San Suu Kyi, ces hommes d’affaires continuent de prospérer rangoun - envoyé spécial « Le dernier régime était inefficace, économiquement parlant » L’ antichambre du bureau de Khin Shwe, magnat des affaires et l’une des dix plus grosses fortunes de Birmanie, sénateur sortant de la Chambre haute du Parlement, membre du parti des militaires, homme de l’ancien régime et nouvel ami très cher d’une Lady nommée Aung San Suu Kyi, en dit long sur le personnage – et sur les paradoxes d’une Birmanie désormais démocratique : partout, sur les murs, des photos de lui, prises dans des poses avantageuses, y sont accrochées. Ici, il est debout devant un éléphant blanc porte-bonheur. Là, toujours en compagnie d’un éléphant, mais assis sur son dos. Ailleurs, on le voit, dans une pose guindée, au palais du Peuple de Pékin en train de serrer la main du président chinois, Xi Jinping. Ailleurs encore, il s’esclaffe devant l’objectif aux côtés d’un ancien premier ministre thaïlandais. L’homme a des relations. Le « docteur » Khin Shwe fait son entrée. Il tend une carte de visite sur laquelle sont gravés son nom et son titre universitaire. Hélas inventé de toutes pièces, comme l’a sournoisement révélé le journal birman en ligne Irrawaddy, certes souvent malintentionné à l’égard des proches d’un régime qui fut dictatorial. Mépris de la population A 64 ans, le patron de Zaykabar, l’un des grands groupes de construction immobilière du pays, est un homme affable, souriant, ouvert, dont la silhouette arrondie confère à sa démarche une certaine majesté. Il évalue son patrimoine, en une moue faussement modeste : « Environ 500 millions de dollars. » Khin Shwe ne tarde pas à entrer dans le vif du sujet : « On dit que je suis un crony, c’est faux, je n’ai jamais profité de ma proximité avec les dirigeants des précédents gouvernements pour faire fortune. » Le « gros mot » anglais est lâché : crony au singulier, cronies au pluriel, en français ça veut dire « copain ». En Birmanie, c’est plutôt « copain-coquin », et c’est la façon dont tout le monde désigne ici les affidés des ex-généraux de l’ancienne dictature ayant joui de re- KHIN SHWE homme d’affaires birman Khin Shwe, le président du groupe Zaykabar, à Rangoun, en 2012. SOE ZEYA TUN/REUTERS lations complexes, mais fructueuses, avec ces derniers. Ce qui leur a permis à tous de se bâtir de coquettes fortunes. Cronies, c’est aussi une engeance haïe par la population, dont le mépris à l’égard de ces businessmen prorégime n’a eu d’égal que celui qu’elle réservait au régime lui-même… « J’ai commencé ma carrière d’ingénieur sous le général Ne Win [l’auteur du putsch de 1962], raconte Khin Shwe. J’ai bien connu Than Shwe [dictateur retiré des affaires en 2010 quand la junte s’est autodissoute]. Je jouais au golf et buvais l’apéro avec Thein Sein [expremier ministre de la junte et président sortant du dernier régime issu de la dictature], mais je vais vous dire : ce gouvernement quelque peu démocratisé présidé par Thein Sein était inefficace, économiquement parlant. Alors, aux élections [de novembre 2015], j’ai A leur arrivée au pouvoir, les anciens généraux ont fait émerger une nouvelle génération de « cronies » appelé à aller voter pour la NLD [Ligue nationale de la démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi]. » Un comble pour ce compagnon de route de la tyrannie qui était sénateur du Parti pour le développement et la solidarité de l’Union (USDP), la formation politique soutenue par les militaires et les caciques de la junte défunte. Raison de ce lâchage tardif : quand ils sont arrivés au pouvoir en 2010, explique en substance Khin Shwe, les nouveaux dirigeants, qui étaient tous d’anciens généraux, ont essayé de se « blanchir ». « Ils se sont désolidarisés de nous, accuse-t-il, parce que nous étions attaqués dans les médias pour nos activités passées. » Résultat, sous le régime sortant a ainsi émergé une « nouvelle génération de cronies », comme l’explique, un peu dépité, Khin Shwe, assis, tel le pacha d’un autre temps, dans un profond fauteuil qui disparaît sous sa royale corpulence. Le Wall Street Journal affirmait, au mois d’août 2015, que « des entreprises qui font partie de la liste de celles encore ciblées par les sanctions américaines ont en réalité prospéré depuis quelques années et, dans certains cas, ont même accru leur contrôle sur l’économie ». Serait-ce le cas de Khin Shwe ? Peut-être pas : il est lui aussi sur la liste noire des Américains, mais il n’est plus « l’homme le plus riche », ce qu’il avait été auparavant, concède-t-il. « Les cronies sont les principaux gagnants », analyse Sean Turnell, expert des questions économiques birmanes et conseiller de la NLD, cité par l’AFP. « Le gouvernement sortant leur a donné des licences et les protège de la concurrence. » Vers une « continuité » Cronies d’hier, cronies d’aujourd’hui, qu’importe : la question essentielle est de savoir comment ces hommes d’affaires peu fréquentables vont profiter ou non de la nouvelle situation politique. « L’arrivée au pouvoir de la NLD et de la “Dame” ne va pas bouleverser les choses, économiquement parlant », estime un expert basé à Rangoun. « Le nou- La Chine s’invite dans les négociations sur la Syrie R estée en retrait sur le dossier syrien malgré un soutien indéfectible à Bachar Al-Assad, la Chine entend peser davantage sur les scénarios de sortie de crise qui s’élaborent. Pékin a désigné, le 29 mars, son premier émissaire pour la Syrie, Xie Xiaoyan, un diplomate de carrière qui fut ambassadeur en Iran, puis en Ethiopie et auprès de l’Union africaine. Cette nomination doit permettre de « contribuer plus efficacement en sagesse et en propositions chinoises », avait alors déclaré Hong Lei, le porte-parole du ministère des affaires étrangères. Les premières interventions de M. Xie sur le dossier résument la position chinoise : la résolution de la crise syrienne passe par un compromis politique, pas par des opérations militaires. « Par la négociation, un consensus sera atteint et une solution peut être trouvée, a voulu croire M. Xie le 9 avril, nous insistons pour que la recherche d’une solution politique soit la ligne directrice pour régler le problème. » Sur le dossier syrien, la Chine a jusqu’à présent collé aux positions russes, exerçant à quatre reprises son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU aux côtés de Moscou pour bloquer les projets de résolutions occidentales entre 2012 et 2014. « La Chine est restée relativement conservatrice sur le dossier syrien. Elle n’est pas assez sûre d’elle-même, ou pas assez prête, pour intervenir dans les troubles au Moyen-Orient », analyse Zhu Feng, directeur adjoint du Centre d’études internationales et stratégiques de l’université de Pékin. « Maintenant que la Syrie va avoir besoin d’investissements pour sa reconstruction, la Chine estime que c’est le bon moment, et la nomination d’un envoyé spécial indique qu’elle est prête à devenir plus active », poursuit-il. Partenaire commercial privilégié La Chine tire plus de 50 % de ses approvisionnements en pétrole du Moyen-Orient. Elle est la première cliente aussi bien de l’Arabie saoudite que de l’Iran, deux acteurs-clés du jeu syrien. « Il est évident que les Chinois veulent jouer un rôle plus important au Moyen-Orient et apparaître comme partie prenante de ce qui s’y décide, explique Jean-Pierre Cabestan, auteur de La Politique internationale de la Chine. Entre intégration et volonté de puissance (éditions Presses de Sciences Po, 2015). Cela participe de leur montée en puissance et fait suite à la tournée du président Xi Jinping en Arabie saoudite, en Egypte et en Iran de janvier. » Pékin, qui a eu un rôle-clé dans l’accord sur le nucléaire iranien de juillet 2015 en jouant de son statut de partenaire commercial privilégié de la République islamique, émerge comme un acteur incontournable dans la région, d’un point de vue économique, mais aussi politique. « Après la fin de la guerre en Irak, les Chinois ont placé très vite leurs billes en achetant du pétrole. Certes, avec l’Iran, ils sont conscients du fait que les Iraniens vont désormais vouloir faire plus avec l’Occident : le consul iranien à Hongkong a parlé récemment de “relations plus réalistes” de l’Iran avec la Chine. Avec la Syrie, en tout cas, ils entendent faire partie de l’équation et participer aux contrats d’infrastructures et de financement », poursuit M. Cabestan, qui est basé à Hongkong. Islamistes ouïgours Le programme des nouvelles « routes de la soie » et son cortège d’investissements en infrastructures sont l’outil idoine pour promouvoir l’influence économique de la Chine dans la région. Pékin s’engage toutefois à petits pas sur une nouvelle voie depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping : celle d’une présence militaire en dehors de la zone Asie-Pacifique. La Chine va ouvrir une base navale à Djibouti et a annoncé fin mars qu’elle se dotait, dans le cadre de la restructuration de ses forces armées, d’un nouveau département d’action outre-mer destiné à coordonner ses « activités non combattantes » sur les territoires extérieurs. En outre, de nouvelles lois antiterroristes autorisent désormais l’Armée de libération à intervenir en dehors de ses frontières. bruno philip MALI Mort de trois soldats français dans le Nord Après avoir contribué à l’accord sur le nucléaire iranien, Pékin entend peser dans la résolution du conflit syrien pékin - correspondant veau gouvernement démocratique va s’inscrire dans la continuité de l’ouverture économique d’inspiration libérale commencée il y a quelques années. La NLD a besoin de grands groupes pour relancer la machine. Et les plus malins des cronies arriveront à s’adapter en transformant leur manière de fonctionner. » Les « copains-coquins » n’ont rien à craindre. Aung San Suu Kyi a déjà promis aux anciens dirigeants à épaulettes, coupables de crimes de guerre, qu’il n’y aurait pas de chasse aux sorcières. Alors les cronies, n’en parlons pas ! Certains d’entre eux sont de curieux personnages : Tay Za, qui s’est enrichi dans le trafic d’armes et de bois précieux, l’hôtellerie et l’aviation, se promène dans Rangoun en Bugatti. On dit que ce grand fêtard termine souvent ses soirées très arrosées en piteux état après avoir joué au tennis, parties égayées par la présence de son bébé tigre qui ramasse les balles. Steven Law, PDG de la puissante compagnie Asia World, qui a décroché le juteux contrat de construction du nouveau terminal de l’aéroport de Rangoun, est le fils du Sino-Birman Lo Hsing Han, décédé en 2013 : ce dernier fut l’un des plus grands parrains de la drogue du pays. Déjà, tous les cronies prennent leurs marques. Khin Shwe nous dit sa passion tardive, mais forte pour « Sister Suu », avec laquelle il lui arrive de dîner. « C’est une femme extraordinaire, qui va s’occuper des pauvres, comme moi, qui donne chaque année de grosses sommes à des organismes de charité », se félicite notre homme. Souriant, il confie, prenant tendrement la main de son interlocuteur : « Je lui dis souvent : “Ne vous tuez pas à la tâche, vous allez vieillir trop vite” ! » Une belle amitié vient de naître. p Cette inflexion discrète de sa traditionnelle politique de noninterférence est pour l’instant motivée par le besoin d’assistance à ses ressortissants en Afrique et au Moyen-Orient et sa politique de participation aux opérations de maintien de la paix onusiennes. Personne n’imagine par exemple Pékin s’engager dans une intervention militaire comme la Russie l’a fait en Syrie. La Chine n’en a pas moins un intérêt crucial à une stabilisation de la Syrie. La guerre syrienne sert de terrain d’entraînement à des islamistes ouïgours, issus de la minorité musulmane et turcophone du Xinjiang, surtout en soutien aux rebelles du Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida. La chaîne saoudienne Al-Arabiya, dont les informations sont à prendre avec des pincettes, faisait état, début mars, de milliers de combattants ouïgours et de leurs familles nouvellement installés dans les zones rebelles. La Chine est toujours restée évasive sur ce qu’elle sait de l’implication d’Ouïgours en Syrie. p brice pedroletti La France a annoncé mercredi 13 avril le décès de deux soldats du 511e régiment du train d’Auxonne, grièvement blessés la veille par une mine dans le nord du Mali, ce qui porte le bilan de cette explosion à trois morts. Un convoi logistique français parti de Gao pour ravitailler le détachement présent à Tessalit a sauté sur une bombe artisanale. Seize soldats de l’opération « Serval », devenue en août 2014 opération « Barkhane », sont morts depuis 2013. PAN AMA Perquisition dans les locaux du cabinet Mossack Fonseca Le procureur général du Panama a diligenté mardi 12 avril une perquisition dans les bureaux de Mossack Fonseca, le cabinet d’avocats qui se trouve au centre de l’affaire des « Panama papers ». Dans un communiqué, la police s’est dite à la recherche de documents « susceptibles d’établir l’utilisation éventuelle de la société pour des activités illicites ». – (Reuters.) 4 | international & europe 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Le Mouvement 5 étoiles perd son idéologue Gianroberto Casaleggio, penseur très secret du parti de Beppe Grillo, est mort d’une tumeur au cerveau DISPARITION T rome - correspondant héoricien » ? « Gourou » ? « Marionnettiste » ? Quels que soient les qualificatifs qui s’attachaient au nom de Gianroberto Casaleggio – décédé, mardi 12 avril à Milan, des suites d’une tumeur au cerveau à l’âge de 61 ans –, tous se faisaient l’écho d’une influence souterraine, d’un pouvoir occulte sur le Mouvement 5 étoiles (M5S) dont il fut le cofondateur, en 2010, aux côtés de l’exubérant Beppe Grillo. Si le second, homme de one-manshow et de télévision, est logorrhéique, le premier, homme de l’ombre, était farouche, taiseux voire inquiétant. Cheveux long et gris, souvent coiffé d’une casquette, lunettes rondes, Gianroberto Casaleggio n’a accordé que de rares entretiens aux médias qu’il tenait tous, à des degrés divers, comme des complices du pouvoir destinés à disparaître. Il leur préférait la transparence sans filtre d’Internet et des réseaux sociaux dont il était un spécialiste. Son entrée sur la scène publique date du 22 février 2013, lorsque Beppe Grillo le fit monter à la tribune de son meeting romain clôturant la campagne des législatives et des sénatoriales. « Nous allons changer l’Italie », s’était-il contenté de dire. Il s’en est fallu d’un cheveu. Une semaine plus tard, le M5S devenait le deuxième parti de la Péninsule et envoyait 164 élus au Parlement. Né en 1954 à Milan, Gianroberto Casaleggio travaille d’abord pour Olivetti, puis pour la société de services informatiques Webegg SA avant de fonder, en 2005, la Casaleggio Associati. C’est cette an- Utopiste, Casaleggio gardait toutefois les pieds sur terre et une main de fer pour gérer le Mouvement 5 étoiles née-là qu’il fait la connaissance de Beppe Grillo, lequel deviendra son client en lui confiant la création et la gestion de son blog « Beppegrillo.it », le plus lu d’Italie. Tout le reste demeure flou : de l’organigramme de la société à ses bénéfices en passant par les revenus de son fondateur. « Quiconque s’oppose à Casaleggio est systématiquement attaqué », nous confiait le journaliste Pietro Orsatti, auteur d’une enquête fouillée sur la société. Main de fer En revanche, son idéologie est plus documentée. Dans un livre disponible seulement sur Internet, Veni vidi Web, paru en 2015, il pronostiquait l’arrivée prochaine d’une société de décroissance dans laquelle Internet aurait libéré les citoyens de toutes contraintes, à commencer par le travail. « Pourquoi travailler un mois entier pour acheter un vêtement griffé ou un nouveau smartphone ? », s’interrogeait-il. C’est également à la Toile qu’il confiait son espoir de l’avènement d’une nouvelle classe politique contrôlée en permanence par les citoyens internautes. Proposition : voter tous les cinq ans, en ligne bien sûr, une réforme de la Constitution. Dissident du Vers la réduction des pouvoirs du Sénat La Chambre des députés italienne a approuvé, mardi 12 avril, la dernière étape parlementaire du projet de réforme constitutionnelle mettant fin au bicamérisme en réduisant les pouvoirs du Sénat. Pour le président du conseil, Matteo Renzi, cette réforme assurera la stabilité politique du pays. Il ne lui reste plus qu’une étape à franchir : celle d’un référendum qui se déroulera à l’automne. M. Renzi, décidé à mettre tout son poids dans cette dernière bataille, a assuré qu’il démissionnerait s’il devait être désavoué par les électeurs. “Elles viennent du fond des temps et de tous les continents nous raconter leur histoire.” Beppe Grillo, à gauche, et Gianroberto Casaleggio, à Rome, en mai 2014. GREGORIO BORGIA/AP mouvement, le maire de Parme, Federico Pizzarotti, a estimé que Gianroberto Casaleggio était « un rêveur qui d’un rêve a construit un projet politique dont le pays avait et a encore vraiment besoin ». Utopiste, se disant ni de droite ni de gauche, il gardait toutefois les pieds sur terre et une main de fer pour gérer le Mouvement 5 étoiles. C’est la Casaleggio Associati qui supervise la communication des groupes M5S au Parlement italien comme au Parlement européen. C’est elle encore qui délivre des cours de media training aux élus les plus brillants. C’est elle, enfin, qui organise, sans aucun contrôle extérieur, les votes en ligne pour valider une réforme, préciser un point de doctrine ou exclure un parlementaire déviant. Un GIANROBERTO CASALEGGIO cofondateur du M5S Alors que Beppe Grillo évoque, lui aussi, de plus en plus souvent, son retrait du mouvement, estimant qu’il est « assez grand pour marcher tout seul », la disparition de son cofondateur met-elle en péril le M5S ? Depuis deux ans, Davide Casaleggio, 29 ans, aussi secret que son père, s’est vu confier des responsabilités, aussi bien politiques qu’entrepreneuriales, au sein de la Casaleggio Associati, dont il devrait prendre les rênes. De son côté, le parti, jusqu’alors rétif à toute idée de structure et de hiérarchie, s’est doté d’un directoire duquel émerge la figure de Luigi Di Maio, 30 ans, vice-président de l’Assemblée nationale. « Ses capacités sont reconnues même par ses concurrents et les sondages placent le mouvement juste derrière le Parti démocrate de Matteo Renzi, analyse Roberto D’Alimonte, politologue de l’université Luiss de Rome. Tant que cette situation durera, l’avenir du M5S est assuré. » Premier test : les élections municipales de juin. p philippe ridet Rome proteste contre la décision de l’Autriche, qui craint un nouvel afflux de migrants A près avoir fait fermer la route des Balkans au début du mois de mars, l’Autriche prépare depuis mardi 12 avril les travaux de construction d’une nouvelle clôture très symbolique, cette fois à sa frontière avec l’Italie, provoquant la colère de Rome, de Bruxelles et du pape François. Vienne estime que les frontières extérieures de Schengen ne sont toujours pas « protégées » de manière efficace et reproche à son grand voisin du sud de ne pas tout mettre en œuvre pour empêcher les migrants de continuer leur route vers les riches destinations germaniques. EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX « Pourquoi travailler un mois entier pour acheter un vêtement griffé ou un nouveau smartphone ? » Vienne veut fermer sa frontière italienne vienne, rome - correspondants Un hors-série contrôle constant au point que le M5S a pu apparaître comme la traduction politique d’une stratégie d’entreprise. La nouvelle de son décès a occupé, mardi, une grande partie des journaux télévisés et des chaînes d’information continue. Les candidats du mouvement aux élections municipales de juin ont interrompu leur campagne, notamment à Rome où la représentante du M5S a les faveurs des sondages. Les parlementaires grillinis assisteront tous à ses obsèques, jeudi, à Milan. Le président de la République, Sergio Mattarella, et de nombreux autres responsables politiques ont adressé leurs condoléances à la famille de celui qui les méprisait tous, ou à peu près. Contrôles avec la Hongrie « Les arrivées de réfugiés sur les côtes italiennes sont plus importantes en mars 2016 qu’elles ne l’étaient en mars 2015, constate de son côté Christoph Pinter, le représentant en Autriche du HautCommissariat aux réfugiés de l’ONU (9 676 contre 2 283 un an plus tôt). C’est l’indice d’une déviation possible de la route des migra- tions de la Grèce vers l’Italie. » Une théorie des vases communicants qui se heurte toutefois aux statistiques. Alors que les migrants arrivés en Grèce sont dans leur immense majorité syriens, afghans ou irakiens, ceux qui ont rejoint les côtes italiennes depuis le 1er janvier sont traditionnellement africains. Entre le 1er janvier et le 31 mars, l’Autriche (8,5 millions d’habitants) a enregistré 14 328 demandes d’asile. Or, depuis le 6 mars, plus aucun réfugié ne s’est présenté au centre de tri mis en place au poste de Spielfeld, à la frontière slovène. Pour le gouvernement de coalition entre les sociaux-démocrates et les conservateurs, c’est donc la preuve que les nouveaux arrivants – entre 100 et 200 par jour en avril – entrent maintenant illégalement dans l’espace Schengen. L’Autriche entend instituer de nouveaux contrôles à partir du 1er juin, afin de filtrer les migrants dans un premier temps à quatre postes-frontières avec l’Italie, mais aussi avec la Hongrie. Elle menace surtout d’entraver unilatéralement l’important trafic au col du Brenner, lien pourtant névralgique pour le transit NordSud en Europe. Une perspective qui traduit l’inquiétude des partis au pouvoir à l’approche de l’élection présidentielle, le 24 avril. « Une réponse fausse » Selon, les sondages, les candidats des sociaux-démocrates et des conservateurs ne figureraient pas au second tour, alors que leurs formations tiennent un même langage de fermeté face aux migrants. Les Verts et l’extrême droite feraient largement la course en tête. La société se polarise de plus en plus entre les pro et les antiréfugiés, laissant les partis traditionnels affaiblis par la gestion de la crise. En Italie, c’est la consternation. Sandro Gozi, secrétaire d’état chargé des affaires européennes, dénonce « une grave erreur qui viole les règles européennes. Ce n’est pas en érigeant des murs improvisés qu’on gère les problèmes ». Mardi, le ministre de l’intérieur, Angelino Alfano, et son collègue des affaires étrangères, Paolo Gentiloni, ont envoyé une lettre conjointe au commissaire européen chargé des migrations, Dimitris Avramopoulos, afin qu’il intervienne d’urgence auprès de Vienne. Sans faire explicitement référence à la fermeture de la frontière italo-autrichienne, le pape François a invité les Etats « à abattre les murs », pas seulement « au sens figuré », mais dans « la triste réalité ». « Une réponse fausse et dramatique », se désole la Conférence épiscopale italienne. Seule la Ligue du Nord se félicite de la décision autrichienne. L’Italie, qui a peut-être suscité l’inquiétude de ses voisins en pronostiquant l’arrivée en 2016 de « 300 000 migrants », redoute de voir son territoire se transformer en une sorte de piège pour migrants, alors que les arrivées en provenance des côtes libyennes et égyptiennes sont en hausse par rapport à 2015. Une inquiétude exprimée par Angelino Alfano, qui en a fait part à son homologue autrichienne, Johanna MiklLeitner. Rome redoute également « des retombées économiques négatives » avec la fermeture de cet axe vital. p blaise gauquelin et ph. r. international & europe | 5 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Vers un échange limité des « données passagers » Les eurodéputés devraient adopter le dispositif Passenger Name Record pour une quinzaine de pays de l’UE strasbourg - envoyée spéciale C’ est la fin d’un psychodrame qui aura duré des années : à moins d’un très improbable accident de dernière minute, le Parlement de Strasbourg devait donner son feu vert définitif, jeudi 14 avril, au projet de directive sur le Passenger Name Record (PNR), encadrant la coordination des fichiers européens de données des passagers aériens. Le gouvernement français en avait fait un cheval de bataille après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. La pression exercée sur les élus – notamment les sociaux-démocrates, très réticents à voter un texte de leur point de vue insuffisant – n’a cessé de s’intensifier après les attentats du 13 novembre 2015, à Paris et à Saint-Denis, et elle a été décisive après les attaques de Bruxelles, le 22 mars. Manuel Valls a rencontré à plusieurs reprises la délégation socialiste française à Strasbourg, au cours des derniers mois, pour évoquer le sujet. Le premier ministre a récidivé lors de sa visite au Parlement européen, mardi. Les derniers blocages ont été levés avec le vote, quasi concomitant, d’un « paquet » législatif sur la protection des données personnelles. Les élus écologistes, libéraux, sociaux-démocrates et d’extrême gauche ont obtenu de lier l’adoption des deux textes, le « paquet » protection des données étant entre autres censé sécuriser l’usage par les Etats des informa- tions sur leurs passagers stockées par les compagnies aériennes. Quel est l’objectif de la directive PNR ? Il ne s’agira en rien d’établir un fichier unique réunissant les informations personnelles (identité, coordonnées bancaires, choix alimentaires dans l’avion, lieu de séjour, relations dans le pays de destination, etc.) détenues par les compagnies et concernant les passagers aériens qui empruntent un vol partant ou arrivant dans un pays de l’Union européenne (UE). Mais il s’agit bien de définir les règles pour que les différents PNR européens – une quinzaine de pays sont en train de s’en doter – dialoguent au mieux entre eux. Petite victoire Ce « dialogue » ou ces échanges d’informations n’auront, en outre, pas de caractère contraignant. Sophie in’t Veld, une eurodéputée libérale néerlandaise très attentive à la protection des données privées, a bien déposé un amendement pour exiger que les transferts de données entre PNR nationaux soient rendus obligatoires. « Cela n’a aucune chance de passer jeudi », dit une source diplomatique. « Si c’était le cas, l’ensemble du projet tomberait, et il faudrait recommencer toutes les négociations avec les Etats membres [qui refusent ce caractère obligatoire] », précise une autre. Les sociaux-démocrates et les libéraux ont toutefois décroché une petite victoire : depuis des années ils exigeaient que le projet de PNR soit couplé à une protection Angela Merkel, coincée entre un humoriste et Erdogan berlin - correspondant U n humoriste allemand ayant insulté le président turc, Recep Tayyip Erdogan, place Angela Merkel dans une situation très délicate. Dans les jours qui viennent, la chancelière allemande va devoir trancher : soit elle s’en prend à la liberté d’opinion et se met une bonne partie des Allemands à dos, soit elle prend le risque d’ouvrir une crise avec la Turquie, son partenaire privilégié dans la lutte contre l’afflux de réfugiés en Europe. Dans les deux cas, elle risque d’être perdante. La genèse de la polémique remonte au 17 mars. Ce jour-là, la chaîne publique régionale allemande NDR diffuse un clip de deux minutes se moquant de M. Erdogan, « le boss du Bosphore », et critiquant sa dérive autoritaire. Le président turc apprécie peu, et va jusqu’à convoquer l’ambassadeur d’Allemagne à Ankara. A Berlin, le gouvernement défend – plutôt mollement – la liberté d’opinion. Angela Merkel, en vacances, ne réagit pas. L’affaire aurait pu en rester là, mais le 31 mars, deuxième épisode : l’auteur du clip, l’humoriste Jan Böhmermann, va jusqu’à insulter M. Erdogan lors d’une autre émission, qualifiant, entre autres, le président de « pédophile » et d’« encuPOUR ANKARA, leur de chèvre ». Autant les médias al« 78 MILLIONS lemands et les responsables politiques ont défendu sa première vidéo, DE TURCS » autant la seconde les met mal à l’aise. La chaîne la retire d’ailleurs très rapiSONT OFFENSÉS dement de son site. Sans doute pour désamorcer l’affaire, Mme Merkel prend soin, le 4 avril, de téléphoner au premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, et de condamner l’émission, qu’elle juge « sciemment blessante ». Car en Allemagne, insulter le représentant d’un Etat étranger constitue un délit passible de trois ans de prison. Mais l’Etat concerné doit d’abord réclamer la poursuite pénale des insultes, et le gouvernement allemand doit l’autoriser, puis laisser le parquet trancher. Le chah d’Iran et le dictateur chilien Augusto Pinochet y ont eu recours dans les années 1960 et 1970, et à son tour, M. Erdogan entend l’utiliser. Pour Ankara, ce sont « 78 millions de Turcs » qui sont offensés. Mardi, la chancelière a confirmé qu’une décision serait prise « dans les prochains jours ». « Nous avons les valeurs fondamentales de notre loi fondamentale, dont l’article 5 sur la liberté d’opinion, académique et artistique », a-t-elle indiqué, affirmant que tout cela « n’avait rien à voir » avec la crise des réfugiés. Mme Merkel avait été à l’initiative de l’accord sur le renvoi vers la Turquie de réfugiés négocié en mars. Mardi 12 avril, le Parti social-démocrate (SPD) a appelé le gouvernement, auquel il participe, à rejeter la demande turque. Quant aux Verts, ils demandent l’abrogation de cet article du code pénal. L’affaire a pris une dimension européenne : mardi, le député européen Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge, a appelé Mme Merkel à « défendre la liberté de la presse ». p frédéric lemaître enfin sérieuse sur la protection des données privées. Ce dossier était encalminé à Bruxelles, bloqué par le Conseil, et soumis à un intense lobbying des géants du web, comme Facebook ou Google. Deux textes devaient donc être adoptés, jeudi, parallèlement au PNR. D’abord, un règlement définissant clairement les droits des citoyens à l’égard de leurs données. Les entreprises ne pourront, ainsi, pas faire n’importe quoi. Elles devront avoir obtenu un consentement clair et affirmatif préalablement au traitement des données qu’elles collectent. Les citoyens pourront jouir d’un véritable droit à l’oubli numérique et de lourdes amendes pourront être prononcées contre les sociétés qui enfreindraient les règles. L’autre texte est un projet de directive concernant la coopération policière en matière d’informations numériques. Il devrait permettre une harmonisation, au niveau de l’UE, des règles de coopé- « Le PNR, cela équivaut à chercher une aiguille, même pas dans une botte de foin, mais dans un champ » SYLVIE GUILLAUME vice-présidente du Parlement européen ration entre les forces de police. Et préciser les garde-fous afin d’éviter un usage abusif par celles-ci des données privées des citoyens. Les sociaux-démocrates et les libéraux continuent de mal digérer le procès en « obstruction » que leur ont intenté différentes capitales européennes, Paris en tête, et aussi le Parti populaire européen (PPE, conservateur), très favorable, lui, au projet de PNR. Les élus de gauche et du centre assurent qu’ils ne voulaient qu’améliorer la directive et la rendre vraiment efficace. « Ce qui m’énerve le plus, c’est que ceux qui avaient tant insisté pour le PNR ont fait semblant de découvrir que le Parlement européen demandait depuis longtemps que son vote soit couplé au “paquet” données », s’agace Pervenche Berès, chef de la délégation socialiste à Strasbourg. « J’ai dit à Valls que nous n’étions pas des droits-de-l’hommistes “hors sol” », a lâché l’élue, à l’issue d’une rencontre avec le premier ministre français. Sylvie Guillaume, vice-présidente du Parlement européen, précise que sa délégation avait demandé un règlement plutôt qu’une directive sur le PNR, ce qui aurait permis une plus grande uniformité entre les PNR nationaux – le règlement ne laisse pas de marge d’appréciation aux Etats dans l’application du texte européen. Le PNR devrait fournir une énorme masse d’informations supplémentaires aux services de police et de renseignement. La grande question reste celle de la coopération entre les services, au plan national comme européen, et leur capacité à rendre toutes ces données intelligibles. « Le PNR, cela équivaut à chercher une aiguille, même pas dans une botte de foin, mais dans un champ », insiste Mme Guillaume. La question du manque de dialogue et de coopération entre les services européens – certains ne cachant pas leurs réticences à partager leurs renseignements – a d’ailleurs été abordée, mardi, lors des débats au sein du PPE : selon nos informations, les élus réfléchissent à la création d’une commission spéciale chargée d’enquêter sur les failles de sécurité européennes dans la lutte contre le terrorisme. Les ministres de l’intérieur discuteront de cette question récurrente le 21 avril, à Luxembourg. p cécile ducourtieux 6 | planète 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Jeu de dupes de la France sur la baisse du nucléaire Ségolène Royal encourage les énergies renouvelables mais remet à 2019 les arbitrages sur l’atome L aisser filer le temps. Ajourner la décision, sans renoncer formellement. C’est la stratégie adoptée par le gouvernement sur le dossier brûlant de la baisse du nucléaire, qui devait être un marqueur fort de sa politique énergétique. La loi de transition énergétique pour la croissance verte, promulguée en août 2015, prévoit, dans son article 1er, de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % [contre 77 % en 2014] à l’horizon 2025 ». Un engagement solennel pris par François Hollande avant son élection et réitéré depuis avec constance. Mais, au pied du mur, le gouvernement tergiverse et laisse à ses successeurs le soin de trancher dans le vif, suscitant l’incompréhension et la défiance des associations environnementales, qui l’accusent de renoncer à une vraie transition énergétique. Avec sa loi de croissance verte, la France s’est pourtant fixé un cap ambitieux : quatre fois moins d’émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990, deux fois moins d’énergie consommée au milieu du siècle, moins 30 % de fossiles en 2030 et 32 % de renouvelables à la même échéance. Le tout assorti, donc, d’une réduction d’un tiers du poids de l’atome, en 2025, dans le bouquet électrique. Ces objectifs complémentaires doivent être mis en musique par une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont la loi précise que, « fixée par décret, elle établit les priorités d’action des pouvoirs publics ». La première PPE devrait couvrir deux périodes, 2016-2018 et 2019-2023. Or, huit mois après l’adoption de ce texte, dont le chef de l’Etat avait fait l’un des « grands chantiers du quinquennat », force est de s’interroger sur les « priorités d’ac- tion » de l’exécutif. La PPE était attendue fin 2015. Repoussée de mois en mois, elle devait être présentée, début mars, à un comité de suivi, lequel a été ajourné. Après beaucoup d’hésitations, Mme Royal vient finalement d’annoncer que le décret créant la PPE « sera mis en consultation formelle avant l’été ». Dans un premier temps, elle a demandé au Conseil supérieur de l’énergie d’examiner, vendredi 15 avril, un « arrêté relatif à la programmation des capacités de production d’énergie renouvelable ». Un texte qui fait l’impasse sur le nucléaire. « Surcapacité de production » « J’ai choisi de procéder en deux temps, en avançant d’abord sur les renouvelables, explique au Monde la ministre. C’est une façon de sécuriser leur développement, en le rendant indépendant du volet nucléaire, plus compliqué à traiter et conflictuel. Les filières renouvelables ont besoin de visibilité. Si leur sort était lié à celui du nucléaire, les professionnels pourraient craindre que tout soit remis en cause en cas d’alternance politique. » En procédant de la sorte, elle va pouvoir « lancer les appels d’offres pour les différentes filières, fixer les tarifs de rachat de l’électricité et accélérer la transition énergétique ». L’éolien terrestre doit monter fortement en puissance, en passant d’une capacité installée de 9,3 gigawatts (GW), en 2014, à 22 ou 23 GW, en 2023, de même que le solaire photovoltaïque, qui doit grimper de 5,4 GW à 18 ou 22 GW. Ce mécanisme à double détente pose toutefois deux problèmes. D’abord, il s’affranchit pour l’instant de la PPE, c’est-à-dire du fil rouge de la loi. L’arrêté ministériel sur les renouvelables, sur lequel le Conseil supérieur de l’énergie doit rendre un avis d’ici - CESSATIONS DE GARANTIE LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS NANTERRE 414 108 708), succursale de QBE Insurance (Europe) Limited, Plantation Place dont le siège social est à 30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD, fait savoir que, la garantie financière dont bénéficiait la : SARL IMMO JORRE 4 Route de Laval 53170 MESLAY-DU-MAINE RCS: 501 700 454 depuis le 1er janvier 2008 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIERE cessera de porter effet trois jours francs après publication du présent avis.Les créances éventuelles se rapportant à ces opérations devront être produites dans les trois mois de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement ou du non-paiement des sommes dues et ne peut en aucune façon mettre en cause la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL IMMO JORRE LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS NANTERRE 414 108 708), succursale de QBE Insurance (Europe) Limited, Plantation Place dont le siège social est à 30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD, fait savoir que, la garantie financière dont bénéficiait la : SARL HENRI JAMES 47 rue Pierre Charon 75008 PARIS RCS: 508 853 397 depuis le 1er avril 2011 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIERE cessera de porter effet trois jours francs après publication du présent avis. Les créances éventuelles se rapportant à ces opérations devront être produites dans les trois mois de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement ou du non-paiement des sommes dues et ne peut en aucune façon mettre en cause la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL HENRI JAMES. LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS NANTERRE 414 108 708), succursale de QBE Insurance (Europe) Limited, Plantation Place dont le siège social est à 30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD, fait savoir que, la garantie financière dont bénéficiait la : SARL MAURO ET SYLVIE IMMOBILIER 16 Avenue de France 06400 CANNES RCS: 479 801 771 depuis le 1er janvier 2005 pour ses activités de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET FONDS DE COMMERCE cessera de porter effet trois jours francs après publication du présent avis. Les créances éventuelles se rapportant à ces opérations devront être produites dans les trois mois de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement ou du non-paiement des sommes dues et ne peut en aucune façon mettre en cause la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL MAURO ET SYLVIE IMMOBILIER. LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS NANTERRE 414 108 708), succursale de QBE Insurance (Europe) Limited, Plantation Place dont le siège social est à 30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD, fait savoir que la garantie financière dont bénéficiait: APATRIMMO CONSEIL SARL 34 Rue Claire Pauilhac 31000 TOULOUSE SIREN : 479 123 762 depuis le 19 mai 2005 pour ses activités de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLE ET FONDS DE COMMERCE cessera de porter effet trois jours francs après publication du présent avis. Les créances éventuelles se rapportant à ces opérations devront être produites dans les trois mois de cette insertion à l’adresse de l’Etablissement garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement ou du non-paiement des sommes dues et ne peut en aucune façon mettre en cause la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL APATRIMMO CONSEIL. La centrale nucléaire de Cattenom (Moselle). FRANCIS CORMON/HEMIS. FR à la fin avril, pour une publication au Journal officiel en mai, va simplement modifier les programmations pluriannuelles des investissements (PPI) de production d’électricité et de chaleur de 2009. Un dispositif qui, comme son nom l’indique, ne porte que sur les investissements et non pas sur l’ensemble de la politique énergétique. Ensuite, passer sous silence la question du nucléaire a pour conséquence, aux yeux des ONG, de fragiliser les filières alternatives, au contraire de ce qu’avance la ministre. « On ne peut pas sécuriser les renouvelables sans garantir, dans le même temps, qu’on va leur faire de la place sur le marché et sur le réseau, analyse Cyrille Cormier, chargé des questions énergétiques à Greenpeace. La France et l’Europe sont en surcapacité de production électrique, si bien que ces filières ne pourront pas progresser sans une baisse effective du nucléaire, donc sans fermeture de réacteurs. » Les atermoiements du gouvernement s’expliquent, selon lui, par « une difficulté à choisir entre la transition énergétique et l’exportation du nucléaire français, qui nécessite de conserver une vitrine nationale, un parc, des équipes et un savoir-faire ». « Commencer par les renouvelables ne doit pas servir de prétexte pour enterrer le volet nucléaire. Sur « On ne peut pas sécuriser les renouvelables sans garantir qu’on va leur faire de la place sur le marché » CYRILLE CORMIER Greenpeace ce point, les ONG ont raison », concède Mme Royal. Dans le cadre de la PPE, « il y aura des réacteurs prolongés et des réacteurs fermés, sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ». Une autre option permettrait de réduire le poids de l’atome sans toucher au parc installé, en « diminuant la production des centrales ». Mais, précise la ministre, aucun arbitrage ne sera rendu avant 2019 : « C’est dans la seconde période de la PPE, entre 2019 et 2023, qu’il va falloir prendre des décisions, avec l’ASN, en fonction du développement constaté des énergies renouvelables et de l’évolution de la demande en électricité. » De fait, la série des quatrièmes visites décennales – les inspections approfondies qui décideront de l’aptitude des chaudières nucléaires à rester en activité au- delà de quarante ans – ne débutera qu’en 2019, avec l’unité de Tricastin 1 (Drôme et Vaucluse). Pour autant, la Cour des comptes estime, dans son dernier rapport annuel, que baisser la part de l’atome à 50 % du bouquet électrique revient à arrêter « de 17 à 20 réacteurs » sur les 58 que compte l’Hexagone. Ce qui, en bonne programmation, exigerait de planifier et d’étaler les fermetures. Au lieu de quoi l’exécutif se défausse, de facto, sur les gouvernements futurs. Le seul acte posé au cours du quinquennat sera un décret, « avant l’été », promet Mme Royal, abrogeant l’autorisation de fonctionnement de Fessenheim, même si la centrale alsacienne ne s’arrêtera que fin 2018, lors de la mise en service prévue de l’EPR de Flamanville (Manche). « On nage en pleine hypocrisie » Cette dérobade n’étonne guère Hervé Mariton, député (Les Républicains) de la Drôme et coauteur d’un rapport sur le coût de la fermeture anticipée des réacteurs nucléaires. « Depuis le début, on nage en pleine hypocrisie avec une loi de transition énergétique qui est perçue par beaucoup – parlementaires, membres du gouvernement, industriels – comme n’ayant pas vocation à être appliquée, commente-t-il. La preuve en est qu’EDF ou Areva n’intègrent pas d’évolution majeure du parc nucléaire dans leurs calculs financiers. On est dans un jeu de rôle, de feinte systématique du gouvernement. Sur le nucléaire, la transition énergétique réside dans la PPE, le reste n’est que du baratin. » Tout aussi sévère, l’ex-ministre de l’environnement Corinne Lepage, présidente du mouvement Le Rassemblement citoyen-Cap 21, juge que « sur le nucléaire, le bilan de Mme Royal est égal à zéro ». A quelques jours de la cérémonie de signature, le 22 avril à New York, de l’accord de Paris sur le climat, pour lequel la France veut s’afficher en moteur de la transition énergétique, les associations environnementales s’étranglent. « Signer l’accord de Paris sans avoir rendu publique une PPE qui transcrive les objectifs de la loi serait comme faire un chèque en bois », estime Anne Bringault, du Réseau action climat et du Réseau pour la transition énergétique. France nature environnement exprime, elle aussi, son inquiétude : « Si la France veut tenir à l’international son rang acquis avec l’accord de Paris, cela passe nécessairement par la mise en œuvre de la loi de transition énergétique et l’exemplarité de l’Etat », prévient son président, Denis L’Hostis. Ajoutant : « Aujourd’hui, nous pouvons en douter. » p pierre le hir Denis Baupin : « Une histoire est en train de s’achever » vice-président (Europe Ecologie-Les Verts) de l’Assemblée nationale, Denis Baupin décrypte les hésitations du gouvernement sur le nucléaire. La ministre de l’environnement dissocie nucléaire et énergies renouvelables dans la programmation énergétique de la France. Est-ce légitime ? J’y vois un côté positif : celui de ne pas perdre de temps pour donner un nouvel élan aux renouvelables. L’arrêté soumis au Conseil supérieur de l’énergie représente pour ces filières, par les objectifs de production affichés, un pas en avant comme jamais elles n’en ont connu. Pour autant, cela ne peut pas remplacer ce que prévoit la loi de transition énergétique, c’est-à-dire une véritable programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Celle-ci constitue une démarche beaucoup plus globale, intégrant les différents scénarios énergétiques, l’évolution de la demande, l’efficacité énergétique et donc la réduction de la consommation, l’articulation des ressources, et bien sûr, pour ce qui est de l’électricité, la part du nucléaire. La PPE va audelà d’une liste d’investissements. Elle doit parler de la mobilité, de l’habitat, de l’industrie, de l’agriculture… D’accord donc pour lancer sans attendre les énergies renouvelables. Mais il faut un engagement rapide sur la PPE qui, selon la loi, devait être mise en consultation fin 2015. Tous les acteurs du secteur énergétique, y compris EDF, ont besoin d’y voir clair. Pourquoi le gouvernement a-t-il tant de mal à trancher sur le nucléaire ? La question du nucléaire est la plus sensible, au moment où EDF et Areva sont dans une situation financière très difficile. Tout le monde sait qu’il va falloir redimensionner les capacités nucléaires, mais les politiques n’osent pas affronter le fait qu’avec l’arrivée des réacteurs aux quarante ans de fonctionnement, avec aussi le mur d’investissements qui se dresse devant EDF, une histoire est en train de s’achever. C’est la fin du nucléaire flamboyant, et potentiellement sa fin tout court, car les réacteurs de nouvelle génération sont en rade et ne sont pas compétitifs face aux renouvelables. Les politiques ont du mal à assumer cette mutation. Il y a une réticence à endosser la responsabilité de dire que passer de 75 % à 50 % de nucléaire signifie que des réacteurs vont fermer, qu’il faut y préparer les collectivités locales et cesser de mener des travaux de rajeunissement sur des centrales que l’on va stopper. Tout politique a peur d’apparaître comme celui qui va arrêter des installations industrielles et menacer des emplois. Les emplois de la filière nucléaire ne sont-ils pas un vrai enjeu ? Bien sûr. Mais reporter les choix peut conduire à des ruptures plus douloureuses encore. Tant qu’on aura des surcapacités de production, les prix baisseront sur les marchés. Il faut anticiper, accepter que le nouveau monde remplace le vieux monde, que les vieilles énergies sont remplacées par des énergies nouvelles, d’autant qu’elles sont bien plus créatrices d’emplois. Sans oublier que l’après-nucléaire, c’est aussi de l’emploi pendant des décennies sur les sites. Chaque fois qu’il y a progrès, il y a rupture, qu’il faut naturellement accompagner en sécurisant les parcours professionnels. Il ne s’agit pas d’y aller à la hache, mais on ne peut pas avancer à rebours de l’histoire. p propos recueillis par p. l. h. && ' & && $( ' %(! & # # #& & & # # #& DÉCORATION RENOV’DÉCO 1961 SARL Nos compétences, notre expérience et notre goût du travail soigné A VOTRE SERVICE ! PEINTURE, PAPIER-PEINT, PARQUET, ELECTRICITE, CARRELAGE, PLOMBERIE, MACONNERIE, MENUISERIE. 33 TOURS ANNÉES 50 (MUSIQUE CLASSIQUE) ***% % *+* & ! #& ( )% + "" + + % ## ( )% + + +' + ( )% + " ! %! #+ ( )% + " ! ( % ! + " +# # ()) " ! $ %. (0 "-(!) 1% *# # % (! (% " ( % ! + " +' Tél. : 06.11.57.62.81 Disquaire sérieux achète DISQUES VINYLES 33 T ET 45 T. Pop/rock/jazz/Classique… Grande quantité, service de presse, successions… Suite à mes prestations télévisées sur le marché de l’art, je vous propose POUR VOS DEMANDES D’ESTIMATIONS, Spécialisé successions CHARLES HEITZMANN Services de presse, livres modernes, essais, beaux-arts, livres anciens, Pléiades, CD, DVD, successions. 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Les socialistes attendent un signal pendant l’émission exceptionnelle « Dialogue citoyen », à laquelle François Hollande doit participer jeudi soir, sur France 2, afin de remobiliser son camp. « ll faut que la gauche se retrouve autour du président de la République (…). Il faut que nous défendions son bilan, mais il lui appartient, surtout, de dire la suite, de montrer le chemin », déclare le premier ministre, Manuel Valls, dans Libération, mercredi 13 avril. « On doit montrer la cohérence de notre action et la façon dont les politiques publiques qu’on a menées ont changé la vie des gens », ajoute Hélène Geoffroy, la secrétaire d’Etat à la ville, qui accueillait, mercredi, tout le gouvernement pour un comité interministériel à Vaulx-en-Velin (Rhône), commune dont elle fut maire. Mais le format de l’interview télévisée « face aux Français » semble, pour beaucoup, éculé. Et le chef de l’Etat, quoi qu’il puisse dire, comme déconnecté du pays. « François Hollande est d’une génération qui a appris par cœur la différence entre les sovkhozes et les kolkhozes, il reste sur de vieux schémas. Pour lui, le monde des réseaux sociaux, d’Internet et de la mondialisation, c’est de l’hébreu », lâche, la dent dure, le député socialiste Malek Boutih. « Il ne sent plus rien » « La réalité, c’est que, quoi qu’il arrive, c’est déjà fini pour Hollande, il n’a plus aucun levier, plus aucun ressort », estime Aurélie Filippetti, l’ex-ministre de la culture, pour qui la page du quinquennat est déjà tournée, du fait des renoncements présidentiels. « C’est très mal embarqué, reconnaît un autre ancien ministre. Hollande a dilapidé tout son crédit acquis après les attentats. La dernière séquence, révision constitutionnelle et “loi travail”, est une catastrophe qui l’a déjà achevé. Hollande sentait le peuple, aujourd’hui il est comme Sarkozy ou Chirac avant lui à l’Elysée, il ne sent plus rien. » Après la déchéance de nationalité, le projet de loi sur le code du travail continue de semer le trouble dans la majorité. « Je ne crois pas qu’être moderne, c’est accom- François Hollande, à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris, mercredi 6 avril. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE » « On est prêts à l’aider en 2017, on a envie d’y croire, mais il faut qu’il fasse un geste » KADER ARIF député PS de la Haute-Garonne pagner la droitisation de la société », dit un proche de M. Hollande, qui avoue « ne pas comprendre » la stratégie de ce dernier. Au sein du gouvernement, plusieurs ministres exhortent le président à frapper les esprits. « Il y en a marre des politiques d’austérité, Hollande doit trouver un sujet qui rassemble tout le monde, il doit redonner du sens, le pays a besoin de rêve », s’emporte l’un, comme s’il voulait se persuader lui-même que le chef de l’Etat pouvait encore renverser la situation. En privé, certains de ses soutiens les plus fidèles lui con- seillent d’envoyer un message à sa majorité déboussolée. « On est prêt à l’aider en 2017, on a envie d’y croire, mais il faut qu’il fasse un geste », confie Kader Arif, député de la Haute-Garonne. Comprendre : un coup de barre à gauche. D’autres suggèrent au chef de l’Etat de s’engager sur quelques mesures fortes pour l’avenir, comme le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Matthias Fekl, qui prône un big bang institutionnel, une redynamisation du couple franco-allemand en Europe et des mesures pour lutter contre les discriminations. Hollande joue gros M. Hollande a passé ces derniers jours à préparer son intervention. Plusieurs réunions se sont tenues à l’Elysée avec son cabinet, ainsi qu’avec plusieurs poids lourds du gouvernement et du PS. Différents ministres ont été chargés de lui préparer des notes sur la sécurité, les questions sociales et économiques ou la situation de la jeunesse. « Hollande consulte beaucoup, écoute plein de monde, mais ne dit rien. En réalité, comme d’habitude, il prépare tout tout seul », dit en souriant l’un des participants à ces réunions. L’enjeu est grand pour le chef de l’Etat. Dans la situation actuelle, qui ressemble autant à un champ de ruines politiques qu’à un puzzle éclaté, M. Hollande sait qu’il joue gros. Son engagement à faire baisser le chômage est toujours un échec, la menace du FN ne recule pas, le risque terroriste demeure et le mouvement Nuit debout, certes limité mais de plus en plus installé et fortement médiatisé, montre chaque jour la défiance du pays, où la colère monte, y compris et surtout parmi les électeurs qui l’ont élu en 2012. Au-delà des très mauvais sondages (huit Français sur dix ne souhaitent pas que François Hollande soit candidat en 2017, selon un sondage IFOP publié dans Le JDD du 10 avril), c’est sa relation aux Français qu’il semble devoir reconstruire. Voile à l’université : Mandon contre Valls Manuel Valls semble regretter de ne pouvoir légiférer sur l’interdiction du voile à l’université. « Il faudrait le faire, mais il y a des règles constitutionnelles qui rendent cette interdiction difficile, déclare-t-il dans un entretien à Libération, mercredi 13 avril. Il faut donc être intraitable sur l’application des règles de la laïcité dans l’enseignement supérieur. » Ce à quoi le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, Thierry Mandon, a réagi sur RTL, mercredi, en estimant qu’« il n’y a pas besoin de ce texte ». « Si j’ai l’occasion de lui en parler, je lui dirai qu’il n’y a pas besoin de loi, a-t-il indiqué. Ce que je vois sur le terrain, ce que me disent les présidents d’université, c’est qu’il n’y a pas de problème. » En décembre 2015, l’Observatoire de la laïcité, placé auprès de Matignon, avait jugé qu’il n’était « ni utile ni opportun » de légiférer sur le foulard islamique à l’université. des noms des invités ainsi que du public, pour « des raisons de sécurité », selon M. Field. Celui-ci affirme que la place laissée aux témoins a été au cœur de ses échanges avec l’Elysée et revendique avoir défendu un équilibre entre eux et les journalistes. « En accord avec nous, ils ont réduit le temps de dialogue avec les Français pour que le président passe plus de temps à aborder l’actualité avec les journalistes », a assuré au Canard enchaîné le conseiller communication de l’Elysée, Gaspard Gantzer. Cette polémique survient alors que les méthodes managériales de M. Field sont très contestées dans la rédaction. Les trois sociétés de journalistes (France 2, France 3 et Francetv Info) ont appelé à une assemblée générale, jeudi, qui pourrait discuter du principe d’une motion de défiance contre le directeur. Et fait redouter à certains un parasitage de l’émission. p mais plusieurs socialistes craignent qu’il ne s’autonomise définitivement et n’échappe à François Hollande. « Il faut qu’il montre à la télé que c’est lui le patron et que, quand il le décidera, Macron rentrera dans le rang », juge un pilier de la majorité. Outre le cas du ministre de l’économie, c’est surtout contre l’impression de désorganisation de ses troupes que doit lutter le chef de l’Etat. « Hollande a intérêt à être très bon et à casser la baraque. Tout n’est pas encore perdu, mais le temps presse pour stopper le bordel général », prévient un député PS. A l’Elysée, on convient que l’opération de reconquête doit être menée « d’ici à l’été », en tout cas avant la rentrée de septembre et le lancement officiel de la campagne de la primaire de la droite. En plus de l’émission diffusée sur France 2, le chef de l’Etat va donc multiplier les déplacements et les prises de parole dans les prochaines semaines : une intervention sur une radio est déjà dans les tuyaux, comme une conférence de presse, ainsi que de nouvelles visites de terrain dans « la France qui gagne ». « Il ne faut pas croire qu’une émission télé va tout changer, il faut semer, et puis ensuite récolter », estime Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS. En espérant que le temps de la moisson arrive avant 2017. p alexis delcambre et alexandre piquard bastien bonnefous et nicolas chapuis D’autant qu’au sein même du gouvernement, Emmanuel Macron continue sa chanson de geste. Le ministre de l’économie ne sera pas devant sa télévision jeudi soir : au même moment, il est censé être à Londres pour dîner avec des banquiers et lever des fonds pour son nouveau mouvement, En marche !. L’Elysée tente, tant bien que mal, de se persuader que le jeune patron de Bercy est sous contrôle, Quatre Français et un président dans une émission préparée dans la confusion un président expliquant son action sous la forme d’un dialogue direct avec des Français, dans l’espoir de rebondir avant la fin de son mandat : tel est le tableau, pas tout à fait inédit, que l’émission « Dialogue citoyen » devrait offrir, jeudi 14 avril, sur France 2. Quatre « témoins » ont été sélectionnés pour échanger avec le chef de l’Etat, dans un dispositif qui prévoit aussi la présence de trois journalistes : David Pujadas, Karim Rissouli et Léa Salamé. « La volonté initiale de l’Elysée, c’était que le président soit face à des Français », explique un journaliste de la chaîne. « C’est un classique », sourit un autre. Depuis l’émission fondatrice « Ça nous intéresse, monsieur le Président », conçue par Jacques Pilhan pour François Mitterrand en 1985, tous les présidents se sont prêtés à l’exercice. Cette intention a croisé celle de France Télévisions d’introduire davantage de « citoyens » dans ses émissions politiques – le directeur exécutif chargé de l’information, Michel Field, admet qu’il s’agit d’une de ses « marottes ». Les quatre témoins incarnent les thèmes retenus pour l’émission : le travail, le terrorisme et la crise démocratique. Anne-Laure Constanza est une chef d’entreprise qui a fondé Envie de fraises, une PME de vente de vêtements pour femmes enceintes. Electrice de Nicolas Sarkozy en 2012, elle estime que diriger une société donne « l’impression de courir un marathon avec dix kilos aux pieds ». Autre invitée, Véronique Roy est la mère d’un djihadiste converti, parti en Syrie et mort en janvier. Marwen Belkaid est un blogueur de gauche revendiqué et un soutien du mouvement Nuit debout. Un électeur du FN complétera le panel. Accusations de pressions de l’Elysée Ce casting a fait l’objet d’une polémique après que deux témoins initialement pressentis ont été écartés, une semaine avant l’émission : un éleveur de porcs breton, Nicolas Le Borgne, et une déléguée syndicale Force ouvrière (FO) du volailler Doux, Nadine Hourmant, habituée des passages à l’antenne. M. Field a expliqué au Monde que le passage de six à quatre invités était lié au constat qu’« avoir moins de citoyens permettait d’avoir un vrai dialogue » et que le thème de la crise agricole, auquel ces deux témoins étaient rattachés, n’avait pas été retenu. Mais Mme Hourmant a affaibli cette version, en expliquant qu’elle devait en fait parler de la loi travail – ce que Le Monde a pu vérifier. Des sources internes à France Télévisions reprochent à M. Field d’avoir cédé à des pressions de l’Elysée, ce qu’il dément. Sur Europe 1, une source élyséenne a affirmé : « A aucun moment, nous ne sommes intervenus dans la composition du panel pour interroger François Hollande. » Reste que l’Elysée a pu prendre connaissance des « grands équilibres » de l’émission, de son « squelette », france | 9 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Hollande-Sarkozy, la malédiction de l’Elysée A un an de la présidentielle, le chef de l’Etat et son prédécesseur sont massivement rejetés par les Français H ANALYSE ollande-Sarkozy, même combat ? Mêmes tracas, en tout cas, comme en attestent à la fois leurs difficultés sondagières et leurs déboires respectifs du moment. Si elle n’est pas encore perdue, pour l’un comme pour l’autre, la perspective de l’emporter, voire de bien figurer – et même désormais de simplement concourir – lors de la bataille présidentielle de 2017 se révèle chaque jour un peu plus compromise. A des degrés divers, certes. Mais dans un étonnant parallélisme des formes. Singulière communauté de destin. On savait les Français rétifs à ce retour vers le futur présidentiel de 2012. Cela se vérifie inexorablement, semaine après semaine, dans les courbes d’opinion respectives de l’ex et de l’actuel président. Comme si ce qui se cristallisait actuellement, à travers les vicissitudes éprouvées par l’un comme par l’autre, était bien le rejet massif de ce scénario dont personne, à l’exception des principaux intéressés, ne veut. Les déboires de M. Hollande, certes, s’avèrent ces jours-ci plus spectaculaires que ceux de son rival. Après les attaques terroristes du 13 novembre 2015, le chef de l’Etat semblait réhabilité par l’opinion, y opérant un rétablissement spectaculaire, mais fugace : trois mois plus tard, il était déjà retombé au fond du trou, celui qu’il avait atteint à l’automne 2014, après le limogeage d’Arnaud Montebourg et le déballage de Valérie Trierweiler. « Amateurisme, défaut de présidentialité : toute une série de critiques éteintes depuis les attentats de janvier 2015 reviennent en force, diagnostique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP. On a l’impression que le roi est nu. » Pis encore : le monarque semble condamné à la guillotine électorale. Notre sondage Ipsos Steria, publié dans Le Monde du 30 mars, était sans appel. A l’en croire, le candidat Hollande serait non seulement éliminé dès le premier tour, mais de surcroît humilié quel que soit l’adversaire de droite : avec 16 % des suffrages dans l’hypothèse où il serait face à M. Sarkozy et 14 % face à Alain Juppé. Du jamais-vu pour un chef de l’Etat sortant. Le navire présidentiel est atteint sous la ligne de flottaison. Il n’est désormais plus aussi certain que, dans quelques mois, il arrive à bon port, celui d’une nouvelle candidature. « Un sondage n’est jamais incapacitant », relativise le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll. « Tant qu’il n’est pas à 3 %, c’est bon », ajoute son collègue des finances, Michel Sapin. Mais « sur le papier, on est mort de chez mort », admet un conseiller de M. Hollande. « On a l’impression que le roi est nu » JÉRÔME FOURQUET directeur du département opinion de l’IFOP cains (LR) constitue une valeur inexorablement baissière à la bourse de l’opinion. Déjà largement distancé par M. Juppé dans les intentions de vote pour la primaire, il est désormais talonné par Bruno Le Maire, qui menace de lui ravir la deuxième place. Enfin, et c’est le plus inquiétant pour M. Sarkozy : depuis le début de l’année, il dévisse même chez les sympathisants de LR, son cœur de cible. Comme pour M. Hollande, les bonnes nouvelles ne constituent que de fugaces espoirs. Ainsi, le succès de son livre La France pour la vie (Plon), paru fin janvier, fait figure de simple parenthèse au milieu d’une séquence catastrophique. Car l’ancien chef de l’Etat est touché par une grave crise de confiance. Entre ses mauvais sondages et ses ennuis judiciaires, qui constituent un sérieux risque d’empêchement, ils sont chaque jour plus nombreux, à droite, à douter de ses chances de mener son camp à la victoire. Comble de lèse-majesté, plusieurs de ses soutiens historiques – Frédéric Lefebvre, Nadine Morano, Geoffroy Didier – ont même décidé de concourir face à lui à la primaire… Ces déboires partagés vont-ils pour autant aboutir à un naufrage conjoint ? Beaucoup, à droite, en sont persuadés : le ressort des difficultés de M. Sarkozy réside dans son mano à mano obsessionnel avec M. Hollande. Comme si son successeur, après l’avoir battu en 2012, l’entraînait quatre ans plus tard avec lui dans sa chute vertigineuse. « Dans l’opinion, Hollande et Sarkozy sont liés – un peu comme Copé et Fillon – car les sympathisants de droite et de gauche ont une perception commune de leur exercice du pouvoir. Ils pâtissent tous deux du rejet à l’égard des sortants car tous deux sont perçus comme des présidents ayant échoué », observe Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP. L’abandon de la déchéance de nationalité a cristallisé ce sentiment d’échec com- mun – M. Sarkozy s’étant placé dans la roue de M. Hollande sur ce sujet. Hollande-Sarkozy, même combat, donc ? Demeure entre eux une différence de taille : contrairement à son successeur, l’ancien chef de l’Etat reste majoritaire auprès des adhérents de LR, dont une partie lui voue toujours un véritable culte. Ce qui n’est pas le cas de M. Hollande, coupé de son camp après la double fracture de la déchéance de nationalité et de la « loi travail ». M. Sarkozy ne manque pas de le relever : « Il y a un divorce entre les Français et le pouvoir. Le plus préoccupant pour François Hollande, c’est que ce divorce concerne d’abord son électorat. » Maigre consolation. p alexandre lemarié et david revault d’allonnes Grave crise de confiance C’est un destin parallèle, quoiqu’à plus bas bruit et à plus faible intensité, qu’est en train de vivre, depuis quatre mois, M. Sarkozy. Les régionales de décembre 2015 devaient constituer pour lui un triomphe réparateur : son parti y a obtenu des résultats en demi-teinte. Depuis, le président du parti Les Républi- Pour 2017, Cambadélis rêve d’une Belle Alliance populaire nicolas chapuis DESSIN : MARTIN VIDBERG POUR S e dépasser soi-même avant que les autres ne le fassent. Le Parti socialiste lance, mercredi 13 avril, la Belle Alliance populaire, une tentative d’élargissement de sa base qui passe par une ouverture aux syndicats, aux associations et à la société civile. « L’objectif est d’élaborer une alternative au libéralisme ambiant et au nationalisme montant », affirme Jean-Christophe Cambadélis. Le premier secrétaire du PS, qui est à l’origine de l’appel, avait annoncé ces derniers jours une surprise dans la liste des personnalités. Au final, pas de révolution. Côté politique, le collectif se compose d’une cinquantaine de personnalités issues de la majorité gouvernementale : Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, Emmanuelle Cosse, l’ancienne patronne d’EELV et actuelle ministre du logement, la radicale de gauche Sylvia Pinel, qui l’a précédée dans ce même ministère… Aucun membre de la gauche du PS n’est associé et, à l’inverse, Emmanuel Macron n’a pas été invité. A noter, le retour de Fadela Amara qui avait été secrétaire d’Etat à la ville sous Nicolas Sarkozy de 2007 à 2010. Se joignent à cet aréopage 50 représentants des corps intermédiaires, parmi lesquels des anciens dirigeants de syndicats proches du PS – Alain Olive (UNSA), Jacky Bontems (CFDT)… –, des acteurs « enAUCUN MEMBRE gagés dans la société » comme Jean DE LA GAUCHE DU PS Jouzel du Groupe d’experts sur l’évolution du climat, et des anonymes de N’EST ASSOCIÉ, ET « la gauche du quotidien ». L’appel fondateur décline treize EMMANUEL MACRON points consensuels, renvoyant dos à N’A PAS ÉTÉ INVITÉ dos le nationalisme xénophobe et le fondamentalisme religieux, défendant une transition écologique, une modernisation économique du pays et une repolitisation de l’Europe. Deux séminaires doivent être organisés fin mai et fin septembre. Entre-temps, la Belle Alliance populaire doit s’exporter en région et l’université d’été du PS, délocalisée de La Rochelle à Nantes, y sera consacrée. Une « convention de fondation » doit avoir lieu le 3 décembre à Paris, juste après la désignation du candidat de la droite à la présidentielle et juste avant une éventuelle primaire de la gauche. « S’il y a une primaire, on aura fait le rassemblement autour de notre candidat. S’il n’y en a pas, l’Alliance populaire a vocation à propulser le candidat de gauche au premier tour de la présidentielle », explique un dirigeant socialiste. L’objectif apparaît clairement : constituer le plus gros bloc à gauche, pour s’imposer au moment du choix comme le seul recours viable face à la droite et l’extrême droite. Si son nom n’a jamais été prononcé pendant la préparation du projet, le dispositif est pensé sur mesure pour que François Hollande puisse s’appuyer dessus le moment venu. p +:/2 )-?%* /; 4%-%;/ $?2()= '% 4D$D4%;(% 2/9D4?%/4 A "0 000 5 8 +:/2 '%-%* 'D2:4<)?2 4%<9=?4 -:14% 'D(=)4)1?:; '% 4%-%;/2 2/4 ?;1%4;%17> .? -:14% 4D2?'%;(% 94?;(?9)=% %21 D6/?9D% 'C/; )((@2 A ?;1%4;%17 ,:/1%$:?2& 2? -:/2 %21?<%* ;% 9)2 B14% %; <%2/4% '% =% $)?4%& -:/2 9:/-%* (:;1?;/%4 A /1?=?2%4 /;% 'D(=)4)1?:; 9)9?%47 3:/4 -:14% 4%-%;/ $?2()= '% 4D$D4%;(%& -:?4 -:14% '%4;?%4 )-?2 'C?<9:2?1?:;7 #D(:/-4%* 1:/2 =%2 2%4-?(%2 '/ 2?1% ?<9:127!:/-7$4 10 | france 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Surveillance de Solère : Guéant dénonce « une diversion » L’ex-ministre se défend d’avoir fait écouter par la DGSE son adversaire aux législatives L Le siège de la Direction générale de la sécurité extérieure, à Paris, en juin 2015. MARTIN BUREAU/AFP Comment la DGSE a pu espionner des Français En 2012, les renseignements extérieurs ont écouté un candidat aux législatives ANALYSE L a découverte, en 2012, par la direction technique de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), du détournement frauduleux des moyens techniques de ce service de l’Etat, pour surveiller un cadre du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) puis un élu (LR), Thierry Solère, n’est pas intervenue par hasard. Le blocage, par la direction technique, de ces surveillances, révélées par Le Monde, a, en effet, été décidé à un moment charnière de l’histoire d’une loi de 1991 sur les interceptions administratives à bout de souffle. Et l’arrêt brutal de ces interceptions sauva- ges a mis en lumière des tensions sein du plus puissant des services de renseignement français. Longtemps considérée comme le parent pauvre de la DGSE, la direction technique est devenue, en 2012, un poids lourd de cette maison, sur le terrain du budget, des effectifs et surtout stratégique. Née du Livre blanc sur la défense de 2008 et d’un chèque de plus de 500 millions d’euros, l’agence technique nationale de renseignement, développée et opérée par la direction technique de la DGSE a été, au début, perçue, par les anciennes générations, comme une simple évolution technique. En réalité, il s’agissait d’une véritable révolution. PRIX SACRIFIÉS MATELAS - SOMMIERS ixes ou relevables - toutes dimensions TRECA - TEMPUR - DUNLOPILLO - EPEDA - SIMMONS - STEINER - BULTEX... CANAPES - SALONS - RELAX CONVERTIBLES - CLIC-CLAC pour couchage quotidien DIVA - NICOLETTI - HOME SPIRIT - SITBEST... 50 av. d’Italie 75013 PARIS 247 rue de Belleville 75019 PARIS 148 av. Malakof 75016 PARIS 262 bd du Havre 95 PIERRELAYE &% #" &( $% && $!'$ -%5(2,0/% 6) &7:%0%4'% /7 +2,/ .02,+%* 5274/ '!%0 37+0)7/24 "0).,7.% %4 80)4'% $ #;.)76/ /,0 52(%'21'25 Lorsque la direction technique découvre, en 2012, que des officiers de la direction du renseignement peuvent procéder à des interceptions d’identifiants français, sans contrôle et sans justification, les craintes de voir cet outil mis en danger apparaissent. A la direction du renseignement, beaucoup d’anciens du « service K » qui s’occupaient du contre-espionnage, reconvertis dans le « contre-terrorisme », estiment même agir dans le cadre de la loi de 1991. L’article 20 de ce texte a, en effet, exclu toute compétence à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) sur la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne pour « les seules fins des intérêts nationaux ». Diplomates étrangers « L’article 20, c’était le hertzien et l’international, par mots-clés et de manière aléatoire, certainement pas pour procéder à des interceptions ciblées et encore moins des identifiants français », rappelle Jean-Jacques Hyest, représentant du Sénat au sein de la CNCIS de 2010 à 2014. Pour surveiller des communications françaises ciblées et attachées à une menace identifiée, la loi impose aussi à la DGSE, comme aux autres services de renseignement, de passer par le filtre de la CNCIS. Néanmoins, cet article 20 est devenu une boîte de Pandore. Dès lors qu’un moyen de communication émet des ondes, même sur le sol français, alors il peut faire l’objet d’interception, considèrent une partie des services. La DGSE a ainsi pris l’habitude de surveiller des numéros français ou des adresses Internet rattachées à la France, de diplomates étrangers, de personnes suspectées d’espionnage ou de trahison, de liens avec le crime organisé ou le terrorisme. Les officiers de la Direction du renseignement avaient donc la possibilité d’entrer sur leurs re- La DGSE a pris l’habitude de surveiller des numéros ou des adresses Internet français cherches des « 06 » ou des adresses françaises. Une pratique qui a pu être détournée au profit de surveillance n’ayant aucun rapport avec leur mission. Ayant réuni, dès 2008, en un seul et même système l’ensemble des données collectés par tous ses capteurs, la direction technique a donné accès, sous forme de « dictionnaires », à une immense base de données. Les soupçons sur cet article 20 ne sont pas nouveaux. « J’ai toujours dit que c’était insupportable d’utiliser l’article 20 pour tout et n’importe quoi », insiste M. Hyest. En octobre 2010, le directeur de cabinet du premier ministre François Fillon, Jean-Paul Faugère, a rappelé au ministère de l’intérieur que « l’article 20 de la loi de 1991 ne peut être invoqué pour recueillir les données personnelles » comme cela sera fait, mi-2010, par le service de renseignement intérieur pour justifier la surveillance des « fadettes » d’un journaliste du Monde. Dans ce contexte, la direction technique de la DGSE dialogue avec la CNCIS, y trouvant un moyen de sécuriser juridiquement son outil de travail. « Il existait une vraie confiance avec cette direction », se souvient Jean-Louis Dewost, président de la CNCIS de 2003 à 2009. Un avis partagé par Daniel Vaillant, représentant de l’Assemblée nationale au sein de la CNCIS, de 2007 à 2012 : « La Commission s’est appuyée sur la direction technique pour mettre en adéquation les pratiques et la loi. La Direction du renseignement, était beaucoup plus politique et considérait que son outil ne devait pas être mis en danger ». En mars 2012, la loi de 1991 est pourtant abrogée et inscrite, à droit constant, au sein du code de sécurité intérieure sans consultation de la CNCIS qui y voit une atteinte à sa fonction. « Une manœuvre arbitraire », assure M. Vaillant. L’article 20 reste intact et devient l’article 241-3. « En 2012, pourtant, la loi de 1991 ne pouvait pas rester en l’état », estime M. Hyest. Au terme d’un vif débat interne à la DGSE et à défaut de loi plus protectrice des libertés, la direction technique installera, à la fin de l’été 2012, des filtres sur les consultations informatiques interdisant d’y introduire « en première requête », des identifiants français. p jacques follorou es révélations du Monde daté 13 avril au sujet de la surveillance exercée par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) sur Thierry Solère en 2012 ont entraîné des réactions politiques et un début d’affrontement à droite. Claude Guéant, qui était à l’époque ministre de l’intérieur mais aussi adversaire de M. Solère lors de la campagne des législatives dans les Hautsde-Seine, s’est défendu, mercredi 13 avril, sur Europe 1. « C’est tout à fait scandaleux. Jamais je n’ai demandé des écoutes sur qui que ce soit. J’ai découvert cette affaire dans le journal Le Monde », a déclaré M. Guéant qui a demandé au ministère de la défense d’enquêter sur ces faits tout en se posant en victime politique : « Cette affaire est une diversion dans un paysage qui, pour la majorité, est particulièrement dégradée. A travers moi, c’est Nicolas Sarkozy qui est attaqué. » En déplacement en Inde, M. Sarkozy a défendu M. Guéant : « Vous imaginez le ministre de l’intérieur faire appel à la DGSE alors qu’elle dépend du ministère de la défense ? Et puis Thierry Solère s’exprime six fois par jour à la télé. Si on avait voulu le tracer, ça aurait été simple », a estimé le président du parti Les Républicains, selon France Info. L’ex-chef de l’Etat feint donc d’ignorer qu’à cette époque – mars 2012 –, M. Solère n’était qu’un simple conseiller général des Hauts-de-Seine. Inconnu du grand public, il ne faisait pas l’objet d’une couverture médiatique. En off, certains sarkozystes soulignent que M. Solère était un proche de Jean Sarkozy, fils de l’ancien président, et qu’ils n’avaient donc aucun intérêt à le surveiller. Interrogé lors du « 20 heures » de France 2, mardi 12 avril, M. Solère a, lui, indiqué qu’il allait « probablement » porter plainte contre X avant de se montrer très critique à l’égard des services de renseignement. « Quand je vois la date à laquelle je suis censé avoir été mis sur écoute par la DGSE en mars 2012, je me rappelle que le 19 mars, c’était l’attentat de Mohamed Merah. (…) Je ne peux pas imaginer que nos services pour lesquels j’ai le plus profond respect (…) puissent être utilisés de cette manière », a déploré le député des Hauts-deSeine, devenu un personnage-clé de LR puisqu’il dirige le comité d’organisation de la primaire et est un soutien affiché de Bruno Le Maire, candidat à cette élection. « Politique des barbouzes » Ces révélations ajoutent de la tension à droite, alors que les écuries se forment à l’approche de la primaire des 20 et 27 novembre. La plupart des rivaux de M. Sarkozy ont pour le moment préféré garder le silence, à l’image de François Fillon interrogé en marge d’une visite d’un espace consacré aux associations œuvrant pour l’entrepreneuriat à Paris. « Pas de réaction à une information que je découvre », a commenté l’ancien premier ministre de M. Sarkozy. Les ténors de LR ont peur de rendre explosive la compétition politique acharnée. Seule Nathalie Kosciusko-Morizet a fait ce commentaire : « On croyait que la politique des barbouzes c’était fini, et là on a envie que ce soit vraiment fini », a lâché sur France Info l’ancienne ministre de M. Sarkozy. Interrogé lors d’un point de presse à l’issue d’une visite au Parlement européen, M. Valls a promis que « si elle doit être saisie, la justice fera son travail en toute indépendance ». « Le renseignement (…) doit être utilisé (…) pour lutter contre le terrorisme, la criminalité organisée, l’espionnage économique et sortir de ces objectifs-là, évidemment, est insupportable », a ajouté le premier ministre. Les attaques d’une partie de la gauche ont visé plus directement Nicolas Sarkozy. « L’espionnage de Thierry Solère révélé par Le Monde : une preuve de plus du dévoiement des services de sécurité sous Sarkozy », a écrit sur Twitter Sandrine Mazetier, députée PS de Paris. p matthieu goar OU T R E- MER Violences urbaines à Mayotte Des violences urbaines ont éclaté dans la nuit du lundi 11 au mardi 12 avril à Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte. La préfecture évoque des affrontements entre « bandes rivales » qui ont provoqué des dégâts matériels – 85 véhicules saccagés – et au moins un blessé. Un conflit oppose depuis deux semaines les autorités mahoraises et plusieurs syndicats revendiquant « l’égalité réelle » entre la métropole et Mayotte. Une intersyndicale a décrété la grève générale, bloquant les principales routes. – (AFP.) sident du MoDem, invité de « Preuves par 3 », de Public Sénat-AFP-Dailymotion. Fillon promet un taux de chômage inférieur à 7 % François Fillon (LR) a présenté son programme sur les travailleurs indépendants, mardi 12 avril. Le candidat à la primaire de la droite a proposé de « passer à l’acte II de l’autoentrepreneur », en permettant aux entreprises de bénéficier pendant trois ans des prestations d’un autoentrepreneur ou de supprimer le régime social des indépendants. « Je pense qu’on peut, avant la fin du quinquennat, être en dessous de 7 % de chômage. » POLI T I QU E DJ I HAD I S ME Bayrou dénonce « l’absence de projet construit » chez Macron Filière de Champigny : 12 condamnations « L’absence de fond et de projet construit est pour moi une interrogation », a déclaré François Bayrou, mardi 12 avril, à propos d’Emmanuel Macron et de son mouvement, En marche ! « Le sentiment qu’il n’y aurait que l’économie et que l’économie financière qu’il faudrait servir (…), cette petite musique qu’on entend – il suffit de voir les soutiens –, pour moi, cela ne correspond pas à ce que j’attends », a ajouté le pré- Les 12 prévenus au procès de la filière djihadiste de Champigny-sur-Marne (Val-deMarne) ont été condamnés, mardi 12 avril, à Paris, à des peines allant de trois ans, dont deux avec sursis, à dix ans d’emprisonnement. Par deux vagues successives, les 10 et 12 août 2013, les membres du groupe s’étaient rendus en Syrie. Certains s’y trouvent encore, et ont été condamnés par défaut, en leur absence. france | 11 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Une loi contre « l’apartheid » des quartiers difficiles Présentée en conseil des ministres, la loi égalité et citoyenneté s’articule autour de trois grands chapitres A pporter une « réponse globale » à l’ensemble de la société française, choisie par Manuel Valls depuis les attentats de janvier 2015, afin de réaffirmer la République et ses valeurs. Voilà l’objectif affiché du projet de loi égalité et citoyenneté présenté en conseil des ministres, mercredi 13 avril. Quelques heures plus tard, un comité interministériel est prévu à Vaulx-en-Velin (Rhône). Manuel Valls devait y faire des annonces. Porté par le ministre de la ville, Patrick Kanner, en collaboration avec Emmanuelle Cosse, ministre du logement, et Ericka Bareigts, secrétaire d’Etat à l’égalité réelle, le texte veut répondre à ce que le premier ministre avait appelé « un apartheid territorial, social et ethnique ». Mais ce troisième rendez-vous interministériel en quinze mois acte le tournant pris depuis les attentats de janvier 2015 : la politique de la ville visant à cibler les quartiers prioritaires n’est plus à l’agenda du gouvernement. De fait, le projet de loi égalité et citoyenneté – dont la première lecture à l’Assemblée nationale devrait avoir lieu en juin pour une adoption définitive à l’automne – et le troisième comité interministériel ad hoc de mercredi ne dérogent pas à la volonté de Manuel Valls. Un certain nombre des mesures, qui avaient été annoncées le 6 mars 2015, nécessitaient une transposition législative. Le projet de loi présenté y remédie. Le premier comité interministériel avait listé quelque soixante-cinq mesures, long catalogue touchant tous les ministères. Le texte gouvernemental s’articule autour de trois grands chapitres : citoyenneté, mixité sociale, égalité réelle. Ainsi, sur le premier Le gouvernement ne veut pas afficher de politique spécifique pour les habitants des quartiers populaires volet, la création pérenne de la réserve citoyenne et la généralisation du service civique pour encourager la participation citoyenne sont désormais inscrits dans la loi. Sur le deuxième volet, le projet met en musique les annonces liées à la réforme de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) – qui impose un taux de 25 % de logements sociaux –, qui avaient été faites le 26 octobre 2015, pour « casser les logiques de ségrégation et d’apartheid ». L’idée centrale était de mieux répartir l’offre de HLM sur le territoire en évitant les « concentrations de pauvreté » et de forcer les communes récalcitrantes par des outils d’intervention et de coercition. Liant le volet production de logement social et le volet attribution, c’est sans doute la partie du texte qui a le plus de cohérence. Volet « discriminations » oublié Le troisième, intitulé « pour l’égalité réelle », en a moins. Entre autres dispositions, il fait de l’amélioration de la maîtrise du français une « priorité nationale » en prévoyant différentes formations pour tous les publics concernés, aussi bien à l’école, au travail que dans le cadre de l’intégration des étrangers. Un volet spécifique Le parc Kalliste, à Marseille (15e), en mars 2015. YOHANNE LAMOULÈRE/TRANSIT/PICTURETANK POUR « LE MONDE » pour la rénovation urbaine seront mobilisés. Les collèges en réseau d’éducation prioritaire bénéficieront du plan numérique et de la « démocratisation de l’excellence ». Matignon entend aussi s’appuyer sur les contributions de la plate-forme de discussion qu’il a mise en place pour réfléchir aux solutions censées faciliter l’engagement citoyen. Outre la nomination d’un haut-commissaire à l’engagement, chargé d’accompagner les dispositifs encourageant la participation citoyenne, le premier ministre s’est gardé la primeur de certaines annonces. Elles seront débattues dans les ateliers prévus avec les contributeurs lors de cette journée appelée « collaborative ». p lieu d’un catalogue varié, seules quelques annonces ciblées pour l’emploi des jeunes pourraient surnager. Il en est ainsi de l’engagement que tous les jeunes diplômés des quartiers prioritaires seront reçus par Pôle emploi d’ici à la fin du mois de juin, ou encore qu’ils bénéficieront d’un accompagnement spécifique dans leur recherche d’emploi. A Vaulx-en-Velin, on assistera sans doute encore à beaucoup de paroles fortes mais peu de mesures concrètes. Près de quatre ans après l’élection de François Hollande et le soutien massif qu’il avait reçu des habitants des quartiers populaires, le gouvernement ne veut pas afficher de politique spécifique en leur faveur. Depuis les attentats de janvier contre Charlie hebdo et encore plus après ceux de Paris et de Saint-Denis, la ligne soufflée par Manuel Valls a eu raison de tout dispositif et crédit spécifiques visant à remédier à la relégation et la stigmatisation propres aux quartiers. La situation sociale continue pourtant de s’y dégrader avec des taux de pauvreté et de chômage progressant plus vite et plus fortement qu’ailleurs. Et l’abstention y est à chaque scrutin plus massive, tant la déception est grande. p s. z. sylvia zappi ouvre plus largement l’accès à la fonction publique afin de diversifier son recrutement : la « troisième voie » réservée aux candidats issus du monde associatif, syndical ou politique est élargie à tout public et spécifiquement aux jeunes peu ou pas qualifiés. Enfin, comme attendu, le texte modifie la loi pour faire entrer les délits racistes dans le droit commun en durcissant les peines encourues. Mais il oublie tout le volet des discriminations : les outils de lutte contre les mécanismes de traite- ment différencié en fonction des origines qui font tant de ravages dans l’emploi, le logement ou tout autre domaine de la vie sociale sont les grands absents de ce volet dit de l’« égalité réelle ». Le projet de loi n’est « pas figé » précise-t-on à Matignon. Le comité interministériel devrait voir le premier ministre, entouré de plusieurs ministres, compléter ces mesures par une série d’annonces « enrichies » par les contributions citoyennes déposées sur une plateforme ad hoc. Au mi- Un catalogue de mesures annoncé au comité interministériel après le conseil des ministres où le gouvernement devait présenter son projet de loi égalité et citoyenneté, Manuel Valls devait se rendre mercredi après-midi 13 avril à Vaulx-en-Velin (Rhône) pour y tenir un comité interministériel. Entouré de plusieurs ministres (éducation, travail, logement, ville, jeunesse et sports, égalité réelle), il devait annoncer une série de mesures visant à prolonger l’engagement de l’Etat. En plus des annonces en direction des jeunes déjà détaillées auprès des organisations de jeunesse (garantie locative et CMU pour les jeunes précaires), le premier ministre devait préciser quelques mesures déjà évoquées le 6 mars 2015 lors du premier comité interministériel, comme le lancement de l’Agence France entrepreneur, une agence pour le développement économique des territoires ou encore la nomination de 12 délégués gouvernementaux, en appui des préfets, dans les quartiers les « plus prioritaires », cumulant tous les indicateurs de pauvreté et d’exclusion. Dans le domaine scolaire, le gouvernement prévoit la création de 5 000 services civiques pour faciliter les relations entre l’école et les parents ainsi que la distribution d’une mallette d’aide à l’orientation pour les parents d’élèves de 3e. Pour remédier à l’état de délabrement de certains établissements – notamment les collèges des quartiers prioritaires – les crédits du Fonds à l’investissement local et ceux de l’Agence nationale LE CHIFFRE Près de 90 % des Français soutiennent l’introduction en classe de débats civiques, la réalisation de projets solidaires ou environnementaux, l’écoute de « grands témoins »… C’est l’un des enseignements du sondage BVA réalisé pour le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) et la Casden (banque coopérative de la fonction publique), et publié mercredi 13 avril. « Si les Français considèrent que l’esprit civique, les valeurs et la morale se transmettent principalement dans la famille [à 91 %], ils font aujourd’hui confiance à l’école à plus de 70 % pour participer à la construction des futurs citoyens », observe la sociologue Nathalie Mons, présidente du Cnesco. Alors que la majorité des pays européens ont fait le choix d’un enseignement intégré à d’autres matières, la France propose l’enseignement spécifique le plus long – douze ans. Et pourtant, 4 jeunes sur 5 considèrent ne pas avoir, encore, une connaissance suffisante de leur rôle de citoyen, à leur sortie du lycée. Logement social : une réforme pour davantage de mixité Le gouvernement veut mieux répartir les ménages les plus modestes parmi les logements HLM et faire partir les plus riches du parc social L e projet de loi égalité et citoyenneté, présenté en conseil des ministres, mercredi 13 avril, est sans doute la dernière occasion législative du quinquennat de réaffirmer le principe de mixité sociale dans le logement. Le texte bouscule le monde HLM sur le dossier sensible des attributions de logements sociaux. L’objectif du gouvernement est de faire de la place à la population la moins aisée et mieux la répartir géographiquement parmi les 4,76 millions de logements HLM que compte la France. La mesure phare prévoit que, dans les 354 intercommunalités dotées de la compétence habitat, un quart des logements HLM situés hors des quartiers prioritaires de la ville (QPV), soient attribués au quart des candidats les plus modestes inscrits sur la liste des demandeurs de l’agglomération, pour ne pas systéma- tiquement diriger les plus pauvres vers les zones déjà paupérisées. « Il s’agit de donner aux familles aux revenus les plus faibles la même chance que les autres d’accéder à un HLM, tout en étant plus transparents car, chaque année, les intercommunalités publieront le bilan de leurs attributions », détaille la ministre du logement, Emmanuelle Cosse. En Ile-de-France, par exemple, seuls 11 % des HLM (hors QPV) vont aux populations les plus modestes ; à peine mieux, 14 %, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, et 19 % en moyenne nationale. Ces chiffres inédits, présentés dans l’étude d’impact de la loi, corroborent les résultats d’une enquête menée par le Lab’urba de l’université Paris-Est-Créteil qui montrait que les ressources des entrants dans le parc social étaient de 26 % supérieures, à Paris, aux revenus moyens des demandeurs, et, dans les Yvelines, de 34 %. « Cette mesure n’est pas à la hauteur des enjeux, c’est un peu vouloir vider la piscine avec un dé à coudre, s’insurge Marianne Louis, secrétaire générale de l’Union sociale de l’habitat (USH), qui fédère les 740 bailleurs sociaux de France, le texte ignore délibérément le stock, le fait que 50 % de nos locataires relèvent du premier quartile de revenu [niveau au-dessous duquel se situent 25 % des salaires], et rien n’est prévu pour améliorer la vie et l’attractivité des quartiers difficiles. » Le monde HLM se dit d’ailleurs lassé de ces réformes incessantes, qu’il juge « inopérantes et complexes ». Pour loger des familles modestes dans les meilleurs secteurs, il faut aussi pouvoir baisser leurs loyers, quitte à les augmenter ailleurs. « Nous desserrons un carcan histo- rique qui voulait que le mode de financement de l’immeuble détermine le niveau de loyer, “très social”, “social”, “intermédiaire”, et donc son type d’habitants. Les bailleurs sociaux pourront désormais brasser les populations au sein d’un même bâtiment », se félicite la ministre qui précise : « Les loyers devront rester à masse constante et cela ne s’appliquera qu’à l’arrivée de nouveau locataires. » « Ménages prioritaires » Elle répond, là, aux représentants des habitants qui reprochent à cette mesure de « faire payer aux locataires HLM une péréquation qui devrait relever de la solidarité nationale, ce qui n’est pas admissible », estime Michel Fréchet, président de la Confédération générale du logement (CGL). La future loi entend aussi imposer le « partage des efforts pour ac- cueillir les ménages prioritaires et les bénéficiaires du droit au logement opposable (Dalo) ». Toutes les filières, comme Action logement (ex-1 % logement des entreprises), mais aussi les collectivités locales qui désignent des locataires, devront réserver 25 % de leur contingent à ce public prioritaire… De quoi faire grincer les dents de bien des maires ! Les préfets ne pourront, en outre, plus déléguer aux communes leur droit de désignation, qui conduisait à ce que, par exemple, dans les Hauts-deSeine, moins de la moitié (40 %) des réservations que le préfet avait abandonnées aux communes est proposée à des ménages Dalo, à peine 60 % dans les Yvelines et 20 % seulement dans vingt-quatre communes du Var. Le projet de loi souhaite aussi encourager la sortie du parc social des locataires les plus riches, dont les ressources dépassent de 50 % les plafonds réglementaires (contre 100 % auparavant). Ils devront quitter leur HLM dans un délai de dix-huit mois contre trois ans auparavant. Cette mesure concernera 1 600 locataires contre 900 avec l’ancienne règle. Toutes ces nouveautés irritent les associations de locataires : « On veut réserver le parc social aux plus pauvres ! Nous ne voulons pas de cette conception à l’anglosaxonne », proteste Michel Fréchet. Pour la Confédération générale du logement, « le gouvernement rend le logement social responsable de la ségrégation mais ces mesures auront pour effet de pousser les classes moyennes à quitter le parc social pour la jungle du secteur locatif privé et risquent, au contraire, de favoriser l’exclusion et la ghettoïsation ». p isabelle rey-lefebvre 12 | france 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Comment mieux protéger les lanceurs d’alerte Le Conseil d’Etat recommande de se doter d’outils meilleurs pour assurer plus d’efficacité aux vigies civiques L sence de réponse apportée dans un délai raisonnable ou s’avère impraticable, un canal externe pourra alors être choisi », note le rapport. Mais pour le Conseil d’Etat, il ne s’agit pas ici de divulguer des informations aux médias ni au public qui ne peuvent être alertés « qu’en dernier recours ». « L’alerte externe » est destinée aux autorités administratives compétentes (Agence du médicament, Autorité des marchés financiers, future Agence de prévention et de détection de la corruption prévue dans le projet de loi Sapin II, etc.), aux ordres professionnels ou à la justice. e scandale des « Panama papers », l’affaire du Mediator comme le démarchage illégal des fortunes françaises par UBS ou les privilèges fiscaux accordés par le Luxembourg à certaines grandes entreprises n’auraient jamais éclaté au grand jour si une personne isolée n’avait pas décidé de tirer le signal d’alarme. Au risque de compromettre sa carrière professionnelle. Certains de ces lanceurs d’alerte se retrouvent en effet poursuivis en justice par leurs anciens employeurs. Une étude réalisée par le Conseil d’Etat à la demande du premier ministre et rendue publique mercredi 13 avril recommande que la France se dote de meilleurs outils pour assurer une efficacité aux alertes lancées, un encadrement pour éviter les abus et délations malveillantes et une réelle protection de ces vigies civiques. Six lois en neuf ans Malgré six lois en neuf ans qui ont cherché à les protéger à des degrés divers, on est loin du compte. « Il en résulte un manque de cohérence, des lacunes en matière de procédure et, au final, peu de protection effective des lanceurs d’alerte », constate JeanMarc Sauvé, le vice-président du Conseil d’Etat. Les lois ont en particulier omis, à l’exception de celle sur le renseignement de 2015, la question du secret professionnel. Or, le viol de ce secret (médical, fiscal, lié à la défense nationale, etc.) est pénalement répréhensible dans de nombreux domaines. « Si la loi ne précise pas les dérogations au secret professionnel, il n’y aura pas de lanceurs d’alerte », prévient M. Sauvé. C’est donc par des lois sectorielles que le législateur devrait définir, secret par secret, quelles sont les exceptions ou, à défaut, les personnes habilitées à recevoir une alerte sans lever le secret professionnel. Mais auparavant, c’est bien la définition d’un socle commun par la loi qui figure au premier rang des quinze propositions approuvées par l’assemblée générale du Conseil d’Etat. Le groupe de travail qui a réalisé cette étude a d’abord tenu à s’entendre sur une définition précise du lanceur d’alerte. C’est « un acteur civique qui signale, de bonne foi, librement et dans l’intérêt général, des manquements graves à la loi ou des risques graves menaçant des intérêts publics ou privés, dont il n’est pas l’auteur ». Il peut être salarié, collaborateur occasionnel ou extérieur. Une définition qui a ainsi conduit à rejeter fermement, à une voix discordante près, l’idée de rémunération des lanceurs d’alerte. « On ne fait pas un geste civique pour de l’argent », tranche M. Sauvé. D’ailleurs, le groupe de travail, présidé par Emmanuelle Prada Bordenave et auquel ont participé des représentants d’associations comme Transparency Internatio- Pédophilie : l’Eglise s’engage à mieux écouter les victimes Secouée par différentes révélations, l’institution présente des mesures E ntendre les victimes, faire la lumière sur les cas anciens, protéger les enfants, prendre conseil si nécessaire en dehors de l’Eglise catholique. Le conseil permanent de la Conférence des évêques de France (CEF) a présenté, mardi 12 avril, un ensemble de dispositions destinées à montrer que l’institution a pris la mesure des questions soulevées par les affaires de pédophilie surgies depuis l’automne 2015 dans le diocèse de Lyon, dirigé par le cardinal Philippe Barbarin. C’est sans doute la première fois que l’Eglise catholique se tourne de manière aussi explicite vers les victimes de prêtres. La CEF demande à chaque diocèse – certains l’ont déjà fait – de mettre en place « un lieu où elles soient assurées, écoutées et accompagnées », serait-ce au niveau d’un regroupement de diocèses. Un site Internet permettra aux victimes de trouver à qui s’adresser. En attendant qu’il soit créé, une adresse électronique leur est ouverte ([email protected]). Les associations de victimes, elles, pourront s’adresser à une cellule permanente de lutte contre la pédophilie, qui remplacera la cellule de veille dont était chargé Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise, auprès de la Conférence épiscopale. L’épiscopat est bien conscient que d’anciennes affaires, jamais parvenues jusqu’à la justice, jamais ouvertement reconnues par l’Eglise, souvent prescrites aux yeux du droit, tourmentent encore, des décennies plus tard, d’anciennes victimes parfois aujourd’hui âgées. Sur ces cas « même anciens », affirme la CEF, « il est nécessaire de faire la lumière ». Combien y en a-t-il ? « Nous n’avons pas les éléments pour répondre », a affirmé mardi le président de la CEF, Georges Pontier, archevêque de Marseille. Faute de données en France, le prélat s’est référé à une statistique qui porterait sur les prêtres au niveau mondial : entre 0,7 % et 1,5 % des prêtres seraient concernés par des actes de pédophilie. Un guide complet C’est la gestion d’une ancienne affaire de ce type par le diocèse de Lyon qui est venue bousculer un épiscopat qui se croyait quitte avec les mesures prises depuis la mise en cause puis la condamnation, en 2001, de l’un des siens, Pierre Pican, ancien évêque de Bayeux, pour non-dénonciation de crimes pédophiles de l’un de ses prêtres. En 2003, la CEF avait édité un guide assez complet sur la pédophilie, qui rappelait aux évêques qu’ils étaient tenus de porter à la connaissance de la justice des faits dont ils auraient eu la connaissance. Mgr Pontier a rappelé la règle : un évêque placé dans cette situation doit inviter la victime à porter plainte. Si elle ne le fait pas, l’évêque doit inciter le prêtre à se dénoncer. S’il ne le fait pas, le chef du diocèse doit informer lui-même les autorités judiciaires. Dans l’affaire du Père Bernard P., l’ancien aumônier de Sainte-Foy-lès-Lyon qui avait abusé de scouts dont il avait la charge entre 1971 et 1991, les archevêques successifs de Lyon n’ont pas saisi la justice lorsqu’ils ont été informés. Ils n’ont pas non plus, semble-t-il, songé à se préoccuper des victimes. Les évêques, explique la CEF, sont chargés d’éloigner des enfants et des jeunes les prêtres accusés de façon précise d’avoir commis des attouchements sexuels sur des mineurs en attendant que la justice se prononce. S’ils ont des doutes sur l’attitude à tenir dans telle ou telle circonstance, ils auront la possibilité de consulter une commission d’experts (anciens magistrats, médecins, psychologues…) présidée par un laïc, qui sera mise en place d’ici à l’été. « Les évêques ont des relations de proximité avec les prêtres, a fait valoir Mgr Pontier, qui vont bien audelà de celles de patron à salariés. Parfois, cela peut ne pas nous rendre service. D’où la nécessité d’une expertise extérieure. » p cécile chambraud nal ou la fondation Sciences citoyennes, parle d’« alerte éthique ». S’inspirant de ce qui a été mis en place au Royaume-Uni et en Irlande, il préconise des mécanismes pour favoriser en priorité l’alerte interne à l’administration ou à l’entreprise concernée. Le Conseil d’Etat estime que le canal hiérarchique ou un canal interne spécifique (déontologue, service d’inspection…) sont les mieux à même pour prendre en compte rapidement et efficacement une alerte émanant d’un col- laborateur. A condition que le dénonciateur soit protégé (comme la personne éventuellement visée tant que les faits ne sont pas établis) et averti des suites données à son information. Cette solution interne ne semble pas adaptée aux cas où la fraude est organisée en système, comme dans l’affaire des prothèses mammaires de la société PIP ou dans celle des logiciels antipollution truqués chez Volkswagen. « Si et seulement si un tel recours [interne] se heurte à l’ab- Un travail de longue haleine Il est proposé, pour faciliter l’accès à l’institution compétente, de passer par un portail unique qui serait assuré par la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement prévue par la loi Blandin de 2013 (et toujours pas installée !). Pour mieux protéger les lanceurs d’alerte contre les velléités de représailles, le Conseil d’Etat propose de lister très largement ce que ces dernières pourraient être, comme le non-renouvellement d’un CDD, espérant ainsi les bannir. Surtout, il propose d’étendre la compétence du Défenseur des droits, qui pourrait être saisi par les personnes concernées sans attendre l’issue des procédures judiciaires. Quelques-unes des propositions de cette étude pourraient être déjà intégrées dans le projet de loi Sapin II sur la corruption qui viendra en discussion à l’Assemblée nationale d’ici à l’été. Mais d’autres lois seront nécessaires. Le développement d’une culture de l’alerte en France reste un travail de longue haleine. p émeline cazi et jean-baptiste jacquin « Salle de shoot » à Paris : les ultimes débats toujours tendus V ous allez drainer et concentrer toute la toxicomanie de Paris. Vous avez fait le choix de sacrifier un quartier », a déploré la porte-parole du collectif d’habitants contre l’ouverture de la « salle de shoot ». Pendant près de trois heures, mardi 12 avril dans la soirée, plus de 200 opposants et partisans de ce projet se sont retrouvés – et parfois bruyamment invectivés – dans la salle des fêtes de la mairie du 10e arrondissement, à l’occasion de la première réunion publique d’information sur ce sujet depuis juin 2013. Les riverains hostiles au projet ne sont pas les mêmes qu’il y a trois ans. Mais les inquiétudes et les questions liées à l’ouverture de la première salle de consommation de drogue à moindre risque à Paris n’ont pas changé. Entre-temps, les élections municipales sont venues conforter le maire (PS) de l’arrondissement, Rémi Féraud, et la loi santé autorisant l’expérimentation de telles salles pendant six ans a été votée et promulguée. Un nouvel emplacement, 2, rue AmbroiseParé, dans un bâtiment autonome de l’hôpital Lariboisière, a été retenu en lieu et place du 39, boulevard de la Chapelle, le site initial fortement contesté par les voisins. Les deux sont à proximité de la gare du Nord, où les toxicomanes sont très présents. L’ouverture de la structure, qui doit accueillir entre 100 à 150 toxicomanes par jour (soit environ 400 passages aux postes d’injection et d’inhalation), est désormais prévue à l’automne, à la même période que celle prévue à Strasbourg. « Cette salle, c’est le chaînon qui nous manquait dans la politique de réduction des risques à Paris », a fait valoir Bernard Jomier, l’adjoint à la santé à la mairie de Paris. « Vous opérez une partition évidente au sein du 10e entre une partie gentrifiée et une partie populaire et abandonnée », a regretté la porte-parole du collectif d’habitants hostiles à l’ouverture de la salle, dénonçant un « déni de démocratie ». Crainte récurrente d’une partie des opposants : l’amplitude horaire trop limitée. Ouverte tous les jours de l’année, la salle ne sera accessible que de 13 h 30 à 20 h 30. « C’est une aberration, les toxicomanes ne font pas les 35 heures », a critiqué un riverain. Si certains opposants politiques étaient venus chercher une tribune, d’autres étaient simplement venus apporter leur soutien ou témoigner de leur désarroi. « Si ça se trouve, avec cette salle, ça ne sera pas pire, ça sera bien et je serai ravie », a reconnu CRAINTE RÉCURRENTE une femme qui dit ne plus dormir que quatre D’UNE PARTIE heures par nuit en rai- DES OPPOSANTS : son de la présence de toxicomanes sous ses fe- L’AMPLITUDE HORAIRE nêtres. Une autre a raconté une « qualité de vie TROP LIMITÉE. détestable » aujourd’hui LA SALLE NE SERA dans le quartier, entre les seringues usagées et ACCESSIBLE QUE les intrusions dans les DE 13 H 30 À 20 H 30 immeubles. « On s’engage à ce que les tensions dans le quartier diminuent et que les choses s’apaisent », a lancé Elisabeth Avril, la directrice de Gaïa, la structure de prévention et de soins en toxicomanie qui pilotera la salle. Un dépliant distribué à l’entrée de la salle rappelle d’ailleurs que la ville de Vancouver, au Canada, a enregistré une baisse de moitié du nombre de personnes consommant des drogues dans l’espace public autour de la salle d’injection. Une baisse qui aurait même atteint 83 % à Rotterdam. « J’attends une amélioration de la santé publique et une réduction des nuisances. Si cette salle amenait plus de problèmes qu’elle n’en résout, l’expérimentation ne sera pas poursuivie », a promis le maire Rémi Féraud. p françois béguin SPORTS 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 | 13 Le grand gâchis de la « génération Zlatan » Battu par Manchester City, le PSG a encore été éliminé de la Ligue des champions dès les quarts de finale manchester - envoyé spécial L e regard noir, Nasser AlKhelaïfi s’engouffre dans l’un des nombreux tunnels de l’Etihad Stadium, où l’attendent, en rang d’oignons, les journalistes français. Escorté par son communicant Jean-Martial Ribes, le président du ParisSaint-Germain est d’humeur particulièrement maussade après la défaite (1-0) de son club, mardi 12 avril, sur la pelouse de Manchester City. Six jours après le nul (2-2) arraché par les Citizens au Parc des Princes lors de la manche aller, ce revers scelle l’élimination de la formation de la capitale en quarts de finale retour de la Ligue des champions. « C’est la quatrième année d’affilée qu’on sort en quarts, a constaté, amer, le dirigeant qatari. C’était notre rêve d’aller en demi-finales. On a eu deux suspendus ce soir [Blaise Matuidi et David Luiz], Marco Verratti était blessé et Thiago Motta s’est blessé avant la mi-temps. Mais on ne va pas chercher d’excuses. On va se calmer et on va réfléchir pour la suite. On veut réfléchir à long terme, sur cinq ans. » A l’image de son directeur général délégué, Jean-Claude Blanc, peu désireux de s’exprimer, Nasser Al-Khelaïfi a fait profil bas après cette contre-performance qui constitue un échec retentissant pour les actionnaires de Qatar Sports Investments (QSI), propriétaires du PSG depuis juin 2011. Les investisseurs de Doha ont, en effet, injecté en cinq ans plus de 500 millions d’euros pour recruter des stars comme le Suédois Zlatan Ibrahimovic ou l’Argentin Angel Di Maria, joueur de Ligue 1 actuellement le mieux rémunéré (24 millions d’euros de revenus annuels) et acheté, en août 2015, contre 63 millions d’euros. Limites du projet Si le PSG est devenu le quatrième club européen en termes de chiffre d’affaires (480 millions d’euros à l’issue de la saison 2014-2015), les dirigeants de QSI peuvent-ils infiniment tolérer de voir leur formation caler à l’orée du dernier carré de la plus prestigieuse des compétitions européennes ? Et ainsi échouer à égaler la performance réalisée par le club, en 1995, sous l’ère Canal+. Quadruple championne de France en titre depuis 2013, l’équipe de la capitale – qui dispose, cette saison, d’un budget Le milieu de terrain parisien Thiago Motta, blessé lors de la défaite (1-0) à Manchester City, mardi 12 avril. OLI SCARFF/AFP d’environ 500 millions d’euros – pâtit du manque de concurrence sur la scène hexagonale et, saison après saison, se montre incapable de percer le plafond de verre qui circonscrit ses ambitions continentales. Comme le firent le FC Barcelone en 2013 et en 2015, et Chelsea en 2014, Manchester City a révélé une fois de plus les limites du projet sportif mis en place par QSI à Paris. Cette élimination est d’autant plus cruelle pour les dirigeants du PSG que les Citizens atteignaient pour la première fois les quarts de finale de la Ligue des champions depuis 2008 et leur rachat par le cheikh Mansour d’Abou Dhabi. « Cela fait mal. On parle, on parle et après on commet les mêmes erreurs, a tempêté Thiago Silva, le capitaine brésilien du PSG. On ne peut plus dire qu’on manque d’expérience. » « On parle, on parle, et après, on commet les mêmes erreurs. On ne peut plus dire qu’on manque d’expérience » THIAGO SILVA capitaine du PSG Ce fiasco outre-Manche devrait contraindre Nasser Al-Khelaïfi à remettre sensiblement en cause le projet élaboré, dès le rachat du club, par Leonardo, son ex-directeur sportif brésilien, démissionnaire en 2013. Car cet échec est d’abord celui de la génération in- carnée par Zlatan Ibrahimovic, spectral à l’Etihad Stadium après avoir raté un penalty lors du match aller. Meilleur buteur de l’histoire du PSG (avec 145 réalisations depuis 2012), le géant de 34 ans s’était fixé comme objectif de remporter sa première Ligue des champions avec la locomotive du football français. Or, le contrat du joueur expire en juin, comme celui de son coéquipier Maxwell, également âgé de 34 ans. « On a offert ces deux matchs à City », a bougonné l’icône scandinave, priée par les journalistes anglais de rejoindre la Premier League la saison prochaine. Touché aux ischios et remplacé en première période, le milieu Thiago Motta, 33 ans, symbolise, lui aussi, la faillite d’une escouade de trentenaires programmés pour offrir à QSI un sacre européen. « Effectivement, il y a des cadres en fin de contrat, mais on verra ça plus tard car ce soir on est déçus », a balayé Laurent Blanc, très affecté, dans l’auditorium de l’Etihad Stadium. Nommé en 2013 pour remplacer le chevronné transalpin Carlo Ancelotti, l’entraîneur du PSG a clairement assumé la responsabilité de cette défaite. « Je ne me débine pas », a insisté le Cévenol, dont le contrat a été prolongé, en février, jusqu’en 2018 par Nasser Al-Khelaïfi. Sorti pour la troisième fois d’affilée à ce stade de l’épreuve, l’ex-sélectionneur des Bleus (2010-2012) se voit notamment reprocher des choix hautement discutables. Sa décision de titulariser, au match aller, le défenseur ivoirien Serge Aurier – banni un mois et demi pour avoir qualifié en février son entraîneur de « fiotte » – avait suscité la polémique. Mais que dire du schéma tactique inédit, avec seulement trois défenseurs, expérimenté à Manchester ? « Le coach fait ses choix. Mais ceux qui jouent, c’est nous », a argué Thiago Silva, prônant l’union sacrée derrière son entraîneur. « Si on prend une décision ce soir, on prendra la mauvaise. On fait confiance au coach. On veut vraiment bien réfléchir pour améliorer l’équipe en Ligue des champions la saison prochaine », a insisté Nasser Al-Khelaïfi. Sacré en Ligue 1 dès la mi-mars, le PSG tâchera de remporter pour la troisième fois d’affilée la Coupe de la Ligue, dont la finale face à Lille est programmée le 23 avril. Il tentera également de conserver, en mai, son titre en Coupe de France. De maigres consolations pour les propriétaires qataris du club, en quête de trophées européens et dont la patience a des limites. p rémi dupré La folle « remontada » de Ronaldo et du Real Madrid Le Portugais, auteur d’un triplé face à Wolfsburg (3-0), a été le grand artisan de la victoire des Madrilènes madrid – envoyé spécial E n football, louer les qualités du collectif pour ne pas mettre trop en avant une individualité est un stratagème aussi ancien que le métier d’entraîneur. La combine peut parfois paraître artificielle, mais c’est une manière de maintenir la paix des vestiaires et des ego. Mardi 12 avril, au sortir d’une nette victoire de « son » Real Madrid face aux Allemands de Wolfsburg (3-0), synonyme de qualification pour les demi-finales de la Ligue des champions, Zinédine Zidane s’est livré à l’exercice avec application. La tâche paraissait pourtant particulièrement ardue pour le nouvel entraîneur. Car si le club madrilène a rectifié le tir, après son faux pas du match aller en Allemagne (0-2), elle le doit à Cristiano Ronaldo, auteur à lui tout seul des trois buts de la soirée et qui a porté une équipe pas tou- jours transcendante. « Il démontre ce qu’il est : le meilleur joueur du monde », a estimé Zidane, à propos du Portugais, triple Ballon d’or. Avant d’ajouter dans la foulée : « Mais Cristiano a besoin de l’équipe. Il a besoin des autres pour faire ce qu’il fait. Je suis très content de ce que les joueurs ont fait ensemble. Après, il est spécial car tous les autres ne peuvent pas mettre trois buts. » « Nuit magique » La dernière phrase est difficilement contestable ; les statistiques sont effarantes. Depuis le début de la saison de Ligue des champions, l’attaquant affiche seize réalisations en dix matchs. Soit à une unité seulement du record absolu de dix-sept buts établi lors de la saison 2013-2014 par un certain… Cristiano Ronaldo. Le public du stade Santiago-Bernabeu ne s’y est pas trompé. A cinq minutes de la fin de rencontre, et alors que le Portugais venait d’inscrire le but de la qualification sur un joli coup franc (77e), les spectateurs madrilènes commencèrent tous à entonner : « Cristiano, Cristiano, Cristiano ! » Le principal intéressé a apprécié une « nuit magique », avec deux buts inscrits dès les vingt premières minutes, tout en soulignant, dans une formule éculée, comme un écho à son coach : « Le plus important, c’est l’équipe. » Loin de ses propos polémiques – et sans doute plus sincères – de février, lorsqu’il affirmait, en réaction au retard de son équipe dans le championnat espagnol : « Si tout le monde était à mon niveau, nous serions premiers. » Grâce à son succès face à Wolfsburg, le Real Madrid évite un accident industriel. Certes, Luiz Gustavo et Bruno Henrique, côté allemand, sont parvenus à allumer quelques timides mèches, notamment en première mi-temps. Cer- tes, il fallut attendre le dernier quart d’heure pour que les Madrilènes valident leur billet pour le tour suivant. Mais la performance, face à des adversaires trop timorés pour vraiment inquiéter les spectateurs de Bernabeu, est apparue comme une simple formalité. Depuis six ans, les Merengue n’ont pas connu l’affront d’une éli- mination avant les demi-finales de la plus prestigieuse compétition continentale. Zidane ne sera pas le premier à rompre la série. La performance ne doit pas être minorée pour autant : avec cette « remontada », le club espagnol, dix C1 au compteur, s’offre un renversement de situation tel qu’il n’en avait plus connu depuis la saison Benzema « confiant » pour l’Euro Si Karim Benzema n’a pas marqué face à Wolfsburg, l’attaquant français du Real Madrid a fait un match plein, allant jusqu’à s’offrir une belle occasion sur une frappe détournée par le gardien (80e) adverse. Sera-ce suffisant pour lui permettre de faire partie de l’aventure de l’Euro, à partir du 10 juin ? Déclaré « non sélectionnable » à la suite de sa mise en examen dans « l’affaire de la sextape », son cas devait être discuté par le sélectionneur, Didier Deschamps, et par le président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, mercredi 13 avril, dans la matinée. Une décision devrait être annoncée au plus tard jeudi 14. Quelle qu’elle soit, et Benzema a dit l’attendre avec « confiance », le joueur a gagné le droit de prolonger le plaisir d’une compétition continentale, en Ligue des champions pour l’instant. 2001-2002, lors d’une confrontation face au Bayern Munich. Vainqueur du clasico face au Barça (2-1), le 2 avril, et désormais qualifié pour le dernier carré de la Coupe d’Europe, Zinédine Zidane, lui, peut continuer de savourer. Son équipe donne parfois l’impression d’une addition de talents individuels plus qu’elle ne dégage une réelle force collective, mais elle enchaîne les succès et est d’ailleurs revenue à 4 points du leader de la Liga, le Barça. « Je suis content de comment les choses se passent, même si je ne suis pas dupe : il y a aussi des moments difficiles, a commenté Zidane. J’ai un groupe fantastique. Je continue à avancer, j’aime ce que je fais. » Mardi soir, l’ancien meneur de jeu n’a finalement connu qu’une fausse note : sur un mouvement trop brusque, il a déchiré la jambe droite de son élégant pantalon bleu marine. p yann bouchez 14 | enquête 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 La rue Yveton, dans la vieille ville d’Oran. Kamel Daoud, un étranger à Oran Féroce critique des dévots musulmans et de la gérontocratie algérienne, l’auteur de « Meursault, contre-enquête » s’est attiré bien des ennemis. Après avoir renoncé au journalisme, il vit dans une semi-clandestinité dans sa ville Kamel Daoud. texte : raphaëlle bacqué photos : bachir belhadj pour « le monde » oran (algérie) - envoyés spéciaux A la descente de l’avion venu de France, le policier algérien examine longuement le visa « journaliste ». Il appelle un collègue. Puis un autre. Et encore un troisième. « Pourquoi voulez-vous rencontrer Kamel Daoud ? – Parce que c’est un grand écrivain algérien… – Oui, mais pourquoi voulez-vous le rencontrer ? – Justement parce que c’est un grand écrivain algérien… » Dans la file d’attente, personne ne s’impatiente. Mais on ne semble pas perdre un mot du débat. Un monsieur très élégant murmure, avec cet accent doux des Oranais : « Dites-lui qu’il a failli avoir le Goncourt… » Derrière lui, un autre homme glisse, suffisamment bas pour ne pas être entendu : « Mais ne parlez pas trop de ses chroniques… » Le tampon claque sur le passeport. On passe. Bien- venue à Oran, la ville dont Kamel Daoud est à la fois la star et le visage controversé. Au téléphone, dans les semaines précédentes, l’écrivain n’avait pas mâché ses mots. Depuis le succès de son roman Meursault, contre-enquête, un brillant récit qui redonne une identité à « l’Arabe » tué par le héros d’Albert Camus dans L’Etranger – et qui a décroché le prix Goncourt du premier roman en mai 2015, après sa publication par Barzakh en 2013, puis Actes Sud en 2014 –, Kamel Daoud craignait de ne plus s’appartenir. « Je ne peux plus prendre une bière sans que l’on veuille me l’offrir, jurait-il. Si j’écris un mot en Algérie, il est repris jusqu’en Suède. Cela pourrait être flatteur pour l’ego mais c’est un enfer. » Trop de sollicitations venues du monde entier – son livre a déjà été traduit dans vingtneuf langues. Trop de tournées dans les grandes universités américaines – Harvard, Yale ou Columbia. Trop d’émissions télévisées en France. A 45 ans, il ne voulait pas, disait-il, « céder à la vanité, cet ennemi du talent ». Une fracture de la jambe l’obligeait depuis trois mois à marcher avec une béquille, bon prétexte pour refuser toutes les interviews. Sofiane Hadjadj, le fondateur des éditions Barzakh, à Alger, qui a sillonné pendant des mois avec son auteur cette vaste Algérie où « C’EST L’UN DES DEUX OU TROIS CHRONIQUEURS LES PLUS TALENTUEUX D’ALGÉRIE. MAIS LA VIOLENCE DES RÉACTIONS QU’IL SUSCITE LE LAISSE PARFOIS PERPLEXE » SOFIANE HADJADJ éditeur algérien de Kamel Daoud les librairies sont rares, a complété les explications. « Il est très courageux et aussi un peu inconscient, a prévenu l’éditeur. C’est l’un des deux ou trois chroniqueurs les plus talentueux d’Algérie, solitaire, subversif et impertinent. Mais la violence des réactions qu’il suscite le laisse parfois perplexe. » En France, sa tribune « Cologne, lieu de fantasmes », publiée le 31 janvier dans La Repubblica et le 5 février dans Le Monde, un mois après les agressions de dizaines de jeunes Allemandes venues passer la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, a déchiré la gauche. En pleine crise des réfugiés, il y voyait une manifestation de « la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman » et de son « rapport malade à la femme ». L’affaire lui a valu les reproches désolés d’Adam Shatz, cet ami journaliste qui lui avait consacré un an plus tôt un long portrait dans le New York Times. En France, une quinzaine d’universitaires l’ont décrété « islamophobe ». Trois semaines durant, les médias ont convié ses soutiens, favorables à la « libre pensée », ses adversaires, refusant « le choc des cultures ». Même Manuel Valls, qui avait téléphoné quelques mois plus tôt à l’écrivain afin de dire son admiration pour Meursault, contreenquête, lui a apporté publiquement son soutien. « Ce que demande Kamel Daoud, a écrit le premier ministre sur Facebook, c’est qu’on ne nie pas la pesanteur des réalités politiques et religieuses, que l’on ait les yeux ouverts sur ces forces qui retiennent l’émancipation des individus, sur les violences faites aux femmes, sur la radicalisation croissante des quartiers, sur l’embrigadement sournois de nos jeunes. » « COLLABO », « HARKI », « YOUPIN » En Algérie, cependant, les critiques les plus virulentes avaient débuté deux ans et demi plus tôt. En juillet 2014, dans Le Quotidien d’Oran, Kamel Daoud avait osé écrire : « Non, je ne suis pas solidaire de la solidarité avec la Palestine. » En pleine guerre de Gaza, le journaliste voulait signifier qu’il ne choisirait pas mécaniquement un camp du seul fait d’être musulman. Cette fois, les insultes ont été bien plus virulentes : « collabo », « harki », « sioniste », « youpin », « traître », « salaud ». Bon nombre d’amis de la gauche algérienne ont rompu avec lui. « D’un côté comme de l’autre, on lui reproche de ne pas parler au nom des siens », regrette Sofiane Hadjadj. Le 2 mars, lassé des polémiques, l’écrivain a annoncé qu’il renonçait au journalisme et à cette chronique tenue depuis dix-neuf ans enquête | 15 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Rue des Aurès, à Oran. « MOI AUSSI, COMME CAMUS, JE SUIS PRIS ENTRE DEUX CULTURES ET CELA NE ME LAISSE PAS EN PAIX » KAMEL DAOUD Boulevard Mascara. ger ce garçon qui sait si bien raconter les faits divers sur lesquels on l’envoie. Daoud parle arabe aussi, et connaît parfaitement le Coran. Lorsqu’il était encore au lycée, le mouvement islamiste en pleine expansion l’a séduit, comme beaucoup de jeunes gens de son âge, et un professeur membre des Frères musulmans l’a convaincu qu’il trouverait l’idéal auquel il aspirait dans le combat pour un Etat islamique. Kamel voulait devenir imam. Il voulait aussi être écrivain. En 1988, à 18 ans, il a tranché. Lui qui portait barbe, turban et djellaba a quitté le mouvement. Furieux de s’être laissé embrigader par ce Front islamique du salut (FIS) en passe de devenir le plus puissant opposant d’un régime à bout de souffle, il a tourné le dos à la politique pour se plonger dans la littérature française à l’université d’Oran. Et voilà que six ans plus tard, dans ce petit quotidien qui débute, porté par un Abdou Benabbou amoureux de la langue française et suffisamment courageux pour braver les menaces d’attentats et la censure, ce passé lui sert. En pleine guerre civile contre « les barbus », comme l’on dit alors, le jeune Kamel est l’un des rares reporters à oser louer un âne pour pénétrer le maquis et interroger les djihadistes. Mépris du danger et esprit tranchant. Voilà les premiers traits du caractère de Daoud. La chronique qu’il tient dès 1997 ne le dément pas. Chaque jour, pendant dix-neuf ans, le journaliste a écrit ses trois feuillets, aiguisés et durs comme des silex, pour dénoncer la corruption du régime ou l’hypocrisie des religieux. Une flèche brillante et acide, lancée pile sur les tabous de la société algérienne, la gérontocratie au pouvoir et les dévots musulmans. Depuis son épisode islamiste, Kamel Daoud déteste les Tartuffe et l’orthodoxie religieuse. Sa femme, un jour, s’est mise à porter le foulard, comme ces très nombreuses Algériennes que l’on croise dans les rues et que les cafés relèguent dans les arrière-salles « réservées aux familles ». Ils ont divorcé en 2008, après la naissance de leur deuxième enfant. Avant même de rencontrer Kamel Daoud, on comprend rien qu’à voir la tête de ses confrères les tumultes que suscite ce caractère entier. Pas un compromis. Pas une petite lâcheté. Les correcteurs ont tous entendu, un jour ou l’autre, le journaliste lâcher devant un rédacteur en chef trop frileux : « Si tu veux couper, vas-y, mais moi, mon whisky, je le bois sec ! » « ÉCRIRE, MON REMÈDE À L’ANGOISSE » Boulevard Mascara. dans Le Quotidien d’Oran. C’est pourtant bien là, ont prévenu ses amis, qu’il faut commencer à chercher les traces de Kamel Daoud. Dans ce journal de la deuxième ville du pays. Au cœur d’un petit immeuble sans apprêt, sis dans une rue perpendiculaire à la bruyante avenue de l’ANP. Sur un des murs de la rédaction, on a accroché l’inévitable portrait du président Bouteflika. Et un peu plus loin, gravée sur une plaque, la liste des quatre-vingts actionnaires du quotidien. Il y a des noms de petits patrons et de nababs de la finance oranaise, celui d’un épicier dont la boutique est à trois pas, les patronymes d’avocats logés dans ces quartiers au charme délabré en bord de mer, ceux de médecins de Tlemcen, à deux heures de route d’Oran. « Bref, un mélange de types qui passent leur journée au bar et d’autres à la mosquée », s’amuse Mohamed Abdou Benabbou, le directeur du journal. Aucun d’eux n’a jamais possédé plus de dix actions, ils ne sont jamais d’accord entre eux. Tant mieux. Cela évite de pencher du côté du pouvoir algérien ou de celui des conservateurs religieux. Depuis 1994, Le Quotidien d’Oran navigue ainsi en français sur toutes les eaux. Un jour blanc, un autre noir, dans cette schizophrénie si typiquement algérienne qui s’exprime jus- que dans ces bars où la vente d’alcool n’est pas formellement interdite mais où l’on boit en cachette. Une fois, un général bardé de médailles a convié Abdou Benabbou au ministère de la défense, à Alger, puis s’est penché à son oreille pour l’interroger : « J’adore votre journal, mais je n’arrive pas bien à saisir quelle est sa ligne éditoriale… » Le directeur de la rédaction, avec cet air affable qui lui sert d’armure, a répondu par une autre question : « Mais, mon général, quelle est la ligne de l’Algérie ? » Et, devant l’officier interdit, a asséné sa philosophie : « Le jour où l’Algérie trouvera sa ligne, nous la trouverons nous aussi. » C’est dans ce journal un peu foutraque, sur ce petit bureau à droite en entrant dans la salle de rédaction que Kamel Daoud a débuté. Jeune homme débarqué de Mesra, un petit village près de Mostaganem, à 80 km d’Oran, il y a été recruté en 1994 par la « logique des cimetières » : le pays est alors déchiré par le terrorisme islamique et une centaine de journalistes ont déjà été assassinés. Daoud est fils de gendarme, il a fréquenté l’école française et a été le premier de sa famille à savoir lire. Il est pauvre, sans moyens pour se loger. Les premiers temps, Abdou Benabbou l’a laissé dormir sur un canapé, dans un coin de la rédaction avant de tout mettre en œuvre pour lo- En fin d’après-midi, Kamel Daoud a enfin fixé un rendez-vous. Il a choisi curieusement un hôtel ultramoderne et sans charme, bâti dans l’une de ces nouvelles zones industrielles qui fleurissent un peu partout à Oran. « L’endroit est sûr », a-t-il dit au téléphone. L’hôtel s’appelle Liberté. C’est là qu’il retrouve, le soir, le directeur de l’établissement, Mohamed Afane. Ce vieil ami fut, dans les années 1980, le producteur des grands concerts de raï qui firent autrefois la renommée d’Oran – avant que les puritains ne fassent fermer la plupart des cabarets pour « sauver la ville de la saleté ». Dans son bureau, des photos de Cheb Mami et de Khaled voisinent avec des clichés d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé (aujourd’hui l’un des actionnaires du Monde) dans leur maison de Marrakech. Pour accueillir Daoud, Mohamed Afane a fait apporter des olives, des boureks, et fait déboucher des bouteilles d’un vin algérien, épicé comme le sont les vins du Sud, d’un vin turc plus lourd qu’un porto et d’un bordeaux de bonne facture. L’écrivain arrive directement en voiture de la nouvelle maison où il vient d’emménager, dans l’une de ces résidences modernes où l’on ne peut entrer qu’après avoir décliné son identité auprès d’un vigile. Il fume beaucoup. Des cernes mauves soulignent le regard mobile, au-dessus de pommettes hautes. « Ecrire, dit-il, c’est mon remède à l’angoisse. Le seul moment où je me sens consistant. » Autrefois, il aimait lire à l’ombre des magnolias, dans les jardins publics d’Oran ouverts sur la mer. Il flânait sous les arcades, là où habita longtemps Camus, s’arrêtait sur les marches de la cathédrale du Sacré-Cœur, transformée il y a trente ans en bibliothèque. Mais la ville est devenue menaçante. Cet homme qui peut combattre sans frémir tous les pouvoirs s’est mis à craindre qu’un fou ne le frappe un jour d’un coup de couteau au détour d’une ruelle. Ses amis se sont bien inquiétés pour lui. Ils espèrent que le pouvoir algérien le fait discrètement protéger pour ne pas prendre le risque de voir un écrivain désormais mondialement connu assassiné chez lui. La France l’a convié à s’exiler. Il a refusé tout net. « Ici, les gens me protègent et je connais mes adversaires », veut-il croire. « Et puis, dit-il en souriant, je serais moins en sécurité chez vous. » Le 8 mars, une femme, juge au tribunal d’Oran, a condamné à six mois de prison, dont trois ferme, Abdelfattah Hamadache, un imam presque inconnu mais soupçonné d’être un indicateur pour les services secrets. Il avait écrit en décembre 2014 sur sa page Facebook : « L’écrivain apostat, mécréant, algérien, sionisé, criminel, insulte Dieu. Nous appelons le système algérien à le condamner à mort publiquement. » Trois jours avant cette fatwa, Kamel Daoud avait été invité par Laurent Ruquier à « On n’est pas couché », sur France 2, que les Algériens regardent grâce à ces paraboles accrochées un peu partout aux fenêtres des immeubles. L’écrivain algérien n’avait fait qu’y redire ce qu’il écrit depuis longtemps sur la religion – « ce mal du monde arabe qui empêche d’avancer ». Mais le déclarer depuis la France, ce pays toujours soupçonné de vouloir rejouer la colonisation, c’est tout autre chose. LE SOUTIEN PUBLIC DE MANUEL VALLS « Que Kamel dénonce de façon acerbe dans ses chroniques le régime, les dérives salafistes ou le conservatisme de la société, cela passe. Mais qu’il critique l’Algérie à l’extérieur, cela ne passe plus dans un pays où l’école et l’Etat ont développé un patriotisme paranoïaque », regrette depuis Alger, au téléphone, Adlène Meddi, rédacteur en chef de l’édition du week-end d’El Watan. Le jour de la condamnation d’Abdelfattah Hamadache, cet ami de Kamel Daoud a été le seul journaliste, avec le correspondant de RFI, à se déplacer jusqu’au tribunal. Le lendemain, l’imam salafiste affirmait : « Notre combat contre la France va continuer. » L’écrivain fait mine de s’en moquer. « Etre un intellectuel et libéral, c’est être profrançais aux yeux de beaucoup d’Algériens », dit-il en haussant les épaules. Dans ces conditions, le soutien public de Manuel Valls est une difficulté supplémentaire. « Une catastrophe ! », a tranché son éditeur algérien, Sofiane Hadjadj lorsqu’il a appris que le premier ministre français envisageait de venir, jeudi 14 avril, à la cérémonie de remise du prix Jean-Luc Lagardère du journaliste de l’année qui doit être décerné à Daoud, à Paris. L’intéressé ne s’en émeut pas outre mesure. Il a déjà dit à Manuel Valls ce qu’il pensait des polémiques françaises sur l’islam, « qui en disent plus sur vos ruptures que sur la réalité. Vous êtes obsédés par la radicalisation sur Internet, mais vous ne vous préoccupez pas des dizaines de chaînes religieuses financées par l’Arabie saoudite qui déversent leurs programmes chez vous ! » La nuit tombe. Il flotte dans le petit groupe comme une légère ivresse et l’écrivain a proposé d’aller dîner à la Villa Saint-Tropez, un restaurant tenu par un Marseillais installé depuis huit ans en Algérie. On parle de Houellebecq, qu’il admire. « J’aime d’abord son style. Cette façon de raconter les détails de la vie. Et puis, les gens sont choqués par Soumission ? Mais c’est de la fiction, et la fiction a tous les droits. » Il a croisé l’autre fois l’Algérois Boualem Sansal à… Saint-Malo. Sansal le soutient. Lui aussi est vilipendé en Algérie. Pas tant pour son livre d’anticipation 2084 (Gallimard, 2015), qui imagine le pays sous la férule totalitaire d’un pouvoir religieux, que pour cet appel à la paix signé en 2012 aux côtés de l’écrivain israélien David Grossman. « Parfois, mes détracteurs écrivent de moi : “Il fait son Boualem Sansal.” Et je peux vous assurer que, dans leur bouche, ce n’est pas un compliment », soupire-t-il. Il regrette encore de ne pas avoir eu le Goncourt, attribué en 2014 à Lydie Salvayre. « Vous imaginez ce que cela aurait été dans les pays francophones ? Pour la langue française ? », s’amuse-t-il rien qu’à cette pensée. Il parle parfaitement l’arabe, au point de superviser la traduction de son Meursault. Mais le français reste pour lui « la langue dans laquelle il a appris à être libre ». Il a encore deux prochains romans à écrire, dont il a l’idée depuis longtemps. Mais auparavant, il doit terminer le 30 avril sa chronique hebdomadaire pour Le Point. Et rendre une dernière tribune au New York Times. « Je crois que je vais la faire sur le racisme », prévoit-il déjà. Il l’écrira en moins d’une demi-heure. Il a toujours écrit ses chroniques comme dans l’urgence. Au Quotidien d’Oran, lorsqu’il avait terminé de trousser en un quart d’heure un petit chef-d’œuvre étincelant et flânait au nez de confrères plus laborieux, Abdou Benabbou venait gentiment le tancer : « Fais semblant d’être plus lent ! » Mais sa discipline est le tir à l’arc. « La chronique, c’est comme l’amour. Si on ment, cela se voit », juge-t-il. Les rues d’Oran sont parfaitement vides, maintenant, alors qu’il n’est pas minuit. Daoud rêverait de passer deux jours de liberté à Paris. Mais il ne peut quitter sa ville plus de quelques semaines sans qu’elle lui manque. « Moi aussi, comme Camus, je suis pris entre deux cultures et cela ne me laisse pas en paix », dit-il en souriant. Et puis, comme par association d’idées, il lâche : « Je ne veux pas porter une guerre sur mon dos. » Juste au moment de se quitter. p 16 | CULTURE 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 A L.A., l’art taille XXL « The Broad », une collection parmi les meilleures ouvert depuis six mois, le musée créé par les collectionneurs Eli et Edythe Broad connaît un succès remarquable : 400 000 visiteurs, des files d’attente canalisées par des barrières, des admissions toutes les demi-heures. L’entrée est pour l’instant gratuite, mais se fait sur réservation, et il semblerait que tout soit complet au moins jusqu’au mois de mai. On en a presque mal pour le Museum of Contemporary Art, situé presque en face, et qui paraît du coup un peu déserté, ce qui est bien dommage. Il faut dire que « The Broad », comme on le nomme en toute simplicité, a bénéficié d’une promotion inédite pour un musée : la chanteuse britannique Adele y a réalisé le clip de When We Were Young, dans une salle conçue par l’artiste Yayoi Kusama. Postée sur Instagram, la vidéo a suscité plus de 665 000 « like ». Résultat, une étude, menée par le National Endowment for the Arts, montre que la moyenne d’âge des visiteurs est inférieure de quatorze ans à la moyenne nationale, 32 ans au lieu de 46 ans… Les galeries aux dimensions exceptionnelles se multiplient dans la « cité des Anges » REPORTAGE los angeles U n hectare ! Pour un champ de patates, ce n’est pas mal, pour une galerie d’art contemporain, c’est exceptionnel. C’est la surface (10 498 m2 précisément) de la succursale inaugurée le 13 mars à Los Angeles par les Zurichois Hauser & Wirth, qui s’ajoute à leurs satellites de New York et de Londres, sans oublier une thébaïde dans la campagne du Somerset. Les espaces d’exposition proprement dits s’étendent sur plus de 2 200 m2, auxquels sont adjoints une librairie (185 m2 seulement), un restaurant (ouverture prévue cet été) et un jardin intérieur qui pourra accueillir des sculptures. C’est d’ailleurs à ce genre artistique que l’exposition inaugurale est principalement dévolue, avec une particularité : elle ne comporte que des femmes. Autre caractéristique intéressante, s’agissant d’un espace commercial : sur la centaine d’œuvres, souvent monumentales, présentées ici, un quart a été prêté par des musées, relève le Los Angeles Times. Un mélange des genres qui peut faire frémir sous nos climats (en France, la chose est interdite) mais qui est courante aux Etats-Unis et peut aussi s’expliquer par la présence en ces lieux d’un ancien conservateur du Museum of Contemporary Art de Los Angeles (MoCA), Paul Schimmel, très respecté de ceux qui furent autrefois ses pairs, tout comme des artistes. Il est même devenu vice-président de Hauser & Wirth et, dans sa version californienne, l’esperluette de la galerie a été déplacée : elle se nomme Hauser Wirth & Schimmel. Exposer au pays L’événement survient moins d’un mois après une autre inauguration, le 23 février, celle des Berlinoises (originaires de Cologne, elles ont aussi une galerie à Londres) Monika Sprüth et Philomene Magers, qui exposent actuellement une série remarquable d’une des stars de la Côte ouest, John Baldessari. L’espace est plus modeste, un immeuble des années 1960 de deux étages et 1 300 m2 (on allait écrire : seulement !) mais idéalement situé sur le « Miracle Mile », juste en face du Los Angeles County Museum of Arts, alors que l’ancienne minoterie reconvertie par l’architecte vedette de New York, Annabelle Selldorf, pour Hauser Wirth & Schimmel, se situe « downtown », un quartier peu fréquenté par la jet-set (prononcez le mot « downtown dans une soirée de Beverly Hills, et vous verrez des dames se pâmer et les messieurs chercher leur revolver). Nos confrères du New York Times y ont relevé, à quelques « blocks » de distance, la présence du « plus grand campement de sans-abris » qu’ils aient jamais vu dans une cité américaine. Ils auraient toutefois pu aussi signaler qu’à quelques autres « blocks », mais vers l’ouest, on trouve sur Grand Avenue deux musées, le MoCA et, depuis six mois, le Broad Museum, créé par un des plus grands collectionneurs des Etats-Unis, Eli Broad. Los Angeles serait-elle un réservoir de milliardaires prêts à tout pour acquérir de l’art contemporain ? Oui et non. Le salon Paris Photo y a cru, et devait être suivi par la FIAC parisienne, pour y créer deux événements. Le premier s’y est cassé les dents, le second y a renoncé. Erreur de casting, disent les autochtones, comme le galeriste Louis Stern, installé là depuis vingt-huit ans, qui pointe le fait que ces salons avaient été confiés à des personnalités peu au fait des particularités de la région. La vraie raison de l’ouverture de tant de galeries sur la Côte ouest tiendrait moins, selon les spécialistes, à l’existence d’un réel marché qu’à la présence en Californie d’artistes très influents, car, comme on dit là-bas, « bankable ». Ceux qu’on ne peut pas se permettre de perdre à l’international et qui, installés dans la région, veulent aussi une représentation locale. C’est en tout cas l’avis de The Art Newspaper, qui cite un galeriste de L.A., Brian Butler, selon lequel 70 % des achats sont faits ici par des collectionneurs venus d’ailleurs. L’implantation de Hauser Wirth & Schimmel et Sprüth Magers serait une conséquence de leur compétition directe pour assurer la représentation de ceux qui, comme John Baldessari, Mark Bradford, Barbara Kruger, Paul McCarthy ou Sterling Ruby, sont des vedettes du marché international, mais veulent aussi exposer au pays : pas question d’en laisser les bénéfices à un marchand du coin. Et les artistes en question sont très impli- « The Broad Museum » dispose de 4 600 m2 de surface d’exposition. ROBYN BECK/AFP La vraie raison de l’ouverture de tant de lieux d’exposition tiendrait moins à l’existence d’un réel marché qu’à la présence en Californie d’artistes très influents qués dans le fonctionnement des institutions de leur cité : mécontents des méthodes de l’ancien directeur du MoCA, Jeffrey Deitch – celui-là même qui avait provoqué la démission de Paul Schimmel –, ils avaient claqué la porte collectivement, et bruyamment, du conseil d’administration. A terme, c’est Deitch qui a fini par partir. Ils sont aussi très liés aux universités, UCLA, University of Southern California (sans oublier le très respecté California Institute of the Arts), qui occupent des quartiers entiers de la ville, où beaucoup ont étudié, et où certains enseignent. Des « superdonateurs » Pour avoir une idée de leur influence en ces lieux, il suffit de consulter la – longue – liste des donateurs du Hammer Museum, qui est associé à UCLA. Un des plus petits, mais des plus agréables musées de la ville, envahi qu’il est par les étudiants, utopiste qu’il est à présenter la première La galerie Hauser, Wirth & Schimmel, inaugurée le 13 mars, s’étend sur 10 498 m2. HWS exposition jamais montrée en Californie d’un rêve d’artistes, l’aventure du Black Mountain College, le successeur américain du Bauhaus. Parmi les bienfaiteurs du Hammer figurent quelques grands noms du marché de l’art, comme Matthew Marks, mais qui ne contribue que modestement : il est dans la tranche des mécénats inférieurs à 25 000 dollars (22 000 euros). De 25 000 à 50 000 dollars, on trouve les noms de Barbara Gladstone, Blum and Poe, Maccarone, mais aussi les maisons de ventes Christie’s et Sotheby’s. De 50 000 à 100 000 dollars, l’air et les liquidités se raréfient, on n’y relève que Larry Gagosian, le plus grand marchand du monde, mais aussi un enfant du pays. Toutefois, une galerie est au sommet avec les « superdonateurs », ceux qui ont dépensé entre 100 000 et 250 000 dollars. Il s’agit de Hauser Wirth & Schimmel : devinez qui veut être le roi de L.A. ! p harry bellet Démesure Cela tombe bien, le lieu paraît fait pour eux. Pas tant parce qu’il jouxte le bidule improbable qu’a construit Frank Gehry pour abriter le Walt Disney Concert Hall que parce que, par contraste, il semble tout doux et accueillant : un voile de béton armé à la fibre de verre, surface autoportante délicatement nervurée, qui lui aussi cultive la démesure avec 4 600 m2 de surface d’exposition répartis entre le rez-de-chaussée et le deuxième étage, le premier étant occupé par les bureaux et surtout une impressionnante salle de réserve (2 000 m2). Celle-ci est inaccessible au public mais visible par des fenêtres percées dans une très ronde cage d’escalier. A l’intérieur, une collection parmi les meilleures du monde (Eli Broad chasse peu ou prou sur les mêmes terres que François Pinault) pour qui aime Jeff Koons et Murakami, mais aussi Cindy Sherman, Ellsworth Kelly – un ascenseur a été prévu spécialement pour une de ses œuvres, un peu grande – ou le pop art, avec, dans ce dernier cas, des œuvres historiques. p ha. b. culture | 17 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Rollins, colosse sentimental A 85 ans, le saxophoniste publie sa quatrième anthologie de concerts H JAZZ olding the Stage (Road Shows, Vol. 4) est le nouvel album de Sonny Rollins : un carnet de route couvrant une vingtaine d’années, une anthologie concertée. Avec des merveilles (You’re Mine you), des haikaï élégiaques (Professor Paul) et le final très attendu, un long Solo absolu enchaînant sur Don’t Stop the Carnival, le calypso de Trinidad que lui chantait sa mère. Depuis le 20 novembre 2012 – date du dernier concert à Barcelone de sa dernière saison européenne –, le « Saxophone Colossus » n’est plus venu dans le Vieux Monde. Décrochant son téléphone, dimanche 3 avril : « J’avais le désir de revenir en Europe l’an dernier. Mais ma respiration ne me le permet pas encore… Je ne désespère pourtant pas de retrouver bientôt tous mes moyens et de pouvoir le faire. » « Waow ! j’aurais “bonne voix” dites-vous ? » L’expression le fait rire d’un rire sonore : « Oui, je vous en remercie, j’ai bonne voix. Dans l’ensemble, je me sens bien. La question, la seule question, c’est le souffle. » L’improvisation absolue Qu’irait-il fabriquer en studio à son âge ? « Lors de ma première entrée en studio, en 1948, avec Babs Gonzales, puis, très vite, J. J. Johnson, Max Roach, Miles Davis, Thelonious Monk, on faisait deux prises et c’était dans la boîte. Sans la moindre possibilité de doubler, reprendre, corriger ou effacer. Jamais je ne me suis senti si libre, si peu inhibé. » Puisque l’âge d’or des chefs-d’œuvre est bouclé, Sonny Rollins a donc choisi la voie étroite. Celle de l’improvisation absolue en scène. Des récitals uniques en leur genre : quelques dates ; quelques lieux bien-aimés ; les plus grands festivals ; des cérémonies avec un orchestre immuable pour cadre sûr ; des sortes de fêtes de l’énergie, de la fureur, de la joie et de la sincérité… Une autobiographie musicale sans exemple. Dans le choix effectué avec Richard Corsello, l’ingénieur de confiance, se succèdent une dizaine de sélections. Ni ordre chronologique, encore moins thématique : de Londres (2007) à Boston, quatre jours après le 11 Septembre 2001, en passant par Marseille, Pori (Finlande) ou Paris (souvenir ancien de l’Olympia, en 1996). Le 11 septembre, il était à New York, pas loin des Towers, avec sa précieuse Lucille. Il voulait annuler Boston. C’est elle qui l’a poussé à jouer le concert. Elle qui le guidait. Elle est morte aussi, en 2004. Et rien n’est plus comme avant. « Vous savez, c’est très difficile pour moi, de me réécouter, de procéder à ce tri et de trouver un sens. Je suis face à des milliers de bandes. Je dois tout supporter. Je le fais, mais décider m’est réellement pénible. Je préfère tellement jouer ! » On le sent à fond dans In a Sentimental Mood (Londres), composé « C’est très difficile pour moi, de me réécouter, de procéder à ce tri et de trouver un sens » SONNY ROLLINS Sonny Rollins, en 2008. OLIVIER MONGE/MYOP et enregistré par Duke Ellington en 1935. A la fin, orchestre muet, Rollins le déplie, le tord dans tous les sens, l’offre cubiste sous tous ses angles, dans un stupéfiant « stop-chorus ». Lui, Sonny, il l’a gravé dès 1953 avec le Modern Jazz Quartet. Il y revient toujours. En 1978, avec McCoy Tyner, le pianiste de Coltrane, lequel l’avait superbement enregistré avec Duke… Vous voulez savoir ce qu’est le « jazz », ce mot un poil raciste dont aucun de ces seigneurs ne veut ? Vous prenez toutes les versions possibles de In a Sentimental Mood. Avec Internet, c’est facile. En prime, grâce aux extraordinaires moyens modernes, le son est celui d’un canard sentimental. « En scène, j’aime le rapport direct d’être humain à être humain. J’aime m’adresser directement à des personnes que je vois, là. Sans répétitions, sans trafic, juste dans l’art de la communication immédiate. » S’il y a une perte, entre le sentiment de la scène et l’écoute ? « Corsello est formidable. Il a un goût très sûr. Cela dit, quand je réécoute, tout est complètement différent. Ce n’est jamais aussi parfait que je le désire… » « Vous savez que le désir de la perfection est ce qui a mené l’humanité à sa perte : religions, totalitarismes, systèmes, tout le prouve ? – Je sais, oui, je sais. C’est en partie ce qui m’a conduit à pratiquer le bouddhisme et le yoga zen. Je sais, mais je suis assez stupide pour rechercher encore et toujours la perfection : dans ma vie, dans l’envie d’être une meilleure personne, dans le souci de l’Autre, chaque jour… – Vous pratiquez le ténor tous les jours ? – J’essaie, mais je ne peux plus. Parfois, je manque de souffle. – Comment pensez-vous à la mort ? – Sans m’en faire… La mort et la vie sont une même chose… Mais j’y pense. Rien de plus normal. Rappelez-vous ceci, l’esprit, lui, ne meurt jamais. Le corps, sans doute, mais ne vous bilez pas, l’esprit est là pour l’éternité. – Si je peux me permettre, c’est un peu le corps qui joue le saxophone, non ? – Dans ce monde, sans doute. Mais l’esprit, on n’en a aucune idée, telle est l’erreur que commettent les gens. – L’un de vos maîtres, Mr Coleman Hawkins, a changé le cours de la Grande Musique noire avec son interprétation en solo de Body and Soul ? – Voilà, c’est une histoire de soul, d’âme si vous voulez, une histoire de soul à jamais. Une histoire de corps et âme… Vous comprenez pourquoi jouer, vivre, c’est chercher à être toujours plus universel… Vivre, jouer, avec générosité, donner… Se rapprocher de l’univers… Je ne peux rien prouver, mais je sais que c’est vrai. Tout tient dans une belle et bonne vie. Tout dans le don que vous faites aux gens. Vous, n’ayez pas peur de la mort ! – Alors, Don’t Stop the Carnival, please ! » p francis marmande Holding the Stage (Road Shows, vol. 4), 1 album Okeh/Sony Music. Une histoire vraie enin révélée Un Rigoletto désincarné et sans âme La nouvelle production du chef-d’œuvre de Verdi, présentée à Paris, à l’Opéra Bastille, souffre d’une mise en scène qui cumule les poncifs C’ LYRIQUE était un événement attendu. Lundi 11 avril, l’Opéra de Paris présentait une nouvelle production de Rigoletto, le premier chef-d’œuvre de la fameuse « trilogie populaire » de Verdi, avec Il Trovatore et La Traviata. Si l’histoire tourne mal pour le bouffon Rigoletto, elle commence plutôt bien pour le public, qui voit s’ouvrir sur scène une immense boîte en carton, laquelle va contenir (et expédier) tout l’opéra. L’autre bonne et immédiate surprise est la qualité d’un orchestre encore dopé à l’EPO wagnérien des récents Maîtres chanteurs. Sous la direction passionnelle du chef italien Nicola Luisotti, elle ne fera que se confirmer au fil du drame verdien, qui voit le bouffon dépossédé de son seul amour, sa fille Gilda, et la musique se renforcer d’une tension, d’un éclat et d’une expressivité que salueront les vivats d’une ovation finale. Il n’en va, hélas, pas de même pour la mise en scène de Claus Guth, dont la collection de poncifs et de déjà-vu laisse une impression de prématurément vieilli. L’image convenue d’une vidéo avec sa petite fille en robe blanche qui court dans les champs – elle se rapproche au fur et à mesure que Rigoletto évoque son amour dévorant pour Gilda, puis s’éloigne quand il ne peut la retenir dans la mort –, de même la démultiplication des doubles – Gilda en ballerines gigognes qui danse sur la pyramide des âges, Rigoletto et son vis-à-vis clochardisé, l’ombre d’un homme détruit qui ressasse à l’envi son traumatisme… Le talent reconnu du metteur en scène allemand Claus Guth laissait présager d’autres aventures que ces chœurs traités comme des caricatures de musichall (mais superbes vocalement), ces chorégraphies pseudo-naturalistes, cette direction d’acteurs sans relief. Manque de sueur, de larmes Sur le plan vocal, même défaut d’incarnation. La Gilda d’Olga Peretyatko possède une technique superlative et un timbre fruité (plutôt très concentré en vitamines), mais jamais l’émotion ne surgit dans le fameux « Caro nome » qu’elle développe en légiste assermentée de la vocalité. Guère de charme pour le Duc de Mantoue un rien factice de Michael Fabiano, qui promène ses aigus et sa morgue avec une décontraction stylistique que ne traduit pas toujours une ligne de chant au soutien parfois fléchissant, doublé d’une tendance à détimbrer (à moins que ce ne soit voulu). Peu à dire de sa « La Donna è mobile », morceau de bravoure joliment entonné avec la bandaison sans panache d’un Don Juan à la retraite (la reprise de l’air en coulisse après le meurtre de Gilda semblera se prévaloir de couleurs plus « italiennes » et d’un legato plus « pressant »). Pour être en possession d’un émouvant baryton aux belles teintes semi-voilées, le Rigoletto de Quinn Kelsey manquera, lui, de sueur, de larmes et de sang – en bref de puissance vocale et dramaturgique. Sa défaite ultime nous laissera spectateur. Rien à reprocher, en revanche, aux seconds rôles : la sensuelle Maddalena de Vesselina Kasarova (en maîtresse fétichiste), le glaçant Sparafucile de Rafal Siwek, tueur à gages aussi tranchant que sa lame, le Marullo acerbe de Michal Partyka, bras armé de la vengeance sociale. p marie-aude roux Rigoletto, de Giuseppe Verdi. Claus Guth (mise en scène), Teresa Rotemberg (chorégraphie), Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Nicola Luisotti (direction). Opéra Bastille, Paris 12e. Jusqu’au 30 mai. De 15 € à 231 €. Operadeparis.fr Diffusion en direct, dans les cinémas UGC, le 26 avril, sur France Musique, le 28 mai, à 19 h 08, disponible sur Culturebox, à partir du 27 avril. © Zero One ilm GmbH actuellement www.arpselection.com www.lecinemaquejaime.com 18 | culture 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Heureux comme un Français à Naples Sylvain Bellenger entend dynamiser le Musée Capodimonte, qu’il dirige avec ferveur depuis 2015 ART F rome - correspondant inalement, il a bien fait de ne pas écouter ses convictions. « J’ai toujours dit qu’il faut vivre en Italie mais ne pas y travailler. » Aujourd’hui, Sylvain Bellenger, 60 ans, directeur du Musée Capodimonte, à Naples, vit, travaille et paraît particulièrement ravi de son sort en Italie. Nommé au mois d’août 2015, nous l’avions rencontré dans un salon du ministère de la culture à Rome, le 15 septembre, où, en compagnie de vingt nouveaux directeurs, dont six autres étrangers, il était censé symboliser « la révolution culturelle » voulue par le gouvernement. Après un appel à candidatures international, celui-ci avait décidé de confier la gestion des plus importants musées péninsulaires à des personnalités alliant un solide bagage d’historien de l’art à une réputation de manageur, afin de concilier la conservation des œuvres et leur valorisation. « Une humiliation pour l’Italie », avait titré un journal se faisant le porte-parole de la frustration de fonctionnaires italiens. Sept mois plus tard, Sylvain Bellenger a oublié cet accueil frisquet. Le jour de sa prise de fonctions, il a trouvé sur son bureau une boîte de chocolats offerte par le personnel avec ces mots : « Benvenuto direttore. » « Etre français est un avantage. Nous avons une bonne réputation de gestionnaires et je ne peux pas être soupçonné d’avoir profité d’un passe-droit pour obtenir mon poste. Un Italien du Nord aurait eu plus de difficultés à s’imposer à Naples », dit-il. Oubliés les polémiques et les propos venimeux de ceux qui s’étonnaient qu’il n’ait dirigé que « des musées de province » en France (Montargis et Blois) ou « sans rapport avec la haute tradition picturale italienne » (Cleveland et Chicago). A l’un de ses détracteurs, Sylvain Bellenger a répondu : « Je suis normand, né à Valognes, et les Normands étaient à Naples bien avant les Italiens. » Depuis, on le laisse tranquille. Sa feuille de route est simple : faire de Capodimonte – ancienne résidence des Bourbons construite à partir de 1738, puis du prince Murat et enfin des ducs de Savoie −, situé à l’entrée d’un parc de 120 hectares, un des musées les plus courus d’Italie. En 2015, 150 000 visiteurs sont venus se confronter aux trois étages de collections, dont la célèbre collection Farnèse, où les Titien, les Masaccio, les Bellini côtoient les Caravage, qui voisinent eux-mêmes avec des dessins de Michel-Ange. Sans oublier les sections d’art napolitain et d’art contemporain, où trône une flamboyante version du Vésuve par Andy Warhol. « Il faudrait arriver à un million », lâchet-il sans paraître intimidé. Pourtant, cet objectif paraît inatteignable : il faut descendre à la 21e place pour trouver la trace d’un musée italien parmi les établissements les plus fréquentés du monde – celui des Offices, à Florence, avec 1,7 million de visiteurs par an. Son mandat de quatre ans, ses 200 employés et un budget (hors salaires et entretien) de 3 millions d’euros suffiront-ils à Sylvain Bellenger pour atteindre cet Everest ? Ouverture sur la ville et le monde Le premier des travaux du nouveau directeur est de faire connaître le musée aux Napolitains euxmêmes. A l’entrée du parc très fréquenté, il n’y a même pas un panneau qui signale sa présence. Il a fait tailler les arbres qui cachaient la vue sur le golfe. Dans quelques jours, une navette partira du centre-ville pour porter les touristes jusqu’à Capodimonte. Des négociations sont en bonne voie avec les croisiéristes – qui, chaque année, déposent des milliers de voyageurs sur les quais du port – pour inscrire la visite du musée à leur programme. Fort de ses contacts américains, Sylvain Bellenger veut également faire de son établissement un centre de recherche sur la « culture des grands ports », en association avec l’université du Texas, afin d’offrir 12 bourses d’études à des chercheurs internationaux. Egalement en projet, une exposition autour de Vermeer et une autre sur le court séjour de Picasso à Naples. « Capodimonte est un mélange de la Villa Médicis et de Central Park » SYLVAIN BELLENGER directeur du Musée Capodimonte à Naples « J’ai trouvé une équipe remarquable, se félicite Sylvain Bellenger. Très bien formée et compétente. Seul problème : il n’y avait ni organigramme ni salle de réunion. C’est un mode de fonctionnement très italien. » Après avoir importé un modèle d’organisation plus rationnel, il voudrait rendre le musée, structuré en grandes sections chronologiques, plus pédagogique, tourné vers le grand public. Les cartels des salles et des œuvres devraient prochainement porter la marque de ce changement. Et puis il y a le parc et ses 17 dépendances : une fabrique de porcelaine, une chèvrerie, un ermitage, dans lequel il voudrait accueillir une école d’horticulture. Mais il y a un « mais » : l’administration italienne, tentaculaire, tatillonne, tarabiscotée, qui épuise les meilleures volontés. « Aux Etats-Unis, une fois un projet accepté, toute la machine administrative se met à votre service. Ici, l’administration est une classe à part, autoréférentielle, qui a toujours raison, même contre les faits, qui se protège », regrette Sylvain Bellenger. On devine qu’il commence à souffrir… Sylvain Bellenger, à Naples, en avril. MICHELA PALERMO POUR « LE MONDE » Pas de deux raté de Jan Fabre en Grèce Michel Houellebecq expose son bulletin de santé C omment se porte Michel Houellebecq ? Malgré son visage creusé, sa bouche édentée et son teint décrépi, il pète la forme. C’est le docteur Henry Perschak, de la clinique privée Hirslanden de Zurich, qui l’assure. « Il sait, comme tous les grands fumeurs, qu’il joue à la roulette russe, mais bon, tout va bien », ajoute le médecin. Le bilan de santé de l’écrivain controversé n’a, a priori, pas lieu d’être rendu public. Sauf que l’intéressé a décidé de faire de son check-up une « installation artistique » qu’il présentera dans le cadre de la biennale européenne Manifesta, du 11 juin au 18 septembre à Zurich, à la même période que son exposition personnelle au Palais de Tokyo, à Paris, cet été. « Un ping-pong au ralenti » L’auteur français avait d’abord été invité à écrire un texte dans le catalogue de Manifesta. Le courant entre lui, l’artiste et le commissaire Christian Jankowski est si bien passé que ce dernier l’a invité à participer à l’événement en qualité d’artiste. Pour cela, il s’est plié au protocole imaginé par le curateur, à savoir collaborer avec un professionnel d’un champ différent du sien. « Il a su très vite ce qu’il voulait, raconte Georgina Casparis, membre de l’équipe curatoriale. Pour lui, une clinique privée helvétique était aussi énigmatique qu’une banque suisse. » Inversement, pour le médecin zurichois, Houellebecq avait tout d’une énigme. « J’avais lu des choses sur lui, mais il est loin de l’enfant terrible qu’on décrit dans la presse, rapporte Henry Perschak, qui l’a gracieusement examiné. Discuter avec lui, c’était comme faire un ping-pong au ralenti : il met du temps à répon- Patience et revanche « Naples vaut bien que l’on souffre pour elle », dit-il, philosophe et patient. C’est ici qu’il avait, en 2008, choisi de résider pendant une année entière pour amortir sa déception de ne pas avoir été choisi pour diriger l’Académie de France à Rome (Frédéric Mitterrand lui fut préféré). Aujourd’hui, il tient sa revanche et son morceau d’Italie : « Capodimonte est un mélange de la Villa Médicis et de Central Park. » Reste à le faire savoir. p philippe ridet Nommé en février curateur du Festival international d’Athènes et d’Epidaure, le Belge a été contraint de démissionner dre, parle calmement, de manière posée. Il est sarcastique, je n’irai pas jusqu’à dire cynique, et quand il rit, il me fait penser à Puck, le farfadet du Songe d’une nuit d’été. » En trois rencontres, l’affaire était pliée. « La première fois, je lui ai demandé : “Allons-nous parler d’art ?” En fait non, lui voulait parler médecine, poursuit le généraliste. C’est un sujet qui le fascine. Il m’a dit qu’il aurait voulu être médecin. » Lors de leur premier tête-à-tête, l’auteur de Sou« CE QUI mission (Flammarion, 2015) lui présente l’IRM de son L’INTÉRESSE, cerveau ainsi qu’une angioC’EST LE FLUX graphie récente. A priori rien à signaler. Suivront DU SANG, deux autres rendez-vous où le praticien pousse plus loin LES BATTEMENTS les examens. « Ce qui intéDU CŒUR » resse Michel Houellebecq, c’est le système sanguin, le HENRY PERSCHAK flux du sang, les battements médecin du cœur, confie-t-il. Il était fasciné par le son du doppler, qu’il a enregistré pendant plusieurs minutes. » D’aucuns verront dans l’étalage de ses résultats médicaux une énième preuve du narcissisme d’un auteur qui, après avoir semé le trouble dans les cercles littéraires, s’attaque à une sphère artistique qu’il avait passablement égratignée dans son livre La Carte et le Territoire (Flammarion, 2010). « Exhibitionniste ? Je ne suis pas sûr, tempère Henry Perschak. Il a eu des moments de doute. Je ne crois pas qu’il aurait montré les résultats s’il avait été malade. » p roxana azimi DANSE athènes – correspondance L’ affaire Jan Fabre », comme on l’appelle désormais en Grèce, laisse un goût amer, le sentiment d’un rendezvous raté. Le 10 février, à la surprise générale, l’artiste belge est nommé par le ministre de la culture grec, Aristide Baltas, curateur du Festival international d’Athènes et d’Epidaure, qui existe depuis plus de soixante ans. Ce dernier est le principal pourvoyeur de subventions et d’emplois pour des artistes grecs malmenés par la crise économique. On promet alors à Fabre un budget annuel de 5 millions d’euros et une « carte blanche » sur ses choix artistiques. Il a fallu faire vite. Un mois et demi plus tôt, Georges Loukos, président depuis 2006 du festival, qu’il avait entrepris de réformer, a été limogé, accusé d’avoir mal géré les finances et entraîné des pertes de 2,7 millions d’euros. Il ne restait que quelques mois avant le début du festival, en juin. Aristide Baltas espère alors, en choisissant Jan Fabre, élargir le profil international du festival. Echaudée par le licenciement brutal de Loukos, mais curieuse de l’animal artistique qu’est Fabre, innovateur et provocateur, la scène culturelle grecque attend l’annonce de la programmation. C’est la stupeur. Lors d’une conférence sur invitation, accompagné du ministre grec de la culture et entouré de son staff, exclusivement flamand, Fabre dévoile son programme. Des spectacles 100 % belges la première année, avec Fabre lui-même à Epidaure. Et puis du Fabre en 2017, en 2018, en 2019… Pas ou peu d’artistes grecs. Jan Fabre prévoit de les former aux subtilités de la création belge dans une académie pour jeunes artistes. Une condescendance qui blesse. « Relents colonialistes » L’écrivaine Mari-Mai Corbel, qui vit et travaille en Grèce, écrit alors : « Jan Fabre, par son ignorance de la situation grecque, n’a pas mesuré ce que son projet pouvait avoir de relents colonialistes nauséabonds dans le contexte politique et historique grec. » Le 1er avril, près de 500 artistes se réunissent au théâtre Sfendoni d’Athènes. Ils déclarent Jan Fabre persona non grata et demandent sa démission ainsi que celle de ses collaborateurs. Ils exigent aussi le départ du ministre de la culture. Le lendemain, Fabre démissionne et dénonce, amer, « un milieu artistique hostile ». Trois jours plus tard, en catastrophe, le metteur en scène grec Vangelis Theodoropoulos est nommé nouveau curateur du festival. Fin de l’acte I. Mais la blessure est profonde. Jan Fabre répond le 8 avril, dans une lettre ouverte aux artistes grecs. « Si vous invitez un artiste multidisciplinaire à devenir le curateur d’un festival, ne vous attendez-vous pas à ce qu’il présente son univers ? », plaide-t-il. Quant à la question de la sous-représentation de la création grecque, Jan Fabre souligne qu’étant conscient, avec son équipe, de leur « méconnaissance » de la scène artistique nationale, il a fait le choix d’opérer une sélection internationale pour la première année. Mais, dit-il, « nous avons demandé qu’un curateur artistique grec soit engagé pour sélectionner les créations grecques pour 2016 (…), ce qui a été rejeté par le conseil d’administration du festival ». L’affaire Jan Fabre continue de susciter la polémique en Grèce, puisque, désormais, ce sont les dessous des nominations à divers étages du festival qui font débat. A trois mois d’ouvrir ses portes, celui-ci fonctionne en roue libre. p adéa guillot télévisions | 19 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Luz Long et Jesse Owens, amis envers et contre tout VOTRE SOIRÉE TÉLÉ Aux Jeux de Berlin, en 1936, les deux champions, l’un blanc allemand, l’autre noir américain, vont défier le régime nazi PLANÈTE + JEUDI 14 – 20 H 45 DOCUMENTAIRE C’ est une simple photo en noir et blanc. L’un des rares documents encore visibles d’un événement étonnant survenu le 4 août 1936 à Berlin. Les Jeux olympiques, organisés depuis le 1er août par le pouvoir national-socialiste, se déroulent parfaitement après que les rues de Berlin ont été débarrassées des affiches antisémites pour ne pas effrayer les touristes venus du monde entier. Dans un stade rempli, deux hommes, allongés par terre, fixent en souriant les objectifs, après leurs essais respectifs en saut en longueur. Image banale de deux athlètes après l’effort ? Bien plus que cela. L’un est noir américain, l’autre blond aux yeux bleus, citoyen du Reich et fier de l’être. Jesse Owens et Luz Long, immenses champions, s’admirent mutuellement et ne s’en cachent pas. Une proximité qui, à Berlin, en 1936, sous les yeux du Führer et d’un aréopage de dirigeants nazis installés dans la tribune officielle, ne passe pas inaperçue. Si Hitler a refusé de serrer la main du champion noir, le documentaire rappelle que Roosevelt ne recevra pas à la Maison Blanche le futur quadruple médaillé d’or de Berlin. A quelques Luz Long et Jesse Owens, le 4 août 1936, à Berlin. LA CUISINE AUX IMAGES PRODUCTIONS jours d’une élection dans les Etats du Sud, cela aurait pu lui coûter de précieux votes… Un outil de propagande Ce documentaire, riche en archives et témoignages, revient sur cette amitié entre deux champions que le vent de l’Histoire aurait pu emporter. Mais, au-delà du symbole, l’intérêt est de remet- tre en perspective ce qu’a été la préparation des athlètes américains et allemands avant ces Jeux, de détailler l’ambiance qui régnait à Berlin pendant l’événement et de rappeler que les 18 athlètes noirs américains sélectionnés avaient droit à un régime spécial : les Blancs d’un côté, les Noirs de l’autre. D’où l’étrange paradoxe qui voit Jesse Owens, victime du racisme depuis sa naissance, découvrir la tolérance dans les rues de Berlin, où la foule acclame l’immense champion qu’il est ! Et au village olympique, dans la banlieue berlinoise, tous les athlètes – noirs, blancs ou métis – sont mélangés. Pour Jesse Owens, c’est une révélation. Agé de 22 ans, il est déjà un champion exceptionnel. Ses ex- ploits dans plusieurs disciplines (100 mètres, 200 mètres, saut en longueur) lui ont permis de devenir le premier Afro-Américain à faire la « une » de la presse américaine en 1935. Elégant, souriant, l’homme est un bon client pour les médias. Le petit-fils d’esclave est devenu un athlète sortant de l’ordinaire à Cleveland (Ohio), où sa famille, qui fuit la misère du sud des Etats-Unis, s’est installée. De l’autre côté de l’Atlantique, Luz Long est son contraire : issu d’une famille bourgeoise de Leipzig, en Saxe, il vit dans un manoir, où ses performances sportives lui permettent, à 16 ans, d’intégrer le célèbre Leipzig Sport Club. Très vite, il deviendra un athlète adulé, dans un pays où le nouveau régime utilise le sport comme un efficace outil de propagande. En ce 4 août, les deux champions vont discuter amicalement avant les dernières épreuves de saut en longueur. Lors du dernier essai, Owens pulvérise tous les records avec 8,06 mètres. Le premier à lui tomber dans les bras est Luz Long. L’Allemand mourra au combat, en Sicile, à l’âge de 30 ans. L’Américain évoquera son ami berlinois jusqu’à la fin de sa vie, en 1980. p Jesse Owens et Luz Long, le temps d’une étreinte, de Véronique Lhorme (France, 2015, 50 min). David Muntaner prend la ville allemande pour cadre pour relater l’impitoyable affrontement entre la CIA et le KGB L es ambitions des Etats-Unis et de l’Union soviétique étaient trop universelles pour être conciliables. Lénine l’avait dit : « Ce sera eux ou nous. » Après la capitulation de l’Allemagne nazie, le 8 mai 1945, la guerre froide prend le pas sur l’alliance entre Américains et Soviétiques. Pendant près de quarante-cinq ans, de l’Iran au Vietnam en passant par l’Angola, se jouera une guerre entre les services secrets des deux superpuissances. David Muntaner, réalisateur de ce « Duel », a fait le choix judicieux d’en fixer l’intrigue à Berlin. Des anciens espions de la CIA, du KGB et du service est-allemand, la Stasi, retracent l’histoire des opérations d’espionnage et d’intoxication menées de part et d’autre. En 1945, les Soviétiques ont une longueur d’avance. Dès 1917, ils se sont dotés d’un service de renseignement, la Tchéka, qui deviendra le KGB en 1954. Si les Américains ont mis sur pied un bureau de ren- seignement entre 1942 et 1945 (l’OSS), il faut attendre 1947 pour que soit créée une agence centralisée, la CIA. Un tunnel sous Berlin Peter Sichel, patron de la CIA à Berlin, raconte comment ses renseignements ont permis d’organiser, entre juin 1948 et mai 1949, le plus grand pont aérien de l’histoire. Pendant le blocus de Berlin imposé par les Soviétiques, près de 280 000 vols permettent d’acheminer plus de deux millions de tonnes de fret. Le KGB se montre plus redoutable dans le contre-espionnage. En 1954, le triple agent George Blake lui révèle l’existence d’un tunnel creusé sous Berlin par la CIA pour écouter ses conversations téléphoniques. La Loubianka (siège du KGB) bénéficie également des renseignements de l’agent secret est-allemand Günter Guillaume, infiltré au sein du cabinet du chancelier ouest-allemand Willy Brandt et démasqué en 1974. Mais en 1983, les Américains lancent l’initiative de défense stratégique, dite « guerre des étoiles ». TF1 20.55 Falco Série créée par Clothilde Jamin. Avec Sagamore Stévenin, Clément Manuel, Anne Caillon (Fr., saison 4, ép. 3 et 4/8). 23.05 New York, unité spéciale Série créée par Dick Wolf. Avec Christopher Meloni, Mariska Hargitay (EU, S10, ép. 11/22). France 2 20.15 Dialogue citoyen avec François Hollande En direct du Musée de l’Homme à Paris. Animé par David Pujadas, Léa Salamé et Karim Rissouli. 22.25 Un œil sur la planète « Afrique, le pari de la réussite ». Magazine présenté par Samah Soula. France 3 20.55 The Missing Mini-série créée par Jack Williams et Harry Williams. Avec James Nesbitt, Frances O’connor (GB, S1, ép. 1 et 2/8, 2 × 55 min). 23.35 La France des grands patrons Documentaire de Laurent Jaoui (Fr., 2014, 75 min). alain constant Berlin, un nid d’espions en pleine guerre froide FRANCE 5 JEUDI 14 – 22 H 20 DOCUMENTAIRE J E UD I 14 AVR IL L’URSS vacille. Les dirigeants soviétiques sont persuadés que l’affrontement nucléaire est imminent, lorsque l’OTAN amorce de grandes manœuvres militaires en novembre 1983. Le KGB intervient pour éviter le pire. A Berlin-Ouest, du haut de la « montagne du diable », station d’écoute haute de 120 mètres, les Américains savent alors que la victoire est proche. p antoine flandrin KGB-CIA, au corps-à-corps, de David Muntaner et Philippe Levasseur (Fr., 2015, 52 min). Canal+ 21.00 The Affair Série. Avec Dominic West, Ruth Wilson (EU, S2, ép. 9 et 10/12). 22.55 L’Emission d’Antoine Animé par Antoine de Caunes. France 5 20.50 La Grande Librairie Magazine animé par François Busnel. 22.20 Duels « KGB-CIA, au corps-à-corps ». Documentaire de David Muntaner (Fr., 2015, 52 min). Arte 20.55 Our Girl, Molly une femme au combat Série. Avec Lacey Turner, Kerry Godliman, Sean Gallagher (GB, S1, ép. 5 à 7/7, 3 × 45 min). 23.40 Solness le constructeur Téléfilm de Michael Klette. Thomas Serbacher, Julia Schacht (All., 2015, 105 min). M6 20.55 Scorpion Série. Avec Elyes Gabel, Katharine McPhee, Alana De La Garza (EU, S2, ép. 8/24 ; S1, ép. 5 à 8/22). 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT GRILLE N° 16 - 089 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII I. Met tout le monde aux pas. II. Un bon coup pour les bons descendeurs. Morceau d’intestin grêle. III. Grande page d’histoire. Ses pointes sont souvent mordantes. IV. Interdit sur les lots et sur la toile. Luth à trois cordes. V. Victime d’un coup de soleil. Criai comme un porteur de bois. VI. Entretient la confusion. Personnel. Région. VII. Belle saison. Blesser en venant de la droite. Le temps de faire un tour. VIII. Pour tirer droit. Savait choisir ses robes avec soin. Epuise totalement. IX. Crevant. Violente ou amusante, elle se moque. X. Arrachements au bloc. du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. 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Gagne-petit au jeu et en afaires. 3. Alimente le vannier. Finit sa course à Gravelines. 4. En rade. Espace de culture. Fin hollywoodienne. 5. Fait paraître. Ça barde pour lui. 6. S’occupa des problèmes. Divise le yen. 7. Font peur aux enfants. Structure d’entreprise. 8. Arrivée en premier. Sa grâce ne dure qu’un temps. 9. Facile à prendre quand il est mauvais. Ecrasé. 10. Sœur de Zeus, restée vierge. Grande en Amérique. 11. La plus petite chez les Grecs. Marque de passage. 12. Du genre gonlantes. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 0123 hors-sé ÊTRE FRANÇAIS rie Êtreais franç textes Les grands Edgar Morin uieu à de Montesq uveaux déis Les no 60 auteurs 40 dessins DE LES GRANDS TEXTES MONTESQUIEU À EDGAR MORIN LES NOUVEAUX DÉFIS Un hors-série du « Monde » 164 pages - 8,50 € chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») 20 | styles 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 les flashs d’anne valérie hash Toute en nonchalance et en mélange de styles, la créatrice a su devancer l’air du temps. Une exposition à Calais retrace treize ans de travail I MODE l n’y a pas si longtemps, Anne Valérie Hash présentait ses collections chez elle, dans cet ancien restaurant du boulevard BonneNouvelle, le Marguery, tout en miroirs et dorures, où Zola faisait des lectures. Rare femme à prendre part aux défilés haute couture, elle a, au début des années 2000 et pendant treize ans, occupé une place à part. Travailleuse acharnée, souriante et disponible, aussi concentrée que chaleureuse, couturière hors pair qui dessine ses silhouettes à l’aiguille plus qu’au crayon, fine connaisseuse des textiles et de la technique tailleur, elle dégage une joie bienfaisante et reste indéfectiblement optimiste, même quand elle a dû annoncer qu’elle stoppait l’activité de sa maison en décembre 2013. « Mon défilé de septembre 2013 s’intitulait “Pause”, car je savais que j’allais en faire une. Je n’avais pas réussi à trouver mon binôme business, et je voulais m’occuper de moi et de ma famille. Il n’y a pas beaucoup de femmes indépendantes dans ce métier, avec deux filles et un mari qui travaille à Rungis… Je devais assumer quatre défilés de prêt-à-porter par an et une ligne enfant. Il fallait que je digère aussi la vitesse à laquelle allaient désormais les choses, avec Internet notamment. Plutôt que de risquer d’abîmer la marque, je me suis dit que je reprendrais quand l’énergie serait à nouveau là. » Entre janvier et mai 2014, elle se met à prendre en photo toutes ses archives et à faire des « boîtes » sur le cloud : un look sur Stockman, les photos de presse ou de pub qui l’accompagnent, le film du défilé. Tout est bien rangé, uniquement à usage personnel, pour clore l’histoire le plus proprement possible. Elle entre alors en relation avec Sylvie Marot, via LinkedIn, pour peaufiner l’archivage. La spécialiste des patrimoines de mode voit tout de suite le potentiel de ce petit trésor et pense à en tirer une exposition (dont elle a assuré le commissariat et la direction éditoriale). « J’avais peur que ce ne soit pas compris, et aussi peur de présenter quelque chose alors que je n’avais rien à vendre sauf le livre de l’expo ! », raconte Anne Valérie Hash qui, depuis l’arrêt de sa marque, a assuré la direction artistique de Comptoir des cotonniers entre juin 2014 et décembre 2015 (sa dernière collec- Blouse d’organza à manches soufflées plissées, haute couture hiver 2008, Anne Valérie Hash. FABRICE LAROCHE tion pour l’enseigne arrivera en boutique cet automne). Voir son travail avec quelques années de recul le replace étonnamment au cœur des enjeux stylistiques actuels : le masculin-féminin, les volumes chahutés qui arrêtent l’œil et interrogent le bon goût, l’« upcycling », l’idée d’un luxe cool. L’exposition nichée dans l’aile moderne de la Cité internationale de la dentelle et de la mode, à Calais, échappe à l’exercice patrimonial empesé. La scénographie fait passer le visiteur de la lumière des émouvantes toiles de haute couture à l’ombre des « caissons-vitrines » noirs (sans verre pour réduire la distance entre le vêtement et le visiteur). Une robe en 162 morceaux Sur les cartels, la description des pièces indique le nombre de « morceaux » de tissu nécessaires à leur composition. Pour exemple, cette robe origami en compression de tulle de soie plissée, vingt-sept morceaux et six épaisseurs, donc 162 morceaux. Les textes précis et bien troussés de Sylvie Marot valent la peine d’être tous lus, et les vidéos patiemment regardées. Les photos de Fabrice Laro- che et Michelangelo di Battista dégagent quant à elles une grâce sans nostalgie. Elles montrent aussi combien il faut voir ces vêtements portés pour que leur complexité structurelle et leur nature masculine n’étouffent pas la sensualité et la féminité qu’Anne Valérie Hash fait jaillir des pantalons et vestes de costume, transformés en robe, en « chemise renversée » ou en « jumpsuit ». Quand elle défilait, Anne Valérie Hash ne faisait pas partie des branchés. Elle n’était sûrement pas assez snob. Pourtant, si les vestiaires pouvaient parler, on aimerait entendre aujourd’hui ce que dirait le sien à ceux de Jacquemus, de Demna Gvasalia pour Balenciaga, de Marques’Almeida ou de Koché… Cette exposition-témoignage est intéressante, voire nécessaire. Sans elle, qui entendrait encore la voix si personnelle d’Anne Valérie Hash ? Qui percevrait cette rage mise dans la décomposition des vêtements (treillis acheté aux puces, déguisement de clown pour enfant, sarouel rapporté du Maroc, costume d’homme, robe de baptême…), et cette liberté folle dans la recréation de pièces qui tournent, vrillent, flottent, VOIR SON TRAVAIL AVEC QUELQUES ANNÉES DE RECUL LE REPLACE ÉTONNAMMENT AU CŒUR DES ENJEUX STYLISTIQUES ACTUELS dégueulent ? Qui apprécierait le soin qu’elle pouvait mettre à soigner le dos de ses tenues alors que tout le monde lui disait « laisse tomber, on s’en fout du derrière, on ne shoote que l’avant » ? Au fil du parcours, les plissés de Lognon jouxtent la passementerie-broderie d’Annette Gabelle, le tissu le plus léger du monde (5 grammes le mètre) voisine avec un tissu de sport recouvert de dentelle. Dentelle omniprésente chez Anne Valérie Hash, qui la poussait souvent dans les derniers retranchements de sa délicatesse en la confrontant aux étoffes masculines ou en lui accrochant un gros zip, dans un équilibre magique et précaire. A 43 ans, la créatrice, qui avait repéré Lou Lesage dans la rue quand elle était enfant et avait fait d’elle sa muse, son modèle, sa partenaire de jeu, est loin d’avoir réalisé toutes ses envies. La dernière : trouver une riche collectionneuse qui, régulièrement, achèterait les cent vêtements ou accessoires de mode repérés sur les podiums et qui lui auraient « remué le cœur ». Elle énumère avec gourmandise : « Il y aurait, rien que sur la saison dernière, du Vetements, du Comme des garçons, du Loewe… En taille 36, 38, 40. Et moi, dans cinq ans, j’ouvre une boutique à l’opposé d’une logique “vintage et pièce unique”, mais en considérant le vêtement comme du vin qui se bonifie et peut mieux se comprendre avec le temps. » Dans cette boutique idéale, sa couture de l’hiver 2003 ne dénoterait pas auprès des collections automne-hiver 2016-2017 des marques les plus pointues. p caroline rousseau « Anne Valérie Hash. Décrayonner », jusqu’au 13 novembre à la Cité internationale de la dentelle et de la mode, 135, quai du Commerce, 62100 Calais. Cite-dentelle.fr Jeremy Scott, la pop attitude selon Longchamp Depuis dix ans, le maroquinier français collabore avec le Californien le plus kitsch de la mode M Jeremy Scott, lors du lancement du sac « Greetings from Hollywood », à Los Angeles, en novembre 2015. LONGCHAMP arilyn Monroe fait la moue sous les feux des projecteurs, devant l’iconique cinéma le Théâtre chinois de Grauman, à Los Angeles, pendant qu’au loin, King Kong escalade la tour de la maison de disques Capitol Record Buildings, femme hurlante au poing. Cette saynète digne d’une bande dessinée est ornée des mots « Greetings from Hollywood » (un équivalent de « bons baisers de Hollywood »). C’est avec cette carte postale imprimée sur son fameux sac Pliage que la marque française Longchamp a fêté cette année le dixième anniversaire de sa collaboration avec le créateur californien Jeremy Scott. « Je voulais rendre hommage à la ville que je considère comme ma maison », explique le styliste, qui, depuis une décennie, dresse un portrait de l’Amérique de ses fantasmes pour la griffe parisienne. La maison, plus BCBG qu’underground, approche le créateur à l’es- thétique très pop en 2005, pour tenter un grand écart entre deux univers que tout semble opposer. Le premier modèle, épuré dans la forme et explosif par son ornement, rencontre un vif succès : le sac Pliage (un best-seller depuis vingt et un ans) comporte alors les inscriptions « This is not your bag » (« ceci n’est pas votre sac ») et « Fragile », inspirées des tampons d’aéroport. Dès lors, Jeremy Scott crée un sac Pliage par saison, mettant en scène une ribambelle de références puisées dans la culture populaire américaine – souvent osées car synonymes de kitsch ou de mauvais goût sur le marché français. On peut notamment penser à ses imprimés de cartes bancaires très bling-bling, de dollars, de madballs (balles rebondissantes aux visages de monstres pour enfants), qui apparaissent dans ses propres collections, ou encore de signes astrologiques. Le dernier modèle, attendu pour l’été et en vente dès début mai, représente des combinés téléphoniques vieille génération à cordon en spirale pour d’ironiques « appels longue distance ». Un canevas personnel Pour Scott, « la source d’inspiration est aussi aléatoire que la couleur du véhicule de location que je conduis ou aussi connue que Barbie ». Ainsi, ce sac épuré devient une sorte de canevas personnel, que la directrice artistique de la maison, Sophie Delafontaine, s’attache à retranscrire « à travers le savoir-faire de la maison », dit-elle, ajoutant que « son sens de l’humour parle à tout le monde, il réussit à être drôle sans pour autant tomber dans la vulgarité, ce qui est une qualité rare ». Un décalage entre chic européen et sensibilité postmoderne qui fait des émules, puisque Jeremy Scott a été nommé à la tête de la création de Moschino en 2013, où il produit des collections tout aussi ludiques. « Offrir aux artistes un territoire d’expression est aussi une façon pour Longchamp de dépasser ses limites », explique le directeur général et petitfils du fondateur de la marque, Jean Cassegrain, qui n’en est pas à sa première collaboration avec des créatifs d’univers très variés. Par le passé, la marque a travaillé avec l’artiste britannique féministe Tracey Emin, la top model Kate Moss, ou encore la styliste grecque avant-gardiste Mary Katrantzou. Dernière carte blanche en date, et non des moindres : pendant les travaux de la boutique historique du 404, rue Saint-Honoré à Paris, qui s’achèveront fin juillet, l’immeuble d’angle du XVIIIe siècle est recouvert d’une bâche gigantesque qui a servi de toile à l’artiste new-yorkais Ryan McGinness. Une œuvre XXL, colorée et foisonnante, qui, comme les sacs de Scott, est loin de passer inaperçue. p alice pfeiffer disparitions & carnet | 21 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Frédéric Badré Ecrivain Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Naissance En 2003. HANNAH ASSOULINE/ M. et Mme Christopher DEMETROPOULOS OPALE/LEEMAGE F rédéric Badré, critique, écrivain et peintre, est mort à Paris, le 5 avril, à l’âge de 50 ans. Il souffrait depuis 2012 de la SLA, une maladie orpheline – appelée aussi maladie de Charcot. Dans La Grande Santé (Seuil, 2015) son dernier et magnifique livre (qui fut aussi son premier ouvrage de création littéraire) écrit avec son index replié dans l’application Note de son iPhone, l’écrivain racontait sa résistance à la maladie à travers l’écriture. Comme Hervé Guibert dans son journal d’hospitalisation (Cytomégalovirus, Seuil, 1992), Frédéric Badré note le pire de ce qui lui arrive : sa langue qui se ramollit et menace sa parole, le risque que son diaphragme faiblisse, l’empêchant alors de respirer. « Mon corps se suicide », constate-t-il. La littérature constitue peut-être la seule issue pour espérer dépasser mentalement cette effroyable maladie. Car pour Badré, cette quête de l’absolu littéraire fut l’aventure de toute une vie. Et bien avant la SLA qui l’emporta. Né le 6 mai 1965 à Versailles (Yvelines), après des études d’histoire, Frédéric Badré s’intéresse d’abord à la bibliophilie, avant de se consacrer à la littérature d’une façon militante en créant une revue littéraire, dans la continuité de La Nouvelle Revue française (NRF) de Jean Paulhan – à qui il consacra une biographie en 1996 (Paulhan le juste, Grasset). C’est en 1997, avec les écrivains Yannick Haenel et François Meyronnis, qu’il fonde Ligne de risque, publication radicale dont l’enjeu consiste à dépasser le nihilisme, qui, pour Badré, est le fléau de l’époque. Dans L’Avenir de la littérature (Gallimard, 2003), l’écrivain dresse un portrait peu réjouissant de la vie littéraire : « Sur une planète ficelée par la toile invisible du réseau, arraisonné par le virtuel, le nihilisme marchand règne en maître. » Redoutable sens critique Contre l’épuisement des avantgardes et le retour du roman français gouverné par le « subjectivisme le plus rabougrissant », la revue Ligne de risque ambitionne de « rouvrir l’histoire de la littérature », en injectant autant d’exigence de pensée que de poésie dans l’aventure des textes. S’il n’écrit pas encore de récit, ou de roman, dans L’Avenir de la littérature, Badré fait preuve d’un redoutable sens critique. Il explore un espace littéraire qui oscille entre un amour absolu de la littérature et l’intuition de son déclin contemporain. Il se passionne notamment pour l’écrivain Bernard partagent avec 6 MAI 1965 Naissance à Versailles (Yvelines) 1996 « Paulhan le juste » (Grasset) 1997 Création de la revue « Ligne de risque » 2003 « L’Avenir de la littérature » (Gallimard) 2015 « La Grande Santé » (Seuil) 5 AVRIL 2016 Mort à Paris Lamarche-Vadel, aussi génial que désastreux (il programma son suicide dans ses textes), dont il signe en 2000 la nécrologie dans Le Monde. A travers ce maître noir, Frédéric Badré perçoit « la désolation du Temps ». Pour Yannick Haenel, après avoir écrit ce livre, l’écrivain en tire une conséquence majeure : « la littérature française est arrivée à un moment terminal, nécessitant une renaissance », explique-t-il. Badré se tourne alors vers le dessin, et la peinture, sans doute, en reprenant le mot de Henri Michaux, pour « se déconditionner du verbal ». Croquis, portraits saisis sur le vif et dessinés au Bic, souvent dans des cafés en attendant la sortie de classes de ses enfants, l’écrivain s’adonne à cette nouvelle discipline avec l’humilité et le détachement d’un amateur. En silence, il rend hommage à Jean Paulhan ou encore Bernard Lamarche-Vadel, dessinant leurs visages. « En dessinant au stylo à bille, il continue, en un sens, à écrire, témoigne Yannick Haenel, mais c’est une écriture dégagée de la lettre, et de sa dangereuse intransitivité, une écriture adaptée à ses nerfs : agile, souple, ronde. Il écrit : “Mes dessins écrivent ma vie par d’autres moyens. Dessiner (disegnare) est l’autre verbe pour méditer”. » Est-ce l’irruption de la maladie qui rend à nouveau possible l’écriture ? L’expérience littéraire de La Grande Santé est sidérante. Quelques semaines avant de mourir, Frédéric Badré, anéanti par la maladie, n’a cependant pas encore cessé d’écrire. Il remet à la NRF un texte qui s’appelle « L’Intervalle », extrait d’un nouveau livre en cours. « L’intervalle, c’est le nom que Saint-Simon donnait à l’espace qui sépare la vie de la mort », explique sur son blog Michel Crépu, le directeur de la revue. Sans pathos, Badré réactive sa mémoire esthétique (de belles pages sont consacrées à Venise), tout en décrivant la décrépitude de son corps. « Je chemine dans la maladie avec des objectifs modestes. Ainsi, j’essaie d’ajuster ma tête et mon corps. En somme, c’est peut-être une bonne définition de la vie. » p amaury da cunha Danaë et Théofanis ont la tristesse de faire part du décès de M. Edouard HAYAT, survenu le 10 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-treize ans. Ses obsèques ont eu lieu le mercredi 13 avril, à 12 heures, au cimetière du Montparnasse, 3, boulevard EdgarQuinet, Paris 14e. Nicole HESSE, veuve LEVIN, médecin psychanalyste, croix de guerre 1939-1945, médaille de la Résistance, médaille des Evadés, à Zürich, en Suisse, le 19 mars 2016. Décès Francis et Sylvie, Martine et Philippe Hénon, Arnaud et Pascale, Pascal, Laurent et Annie, Eric et Christine, ses enfants, Ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants, Les familles Bordet, Barré, Malbrancke et Oudin, ont la tristesse de faire part du décès de M. Claude BORDET, premier ingénieur géologue à l’EDF, survenu le 9 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. La célébration religieuse aura lieu en l’église de La Trinité-sur-Mer, le samedi 16 avril, à 14 h 30, 12, rue du Latz, La Trinité (Morbihan). Ses amis de Paris, Patricia Baron, Laure Dumoulin, David Leclerc, Delphine Pineau, Pierre et Béatrice Rosenberg, font part avec une grande émotion, de la disparition de Lilli DORIGUZZI MACCAFERRI, artiste, survenue le 9 avril 2016, à l’âge de cinquante-six ans. San Marco 52 03, 30124 Venise, (Italie). Oulins. Nevers. Brunoy. Mme Annick Fessol, son épouse, a la douleur de faire part du décès de M. Roger FESSOL, survenu le 9 avril 2016, à Brunoy, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. La cérémonie religieuse aura lieu le vendredi 15 avril, à 10 h 30, en la chapelle Notre-Dame du Sauvageon, à Brunoy (Essonne), suivie de l’inhumation au cimetière de l’Aiguillon, à Nevers (Nièvre), à 15 h 30. Avec beaucoup d’émotion Sonia et Albert Loeb annoncent le décès, à Chicago, le 3 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, de Robert GUINAN, peintre. Nous nous réunirons après l’été, pour un dernier hommage. Gérard, Sophie, Joan, ses illeuls et leurs familles, Josiane, Pierre et Lucien, ses neveux, Les familles Blazi, Bachès, Delseny et Bonet, ont la tristesse de faire part de la mort de Gisèle MARC, survenue le 10 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. La cérémonie religieuse sera célébrée le vendredi 15 avril, en l’église SaintSéverin, Paris 5e, à 10 h 30. Claude Coustou Moreau, son épouse, Une cérémonie de recueillement aura lieu le vendredi 15 avril, de 9 h 30 à 10 heures, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, où elle sera incinérée. Claude Moreau, son frère Et Helga, sa belle-sœur, L’urne funéraire sera déposée, dans l’intimité, dans le caveau familial du cimetière des Batignoles. Cet avis tient lieu de faire-part. Sa famille Et ses proches. Mme Annie Hohl, son épouse, Olivier et Catherine Hohl, Sylvie et Christophe Sauvage, François et Patricia Hohl, ses enfants, Benoît, Clara, Emma, Grégoire, Garance, Antonin et Vincent, ses petits-enfants Ainsi que toute sa famille, Claude HOHL, Christopher, Marie-Andrée Fontcouberte, sa ille adoptive et sa famille, Ernest Napoli, son compagnon et ses enfants et petits-enfants, s’est éteinte dans sa quatre-vingt-dixhuitième année, le lundi 11 avril 2016. ont la douleur de faire part du décès de la très grande joie d’annoncer la naissance de Galerie Albert Loeb, 11, rue des Beaux-Arts, 75006 Paris. Anne-Marie, Nicole et Jean-Michel Hayat, ses enfants, Marc-Antoine, Gabrielle, Guillaume et Stéphanie, ses petits-enfants, Ses arrière-petits-enfants, conservateur en chef honoraire des Archives nationales, oficier dans l’ordre des Arts et des Lettres, chevalier dans l’ordre des Palmes académiques, Ecole des Chartes promotion 1960, survenu le 9 avril 2016, à Rouen, à l’âge de quatre-vingts ans. Un hommage sera rendu le vendredi 15 avril, à 15 heures, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. Cet avis tient lieu de faire-part. 19, rue Dupont Delporte, 76000 Rouen. Catherine, son épouse, Thomas, Marie, Lise, Loane, Renaud et Chloé, Lucas et Jenny, ses enfants et petits-enfants, ont l’immense chagrin de faire part du décès, de Henri JULLIEN, professeur de Sciences économiques et sociales, survenu le 7 avril 2016, à Pessac, à l’âge de soixante-deux ans, au terme d’une longue maladie. Famille Jullien, 45, route de Tiquetorte, 33480 Moulis-en-Médoc. Laure, Sophie, Francois, Emmanuel, Jean-Elie ses enfants et leurs conjoints, Catherine et Rémi, sa sœur et son frère, Ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants, Les familles Langlois, Wasserman, Guinemer, Löwensohn, Cerf, Vitkine, ont la tristesse de faire part du décès de Mme Nicole LANGLOIS, née CERF, survenu le 10 avril 2016, dans sa quatre-vingt-dixième année. Cet avis tient lieu de faire-part. 3, rue Richer, 75009 Paris. Anne et Michel Haas, Nancy et Antoine Levain, ses enfants, Florence, Myriam, Sébastien et Caroline, David, Nicolas et Charlotte, Benjamin, Noémie, ses petits-enfants, Benjamin et Adrien, ses arrière-petits-enfants, Cécile Friedmann, sa belle-sœur, ses enfants et petits-enfants, ont la tristesse d’annoncer le décès de Janine LEVAIN, née FRIEDMANN, survenu le 9 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-six ans Les obsèques auront lieu dans l’intimité. Yann, Anne, Claudine, Louis, Maya et Maïwenn, Aurélie, Valérie et Mathias, ses neveux et nièces, leurs conjoints Ses petits-neveux et petites-nièces, Ses amis, ont la tristesse d’annoncer le décès de Jacques MOREAU, dit « Le Maréchal », peintre et graveur, Communication diverse Autour de l’exposition Habiter le campement Images/Cité Projection-débat en présence de Michel Agier, anthropologue, directeur d’études à l’EHESS et chercheur à l’IRD, Anita Pouchard Serra, photographe du collectif d’architectes « Sans plus attendre », Sara Prestianni, photographe, et de Cyrille Hanappe, architecte et ingénieur, enseignant à l’ENSA, jeudi 14 avril 2016, à 19 heures. Plateforme de la création architecturale Considérant Calais... Documenter ce qui s’afirme à Calais, à l’interface entre le bidonville et la ville, par le Pôle d’exploration des ressources urbaines (PEROU), mardi 19 avril, à 18 h 30. État d’urgence, habitat d’urgence rencontre avec des membres de l’ONG Shelter Box, organisation internationale de secours aux sinistrés de catastrophes, dimanche 12 juin, à 16 heures. Entrée libre inscription citechaillot.fr Débat survenu dans son atelier, à Paris, le 7 avril 2016. Une bénédiction aura lieu en l’église Saint-Jean-Baptiste de Sceaux, le jeudi 14 avril, à 15 h 30 et sera suivie de l’inhumation, au cimetière de Sceaux. Cet avis tient lieu de faire-part. La maison des Bout’chou, représentée par sa présidente, Les membres du conseil d’administration, Ses collègues et les équipes des crèches, ont la profonde tristesse de faire part de la disparition de Mme Odile PARIS, directrice opérationnelle de l’association, survenue le vendredi 8 avril 2016, à Paris, à l’âge de quarante-huit ans et s’associent à la douleur de sa famille et de ses proches. Le jeudi 14 avril à 20 h 30 Le féminisme, au cœur de l’actualité. Avec : Julia Kristeva, psychanalyste, Fawzia Zouari, journaliste tunisienne, Armelle Carminati-Rabasse, MEDEF. 30 ans après la mort de Simone de Beauvoir, une rencontre-débat animée par Elizabeth Cremieu Espace Landowski, 28, avenue André Morizet, 92100 Boulogne-Billancourt www.forumuniversitaire.com Conférence Ceux qui ont eu la chance de travailler avec elle ont pu admirer ses grandes qualités humaines. La cérémonie religieuse aura lieu le mardi 19 avril, à 14 h 30, en l’église Saint-Médard, 141, rue Mouffetard, Paris 5e. Marie-Josèphe RANQUE s’est éteinte le vendredi 8 avril 2016, à son domicile, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Sa famille et ses amis se réuniront le mercredi 13 avril, à 14 h 30, en l’église Saint-Paul Saint-Louis, Paris 4 e , puis au cimetière du PèreLachaise, Paris 20e, à 16 h 15, pour son inhumation. La Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe a la tristesse d’annoncer le décès de Jean Claude ROUCHY. La Fédération française de l’ordre maçonnique mixte international « Le Droit Humain » et le Grand Maître National, Madeleine Postal, organisent une conférence publique : « Franc-maçonnerie et spiritualités » Conférenciers : André Comte-Sponville, philosophe, Bruno Pinchard, professeur de philosophie à l’université Jean Moulin Lyon 3, Fondateur de la revue en 1985, il a contribué à développer la recherche dans le champ de l’analyse de groupe et d’institution et à promouvoir les pratiques thérapeutiques de groupe. La continuité de la revue repose sur son action coopérative et internationale. le samedi 16 avril 2016, à 14 heures, 9, rue Pinel, Paris 13e. Nous adressons à sa famille nos sincères condoléances. Informations : www.droithumain-france.org Inscription par courriel : [email protected] Tél. : 01 44 08 62 62. # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. 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La première est la solidarité des riches et des puissants ou, plus précisément, de ceux dont la richesse est fondée sur la puissance ; la seconde exprime l’apparition de nouvelles formes de démocratie révolutionnaire qui, de plus en plus, prennent une dimension planétaire. L’une et l’autre créent pour survivre des espaces extérieurs à la structure formelle de l’Etat. Ce que les « Panama papers » révèlent avant tout est l’existence d’une classe politique mondiale qui se serre les coudes pour se protéger. Le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif, le président du Zimbabwe Robert Mugabe, le président russe Vladimir Poutine ou le premier ministre britannique David Cameron… Tous ont beau faire mine de s’affronter sur la scène mondiale, ils font preuve, dès lors qu’il s’agit de ce qui est vraiment important pour eux (la sécurité financière de leurs enfants, par exemple), d’une remarquable solidarité. Pourtant, il reste un point véritablement intrigant dans ces révélations : pourquoi est-il si important pour ces gens de ne pas payer d’impôts ? C’est une question moins évidente qu’il n’y paraît. Alors que la richesse de la classe dominante provient de plus en plus de la spéculation financière, il n’est pas ici question de protéger les profits du commerce et de l’industrie des griffes accaparantes de l’Etat ; presque toutes ces fortunes sont édifiées en collusion avec LES « PANAMA PAPERS » RÉVÈLENT L’EXISTENCE D’UNE CLASSE POLITIQUE MONDIALE QUI SE SERRE LES COUDES POUR SE PROTÉGER un pouvoir étatique. Si vos revenus sont générés grâce au contrôle des leviers du pouvoir, pourquoi aller les dissimuler au Panama ? Ne serait-il pas tout aussi facile d’extraire deux fois plus de bénéfices et d’en restituer ostensiblement la moitié en gage de loyauté ? Face à cela, une conclusion : ce n’est pas tant la cupidité qui motive ces décisions que le goût du pouvoir. La création de ces paradis fiscaux représente l’instauration non pas d’une souveraineté en forme d’état d’exception, mais d’un état d’exception financière au sein d’un ordre juridico-bureaucratique mondial dont les bénéficiaires sont ses architectes eux-mêmes. La création de cet ordre nouveau est probablement le développement historique le plus important de ces deux dernières générations. Qu’était après tout le mouvement altermondialiste du début des années 2000, sinon la première rébellion sociale contre ce système bureaucratique planétaire en formation ? Pour avoir participé à quelques-unes de ses mobilisations les plus célèbres – à Washington (2000), Québec (2001) ou Gênes (2001) –, je peux attester que c’est exactement ainsi que nous nous percevions. Ce qui était qualifié de « mondialisation », et présenté comme une sorte de processus naturel et inévitable généré par le « libre-échange » et Internet, était en réalité créé et entretenu par d’innombrables fonctionnaires travaillant pour des bureaucraties publiques et privées, et, plus encore, pour des bureaucraties agissant dans une zone grise intermédiaire : le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, Goldman Sachs, Credit Suisse, Standard & Poors – autant d’institutions ayant pour seul objectif de perpétuer la richesse et le pouvoir d’une minuscule élite. INSTAURER DES ESPACES EXTÉRIEURS Comment combattre un adversaire antidémocratique se tenant en dehors de tout ordre national ou politique ? Notre solution a consisté à ouvrir des espaces démocratiques eux aussi extérieurs à l’ordre juridique et politique : des espaces préfiguratifs, qui sont devenus autant de zones d’expérimentation d’une démocratie directe dépourvue de dirigeants. Ces nouvelles formes démocratiques n’étaient pas exclusivement issues de réflexions européennes ou nord-américaines ; elles étaient les produits d’une nouvelle civilisation insurgée, planétaire, issue d’une longue convergence d’expériences similaires menées depuis les forêts du Chiapas et du Brésil jusqu’aux villages du Karnataka en Inde, des squats de Lisbonne à Quito, avec des apports substantiels venus du féminisme, de l’anarchisme ainsi que des traditions non violentes de désobéissance civile. Un répertoire de termes, de tactiques et de gestes alimenté et décliné dans une infinité de variations locales, et qui devait finir par ex- COMMENT COMBATTRE UN ADVERSAIRE ANTIDÉMOCRATIQUE SE TENANT EN DEHORS DE TOUT ORDRE NATIONAL OU POLITIQUE ? mencé à reprendre puis à recréer leur propre version du nouveau langage mondial de la démocratie directe. Des centaines de milliers de personnes les ont suivis sur les médias sociaux et ont apporté leur pierre à l’édifice. Tandis que des activistes chevronnés du monde entier – dont moi-même – affluaient à Paris pour partager leur propre expérience de ce genre de mouvements. DÉMOCRATIE ET CRÉATIVITÉ OLIVIER BONHOMME ploser une décennie plus tard dans des espaces publics du monde entier, de la place Tahrir (Le Caire) à la place Syntagma (Athènes), en passant par le parc Zuccotti (New York). Pour le grand sociologue Immanuel Wallerstein, toute véritable révolution est une révolution mondiale. Dans certaines, les combats de rue se sont déroulés en un seul endroit (1789, 1917) ; dans d’autres, ils ont touché le monde entier (1848, 1968). Mais à chaque fois, l’ordre mondial lui-même s’en trouva transformé. C’est l’acception même que l’on avait jusque-là du politique qui en était bouleversée. Qu’en est-il dans ces conditions de ce que Wallerstein appelle déjà la « révolution mondiale de 2011 » ? Il est fort possible que les futurs historiens considèrent que celle-ci a marqué un changement profond dans la conception populaire de ce qu’est un mouvement révolutionnaire ou, simplement, démocratique. Les experts officiels comme les théoriciens marxistes ne se lassent pas de proclamer l’échec des mouvements de 2011. Mais si l’on considère ce qui s’est passé en Turquie, au Bré- sil, en Bosnie, à Hongkong – et, à présent, en France –, ces mouvements ont modifié à jamais le langage de la démocratie populaire. Ils ont montré que les soulèvements populaires ne prennent plus la forme d’une révolution armée, ni ne tentent de modifier le système de l’intérieur ; à chaque fois, leur première initiative est de créer, dans la mesure du possible, un territoire totalement extérieur au système, en dehors de l’ordre légal de l’Etat : un espace préfiguratif dans lequel peuvent s’inventer de nouvelles formes de démocratie directe. Le refus de s’insérer dans l’ordre politique existant ne signifie pas que ces mouvements ne visent pas de prolongements législatifs. Mais ils ne cherchent pas à y parvenir en courtisant ni en dénonçant les politiciens, mais en les menaçant de la perspective d’une délégitimisation. C’est ce qui s’est passé en France. Les organisateurs de la première manifestation contre la loi travail n’avaient prévu qu’une seule journée d’action. Mais les choses leur ont échappé. Les milliers de participants aux assemblées générales ont com- On a entendu formuler de nouvelles revendications audacieuses (annulation de la dette, revenu universel, tirage au sort…), qui étaient jusqu’ici totalement exclues du débat politique « sérieux ». Alors que le mouvement menace de s’étendre aux banlieues ouvrières et aux quartiers à forte présence immigrée, le mépris initial dans lequel la classe politique l’a d’abord tenu semble se transformer en une sorte de panique, et de plus en plus d’hommes en armes se remarquent aux abords de la nouvelle agora, comme pour empêcher la démocratie d’en outrepasser les limites. La justification traditionnelle des espaces d’exception est qu’ils peuvent devenir des espaces de créativité : après tout, seuls ceux qui ne sont pas prisonniers de l’ordre juridique existant sont en mesure de créer de nouvelles lois. Mais il est de plus en plus difficile d’imaginer des solutions aux problèmes urgents que pose cet espace d’exception financière dans lequel évoluent désormais les élites politiques et économiques de la planète. Des millions d’êtres humains, qui n’ont pas accès à ce genre d’espace extraterritorial, s’entendent intimer en permanence de se taire et de continuer à travailler. La seule possibilité de nous extraire des impasses actuelles ne pourra provenir que des nouveaux espaces extraterritoriaux, que la révolution mondiale de 2011 a permis d’ouvrir. p (Traduit de l’anglais par Gilles Berton) ¶ David Graeber, anthropologue, est professeur à la London School of Economics. Il est l’un des instigateurs du mouvement anticapitaliste Occupy Wall Street. Il participe à Nuit debout depuis le 10 avril Pour la transparence fiscale des multinationales La Commission a présenté le 12 avril au Parlement européen un projet de directive qui vise à contraindre 6 500 grandes entreprises à déclarer leurs bénéfices et leur imposition pays par pays Par VALDIS DOMBROVSKIS, LORD JONATHAN HILL ET PIERRE MOSCOVICI N ous avons proposé le 12 avril au Parlement européen un projet de directive qui imposerait à toutes les grandes multinationales exerçant des activités en Europe de publier des informations, pays par pays, sur le lieu où elles réalisent leurs bénéfices et celui où elles paient leurs impôts. Cette mesure concernerait 6 500 entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros. Elles seraient aussi tenues de déclarer le montant total d’impôts qu’elles acquittent en dehors de l’UE, en fournissant les informations par pays requises pour les impôts payés dans des ju- ridictions fiscales problématiques (paradis fiscaux). Ces informations seraient accessibles pendant cinq ans sur le site de l’entreprise. Ainsi toute personne intéressée pourrait savoir où les multinationales paient leurs impôts. Afin de s’assurer que les entreprises européennes ne sont pas les seules à agir ainsi, les mêmes règles s’appliqueraient aux grandes filiales d’entreprises de pays tiers qui exercent des activités en Europe. Cette proposition est un moyen simple, efficace et proportionné de contribuer aux efforts déployés pour veiller à ce que les multinationales paient leur juste part de l’impôt. Nous ne demandons pas la divulgation de secrets d’entreprise et ne voulons pas porter préjudice à la compétitivité mondiale des multinationales, mais nous devons nous attaquer aux désavantages fiscaux auxquels les PME sont confrontées. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’un programme de réforme fiscale plus vaste, antérieur à la divulgation des « Panama papers ». Nous avons travaillé avec l’Organisation de coopération et de développement économiques et le G20. Nous sommes parvenus à un accord sur l’échange d’informations en matière de décisions fiscales entre les Etats de l’UE. Nous avons signé des accords de transparence fiscale sur les revenus sous la forme d’intérêts et de dividendes avec l’Andorre, le Liechtenstein, Saint-Marin, la Suisse, et bientôt Monaco, et nous souhaitons en conclure d’autres. CRÉER DES EMPLOIS ET LA CROISSANCE Nous avons proposé des mesures contraignantes pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, à savoir les pratiques auxquelles se livrent des entreprises pour réduire leur contribution fiscale en déclarant les bénéfices ailleurs que là où les activités économiques ont lieu. Certaines de ces mesures visent à ga- rantir que les bénéfices que les multinationales placent dans des pays à fiscalité faible ou nulle soient imposés au sein de l’UE. En mars, les Etats de l’UE ont convenu d’autoriser l’échange automatique entre les administrations fiscales nationales des déclarations pays par pays remplies par les multinationales. En 2015, nous avons découvert que Fiat, Starbucks et d’autres entreprises situées en Belgique avaient bénéficié d’aides d’Etat illégales sous la forme d’avantages fiscaux sélectifs. Un renforcement de la transparence peut contribuer à ce programme. Si la législation a été enfreinte, des poursuites pénales devraient être engagées et assorties de sanctions sévères. Si tel n’est pas le cas et que des moyens permettant d’éluder l’impôt ont été utilisés, la transparence aidera à déterminer si la législation est bien appropriée et si dans le cas contraire nous sommes disposés à combler les lacunes. Les sociétés peuvent se demander si elles agissent dans l’intérêt à long terme de leurs actionnaires eu égard à leur réputation. Un environnement fiscal compétitif est nécessaire pour la prospérité des entreprises. Mais cet aspect devrait relever de la compétence des gouvernements, et non être la conséquence des agissements de juristes et de conseillers fiscaux, qui trouvent des mécanismes toujours plus complexes pour alléger la charge fiscale de certaines entreprises. Pour créer les emplois et la croissance, les sociétés doivent être robustes et inspirer confiance. Un renforcement de la transparence permettra de l’instaurer et d’assurer des conditions de concurrence loyale. p ¶ Valdis Dombrovskis est vice-président de la Commission européenne chargé de l’euro et du dialogue social Jonathan Hill est commissaire européen pour la stabilité financière, les services financiers et l’union des marchés des capitaux Pierre Moscovici est commissaire européen pour les affaires économiques et financières, la fiscalité et les douanes débats & analyses | 23 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 La révolution du journalisme collaboratif Analyse cécile prieur Directrice adjointe de la rédaction P anama papers ». Comme leurs illustres ancêtres les « Pentagon papers », ces deux mots résonnent déjà comme un tournant dans le journalisme d’investigation. En 1971, le New York Times publiait des documents secrets du Pentagone sur la guerre du Vietnam, qui démontraient comment les Etats-Unis avaient délibérément entraîné l’escalade du conflit. Quarante-cinq ans après, ce n’est plus un seul média mais bien l’association de plus d’une centaine d’entre eux, mis en réseau par le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), qui a permis la divulgation des « Panama papers ». L’analyse des millions de documents issus de la firme panaméenne Mossack Fonseca, mettant au jour l’ampleur de l’évasion et de la fraude fiscales, n’a pas seulement créé une onde de choc internationale. Elle a aussi confirmé l’entrée du journalisme dans la mondialisation et la collaboration transfrontière entre rédactions. Tout, dans les « Panama papers », appelle les superlatifs. Plus grande fuite de l’histoire du journalisme (2,6 téraoctets de données ou 2 600 Go, soit plus de 11,5 millions de documents accumulés, 1 000 fois plus que les « câbles diplomatiques » révélés par WikiLeaks en 2010), c’est aussi le scoop partagé par le plus grand nombre de journalistes (370 confrères issus de 109 médias, dont une vingtaine au Monde), qui ont travaillé en secret pendant près d’un an, de juin 2015 à avril 2016. Après Offshore Leaks en 2013, ChinaLeaks et LuxLeaks en 2014, puis SwissLeaks en 2015, qui dénonçaient tous l’évasion fiscale, l’ICIJ, sis à Washington, confirme, avec les « Panama papers », sa force de frappe et sa capacité à fédérer des reporters du monde entier. A chaque fois, c’est le gigantisme des données et leur caractère mondial qui justifient le partage entre médias. Dans le cas des « Panama papers », ce sont les journalistes allemands de la Süddeutsche Zeitung, à l’origine du scoop, qui ont contacté l’ICIJ après qu’un lanceur d’alerte anonyme leur a fait parvenir les données de Mossack Fonseca. Le Monde avait adopté la même démarche lors de l’affaire SwissLeaks, en livrant un fichier contenant des données clients de la banque HSBC aux médias partenaires du consortium. PARTAGE, CONFIANCE ET CONFIDENTIALITÉ La mise en commun de ces informations répond à un impératif : face à des fuites impliquant potentiellement des acteurs du monde entier, un seul média, aussi prestigieux soit-il, ne fait plus le poids. Même le plus robuste réseau de correspondants ne peut répondre à l’effort d’enquête nécessaire pour embrasser une telle masse de données. En revanche, qui mieux que des journalistes brésiliens, russes, suisses ou américains pour chercher les informations ou les pistes concernant les ressortissants de leur pays ? Et qui mieux que l’ICIJ, qui s’est fait une spécialité des enquêtes d’intérêt mondial, pour les faire travailler ensemble ? Grâce aux nouvelles technologies, Comment démêler 11,5 millions de documents Avec les « Panama papers », l’enquête a basculé dans l’ère du big data. Le Consortium international des journalistes a mis à disposition des 109 médias des outils performants. Et il a fallu en bricoler bien d’autres D errière les « Panama papers », ses centaines de journalistes impliqués et ses milliers d’articles publiés, il y a une base de données. Un leak – une « fuite », en anglais – massif de 2,6 téraoctets (soit 2 600 Go, plus de 11,5 millions de documents) transmis par une source anonyme au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et partagé par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Confrontés à ce basculement dans l’ère du big data, les 109 médias impliqués ont dû abandonner le calepin et le crayon au profit d’outils informatiques avancés. Parcourir chacun des documents des « Panama papers » n’était tout simplement pas envisageable, même pour 376 journalistes. Il était donc indispensable de disposer d’un moteur de recherche performant pour explorer la base de données. Rompue à ce type d’investigation, l’équipe technique de l’ICIJ disposait déjà d’un moteur solide, fondé sur le système Solr – une plate-forme de recherche en licence libre –, amélioré pour cette nouvelle opération. Il dispose d’opérateurs avancés et d’un système de filtres pour trier les milliers de résultats générés par certaines requêtes grâce aux métadonnées, comme le type de document, sa date de création, le nom de la société. Toutes ces enquêtes étaient possibles grâce à l’extraction du texte brut de dizaines de formats de fichiers, du .pdf au .doc, en passant par les obsolètes .msg, qui recouvraient l’essentiel de la correspondance interne du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Mais surtout, le moteur est doté d’un mécanisme de « requête approximative », qui permet d’isoler une chaîne de caractères qui renvoie à un motif approchant, plutôt qu’à une correspondance exacte. Ainsi, une requête approximative sur « Jean Dupont » renvoie également des résultats pour « Dupont Jean » ou « Jean Edouard Michel Dupont ». Malgré ces fonctionnalités, l’enquête s’est heurtée aux limites structurelles du leak. De nombreux documents n’étaient pas directement exploitables sous forme de texte, comme les scans ou les images. Ils ont été passés à la moulinette d’un système de reconnaissance de caractère (OCR) par l’ICIJ, au risque de mal retranscrire des mentions manuscrites. Les scans de mauvaise qualité, les fautes d’or- NOUS SOMMES CERTAINEMENT PASSÉS À CÔTÉ D’HISTOIRES POUR NE PAS « NOYER » NOS CANAUX DE COMMUNICATION AVEC DU « BRUIT » INUTILE la mise en réseau de journalistes nationaux, experts dans leur zone d’investigation, est le gage d’une exploitation la plus complète possible des données. Chaque média peut ainsi faire appel à l’expertise de tous les autres, amplifiant d’autant l’efficacité de l’enquête. Au préalable, il a fallu recourir aux meilleures techniques de datajournalisme pour rendre lisible le « trésor » de Mossack Fonseca. Forte d’une expérience accumulée lors des précédents leaks – « fuites » en anglais –, l’ICIJ a mis au point un moteur de recherche perfectionné et des techniques de datavisualisation pour permettre aux reporters de plonger dans la base et d’extraire les pistes qui les intéressaient. Une fois formée et dotée des outils adéquats, chaque équipe a pu mener ses propres recherches, doublées, quand les pistes avaient émergé, d’un travail plus classique d’investigation. Les « Panama papers » sont ainsi nés de l’alliance, souvent inédite, entre datajournalistes, rompus aux techniques de recherche de données, et journalistes d’enquête, experts FACE À DES FUITES IMPLIQUANT POTENTIELLEMENT DES ACTEURS DU MONDE ENTIER, UN SEUL MÉDIA NE FAIT PLUS LE POIDS thographe, sans parler des problèmes de traduction du russe, du chinois ou de l’arabe ont aussi rendu de nombreuses recherches infructueuses. Il a rapidement fallu rationaliser les enquêtes : chercher l’ensemble des parlementaires français plutôt que quelques députés connus, par exemple. Pour cela, l’ICIJ a mis en place un mécanisme de requête par lot. Plutôt que d’examiner fastidieusement les 500 familles les plus riches de France, il a été possible de soumettre une liste construite. Quelques minutes plus tard, l’outil retourne un tableau de résultats sous le format .csv, avec toutes les occurrences pour chaque entrée de la liste. La recherche par nom n’est qu’un moyen parmi d’autres. Nous avons ainsi concentré une partie de nos forces à trouver des résidents français, en utilisant le registre interne des sociétés de Mossack Fonseca, la seule partie du leak à se présenter sous la forme d’un tableau structuré de données. Aux 214 488 sociétés offshore étaient associés pas moins de 450 000 actionnaires, quasiment tous liés à une adresse postale. « NETTOYER » ET HARMONISER Avec l’aide du logiciel de traitement de données OpenRefine, il a fallu ensuite « nettoyer » et harmoniser ces adresses pour en extraire le millier d’actionnaires domiciliés en France. De même, sachant que tous les comptes bancaires français ont un identifiant IBAN de structure identique, nous avons pu tous les retrouver. Enfin, nous avons pu mettre la main sur la plupart des passeports français grâce à leur code d’identification. Remonter la piste des véritables bénéficiaires, lorsque des sociétés-écrans s’emboîtent comme des poupées russes, a été laborieux. L’ICIJ a mis à disposition l’outil de visualisation en graphes Linkurious, qui fait le lien entre quatre entités de la partie « construite » du leak : les socié- notamment des questions d’évasion et de fraude fiscales. L’autre élément-clé de la réussite de l’opération a été la confiance qui a su s’établir, leak après leak, entre les médias partenaires de l’opération. A rebours de l’investigation classique, traditionnellement solitaire, l’ICIJ a bâti un réseau planétaire qui dépasse la concurrence parfois féroce que se livrent les organes de presse. Avec les « Panama papers », le Consortium international a su créer une « newsroom » mondiale, portée par un intérêt commun, plus soucieuse du succès collectif que de l’échappée individuelle. C’est ainsi que 370 journalistes ont pu garder le secret pendant toute l’enquête, sans être tentés de briser l’embargo, fixé au dimanche 3 avril dans la soirée. Il en a résulté une formidable caisse de résonance quand le scoop a été divulgué, repris comme en écho par une centaine de médias étrangers. Partage, confiance et confidentialité : c’est à ces trois conditions, associées à des mois d’enquête acharnée, qu’a pu naître le succès des « Panama papers ». L’opération a créé l’événement dans la communauté journalistique mondiale, en démontrant les effets vertueux d’une démarche non concurrentielle. Pour un métier qui se réinvente sans cesse au contact des nouvelles technologies, ce « journalisme de partage » ouvre des perspectives inédites. Au-delà des leaks, cette approche pourrait encourager d’autres types d’échanges et de mise en commun de données au profit de l’information. Portée par le big data, la révolution du journalisme collaboratif n’en est sans doute qu’à ses tout débuts. p [email protected] tés, les intermédiaires, les actionnaires et leurs adresses. Bien entendu, les seules données du leak ne suffisaient pas. D’une part, parce que le détail des comptes en banque, actifs et activités de chaque société offshore était rarement disponible, mais, d’autre part – et surtout –, parce que l’enchevêtrement des montages conduisait bien souvent à des sociétés enregistrées ailleurs que chez Mossack Fonseca. Il a fallu parfois remonter à des holdings au Luxembourg, un pays à la fiscalité limitée, mais au journal officiel transparent et bien documenté sur les entreprises. L’absence de référencement de ce greffe dans les moteurs de recherche n’a cependant pas permis de faire des enquêtes inversées – pour savoir dans quels dossiers une société apparaissait comme actionnaire, par exemple. La difficulté a été contournée en utilisant le très pratique Legicopylux, un copié-collé du journal officiel luxembourgeois, qui a l’avantage d’être indexé dans les moteurs de recherche. Hors du Luxembourg, il a encore fallu jongler avec les sites semi-gratuits en France, au Royaume-Uni ou en Belgique et sur l’indispensable OpenCorporates, qui tente de rassembler les informations publiques sur les sociétés en agrégeant en ligne les registres du commerce du monde entier. Parfois, aucun de ces outils n’a suffi. Au pied du mur, il a fallu utiliser un matériel incroyablement sophistiqué conçu pour les situations d’urgence : le téléphone. Si l’on met de côté quelques désagréables bordées d’injures et quelques mensonges éhontés, ces conversations nous ont souvent permis de grappiller, auprès des personnalités impliquées dans les montages offshore, de précieuses informations sur leur usage. Par ailleurs, préserver la sécurité de nos communications était crucial pour limiter le risque de fuite ou de piratage. Ce qui n’est guère pratique, quand on doit rester en contact avec près de 400 confrères du monde entier. En interne, nous avons recouru au chiffrement PGP pour sécuriser les échanges de courriels au sein du Monde, ainsi qu’à la messagerie mobile Signal. Pour faire travailler ensemble les médias partenaires des « Panama papers », l’ICIJ a mis à disposition son forum collaboratif sécurisé « Global I-Hub », mis sur pied grâce à une bourse de la Knight Foundation, qui investit dans la promotion d’un journalisme de qualité. Ce forum a permis de constituer des groupes en fonction des thèmes et des pays, et de partager les trouvailles pendant les neuf mois d’enquête. OUTIL COLLABORATIF En outre, la nécessité de mener un long travail de vérification nous a souvent fait renoncer à signaler certains noms à nos partenaires – et vice versa. C’est la limite d’une « méta-rédaction » si grande : nous sommes certainement passés à côté de nombreuses histoires par souci de ne pas « noyer » nos canaux de communication avec du « bruit » inutile. Par manque de temps, un outil collaboratif mis en place par l’ICIJ s’est aussi révélé être un échec : il consistait à détecter automatiquement dans la base de données les bénéficiaires réels des sociétés, derrière les prête-noms, grâce à un algorithme informatique, puis de faire valider le résultat (forcément incertain) par au moins trois journalistes différents. Par manque de temps et vu l’immensité de la tâche, cette tentative de « vérification crowdsourcée » n’a jamais porté ses fruits. Il s’agit, pourtant, de la prochaine étape de l’investigation assistée par ordinateur : l’utilisation systématique des outils du big data, pour l’instant limitée au monde de la recherche et de l’entreprise, et encore étranger à celui des médias. p jérémie baruch et maxime vaudano 24 | 0123 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 EUROPE | CHRONIQUE par ar naud l e par m e nt ie r L’euro ne parle plus allemand Taux d’intérêt trop bas Le principal grief allemand porte sur les taux d’intérêt trop bas. Pas un jour ne passe sans qu’un journal ne déplore la chute du revenu des petits épargnants. « Les 99 banques qui ne versent plus aucun intérêt », dénonce le tabloïd Bild Zeitung. Pire que les Grecs, les taux de la BCE ! La banque DZ Bank a fait ses simulations : depuis 2010, le manque à gagner de chaque Allemand serait de 2 450 euros. La colère des épargnants est entretenue par les banques et les assurances-vie, menacées de faillite par des taux trop bas. Rien ne va plus depuis que la BCE a fixé des taux négatifs : payer pour déposer son argent à la banque, voilà qui dépasse l’entendement. Pour l’heure, les particuliers ne voient pas leur épargne ponctionnée chaque mois, mais la hausse des frais bancaires produit le même effet. Or cette mesure extraordinaire, censée relancer la croissance, est contestée. Pas seulement par les Allemands mais aussi par le prestigieux fonds d’investissement américain BlackRock. Selon son économiste en chef, Larry Fink, une personne de 35 ans doit épargner trois fois plus pour sa re- LES ALLEMANDS ONT LE SENTIMENT QUE MARIO DRAGHI EST PRÊT À FAIRE N’IMPORTE QUOI DEPUIS 2010, LE MANQUE À GAGNER DE CHAQUE ÉPARGNANT ALLEMAND SERAIT DE 2 450 EUROS M ieux vaut tard que jamais. Pendant trop longtemps, la hiérarchie catholique française a fait preuve d’une complaisance coupable à l’égard de prêtres impliqués dans des affaires de pédophilie. Trop souvent, elle a préféré occulter – par le silence ou l’inertie, quand ce n’était pas par la dénégation – des abus sexuels sur des mineurs par des hommes d’Eglise. Elle a cru possible d’échapper ainsi à l’opprobre. En réalité, elle a pris le risque de laisser s’installer une suspicion délétère à son encontre. Nous y sommes. Les révélations récentes accablantes sur l’affaire d’un prêtre lyonnais qui a eu la charge de jeunes scouts pendant des décennies, en dépit des plaintes répétées des enfants et de leurs parents traite si les taux passent de 5 % à 2 %. « Une politique monétaire destinée à doper la croissance pourrait, en fait, conduire à réduire la consommation », explique-t-il, affligé, dans un entretien au Financial Times. Pour ajouter à la confusion, c’est ce moment qu’ont choisi les Européens pour faire la chasse aux billets de 500 euros. Officiellement pour lutter contre l’argent sale, en réalité pour lutter contre l’économie au noir, voire appliquer à terme des taux négatifs aux dépôts des épargnants. Las, les Allemands chérissent leurs billets comme naguère les Français leurs louis d’or. L’affaire ne fait qu’accélérer la défiance. Politique accommodante Troisième grief, plus technique, la politique non conventionnelle de la BCE, qui à force d’être pratiquée devrait être qualifiée d’habituelle. Pendant des mois, les beaux esprits ont expliqué qu’il fallait racheter la dette des Etats ou des entreprises à coup de milliards, pour relancer l’économie. Il s’agit du fameux « Quantitative easing ». Sans écouter les Cassandre qui mettaient en garde contre un scénario à la japonaise. On y est. Mais aucun mea culpa vis-àvis des Allemands. Au contraire, il faut aller plus loin, et faire du déficit budgétaire, comme si on avait déjà oublié la terrible crise des dettes européennes à partir de 2009. Ou se lancer dans le fameux « helicopter money », même si les statuts de la BCE interdisent tout don d’argent. La BCE prend un rôle sans cesse plus important : parce que sa politique trop accommodante permet aux Etats de ne pas accomplir les réformes douloureuses ; parce qu’en finançant directement l’économie, elle devient un acteur quasi budgétaire, empiétant sur les prérogatives des Etats et des Parlements, seuls habilités à lever l’impôt et à dépenser l’argent public. Cette dérive exaspère Berlin. La fronde n’est pas nouvelle. L’Allemagne conteste depuis des années la politique de la BCE. L’affaire avait conduit en 2011, sous le règne de JeanClaude Trichet, à la démission de Jürgen Stark de son directoire et au retrait de l’ancien président de la Bundesbank, Axel Weber. L’affaire a pris une tournure si grave que le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a été obligé de voler au secours de la BCE – dont il conteste les orientations, dans le Financial Times. Pour soutenir l’institution et son indépendance. Il n’empêche, la BCE devient une question allemande. Le dossier sera brûlant lorsque sera ouverte la succession de Mario Draghi, dont le mandat s’achève fin 2019. En 1998, Theo Waigel, le ministre des finances d’Helmut Kohl, avait vanté un euro et une BCE construits selon les canons de la Bundesbank : « l’euro parle allemand », avait-il proclamé. Trop rapidement. Nul ne doute qu’Angela Merkel ou son successeur exigera du futur président de la BCE qu’il maltraite moins la grammaire allemande. p [email protected] Tirage du Monde daté mercredi 13 avril : 244 770 exemplaires auprès de sa hiérarchie, semblent avoir enfin produit un électrochoc. D’autant plus qu’elles ont conduit à la mise en cause, pour non-dénonciation d’agressions sexuelles, du cardinal Philippe Barbarin, l’archevêque de Lyon. La Conférence des évêques de France l’a compris. Non pas qu’elle n’ait rien fait depuis une quinzaine d’années, comme en témoigne le livret Lutter contre la pédophilie publié en 2002. Mais c’était loin, à l’évidence, d’être suffisant. Mardi 12 avril, les évêques ont annoncé un ensemble de mesures qui témoignent de leur volonté de ne plus esquiver le problème. Mieux, de s’y attaquer sérieusement. Ainsi, pour la première fois, priorité est donnée à l’accueil, à l’écoute et à l’accompagnement des victimes, trop souvent négligées comme le démontre l’affaire lyonnaise. Sera donc mise en place, en principe dans chaque diocèse, une cellule d’écoute sur le modèle de celle qui est déjà expérimentée à Orléans. Et ces cellules seront coordonnées par une nouvelle instance permanente de lutte contre la pédophilie. Le deuxième engagement essentiel pris par la Conférence des évêques est d’empêcher des prêtres impliqués dans de telles affaires, ou soupçonnés de l’être, de poursuivre leur ministère. Concrètement, ces prêtres seront suspendus de leur mission auprès d’enfants ou d’adolescents jusqu’à ce que la justice pénale ait tranché. Cette articulation plus étroite entre procédures canoniques et judiciaires est indispensable. Pour plus de transparence, le guide pratique des procédures à suivre par les évêques – dont le pape Benoît XVI avait demandé la rédaction dès 2012 – sera publié sur le site Internet de la cellule de veille. En outre, une commission nationale d’expertise indépendante, composée de magistrats, de médecins, de psychologues et présidée par une personnalité laïque qualifiée, va être mise en place pour aider les évêques à mieux évaluer la situation de prêtres convaincus d’abus sexuels sur des mineurs. Enfin, la Conférence des évêques de France entend ne pas laisser dans l’ombre des affaires anciennes restées impunies. A rebours de l’attitude de Mgr Barbarin à Lyon, la hiérarchie catholique assure qu’elle « n’est pas juge de la prescription ». Cette prise de conscience et les bonnes intentions affichées sont salutaires. Reste à les mettre en œuvre avec détermination et efficacité. Reste, surtout, à restaurer, au sein de chaque diocèse, la confiance ébranlée entre l’Eglise et ses fidèles, à commencer par les parents et leurs enfants. C’est une condition indispensable. Elle réserve probablement à l’Eglise catholique des moments difficiles et de pénibles mises à jour. Mais c’est le prix à payer pour son manque de vigilance passé. p SOIREE MODE HOMME LE JEUDI 14 AVRIL DÈS 17H -20%* DANS LE MAGASIN HOMME WEDNESDAY Agency - 44 GL 552 116 329 RCS PARIS L es Allemands n’en sont pas revenus, ce jeudi 10 mars, en écoutant Mario Draghi. « C’est une idée intéressante… mais nous ne l’avons pas encore réellement examinée », a déclaré le président de la Banque centrale européenne (BCE). Cette « idée intéressante », c’est l’« helicopter money », l’argent distribué par hélicoptère. On imagine déjà le banquier central jetant, tel un deus ex machina, des liasses de billets de 100 euros au bon peuple européen. Derrière cette image saisissante, une idée très sérieuse chemine auprès des économistes : pour relancer le pouvoir d’achat, la croissance et l’inflation, les banquiers centraux pourraient distribuer des espèces sonnantes et trébuchantes aux citoyens. Directement. Les Allemands, eux, n’ont pas eu la vision d’un hélicoptère, mais celle de vieilles brouettes. Celles, remplies de billets, qu’ils transportaient en 1923, ruinés par l’hyperinflation, lorsque le dollar valait 4 200 milliards de marks. Cette fois-ci la coupe est pleine. A l’été 2012, Mario Draghi avait déclaré qu’il ferait tout ce qu’il faudrait – « Whatever it takes » – pour sauver l’euro. Les Allemands ont surtout le sentiment que le président de la BCE est prêt à faire n’importe quoi. Y compris ruiner les Européens en jetant leur argent dans les airs. La brouille a éclaté sur la place publique vendredi 8 avril, avec l’amer reproche du ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble : « J’ai dit à Mario Draghi : “Sois fier. Tu peux attribuer à cette politique 50 % du score” » de l’Alternative für Deutschland (AfD), le parti d’extrême droite allemand. Le reproche est exagéré : la percée de l’AfD aux élections régionales de mars (15 % des voix environ) s’explique largement par la politique d’accueil des réfugiés. Mais elle est entretenue par la sourde colère qui monte contre l’euro et sa gardienne, la BCE. LA SALUTAIRE PRISE DE CONSCIENCE DE L’ÉGLISE D U 14 AV R I L 17 H AU 16 AV R I L I N C L U S H O RS P O INTS ROUGES AV EC VOTRE PRO GR A MME D E FID ÉL IT É MES GA LERIES* * * Ofre valable sur l’ensemble des rayons homme : Prêt-à-porter, accessoires et chaussures. Hors beauté, horlogerie et solaire. Du Jeudi 14 avril à partir de 17h jusqu’au samedi 16 avril 2016 inclus. Non cumulable avec toute autre ofre ou avantage en cours. 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Côté finances publiques, Bercy confirme son objectif de réduire le déficit public à 3,3 % du PIB en 2016 – après 3,5 % en 2015 –, puis à 2,7 % pour 2017, conformément aux engagements pris auprès de Bruxelles. Mais, en raison de l’inflation quasi nulle qui pèse notamment sur les rentrées de TVA, le gouvernement va devoir faire des économies de 3,8 milliards d’euros en 2016 et de 5 milliards en 2017. Le gouvernement va devoir trouver comment financer les différentes mesures exceptionnelles annoncées depuis le début de l’année. « Toute dépense nouvelle sera financée », affirme Christian Eckert, le secrétaire d’Etat chargé du budget. La baisse du taux de prélèvements obligatoires, amorcée en 2015, devrait se poursuivre. p → LIR E PAGE 3 Plate-forme pétrolière offshore de Petrobras au large d’Angra dos Reis, au Brésil. DADO GALDIERI/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES Perquisitions au siège du groupe Bolloré → LIR E PAGE 4 ▶ L’industriel est soupçonné d’avoir obtenu la concession de ports en Afrique après avoir aidé à l’élection de chefs d’Etat D epuis plus de deux ans, l’enquête judiciaire française ouverte sur la société Pefaco, spécialisée dans l’hôtellerie et les jeux, très présente en Afrique, avançait en toute discrétion. Elle a finalement conduit les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) chez l’industriel Vincent Bolloré. Vendredi 8 avril, la tour Bolloré, à Puteaux (Hauts-de-Seine), siège notamment du groupe Bolloré Africa Logistics, a fait l’objet d’une perquisition sur commission rogatoire des juges d’instruction financiers Serge Tournaire et Aude Buresi. A cette occasion, le bureau du PDG, Vincent Bolloré, alors en déplacement en Bretagne, ainsi que ceux du directeur général et du directeur juridique du groupe, ont été visités par les enquêteurs. Une AÉRIEN PERTES & PROFITS | FRANCE SERVAIR POURRAIT PASSER SOUS PAVILLON CHINOIS → LIR E PAGE 5 HIGH-TECH FACEBOOK ET LA RÉVOLUTION DES « CHATBOTS » → LIR E PAGE 8 j CAC 40 | 4 409 PTS + 1,47 % j DOW JONES | 17 721 PTS + 0,94 % J EURO-DOLLAR | 1,1346 J PÉTROLE | 41,28 $ LE BARIL j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,51 % VALEURS AU 13 AVRIL À 9 H 30 opération qui donne une tout autre dimension à l’enquête initiale. Les policiers se demandent en effet aujourd’hui si le groupe du milliardaire breton a utilisé son bras publicitaire, Havas, pour faciliter l’obtention de la gestion des ports de Conakry, en Guinée, et de Lomé, au Togo. C’est de façon incidente que les magistrats ont été amenés à s’intéresser aux affaires africaines du groupe Bolloré, présent dans 46 pays du continent, où il s’est imposé dans la logistique portuaire. Plus précisément, en se penchant sur l’entregent de Francis Perez, président du groupe Pefaco, société française basée à Barcelone, proche de plusieurs figures corses de l’univers des casinos, et de certains chefs d’Etat africains comme les présidents togolais, Faure Gnassingbé, et congolais, Denis Sassou-Nguesso. Embauches, mode d’emploi V ous cherchez un emploi pour cet été ? Allez cueillir des abricots ou des fraises. Le secteur de la cueillette, dans les arbres, par terre ou sur les vignes est celui qui devrait le plus embaucher cette année. Près de 104 000 recrutements prévus en 2016, selon l’étude annuelle de Pôle emploi sur les besoins en main-d’œuvre des entreprises, chiffrés cette année à 1 827 300 postes. Un document plein d’enseignements, qui éclaire les mouvements de l’emploi en France et par conséquent les politiques publiques à engager pour coller aux besoins de l’économie réelle. Premier constat, l’emploi est en train de repartir. Déjà en mars dernier, l’Insee avait noté pour 2015 une reprise des créations de postes, même si elle ne s’accompagnait pas encore d’un recul du chômage. L’évolution est plus nette pour 2016. Le nombre de projets de recrutement dans les 405 bassins d’emploi français est en hausse de plus de 5 %, soit 88 000 postes de plus qu’en 2015, le plus haut niveau observé depuis sept ans. Parmi les raisons de cette embellie, le retournement des intentions d’embauche dans le bâtiment, en forte baisse en 2015 ( 16,6 %) et en hausse de plus de 12 %, cette année. Mais aussi les services aux entreprises (+ 8 %). Mais cela ne donne pas une image complète des réservoirs d’emplois et des difficultés à recruter, deux données de base pour qui veut agir sur le niveau du chômage. Et dans ce domaine, les chiffres sont sans appel : l’emploi se trouve chez les « petits » et dans les services. Près de sept intentions d’embauche sur dix émanent Cahier du « Monde » No 22160 daté Jeudi 14 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément simon piel et joan tilouine → LIR E L A S U IT E PAGE 5 3,8 MONTANT, EN MILLIARDS D’EUROS, DES MESURES D’ÉCONOMIES COMPLÉMENTAIRES POUR 2016 HORS-SÉRIE UNE VIE, UNE ŒUVRE d’entreprises de moins de 50 salariés. Et presque la moitié (45 %) se situent dans des structures de moins de dix personnes. Tout effort en direction des grandes entreprises visera surtout à réduire les suppressions de postes. Seuls 14 % des emplois créés en 2016 le seront par des groupes de plus de 200 salariés. D’où l’importance de prendre en considération les besoins des TPE et PME, plus que ceux des grands groupes dans tout projet (ou loi…) d’aide à l’emploi. Un tiers des postes difficiles à pourvoir Ensuite, cap sur les services, qui représentent en France plus des deux tiers des besoins de main-d’œuvre. Avec en première ligne, le commerce, le tourisme et le médico-social. C’est peut-être moins enthousiasmant que de fabriquer des Airbus, mais c’est beaucoup plus prometteur en termes d’emploi. Seules 8 % des embauches devraient se faire cette année dans l’industrie et l’encadrement qui lui est lié. Cela n’enlève rien à l’importance de l’industrie dans la création de richesse nationale, notamment à l’exportation, mais relativise son rôle dans la lutte contre le chômage. Reste la lancinante question des freins à l’embauche. Cette année encore, un tiers des postes, soit tout de même près de 600 000 emplois, seront difficiles à pourvoir, notamment dans l’hôtellerie-restauration et l’aide à domicile. Ce qui est pour le moins étonnant, pour ne pas dire scandaleux, au pays des 3,5 millions de chômeurs. p philippe escande Jean Genet Un écrivain sous haute surveillance Avec Georges Bataille, André Malraux, Jeanne Moreau, Étienne Daho, Leïla Shahid… JEAN GENET UN ÉCRIVAIN SOUS HAUTE SURVEILLANCE Un hors-série du « Monde » 122 pages - 8,50 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique 2 | plein cadre 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Avec son application pour mobile, la pépite des jeunes pousses berlinoises donne un sacré coup de vieux aux établissements classiques et aux banques en ligne berlin - correspondance N e vous fiez pas à son nom. Number26 a de grandes ambitions : rien de moins que de devenir la première banque européenne sur mobile. La start-up berlinoise est l’une de ces jeunes pousses dont tout le monde parle dans le petit monde de la fintech : ces sociétés technologiques spécialisées dans l’innovation financière, qui bousculent les modèles des banques traditionnelles. La jeune société symbolise aussi la vigueur de la scène start-up de Berlin, devenue en quelques années un point névralgique de l’économie digitale européenne. Number26, qui revendique 160 000 clients un an après son lancement, compte parmi ses investisseurs Peter Thiel, le cofondateur de PayPal et un des premiers investisseurs de Facebook. Nantie de cet illustre parrainage, Number26 figure parmi les invités d’honneur du premier FinCamp, conférence consacrée « à l’avenir de la banque numérique » organisée à Berlin par le ministère allemand des finances, jeudi 14 avril. Les start-up y côtoieront les banques et les grandes institutions financières du pays. Au numéro 62 de la Klosterstrasse, dans d’anciens locaux de la Stasi, la police politique de la RDA, on doit demander son chemin pour arriver jusqu’à l’accueil de Number26. « Nous avons emménagé ici il y a seulement six mois, nous n’avons pas encore mis le nom sur la porte », s’excuse Helena Treeck, 27 ans, porte-parole de l’entreprise. Sur la moquette des bureaux est imprimé le gigantesque code informatique qui programme l’application de Number26, régulièrement sélectionnée par les utilisateurs comme une des meilleures du marché dans sa catégorie. « Nous voulions avant tout faire une “app” cool, indépendamment du fait qu’elle soit bancaire. Nous attirons la génération des 18-35 ans », explique Valentin Stalf, cofondateur de la start-up. Né à Vienne en 1985, le trentenaire parle très vite, dans un allemand teinté d’accent autrichien, avec un mot sur trois en anglais. Avec son associé Maximilian Tayenthal, il avait d’abord pensé à faire une application de carte prépayée pour permettre aux parents de surveiller les dépenses d’argent de poche de leur progéniture. « Mais quand nous avons fait nos premiers essais fin 2013, nous nous sommes aperçus que les parents utilisaient l’application pour eux-mêmes. Nous avons donc changé de concept. » Number26, la fintech qui vise la place de numéro un UN COMPTE EN QUELQUES MINUTES Number26 a été lancée fin janvier 2015. Aujourd’hui, l’application propose à ses clients un compte courant, assorti d’une carte de crédit. La différence avec un compte en banque classique ? Toutes les opérations sont effectuées en temps réel et classées dans l’application. Mais surtout, l’ouverture du compte se fait en quelques minutes, entièrement depuis son smartphone. Après avoir rentré quelques informations personnelles, l’application se connecte par vidéo à un service de vérification que la start-up a externalisé. « Bonjour, vous voulez ouvrir un compte chez Number26, je vais vérifier votre identité, » commence l’agent de l’autre côté de la caméra, qui va scanner notre pièce d’identité et poser quelques questions. Quelques minutes plus tard, le compte est créé. Ni courrier à envoyer, ni visite en agence, tout se fait en quelques tapotements. Ce qui a surtout fait le succès de Number26, c’est sa capacité à enrichir rapidement ses services de base avec des « innovations fintech ». Quelques mois après son arrivée sur les smartphones, l’application permet ainsi de bloquer sa carte ou son débit d’un simple clic, ou encore d’envoyer de l’argent à ses proches par SMS ou e-mail sans passer par une banque tierce. Grâce à une coopération avec TransferWise, elle propose des virements internationaux à prix très compétitif. Et par l’intermédiaire d’une association avec une autre start-up berlinoise, Barzahlen, Number26 propose à ses clients de déposer et retirer de l’argent de 8 000 commerces partenaires, ce qui permet d’éviter les distributeurs automatiques dont les frais sont souvent très élevés en Allemagne. « Nous voulons faire de l’application un mar- ché pour les innovations financières que nous sélectionnons. Il y a un énorme potentiel sur le crédit, l’assurance, l’épargne. Grâce à l’intelligence artificielle que nous injectons dans notre produit, on peut faire du conseil financier personnalisé, même avec de petits budgets, car nos coûts sont faibles, » poursuit Valentin Stalf. Olivier de Montety, un des experts français de la finance en ligne, cofondateur de Compte-Nickel et bon connaisseur de la scène fintech berlinoise, estime que Number26 a un très grand avenir. « Ce qu’ils ont bien compris, c’est l’importance de l’expérience utilisateur. A un horizon de cinq ans, la génération des 20 à 35 ans n’ira même plus pousser la porte d’une agence ou regarder le site Internet d’une banque classique. Sur la banque de détail, elles ont perdu, elles ne pourront jamais rattraper leur retard », tranche-t-il. Parce qu’elles utilisent les nouveaux systèmes informatiques capables de tourner en temps réel, les nouvelles banques en ligne ou sur mobiles sont considérablement plus rapides et moins chères que les banques traditionnelles, qui traitent les opérations en différé et doivent financer un coûteux réseau d’agences. En Allemagne, où chaque chef-lieu de canton dispose de sa propre caisse d’épargne et de sa banque populaire locale, la perspective d’un monde sans agence bancaire paraît pour certains soit improbable, soit carrément apocalyptique. Mais Jens Spahn, secrétaire d’Etat au ministère des finances, qui suit personnellement le dossier du numérique, se veut rassurant : « C’est plus une évolution qu’une révolution. Lorsque la banque directe par téléphone est apparue, il y a vingt ans, on annonçait aussi la fin des banques. L’APPLICATION PERMET DE BLOQUER SA CARTE OU SON DÉBIT D’UN SIMPLE CLIC, OU ENCORE D’ENVOYER DE L’ARGENT À SES PROCHES PAR SMS OU E-MAIL SANS PASSER PAR UNE BANQUE TIERCE Rien de tel ne s’est produit, » explique au Monde l’ancien banquier de 35 ans. Avec sa conférence FinCamp, le ministère des finances souhaite organiser le dialogue entre les start-up, les banques traditionnelles et les institutions financières du pays comme la Bundesbank, la banque centrale allemande et la BaFin, l’autorité de surveillance des marchés financiers. « Je veux faire comprendre aux banques traditionnelles que les start-up ne sont pas des ennemis ou des voleurs, mais des acteurs du changement, avec qui il faut coopérer. Si on passe à côté du changement, on le subit », dit Jens Spahn. Il veut faire évoluer la régulation pour faciliter le passage au tout numérique et apporter aux jeunes pousses de la fintech allemande un soutien logistique et politique. « Sinon, on sera dépendants de services faits dans la Silicon Valley, à Londres, à Singapour ou à Hongkong. Berlin a un bon environnement, il faut l’encourager. » BERLIN, CAPITALE DU NUMÉRIQUE Le choix du lieu de la conférence, Berlin plutôt que Francfort, capitale financière du pays, en dit long sur le peu d’empressement des banques traditionnelles allemandes à monter dans le train du numérique. Il montre également l’importance de Berlin, devenue en quelques années capitale allemande du numérique. Outre Number26, les start-up de technologie financière Mambu, Finleap, Spotcap, Raisin et Sumup se sont fait un nom sur les bords de la Spree et au-delà. Dans la première moitié de 2015, la ville a attiré pour la première fois plus d’investissements en capital-risque que Londres, avec 1,4 milliard d’euros. Selon le classement mondial des écosystèmes de start-up réalisé par le groupe Compass, Berlin pointe au neuvième rang mondial et au second rang européen derrière Londres. Si la scène start-up berlinoise a longtemps été considérée comme une fabrique de clones de leurs homologues américaines, elle est désormais en phase de maturation et profite de ses atouts. « Grâce à son orientation première sur le commerce en ligne, Berlin dispose aujourd’hui de deux atouts clés : un pôle de compétences en matière de marketing en ligne qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde, ainsi qu’un savoir-faire pour dérouler des modèles économiques sur plusieurs pays » estime Christian Nagel, cofondateur du fond de capital-risque Earlybird, spécialisé dans le financement des start-up. Pour attirer les talents, la ville dispose de quelques atouts comme une qualité de vie renforcée par des prix immobiliers encore abordables, même si le secteur a fortement grimpé ces dernières années. Les développeurs d’Europe de l’Est s’installent volontiers à Berlin et il n’est pas rare de croiser une trentaine de nationalités différentes dans les entreprises de plus de cent salariés. « Cette diversité est un moteur pour l’expansion à l’international. La tendance en faveur du développement de Berlin est très claire, » juge Christian Nagel. A condition de conserver l’autonomie de ces jeunes entreprises. Faute de fonds de capital-risque suffisants en Allemagne, capables de financer les entreprises en phase de croissance, le risque est de voir les jeunes pousses cultivées à Berlin être rachetées par des groupes américains une fois arrivés à maturité. p cécile boutelet économie & entreprise | 3 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Nouvelle alerte du FMI sur la croissance mondiale Le Fonds invite les Etats à mettre au point « un plan de secours » au cas où le ralentissement s’aggraverait L a croissance économique mondiale est « trop faible, depuis trop longtemps ». Présenté mardi 12 avril, le nouveau diagnostic du Fonds monétaire international (FMI) est encore plus pessimiste que les précédents. Selon la dernière édition des Perspectives de l’économie mondiale, le PIB mondial ne devrait s’accroître que de 3,1 % à 3,2 % en 2016 et de 3,5 % en 2017, un niveau « décevant », selon Maurice Obstfeld, l’économiste en chef de l’institution créée en 1944. La dernière prévision, faite en janvier, tablait sur une croissance de 3,4 % de la richesse mondiale en 2016. Dans un discours prononcé devant le who’s who de la finance mondiale réuni cette semaine à Washington pour les traditionnelles réunions de printemps du Fonds et de la Banque mondiale, M. Obstfeld n’a pas caché son inquiétude. « Nos prévisions sont de moins en moins optimistes », a souligné cet universitaire, nommé au FMI en septembre 2015, et qui était auparavant conseiller économique du président américain, Barack Obama. Demande en berne Les risques qui pèsent sur l’économie mondiale sont bien connus : la chute du prix du pétrole, les conséquences de la guerre en Syrie, les menaces terroristes, ou encore la perspective du « Brexit » (c’est-àdire la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne). Mais ce qui laisse le FMI perplexe, c’est l’absence d’efficacité des remèdes conventionnels. Compte tenu des politiques monétaires « accommodantes » des banques centrales, l’argent n’a ja- Banque mondiale, OMS et déprime Au moment où le FMI livre son diagnostic économique, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appellent à lutter contre la déprime. Selon les organisations internationales, la dépression et l’anxiété coûtent chaque année 1 000 milliards de dollars à l’économie mondiale (880 milliards d’euros), et près de 10 % de la population serait touchée. Investir dans leur prise en charge est pourtant très rentable, estime l’OMS, dans une étude publiée mardi 12 avril dans The Lancet Psychiatry. Portant sur un échantillon de 36 pays, elle révèle qu’un investissement de 147 milliards de dollars pour la période 2016-2030 se traduirait par un bénéfice de 399 milliards en termes de productivité, et par une économie de 310 milliards sur d’autres dépenses de santé. Jim Yong Kim, le président de la Banque mondiale, en a fait l’une de ses priorités. « Nous devons agir maintenant car la perte de productivité est quelque chose que l’économie mondiale ne peut tout simplement pas se permettre », justifie-t-il. Ce qui laisse le Fonds perplexe, c’est l’absence d’efficacité des remèdes conventionnels mais été si bon marché, et pourtant, la demande, qu’il s’agisse de la consommation ou de l’investissement, est en berne. S’ils ne veulent pas s’enliser dans une situation que plusieurs économistes, parmi lesquels l’Américain Lawrence Summers, qualifient de « stagnation séculaire », les Etats doivent réagir « immédiatement ». « Il n’y a plus beaucoup de place pour l’erreur », a averti Maurice Obstfeld. Dans ce contexte incertain, le FMI se soucie plus particulièrement de l’avenir des pays émergents, frappés de plein fouet par l’effondrement du prix des matières premières. Tant qu’ils n’auront pas diversifié leur économie, un retour à la croissance semble peu probable. « En principe, les pertes enregistrées par les pays producteurs devraient se traduire par des gains équivalents pour les pays importateurs, mais le bilan s’avère négatif », soulignent les économistes du Fonds. Entre janvier et avril, ils ont notamment abaissé de 0,9 point leurs perspectives pour le Nigeria, premier exportateur afri- cain de pétrole, dont la croissance devrait se limiter à + 2,3 % en 2016. Le Brésil, plongé dans une grave crise politico-financière, et la Russie, frappée par les sanctions liées à l’Ukraine, devraient de leur côté s’enfoncer dans la récession cette année avec un PIB en recul respectivement de 3,8 % et 1,8 %, d’après ces nouvelles prévisions. La Chine tire bien mieux son épingle du jeu avec une croissance de 6,5 % un peu plus dynamique que prévu. Les Douanes chinoises ont annoncé mardi 12 avril un rebond marqué des exportations de la Chine en mars (+ 11,5 %), qui interrompt un plongeon de plusieurs mois. Ce résultat, s’il dure, est de nature à conforter le diagnostic du Fonds. Mais la transition de Pékin vers une économie davantage fondée sur la consommation pourrait être « moins douce » que prévu, au risque de créer de nouvelles turbulences financières, avertit le FMI. Le quasi-statu quo que l’organisation prédit aux économies avancées n’est guère plus enthousiasmant : ses estimations pour les Etats-Unis comme pour la zone euro sont plus faibles que prévu (− 0,2 point), avec une croissance de 2,4 % et 1,5 % respectivement. Selon ses calculs, le Japon devrait tomber en récession en 2017. Dans ces économies, « l’impact négatif de la démographie, la faible croissance de la productivité et les séquelles de la crise financière continuent d’entraver la reprise de l’activité », regrette le FMI. L’ordonnance du Fonds est assez classique, avec les politiques de grands travaux comme bon vieux remède. « Pour un certain nombre de pays, il peut être opportun d’investir dans les infrastructures (…) afin de profiter de la baisse des taux réels d’emprunt », indique Maurice Obstfeld. Afin d’inciter les entreprises à investir, notamment dans la recherche, l’économiste encourage aussi les gouvernements à adopter des politiques fiscales plus « amicales ». Le tout sans plomber les finances publiques. Exercice d’équilibrisme Préoccupé par le niveau élevé du chômage dans de nombreux pays, le Fonds consacre un chapitre entier de son rapport à la réforme du marché du travail. Pour faciliter le travail des femmes par exemple, il plaide pour des réductions du coût des gardes d’enfant, des aménagements dans les congés parentaux et des allégements d’impôts sur le deuxième salaire au sein d’un couple. Il insiste aussi sur la nécessité de mieux intégrer les jeunes en mettant l’accent sur la formation, la baisse des cotisations sociales et l’adoption d’un Dans ce contexte incertain, le FMI se soucie plus particulièrement de l’avenir des pays émergents salaire minimum spécifique. L’intégration des migrants fait l’objet de recommandations spécifiques comme l’autorisation de travailler pendant l’examen de la demande d’asile, la prise en charge d’une partie de leur salaire ou encore la reconnaissance des qualifications professionnelles. Le Fonds suggère en revanche de limiter la durée et le niveau des indemnités versées à ceux qui ont perdu leur emploi et de faciliter l’ajustement du temps de travail et du salaire en fonction de l’activité. Il reconnaît cependant que les effets de telles réformes peuvent créer des tensions à court terme. « Des réformes dans les systèmes de protection de l’emploi peuvent déclencher des licenciements rapidement alors que les embauches peuvent prendre plus de temps à se concrétiser », reconnaît le rapport. Conscient qu’un tel exercice d’équilibrisme est loin d’être gagné à l’échelle mondiale, le FMI demande aux Etats de plancher sur un « plan de secours » au cas où la croissance économique continuerait de ralentir. Pour « améliorer à la fois le fonctionnement du système monétaire international et la stabilité des marchés financiers, la coopération internationale est fondamentale », a-t-il insisté. « Beaucoup de progrès ont été accomplis depuis la crise financière [de 2008] mais il reste beaucoup à faire. » Un constat qui sonne d’abord comme un aveu d’impuissance. p chloé hecketsweiler 4 | économie & entreprise 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Budget : Sapin promet de nouvelles économies L’inflation quasi nulle conduit la France à trouver 3,8 milliards d’euros d’économies complémentaires L e changement, c’est la continuité. C’est en quelque sorte ce qui caractérise le programme de stabilité présenté mercredi 13 avril en conseil des ministres. Ce document annuel, qui doit être transmis à la Commission européenne avant la fin du mois, établit la stratégie macroéconomique de la France jusqu’en 2019. Il fera l’objet d’un débat, sans vote, le 26 avril à l’Assemblée nationale et le lendemain au Sénat. La première indication fournie par ce programme de stabilité, c’est que la France maintient ses objectifs de croissance et de réduction du déficit public. « La croissance s’est installée sur des bases solides », estime Michel Sapin, le ministre des finances. Alors que la loi de finances prévoyait 1 % en 2015, elle a finalement atteint 1,2 %. Le gouvernement maintient sa prévision de 1,5 % en 2016 et en 2017. Pour 2018 1,8 milliard d’euros vont être économisés grâce à la moindre charge des intérêts de la dette et 2019, elle est respectivement prévue à 1,75 % et 1,9 %. Une prévision, s’agissant de 2016, que le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis rendu public mercredi, juge « atteignable », même si elle se situe dans le haut de la fourchette des prévisions économiques. Pour les années suivantes, le scénario du gouvernement lui paraît « plausible » mais il souligne « l’importance des risques qui l’affectent ». Pour sa part, la Banque de France attend 1,4 % sur l’année. « La croissance en France en 2016 devrait se montrer résistante, c’est-à-dire au moins au niveau de l’an dernier, tout en restant insuffisante. Nous serons en dessous de la moyenne de la zone euro », a déclaré, mardi, le gouverneur de l’institution monétaire, François Villeroy de Galhau. En revanche, l’Observatoire français des conjonctures économiques se montre plus optimiste dans ses perspectives publiées mardi puisqu’il prévoit 1,6 % en 2016 et en 2017. Mouvements de crédits C’est la même stabilité qui prévaut en ce qui concerne la trajectoire de réduction du déficit public : après 3,5 % du PIB en 2015, contre 3,8 % anticipés, il devrait, selon les hypothèses maintenues du gouvernement, atteindre 3,3 % en 2016 avant de repasser sous la fameuse barre des 3 % en 2017, comme la France l’a promis à Bruxelles, et être abaissé à 2,7 %. « Nous nous y sommes engagés, nous nous y tiendrons, assure M. Sapin. Les résultats obtenus depuis deux ans démontrent que notre méthode fonctionne. » Le gouvernement se défend de vouloir ouvrir les vannes de la dépense publique et de laisser dériver le déficit public, malgré les annonces successives depuis le début de l’année : au plan emploi lancé en janvier se sont ajoutés le plan d’urgence en faveur des agriculteurs, la revalorisation du point d’indice et des carrières des fonctionnaires et les mesures proposées lundi en faveur des jeunes. Le programme de stabilité fixe un objectif de croissance de la dépense publique, hors crédit d’impôt, de 1,1 % en 2016 et en 2017. Cela se traduit par une diminution de la part de la dépense dans le PIB, qui, après avoir été ramenée de 56,1 % en 2014 à 55,3 % Une collection à PHILOSOPHER « Pensez le monde autrement avec les grands philosophes » L’ économie française possède des marges de croissance. » C’est le message délivré par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), organisme de recherche indépendant classé à gauche, qui a présenté mardi 12 avril ses prévisions macroéconomiques. « Alors que 2014 et 2015 avaient été marquées par un décrochage de la croissance française par rapport au reste de la zone euro, l’économie française aborde 2016 dans de meilleures conditions », a résumé Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, pour qui « de nombreux signaux positifs sont passés relativement inaperçus ». D’abord, l’année écoulée a été marquée par une reprise de la création d’emplois, avec 122 000 emplois marchands créés, et 166 000 au total. Le déficit public s’est révélé moins important que prévu l’an dernier, à 3,5 % du PIB, alors que la loi de finances prévoyait 3,8 %. Autre point positif : une meilleure maîtrise de la dépense publique, « qui a ralenti à un niveau jamais vu depuis les années 1960 », selon M. Plane. Birnbaum © A di Crollalanza UNE COLLECTION QUI EXPLIQUE CLAIREMENT LES IDÉES DES GRANDS PHILOSOPHES Le volume 6 KANT 9 € ,99 SEULEMENT! visuel non contractuel RCS B 533 671 095 Taux record Enfin, 1,8 milliard d’euros d’économies seront réalisés grâce à la moindre charge des intérêts de la dette. En effet, même si la dette continue de progresser légèrement en 2016 (96,2 % du PIB) et 2017 (96,5 %) après 95,7 % en 2015, la politique monétaire de la Banque centrale européenne permet de maintenir des taux d’intérêt bas. La France a emprunté à dix ans, jeudi, à un taux record de 0,43 %. Alors que la loi de finances était établie sur une prévision de taux d’intérêt de 2,4 % fin 2016, celle-ci est abaissée à 1,25 %, avant de remonter à 2 % en 2017. En 2017, ce sont 5 milliards d’euros d’économies complémentaires qui devront être réalisés, alors que, dans le même temps, le mouvement de baisse du taux de prélèvements obligatoires amorcé en 2015 devrait se poursuivre. Le gouvernement a ramené ses prévisions de 44,5 % à 44,2 % en 2016, puis 44 % en 2017. La France compte ainsi, cette fois, passer sans encombres l’examen de la Commission européenne. p patrick roger L’Observatoire table sur une hausse du PIB de 1,6 % en 2016 et 2017 ÉTHIQUE, LIBERTÉ, JUSTICE Présentée par Jean Birnbaum, essayiste, directeur du « Monde des livres ». en 2015, devrait passer à 54,6 % en 2016 et 54 % en 2017. « Toute dépense nouvelle sera financée, affirme Christian Eckert, le secrétaire d’Etat chargé du budget. Ce que nous avons réussi l’an dernier, nous allons également le réussir cette année. » Pour ce faire, Bercy, d’une part, dispose d’une réserve de précaution augmentée de 1,8 milliard d’euros grâce au gel des crédits reportés de 2015 à 2016 et, d’autre part, va procéder à des mouvements de crédits entre ministères au cours du printemps. Surtout, il va prendre, comme en 2015, des mesures d’économies complémentaires, pour un montant de 3,8 milliards d’euros, afin d’absorber, notamment, l’impact négatif de la faible inflation sur les finances publiques. Dans son document, en effet, Bercy prend acte de l’absence de regain de l’inflation et abaisse sa prévision d’inflation de 1 % à 0,1 %. De ce fait, après financement des mesures nouvelles, l’Etat et ses opérateurs vont devoir diminuer leurs dépenses de 1 milliard d’euros. Un même montant d’économies devra être réalisé sur les dépenses des administrations de Sécurité sociale. L’OFCE confiant sur la croissance française APPRENDRE Une collection Le déficit public devrait atteindre 3,3 % en 2016, avant de repasser sous la fameuse barre des 3 % en 2017 EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX www.CollectionPhiloLeMonde.fr « Deux points noirs » Les comptes des entreprises se sont aussi améliorés. L’investissement a crû de 3,2 % fin 2015, et le taux de marge des entreprises s’est nettement redressé, en particulier dans les secteurs exportateurs (industrie), « qui sont passés de 33 % de marge mi-2014 à 39 % aujourd’hui, au plus haut depuis 1980 », souligne l’OFCE. Les économistes concèdent toutefois « deux points noirs » : le recul de l’investissement des ménages, c’est-à-dire de la construction, qui a amputé la croissance de 0,2 point de PIB en 2014 comme en 2015 ; et la baisse des investissements des administrations publiques. Par ailleurs, dans la production, le taux d’utilisation des machines n’est pas revenu à sa moyenne historique. Et sur le marché du travail, le sureffectif est estimé à 70 000 personnes – les entreprises n’ayant pas licencié dans les proportions de la contraction de l’activité au plus fort de la crise. Quant à la consommation des ménages, socle de la reprise, elle n’a pas augmenté autant que le pouvoir d’achat, ce qui laisse à penser que les Français ont préféré épargner plutôt que dépenser. Mais pour l’OFCE, ce bémol devrait être source d’optimisme pour 2016. « Depuis 2008, jamais la capacité d’épargne des ménages n’a été aussi élevée. Couplé au rebond du taux de marge des entreprises, cela permet à la France d’aborder 2016 avec des capacités financières nettement plus élevées que par le passé », explique M. Plane. L’OFCE attend un rebond de la consommation, par effet ricochet après un quatrième trimestre marqué entre autres par les attentats de Paris, et parce que les Français devraient désormais davantage piocher dans leurs bas de laine. Les économistes de l’OFCE prévoient une croissance de 1,6 % pour cette année – le gouvernement table sur 1,5 % et le FMI sur 1,1 % – et d’autant pour 2017. « Cela reste très mou au regard des reprises précédentes », souligne toutefois M. Plane. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder l’effet sur l’indicateur le plus important pour les Français : le taux de chômage. Celui-ci, qui stagne autour de 10 % depuis la mi-2013, devrait redescendre à 9,5 % en 2017, selon l’OFCE. Un effet de la reprise de l’activité, mais aussi du plan de formation de 500 000 chômeurs annoncé par François Hollande en janvier, qui fera baisser le nombre des demandeurs d’emploi mécaniquement… et temporairement. p audrey tonnelier économie & entreprise | 5 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Les activités africaines de Bolloré sous l’œil des juges Le terminal à conteneurs du port de Conakry, en Guinée, en 2011. L’industriel breton est soupçonné d’avoir utilisé Havas pour faciliter l’obtention de la gestion de ports suite de la première page Dans un communiqué en réaction aux révélations du Monde, le groupe Bolloré a indiqué mardi « qu’il n’a entretenu et qu’il n’entretient aucune relation avec la société Pefaco et ses dirigeants ». Francis Perez compte pourtant dans ses relations un certain JeanPhilippe Dorent, dont le nom apparaissait déjà dans le signalement Tracfin – le service antiblanchiment du ministère des finances – qui avait provoqué l’ouverture de l’enquête préliminaire en juillet 2012. M. Dorent est l’un des cadres dirigeants de l’agence de communication Havas, détenue aujourd’hui à 60 % par le groupe Bolloré, où il est chargé du pôle international. « Je connais M. Perez, tout comme je connais plein de monde en Afrique et ailleurs », précise-t-il au Monde. Très actif sur le continent, M. Dorent s’est notamment occupé en 2010, pour le compte d’Havas (alors détenu à 32,9 % par Bolloré), de la campagne présidentielle guinéenne du candidat Alpha Condé, rentré d’un long exil parisien au cours duquel il s’était lié d’amitié avec l’ancien ministre des affaires étrangères, son camarade de lycée Bernard Kouchner, et avec Vincent Bol- loré. « Il est exagéré de dire qu’Havas a fait la campagne. En tant que consultant, j’ai fait du conseil pour Alpha Condé, que je considère comme un ami et une figure de la lutte africaine contre la dictature et contre l’apartheid », souligne M. Dorent. M. Dorent a aussi eu la charge d’une partie de la communication du jeune président togolais, Faure Gnassingbé, fils de Gnassingbé Eyadema, resté plus de trente-sept ans à la tête de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest. « Un fantasme » En février 2014, puis en février 2015, les policiers ont effectué plusieurs perquisitions dans les bureaux de M. Dorent chez Havas, sixième groupe publicitaire mondial, présidé depuis août 2013 par Yannick Bolloré, 36 ans, le fils Philippe Dorent, un des cadres dirigeants d’Havas, avait déjà fait l’objet d’un signalement Tracfin TOURE BABACAR/ PANAPRESS/MAXPPP du PDG. Ils y ont mis la main sur des éléments qui n’ont plus forcément de liens avec Pefaco et ses casinos africains, mais qui ont conduit aux perquisitions menées le 8 avril au siège du groupe Bolloré. Les conseils de M. Dorent et d’Havas pour la campagne électorale ont-ils facilité l’octroi à Bolloré Africa Logistics des concessions portuaires de Conakry, en Guinée, et de Lomé, au Togo ? A ce titre, le cadre de l’information judiciaire ouverte en novembre 2013 a été élargi au début de l’année 2016 aux faits de « corruption d’agent public étranger ». En novembre 2010, Alpha Condé a accédé à la magistrature suprême à la suite de la première élection libre du pays, qui sortait de cinquante-deux ans de régime autoritaire. Dans la foulée, en mars 2011, la convention de concession du terminal à conteneurs du port de Conakry, octroyée en 2008 pour une durée de vingtcinq ans à Getma, filiale du groupe français Necotrans, spécialisé dans la logistique por- tuaire en Afrique, a été rompue. Alpha Condé a confié la gestion du port à son « ami » Vincent Bolloré. Une bataille judiciaire a été engagée par Necotrans en France, ainsi qu’une longue procédure arbitrale. « C’est un fantasme que de penser qu’un coup de main à la campagne d’un candidat à la présidentielle qui faisait figure d’outsider comme Alpha Condé permettrait l’obtention d’un port », balaie M. Dorent. Au Togo, le groupe Bolloré a également remporté en 2010 – année de la réélection de M. Gnassingbé – la concession du terminal à conteneurs du port de Lomé pour une durée de trente-cinq ans. Une décision elle aussi contestée, cette fois par un autre concurrent. Jacques Dupuydauby, ancien associé de Bolloré au Togo, a multiplié les recours judiciaires pour dénoncer les conditions dans lesquelles il considère avoir été évincé. « Concernant ses activités portuaires, le groupe Bolloré rappelle qu’il s’agit d’investissements considérables, réalisés en partenariat avec d’autres grands groupes internationaux », précise l’entreprise familiale dans un communiqué. L’avocat du groupe, Olivier Baratelli, a néanmoins confirmé les informations du Monde : « Lors de cette perquisition, il nous a été demandé des documents sur des concessions portuaires en Afrique et nous les avons remis, a-t-il précisé. Tout en assurant que le groupe n’est nullement partie ou impliqué dans cette information judiciaire. » Mardi 12 avril, un porte-parole d’Havas a indiqué à l’AFP que l’entreprise a « cessé toute communication politique depuis 2011 ». Cependant, fin 2015, Jean-Philippe Dorent s’est occupé personnellement de la communication du président camerounais Paul Biya durant la COP21 à Paris. Par ailleurs, Havas a assuré la campagne présidentielle de l’homme d’affaires Sébastien Ajavon au Bénin en janvier et février 2016, candidat arrivé troisième au premier tour du 6 mars. p simon piel et joan tilouine Servair pourrait tomber dans l’escarcelle d’un groupe chinois C’ est la dernière ligne droite pour Servair. Air France a lancé le processus de vente de sa filiale à 100 %, spécialisée dans l’avitaillement, le « catering » des compagnies aériennes. Selon nos informations, cinq candidats sont sur les rangs pour racheter une partie du capital de Servair. Mais sur les cinq prétendants, trois seulement seraient considérés comme « sérieux » par la compagnie. Le trio de tête comprend le français Newrest, spécialisé dans la restauration collective, I’austro-turc Do & Co, et le suisse Gategroup, maison mère de la société Gate Gourmet, spécialisée dans le catering. Et c’est bien cette dernière qui pourrait l’emporter, dans la foulée d’une opération capitalistique qui vient de se déclencher en Suisse. En effet, le groupe chinois HNA, présent dans l’hôtellerie, le tourisme et le transport aérien, a déposé, lundi 11 avril, une offre publique d’achat (OPA) d’un montant de 1,2 milliard d’euros sur Gategroup. Cette opération a reçu le soutien du conseil d’administration du groupe helvète. L’OPA devrait être finalisée entre le 27 mai et le 23 juin. HNA n’est pas un inconnu en France depuis qu’il a noué, en novembre 2015, un partenariat stratégique avec le groupe Pierre et Vacances notamment pour aider le français à développer des Center Parcs en Chine. Cette opération capitalistique sino-helvétique pourrait renforcer les chances de Gate Gourmet de mettre la main sur Servair. L’arrivée de HNA aux commandes de Gategroup donnerait en effet les moyens financiers au suisse pour faire des acquisitions d’importances. « Cela leur apporterait beaucoup d’argent pour se développer à l’international. Notamment en Asie », fait savoir un bon connaisseur du dossier. « C’est idéal pour Servair », ajoute-t-il. Retour des bénéfices Surtout, Gate Gourmet, renforcé par l’apport du chinois HNA, semble bien correspondre au profil recherché par Air France. Il y a trois ans, la compagnie aérienne avait déjà évoqué l’ouverture du capital de Servair, notamment pour permettre à sa filiale de faire des acquisitions. Air France a fixé deux étapes pour la reprise de sa filiale. Dans un premier temps, le futur repreneur devra acquérir la minorité de blocage de Servair avant d’en devenir l’actionnaire majoritaire. Mais Air France restera présente au capital. Lors de l’annonce de la mise en vente de Servair, , au cours d’un comité central d’entreprise le 10 mars, la compagnie aérienne avait précisé qu’elle souhaitait en rester un actionnaire de référence avec environ 20 % du capital. Le spécialiste de la restauration collective Newrest, qui aurait fait, un temps, figure de favori ne présenterait pas les mêmes atouts. La société présidée par Oliver Sadran, également à la tête du club de football de Toulouse, serait « moins complémentaire avec Servair », que Gate Gourmet, pointe un proche du dossier. Comme Servair, Newrest serait principalement présente en France et en Afrique. Longtemps dans le rouge, Servair a renoué avec les bénéfices. Elle est redevenue profitable depuis trois ans, malgré la baisse des achats d’Air France, qui demeure son principal client. Toutefois, la société qui emploie environ 10 000 salariés ne détient plus que 6 % de part de marché de l’avitaillement. Sans doute pour compenser la politique de réductions de coûts menée par Air France, Servair, a entamé sa diversification. La filiale de catering gère désormais des établissements de la chaîne de restauration rapide Burger King en Afrique. Servair serait valorisée 500 millions d’euros. Le calendrier de la vente pourrait désormais s’accélérer. Air France devrait ainsi annoncer être entré en négociations exclusives avec l’un des candidats au rachat d’ici à la fin avril. p guy dutheil On ne choisit pas son nom, mais on choisit qui on devient. #bedistinctive © campus com La filiale d’avitaillement d’Air France est convoitée par le suisse Gategroup, lui-même en passe d’être racheté par le chinois HNA 6 | économie & entreprise 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 En Espagne, Abertis se sent pousser des ailes LOI SI RS LVMH s’allie à la Compagnie des Alpes pour garder le Jardin d’acclimatation Le groupe de luxe LVMH est candidat à sa propre succession pour la concession du Jardin d’acclimatation de Paris, qui sera renouvelée en septembre. Il a indiqué, mardi 12 avril, avoir conclu à cette occasion un partenariat à (80 %/20 %) avec la Compagnie des Alpes qui exploite des domaines skiables et des parcs de loisirs. – (AFP.) LUXE Chanel épaule Sophie Hallette Chanel a pris une participation très minoritaire dans Holesco, la maison mère de l’entreprise de dentelles Sophie Hallette, a-t-on appris mardi 12 avril. Chanel épaule ainsi Holesco dans sa reprise de la PME calaisienne de dentelles Codentel. Sont aussi sur les rangs les managers de Codentel et le chinois Yongsheng, nouveau propriétaire de Desseilles. Le tribunal de commerce de Boulognesur-Mer doit trancher jeudi. Le concessionnaire d’autoroutes profite de la reprise et de sa diversification madrid - correspondance L e trafic routier est un bon thermomètre de la reprise : on peut y lire l’amélioration de l’activité, le rétablissement du moral des ménages et le redressement de l’économie des familles, l’emploi qui repart ou les voyages d’agrément qui reprennent… Qu’Abertis, la principale société concessionnaire d’autoroutes espagnole, ait vu augmenter le trafic de 6,1 % en 2015 sur les 1 777 km de voies à péages qu’elle gère dans le pays (60 % du total) confirme ainsi la bonne marche de l’économie espagnole. « Nos revenus sont très liés au PIB des pays où nous opérons », convient le directeur financier du groupe, José Aljaro, dans les lumineux bureaux du siège, situé dans le quartier chic de Pedralbes, à Barcelone. En 2015, le PIB de l’Espagne a augmenté de 3,2 %. Parallèlement, la circulation des poids En 2015, le bénéfice net du groupe a bondi, à 1,88 milliard d’euros, trois fois supérieur à celui de 2014 lourds a progressé de 8,5 % et celle des véhicules de tourisme, de 5,7 %. L’Espagne revient de loin. « Entre 2007 et 2014, le trafic sur nos autoroutes à péage espagnoles avait baissé de plus de 32 % », se souvient José Aljaro. Il aura fallu attendre le dernier trimestre 2013 pour voir la courbe s’inverser, et 2014 pour noter une augmentation sensible de près de 4 % du trafic. « Les premiers résultats montrent que 2016 s’annonce très positive », ajoute le directeur financier devant d’immenses baies vitrées qui donnent sur la Finca Güell, un monument peu connu du célèbre architecte catalan Antoni Gaudi. Ce mardi 12 avril, Abertis a présenté les résultats et les points forts de l’exercice 2015 devant l’assemblée générale des actionnaires. En 2015, le bénéfice net du groupe a bondi, à 1,88 milliard d’euros, trois fois supérieur à celui de 2014, grâce à l’entrée en Bourse de 66 % de la compagnie d’infrastructures de télécommunication Cellnex (2,6 milliards d’euros de plus-value). « En supprimant les opérations et événements extraordinaires, notre bénéfice a augmenté de 7 % », précise M. Aljaro. De quoi lui permettre d’augmenter de 10 % les dividendes tout en réduisant sa dette nette de 9 %, suivant en cela la politique de désendettement des entreprises espagnoles. Celle-ci reste élevée, à 12,5 milliards d’euros, soit VOIT GRAND POUR VOTRE WEEK-END 4,7 fois l’ebitda. Néanmoins, le groupe considère désormais que sa priorité n’est plus de la réduire, mais de « chercher activement des opportunités à l’étranger ». Durant les sept ans de la crise espagnole, Abertis a misé, comme de nombreuses entreprises du pays, sur la recherche de nouveaux marchés pour contrer la crise, et l’expansion en Amérique latine, pour des raisons de proximité culturelle et linguistique et une longue tradition de présence des groupes espagnols sur place. L’Amérique latine pour horizon Le concessionnaire était déjà présent en France, où il contrôle la Sanef avec 52,4 % du capital depuis 2006. C’est aujourd’hui son premier marché : il y réalise 37 % de son chiffre d’affaires, contre 30 % en Espagne. Il est ensuite entré au Brésil en 2012, à Puerto Rico et au Chili. Actuellement 70 % des revenus du groupe proviennent de l’étranger, contre 48 % en 2007. « Ces dernières années, nous avons misé sur une diversification géographique qui permet de stabiliser nos comptes de résultats, les rendre plus solides face aux cycles économiques, résume M. Aljaro. La crise a frappé durement l’Espagne et l’Europe en général, mais l’Amérique latine est allée très bien pendant cette période. Les uns compensent les autres. Cette stratégie nous a permis de maintenir une rentabilité élevée. » La France est le premier marché d’Abertis : il y réalise 37 % de son chiffre d’affaires, contre 30 % en Espagne LES QUOTIDIENS ET SUPPLÉMENTS DU WEEK-END Aujourd’hui, comme beaucoup d’entreprises espagnoles qui ont misé sur le Brésil, à commencer par Telefonica ou Banco Santander, Abertis souffre des difficultés que traverse sa filiale, Arteris, touchée par la récession, une baisse du trafic de 2,3 % et la chute des taux de change. Mais il maintient son pari sur le géant sud-américain, qui a représenté 13 % de ses revenus en 2015. « Ce qui se passe au Brésil à court terme est relatif. Ce qui nous importe, ce sont les perspectives à long terme. C’est une économie riche en ressources », assure le directeur financier. En attendant, le groupe augmentera les tarifs et tentera de compenser les résultats en demi-teinte brésiliens par les performances au Chili, où, en janvier, il a obtenu la concession de l’autoroute centrale, la plus fréquentée du pays. Avec 8 300 kilomètres d’autoroutes dans douze pays, il vise aujourd’hui l’obtention de deux concessions en Italie et l’entrée sur de nouveaux marchés sur le continent américain. Abertis espère aussi reproduire le modèle du plan de relance français, qui lui a permis d’allonger la durée des concessions moyennant un investissement de 590 millions d’euros sur le réseau, sur d’autres marchés comme le Chili, l’Argentine et Puerto Rico. « Le plan de relance est l’exemple parfait de combinaison entre les intérêts des concessionnaires et des administrations », a défendu mardi Salvador Alemany, le PDG du groupe, qui en a profité pour vanter le modèle de gestion des infrastructures routières public-privé. En Espagne, où moins de 30 % des autoroutes sont à péages (contre plus de 75 % en France), l’augmentation du nombre de concessions autoroutières pour entretenir le réseau et doter l’Etat de ressources supplémentaires avait un temps été envisagé, durant la crise. Abertis n’attend que ça… p sandrine morel Quand le régulateur ferroviaire craint pour son droit de veto D * Prix normal d’abonnement L’ÉDITION ABONNÉS NUMÉRIQUE 7/7 ABONNEZ-VOUS SUR LeMonde.fr/offrewe écidément, la décision ne passe pas… Quelques jours après le refus par le régulateur ferroviaire (Arafer) de la nomination de Jean-Pierre Farandou, le PDG de Keolis, à la tête de SNCF Réseau en remplacement de Jacques Rapoport, démissionnaire, le gouvernement tenterait de faire évoluer la loi ferroviaire, votée à l’été 2014, craint-on chez le régulateur. Son objectif : restreindre la notion de conflit d’intérêts pour les nominations à la tête des entreprises du secteur, voire modifier le rôle du régulateur, quitte à le priver de son droit de veto. Pour mémoire, un cadre ayant officié à un haut niveau à SNCF Mobilité ne peut prétendre diriger la partie réseau du groupe ferroviaire. Et ce, pour garantir son indépendance dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. Au lieu de revoir la loi française directeLA FRANCE ment, le gouvernement cherche à influer sur la directive européenne (le 4e paquet ENTEND LIMITER ferroviaire) en discussion à Bruxelles ce mercredi 13 avril. Cette dernière primant LA NOTION MÊME sur le droit français, la loi ferroviaire devrait être revue et corrigée. DE CONFLIT Le 4 avril, la France a ainsi proposé trois D’INTÉRÊTS amendements à la directive qui doit être adoptée au mois de juin. Selon ce document de travail obtenu par Le Monde, le gouvernement veut modifier l’appréciation sur les conflits d’intérêts du régulateur, car son rôle « est de corriger des dysfonctionnements et non d’empêcher par avance toute situation qui pourrait un jour constituer un problème dans des circonstances particulières », argue le texte. la France entend limiter la notion même de conflit d’intérêts : « Lorsqu’un gestionnaire d’infrastructure et une entreprise ferroviaire sont indépendants l’un de l’autre, tout en étant directement contrôlés par une même autorité publique, la situation ne doit pas être considérée comme donnant lieu à un conflit d’intérêts. » Mauvais procès, se défend une source gouvernementale. « La France veut limiter l’examen des situations de conflits d’intérêts aux seuls dirigeants des entreprises qui, de par leurs missions, pourraient discriminer ou favoriser d’autres acteurs du secteur. Il n’est, en revanche, pas question de toucher au droit de veto du régulateur, la directive ne modifiera pas la loi. » affirme-t-elle. p philippe jacqué idées | 7 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 VU D’AILLEURS | CHRONIQUE par mart in wol f L’Inde reste l’économie la plus performante du monde L’ Inde est décidément fascinante. La capacité de cet immense pays pauvre à faire fonctionner une démocratie vivante constitue indubitablement l’une des merveilles politiques du monde. Parmi les grandes économies mondiales, elle enregistre le meilleur taux de croissance. Sa performance économique n’a cependant pas été à la hauteur de ce que l’on pouvait attendre. Alors que nombre de ses partisans s’attendaient naïvement à le voir impulser un virage favorable au marché, le gouvernement dirigé par le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata (BJP) du premier ministre Narendra Modi, au pouvoir depuis 2014, incarne la continuité. Certes, la performance économique à court terme est positive ; elle devrait aussi être convenable à moyen terme, en raison de l’énorme potentiel du pays et à condition que les réformes esquissées soient mises en œuvre. Mais la réussite n’est pas acquise. Le gouvernement n’a montré aucun penchant pour la privatisation radicale ni pour la restructuration de monopoles publics inefficaces ; et il conti- nue à dépenser d’énormes sommes en subventions inutiles. Rappelons, pour être équitable, que la Chambre haute, qui échappe au contrôle du BJP, a jusqu’ici bloqué toutes les innovations, par exemple une taxe sur les services qui aurait permis d’accélérer l’intégration du marché intérieur. Lorsque M. Modi est arrivé au pouvoir, l’économie pâtissait d’une forte inflation et de graves déficits budgétaires. Grâce à la chute des prix du pétrole, la première est passée de plus de 10 % en 2013 à moins de 6 % aujourd’hui. Le déficit du gouvernement central devrait baisser de 4,5 % du PIB en 2013-2014 (d’avril à mars) à 3,5 % en 2017. La croissance, de 5,3 % en 2012-2013, devrait atteindre 7,5 % en 2015-2016. Le ministère des finances table sur une croissance située entre 7 % et 7,75 % en 2017. Ces performances devraient perdurer, notamment parce que la banque centrale pourrait abaisser au cours des prochains mois ses taux d’intérêt, aujourd’hui à 6,75 %, et qu’après deux saisons médiocres les pluies de la mousson devraient être plus abondantes cette année. En revanche, les ENTREPRISES Un éléphant n’est pas une souris qui a grossi par pierre-yves gomez O n connaît l’avertissement de Camus : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Dans toutes les sociétés, les individus apprennent à reconnaître les objets qui les entourent selon un système de classification. Dans une tribu dite primitive, un enfant sait différencier des dizaines de végétaux ou d’animaux en fonction de catégories subtiles propres à sa culture. Lorsque le botaniste Carl von Linné présenta en 1735 dans son ouvrage Système de la nature une nomenclature systématique du règne vivant, il ne fit qu’utiliser les critères de la rationalité moderne pour poursuivre un effort constant de l’intelligence humaine. Depuis lors, le milieu dans lequel vit l’homme moderne occidental est devenu moins naturel qu’économique. Il est peuplé, entre autres, d’innombrables organisations productives qui entrent en compétition pour les ressources ou les marchés, qui coopèrent, fusionnent ou se battent à mort pour survivre et s’imposer. La forme, la taille, le projet ou la manière de gouverner ces créatures dotées d’autonomie et de personnalités morales composent une biodiversité économique plutôt complexe. Savons-nous la reconnaître ? Nous parlons couramment des « entreprises » comme s’il existait une espèce unique, au mieux différenciée selon qu’elles sont grandes ou petites. Or, d’innombrables travaux scientifiques les observent non seulement d’après leur taille, mais aussi d’après la structure de leur actionnariat, leurs ressources et leurs savoir-faire, leur dépendance technologique, leur trajectoire historique ou leur inscription dans un territoire. Pourtant, l’idée de dégager une classification des entreprises, comme le fit Linné pour les êtres vivants, ne nous semble pas nécessaire. Nous n’avons, en conséquence, ni le regard affûté ni les mots adaptés. Si nous savons distinguer substantielle- ¶ Pierre-Yves Gomez est professeur à l’EM Lyon business school ment un éléphant d’une souris, si nous considérons qu’un éléphant n’est pas une souris qui aurait grossi, rien ne nous permet de telles distinctions entre les entreprises. Sans doute est-ce dû à un préjugé moderne selon lequel l’accumulation de capital est la condition déterminante de la puissance économique, ce qui conduit à classer les organisations prioritairement selon leur taille : grandes, moyennes ou petites. On conclut que les petites et les moyennes aspirent à devenir grandes, mais leur vitalité, leur dynamique et finalement leur puissance propres nous échappent. LES RISQUES DE MYOPIE Or, quoi de commun entre un atelier artisanal et une unité de production intensive, entre un cabinet dentaire et un cabinet d’avocats internationaux, entre une société de médias et un constructeur aéronautique, entre Lego et Total ? L’entrepreneur américain Peter Thiel, dans son livre De zéro à un (JC Lattès, 2015), met incidemment en lumière les risques de cette myopie pour la compréhension du capitalisme contemporain. Fondateur de PayPal, devenu un géant du paiement en ligne, et de Palantir, leader sur les logiciels de big data, Peter Thiel finance des sociétés technologiques qui transforment notre vie quotidienne, comme Facebook ou LinkedIn. Pour lui, ces entreprises ont un actionnariat très engagé, des stratégies clairement subordonnées au projet industriel, des relations humaines étroites et très élitistes et des conseils d’administration minimalistes. Bien que leur influence soit désormais considérable, elles ne ressemblent en rien aux bureaucraties multinationales que l’on a coutume d’appeler « grandes entreprises ». Un Linné de l’économie aurait sans doute classé Paypal, Facebook ou Tesla parmi les entreprises de type associatif, de faible taille et de culture missionnaire. Selon Peter Thiel, leur réussite s’explique par ces caractéristiques. Mal nommer l’objet « entreprise », c’est se condamner à une connaissance pauvre du capitalisme réel et de sa dynamique. C’est appliquer des analyses, des politiques, un droit du travail ou de la gouvernance communs à des organisations substantiellement différentes. Obnubilé par la puissance des éléphants, on s’interdit finalement de percevoir l’action patiente mais décisive des souris. p exportations, stagnantes depuis des années, sont en chute libre ; la croissance du crédit a fortement ralenti ; l’investissement brut est passé de 39 % du PIB en 2011-2012 à 34,2 % en 2014-2015. Selon le Fonds monétaire international, le PIB indien par tête (en parité de pouvoir d’achat) ne se situe qu’à 11 % du niveau américain, alors que celui de la Chine s’établit à 25 %. Il existe donc une marge de croissance de rattrapage substantielle. VIGILANCE NÉCESSAIRE Des améliorations sont en cours : accélération des investissements d’infrastructure ; plus grande ouverture aux investissements directs étrangers ; administration plus efficace ; consolidation et recapitalisation des banques du secteur public ; législation adaptée sur les faillites ; liberté laissée aux Etats de rivaliser sur des politiques favorables à la croissance ; régulation de la fourniture d’aides publiques grâce au nouveau système de numéro d’identité unique délivré à chaque citoyen ; enfin, création d’une taxe sur les produits et services (TPS). L’Inde doit pourtant rester vigilante. Le pays est passé d’un socialisme limité à un capitalisme limité : fermer une entreprise et en licencier les employés y reste très difficile. Cela explique que les emplois dans le secteur privé organisé ne représentent que 2 % de la main-d’œuvre totale. Les marchés du foncier, du travail et des capitaux sont largement faussés. Les fortes protections douanières restreignent la capacité de s’insérer dans les chaînes de valeur mondiales. D’importants marchés de produits ne sont pas compétitifs. Même le secteur des technologies de l’information, tant vanté ces dernières années, semble perdre de son dynamisme. L’éducation est, globalement, de piètre qualité. La pression d’une classe moyenne en développement pourrait contraindre le gouvernement à procéder aux réformes indispensables. Restent trois dangers. Premièrement, un conflit armé avec le Pakistan, éventualité aujourd’hui peu probable. Deuxièmement, un ralentissement économique mondial, mais tant que le pays est correctement géré, la probabilité d’un ralentissement assez brutal pour faire dérailler la croissance dans un pays aussi grand et diversifié semble mince. Le dernier danger pourrait provenir de la frange chauvine et intolérante du BJP. Les musulmans représentent 14 % de la population. L’un des miracles de l’Inde d’après l’indépendance est la façon dont des personnes aussi différenciées par leur religion, leur caste et leurs opinions ont réussi à cohabiter démocratiquement et, la plupart du temps, pacifiquement. Pour que cela perdure, les dirigeants politiques doivent garder à l’esprit qu’ils gouvernent au nom de tous les Indiens. La tolérance à l’égard des différences est importante dans toutes les démocraties. Dans le cas d’une démocratie aussi énorme et complexe, elle est tout simplement vitale. p Traduit de l’anglais par Gilles Berton ¶ Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le « Financial Times » © FT La transition énergétique, mine d’or pour l’industrie chinoise Les entreprises chinoises multiplient les projets à l’étranger dans le domaine de la production et de la distribution d’électricité « propre » par christophe granier et alexandre xing L’ accord de la COP21 adopté à Paris le 12 décembre 2015 est une opportunité pour le développement international de la Chine. Ses entreprises dans les secteurs de la production et de la distribution d’électricité possèdent en effet les compétences techniques, la capacité de financement et une approche des partenariats bien perçue dans beaucoup de pays. La centrale thermique la plus puissante du monde (1 000 MW) a été construite à Shanghaï. C’est aussi celle qui offre le meilleur rendement et l’impact le plus réduit sur l’environnement grâce à la technologie dite « ultrasupercritique ». Ses performances sont meilleures que celles des turbines à gaz, ce qui en fait une référence à l’export et devrait susciter l’intérêt de pays ayant d’abondantes ressources en charbon et une forte pression environnementale. En juillet 2015, State Power Investment (SPI) a signé un contrat d’étude de préfaisabilité pour la construction d’une centrale ultra-supercritique de 2 x 660 MW au Bangladesh. Les grands fabricants chinois de chaudières et de turbines (Shanghai Electric, Dongfang), qui maîtrisent le savoirfaire des équipements ultra-supercritiques, devraient trouver leur place sur le marché international. La Chine occupe aussi la première place dans le domaine des centrales hydrauliques (300 GW, 25 % des capacités installées dans le monde). Le groupe dominant est China Three Gorges Corporation (CTGC), qui a construit des centrales hydrauliques en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, certaines réalisées en collaboration avec Alstom. Au cours de ces dernières années, EN 2015, LA CHINE A DÉPASSÉ L’ALLEMAGNE POUR DEVENIR LEADER MONDIAL DANS LE DOMAINE DES FERMES PHOTOVOLTAÏQUES CTGC a réalisé des projets au Pakistan, au Kazakhstan, en Malaisie, au Népal et au Laos. En 2012, elle a acquis 21 % de l’électricien portugais PEC. SPI et China Energy Engineering sont les autres acteurs majeurs du secteur. Datang se développe notamment dans la région du Mékong et mène des projets au Kazakhstan et en Afrique du Sud. La Chine est le premier pays du monde pour la capacité installée de turbines éoliennes. Quatre chinois figurent parmi les dix premiers fournisseurs de ces turbines en 2015. Leader mondial, Goldwind développe des projets aux Etats-Unis, au Chili, en Equateur, au Pakistan et en Ethiopie. Une filiale de Guodian a ouvert des bureaux d’études à l’étranger, a construit un parc éolien de 99 MW au Canada et termine deux parcs d’une capacité installée de 244 MW en Afrique du Sud. UN ACCORD AVEC EDF En 2015, la Chine a dépassé l’Allemagne pour devenir leader mondial dans le domaine des fermes photovoltaïques, avec une capacité totale installée de 43 GW. Las des mesures antidumping et antisubventions prises par l’Union européenne et les Etats-Unis, les fabricants chinois de panneaux solaires se concentrent sur l’Inde, l’Afrique et les pays des « Routes de la soie ». Les noms à retenir dans ce secteur sont Golden Concord (numéro 1 mondial), Hareon Solar, Jiangsu Shunfeng et Trina Solar. Avec 28 réacteurs nucléaires installés d’une capacité totale de 27 GW, 24 en construction pour 27 GW, 40 en projet pour 47 GW et la technologie nationale de centrale de 3e génération Hualong One, les entreprises chinoises du secteur nucléaire sont de grands acteurs sur le marché international. Les trois majors sont China National Nuclear Corporation (CNNC), General Nuclear Power Corporation (CGN) et SPI. Face aux technologies plus éprouvées, Hualong One a besoin de temps et de références pour prouver son efficacité, mais la compétitivité des sociétés chinoises en matière de construction de centrales et leur capacité de financement sont attirantes. Leur stratégie consiste à s’associer avec un fournisseur de technologie reconnu, prendre une part dans le consortium d’investisseurs, participer à la construction, fournir le financement du projet et vendre dans le même temps Hualong One pour un autre projet de centrale nucléaire. En octobre 2015, CGN a signé un accord avec EDF pour financer, construire et exploiter deux centrales de technologie française à Hinkley Point, en Angleterre. L’accord inclut aussi la collaboration des deux groupes pour la construction d’une centrale Hualong One à Bradwell. CNNC a fait de même pour son premier contrat en Argentine : grâce à un engagement de financement, le groupe a remporté en novembre 2015 la construction de deux centrales de technologie canadienne et signé en même temps un accord-cadre pour la 5e centrale nucléaire du pays, de technologie Hualong One. Dans le secteur de la distribution électrique, State Grid, géant chinois des réseaux, a mis au point la technologie à « ultra-haut-voltage » (UHV), sûre, efficace et verte, qui cumule les avantages d’une capacité plus grande, d’une distance plus longue, d’une perte de transmission réduite, d’une emprise au sol moindre, donc d’une excellente économie d’échelle. Liu Zhenya, président de State Grid, est convaincu que la meilleure façon de relever les défis de la raréfaction des ressources naturelles, de la pollution et du changement climatique est d’utiliser les énergies propres renouvelables et de remplacer au maximum la combustion des énergies fossiles par la consommation d’électricité. Selon lui, 0,05 % du potentiel existant d’énergie hydraulique, éolienne et solaire suffirait à satisfaire les besoins de l’être humain. Le reste est affaire d’interconnexion des réseaux d’électricité entre les nations et entre les différents continents. L’application réussie de la technologie UHV sur le réseau électrique domestique chinois prouve que l’idée est techniquement faisable et économiquement intéressante. Il reste aux gouvernements à accepter l’idée d’une interconnexion au niveau mondial. En mai 2015, State Grid a inauguré son premier projet étranger de transmission UHV pour transférer l’électricité de la centrale hydraulique de Belo Monte, dans le nord du Brésil, vers le sud-est du pays, sur une distance de 2 084 km. La construction sera achevée fin 2017. p ¶ Christophe Granier et Alexandre Xing sont conseillers du commerce extérieur de la France 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 JEUDI 14 AVRIL 2016 Facebook fait le pari des « chatbots » T ÉLÉCOMS Le réseau va permettre aux entreprises d’utiliser ces « robots de conversation » sur Messenger Le cabinet indépendant RootMetrics a dévoilé, mardi 12 avril, son rapport sur la performance des réseaux mobiles en France. Orange devancerait Bouygues, Free et SFR à Paris et à Marseille et se placerait ex aequo avec Bouygues et SFR à Lyon. Les vitesses moyennes de téléchargement les plus grande relevées à Paris rivalisent avec celles de Londres, Madrid et New York. L’enjeu de la monétisation Facebook partage cette vision. Avec Messenger, le réseau social entend devenir la plateforme de communication privilégiée entre les entreprises et leurs clients. Plus besoin de télécharger une multitude d’applications mobiles, de se rendre sur un site Internet ou de passer un coup de téléphone. « Je ne connais personne qui aime appeler un service client ou télécharger une application pour chaque chose », assure M. Zuckerberg. En 2015, Facebook avait déjà ouvert Messenger aux entreprises, leur permettant de bâtir des services sur sa plateforme. Par exemple, KLM et Voyages-SNCF l’utilisent pour envoyer billets et informations. Les chatbots ouvriront de nouveaux usages, notamment en matière de e-commerce. « Les applications mobiles ne vont pas disparaître du jour au lendemain, nuance Jeffrey Hammond, analyste chez Forrester. Mais les usages vont basculer petit à petit, à l’image de la transition des sites Web vers les applications. » Pour atteindre son objectif, le réseau social dispose d’un atout de Une première phase de tests a débuté aux Etats-Unis avec une trentaine de partenaires taille : les quelque 50 millions de sociétés qui ont créé une page sur son site. « Nos utilisateurs adorent discuter avec des entreprises sur Messenger, assure David Marcus, le responsable des activités de messagerie chez Facebook. Chaque mois, un milliard de messages sont envoyés à des entreprises. » Pour ces sociétés, petites ou grandes, les applications de messagerie représenteront un nouveau canal de distribution, per- 0123 A cheter des vêtements, réserver un billet d’avion, consulter ses comptes bancaires et même imprimer des documents. Ces prochains mois, Messenger, l’application de messagerie instantanée de Facebook, va considérablement élargir son champ d’action. Pour réaliser ces tâches du quotidien, il suffira bientôt de lancer une discussion avec un « chatbot », un petit programme informatique capable de converser. Attendue, cette évolution a été officialisée mardi 12 avril par Mark Zuckerberg, le patron et fondateur de Facebook, en ouverture de F8, sa conférence annuelle destinée aux développeurs. Une première phase de tests a débuté aux EtatsUnis avec une trentaine de partenaires. Parmi eux : Bank of America, CNN, Expedia ou Burger King. « Communiquer avec une entreprise devrait être aussi simple que de discuter avec ses amis », argue M. Zuckerberg. L’entreprise de Menlo Park (Californie) n’est pas la première à se lancer. Cinquante ans après leur apparition, les chatbots redeviennent à la mode. L’application de messagerie chinoise WeChat a ouvert la voie. Elle a été suivie par Kik, Telegram et Slack. Fin mars, Microsoft a aussi dévoilé ses ambitions dans le domaine. Deux raisons expliquent ce retour au premier plan. D’abord, les progrès en matière d’intelligence artificielle, en particulier grâce aux méthodes de « machine learning » (apprentissage automatique). Ensuite, le succès des applications de messagerie mobile, plateformes idéales pour ce type d’interactions. Le cabinet eMarke- ter estime que ces « app » sont déjà utilisées par 1,4 milliard de personnes dans le monde. « C’est un concept simple mais qui pourrait avoir un impact très important, aussi important que les précédents changements de plateforme », assure Satya Nadella, le directeur général de Microsoft, citant la bascule du PC vers le mobile. « Les applications de messagerie vont devenir les nouveaux navigateurs, et les bots, les nouveaux sites Internet », estime Ted Livingston, le patron de Kik. HORS-SÉRIE san francisco - correspondance mettant de s’adresser à une cible très large. « Avec Messenger, vous pouvez toucher plus de 900 millions de personnes dans le monde », fait valoir M. Marcus. Les chatbots doivent désormais permettre d’automatiser le processus, afin de gérer un nombre important de requêtes. Pour aider les développeurs à concevoir ces robots, Facebook met à disposition des outils consacrés. En particulier, ses capacités d’intelligence artificielle issues du rachat, en 2015, de la start-up Wit.ai. Celles-ci sont au cœur d’un autre projet maison : M, un assistant personnel en cours de développement. Sur ce terrain, Facebook devra affronter Microsoft, qui prévoit de mettre ses outils à disposition de tous. Les deux sociétés assurent qu’il sera ainsi très facile de créer un chatbot. Les premiers programmes présents sur Messenger restent limi- Performance des réseaux mobiles : Orange en tête tés, loin d’une véritable conversation. Les interactions se limitent souvent à un choix entre plusieurs réponses. « Les progrès récents ont été plus rapides que prévu, note cependant M. Hammond. Bientôt, il sera difficile de faire la différence entre un robot et un être humain. » L’offensive de Facebook doit aussi lancer la monétisation de son application. Pour les entreprises, l’utilisation de chatbots sera gratuite et sans aucune commission. Mais Facebook leur proposera d’acheter de la publicité pour promouvoir leur programme. A terme, le réseau social offrira des fonctionnalités payantes, par exemple des campagnes marketing auprès d’anciens clients. L’an passé, devant les investisseurs de Wall Street, M. Zuckerberg s’était montré extrêmement optimiste sur le potentiel de Messenger. p jérôme marin MUS I QU E Spotify menace de quitter la Suède Daniel Ek et Martin Lorentzon, les cofondateurs du site de streaming musical suédois Spotify, ont menacé de quitter la Suède, et de déplacer des milliers d’emplois vers les Etats-Unis, si le gouvernement ne réglait pas les problèmes du pays en matière d’éducation et de logement. Dans un blog, ils pointent aussi la difficulté à payer leurs salariés en stock-options. Réussir son bac PROGRAMME 2016 avec 0123 Lancement de Mediawan La société cotée fondée par MM. Capton, Niel et Pigasse veut lever 250 millions d’euros O n en sait désormais plus sur Mediawan, le projet d’investissement dans les médias lancé par le producteur Pierre-Antoine Capton, associé à Xavier Niel et Matthieu Pigasse (actionnaires à titre personnel du groupe Le Monde). Mardi 12 avril, les souscriptions ont commencé et sont ouvertes jusqu’au 20 avril, a annoncé un communiqué. « L’offre sera effectuée sous la forme d’un placement privé auprès de certains investisseurs qualifiés en France et en dehors de France », selon ce texte. La souscription minimale a été fixée à un million d’euros. De leur côté, les fondateurs souscriront « pour un montant d’environ 6 millions d’euros » et « détiendront un nombre total d’actions représentant approximativement 20 % du capital et des droits de vote de la société ». Une acquisition dans les 24 mois Les fondateurs ont l’« intention de lever (…) un montant de 250 millions d’euros, susceptible d’être porté à environ 300 millions d’euros en cas d’exercice intégral de la clause d’extension ». Une fois la souscription menée à terme, Mediawan doit être coté sur le compartiment professionnel du marché réglementé d’Euronext Paris. Dans leur communiqué publié mardi, les trois fondateurs rappellent avoir constitué ce véhicule d’investissement « dans le but d’acquérir une ou plusieurs sociétés cibles dans le domaine des médias traditionnels et digitaux ou dans le secteur du divertissement en Europe ». Techniquement, il s’agit d’un « SPAC » (special purpose ac- quisition company), ce qui implique que la première acquisition « doit intervenir dans un délai maximum de vingt-quatre mois » et « représenter au minimum 75 % des fonds levés ». Il doit s’agir d’entreprises « déjà présentes dans le secteur des contenus », « se positionnant comme un acteur majeur et établi en Europe ou à l’étranger et jouissant d’une notoriété de premier ordre dans le secteur des médias et du divertissement » et « bénéficiant d’une position concurrentielle forte au sein de leurs segments respectifs, avec à leur tête une équipe expérimentée ». Ces entreprises doivent présenter « un important potentiel de création de valeur via une restructuration, un repositionnement ou une réorganisation » et/ou avoir « la capacité de générer ou “ré-générer” des revenus sans subir de coûts de développement liés à la création de nouveaux moyens de production ». Enfin, les fondateurs visent des cibles « offrant un potentiel de développement et de complémentarité avec plusieurs entités ayant vocation à devenir des parties intégrantes du groupe que la société à l’intention de créer après la réalisation de l’acquisition initiale ». Le conseil de surveillance de Mediawan sera présidé par Pierre Bergé (actionnaire du Monde) et rassemblera Rodolphe Belmer (Eutelsat), Cécile Cabanis (Danone), Julien Codorniou (membre du conseil de surveillance du Monde et responsable des partenariats chez Facebook), Pierre Lescure ou encore Andrea Scrosati (Sky Italia). p alexis delcambre HUIT MATIÈRES Toutes les clés pour enrichir votre copie et décrocher la mention • Des fiches de cours détaillées • Des sujets commentés pas à pas • Les articles du Monde en lien avec le programme • Des conseils sur la méthodologie des épreuves En vente chez votre marchand de journaux et sur : www.lemonde.fr/boutique En coédition avec En partenariat avec UNIVERSITÉS universités & GRANDES ÉCOLES &grandes écoles tendances DR « devenez ingénieur, c’est superrigolo ! » Entretien avec Luc Julia, responsable du centre d’innovation de Samsung. PA G E 8 profession fab lab manageur La créativité peut-elle s’enseigner ? Lydie Passot, une pionnière dans un secteur à la croisée de l’animation, de la gestion et de la maîtrise des nouvelles technologies. Portrait. PA G E 7 Différentes techniques, dont celle du «design thinking», en vogue, contribuent à favoriser les idées novatrices en management de l’innovation sont apparus, de même que des « cours de créativité », comme à HEC Paris. La créativité est en effet l’un des facteurs qui favorisent l’innovation, avec la recherche, notamment. Mais peut-on apprendre à être créatif ? Il est certain – et ce dossier le démontre – que différentes techniques et approches y contribuent. L’une d’entre elles a pour nom design thinking, concept à la base de la fondation, en 2004, de la fameuse d.school de Stanford, qui a essaimé à travers le monde, y compris à Paris. L’enseignement est construit en partenariat avec une entreprise ou une ONG ; il mêle des étudiants de différents horizons qui fonctionnent par tâtonnements, essais et erreurs. Mais toujours – c’est le principe de base – à partir de l’observation des usages et des besoins. Dans tous les cas, l’expert s’efface devant l’apprenti : c’est de son œil neuf que surgira, espère-t-on, l’étincelle de l’innovation. Le design thinking – indissociable des Post-it collés sur un tableau au fur et à mesure des idées émises, de l’imprimante 3D et de l’atelier de prototypage – invite au décloisonnement, autre ingrédient favorisant la créativité. Il s’agit de faire travailler ensemble des élèves (et des professionnels) ingénieurs, des étudiants en management, en sciences humaines, en design, en arts et en multimédia, par exemple. Cette transversalité est, elle aussi, de plus en plus prônée dans les entreprises et dans l’enseignement supérieur. D’autres techniques en créativité mettent l’accent sur le dé-formatage des modes de pensée et des jugements. Toutefois, la créativité est parfois mise en avant dans de nouveaux intitulés de cours alors qu’ils proposent principalement des techniques de communication et d’animation éprouvées. Un préalable, il est vrai, à tout travail de groupe, au sein d’une entreprise ou d’une classe dynamique, voire créative. p martine jacot reportage ILLUSTRATIONS : JEAN-PIERRE CAGNAT L’ esprit start-up est en passe de gagner écoles et universités. De quoi s’agit-il ? D’idées novatrices qui jaillissent le plus souvent à plusieurs, de manière construite ou fortuite. Il arrive en effet que l’on trouve autre chose que ce que l’on cherchait, définition de ce qu’on appelle la sérendipité. Larry Page et Sergey Brin, les fondateurs de Google, n’ont-ils pas conçu un moteur de recherche alors qu’ils s’échinaient au départ à créer une bibliothèque numérique ? « Le défi, pour une entreprise, est de garder l’étincelle de l’innovation », dit John Hennesy, le président de l’université Stanford (Californie). Pour les établissements d’enseignement supérieur, le défi est aussi de s’adapter à cette nouvelle donne. Aussi voit-on se multiplier en leur sein les fab lab, les boot camps, ces sessions intensives où les étudiants sont priés de phosphorer utilement, et les concours pour récompenser les plus innovants d’entre eux. Des masters au cœur de la d.school de stanford Reportage à la célèbre école de l’université californienne, là où est né en 2004 le « design thinking ». Un concept qui a essaimé à travers le monde, y compris à Paris. PA G E S 4 E T 5 %>1=/-=7" :)?)1$" 4; ;& *!9@3@2 8,3 39; ;9<' <,@3 9; *!9@3@2 50@ 9; (&.@&;26 #+&(@32@;*2@.& Cahier du « Monde » No 22160 daté Jeudi 14 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément 2| UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Créativité 0123 Jeudi 14 avril 2016 Le nouveau credo des grandes écoles Les écoles d’ingénieurs et de commerce s’efforcent de développer davantage la fibre créative de leurs étudiants, en misant notamment sur l’interdisciplinarité C’ est le concept en vogue. Un centre « i-Magination » à l’Essec de Cergy-Pontoise, dans le Val-d’Oise ; un cours de créativité dispensé à HEC ; un « learning lab » créé par Centrale Lyon et l’EM Lyon pour développer l’interdisciplinarité et la créativité… Les étudiants des écoles de commerce et d’ingénieurs sont un peu partout incités à inventer, utilement si possible. « Nous devons aujourd’hui former des ingénieurs capables d’exercer plus tard des métiers qui n’existent pas encore, de résoudre des problèmes à ce jour inconnus, avec des outils qui n’ont pas encore été créés. Nous devons donc développer la capacité créative de nos étudiants, en plus de leur donner des savoirs et des compétences techniques solides », explique JeanPierre Berthet, directeur du learning lab lyonnais. « Dans un monde incertain où « Nous devons former des ingénieurs capables d’exercer des métiers qui n’existent pas encore, avec des outils qui n’ont pas encore été créés » Jean-Pierre Berthet (learning lab de Centrale Lyon et EM Lyon) les entreprises innovent de plus en plus vite, la créativité est une compétence-clé », ajoute Anne-Laure Sellier, professeure de marketing à HEC, chargée d’un cours sur la créativité, qui a remporté le prix de l’initiative pédagogique de la Fondation HEC en 2013. Contrairement aux idées reçues, elle affirme que la créativité n’est pas un don tombé du ciel, réservé à quelques génies. « Dans mon cours, je commence par démystifier cette notion, puis j’amène les étudiants, souvent très cultivés, mais parfois formatés, à identifier les jugements de valeur qui les empêchent d’aller vers des propositions originales », précise-t-elle. Comment générer de nouvelles idées ? « En croisant les champs disciplinaires, en allant vers des secteurs complètement différents de son domaine d’expertise », répond Xavier Pavie, directeur du centre i-Magination de l’Essec. Il organise chaque année depuis cinq ans une « iMagination Week » pour les 600 étudiants du cycle master en management, invités à plancher sur le monde de demain, avec la participation de personnalités, comme l’astrophysicien Hubert Reeves ou le chocolatier Jacques Genin, conviées à parler de leur processus de création et de leur spécialité. A la Défense, le pôle Léonard-de-Vinci mise sur l’idée de faire travailler ensemble des étudiants issus de formations dif- férentes. « Nous avons la chance de pouvoir rassembler des étudiants de nos trois écoles [une école d’ingénieurs (Esilv), une école de management (EMLV) et l’Institut de l’Internet et du multimédia (IIM)], ce qui nous permet de jouer à fond la carte de la transversalité pour travailler sur la créativité », indique Laure Bertrand, directrice du département soft skills (« qualités humaines et compétences relationnelles ») et transversalité. Une semaine transversale a été suivie en février par les 650 étudiants de 2e année, avec pour thème « Créativité et numérique au ser- vice du handicap ». Une tablette tactile en braille et un fauteuil électrique avec GPS intégré ont ainsi vu le jour. De son côté, l’Ecole polytechnique propose à ses élèves de 3e année du cycle ingénieurs un cours de « Design des technologies innovantes », créé en 2013 par Charles Baroud, professeur associé au département de mécanique de l’X. Chaque année, la vingtaine d’étudiants qui le suit est priée de démonter une imprimante pour la détourner de sa fonction initiale. Objectif : en faire un tout autre objet, par exemple un chronomètre, ou même un instrument de musique ! « C’est un projet difficile, déstabilisant, qui permet aux élèves de surmonter leurs appréhensions et de prendre le risque de la créativité », estime Charles Baroud. Il dit s’être inspiré des cours qu’il a suivis au Massachusetts Institute of Technology (MIT). « L’ingénieur y est perçu et formé comme un inventeur, et non comme un scientifique qui résout des équations, comme c’est parfois le cas en France », ajoute-t-il. Influence américaine aussi pour le « design thinking », conceptualisé à Stanford (Californie) en 2004, dont s’inspire, depuis une quinzaine d’années, l’alliance Artem de trois écoles lorraines, les Mines Nancy, l’ICN Business School et l’Ecole nationale supérieure d’art et de design de Nancy – ainsi que Centrale Lyon et l’EM Lyon. Ces deux dernières écoles ont créé le programme « Innovation, design, entrepreneurship et arts » (IDEA) et un learning lab, lieu d’innovation pédagogique. Dans cet espace modulable de 400 m2 doté d’un écran géant tactile, les étudiants expérimentent, et collaborent en design thinking. « C’est une approche centrée sur l’usager : il s’agit de comprendre ses besoins puis, par tâtonnements, de tenter d’y répondre en proposant rapidement un prototype, que l’on peut améliorer en cours de route. Bref, d’expérimenter en continu », détaille Nicolas Minvielle, coauteur du livre Are you design ? Du design thinking au design doing (Pearson, 2015). Le maître mot de cette méthode est la collaboration entre designers, ingénieurs, et spécialistes du marketing. « La créativité, résume Delphine Manceau, directrice de l’European Business School de Paris et professeure de marketing de l’innovation, est l’un des facteurs qui favorise l’innovation, tout comme la recherche. Mais elle n’y aboutit cependant pas forcément… » p françoise marmouyet « Le potentiel créatif s’appuie sur quatre types de ressources » entretien T odd Lubart, est professeur de psychologie différentielle à l’université Paris-Descartes et coauteur du livre Psychologie de la créativité (Armand Colin, 2015). Qu’est-ce que la créativité ? D’où vient-elle ? La créativité se définit comme la capacité à générer une production originale et adaptée à son contexte. Elle s’appuie sur quatre types de ressources qui fondent le potentiel créatif d’un individu : les aptitudes cognitives, les traits de personnalité alliés à la motivation, les émotions, l’environnement. Les capacités cognitives permettent par exemple d’associer des informations, d’imaginer Pour le professeur de psychologie différentielle Todd Lubart, les germes de la créativité s’inscrivent dans les aptitudes cognitives alliées à la motivation, les émotions et l’environnement de nombreuses solutions à un même problème ou de faire des liens entre des données qui n’en ont pas a priori. Certains traits de personnalité peuvent favoriser la créativité, notamment l’ouverture à de nouvelles idées, DR la tolérance à l’ambiguïté, la persévérance ou la prise de risque. Les émotions jouent elles aussi un rôle favorable, qu’elles soient négatives ou positives. Enfin, l’environnement constitue une source de stimulation ou d’inhibition. Par exemple, un entourage qui critique ce que l’on fait, ou qui valorise la tradition, peut incarner un frein. Le potentiel créatif d’une personne peut être variable selon la tâche proposée. Quel- qu’un peut se montrer créatif dans le domaine artistique, mais pas scientifique. De quelle manière se déroule le processus créatif ? La créativité suppose un enchaînement d’actions et de pensées, qu’il s’agisse d’une composition musicale, d’une œuvre picturale ou d’une invention technique. Concrètement, on va réfléchir au problème posé, le définir, trouver des idées à partir d’associations, faire des pauses, apporter des détails, synthétiser, finaliser. Ces étapes peuvent suivre des ordres différents et engendrent ainsi une multiplicité de parcours qui mènent de la « page blanche » à une production finale. Les différents ingrédients de la créativité agissent de manière plus ou moins efficace selon leur mise en œuvre pendant le processus ; c’est un peu comme une recette de gâteau. Est-il possible d’améliorer ses capacités créatives au cours de sa vie ? Il existe une composante innée, mais la créativité est en évolution constante et peut se développer au fil des expériences. Par exemple, à travers des voyages, la « Un entourage qui critique ce que l’on fait, ou qui valorise la tradition, peut incarner un frein » confrontation à d’autres cultures ou des immersions dans des contextes multiculturels, on peut cultiver son ouverture d’esprit, ce qui est propice à la créativité. On peut aussi accroître la flexibilité mentale – sa capacité à s’adapter à la nouveauté – ou l’as- sociation d’idées par des exercices comme celui de la carte mentale : il consiste à élaborer un schéma avec l’idée maîtresse au centre, puis, autour, des ramifications avec d’autres idées dérivées. Une autre méthode consiste à développer la pensée métaphorique, souvent très utile dans la création. Comment favoriser la créativité dans le cadre de productions concrètes ? Certaines techniques peuvent encourager la capacité créative. Il s’agit d’aides ponctuelles. Par exemple, en cas de blocage sur un problème que l’on cherche à résoudre, on peut inverser la perspective : si l’objectif est de produire un bel objet, on va imaginer quelque chose de laid. Cette démarche aide à sortir des mécanismes de pensée habituels. On peut aussi rechercher des idées très éloignées de son sujet, ce qui accroît la probabilité de trouver de nouvelles pistes de réflexion. Que pensez-vous du « design thinking » ? Il aide à structurer le processus de création et peut donc le faciliter. Il offre une procédure intéressante pour décloisonner les modes de pensée, avec de nombreuses variantes. D’autres méthodes produisent des effets comparables, comme le modèle de « résolution créative de problèmes », très utilisé aux EtatsUnis. C’est un système d’étapes successives qui canalise la créativité. Cependant, ces techniques dépendent fortement de la manière dont on les utilise. Ce n’est pas un bouton qu’on pousse et qui ouvre une porte… p propos recueillis par diane galbaud 2,'6:$:-" 2)#(,/1/! '% &.1/!3 $ $ 0--,#/&,# #/ "(1+(/* 6(*3)!;0%)0/3% %71%;#7?% = 03*.%31 9(%+4?3;8%70*0;57& 9(;775.*0;57 %0 9* 0%)!7595#;% U :.-J+&%H)+H GJ) )IH "!-N%()IH-H%MN -NH&JMLM"M'%KG) *) "- +G"HGJ) *.GN) VLMKG)8 <" -LL-JH%)NH *MN+ W "- NMGF)"") 'VNVJ-H%MN *.-J+&%H)+H)I *) +M!LJ)N*J) "- L"-+) KG.)"") 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Il faut que tout le monde puisse bouger pour faciliter la conversation », explique l’enseignante Jules Sherman. Le matériel pédagogique consiste en des tableaux blancs, marqueurs et Post-it. Les ordinateurs sont proscrits, un phénomène unique dans le temple de l’informatique qu’est Stanford. La d.school – de son nom officiel, le Hasso Plattner Institute of Design – travaille au « changement social » dans des domaines aussi variés que la conception d’objets, les politiques publiques ou la médecine. La classe de Jules Sherman s’appelle « Design et sécurité de l’accouchement ». L’idée est de repenser l’environnement de la maternité. « Les Etats-Unis sont au 37e rang mondial pour la mortalité infantile, précise le docteur Henry Lee, spécialiste de néonatalogie à l’hôpital pour enfants Lucile-Packard, de Stanford. Nous nous sommes habitués à accepter une certaine inefficacité. » Le médecin est associé à la classe mais intervient peu. A la d.school, les experts s’effacent devant les néophytes : le potentiel d’innovation vient de l’œil neuf. « C’est comme l’histoire du chat qui demande au poisson : “comment est l’eau ?” Et le poisson dit : “quelle eau ?” », explique le praticien. Au premier trimestre, les étudiants ont interrogé des infirmières et des nouveaux parents sur leur expérience de la maternité. Ils ont visionné des vidéos tournées dans les salles de travail à l’hôpital. Chacun s’est fabriqué un « profil » (« Mary, infirmière, 38 ans », etc.) en vertu du principe de base du « design thinking » : l’empathie. « On veut que les étudiants apprennent à marcher dans les pas des autres », explique la directrice, Sarah Stein Greenberg, elle- même une ancienne élève. Avant toute recommandation, ils doivent étudier ce que les utilisateurs « font », « disent », « pensent » et « ressentent ». « L’innovation ne doit pas se centrer sur ce dont le monde pourrait avoir besoin mais sur ce dont il a vraiment besoin », ajoute-t-elle. Le design thinking est né dans les années 1950 (son ancêtre est le brainstorming du publicitaire Alex Osborn). Le concept a été popularisé par l’ingénieur en mécanique et patron de la société Ideo, David Kelley, qui a fondé la d.school en 2004. Pour la plasticienne Jules Sherman, c’est une révolution. « Tout était pensé autour du processus de fabrication. Maintenant, il s’agit de design centré sur l’humain. » Elle a passé quinze ans dans le design industriel. « Je ne connaissais que les acheteurs des chaînes de distribution Costco ou Walmart. Ils nous disaient : voilà ce qui est vendeur en ce moment, et on changeait la finition d’un produit ou la couleur. Jamais on ne se serait soucié d’aller parler aux consommateurs pour savoir comment ils utilisent leur étagère à épices ! » La d.school offre une quinzaine d’enseignements qui touchent à des secteurs variés : médecine, relations internationales, éducation. Le cours le plus populaire s’appelle « design de l’extrêmement abordable » : les étudiants mettent à profit leurs connaissances technologiques pour trouver des solutions bon marché à des problèmes d’accès aux ressources essentielles dans les pays pauvres. Au rez-de-chaussée de l’école, une vitrine présente quelques-uns des « succès » qui sont maintenant utilisés ou commercialisés : l’enveloppe thermique et la couveuse à bas coûts de l’ONG Embrace pour les prématurés ; la d.light, une ampoule LED à énergie solaire. Et la prothèse pour enfants atteints d’un pied bot, développée pour l’ONG Miraclefeet. Après avoir pris conscience au Brésil de la lourdeur des modèles existants, les étudiants ont conçu une prothèse qui dissocie la M Jeux de rôle Mustafa a choisi le cours intitulé « Design thinking pour les innovations en politiques publiques ». Les responsables de l’école sont persuadés que leur philosophie peut aider à résoudre des conflits religieux ou ethniques. L’exercice de base est l’apprentissage de l’écoute. Les étudiants participent à des jeux de rôle. Ils apprennent à ne jamais dire « non » à un interlocuteur, ni même « oui mais », qui trahit « Tout était pensé autour du processus de fabrication. Maintenant, il s’agit de design centré sur l’humain » Jules Sherman plasticienne terme, libre à eux de se lancer dans la création d’entreprise. « Environ 40 % des projets aboutissent d’une manière ou d’une autre sur le marché », indique-t-elle. Sarah Stein Greenberg a suivi la première classe de David Kelley, quand la d.school était hébergée dans un préfabriqué. Elle a participé au premier projet, des pompes à eau en Birmanie. Depuis, la d.school est intervenue dans une vingtaine de pays, du Cambodge à l’Inde, au Népal et au Nicaragua. Chaque année, 700 étudiants sont acceptés, pour deux à trois fois plus de postulants. Le modèle est maintenant étudié dans le monde entier. « C’est devenu un mouvement global », dit la directrice. Après avoir donné au monde Google et ses algorithmes, Stanford ne désespère pas d’y ramener l’humain. p corine lesnes (san francisco, correspondante) A Nantes, un « boot camp » pour mieux phosphorer « Design thinking » chez les policiers ustafa Abdul-Hamid, 27 ans, a grandi à Ferguson, la localité du Missouri où la révolte noire s’est enflammée après la mort du jeune Michael Brown, tué par la police en août 2014. Arrivé à Stanford par la voie du sport (le basket, qu’il a aussi exercé comme professionnel à Lille en 2010, puis en Allemagne), il termine un master de relations internationales. A la d.school, le champion de basket s’est aussi lancé dans un autre projet avec deux camarades, Amanda Ussak et Lucy Svoboda. Un projet qui lui tient à cœur : favoriser les liens entre la police et la population par la technologie. Il sait d’expérience que la tension monte vite entre jeunes et policiers. « En tant qu’Afro-Américain, je suis de l’autre côté », indique-t-il pudiquement, sous-entendu pas le bon. chaussure de la tige. Stanford a déposé le brevet en 2014. Depuis janvier, la prothèse est à l’essai dans neuf pays. L’enseignement est conduit en partenariat avec une entreprise ou une ONG. Tous les jours, la directrice, Sarah Stein Greenberg, reçoit des propositions de la part d’organisations qui ne demandent qu’à bénéficier de la créativité de la d.school. Les étudiants ne sont pas pour autant transformés en consultants bon marché, affirme la directrice. « Cela reste une formation. Le but premier est de leur montrer comment acquérir de l’empathie pour des gens qui ne sont pas comme eux. » A qu’ils ont une autre vision en tête. La réponse empathique est : « oui et », qui va dans le sens de l’autre. L’idée de Mustafa et de ses camarades est de créer une passerelle entre les communautés par le moyen que les jeunes utilisent le plus pour communiquer : le SMS. Avec l’assistance du juriste Mugambi Jouet, qui enseigne à la faculté de droit, l’équipe a convaincu la police de Palo Alto, la ville voisine, de participer au projet. Les habitants qui ont eu affaire à un policier sont invités à « noter leur expérience » en envoyant un SMS au numéro indiqué. La police s’est engagée à répondre. « Nous espérons pouvoir ouvrir la boîte noire de la suspicion réciproque qui conduit à l’escalade », dit Mustafa. Selon les préceptes de la d.school, les étudiants ont accompagné les policiers dans leurs rondes. « Une des perceptions que nous avons eues, c’est que les gens ne se rendent pas compte à quel point c’est un travail dangereux », explique Amanda Ussak. Dans les cités déshéritées de l’est de Palo Alto, les étudiants ont en revanche eu du mal à convaincre les jeunes que ce serait formidable de pouvoir envoyer des SMS à la police. « Beaucoup n’étaient pas intéressés par l’idée d’améliorer les relations », reconnaît Amanda. La réalité résiste, même au design thinking. p c. ls L’école de commerce nantaise Audencia a organisé en mars une session durant laquelle une centaine d’étudiants ont relevé les défis lancés par neuf start-up et entreprises. Reportage L e nom de l’exercice en dit long : boot camp, un terme qui désigne à l’origine l’entraînement intensif réservé aux jeunes recrues de la marine américaine… Pas de rangers ni de treillis, les jeudi 3 et vendredi 4 mars, dans les salles de cours de l’école de commerce Audencia à Nantes mais des Post-it, des Lego multicolores et une imprimante 3D. D’un côté, des entreprises, des start-up et des créateurs cherchent des pistes pour développer leurs activités ; de l’autre, des équipes de dix étudiants ont deux jours pour leur apporter gratuitement des réponses novatrices. Tristan Fraud est l’un des neuf porteurs de projet. Il souhaite créer un jeu qui incite les adultes à aller donner leur sang. Assis avec les étudiants autour d’une table, ce jeune designer indépendant de 26 ans prête une oreille attentive aux idées – surtout les plus farfelues – lancées par les étudiants. « Je suis venu à ce boot camp pour avoir des idées neuves, voire folles, auxquelles je ne pense pas, dit-il. C’est un moyen d’entraîner ma propre créativité. » Parmi les huit autres porteurs de projet figurent des dirigeants de start-up plutôt axées sur l’inno- vation, mais aussi des représentants d’entreprises bien installées comme le géant de la chaussure Eram. Face à eux, 70 étudiants suivent les cours des mastères « business développement » ou « stratégie en marketing digital » d’Audencia. Les autres étudient à l’Ecole de communication visuelle de Nantes (ECV). « Post-it tous azimuts » Dans le rôle de conseiller, Thomas Dupeyrat, fondateur de l’Atelier Iceberg, une société de design nantaise, passe de groupe en groupe pour faire le point et relancer la réflexion. « Essayez maintenant de cerner les clients visés. Et collez des Post-it tous azimuts ! » Son injonction s’adresse à l’équipe Eram à laquelle incombe d’imaginer le magasin du futur. Très vite, des nuages de papillons adhésifs et de croquis viennent tapisser les murs. Expériences personnelles, articles lus, techniques apprises en cours de marketing : les étudiants font feu de tout bois pour relancer leurs réflexions. Le groupe d’Adrien Jimenez, étudiant en « marketing à l’ère digitale », n’a pas la tâche facile. Il s’agit de concevoir une montre connectée (en carton) pour le compte de la jeune pousse Doo- loo, afin que des patients transmettent à intervalles réguliers des informations sur le degré de douleurs chroniques dont ils souffrent. « L’une des difficultés a été de maîtriser rapidement les termes techniques et médicaux », avoue l’étudiant. Peu emballé au départ par le projet qui lui était assigné, Adrien Jimenez dit s’être finalement « pris au jeu ». Etudiante en troisième année, Margaux Oscaby, 22 ans, travaille avec son groupe sur un sujet délicat : un outil devant permettre à une entreprise de mieux évaluer les compétences de ses salariés lorsqu’ils changent d’affectation. « Comme le concept était, à nos yeux, assez difficile à saisir, durant les deux premières heures, nous avons collé des Post-it machinalement sans trop savoir où on allait. Progressivement, avec l’aide du porteur de projet qui nous recadre un peu, nous rentrons dans le sujet. Surtout, nous avons mieux défini les limites légales du projet. » Dans le cadre de son double cursus d’ingénieur et de manageur « où [elle est] rarement amenée à défendre ses idées », elle a déjà participé à d’autres boot camps. Elle apprécie l’exercice qui se déroule sur deux journées, au lieu d’une lors des précédentes ses- sions : « C’est moins stressant et plus constructif. Au début, on ne voit pas ce qu’on peut apporter et puis progressivement, on se lâche. Et cette fois, les porteurs de projet travaillent avec nous. » Vendredi, à 18 heures, le temps est écoulé. Les équipes convergent vers l’amphithéâtre principal pour présenter en trois minutes le fruit de leurs deux journées de cogitation. Ils recourent à des sketchs, des maquettes en Lego. Ils savent que leur créativité est évaluée jusque dans leur dernière prestation. Face à eux, un public de 150 personnes et un jury constitué de six professionnels prêts à les pousser dans leurs retranchements. Les jurés sont, dans l’ensemble, satisfaits. Ils soulignent « de belles prestations, des idées très sérieuses et créatives ». Enric Kayo, porteur du projet MyJomo, une jeune pousse qui commercialise des badges connectés, est, quant à lui, enchanté. « On bosse sur ces badges depuis un an et demi. En deux jours, les étudiants ont trouvé des usages auxquels nous n’avions pas du tout pensé », se réjouit-il. L’équipe chargée de son projet a remporté le boot camp. p angèle guichard (nantes, envoyée spéciale) Créativité | 0123 Jeudi 14 avril 2016 UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES |5 La cuisine de demain à la Paris d.school En quatre ans d’existence, cette école de « design thinking » française a donné naissance à de nombreux projets industriels. Incursion dans l’étape finale de l’un d’entre eux I l est conseillé de ne pas négliger ses jambes quand on veut utiliser toute sa tête à l’Ecole des Ponts ParisTech de Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne). Au rez-dechaussée du bâtiment avant-gardiste à énergie positive baptisé Coriolis, une pancarte incite à préférer les escaliers à l’ascenseur pour atteindre le troisième étage – ce qui équivaut à brûler, précise l’écriteau, les calories contenues dans un verre d’une célèbre boisson à la pulpe d’orange. L’exercice accompli, on pénètre dans un étonnant loft qui n’a rien à envier aux start-up californiennes : des espaces de travail côtoient une… cuisine ; un fauteuil poire invite à paresser ; un baby-foot attend ses joueurs. La Paris d.school, créée en 2012 sur le modèle de celle de Stanford (Californie), associe l’Ecole des Ponts, l’Ecole supérieure d’ingénieurs en électrotechnique et électronique (Esiee Paris), l’Ecole nationale supérieure d’architecture de la ville et des territoires (Ensavt), l’Ecole des ingénieurs de la Ville de Paris (EIVP) et l’université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEMLV). Financée par le mécénat et par l’Agence nationale de la recherche (ANR), la d.school francilienne « vise à enseigner à des étudiants multidisciplinaires une approche de l’innovation centrée sur l’utilisateur, explique Florence Mathieu, chef de projet. Dans un monde de plus en plus complexe, il s’agit de privilégier le pragmatisme ». Ce matin-là, fauteuil poire et baby-foot resteront inoccupés. Les étudiants du programme « ME310 Design Innovation », mis au point par le département mécanique de l’université Stanford – un an à plein temps sur un même projet –, exposent les résultats de leurs travaux prospectifs aux représentants de Lapeyre, groupe français d’équipement de la maison. Deux équipes – l’une, française, composée d’une Colombienne, d’une Ukrainienne « Nous apprenons à naviguer entre le désir d’innover, la faisabilité du projet et les besoins de l’utilisateur. Ma génération a envie de travailler comme ça » Benoît Christophe étudiant à la d.school et d’un Français ; l’autre réunissant trois Finlandais inscrits à la d.school d’Aalto (Helsinki) – ont eu à imaginer une cuisine futuriste pour seniors. Leur présentation se fait en anglais, tout comme les cours qu’ils ont suivis. Avec les outils de l’ethnographie, les étudiants ont analysé les habitudes des Les futurs hauts fonctionnaires priés d’innover personnes âgées. Ils exposent les différents types de déplacements de leurs « cobayes », qu’il s’agisse de couples de sexagénaires alertes ou d’octogénaires ayant des problèmes de mobilité. Les Post-it et les photos qui couvrent les murs de la zone de travail témoignent des nombreuses idées qui ont surgi. Ils ont pu les concrétiser dans la « protothèque » voisine, dotée des matériaux et machines nécessaires à la réalisation de prototypes. « Nous offrons la possibilité de dépasser le stade du projet sur papier. Il faut que les étudiants se confrontent rapidement à l’épreuve du réel », indique Véronique Hillen, fondatrice et doyenne de la d.school française. Diplômé de l’école d’architecture de Marne-la-Vallée, Benoît Christophe, 24 ans, a travaillé un an dans une agence avant de reprendre ses études à la d.school et de plancher sur ce projet de cuisine futuriste. « La dynamique d’ap- prentissage est très différente de celle de l’école d’architecture, commente-t-il. Ici, j’ai le sentiment de m’exprimer avec mes mains. Nous conceptualisons les choses en les voyant faire et en les faisant. Nous apprenons à naviguer entre le désir d’innover, la faisabilité du projet et les besoins de l’utilisateur. Je crois que ma génération a envie de travailler comme ça. » Les étudiants présentent leurs propositions finales. Impossible de les dévoiler, secret industriel oblige. Mais l’inventivité et le pragmatisme dont ils ont fait preuve épatent les spécialistes de chez Lapeyre, qu’on imagine pourtant rompus à ce genre d’exercices. « Vous avez remis l’humain au centre de la démarche », admire l’un. « Votre projet est très abouti ! », s’exclame l’autre. Le groupe se congratule avec un petit temps de retard, celui de la traduction en anglais des compliments reçus, à l’adresse des étudiants finlandais. p joséphine lebard Futur leader ou leader du futur ? L’Ecole nationale d’administration propose pour la première fois aux étudiants une session innovation. Objectif : repenser et renouveler les méthodes pour améliorer l’action publique « En ces temps de transformation, toutes les écoles s’interrogent » Nathalie Loiseau directrice de l’ENA Comment faire pour connaître les attentes et mieux associer les citoyens ? Il existe pour cela des outils de dialogue. On a déjà dématérialisé [les procédures] mais il faut aller plus loin. » Allers-retours avec les publics Les élèves de la promotion Orwell ont donc planché sur le sujet, les 1er et 2 mars, à l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (ENSCI), l’un des partenaires de l’ENA dans ce dispositif. Après avoir été sensibilisés aux différents aspects de l’innovation, les 112 élèves ont travaillé, en petits groupes, sur trois cas : comment rendre plus efficace la sécurité routière afin que le nombre de victimes de la route diminue ; comment faciliter la création d’entreprises, de l’immatriculation jusqu’aux six premiers mois de leur existence ; comment améliorer le parcours retraite dès les premières fiches de paie du salarié. But du jeu : proposer une réponse avec des méthodes innovantes, en faisant par exemple des allers-retours avec les publics concernés, audelà des classiques enquêtes d’usagers. Méthodes différentes « L’objectif n’est pas que nos élèves deviennent des rois de l’innovation, explique Fabien Geledan, chargé du module, mais qu’ils sachent que, face à un problème difficile, ils peuvent recourir à des méthodes différentes. » Il ne s’agit pas de faire table rase du passé ni d’abandonner la note administrative mais « de donner davantage d’outils » aux futurs hauts fonctionnaires. Les horaires de cet enseignement seront renforcés pour les prochaines promotions. L’école reconnaîtrait-elle ainsi un certain conservatisme et une responsabilité dans le manque d’imagination souvent reproché aux élites ? Nathalie Loiseau estime qu’il s’agit là de « caricatures, signes de la pauvreté des débats ». En ces temps de transformations, toutes les écoles s’interrogent, rappelle-t-elle, cherchant à préparer à des métiers de demain dont elles ignorent souvent les contours. D’après les témoignages recueillis, les élèves ont apprécié leur première session en innovation. L’ambiance était même détendue à l’ENSCI. Il faut dire que le module ne figure pas parmi les épreuves comptant pour le classement. p véronique soulé précision Dans le supplément « Universités & grandes écoles » daté du 14 janvier, en page 10, nous avons omis de mentionner la source du graphique intitulé « Les différents parcours en détail » : l’Onisep. Bousculez les évidences Écoutez vos émotions Restez connecté Leadership ? #Humanship ! Le leadership est en chacun de nous. C’est un potentiel qui ne demande qu’à être développé. NEOMA Business School vous apprend à révéler vos propres compétences en matière de leadership. Osez les point s de vue dif férent s et réinventez les modèles établis. Prenez en compte vos émotions et cultivez l ’empathie. Restez connecté et mobilisez les talents, avec la performance collective en ligne de mire. Head. Heart. Hands. Stay human, become a great leader, boost your humanship ! Rejoignez-nous sur neoma-bs.fr Tête. Cœur. Mains. Restez humain, devenez un leader, boostez votre “humanship” ! P our la première fois cette année, les 112 élèves de l’Ecole nationale d’administration (ENA) ont suivi un enseignement sur l’innovation en matière d’action publique. Le dispositif, encore expérimental, sera étoffé pour les promotions suivantes. C’est un impératif aux yeux de la directrice, Nathalie Loiseau, nommée il y a trois ans avec pour mission de réformer la scolarité – une refonte entrée en vigueur cette année. L’action publique innovante en est « l’un des fils rouges », dit-elle. « Nos concitoyens attendent beaucoup de l’Etat dans de nombreux secteurs, poursuit-elle. En même temps, ils demandent à être consultés sur les politiques, voire à suivre leur mise en œuvre. 6| UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Créativité 0123 Jeudi 14 avril 2016 Un diplôme en créativité, et après ? Certificat de spécialisation en poche, trois jeunes femmes évoquent la manière dont elles ont tiré parti de leur formation O uvert aux détenteurs d’un bac + 3 (ou expérience professionnelle équivalente), le certificat de spécialisation « Développement de la créativité dans les entreprises et les collectivités », proposé par Créa-Université en partenariat avec le CNAM PoitouCharentes, a été décerné à quelque 200 personnes en huit ans. Ce cursus dispensé à Paris et à Poitiers consiste en six journées de cours théoriques, six journées pratiques et un mémoire à rendre pour obtenir ce certificat. Géraldine Rimbault-Gaulard, Nadia Benedetti et Laurence Wagner l’ont obtenu, la première en 2013, les deux dernières en 2015. Si Laurence Wagner a pu le faire financer par son entreprise dans le cadre de la formation continue (à hauteur de 5 200 euros), les deux autres l’ont pris en charge sur leurs propres deniers (2 950 euros). La créativité est-elle devenue une matière comme une autre ? « On a souvent tendance à limiter la créativité à la question de l’imagination, à une sorte de talent inné. Or, l’imaginaire n’est qu’un pan de la créativité. Elle prend aussi en compte l’amélioration de ce qui existe et l’évaluation de ce qui est faisable ou non », répond Nadia Benedetti, responsable du développement pour l’Europe du Sud chez Lego Education. Laurence Wagner est responsable du pôle développement durable à la Direction de l’information légale et législative (DILA) lorsqu’une consœur enthousiaste lui parle de la formation. Titulaire d’un master en développement durable et d’un autre en coaching, elle y a vu l’occasion de « bien compléter » son profil et de « [s]’appuyer sur une “boîte à outils” pour innover comme pour résoudre des difficultés au sein de [son] organisation ». De son côté, Géraldine Rimbault-Gaulard travaillait en indé- pendante, éloignée de sa formation initiale (ingénieure en biologie). « Ayant beaucoup appris sur le terrain dans mes reconversions, je souhaitais obtenir le diplôme correspondant à mes compétences et mettre du sens sur des choses que je faisais naturellement », dit Géraldine, qui travaille aujourd’hui au département des études qualitatives de Bouygues Telecom. Durant les cours, « la répartition a été équilibrée entre apports conceptuels et mises en pratique. Nous avons été formés à la technique baptisée Creative Problem Solving (CPS), un modèle à la base de nombreuses approches créatives pour résoudre les pro- « Des techniques m’ont permis de combler le décalage culturel qui pouvait exister entre mes équipes » Nadia Benedetti responsable du développement chez Lego Education blèmes », se souvient Laurence Wagner. Géraldine RimbaultGaulard insiste, elle, sur la dimension « soudée » de sa promotion. « Nous avons eu de vraies séances de travail, que nous animions tour à tour. Nous avons ainsi cogité sur l’idée de redonner vie au marché de Châtillon. Le fruit de ces séances n’a pas été exploité mais elles nous ont permis de nous tester et d’obtenir les retours de nos pairs. » « Je me sers souvent du CPS pour animer mes réunions, poursuit Géraldine Rimbault-Gaulard. Mes séances de travail y ont gagné en fluidité. » Laurence Wagner a également mis ses connaissances en pratique : « Un objectif est fixé au départ et il s’agit de trouver les meilleurs choix possibles. J’ai travaillé sur un “plan Classe préparatoire solution déchets”. Pour le concevoir, nous avons rassemblé les acteurs et cherché ensemble ce qu’il était possible de faire. Avec ces techniques, les gens deviennent véritablement acteurs. Résultat : nous avons quatorze actions en cours de mise en place ! » Pour Nadia Benedetti, qui travaille dans une structure « où le management est situé en Angleterre et le marketing en Allemagne, en Angleterre mais aussi au Danemark », le certificat s’est également révélé précieux : « Les techniques de créativité m’ont permis de combler le décalage culturel qui pouvait exister entre mes équipes et d’aller au-delà des barrières linguistiques. » Elle a noté par ailleurs un changement dans les réunions auxquelles elle participe : « Avant, seuls les meneurs de groupe prenaient la parole. » Laurence Wagner la rejoint aussi sur ce point : « L’intelligence collective émerge plus facilement, constate-t-elle. J’ai vu, dans des groupes, des personnes qui ne prenaient jamais la parole défendre leur point de vue. » Nadia Benedetti observe un autre changement de fond, après avoir étudié, au cours de sa formation, les différents profils de personnalité qui peuvent exister au sein d’une entreprise – « clarificateurs, idéateurs, réalisateurs et meneurs ». Elle a ensuite modifié son attitude face à des profils qu’elle avait auparavant du mal à comprendre, car trop différents de son mode de fonctionnement. « Ce certificat m’a permis de voir les choses autrement », résume-t-elle. La formation met en avant la dimension polysémique que peut recouvrir la notion de « créativité ». En l’occurrence, d’après les témoignages recueillis, créativité rime aussi avec innovation dans les techniques de communication en groupe et psychologie en entreprise… p joséphine lebard – 100 % de réussite aux concours d’entrée des écoles supérieures d’art www.prepa-lyon.net Candidatures jusqu’au 12 mai 2016 École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon Cinq sessions gratuites « créativité et expression » sont ouvertes aux élèves de licence à l’université Lyon-III depuis la rentrée N os étudiants n’ont pas tous eu le même accès à l’art étant jeunes. Pour leur offrir une ouverture à la création, cinq ateliers sont proposés depuis la rentrée 2016. On essaye de leur donner les mêmes chances afin que certains ne se retrouvent pas sur la touche », explique Marie Cunnac, coordinatrice des ateliers « créativité et expression » à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de l’université Lyon-III. L’inscription est facultative, gratuite, ouverte à tous les étudiants de licence et les ateliers ne contribuent à aucune note. Des professionnels interviennent dans chacun des domaines proposés, soit scénographie, vidéo, dessin collectif, atelier d’expression corporelle et écriture créative. Inscrite aux quatre séances de l’atelier scénographie, Mélissa Can, 20 ans, est enthousiaste : « J’ai appris à faire une prise de vue, à cadrer et à recueillir un témoignage à travers les reportages ou les carnets de voyage qu’on nous a proposés. » Elle a ajouté ces compétences dans son CV, sûre qu’elles l’enrichissent. Nouer des liens L’atelier danse met l’accent sur la communication. Comment se tenir devant un public ? Quels messages renvoient les expressions de mon visage ? La posture de mes épaules ? Comment occuper une scène ? « Finalement, il y a beaucoup de points communs entre la danse et le management, dit Emilie Hercule, chorégraphe intervenante. Les étudiants ont appris à être tour à tour meneurs puis menés, c’est-à-dire à reprendre la main dans une discussion, à passer d’un état de tension à un état de relâchement : autant de clés pour être à l’écoute de ses futures équipes. Des élèves qui n’avaient jamais dansé se sont révélés », constate-t-elle. Les étudiants étrangers plébiscitent davantage l’atelier d’écriture créative. « Ce n’est pas un tutorat sur l’orthographe mais un atelier de création », prévient Zsuzsa Kis, professeure de français à l’IAE. « J’ai demandé à mes élèves d’écrire un texte en s’inspirant de leur prénom. Il y a un temps d’écriture, puis de lecture des textes devant la classe. C’est un moment de partage et d’intimité. Ils ouvrent une fenêtre sur eux vers leurs camarades. Et ils se connaissaient bien mieux à la fin des séances », remarque-t-elle. Ces ateliers sont aussi l’occasion de nouer des liens avec les anciens. Plusieurs rendez-vous sont programmés chaque année pour entretenir leur curiosité. Le dernier a eu lieu au Musée des Confluences, à l’occasion de la biennale d’art contemporain de Lyon. Un autre moyen, estiment les intervenants, d’encourager « les artistes en herbe pourvus d’un haut potentiel qu’ils ignoraient jusqu’alors ». p maxime françois témoignage «J’ai appris à marcher!» Mariam Maréchal, 19 ans, double licence administration des entreprises et société et LEA anglais-espagnol, a suivi l’atelier danse à l’université Lyon-III « ÇA PEUT PARAÎTRE très futile, mais j’ai appris à marcher ! A comprendre quelle image je renvoie selon ma posture. J’ai pris conscience qu’elle peut être positive ou très négative en fonction des expressions de mon visage, des mouvements de mes mains et même de mes DR hanches. On a fait des exercices assez drôles où l’on marchait avec les épaules détendues puis complètement repliées. J’ai aussi appris à travailler en équipe car, pour danser avec un partenaire, il faut lui accorder sa confiance. Moi qui n’avais jamais dansé, ce n’était pas évident. Laisser un garçon me diriger les yeux fermés a été un défi à surmonter. Il a fallu que j’évacue mes réticences, que je me laisse aller. Pour y parvenir, nous avons eu des exercices de respiration pour contrôler le stress et l’angoisse. Avec un peu de recul, je me rends compte que j’ai gagné au niveau de la confiance en moi. Le professeur m’a d’ailleurs vivement conseillé de continuer la danse. » p propos recueillis par m. fr. Les promesses de « Promising » – 60 élèves accueillis au cœur de Lyon de l’éCole – nationale Un enseignement artistique public post-bac de haut niveau supérieure des beaux-arts de lyon www.ensba-lyon.fr Des ateliers pour un accès à l’art pour tous Sous l’égide de l’université de Grenoble, un programme d’enseignement s’attache à remettre l’humain au cœur de tout projet d’innovation L’ innovation et la créativité « doivent aussi infuser les sciences humaines et sociales », estime Marielle Thiévenaz, chef de projet du programme « Promising » coordonné par l’université GrenobleAlpes et regroupant sept autres établissements, dont le CNAM, l’université Stendhal - Grenoble-III, l’université SavoieMont-Blanc, l’Ecole nationale supérieure de création industrielle, HEC Montréal et l’université de Bangkok. Enjeux humains L’objectif de Promising est que des étudiants en sciences humaines et sociales amènent des ingénieurs, des scientifiques ou des commerciaux à prendre en compte les enjeux humains de tout programme d’innovation. Une préoccupation qui se traduit, par exemple, par une conférence intitulée « La question du désir dans l’innovation : perspectives croisées du marketing et de la philosophie ». Soutenu par le programme Idefi (Initiatives d’excellence en formations innovantes), Promising a été créé en 2012 pour une durée de sept ans. Une quarantaine d’enseignants ont d’abord été formés aux différentes méthodes de créativité puis ont mis sur pied des modules par lesquels sont passés quelque 900 étudiants. L’un d’eux vise à apprendre, par la pratique de l’improvisation, à « s’engager Un module vise à apprendre, par la pratique de l’improvisation, à « s’engager malgré la peur de l’inconnu » collectivement malgré la peur de l’inconnu ». Selon Marielle Thiévenaz, la partie sera gagnée lorsque tout étudiant « trouvera normal d’avoir un module de créativité dans son cursus ». Promising diffuse également son savoir à l’extérieur de l’université. Une Ecole d’hiver de la créativité a été lancée mi-mars, qui propose des formations payantes sur trois jours à des professionnels. Un MOOC intitulé « Innovations et Société » a par ailleurs obtenu 9 000 inscrits sur plusieurs sessions. p j. le. Tendances | 0123 Jeudi 14 avril 2016 UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES |7 EN COULISSES Profession : fab lab manageur Lydie Passot fait partie des pionnières qui dessinent les contours d’un nouveau métier, à la croisée de l’animation, de la gestion et de la maîtrise des nouvelles technologies portrait E lle navigue entre imprimantes 3D, découpeuses laser et autres machines à commande numérique. A 27 ans, Lydie Passot, passionnée de bricolage et de technologies, gère un fab lab (contraction de fabrication laboratory, laboratoire de fabrication), un de ces ateliers qui essaiment, depuis la fin des années 2000, dans les collectivités, les entreprises ou les universités pour encourager la création et le partage de savoir-faire. « Il s’agit de mettre à la portée du plus grand nombre des outils de haute qualité, d’ordinaire réservés aux professionnels, et que nul ne pourrait s’offrir personnellement », explique la jeune femme. Elle a découvert ce concept en suivant le Master of Science IDEA (Innovation, Design, Entrepreneurship & Arts) porté par l’école de management EM Lyon et l’école d’ingénieurs Centrale Lyon. Un programme fondé sur une pédagogie par projets qui intègre un fab lab. Lydie Passot s’est d’abord lancée dans le conseil une fois diplômée, en 2014, mais elle espérait bien « à plus ou moins long terme » s’investir dans l’un de ces ateliers de l’ère numérique. Quand elle a su, fin 2015, que son ancien programme recrutait un fab lab manageur, elle n’a pas hésité une seule seconde à postuler. Compte tenu de sa bonne connaissance de la formation, sa candidature a été retenue. Depuis quatre mois, à l’EM Lyon, elle accompagne dans leurs projets les 70 étudiants du mastère en innovation, mais aussi, plus ponctuellement, des élèves ingénieurs ou des manageurs en herbe. Elle leur propose des ateliers en petits groupes pour apprivoiser le fonctionnement des machines, la devise d’un fab lab étant d’« apprendre en faisant ». Les visiteurs la consultent ensuite dehors des horaires classiques. Si la jeune femme est si à l’aise dans ce nouveau métier, c’est aussi qu’elle a pris l’habitude d’explorer des voies inédites et de s’adapter à différents secteurs. Après le lycée, cette bachelière toulousaine a d’abord opté pour un BTS audiovisuel pour « gérer la régie sur les tourna- « Mettre à la portée du plus grand nombre des outils de haute qualité, d’ordinaire réservés aux professionnels » DR au fil des problèmes techniques qu’ils rencontrent dans leurs réalisations. Ces dernières semaines, certains ont réfléchi à un nouveau système d’assainissement de l’air tandis que d’autres préparaient une manifestation artistique autour du Rhône. Dans tous les cas, pour démontrer que leurs idées sont viables, ils élaborent des maquettes ou des prototypes. Lydie Passot s’assure qu’ils ont tout le matériel et les informations nécessaires pour y parvenir. Car au-delà de l’entretien des outils ou de l’approvisionnement des machines, son poste inclut une dimension pédagogique, avec un leitmotiv : favoriser le sens de l’initiative. Sous peu, une équipe de « fab lab manageurs juniors », nommée parmi des étudiants volontaires, pourra la relayer et assurer des permanences en programme IDEA sur lequel elle a embrayé. « Le master nous apprend à analyser des situations très diverses en peu de temps, ce qui m’a permis de rejoindre un cabinet de conseil, après un long stage à la Lyonnaise des eaux. » Mais les objectifs étaient un peu trop théoriques à son goût. Son nouveau métier de fab lab manageur lui convient parfaitement. « Je ne reste pas derrière un écran à longueur de journée et j’apprécie mon rôle pédagogique », dit-elle. Pour Lydie Passot, la satisfaction professionnelle passe par le fait de jongler entre différentes missions, « tout en faisant travailler [ses] mains ». ges ». Réalisant que « ce métier n’était pas forcément sa vocation », elle a bifurqué vers une licence métiers du jeu et du jouet à Angers. La conception de produits ludiques lui plaisait mais les débouchés n’étaient pas au rendez-vous. Après deux années de petits jobs, surtout dans la vente, Lydie Passot a tenté de nouveau sa chance dans l’univers de la culture, par l’entremise d’un service civique dans un théâtre. Cette mission lui a donné envie de reprendre des études. « L’Institut de l’engagement venait d’être créé pour aider les volontaires à valoriser leurs expériences ; j’ai fait partie des 150 premiers lauréats », précise-t-elle. On lui a alors conseillé le tout nouveau aurélie djavadi Se former Le métier de fab lab manageur étant récent, il n’existe pas encore de parcours type pour y accéder. Mené fin 2014 auprès de 65 pionniers, un sondage du site spécialisé Makery. info indique que 50 % d’entre eux ont moins de 35 ans, avec une majorité de bac + 4 ou 5, et qu’ils viennent de l’informatique, du design, de l’industrie ou du domaine artistique. Cependant, depuis 2015, le FacLab de l’université de Cergy-Pontoise propose une formation continue sur mesure. En 110 heures, dont 70 d’ateliers, les inscrits découvrent comment « animer une communauté apprenante », résume le responsable Laurent Ricard. A ce jour, 10 personnes ont décroché ce diplôme universitaire de « facilitateur » et 5 autres sont en cours de formation. Prochaine session en septembre. AU RAPPORT ! L’année de césure rate sa rentrée en fac Promise par François Hollande, l’introduction de cette parenthèse dans le cursus universitaire se fait attendre F rançois Hollande en avait pris l’engagement, le 6 mai 2015, lors d’une rencontre avec des jeunes : l’année de césure ferait son entrée dans le cycle universitaire lors de « la prochaine rentrée ». Onze mois plus tard, force est de constater que la parole présidentielle s’est peu traduite en actes dans nombre d’universités. Une césure vise à marquer une pause dans son parcours universitaire, d’une durée maximale d’un an, pour mener une expérience personnelle. La pratique est intégrée de longue date dans les écoles de commerce et d’ingénieurs, qui y voient l’opportunité, pour leurs élèves, d’entrer dans le monde professionnel et d’affiner leur orientation future. Modalités trop « rigides » Dans une circulaire publiée le 22 juillet 2015, le ministère de l’éducation a indiqué les modalités de l’année de césure, mais a laissé les universités libres de la mettre en place dès la rentrée de septembre 2015, ou plus tard. L’université AixMarseille a ainsi repoussé son application à la rentrée 2016 ; à Nantes, « rien n’est encore opérationnel » ; à Lille-I, seuls deux étudiants en ont bénéficié… « Un mois est un délai bien trop court pour mettre en place ce type de procédure », estime Kevin Nadarajah, vice-président représentant les étudiants au sein du bureau de l’université Rennes-II. Une analyse partagée par tous les responsables universitaires interrogés. Mais le man- que de temps n’est pas la seule raison invoquée : les modalités d’application fixées dans la circulaire sont jugées, au sein de la Conférence des présidents des universités, « trop rigides et inadaptées aux particularités des différentes filières ». Parmi les éléments estimés inapplicables figure l’obligation de réintégrer l’étudiant dans la « formation dans le semestre ou l’année suivant » celle validée. Un étudiant de master 1 qui décide de prendre une année de césure a donc la garantie d’avoir, à son retour, une place en M2 alors que les places y sont limitées. « Nous ne pouvons pas prendre ce risque », déclare Sabine Lepez, vice-présidente chargée de l’orientation professionnelle à l’université de Cergy-Pontoise. L’intégration d’un stage dans cette année de césure pose aussi problème. La loi prévoit un nombre maximal de seize étudiants par enseignant référent, un ratio « extrêmement compliqué à atteindre », regrette Maud Geffrault, responsable de l’insertion professionnelle à l’université de Bordeaux. Le nouveau cadre a, en outre, eu un effet pervers pour les précurseurs, ces universités qui, depuis plusieurs années déjà, appliquent l’année de césure. Les nouvelles conditions posées compliquent le dispositif. Au total, pour que la promesse de François Hollande se réalise, le ministère de l’éducation va devoir revoir sa copie, bien avant la prochaine rentrée. p éric nunès ESEC-ÉCOLE SUPÉRIEURE D’ÉTUDES CINÉMATOGRAPHIQUES PARIS enseignement supérieur libre www.esec.edu Formations professionnelles (niveau II / licence-maîtrise) RÉALISATION / SCÉNARIO / PRODUCTION / MONTAGE SFX 2 années d’études + stages professionnels (année préparatoire optionnelle) 21 rue de Cîteaux F-75012 Paris / t.+33 (0)1 43 42 43 22 [email protected] 8| UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Tendances 0123 Jeudi 14 avril 2016 C’EST DÉJÀ DEMAIN « Devenez ingénieur, c’est super-rigolo ! » Intelligence artificielle, objets connectés, santé… Selon Luc Julia, responsable du centre d’innovation de Samsung, tous les secteurs en pointe sont ouverts à la profession entretien L uc Julia a été nommé en 2012 vice-président chargé de l’innovation et de la stratégie chez Samsung, le sud-coréen installé à Menlo Park, au cœur de la Silicon Valley, en Californie. Ce passionné de recherche dirige une équipe d’une cinquantaine d’ingénieurs qui inventent les technologies de demain, particulièrement dans l’Internet des objets, des données et de l’intelligence artificielle. En 2015, il a également contribué à ouvrir un centre de recherche de Samsung à Paris et a y embaucher une dizaine d’ingénieurs pour bénéficier de l’écosystème du Silicon Sentier. Avant de travailler pour Samsung, Luc Julia a passé un an chez Apple, où il a contribué, en 2011, à développer le système de reconnaissance vocale Siri, tout en dirigeant une équipe passée en quelques mois de 40 à 85 ingénieurs. Toulousain d’origine, Luc Julia est installé dans la Silicon Valley depuis vingt-deux ans. A 50 ans tout juste, il résume ainsi sa vie professionnelle : « Dix ans à faire de la recherche, dix ans à créer et développer cinq start-up – qui existent toutes encore, sauf une – et dix ans à travailler dans des grosses boîtes. » croché un doctorat d’informatique à ce qui était alors l’Ecole nationale supérieure des télécommunications, devenue Télécom ParisTech. Quelles études avez-vous suivies ? Une fois mon bac scientifique en poche, je me suis dirigé vers un DEUG de mathématiques à l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) de Paris. J’y ai obtenu une maîtrise en mathématiques et informatique, puis un DEA d’informatique. J’ai ensuite dé- Dans un secteur très innovant comme le vôtre, quels sont les profils qui seront privilégiés demain ? Le grand domaine qui s’ouvre devant nous, c’est l’intelligence artificielle. Et la vérité, c’est que dans cette discipline, ce sont les maths qui dominent tout. Dans les années qui vien- Pourquoi êtes-vous parti aux Etats-Unis ? J’appartenais à une unité de recherche du CNRS rattachée à Télécom ParisTech. Le travail était beaucoup trop administratif pour moi. J’ai sauté sur l’occasion qui m’a été offerte de partir au soleil de Californie, pour travailler à l’Institut de recherche de l’université Stanford. J’y ai créé le Computer Human Interaction Center, le CHIC ! Quels sont les profils actuellement recrutés par Samsung ? Principalement des ingénieurs, quel que soit leur pays d’origine, capables d’apporter leur contribution aux projets de recherche que nous menons. Actuellement, nos efforts portent en particulier sur la santé digitale, le traitement des données, l’interface homme-machine, l’Internet des objets ou l’éclairage intelligent. Nous n’avons pas de profils prédéfinis, nous recherchons des personnalités créatives, capables d’avoir une vraie vision. A mon niveau, je n’embauche que trois ou quatre personnes par an, principalement à l’issue de leur stage. Luc Julia, vice-président de Samsung, chargé de l’innovation et de la stratégie. DR nent, nous allons moins chercher des ingénieurs ayant des connaissances pratiques que des mathématiciens. De même, le foisonnement extraordinaire qui a lieu autour des objets connectés a besoin de personnes compétentes en maths. Le niveau des Français en mathématiques est excellent. Les Américains commencent à être bons quand ils arrivent au niveau du PhD [doctorat]. Tout le monde croit qu’ils sont très bons parce qu’ils sont meilleurs que les Français en marketing ! Les bases théoriques françaises en mathématiques vont être excessivement recherchées, alors que les savoirs pratiques comme ceux des ingénieurs américains seront moins valorisés. Les Sud-Coréens créent des entreprises intéressantes parce qu’ils ont poussé l’enseignement des mathématiques. UNIVERSITÉ DE TECHNOLOGIE DE COMPIÈGNE Comment recrutez-vous ? J’ai embauché une centaine d’ingénieurs français dans ma carrière, et chez Samsung la moitié environ sont français. Ils sortent des grandes UTC Au Centre d’innovation de l’UTC, espace de créativité idée, je mature mon projet, je réalise des prototypes, j’élabore des preuves de concept, je définis un business model innovant, je crée ma start up... interactions.utc.fr • webtv.utc.fr Que recommanderiez-vous à un jeune de 17 ans qui veut être sûr d’avoir un travail dans quelques années, à la fin de ses études ? Je ne vois pas comment on peut se détacher des maths. Même la médecine va changer et devenir un métier d’intelligence artificielle. Je conseille à mes enfants de devenir ingénieurs : c’est super-rigolo parce qu’il y a plein de choses à faire, dans tous les secteurs. Faut-il privilégier les grandes écoles ou l’université ? Depuis quelque temps, j’ai pris en stage des étudiants de l’UPMC et j’ai pu constater que les meilleurs étudiants sont au moins aussi bons que ceux des grandes écoles d’ingénieurs. Et puis ils n’ont pas le défaut de bon nombre de diplômés des grandes écoles : la grosse tête. C’est d’ailleurs l’un des problèmes essentiels de ces jeunes ingénieurs qui débarquent ici : ils ont un peu l’impression qu’ils savent tout. Quand on arrive dans la Silicon Valley, ça peut poser quelques problèmes… Est-ce une bonne idée que d’envisager de poursuivre ses études aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni ? Non, je n’en vois pas l’intérêt. Il suffit de faire un stage de six mois pour apprendre à parler correctement l’anglais. Curieusement, depuis des années qu’on le déplore, cela n’a pas changé : les jeunes Français parlent mal l’anglais. C’est pourquoi il faut faire des stages à l’étranger. Mieux vaut rester en France. D’ailleurs, mes deux enfants, qui sont encore collégiens, sont revenus y faire leurs études, parce que c’est l’excellence. p propos recueillis par béatrice madeline LU/RELU je développe mon www.utc.fr écoles de premier rang comme Epitech, Supinfo, Epita, Télécom ParisTech, plus rarement de Normale-Sup ou des Ponts. Chez moi, les entretiens durent six mois : je les prends en stage pour mesurer leur niveau réel. A la fin, j’en garde la moitié. HBS, une grande muette Le professeur Anteby se livre à une « auto-ethnographie » à la Harvard Business School L e propos est alléchant : quels principes moraux président à la formation des étudiants en MBA de l’école de management d’Harvard, l’une des plus réputées du monde, d’où sont sortis bon nombre de grands patrons américains ? L’auteur est, à cet égard, un observateur particulièrement bien placé. Diplômé de l’Essec et de l’EHESS à Paris, il a enseigné l’administration des entreprises dans cette vénérable institution de Boston, de 2005 à 2015, après avoir officié dans les business schools de Yale et de l’université de New York. Michel Anteby explique toutefois d’emblée qu’il n’a pu effectuer l’« enquête ethnographique » qu’il comptait mener. Parler de censure est mal comprendre le monde feutré de la Harvard Busi- ness School (HBS) : certains lui ont discrètement signifié qu’une telle entreprise menacerait sa promotion de professeur assistant à professeur associé… Michel Anteby a préféré mettre fin aux entretiens auprès de ses collègues pour se contenter de ce qu’il appelle une « auto-ethnographie », fondée sur sa propre expérience dans l’école. Sans jamais citer donc, ni les autres professeurs ni les étudiants de l’école, l’auteur étaye sa thèse : HBS « défend une idéologie de la non-idéologie pour socialiser ses membres » ; elle « promeut un silence relatif sous couvert de respecter une multitude de points de vue ». Michel Anteby décortique un « silence parlant », à savoir une « routine qui implique une prise de décision déterminante des participants, moyennant peu de consignes directes de leur hiérarchie ». Silence auquel contribue un ordonnancement de longue date entre les murs néogéorgiens de l’école, installée depuis 1926 dans un univers assez clos. Sur quatorze hectares arborés circulent 3 200 personnes, dont quelque 900 étudiants en MBA dûment sélectionnés pour un cursus de deux ans, et 200 professeurs, souvent eux-mêmes anciens élèves d’Harvard. A l’instar d’une formation en médecine, écrit l’auteur, celle en gestion « incite à considérer la vie de l’entreprise comme une succession de problèmes qui exigent des solutions variées et éprouvées ». Dans les cours et les études de cas, méthode pédagogique qui a autrefois distingué la HBS, l’individualisme héroïque est valorisé mais les contraintes sociales sont souvent ignorées : « Il est ainsi difficile de trouver dans le cursus des cas qui traitent d’actions syndicales. » Que penser d’un monde où, par exemple, la question de la réduction des inégalités sociales et celle de la recherche de profit sont jugées d’égale importance ? Michel Anteby pose la question mais élude la réponse. Aujourd’hui professeur en sociologie à l’université de Boston, Michel Anteby bénéficie de ce fait d’une expérience supplémentaire en matière de formation des élites américaines. Pour un prochain ouvrage ? p martine jacot « L’Ecole des patrons », de Michel Anteby, Editions Rue d’Ulm, 264 p., 22 €.