Le Monde

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Le Monde
MARDI 12 AVRIL 2016
72E ANNÉE – NO 22158
2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Politique
Semaine décisive
pour François
Hollande
Panama papers David Cameron affaibli
en pleine campagne contre le Brexit
LIR E PAGE 1 0
International
Haut-Karabakh :
reportage sur une
guerre sans fin
▶ Le premier ministre
britannique a rendu
publique sa feuille
d’impôt; l’opposition
ne s’en satisfait pas
LIR E PAGE 2
Pérou
Les Fujimori
en passe de revenir
aux affaires
▶ Un cinglant revers
pour David Cameron,
en pleine campagne
contre la sortie de
l’Union européenne
LIR E PAGE 6
▶ Révélations des
Environnement
Une candidature
française à la tête
de l’instance de
l’ONU sur le climat
« Panama papers ».
La Floride, centre de
l’argent sale : enquête
sur du fric à Miami
LIR E PAGES 4 E T 7
1
LIR E PAGE 8
ÉDITORIAL
Education
Le « livret des
parents »,
argumentaire
contre la fessée
LA BONNE RÉACTION
DE L’EUROPE
→ LIR E
PAGE 2 2
A Londres, le 9 avril. SIPANY/SIPA
LIR E PAGE 1 2
Attentats La France est toujours l’objectif La mue de l’économie collaborative
C’
est la France et non la
Belgique que visait le
commando des attentats qui ont fait 32 morts et
270 blessés à Bruxelles le 22 mars.
C’est ce qu’a permis d’établir l’interpellation, vendredi 8 mars, de
Mohamed Abrini, l’un des hommes les plus recherchés d’Europe,
soupçonné d’avoir pris part aux
attentats du 13 novembre à Paris
et à ceux de Bruxelles. Le doute
demeure toutefois sur les objectifs précis du commando.
D’après « plusieurs éléments (…),
il ressort que l’objectif du groupe
terroriste était de frapper de nouveau la France et que c’est, pris de
court par l’enquête, qui avançait à
grands pas, qu’ils ont finalement
décidé dans l’urgence de frapper
Arts
Hubert Robert :
le Louvre célèbre
l’un de ses
fondateurs
Le musée expose 150
œuvres de l’artiste qui
en fut aussi l’un des
conservateurs. Ce visionnaire a témoigné de
manière onirique, dans
ses toiles, des destructions
et mutations de Paris,
avant et pendant la
Révolution française.
CULTURE - LIR E PAGE 1 4
MUSÉE DE L’ERMITAGE /PAVEL DEMIDOV
Bruxelles », a confirmé le parquet
belge, dans un communiqué, dimanche 10 avril. Selon les informations du Monde et de plusieurs médias, le centre d’affaires
de la Défense, à Paris, et l’association catholique intégriste Civitas
auraient pu être visés.
Ces éléments, qui doivent encore être confirmés, proviennent
d’un rapprochement entre des
déclarations en garde à vue de
Mohamed Abrini et des expertises techniques sur du matériel
informatique appartenant à l’un
des kamikazes de Bruxelles. Des
questions persistent sur l’actualité de ces cibles, qui pourraient
avoir été listées avant les attentats du 13 novembre, et sur l’identité du donneur d’ordre, possible-
ment basé en Syrie. Ces révélations amènent toutefois à des
parallèles. La Défense était un
objectif d’Abdelhamid Abaaoud,
le cerveau présumé des attentats
de Paris, tué dans un raid des forces de l’ordre à Saint-Denis le
18 novembre. L’enquête a permis
d’établir que l’homme s’apprêtait à se faire exploser dans le
quartier d’affaires avec son complice mort à ses côtés, Chakib
Akrouh.
Le siège de Civitas, lui, est situé
à Argenteuil (Val-d’Oise), une
commune où a été découvert,
dans un appartement occupé par
Reda Kriket, tout un arsenal d’explosifs et d’armement.
→ LIR E
élise vincent
L A S U IT E PAGE 9
▶ Airbnb, Uber, Blabla-
▶ Mais pour atteindre
▶ Le monde de l’entre-
car, Drivy : les
plates-formes numériques promettaient
d’être un nouveau
modèle économique
la taille nécessaire
à sa survie, l’Internet
collaboratif se professionnalise, s’éloignant
de l’idéal des débuts
prise est en train de
récupérer un modèle
en principe créé pour
les particuliers
Réfugiés
La double vie
d’une clinique
d’Istanbul
LIRE LE CAHIER ÉCO PAGES 6-7
Une histoire vraie enin révélée
S’occupant de patients
turcs le jour, l’établissement accueille la nuit
venue des Syriens. Ces
dernier sont soignés
gratuitement par des
médecins qui ont euxmêmes fui leur pays.
ENQUÊTE - LIR E PAGE 1 3
Automobile
Les cabriolets
n’ont plus la cote
En vogue il y a dix ans,
les voitures décapotables
se vendent de moins
en moins, détrônées par
la mode des SUV. Seul le
haut de gamme résiste.
STYLES - LIR E PAGE 1 8
© Zero One ilm GmbH
www.arpselection.com
www.lecinemaquejaime.com
13 avril
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
2|
INTERNATIONAL
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Des volontaires
karabakhtsis
creusent
une tranchée
dans le village
de Talich (nord),
le 7 avril.
RAFAEL YAGHOBZADEH/
HANS LUCAS
POUR « LE MONDE »
Dans la guerre sans fin du Haut-Karabakh
La reprise des combats dans cette région sécessionniste d’Azerbaïdjan ravive les blessures du passé
REPORTAGE
GÉORGIE
talich (haut-karabakh)
L
RUSSIE
envoyé spécial
orsque le bombardement
azéri a débuté, samedi
2 avril à 3 heures du matin,
Valere Babayan a pris ses
nièces sous le bras et dévalé en
courant les pentes du village de Talich, à la pointe nord du Haut-Karabakh. La voiture avait été soufflée
par un obus ; deux minutes après,
c’était au tour de la maison. Pendant la fuite, Anahit, 12 ans, a été
touchée au bras par un éclat.
Trois jours plus tard, après que la
position a été reprise aux forces
armées de l’Azerbaïdjan, M. Babayan est revenu à Talich. Cette
fois, l’ancien directeur de l’école
était en uniforme et portait une
kalachnikov. Une trentaine
d’autres « volontaires » ont suivi,
en majorité des hommes du village, souvent âgés, d’autres venus
de l’Arménie voisine. Leur rôle
s’est limité à entasser les carcasses
des vaches et des chèvres et à creuser de modestes tranchées. Selon
les volontaires, trois civils qui
n’avaient pas fui ont été exécutés
le samedi matin. La photo de leurs
cadavres, oreilles tranchées, a réveillé le souvenir des atrocités de
la guerre de 1988-1991. Un journaliste arménien a confirmé au
Monde avoir vu la scène.
Accrochages réguliers
Pour le reste, la défense de la localité est assurée par les troupes régulières de la république autoproclamée, qui ont positionné blindés
et artillerie sur les hauteurs alentour. Une unité des forces spéciales arméniennes est discrètement
cantonnée à l’entrée du village.
Aucune trace de civils. Les destructions sont trop importantes et le
cessez-le-feu, conclu à Moscou le
5 avril, trop précaire. Jeudi 7 avril,
on y entendait régulièrement des
tirs d’armes automatiques.
Talich a toujours été une ligne
de front. Haut lieu de la guerre
d’indépendance livrée à l’Azerbaïdjan par le Karabakh et son
ARMÉNIE
Erevan
AZERBAÏDJAN
Talich
Martakert
Chouchi Stepanakert
AZ.
50 km
IRAN
HautKarabakh
Territoire contrôlé
par les forces arméniennes
grand frère arménien, le village et
ses environs sont restés, depuis
l’armistice de 1994, le théâtre d’accrochages réguliers. C’est même
une histoire plus ancienne qui
émerge, plus vieille encore que
cette année 1923 quand Staline a
attribué ce territoire très majoritairement arménien à l’Azerbaïdjan. Ici, pour désigner l’ennemi
azéri, on parle du « Turc ». Depuis
le traumatisme du génocide de
1915, la résistance karabakhtsie et
sa victoire militaire de 1994 contre une armée plus nombreuse et
mieux équipée ont fait de cette région montagneuse un symbole
de la renaissance nationale arménienne, une cause sacrée.
Depuis, le revanchisme azéri se
heurte à l’intransigeance arménienne. Le Groupe de Minsk, dirigé, dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, par la Russie, les
Etats-Unis et la France, n’a jamais
pu esquisser de solution diplomatique. L’offensive azérie, dont les
buts restent flous – tester les défenses karabakhtsies, rappeler au
monde ce conflit oublié, ou bousculer, avec le soutien de la Turquie,
les équilibres régionaux ? –, a agi
comme un cruel rappel.
Les bombardements azéris ont
atteint jusqu’à la ville de Martakert, 5 000 habitants, épargnée depuis 1994. Là, comme une dizaine
d’autres, la maison de la famille
Grigoryan a été à moitié détruite.
En 1992, Vasguen, le père, avait
participé à la libération de Marta-
kert, tankiste dans une unité où
combattaient également son père
et ses cinq frères. Son fils aîné a
suivi la même voie. Impassible à la
vue de son salon jonché de débris,
Mania, la mère, reconnaît tout
juste être « un peu inquiète » à
l’idée de voir son cadet, 18 ans dans
deux mois, partir à son tour pour
le service d’une durée de deux ans.
Suspendu à ses montagnes, le
Karabakh semble irrigué de cette
détermination farouche. Les haines ancestrales s’y nourrissent des
récits des combats de la guerre
d’indépendance, donnant à la république autoproclamée des airs
de Sparte du Caucase. Au moment
de l’offensive azérie, les volontaires ont afflué par centaines, Karabakhtsis ou Arméniens. Père et fils
ensemble, fils invoquant la mémoire d’un père tué, anciens combattants disant simplement vouloir « rassurer les petits à l’avant »…
Formation militaire dès 14 ans
Le recours à ces forces n’a pas été
nécessaire : l’essentiel de l’attaque
azérie a duré deux jours, au terme
desquels Bakou a pu revendiquer
la prise de trois « hauteurs » dans
le nord et le sud-est du territoire.
Selon les bilans donnés par les
deux camps, 31 soldats azéris sont
morts, 44 Karabakhtsis, et une dizaine de civils.
Les effectifs de l’armée du HautKarabakh sont un « secret militaire ». La plaisanterie veut que
celle-ci compte 150 000 soldats…
soit la totalité de la population. En
réalité, le chiffre est plus proche de
25 000, y compris des citoyens arméniens qui peuvent choisir d’effectuer leur service dans les forces
karabakhtsies. Les hommes sont
mobilisables jusqu’à 45 ans. A
l’école, héritage soviétique, les enfants commencent une formation
militaire à l’âge de 14 ans.
« Nous ne sommes pas des machines de guerre ou des cyborgs, tempère le ministre des affaires étrangères du Haut-Karabakh, Karen
Mirzoyan. Nous sommes en guerre
depuis notre indépendance, notre
capitale est située à 25 kilomètres
Les haines
se nourrissent de
récits de la guerre
d’indépendance,
donnant à la
région des airs
de Sparte
du front, et nous en sommes à nos
sixièmes élections parlementaires.
Nous sommes un pays normal ! »
C’est à la fois vrai et faux. Devant
l’impossibilité d’obtenir un rattachement à l’Arménie, le Karabakh
a entrepris de construire un semblant d’Etat, avec institutions, drapeau, représentations diplomatiques à l’étranger et même un aéroport – inutilisé à cause de la menace azérie d’abattre tout avion
qui oserait s’y aventurer.
Stepanakert, ladite « capitale »,
ressemble à une proprette préfecture ; les routes sont souvent
meilleures qu’en Arménie. Mais
cela n’est dû qu’à la générosité des
Arméniens de la diaspora et au
soutien d’Erevan, qui finance la
moitié des besoins du Karabakh
et la totalité de son budget militaire. Pour le reste, l’économie relève de la survie.
« Nous sommes ramollis ! »
Dans sa quête de reconnaissance,
le Karabakh cherche aussi l’exemplarité. En 2003, il a ainsi supprimé
la peine de mort. Il serait aussi
moins corrompu que le voisin arménien. Là encore, c’est à moitié
vrai. Les héros de la guerre sont devenus politiques, et les politiques
se sont rapidement mués en hommes d’affaires. La faible population limite simplement les abus.
Le débat public reste dominé par
le consensus sur les questions sécuritaires, et aucune force d’opposition politique véritable n’a
émergé, explique Albert Voskanyan, directeur de l’une des rares
ONG du Karabakh. « On ne peut
toutefois pas parler d’Etat milita-
risé, note-t-il. Depuis peu, il est devenu possible de faire une carrière
politique sans passé militaire. »
Depuis la récente offensive azérie, des critiques se sont fait entendre. Elles sont d’abord techniques :
face au réarmement massif de
l’Azerbaïdjan, Arménie et HautKarabakh ont du mal à suivre. Elles
concernent aussi la solidité de l’alliance entre Erevan et Moscou, qui
fournit également Bakou en armes et entend ménager ce partenaire riche de ses hydrocarbures.
Elles touchent enfin aux tréfonds de la société karabakhtsie.
« Nous avons gagné la guerre de
1994 en perdant 5 000 hommes,
quand les Azéris en avaient perdu
25 000 », tonne Saro Saryan, ancien combattant, figure de la vie
locale et directeur du musée historique de Chouchi, le centre historique du Karabakh. « Nous
avons voulu croire que la situation
resterait éternellement ainsi et
nous nous sommes ramollis ! »
Avec ses vestiges d’églises remontant au Ve siècle ou ses pièces
d’artisanat, le musée de Chouchi
se veut un témoignage de la présence historique arménienne sur
les terres du Karabakh. Il retrace
surtout la prise de la ville, en 1992,
« à 1 500 contre 5 000 », rappelle le
directeur. Rien, en revanche, sur
l’expulsion des habitants azéris
qui a suivi ou la conquête de certains territoires avoisinants, situés hors du territoire karabakhtsi mais qui offraient à la
nouvelle république une continuité territoriale avec l’Arménie.
M. Saryan est à lui seul un concentré de l’histoire de la région. Né
à Bakou, « ville cosmopolite devenue invivable avec le réveil du nationalisme azéri », il est parti pour
le Karabakh en 1988, après le pogrom contre les Arméniens de
Soumgaït. Il y a quelques jours, il a
appris que son fils, militaire, avait
été blessé à la jambe à Martakert,
là même où il avait reçu sa première blessure, vingt-quatre ans
plus tôt. Il n’a pas su s’il devait se
réjouir ou pleurer. p
benoît vitkine
LES DATES
1988
Le 20 février, le Parlement de la
région autonome du Haut-Karabakh déclare sa sécession vis-àvis de l’Azerbaïdjan, auquel celle-ci a été rattachée par l’Union
soviétique en 1923. Un pogrom
contre les Arméniens éclate dans
la ville de Soumgaït, provoquant
un exode des Arméniens
d’Azerbaïdjan.
1991
Arménie et Azerbaïdjan accèdent
à l’indépendance à la chute de
l’URSS. Les nouvelles autorités
de Bakou suppriment son statut
d’autonomie au Haut-Karabakh,
qui, en réponse, se proclame
indépendant. La guerre éclate.
1992
Le Groupe de Minsk pour le
Haut-Karabakh est créé au sein
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE). Il comprend dans un
premier temps la Russie, les
Etats-Unis et la France.
1994
L’Arménie l’emporte militairement et occupe 13 % du territoire azéri. Le 16 mai, un armistice est signé à Moscou. De
30 000 à 40 000 personnes sont
mortes pendant le conflit.
Aucun accord de paix n’a été signé à ce jour.
international | 3
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
L’anniversaire très politique du crash de Smolensk
Les conservateurs polonais utilisent la catastrophe pour discréditer le gouvernement alors dirigé par Donald Tusk
S
ix ans après le crash de
l’avion du président polonais Lech Kaczynski à
Smolensk, en Russie, la
Pologne dirigée par le parti conservateur Droit et justice (PiS) a
voulu rendre un hommage plus
solennel que par le passé aux 96
victimes de la catastrophe. Le
10 avril 2010, la délégation présidentielle se rendait aux cérémonies des 70 ans du massacre des
officiers polonais par l’Armée
rouge à Katyn, près de la frontière
biélorusse, lorsque l’avion s’est
écrasé. Les commémorations ont
réuni dimanche 10 avril plusieurs
dizaines de milliers de personnes
dans les rues de Varsovie. De
6 heures à minuit, des messes, des
prières et des rassemblements
ont été organisés à travers toute la
Pologne.
Un hommage imposant, mais
qui, loin de faire l’objet d’une
union nationale, s’est transformé
en une démonstration de force
des partisans du parti au pouvoir.
Car la catastrophe de Smolensk, si
elle est considérée comme le plus
grand drame de la Pologne
d’après-guerre, dans lequel ont
péri des dizaines de hauts responsables politiques et militaires
polonais, a aussi contribué à creuser le clivage politique le plus
profond depuis la chute du
communisme.
Epais brouillard
Le PiS et son président Jaroslaw
Kaczynski, frère jumeau du défunt chef de l’Etat, ont toujours
rejeté les conclusions officielles
de l’enquête menée sous le précédent gouvernement libéral. Les
experts ont notamment reconnu
comme causes de l’accident les
mauvaises conditions météo (un
épais brouillard), le mauvais état
de l’aéroport, ainsi que des erreurs conjointes des pilotes polonais et des contrôleurs aériens
russes. En avril 2015, de nouveaux fragments des boîtes noires ont dévoilé que les pilotes
auraient fait l’objet de pressions
pour atterrir. Des faits que le nouveau pouvoir semble bien décidé
à remettre en cause.
« Nous avons été les témoins durant six ans de tentatives de mensonges autour de la mémoire des
victimes, et sur ce qui s’est vraiment passé », a déclaré pendant
les commémorations le ministre
de la défense, Antoni Macierewicz. Celui-ci, qui a fait de la promotion de la théorie de l’attentat
son principal credo politique, a
mis en place une nouvelle commission d’enquête sur la catastrophe. Son chef, Waclaw Berczynski,
a déclaré, l’avant-veille des cérémonies, qu’« avec une très grande
probabilité, pratiquement avec
quasi-certitude, on peut dire que
l’appareil s’est désintégré en vol »,
sans apporter aucune preuve à
ces allégations.
« La responsabilité morale de la
tragédie, quelles qu’en soient les
causes, est à mettre sur le compte
du gouvernement de Donald
Tusk », a déclaré pour sa part,
sous les ovations, Jaroslaw Kaczynski. Le PiS dénonce depuis
toujours des manquements dans
l’organisation par la chancellerie
de la visite de l’ancien premier
ministre. Dans les milieux conservateurs, de plus en plus de
voix appellent à faire comparaître l’actuel président du Conseil
européen devant le Tribunal
d’Etat. Dans ce contexte, et devant une foule dont l’immense
majorité est acquise aux thèses
du PiS, l’appel du président Andrzej Duda au « pardon mutuel » et à
« l’unité de la nation » a résonné
dans le vide. Symbole supplémentaire du caractère partisan
de l’événement, aucun parti d’opposition n’a été invité aux cérémonies officielles à la présidence
de la République.
Depuis l’estrade dressée devant
le palais présidentiel, les organisateurs des commémorations, liés
au quotidien nationaliste Gazeta
Polska, ont lancé des appels à « expliquer les mensonges de la tragédie », dénonçant la « propagande
médiatique » et celle « des commissions d’enquête officielles ». Un
Le chef du
parti Droit
et justice,
Jaroslaw
Kaczynski,
rend
hommage
à son frère
jumeau
et défunt chef
de l’Etat, Lech
Kaczynski,
le 10 avril
à Varsovie.
KACPEL PEMPER/
REUTERS
film à la gloire de Lech Kaczynski
a été projeté.
Au sein du PiS, l’ancien président
a été porté au rang de héros national – une narration qui, depuis six
ans, cimente l’électorat du parti.
« Nous sommes là pour nous souvenir des morts, et parce que nous
sommes contents d’avoir enfin un
gouvernement qui mettra en
œuvre le testament politique de
Lech Kaczynski, s’enthousiasme
Bernadetta, 60 ans, venue de
Gdansk (nord de la Pologne) pour
l’occasion. Nous espérons, maintenant que les conditions politiques
sont réunies, que la vérité va enfin
émerger. »
Un Polonais sur deux considère
que toutes les causes du drame
n’ont pas été élucidées. Et un sur
quatre semble souscrire à la théorie de l’attentat. Le fait que les
L’appel du
président Duda
au « pardon
mutuel » et
à « l’unité de la
nation » a résonné
dans le vide
autorités russes soient toujours en
possession de la carcasse de
l’avion et des originaux des boîtes
noires, six ans après les faits, les
conforte dans cet avis. Mais seuls
18 % des Polonais font part de leur
volonté de commémorer cette tragédie, comme si l’hystérie politique autour de la catastrophe de
Smolensk commençait à les lasser.
Maria Elena Boschi, atout ou talon d’Achille de Renzi?
L’opposition italienne accable la ministre des réformes, citée dans une affaire de favoritisme
rome - correspondant
S
ouriante, elle est sortie,
lundi 4 avril, d’une heure de
face-à-face avec les magistrats de Potenza (Basilicate), qui
l’ont entendue comme témoin
dans une affaire de trafic d’influence. Souriante, elle est entrée
peu après au siège du Parti démocrate (PD) pour entendre Matteo
Renzi la défendre devant le conseil national de la formation de
centre gauche. Il est rare que le
visage de Maria Elena Boschi,
35 ans, ministre des réformes et
des relations avec le Parlement,
trahisse ses tourments. Plus
jeune, sa beauté « acqua e sapone » (« eau et savon ») comme
disent les Italiens, lui ont systématiquement valu d’endosser le
rôle de la Vierge Marie dans les
reconstitutions de crèche vivante
à Laterina, la petite commune de
Toscane où elle a grandi.
C’est pourtant sur elle que
s’acharne l’opposition depuis
« l’affaire Guidi », du nom de la
ministre du développement économique, contrainte à la démission, fin mars, pour avoir favorisé,
par un amendement sur la loi de
finances 2015, les activités de son
compagnon en autorisant le développement d’un forage pétrolier au large de la Basilicate.
« Maria Elena est d’accord », avait
confié imprudemment la démis-
Selon un sondage
publié dimanche,
45 % des Italiens
souhaitent
la démission
de la ministre
sionnaire. Depuis, le poison du
soupçon de conflit d’intérêts
ronge le gouvernement. Selon un
sondage publié dimanche, 45 %
des Italiens souhaitent la démission de Mme Boschi en bloc et
deux motions de censure déposées par l’opposition l’attendent
au Parlement. La cote de popularité de M. Renzi est en baisse.
Maria Elena Boschi a-t-elle subi,
elle aussi, des pressions des
lobbys pétroliers, comme le supposent les juges du parquet de
Potenza chargés de l’affaire qui,
dévidant la pelote de l’enquête,
retrouvent son nom dans
d’autres volets de l’affaire ? « Je n’ai
pas subi de pression, je voulais que
ça aille vite, leur a-t-elle répliqué.
Je n’ai fait que mon devoir de ministre en faisant voter un amendement du gouvernement. » Pour
l’instant, elle résiste crânement
aux assauts.
De la même manière, elle s’est
sortie indemne d’une autre affaire, concernant son père Pier-
luigi, soupçonné de banqueroute
frauduleuse dans la faillite de
Banca Etruria dont il était le viceprésident. Le gouvernement a
adopté in extremis un décret
pour sauver les établissements
bancaires malmenés par la crise
et leurs dirigeants. Pierluigi
Boschi était parmi eux. Conflit
d’intérêts encore une fois ?
Maria Elena Boschi représente la
synthèse du renzisme : jeune,
bosseuse, cultivant des liens à
droite comme à gauche, c’est elle
qui coache l’équipe de Florentins
qui entoure le chef du gouvernement. L’atteindre, c’est blesser le
premier ministre qui en a fait la
« clé de voûte » de son pouvoir au
point de susciter des rumeurs
malveillantes qu’elle feint de ne
pas entendre. « Renzi connaît le
poids symbolique de Boschi, explique un proche. En la défendant, il
se défend lui-même. »
C’est lui, Matteo Renzi, qui a endossé, dimanche 3 avril, la paternité de l’amendement sur les forages. « Si les juges veulent m’entendre, je suis disponible », a-t-il
fanfaronné. Deux mois plus tôt,
c’est également lui qui avait assumé la loi sur les unions civiles,
qui ne comportait plus, lors de
son vote final, le droit pour un
des membres d’un couple
d’adopter l’enfant de son conjoint. Une mesure, sacrifiée sur
l’autel des équilibres politiques, à
laquelle tenait pourtant Maria
Elena Boschi.
Ils ne sont pourtant pas partis
du même pied. Après ses débuts
d’avocate dans l’un des plus gros
cabinets de Florence, elle soutient
un des concurrents de gauche de
Matteo Renzi aux primaires pour
les municipales de 2009. Magnanime, le vainqueur pardonne et
l’enrôle dans son équipe de candidat aux élections pour la présidence du Parti démocrate en 2012.
Ils sont tous deux l’expression
d’un catholicisme réformiste,
provincial et franciscain. Il a été
scout, elle a été enfant de chœur.
Ça rapproche.
Présentée comme « l’amazone », « la pasionaria », « la
lionne » de Matteo Renzi, elle se
veut un exemple de la « méritocratie ». Maîtresse d’elle-même
au point de paraître lointaine,
elle semble recevoir les coups
avec détachement : « Je ne suis pas
de celles qui s’enferment pour taper du poing sur les murs quand
ça ne va pas, dit-elle. Mes poings,
je les garde dans mes poches. »
Jusqu’à présent, son calme n’a
pas été pris en défaut. « Vous êtes
trop belle pour être communiste »,
lui a déclaré Silvio Berlusconi la
première fois qu’il l’a vue. « Il n’y a
plus de communistes. Et je préfère
les compliments de ma mère »,
avait rétorqué la ministre. p
philippe ridet
« Pour beaucoup de Polonais,
c’est un jour important. Indépendamment de nos orientations politiques, il fallait être là, comme on
était là il y a six ans, soutient
Bartek, 23 ans. Je pense que les
théories du complot sont la conséquence de certains manquements
de l’Etat polonais et de l’Etat russe
juste après la catastrophe. » Selon
lui, « tous les partis sont responsables » du clivage existant : « Le
gouvernement de l’époque ne s’est
pas montré efficace et n’a pas pris
les bonnes décisions. L’appareil
d’Etat a montré certaines défaillances. Il a manqué des gestes
diplomatiques forts pour mettre
la pression sur les Russes. Le PiS,
lui, s’est approprié ce drame national pour en faire le drame de son
propre camp. » p
jakub iwaniuk
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varsovie - correspondance
LES DATES
10 AVRIL 2010
Le président Lech Kaczynski et
95 autres personnes périssent
dans un crash près de Smolensk,
en Russie.
29 JUILLET 2011
La commission d’enquête polonaise estime que les responsabilités de l’accident sont partagées
entre la Pologne et la Russie.
4 FÉVRIER 2016
Le parti conservateur au pouvoir
Droit et justice crée une nouvelle
commission d’enquête.
Alain Paré
Philanthrope
mélomane
Mieux qu’adoucir les mœurs, la musique imprègne l’âme de
ceux qui la révèrent. Voyez Alain Paré, batteur de jazz de
formation : très tôt, il a abandonné ses baguettes pour gagner
sa vie. Doué pour le conseil, il a prospéré à la tête de ses sociétés,
réservant une place privilégiée dans son cœur à la musique.
Jusqu’au jour où il a tout arrêté : « J’ai fait un peu de bénévolat dans le conseil, puis j’ai eu envie de donner autrement… et
de faire donner les autres » retrace Alain Paré, à propos de sa
Fondation Inter Fréquence qu’il a créée en 2012, sous l’égide
de la Fondation de France.
Inter Fréquence agit pour la culture, aidant à l’éclosion de projets
où la musique est au centre. Son but : donner vie aux spectacles,
pour que des talents en herbe puissent apporter un moment de
grâce aux spectateurs venus les découvrir. « Notre ambition
est de soutenir chaque année toujours plus d’artistes émergents,
pour le bonheur d’un maximum de spectateurs » résume Alain
Paré. En 2015, grâce à un budget d’environ 300 000 !,
Inter Fréquence a soutenu par le biais d’associations
culturelles près de 300 artistes, qui ont conquis plus de
50 000 personnes. Inter Fréquence a par exemple coinancé le
Mégaphone Tour, un radio-crochet organisé chaque année
pour dénicher de nouveaux artistes et les faire ensuite
“tourner” en France. A l’international, la fondation a notamment coinancé l’Only French Festival, qui met en scène des
artistes francophones en Afrique et en France.
Très investi dans sa nouvelle vie, Alain a su convaincre
25 donateurs de soutenir sa fondation. « S’engager pour la
culture, c’est comme l’humanitaire : plus tu plonges dans
l’action, plus tu te rends compte du besoin ! » Une nouvelle
partition jouée avec talent par l’ancien jazzman, à l’heure où
l’argent est plus que jamais nécessaire pour organiser des
concerts, nouvelles scènes d’une culture pour tous.
Fondation de France
La Fondation de toutes les causes
www.fondationdefrance.org
4 | international
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
David Cameron pris au piège de la transparence
La publication des déclarations fiscales du premier ministre britannique soulève de nouvelles questions
londres - correspondant
C
hacun de ses « aveux »
partiels suscite de nouvelles questions. David
Cameron n’a pas réussi,
ce week-end, à stopper la déferlante des « Panama papers » qui,
sans le menacer en tant que premier ministre, continue de l’affaiblir comme chef de la campagne
pour le maintien du RoyaumeUni dans l’Union européenne au
référendum du 23 juin, alors que
les partisans du « Brexit » ne cessent de marquer des points.
Même sa décision sans précédent de rendre publique sa
feuille d’impôts, samedi 9 avril,
ne semble avoir ni étanché la soif
de révélation de la presse ni allégé la pression de l’opposition,
qui réclame une intervention de
sa part au Parlement. Il devait y
annoncer, lundi, une loi pour
rendre pénalement responsables les sociétés qui favorisent
l’évasion fiscale.
En quelques jours, Downing
Street est passée du no comment
absolu au grand déballage fiscal.
Le 4 avril, le premier ministre
avait allégué du respect de sa vie
privée pour refuser de répondre
aux premières révélations sur le
rôle de son père dans la gestion
d’un fonds fiduciaire (trust fund)
enregistré au Panama.
Samedi, il a soudain tenu la
promesse qu’il avait faite en 2012 :
rendre public le montant de ses
revenus et de ses impôts. Les Britanniques ont ainsi appris que
M. Cameron avait perçu plus de
200 000 livres (247 000 euros)
en 2015 et payé 76 000 livres
(94 000 euros) d’impôts sur le
revenu.
Entre-temps, le premier ministre avait fini par admettre, jeudi
7 avril, que son épouse Samantha
et lui-même avaient bénéficié entre 1997 et 2010 de Blairmore, le
fonds offshore que son père, Ian,
décédé en 2010, avait géré pendant près de trente ans par l’inter-
médiaire du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca sans
payer le moindre impôt. Il a affirmé avoir cédé en 2010, avant
d’entrer à Downing Street, les
parts qu’il détenait dans Blairmore et réalisé à cette occasion
une plus-value de 19 000 livres
déclarée au fisc, mais exonérée.
Mais cet assaut tardif de transparence n’a pas permis à
M. Cameron de reprendre la
main. Dès dimanche, la presse a
soulevé un nouveau lièvre : le don
de 200 000 livres effectué par sa
mère en 2011 après la mort de son
époux. D’après la loi fiscale, ce
Ce revers survient
après d’autres
polémiques
préjudiciables
à la campagne
contre le « Brexit »
don bénéficierait d’une exonération de 80 000 livres de droits de
succession si Mary Cameron, la
mère du premier ministre, reste
en vie jusqu’en 2018. « La feuille
d’impôts de Cameron esquive le
cadeau de 200 000 livres de sa
mère », s’est indigné le populaire
Mail on Sunday, alors que de tels
arrangements sont communs
dans les familles aisées.
Confettis de l’empire
Outre l’accent mis sur cette disposition fiscale avantageuse, la
presse s’interroge sur la provenance de cet argent : sans doute le
fonds Blairmore, mais aussi un
deuxième fonds que M. Cameron
père gérait dans un autre paradis
fiscal, Jersey. Les médias insistent
aussi sur le fait que l’absence de
transparence sur les revenus antérieurs à 2009 ne permet pas d’évaluer le bénéfice que le premier ministre a pu tirer des fonds offshore.
Classé à la gauche du Labour,
son chef, Jeremy Corbyn, s’est
DeBonneville - Orlandini
“OUI JE SAIS,
JE SUIS
SUR BFMTV”
bien gardé, dimanche, de crier
« Cameron démission ! » comme
quelques centaines de manifestants l’avaient fait la veille devant
Downing Street. Se défendant de
reprocher une quelconque faute
au premier ministre, M. Corbyn a
exigé de lui une déclaration formelle devant le Parlement, car « il
doit encore répondre à de grandes
questions ». M. Cameron « a
trompé l’opinion » et il a « perdu la
confiance des Britanniques », a déclaré le chef de l’opposition, qui
« veut voir » les feuilles d’impôts
antérieures à 2009.
M. Corbyn, qui a promis de publier lui aussi le montant de ses revenus et de ses impôts, réclame
« la transparence » non seulement
sur les actionnaires des sociétés et
des fonds de placement, mais
aussi sur les acteurs du système
politique, journalistes compris. A
la BBC, il s’est aussi interrogé sur
la façon dont Londres encourageait ses territoires d’outre-mer,
confettis de son empire, à prospérer comme des paradis fiscaux.
Contagieuse, la revendication
de la « transparence » vise désormais l’ensemble du gouvernement, au premier chef le ministre
des finances, George Osborne, numéro deux du gouvernement. La
pression sur les deux têtes de
l’exécutif, qui sont aussi les deux
principaux propagandistes du
oui à l’Europe au référendum,
pourrait affaiblir leur camp. « Ça
n’a pas été une grande semaine », a
reconnu M. Cameron samedi,
ajoutant qu’il aurait « dû mieux
gérer cette histoire » et qu’il avait
« appris la leçon ».
Selon Jeremy
Corbyn, le chef
du Labour,
David Cameron
« a trompé
l’opinion »
Ce revers cinglant survient
après d’autres polémiques potentiellement préjudiciables à la
campagne contre le « Brexit » : la
démission fracassante, à la mimars, de Iain Duncan Smith,
ministre du travail eurosceptique,
et les accusations selon lesquelles
M. Cameron, pour se ménager les
faveurs de Pékin, aurait sacrifié
15 000 emplois dans la sidérurgie
en refusant les droits de douanes
souhaitées par l’Union européenne contre l’acier chinois.
Seule
consolation
pour
M. Cameron, les eurosceptiques
conservateurs n’utilisent pas
dans la bataille du référendum,
pour le moment, les « Panama papers », qui épinglent également
l’un des principaux financiers du
Parti pour l’indépendance du
Royaume-Uni (UKIP). Peut-être
estiment-ils aussi que le scandale
sape de lui-même l’autorité du
premier ministre sans qu’ils aient
besoin d’en rajouter. Selon un
sondage publié vendredi, un an
après sa reconduction, la cote de
satisfaction de David Cameron
(58 % d’opinions défavorables,
34 % favorables) est au plus bas
depuis 2013. p
philippe bernard
Ukraine : M. Iatseniouk
se résout à la démission
Un proche du président Petro Porochenko
devrait devenir premier ministre
A
près des semaines de résistance acharnée, Arseni
Iatseniouk a fini par céder. Dimanche 10 avril, dans une
déclaration solennelle à la télévision, le premier ministre ukrainien a annoncé sa démission à la
nation, au nom de la « stabilité »
nécessaire à la tête du pays.
M. Iatseniouk, qui était arrivé au
pouvoir en février 2014 dans la
foulée de la révolution de Maïdan,
n’a toutefois pas caché son amertume, évoquant une crise politique « créée artificiellement ».
Le départ du premier ministre
était en fait devenu inévitable et
devrait permettre d’esquisser une
sortie de la crise politique dans laquelle les dirigeants ukrainiens
sont empêtrés depuis près de
deux mois. Proche du néant dans
les sondages d’opinion, accusé de
chapeauter un système de corruption généralisée et de bloquer
l’adoption de réformes structurelles, M. Iatseniouk semblait même
avoir été lâché par les capitales occidentales, dont il fut longtemps
le favori.
Transition bien balisée
Le 16 février, il n’avait échappé
que de très peu à un vote de défiance du Parlement. Immédiatement après, deux partis minoritaires avaient quitté la coalition,
ouvrant la voie à de périlleuses
élections anticipées.
Même si la politique ukrainienne n’est jamais avare de surprises, la validation par le Parlement de la démission, prévue
mardi, devrait être une formalité.
La transition semble avoir été bien
balisée. Dans son discours, Arseni
Iatseniouk a même livré le nom de
son successeur : Volodymyr
Hroïsman, président du Parlement et fidèle du président Petro
Porochenko. Dans un entretien
diffusé dimanche mais qui avait
été
enregistré
auparavant,
M. Porochenko a lui aussi évoqué
une candidature de M. Hroïsman.
Ce renouvellement au sommet
– qui devrait s’accompagner d’un
remaniement, avec notamment le
départ de la ministre des finances,
Natalia Jaresko – devrait donner un
nouveau souffle à M. Porochenko,
lui aussi sévèrement critiqué pour
son manque de combativité face à
la corruption et son implication
dans les révélations des « Panama
papers ». Il risque aussi, dans le
même temps, de priver le président d’un paravent confortable.
Reste aussi à connaître l’amplitude de la nouvelle coalition et sa
capacité à aller à l’encontre des intérêts oligarchiques. A Kiev, les
observateurs n’excluent pas une
alliance limitée aux partis de
MM. Porochenko et Iatseniouk, à
laquelle quelques ralliements
donneraient une majorité.
Qu’a obtenu Arseni Iatseniouk
en échange de sa coopération ? Ces
dernières semaines, les médias
ukrainiens ont assuré qu’il convoitait la direction de la Banque centrale ou celle de la Cour suprême,
des postes stratégiques. Le futur
ex-premier ministre, dont le bilan
est loin d’être négatif – il peut notamment se targuer d’avoir restructuré l’armée, réduit la dépendance énergétique vis-à-vis de la
Russie ou assaini les finances publiques – ne devrait en tout cas pas
disparaître du paysage politique.
Dimanche, il a indiqué voir sa mission future comme « plus large que
celle de chef du gouvernement ». p
benoît vitkine
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6 | international
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Au Pérou, Keiko
Fujimori gagne le
premier tour de
la présidentielle
La fille de l’ex-président affrontera
le candidat de la droite libérale
lima - envoyé spécial
L
e premier tour de l’élection présidentielle au Pérou, dimanche 10 avril, a
été remporté largement
par la populiste Keiko Fujimori,
40 ans, avec 39 % des voix. Sa formation, Force populaire, frôle la
majorité parlementaire, avec une
soixantaine d’élus (sur 130), selon
des estimations. Lors du second
tour du scrutin, le 5 juin, elle affrontera Pedro Pablo Kuczynski,
77 ans, dit « PPK » (centre droit),
qui a obtenu 21 % des suffrages.
Keiko Fujimori vit son « moment Marine Le Pen », estime Mirko Lauer, 69 ans, chroniqueur au
quotidien de gauche La Republica.
Comment prendre ses distances
avec le père, l’autocrate Alberto
Fujimori, 77 ans, président du Pérou entre 1990 et 2000, sans pour
autant renoncer à son héritage, à
son capital symbolique ?
Une semaine avant le premier
tour, lors du seul débat télévisé
entre les candidats à la présidence, Mme Fujimori a surpris avec
une déclaration solennelle : « Plus
jamais un 5 avril », date du coup de
force par lequel son père a dissous
le Congrès et s’est arrogé les pleins
pouvoirs, en 1992. Elle a signé une
profession de foi où elle s’engageait à respecter les libertés et
l’Etat de droit, répondant ainsi
aux principales objections contre
sa candidature. Alberto Fujimori
purge une peine de vingt-cinq ans
de prison pour violations des
droits de l’homme et corruption.
« Je n’en crois pas un mot », s’est
empressé de déclarer l’ancien président Alejandro Toledo (20012006), qui briguait un nouveau
mandat, sans succès. « Comme
elle entretient une relation dynastique avec son père, beaucoup ont
mis du temps à comprendre que
Keiko avait sa propre force, explique M. Lauer. Elle se doit de maintenir un équilibre entre la tradition
politique représentée par Fujimori
et son effort de renouvellement et
de modération. »
Une société fracturée
La filiation et le respect de la famille, si importants dans la tradition japonaise dans laquelle elle a
été élevée, suscitent des interrogations. A 19 ans, elle avait remplacé
sa mère comme première dame
d’un régime autoritaire. Aussi
bien les vieux opposants qu’une
partie de la jeunesse universitaire
pensent qu’Alberto Fujimori continue à tirer les ficelles du fond de
sa prison dorée, où il reçoit trois
cents visiteurs par mois.
Le 5 avril, cinq jours avant le
scrutin de dimanche, ils étaient
des dizaines de milliers à manifester à Lima et en province, avec
le mot d’ordre « Keiko ne passera
pas ». Gabriel Zapata, 31 ans, diplômé en philosophie, était l’un
des organisateurs de la manifestation de Lima. « Keiko et son entourage représentent la continuité de
l’autoritarisme et de la corruption,
affirme-t-il. Cela dit, le fujimorisme est une véritable mystique, à
contre-courant de la crise de la re-
Keiko Fujimori devant
ses partisans à Lima,
dimanche 10 avril au soir.
LUKA GONZALES/AFP
présentation politique qui frappe
les partis traditionnels. »
Lors de son dernier meeting
avant le premier tour la candidate
a déclaré : « J’ai la fierté de savoir
que Force populaire est devenu le
parti le mieux organisé, un parti
qui va perdurer au-delà d’un patronyme. » Adriana Urrutia, 28 ans,
politologue formée à Sciences Po
Paris, confirme : « Keiko a sillonné
inlassablement le pays pendant
cinq ans, à l’écoute de tous les secteurs sociaux. Elle a jeté les bases
d’un parti centralisé, entouré d’organisations satellites pour mieux
encadrer ses sympathisants, notamment parmi la jeunesse. »
La mutation du fujimorisme en
parti a compté sur les conseils
avisés d’un homme d’affaires à
succès, José Chlimper Ackerman,
60 ans, candidat à la vice-présidence de la République. « Pepe
Chlimper est le maître à penser de
Keiko, assure M. Lauer. Il l’a poussée à se moderniser et à tourner la
page Fujimori. » Adriana Urrutia
renchérit : « Chlimper l’a amenée
à se séparer des élus fujimoristes
Keiko Fujimori
vit son « moment
Marine Le Pen »,
estime
Mirko Lauer,
du quotidien
« La Republica »
qui donnaient le la au Congrès et à
les remplacer par des candidats
plus jeunes, à l’image de Keiko
elle-même. »
L’évolution de Keiko Fujimori a
été favorisée par un politologue de
l’université d’Harvard (Etats-Unis),
Steve Levitsky, 45 ans, qui l’a invitée à s’expliquer sur le prestigieux
campus. C’est là-bas qu’elle a esquissé son tournant. Ce spécialiste
de l’Amérique latine estimait que
le fujimorisme pouvait devenir un
parti de droite moderne, démocratique, capable de remporter des
élections qui se jouent au centre
du spectre politique.
Le Pérou est une société fracturée par des clivages sociaux, raciaux et territoriaux. « Le vote des
Péruviens reste très marqué par les
perceptions raciales, souligne
Mme Urrutia. On choisit le candidat
métis, plutôt que le Blanc de la
haute société de Lima. Or, Keiko,
comme son père, avec leurs traits
asiatiques, surmonte ce clivage,
tout comme la polarisation entre
droite et gauche, ou encore la différence entre la côte, les Andes et
l’Amazonie. Elle parvient à s’adresser au peuple dans sa diversité. »
Sur le podium de ses meetings,
lors de ses rencontres avec ses partisans, Keiko Fujimori danse sur
les rythmes des diverses musiques régionales, transpire, revêt
les parures colorées des Indiens et
les vêtements traditionnels du riche folklore péruvien. Aux EtatsUnis, elle a fait ses études supérieures à Boston, trouvé un mari et
observé la vie politique américaine. Elle a appris qu’elle devait
non seulement tenir un discours,
mais incarner un rêve. « S’il lui faut
faire des concessions pour convain-
cre les dubitatifs et les méfiants à
l’égard de sa métamorphose, elle
les fera », note la jeune politologue.
A l’échelle locale, Force populaire
fonctionne comme une franchise.
Et c’est là que le bât blesse. « Force
populaire est le parti qui comptait
le plus de candidats au Congrès
financés par les narcos, quand ils ne
sont pas eux-mêmes des trafiquants », dénonce Jaime Antezana,
50 ans, chercheur indépendant,
spécialiste du trafic de stupéfiants.
Au Pérou, comme en Colombie,
on peut parler de « narco-politique ». Le clan italien, le clan juif, le
clan de la région de Chimbote, les
deux clans liés à des universités
privées, investissent dans les élections pour protéger leurs affaires.
Premier producteur de cocaïne au
monde, le Pérou exporte sa drogue vers l’Europe via le Brésil. « Si
Keiko est élue, le Pérou redeviendra
un narco-Etat, comme du temps de
son père », avertit M. Antezana. La
lutte contre la drogue et les trafiquants est totalement absente du
débat électoral. p
paulo a. paranagua
L’initiative diplomatique française sur le Proche-Orient à la peine
A la veille d’une tournée européenne de M. Abbas, l’Autorité palestinienne lance un nouveau projet de résolution destiné au Conseil de sécurité
jérusalem - correspondant
A
peine
lancée,
déjà
contrariée. La nouvelle
initiative française dans
le conflit israélo-palestinien, qui
vise à réunir un large groupe de
soutien international afin de relancer les négociations, paraît mal
engagée. Selon plusieurs sources
diplomatiques, le calendrier prévu
à l’origine – une réunion ministérielle courant avril, puis une conférence d’ici à l’été – est compromis. La première ne se tiendrait
que fin mai-début juin, avant le ramadan. La rencontre au niveau
des chefs d’Etat et de gouvernement, elle, aurait lieu à l’automne.
Washington a fait savoir que les
semaines précédant l’élection
américaine du 8 novembre seraient très défavorables. En revanche, la période entre le scrutin et
l’entrée en fonction du nouveau
président, fin janvier 2017, pourrait permettre à Barack Obama de
s’engager. Le flou sur la stratégie
américaine est une source d’inquiétude pour les Israéliens.
L’initiative française est portée
par le diplomate Pierre Vimont,
qui a déjà effectué un large tour
des acteurs concernés. Le groupe
de contact est censé réunir les
membres du Quartet (ONU, Russie, Etats-Unis, UE), les principaux
pays européens et ceux de la Ligue
arabe, soit une quinzaine d’Etats.
L’une des raisons invoquées, côté
français, pour justifier le glissement de calendrier est le rapport
venant
de choc
que le Quartet doit publier dans
les prochaines semaines. Il devrait tracer des pistes pour une reprise des négociations et pourrait
donc nourrir l’initiative française.
Pour l’heure, M. Vimont a surtout adopté une position d’écoute,
sans trop s’avancer sur l’ordre du
jour des deux conférences. Du
côté israélien, on ne jure que par
les négociations bilatérales. Mais
on fait preuve d’une habile retenue dans la critique contre Paris.
D’autant que Jean-Marc Ayrault, le
ministre français des affaires
étrangères, a précisé qu’il n’y
aurait pas d’automaticité dans la
reconnaissance de la Palestine par
Paris, en cas d’échec. C’était, pourtant, ce que semblait indiquer son
prédécesseur, Laurent Fabius. « Si
on avait maintenu ce lien, dit un
diplomate français, on aurait
perdu le soutien de certains pays
européens comme l’Allemagne. »
« Confiance à la France »
Dans ce contexte, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a commencé une
tournée internationale. Il sera à
Paris vendredi 15 avril pour s’entretenir avec François Hollande,
puis à Moscou le 18, à Berlin le 19,
avant de s’envoler vers New York.
Conseiller diplomatique de M.
Abbas, Majdi Al-Khaldi assure au
Monde que l’Autorité « fait confiance à la France et à son sérieux »,
tout en espérant des progrès réels.
Il souhaite que le futur groupe de
soutien international rappelle par
écrit « les paramètres déjà connus
à toute résolution du conflit ».
Sans attendre les résultats de la
démarche française, l’Autorité palestinienne a lancé un nouveau
projet de résolution destiné au
Conseil de sécurité des Nations
unies, dont l’objet est de condamner la colonisation israélienne en
Cisjordanie. Il fait l’objet de
concertations avec les pays de la
Ligue arabe. Ceux-ci doivent décider rapidement de la meilleure
date pour le soumettre au vote, selon M. Khaldi. Le texte appelle au
gel de toutes les constructions israéliennes et au démantèlement
des avant-postes, qui sont illégaux, y compris aux yeux de l’Etat
hébreu. Il fait aussi référence au
communiqué du Quartet, daté du
nicolas demorand
le 18/20
mond
15 un jour dans le monde
18:15
19:20 le téléphone sonne
21 septembre 2010, qui évoquait
une durée d’un an pour conduire
toutes les négociations de paix.
Cette résolution serait la voie
unique ouverte devant M. Abbas,
si l’initiative française échouait. Le
président palestinien n’aurait rien
d’autre à présenter à son opinion
publique, qui s’est détournée de
lui. M. Abbas guette aussi l’issue
prochaine des discussions avec les
services de sécurité israéliens, au
sujet des incursions militaires en
zone A, placée en principe sous le
plein contrôle de l’Autorité. En
l’absence de geste de bonne volonté de Benyamin Nétanyahou,
le président palestinien se trouvera conforté dans sa logique d’internationalisation du conflit. p
piotr smolar
avec les chroniques
d’Arnaud Leparmentier
et d’Alain Frachon
dans un jour dans le monde
de 18 :15 à 19 :00
|7
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Miami, l’autre reine de l’offshore
En plein boom immobilier, la ville de Floride est l’un des centres mondiaux de l’argent sale
E
lle recevait chez elle, dans
son deux-pièces de Brickwell Avenue, face à la
mer, avec le même sourire avenant que celui étalé sur sa
carte de visite online. Représentante du cabinet panaméen Mossack Fonseca à Miami, Olga Santini a du goût – son immeuble, le
Palace Condominium, avait été le
cadre d’un des épisodes de la série
« Deux flics à Miami » – et un sens
certain des affaires.
D’après un mail de janvier 2013
que Le Monde a pu consulter dans
les 11,5 millions de documents de
ce cabinet de montages offshore,
Olga Santini a aidé à constituer
plus de 200 sociétés entre août et
décembre 2012 dans trois paradis
fiscaux, les îles Vierges britanniques, les Samoa et les Seychelles.
Une activité soutenue et juteuse,
destinée à fournir des sociétésécrans aux investisseurs étrangers désireux de placer discrètement leur argent dans le marché
immobilier en plein boom de
Miami.
En cinq mois, les revenus d’Olga
Santini se sont élevés à 81 683 dollars, correspondant aux 30 % de
commissions versées par Mossack Fonseca à ses intermédiaires
pour la création de ce type de sociétés, facturées aux clients entre
750 dollars et 1 400 dollars l’unité.
Olga Santini a viré la quasi-inté-
gralité du montant à la Bank of
America, dans l’agence Coral Gables, située à quinze minutes de
chez elle. Interrogée par le Miami
Herald, partenaire des « Panama
papers », la dame assure n’avoir
rien fait d’illégal. « Indépendante,
je travaille pour de nombreuses
autres sociétés… Je ne représente
pas le siège du cabinet Mossack
Fonseca et ne suis pas une employée de cette organisation ».
Près de 150 000
occurrences font
référence au nom
de la ville
dans la base
des documents
confidentiels des
« Panama papers »
Une goutte d’eau
Bien qu’elle prenne ses distances
avec Mossack Fonseca, Olga Santini a utilisé l’adresse mail du cabinet panaméen avec ses clients.
En 2009, elle est intervenue dans
une conférence « antiblanchiment d’argent » à Miami en tant
que « représentante de Mossack
Fonseca ». Cinq ans plus tard, un
signet sur le site du cabinet la présente comme « Mme Santini du bureau de Mossack Fonseca à
Miami ». Et sa page LinkedIn,
aujourd’hui inaccessible, indiquait qu’elle était « MF Consult »
depuis 2004.
Le cabinet panaméen détient en
effet plus d’une quarantaine de
bureaux dans le monde. Miami
apparaît comme l’une de ses importantes zones d’activités, et le
nom de la ville renvoie à près de
150 000 occurrences dans les « Panama papers », celui d’Olga San-
tini à 27 000. Une goutte d’eau
rapportée à la masse des fichiers,
mais qui en dit long sur l’emprise
de ces montages financiers offshore sur Miami.
La ville partage une longue histoire avec les circuits obscurs du
blanchiment. Avec sa fièvre immobilière, elle est devenue un des
centres mondiaux de l’argent
sale. Etre propriétaire d’une société offshore y est légal, tant que
l’on paie ses impôts et déclare ses
actifs aux autorités – une règle
aisément contournée grâce au
secret bancaire des paradis fiscaux. Contrairement aux banques, qui doivent se renseigner
sur le détenteur des fonds, les intermédiaires et cabinets d’avocats
tels que Mossack Fonseca ne sont
pas soumis à suivre cette norme
stricte du « know-your-customer ». Une souplesse qui explique
en grande partie pourquoi 53 %
des ventes de biens immobiliers à
Miami, en 2015, ont été faites
« cash », c’est-à-dire payées en une
fois, sans crédit, généralement
par virement. C’est le double de la
moyenne nationale observée sur
le territoire des Etats-Unis. Ce
chiffre atteint même 90 % sur le
marché de l’immobilier récent.
« Les gens qui veulent laver leur
argent sale essaieront toujours de
pénétrer le système par ses
maillons les plus faibles, explique
Joe Kilmer, ancien agent chargé
de la lutte anti-drogue, au Miami
Herald. Il y a tellement d’immobilier vendu et acheté dans le sud de
la Floride qu’il est facile de s’y cacher en pleine lumière. »
Manque évident de vérifications
A regarder de près, la correspondance interne de Mossack Fonseca et d’Olga Santini révèle un
manque évident de vérifications
des ayants droit des sociétés. Le
cabinet panaméen a ainsi ouvert
une société-écran pour Marco
Lustgarten, homme d’affaires
vénézuélano-autrichien, basé à
Miami et accusé d’avoir organisé
un vaste trafic de blanchiment
d’argent de la drogue. Il en a créé
au moins treize pour Mauricio
Cohen Assor, 82 ans, et Leon Cohen-Levy, 51 ans, père et fils originaires de Miami, bâtisseurs d’hô-
« Je suis un homme de lois, je ne viole pas la loi »
ancien président de la Cour suprême du
Brésil, Joaquim Barbosa a été le magistrat
qui a porté l’accusation dans le « Mensalao », l’affaire de corruption et de pots-devin au Congrès qui a failli coûter la place au
président Luis Inacio Lula da Silva. Il figure
aujourd’hui dans les « Panama papers »
pour avoir créé une société offshore dans
l’achat d’un appartement de 335 000 dollars, à Miami, en 2012.
Pourquoi votre nom s’est-il retrouvé
dans une telle affaire ?
Il ne faut pas confondre « planning fiscal »
avec « évasion ou fraude fiscale ». J’avais des
ressources issues du fruit de mon travail et
de mes investissements. J’ai trouvé que
c’était une bonne idée de faire un placement
à l’étranger et il y avait de bonnes offres
d’achat d’appartements à Miami début 2012.
Je suis allé en toute transparence dans ma
banque au Brésil et ai autorisé le virement
vers le compte de l’entreprise de Floride
chargée de l’opération, une « title company »
qui est le type de d’entreprise qui joue aux
Etats-Unis un rôle similaire à celui de notaire. C’est à elle ou à un avocat que l’acheteur paye le prix de la transaction. Qu’est-ce
qu’il y a d’illégal dans tout cela ? La valeur de
l’appartement a été déclarée depuis 2012
aux impôts brésiliens comme l’exige la loi.
Le fisc de mon pays est au courant de tout.
Mais pourquoi avoir créé une société
offshore ?
Aux Etats-Unis, la fiscalité est plus légère
pour les entreprises. C’est pour cela que le
pays attire autant d’investisseurs du
monde entier. C’est pour cela aussi que les
personnes les plus avisées sont conseillées
pour créer une société afin d’acheter des
biens localement. J’ai tout fait en transparence, comme le prouve le nom de ma société : Assas JB Corp, Assas pour le nom de
ma fac à Paris, JB pour mes initiales et mon
surnom dans le monde juridique. Je suis un
homme de loi, je ne viole pas la loi. A l’instar de milliers de mes concitoyens, je n’y ai
vu qu’un bon investissement. C’est tout.
Avez-vous un quelconque regret, votre
société est tout de même domiciliée
dans les îles Vierges britanniques, connues pour leur opacité ?
Pas du tout ! Pour moi, si c’est licite, c’est
bon. D’ailleurs, je ne savais même pas où la
société avait son siège juridique, c’est vous
qui me l’apprenez. J’ai fait entièrement
confiance à mon avocate. p
propos recueillis par n. bo.
tels de luxe condamnés à dix ans
de prison en 2011 pour avoir caché
150 millions de dollars au fisc.
Olga Santini a aussi travaillé
avec une importante proportion
de clients Brésiliens, confirmant
l’adage « Au premier million de
dollars, tu files à Miami. » La filiale
brésilienne de Mossack Fonseca a
d’ailleurs été citée, début mars,
dans le cadre du scandale de corruption du géant Petrobras, cette
entreprise pétrolière publique,
qui déstabilise jusqu’à la présidente du pays, Dilma Rousseff.
Dans les documents d’Olga Santini figure Marcos Pereira Lombardi, patron de presse et propriétaire d’une chaîne de stations essence, accusé d’entente illicite sur
les prix à la pompe. Il a acheté
deux condominiums pour
2,7 millions de dollars dans la
Trump Tower de Sunny Isles
Beach. Miguel Jurno Neto y est
aussi surnommé le « doleiro », il a
été accusé d’avoir financé un système de pots-de-vin destinés aux
élus du Congrès. Il a revendu son
appartement de Miami en 2012,
deux ans après l’avoir acheté.
On trouve aussi Paulo Octavio
Alves Pereira, propriétaire de 13 %
du parc hôtelier de Brasilia et marié à la nièce de l’ancien président
brésilien Juscelino Kubitschek. Il a
dû quitter son poste de gouverneur de la capitale après avoir été
accusé de détournement de
fonds. Un an plus tard, en 2011, il
achetait pour 2,95 millions de dollars un appartement au nord de
Miami Beach.
En 2015, les étrangers ont acheté
à Miami et à Palm Beach, pour
6,1 milliards de dollars (5,35 milliards d’euros) de biens immobiliers, soit plus d’un tiers des ventes. Les agents, avocats et « indépendants » spécialisés dans le
montage offshore, telle Olga Santini, se comptent par centaines
dans la ville. Ironie du calendrier,
le fisc américain a décidé en mars,
soit quelques jours à peine avant
les révélations des « Panama papers », d’accroître sa surveillance
sur les transactions les plus vulnérables aux manipulations : les
sociétés-écrans achetant des appartements de plus de 1 million
de dollars en liquide. C’était un début. p
nicolas bourcier
Les affaires sans complexe de Richard Attias
Ce qu’il faut
savoir
Coordonnées par
le Consortium international
des journalistes d’investigation (ICIJ), la rédaction
du Monde et 108 autres
dans 76 pays ont eu accès
à une masse d’informations
inédites qui mettent en
lumière le monde opaque
de la finance offshore et
des paradis fiscaux.
Les 11,5 millions de fichiers
proviennent des archives du
cabinet panaméen Mossack
Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015.
Il s’agit de la plus grosse fuite
d’informations jamais exploitée par des médias.
Les « Panama papers »
révèlent que, outre des milliers d’anonymes, de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms
du sport, des célébrités ou des
personnalités sous le coup de
sanctions internationales ont
recouru à des montages
offshore pour dissimuler
leurs actifs.
EN QU ÊT E
Perquisition
à la Société générale
Une discrète perquisition
a eu lieu mardi 5 avril à la
Société générale, l’une des
banques épinglées dans
le scandale des « Panama
papers » pour avoir ouvert
quelque 979 sociétés offshore, par l’intermédiaire du
cabinet d’avocats panaméen
Mossack Fonseca.
Le siège du groupe à La Défense (Hauts-de-Seine) a été
perquisitionné par les enquêteurs de l’Office central de
lutte contre les infractions financières et fiscales, comme
l’a indiqué Le Journal du dimanche, dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte le
4 avril par le parquet national
financier pour « blanchiment
de fraudes fiscales aggravées ».
Le businessman et son épouse, Cécilia, ont des sociétés dans plusieurs paradis fiscaux, « en toute légalité », dit-il
Son groupe compte des filiales
en France, aux Etats-Unis, au Maroc ou aux Emirats arabes unis. Et
donc bientôt peut-être dans les Caraïbes. Richard Attias est de ces
hommes d’affaires qui reconnaissent recourir à des sociétés aux îles
Vierges britanniques et au Delaware, cet Etat américain au régime fiscal opaque auquel l’administration Obama veut mettre fin.
S’il a choisi l’offshore c’est, dit
M. Attias, pour des raisons prati-
« Il ne faut
pas diaboliser
ces Européens
tentés d’aller
au Panama.
La fiscalité
est étouffante »
RICHARD ATTIAS
ques et pour développer ses activités « en toute légalité ».
L’une de ses anciennes sociétés,
The Experience by Richard Attias
Ltd, a été enregistrée aux îles Vierges britanniques le 20 janvier 2010
par la firme panaméenne Mossack
Fonseca, à la demande d’un cabinet de consultants de Dubaï. Selon
les « Panama papers », Richard Attias est l’un des cinq actionnaires
de cette société. Son épouse, Cécilia Attias, a été associée dans la holding du groupe, dont 30 % des
parts ont été acquises en 2014 par
le géant de la communication et de
la publicité WPP. Le reste de l’actionnariat est composé de holdings domiciliées au RoyaumeUni, en Arabie saoudite, aux îles
Caïmans et aux îles Vierges britanniques. Un « patchwork » à l’image
de la planète Attias, un monde global et désinhibé.
The Experience by Richard Attias
Ltd. a été mise en liquidation en
novembre 2014. « N’ayant pas eu
d’activités dans cette région avec
cette société, elle a été dissoute.
Aussi simple que cela », explique
Richard Attias en réponse aux
questions du Monde. Des activités
aux Caraïbes qui semblent avoir
simplement tardé à se matérialiser. « Je vais annoncer prochainement un très grand forum que l’Etat
des Bahamas m’a demandé d’organiser », affirme l’homme d’affaires
en soulignant la qualité des infrastructures locales.
Position tranchée
Il est également question d’un
autre forum, au Panama. « J’ai rencontré [Juan Carlos Varela], le président du Panama, il y a deux mois. Il
m’a tellement séduit que je vais organiser un forum au Panama
en 2017. C’est un type formidable,
très business-business ! Il faut se
pencher sur ce pays. »
L’apôtre francophone du « nation branding », le marketing d’un
pays, assume sa position, tran-
chée, sur les questions fiscales.
« Pourquoi tous ces Européens, et il
y a des cadors parmi eux, sont-ils
tentés d’aller [mettre leur argent]
au Panama ? Il ne faut pas les diaboliser. La fiscalité est étouffante.
Ils ne peuvent plus entreprendre,
ils ne peuvent plus investir. Je suis
marocain, je ne paie pas d’impôts,
c’est un privilège et c’est très bien
comme ça ! – Vous n’en payez pas
au Maroc ? – Non, parce que je suis
résident à Dubaï. »
L’homme d’affaires affirme que
ses sociétés payent leurs impôts
dans chacun des pays où il a une
activité. Il a créé, en 2009, une
nouvelle société, dormante pour
l’instant, pour investir dans la
nouvelle économie. Newco, c’est
son nom, est établie dans l’Etat
américain du Delaware. « C’est là
où les procédures administratives
sont les plus simples, et les sociétés
se créent en vingt-quatre heures »,
précise-t-il. p
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!
N
e soyez pas surpris si dans
le futur nous créons une filiale en Amérique latine. »
Richard Attias préfère prévenir.
L’homme d’affaires franco-marocain, spécialisé dans la communication d’influence, a l’offshore
heureux. Et même l’offshore en
couple, avec son épouse, Cécilia,
ex-Sarkozy.
Citoyen marocain, il dirige à
New York Richard Attias & Associates, un groupe dont le siège est
à Dubaï. M. Attias s’est fait une
spécialité d’organiser des forums
où s’entremêlent conférences et
réseautage, business et politique,
et cela dans des pays émergents,
souvent africains : Gabon, Congo-Brazzaville, Rwanda, Egypte.
Son New York Forum Africa se déroule chaque année depuis 2012 à
Libreville, au Gabon, sous le patronage du président Ali Bongo. Il
y essuie régulièrement les critiques de l’opposition ou de la
société civile.
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8 | planète
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Négociations climat : Tubiana revient dans le jeu
Paris soutient finalement l’architecte de la COP21 pour présider l’instance des Nations unies sur le climat
L
e dossier semblait clos. En
dépit de la crédibilité acquise par la France lors de
la conférence sur le climat, la COP21, Paris ne présenterait pas de candidature à la tête de
la Convention-cadre des Nations
unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’instance où
sont rendus les grands arbitrages
dans la lutte contre le réchauffement. Lâchée par François
Hollande et sa ministre de l’environnement, Ségolène Royal, l’ambassadrice chargée du climat,
Laurence Tubiana, avait renoncé à
ajouter son nom sur la liste des
successeurs potentiels à la Costaricaine Christiana Figueres – qui
quittera ses fonctions le 6 juillet –,
transmise début avril au
secrétariat général de l’ONU.
C’était sans compter l’art du revirement dans lequel excelle l’exécutif. La négociatrice Laurence Tubiana pourra finalement défendre
ses chances à la CCNUCC. C’est
donc dans une ambiance particulière que s’ouvre une semaine
chargée pour la présidence française de la COP21, avec plusieurs
réunions de travail dès lundi
11 avril au matin, une rencontre,
mercredi 13, entre Ségolène Royal
et Xie Zhenhua, le négociateur en
chef de la Chine, puis une série de
rendez-vous de la ministre de l’environnement à Washington, du 14
au 16 avril, dans le cadre de l’assemblée de printemps de la
Banque mondiale.
Pendant ce temps-là, la négociatrice en chef coprésidera à Paris,
avec le Maroc (pays hôte de la pro-
e
19
édition
chaine COP, en novembre), une
session informelle des chefs de
délégation d’une cinquantaine de
pays pour réfléchir à la mise en
œuvre de l’accord de Paris. Car le
binôme Royal-Tubiana ne fonctionne bien que lorsqu’il est
séparé ! Laurence Tubiana ne participe plus aux comités de pilotage, ces bilans mensuels exigés
par Laurent Fabius pendant la
préparation de la COP21 en 2015 et
réunissant une cinquantaine de
personnes (conseillers ministériels, scientifiques, personnalités
de la société civile), depuis que la
ministre de l’environnement en
assure le pilotage.
Tour de passe-passe
Ségolène Royal cache mal son inimitié pour la chef négociatrice,
même si elle feint de voler à son secours. « C’est vrai qu’elle [Tubiana]
est très très déçue, a réagi la ministre de l’environnement lors d’une
conférence de presse, le 6 avril. Je
lui ai donné mon accord pour regarder si on pouvait rouvrir le délai
de candidature. » « Si c’est le cas, je
la soutiendrai sans problème », a-telle ajouté, elle qui expliquait,
quelques jours plus tôt, que la négociatrice avait mieux à faire que
briguer ce poste à la CCNUCC, par
ailleurs réservé à un candidat qui
aurait les faveurs du secrétaire général, Ban Ki-moon.
Par quel tour de passe-passe
Ségolène Royal, hostile à cette
candidature début avril, s’est dite
prête à la soutenir une semaine
plus tard ? Entre ces deux dates, le
téléphone de François Hollande
Laurence Tubiana, le dernier jour
de la COP21, le 12 décembre 2015,
au Bourget (Seine-Saint-Denis).
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS
POUR « LE MONDE »
Ségolène Royal
cache mal
son inimitié
pour la chef
négociatrice
0123
PRIX
DE LA RECHERCHE
UNIVERSITAIRE
Le prix Le Monde de la recherche universitaire
récompense des travaux de thèse remarquables
pour leur impact sur notre environnement
scientifique, économique et social
Le concours est présidé par Edgar Morin, sociologue
et philosophe, pour les sciences humaines et sociales,
et par Cédric Villani, mathématicien, pour les
sciences dites « dures ».
En sciences humaines et sociales, trois docteurs seront
primés et leurs travaux seront publiés aux Presses
universitaires de France (PUF). Dans la catégorie des
sciences « dures », cinq docteurs seront primés et leurs
travaux seront publiés dans un ouvrage collectif aux
éditions Le Pommier et dans le magazine Pour la
Science.
Le Monde éditera également un cahier spécial à
l’occasion de la cérémonie de remise des prix.
La Ligue de l’enseignement, en partenariat avec
Le Monde, remettra un prix à l’auteur d’une thèse
faisant appel à ses valeurs fondatrices : l’éducation, la
laïcité et la citoyenneté.
LE PRIX LE MONDE DE
LA RECHERCHE UNIVERSITAIRE
est ouvert aux docteurs francophones
de toutes disciplines ayant soutenu
leur thèse entre le 31 octobre 2014
et le 31 décembre 2015.
PLUS D’INFOS ET INSCRIPTIONS
www.lemonde.fr/prix-recherche/
Mail : [email protected]
Les inscriptions seront enregistrées
jusqu’au mardi 31 mai 2016 inclus.
a sonné à plusieurs reprises. Ancien envoyé spécial du président
de la République pour la protection de la planète, Nicolas Hulot
est l’un des premiers à lui avoir signalé qu’il serait dommage que la
France se passe de la candidature
et de l’expertise de Laurence Tubiana, alors que tout restait à faire
pour traduire dans les faits les
engagements de Paris.
Laurent Fabius serait intervenu
lui aussi pour sauver le soldat
Tubiana. « Fabius et Tubiana sont
largement associés au succès de la
COP21, rappelle le climatologue
Jean Jouzel, soucieux de la continuité du processus enclenché en
décembre 2015, à Paris. Le poste le
plus important dans les cinq prochaines années, c’est celui de
Christiana Figueres, et Laurence
Tubiana s’y prépare depuis longtemps. » A l’Elysée, on a pris peu à
peu conscience que la chef négociatrice était sur le point de claquer
la porte de l’organisation française
de la COP21. « Elle n’acceptera de
jouer le jeu que si elle obtient gain
de cause pour la CCNUCC », confie
une source diplomatique. Un départ en douceur déstabiliserait
moins l’équipe de la COP21, réduite
en nombre depuis janvier, et qui
devrait perdre encore une partie
de ses troupes cet été.
Le Quai d’Orsay, favorable depuis
le début à cette candidature, a confié à l’ambassadeur François Delattre le soin de demander à Ban Kimoon de rouvrir la liste officiellement close le 28 mars. Mardi
5 avril, le chef de la mission permanente de la France auprès des Nations unies a été entendu. « La candidature a bien été retenue », confirme l’entourage du secrétaire général de l’ONU.
Ce dernier a accepté d’autant
plus facilement que l’affaire s’est
conclue en coulisses, la liste
n’ayant pas vocation à être rendu
publique. Mais surtout, il connaît
mieux que quiconque les critères
requis pour ce poste de haut niveau, des critères que la candidate
française remplit clairement. Dans
le profil de poste adressé confidentiellement par les Nations unies à
ses Etats membres, dont Le Monde
s’est procuré une copie, il est demandé d’abord au candidat une
« connaissance approfondie de la
Convention [climat], du protocole
de Kyoto, de l’accord de Paris et de
l’ensemble de ses décisions » dont la
chef négociatrice a été l’une des
principales architectes.
Le descriptif du poste insiste sur
la capacité du candidat à travailler
avec les entités onusiennes et à
son aptitude à construire des coalitions. Le courrier mentionne que
des candidatures féminines « seraient particulièrement appréciées ». Or, peu de favorites figureraient sur la liste soumise à Ban Kimoon, si ce n’est l’ambassadrice
mexicaine, Patricia Espinosa, qui
avait présidé la COP de Cancun
en 2010, et Laurence Tubiana.
Pour un postulant déclaré, l’ancien coprésident des assemblées
préparatoires à la COP21, Ahmed
Djoghlaf, un autre principe doit
prévaloir, celui de la rotation géographique. « Depuis la création du
secrétariat de la CCNUCC en 1991,
l’Europe a occupé le poste pendant
près de vingt ans, Figueres et donc
l’Amérique latine, pendant six ans.
L’Afrique et l’Asie n’ont jamais eu
cette opportunité. Le temps est
venu pour l’Afrique de diriger cette
institution, car ce continent est particulièrement affecté par les changements climatiques », explique le
diplomate algérien. Si la route s’est
rouverte pour la négociatrice
française, elle n’est pas complètement dégagée pour autant. p
simon roger
22 avril, point d’orgue de la présidence française
s’il est une date que la ministre de l’environnement, chargée des relations internationales
sur le climat, ne manque jamais de rappeler,
c’est celle du vendredi 22 avril. Ce jour-là sera officiellement ouvert au siège des Nations unies,
à New York, le registre des signatures de l’accord
de Paris (l’accord universel conclu le 12 décembre 2015 pour espérer contenir le réchauffement climatique sous le seuil des 2 °C).
Au moment de célébrer l’anniversaire de ses
deux ans à la tête du ministère, mercredi 6 avril,
Ségolène Royal n’a pas dérogé à cette règle. « La
journée du 22 avril va être un grand succès, a
avancé la ministre. La crainte d’une retombée de
la mobilisation après la COP21 [la conférence de
Paris sur le climat] n’a pas lieu d’être. »
Vers un record de participants ?
Pour justifier son optimisme, la présidente de la
COP21 assure que plus de 130 pays, sur les 195
que compte la Convention-cadre des Nations
unies sur les changements climatiques
(CCNUCC), se sont engagés à faire le déplacement à New York. Le chiffre, s’il est atteint, constituerait un nouveau record : 119 pays étaient
présents en 1982 en Jamaïque pour le premier
jour de signature de la convention des Nations
unies sur le droit de la mer.
Près d’une soixantaine de chefs d’Etat ou de
gouvernement, dont François Hollande, ont
prévu de participer à la cérémonie du 22 avril,
d’autres pays préférant dépêcher un représentant. Les acteurs majeurs du climat ont promis
de s’y illustrer. Dans une déclaration présidentielle conjointe diffusée fin mars, la Chine et les
Etats-Unis, les deux plus gros émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre, ont confirmé leur
intention de signer l’accord dès le 22 avril. Les
Basic (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine) ont
pris le même engagement.
« On ne se soucie pas tant du record que de la dynamique à entretenir, relativise-t-on dans l’entourage de la présidence française de la COP21. Ce
qui compte surtout, c’est la manière dont les pays
vont mettre en place leur scénario climat. » Le
2 mai devrait être publiée par le secrétariat de la
CCNUCC une nouvelle synthèse de ces « contributions nationales ». Deux semaines plus tard
débutera la session traditionnelle de Bonn, en
Allemagne, où les délégations vont tenter de
constituer un comité ad hoc pour la mise en
œuvre de l’accord de Paris.
D’ici à novembre, et le passage de relais au
Maroc, pays organisateur de la COP22 à Marrakech, la présidence française espère faire progresser deux autres chantiers. Elle doit veiller à
l’implication des acteurs non étatiques (collectivités territoriales et entreprises) et veut convaincre un maximum d’Etats de ratifier sans tarder
l’accord du 12 décembre 2015, qui ne pourra entrer en vigueur qu’une fois ratifié par au moins
55 pays représentants au moins 55 % des émissions des gaz à effet de serre. Une perspective
« possible en 2017, probable en 2018 », prédit un
négociateur français, conscient de la complexité
européenne. L’accord de Paris doit être approuvé
à la fois par l’UE et par chacun de ses 28 membres,
dont plusieurs ne semblent pas prêts à suivre la
voie d’une économie décarbonée. p
s. r.
|9
FRANCE
La France ciblée par le commando de Bruxelles
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Le quartier de la Défense pourrait avoir été visé par les terroristes qui ont frappé en Belgique « dans l’urgence »
suite de la première page
Le 24 mars, ce Français de 34 ans
avait été interpellé et un projet
d’attentat « imminent » déjoué,
selon le parquet de Paris. Longtemps domicilié en Belgique, le
jeune homme avait été condamné par contumace en
juillet 2015 pour avoir eu un rôle
actif auprès d’un des plus gros recruteurs de djihadistes belges,
Khalid Zerkani. Un réseau dont
faisait
partie
Abdelhamid
Abaaoud. Alors qu’il avait disparu
en Syrie, les enquêteurs avaient
découvert qu’il était discrètement revenu en France.
Les deux équipes participaientelles au même projet d’attentat ?
La France était-elle visée par deux
groupes terroristes sans rapport
entre eux ? Pour l’instant, aucun
lien n’est établi entre le commando de Mohamed Abrini et le
projet d’attaque de Reda Kriket.
A l’annonce des avancées de
l’enquête, le premier ministre
Manuel Valls s’est exprimé depuis Alger. « C’est une preuve supplémentaire des menaces très élevées qui pèsent sur toute l’Europe
et, bien sûr, sur la France en particulier », a-t-il notamment déclaré.
« C’est un travail de longue haleine
et nous devons dire aux Français
que ce travail se poursuivra longtemps et que ce n’est pas parce que
des réseaux sont démantelés que
Salah Abdeslam
a sans doute
menti lors
de sa garde à vue
en niant avoir
vu Abrini dans
ses planques
d’autres réseaux ne pourront pas
frapper », a indiqué, de son côté,
le ministre de l’intérieur, Bernard
Cazeneuve.
Mohamed Abrini a en tout cas
été formellement identifié
comme étant « l’homme au chapeau », a confirmé durant le weekend le parquet belge. Soit le troisième homme visible sur les images de vidéosurveillance de l’aéroport de Zaventem, à Bruxelles, aux
côtés des deux kamikazes. Lors de
sa garde à vue, le jeune homme de
31 ans a reconnu sa présence lors
des attentats dans la capitale
belge. Mohamed Abrini a expliqué
avoir jeté sa veste dans une poubelle puis revendu son chapeau
après avoir quitté l’aéroport et rejoint le centre de Bruxelles à pied,
le matin du 22 mars.
Son ADN avait été auparavant
identifié dans deux planques situées sur la commune de Schaerbeek, à Bruxelles. C’est depuis l’une
Un Suédois, Osama K., serait
le deuxième terroriste du métro
l’homme soupçonné d’être
le deuxième terroriste du métro bruxellois est un Suédois
de 23 ans, Osama K., né de parents syriens. Interpellé vendredi 8 avril au matin à Laeken,
dans la banlieue de Bruxelles,
Osama K. a été aperçu le
22 mars à la station de métro
Pétillon en compagnie de Khalid El Bakraoui, le kamikaze du
métro de Maelbeek.
Osama K. a été repéré grâce à
un message envoyé via Facebook à son frère cadet, permettant à Säpo, les services de sécurité suédois, de prévenir
leurs homologues belges. Le
jeune homme habitait Malmö,
la troisième ville du pays, et
plus précisément Rosengård,
un quartier assez central
connu pour être la porte d’entrée de nombreux immigrants
en Suède, ce même secteur où
a grandi Zlatan Ibrahimovic.
Selon des renseignements
publiés dans la presse suédoise,
Osama K. a connu le parcours
classique de nombreux candidats au djihad – défiance vis-àvis de la société, exclusion, difficultés à obtenir un emploi. Un
parcours qui, comme ses complices de Molenbeek, l’a mené
de la délinquance au terrorisme. Le jeune homme aurait
été lié depuis des années avec
un réseau criminel de Malmö,
impliqué dans des affaires de
violences et de trafic de drogue.
Son endoctrinement fondamentaliste a eu lieu à Malmö,
selon un proche de la famille
cité dans un quotidien suédois.
Osama K. a cessé de consommer alcool et drogue en s’inscrivant dans un projet d’aide à
l’emploi au sein des services de
loisirs de la commune de
Malmö où il aurait passé un an.
Sa transformation serait devenue très visible dans les deux à
trois derniers mois avant son
départ pour la Syrie. Il s’était
écarté de ses anciens amis,
s’était laissé pousser la barbe et
écoutait des prêches d’imams
sur son téléphone mobile.
Début 2015, il part pour la Syrie. Dès janvier 2015, un blog
avait publié une photo du
jeune homme en treillis et
bandeau noir, une kalachnikov
dans la main droite, devant un
drapeau noir de l’organisation
Etat islamique. « Puisse Allah
t’aimer », avait commenté son
jeune frère Anas le même jour
sur Facebook.
« Je ne reviens pas »
Une tante qui habite également à Malmö a raconté à la télévision suédoise que la famille
a reçu un coup de téléphone de
sa part en provenance de
l’étranger. « Je suis avec eux, je
ne reviens pas », aurait-il assuré
à ses proches. Il y a quelques
mois, toujours selon cette parente, la mère d’Osama K. avait
voulu lui rendre visite en Turquie, « mais ça n’a pas marché ».
Le jeune homme serait revenu de Syrie à l’automne 2015
à l’aide d’un faux passeport syrien au nom de Naïm Al-Hamed, en se faisant passer pour
un réfugié, transitant par l’île
grecque de Leros et la ville allemande d’Ulm. De là, il a rejoint
la Belgique dans une voiture
louée par Salah Abdeslam.
Mohamed Belkaid, tué mardi
15 mars par la police belge lors
de la perquisition d’un appartement de Forest, au cours de laquelle Salah Abdeslam s’était
enfui, avait également une connexion avec la Suède. D’origine
algérienne, Belkaid avait
épousé une Suédoise et avait
vécu en Suède à partir de 2010.
En 2009, deux experts suédois du terrorisme mettaient
en garde dans un rapport contre les dérives constatées dans
le quartier Rosengård. Selon
l’un de ces experts, Magnus
Ranstorp, spécialiste du terrorisme auprès de l’Ecole des études de la défense, la Suède a
longtemps été un pays idéal où
se cacher pour les réseaux terroristes car les autorités refusaient de voir la réalité. La ville
de Malmö est toujours critiquée pour minimiser la menace fondamentaliste. p
olivier truc (stockholm,
correspondance)
d’elle, rue Max-Roos, que sont partis les terroristes, le 22 mars, et
dans la seconde, rue Henri-Bergé,
qu’ont été confectionnées les ceintures explosives pour les attentats
du 13 novembre à Paris. C’est là
aussi que Salah Abdeslam, le
dixième homme du commando
parisien, a en partie séjourné durant sa cavale. Ce qui laisse penser
que ce dernier a sans doute menti
lors de sa garde à vue, le 19 mars,
lorsqu’il a indiqué qu’il n’avait « jamais vu » Mohamed Abrini « dans
[ses] différentes planques ».
Trois individus ont été interpellés et placés en détention en
même temps que Mohamed
Abrini, vendredi 8 avril, et plusieurs perquisitions ont eu lieu à
leur domicile. Deux d’entre eux
ont des profils relativement nouveaux dans la galaxie francobelge sur laquelle travaillaient
jusqu’à présent les enquêteurs. Ils
donnent un aperçu de l’ampleur
de la toile djihadiste prête à passer
à l’action en Europe.
Le premier, Osama K., est un ressortissant suédois. Il a été identifié
comme étant l’individu aux côtés
du kamikaze qui a commis l’attentat de la station de métro Maelbeek. Il était également présent
dans un centre commercial, City 2,
lors de l’achat des sacs de voyage
qui ont servi à dissimuler les bom-
bes des attaques de l’aéroport. Jusqu’ici, Osama K. était recherché
sous l’identité d’emprunt figurant
sur son faux passeport syrien
– Naïm Al-Hamed. Le deuxième
homme arrêté, Hervé B. M., âgé de
20 ans, est rwandais.
Le troisième homme, lui, est
un ancien du groupe Sharia4Belgium. Ce groupuscule actif
entre 2010 et 2012, en Belgique,
Le djihadiste Fabien Clain en France
en janvier 2015
Connu pour avoir enregistré depuis la Syrie le message de revendication des attaques du 13 novembre, Fabien Clain était à
Toulouse fin janvier 2015, soit peu après les attentats contre
Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, a indiqué Le Journal du dimanche, le 10 avril. Selon l’hebdomadaire, l’homme, supposé être
parti en Syrie en 2014, y aurait acheté dans une enseigne spécialisée du matériel d’enregistrement, un casque audio professionnel, un appareil permettant de transformer les voix, des enceintes… pour un montant de 3 557 euros. C’est un des
vendeurs qui a reconnu son portrait diffusé dans les médias.
prônait ouvertement l’instauration de la charia, y compris par la
violence. Bilal E. M., 27 ans, alias
Abu Imran, était un sympathisant
du mouvement. Sa participation
active n’a pas été prouvée à l’époque, mais il est établi qu’il a effectué un séjour en Syrie – comme la
quasi-totalité du noyau dur de
Sharia4belgium – dont il est revenu gravement blessé.
Dans le jugement rendu en février 2015 à l’issue du procès de
46 membres du groupe, la justice
belge s’était inquiétée de la persistance des réseaux de
Sharia4Belgium malgré les condamnations prononcées – douze
ans de prison notamment pour le
leader du groupe, Fouad Belkacem.
Bilal E. M., lui, avait été laissé libre
sous bracelet électronique. Il est
aujourd’hui soupçonné d’avoir directement aidé Mohamed Abrini
et Ossama K. dans leurs projets. p
élise vincent
10 | france
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Au plus bas, Hollande croit toujours en ses chances
Le chef de l’Etat, qui sera sur France 2 jeudi soir, mise sur l’essoufflement de la mobilisation contre la « loi travail »
L
a semaine qui s’ouvre
s’annonce décisive pour
François Hollande. A un
an de l’élection présidentielle, le chef de l’Etat doit participer, jeudi 14 avril, à une émission
politique sur France 2 face à
un panel de Français. L’occasion
pour lui d’affronter pendant près
de quatre-vingt-dix minutes,
face à ses citoyens, la réalité d’un
pays qui, de sondage en sondage,
rejette tout autant sa politique
que sa personne.
Selon une enquête de l’IFOP, publiée dans Le Journal du dimanche
du 10 avril, huit Français sur dix ne
souhaitent pas que le président de
la République soit candidat en
2017 : 54 % ne le veulent « pas du
tout », 26 % « plutôt pas », tandis
que seulement 6 % sont « tout à
fait » favorables à son éventuelle
candidature. Un véritable camouflet pour M. Hollande dont le socle
électoral se réduit comme peau de
chagrin, semaine après semaine.
En dépit de ces signaux d’alerte,
le chef de l’Etat veut toujours
croire en ses chances pour la présidentielle. Et l’émission de jeudi
est une preuve supplémentaire
qu’il se prépare. « S’il dialogue
avec des Français, qui seront sûrement pour beaucoup mécontents
et critiques, c’est qu’il veut envoyer
un signe aux électeurs et leur dire :
“Je prendrai le temps de vous reconquérir” », admet un proche du
président. Au lendemain de la
course Paris-Roubaix, le premier
secrétaire du Parti socialiste,
Jean-Christophe Cambadélis, fait
d’ailleurs dans la métaphore cycliste pour l’inviter à « se mettre
en route et à rouler à un rythme
élevé, car c’est le bon moment ».
Mobilisations en baisse
L’exécutif parie sur différents facteurs pour remettre en selle le
chef de l’Etat. D’abord, les mobilisations en baisse, samedi, contre
le projet de loi travail. Accompagnées d’affrontements avec les
forces de l’ordre, celles-ci font
croire au pouvoir que l’opposition
Des proches
du président
de la République
s’inquiètent
que la créature
Macron ’échappe
à son maître
syndicale est en train de s’essouffler et qu’elle pourrait devenir à
terme, du fait des violences, impopulaire dans l’opinion.
Ensuite, le vote par le PS, ce weekend, du principe d’une primaire de
la gauche. Pour M. Hollande, ce
n’est pas une mauvaise nouvelle.
La question de sa participation à
une telle primaire en est devenue
la clé de voûte : soit les communistes, les écologistes et les frondeurs
socialistes finissent par l’accepter,
soit la primaire ne pourra, à terme,
que se disloquer.
Primaire brutale à droite
Enfin, les récentes attaques de
François Fillon contre Nicolas
Sarkozy, Alain Juppé ou Bruno Le
Maire indiquent que la primaire à
droite a véritablement commencé
et qu’elle s’annonce brutale. La
gauche socialiste espère en profiter pour repolitiser le débat.
« Le président est très bas, mais
dans un paysage politique décomposé. Il doit s’en servir pour reprendre patiemment la pédagogie de
son quinquennat. Sa carte, c’est
qu’il est le président, donc le seul
émetteur qui peut donner des explications et des repères aux Français », explique un ami de M. Hollande. Une carte que le chef de
l’Etat a bien l’intention d’abattre
jeudi soir sur France 2. « Ce sera
avant tout une émission pour mettre en perspective tout ce qui a été
fait depuis quatre ans et pour
éclairer l’année qui vient. Ce sera
un exercice de transparence et
d’explication », précise l’un de
ses conseillers.
Les mesures de Manuel Valls
pour calmer la colère des jeunes
aide à la recherche d’emploi, bourses, couverture
santé, logement… Le premier
ministre, Manuel Valls, devait
présenter aux organisations de
jeunesse, réunies à l’hôtel Matignon lundi 11 avril en fin de
matinée, une série de mesures
pour lutter contre la précarité
des jeunes à l’entrée sur le marché du travail. Le gouvernement va amender le projet de
loi travail pour rendre obligatoire la surtaxation des CDD,
lesquels concernent 87 % des
premières embauches. Cela
passera par la modulation des
contributions patronales à l’assurance chômage, dont les partenaires sociaux sont invités à
définir les conditions.
C’était attendu : à côté de la
« garantie jeunes » pour les
16-25 ans peu ou pas diplômés,
une « aide à la recherche du
premier emploi » sera créée à la
rentrée 2016 pour les diplômés
d’origine modeste, du CAP au
diplôme d’ingénieur, qui entrent sur le marché du travail
en situation d’inactivité. Ainsi,
les boursiers continueront à
toucher leur bourse pendant
quatre mois après leur diplôme. Cela représente une dépense potentielle de 130 millions d’euros par an.
D’autres mesures sont destinées à améliorer les conditions
de vie des jeunes. Une garantie
locative universelle sera mise
en place. L’Etat et Action logement se porteront garants de
tous les moins de 30 ans souhaitant louer un logement.
Cela
pourrait
concerner
300 000 d’entre eux, et coûter
une centaine de millions
d’euros. Par ailleurs, 25 000 étudiants ne perçoivent aucune
aide financière, mais sont dispensés de payer les droits d’inscription à l’université. Ils percevront dorénavant 1 000 euros
par an. La mesure, destinée à
aider les classes moyennes, représente 25 millions d’euros. En
outre, les bourses versées sur
critères sociaux aux lycéens seront revalorisées de 10 %.
Coût de cette disposition :
28 millions d’euros.
Augmentation des apprentis
Les jeunes en rupture avec
leur famille pourront dorénavant bénéficier d’une couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). La mesure, qui devrait concerner
30 000 à 50 000 jeunes, représente une dépense de 15 à
20 millions d’euros.
La rémunération des apprentis les plus jeunes, moins
bien payés, sera revalorisée.
Une enveloppe de 80 millions
d’euros dans le budget de 2017
permettra une augmentation
de 300 à 400 euros par an
pour les apprentis de moins
de 20 ans. Enfin, un plan de
création de deux mille places
en sections de techniciens supérieurs (qui délivrent le BTS)
par an pendant cinq ans sera
lancé à la rentrée 2016, pour
un coût de 120 millions
d’euros sur cinq ans. p
benoît floc’h
Pas de grande annonce à attendre, qui risquerait de polluer la pédagogie présidentielle, mais la
pose d’une première pierre pour la
future campagne, donc. « Hollande ne va pas réussir en une émission à reconquérir la tête et le cœur
des Français, mais il peut montrer
qu’il est dans une écoute et un dialogue directs avec le pays », explique un ministre.
Reste deux grandes inconnues
pour M. Hollande. Qu’a réellement l’intention de faire Emmanuel Macron, qui a lancé mercredi
6 avril son propre mouvement politique ? Pour l’instant, l’exécutif se
persuade que le ministre de l’économie va permettre de rabattre
des voix vers le président de la République dans la perspective de
2017. Mais plusieurs proches du
chef de l’Etat s’inquiètent déjà que
la créature Macron n’échappe à
son maître, et que le patron de
Bercy finisse par rouler pour son
propre compte.
Surtout, comment répondre au
mouvement citoyen Nuit debout,
qui, jour après jour, gagne en intensité et en visibilité dans plusieurs villes du pays ? Le pouvoir
ne parvient toujours pas à saisir
cette mobilisation protéiforme,
sans chef de file ni revendications
catégorielles, qui s’oppose certes à
la réforme El Khomri mais va plus
loin, en prônant une démarche
plus large de changement du système. « Nuit debout, c’est un problème pour Hollande, car, c’est en
grande partie son électorat de 2012
qui est dans la rue et qui exprime sa
colère en disant : “On s’est fait avoir,
plus jamais ça” », explique le député PS, Malek Boutih.
Lundi 11 avril, le premier ministre, Manuel Valls, devait faire des
annonces concernant la jeunesse,
A Paris, la police évacue Nuit debout
Une centaine de participants au mouvement Nuit debout ont été
évacués par la police, lundi 11 avril, vers 5 h 30 du matin, place
de la République, à Paris. Selon une source policière, citée par
l’AFP, « une nouvelle déclaration de manifestation a été déposée,
signifiant que le mouvement pourra reprendre lundi soir ».
Lancé le 31 mars à Paris au soir d’une journée de mobilisation
contre le projet de loi travail, Nuit debout s’est étendu depuis à
une soixantaine de villes. Dans la capitale, des incidents ont
émaillé la Nuit debout de samedi à dimanche, quand quelques
centaines de personnes ont voulu se rendre au domicile du premier ministre, Manuel Valls – alors en déplacement en Algérie.
Huit d’entre elles ont été interpellées.
avant de dévoiler, mercredi 13 en
conseil des ministres, le projet de
loi égalité et citoyenneté, puis de
se rendre, jeudi 14, à Mantes-la-Jolie, pour faire la promotion du
plan gouvernemental de lutte
contre la pauvreté.
Citoyens en rupture de ban
Autant de thématiques sociales en
résonance avec les débats de Nuit
debout. Pas sûr pour autant qu’elles séduisent ces citoyens en rupture de ban avec la classe politique
traditionnelle. « Nuit debout, il faut
les laisser vivre, mais quoi que l’on
fasse, c’est un mouvement qui rejette le PS comme il rejette Mélenchon, Duflot, Montebourg ou Besancenot », conseille un dirigeant
socialiste. Une façon de dire que
M. Hollande ne doit pas chercher à
convaincre ces Français réunis sur
les places des centres-villes et qui
se sont définitivement détournés
de lui, mais tous ceux qui, pour
l’instant, restent chez eux. p
bastien bonnefous
france | 11
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Anne Hidalgo fait de Paris son laboratoire
Deux ans après son élection, la maire de la capitale s’érige en gardienne du temple des idées de gauche
S
ous l’immense verrière
jaune-vert de la Canopée,
le col de son blazer bleu
relevé pour se protéger du
froid, elle sourit aux uns, embrasse les autres, enchaîne les
selfies. Ce samedi 9 avril, Anne Hidalgo fête ses deux ans de mandat
façon « speed dating » avec les Parisiens au forum des Halles. Mais
la maire de Paris sort soudain ses
griffes quand une question surgit
sur le mouvement En marche !,
lancé par Emmanuel Macron, le
6 avril. « Je pense que ce n’est pas de
l’administration de Bercy que viendra le renouvellement du pays. J’ai
un petit doute là-dessus. J’attends
que le ministre de l’économie pose
des actes en tant que ministre. »
Puis, en s’éloignant, elle lâche : « Je
n’ai pas besoin de lancer un mouvement. Moi, j’ai Paris ! »
L’estocade en dit long : Mme Hidalgo s’estime au moins aussi légitime que le ministre de l’économie pour incarner une forme de
modernité à gauche. Alors que le
gouvernement s’abîme dans les
sondages, elle maintient sa popularité à flots. 52 % des Parisiens approuvent son action, selon un
sondage IFOP pour le Journal du
dimanche (réalisé du 29 mars au
1er avril auprès de 987 personnes),
soit seulement 1 % de moins
qu’en 2014. Si les critiques portent
sur la propreté, le logement ou la
circulation, sa décision emblématique d’interdire le diesel d’ici à
2020 ou de « piétoniser » les berges de la Seine en 2016 sont largement appréciées.
Dès son élection, et surtout depuis les attentats terroristes de
2015, Mme Hidalgo entend faire de
la capitale le laboratoire d’un renouvellement de la participation
des citoyens à la vie politique. En
bonne communicante, elle en fait
un cheval de bataille de son
action publique. Au-delà de la
simple consultation de la population, il s’agit de « remettre la déli-
bération et la confrontation au
cœur du fonctionnement de la démocratie représentative », dit-elle.
Elle s’est dotée d’un budget participatif de près de 100 millions
d’euros, un outil pour permettre
aux citoyens de « coproduire »,
dit-elle, l’action municipale.
Nathalie Kosciusko-Morizet, la
patronne de la droite parisienne,
voit dans cette panoplie de la
« méthode Hidalgo » autant de
« simulacres destinés à masquer
une concertation factice des habitants sur les chantiers de la ville ».
Mme Hidalgo se prévaut aussi de
réussir à gouverner Paris par-delà
52 % des
Parisiens
approuvent
son action, selon
un sondage
les clivages partisans. Ce qui
l’autorise, pense-t-elle, à donner à
M. Macron ainsi qu’à Manuel
Valls quelques conseils sur l’art et
la manière de faire bouger les lignes pour refonder la gauche, objectif qu’ils se sont fixé. « C’est en
affirmant ses valeurs, humanistes
et sociales-démocrates, que la gauche peut porter des projets avec la
droite, proclame-t-elle, et non en
diluant ses idées dans une dérive
droitière. »
« Anne est stratège. Elle sait jusqu’où faire des compromis sans renoncer à ses convictions », observe
Christophe Girard, maire (PS) du
4e arrondissement. Dans la forme,
« entre sa façon de tirer à boulets
rouges sur le gouvernement et sa
pratique politique, il y a un contraste, confirme le communicant
Philippe Grangeon, proche de la
maire de Paris. Elle est moins clivante, moins brutale et plus collective à Paris ». Sur le fond, « les milieux économiques redoutaient
son côté inspectrice du travail, ils
lui trouvent presque un petit côté
Macron dans sa façon de tout mettre en œuvre pour aider les entreprises à se créer à Paris », observe
Nicolas Hazard, entrepreneur et
président du conseil stratégique
de Mme Hidalgo. Soit une trentaine de personnalités (chercheurs, artistes, sportifs, patrons…) que Mme Hidalgo utilise
comme « capteurs » pour orienter
ses choix.
La cible des vallsistes
Dans la promotion de son bilan,
Mme Hidalgo veille à ne jamais se
poser en contre-modèle de la
méthode
gouvernementale.
« J’essaie à travers Paris de tracer
une route dans laquelle on puisse
tous s’engouffrer et qui soit positive. Si ce que je fais peut servir à
d’autres, tant mieux », glisse-telle. Mais à force de l’entendre
vanter son action tout en critiquant celle du gouvernement,
une partie du PS s’agace de sa façon de faire l’antijeu vis-à-vis de
son propre camp.
Mme Hidalgo est devenue la cible
de l’entourage de M. Valls. Ses critiques sur la loi El Khomri, le travail
du dimanche sont interprétées
comme des « postures ». « Valls ne
comprend pas qu’elle le tape
autant, confie un parlementaire
vallsiste, d’autant qu’il ne fait rien
pour la gêner à Paris. Au contraire. »
La garde rapprochée du premier
ministre décèle chez elle les signes
annonciateurs de son ambition
présidentielle. « Aujourd’hui, Anne
ne pense qu’à une chose : rester
maire de Paris en 2020, explique
un parlementaire vallsiste. Une
fois réélue, rien ni personne ne l’ar-
« Entre
la façon qu’a
Anne Hidalgo
de critiquer
le gouvernement
et sa pratique
politique, il y a
un contraste »
PHILIPPE GRANGEON
communicant
rêtera. A la primaire de 2021, on
aura droit au match entre une Andalouse et un Catalan », prédit-il.
Mme Hidalgo répète « qu’elle n’aspire pas à prendre une place autre
que celle de maire de Paris ». Mais à
la façon dont elle s’impose à Paris
et dans le débat national, la gauche du PS veut croire qu’elle sera
un jour son porte-drapeau. « Anne
Hidalgo sortira intacte du quinquennat de Hollande contrairement à quelques grands brûlés du
gouvernement. Elle jouera, avec
d’autres, un rôle de premier plan,
dans la recomposition de la gauche après 2017 », prédit le député
(PS) de la Nièvre, Christian Paul.
Quelques élus « frondeurs » ont
même poussé la porte de son bureau à l’hôtel de ville pour sonder
ses intentions de se présenter
en 2017. Mme Hidalgo les a gentiment éconduits. « François Hollande doit se représenter. Il n’y a
pas d’échappatoire possible pour
lui. Il doit assumer ce qu’il a fait et
l’expliquer au Français », lâche-telle avec dépit. p
béatrice jérôme
La « bienveillance » particulière
d’Emmanuel Macron
C’
était dit avec le sourire, presque avec candeur, sur ce
ton juvénile du gendre idéal à qui l’on donnerait le
bon Dieu sans confession. « J’ai une règle de vie : c’est
la bienveillance. Je n’ai pas besoin pour exister de dire du mal des
autres », a juré Emmanuel Macron, dimanche 10 avril, sur le
plateau du « 20 heures » de France 2. Cette « bienveillance », le
ministre de l’économie en a pourtant donné une définition
bien particulière pendant les douze minutes d’interview, la première à la télévision depuis le lancement de son mouvement,
En marche !, mercredi 6 avril. Oh, bien entendu, M. Macron
l’assure : il est « attaché à [sa] relation personnelle à François
Hollande », et, pour cela, il « ne [fera] rien qui fragilise le président
de la République ».
Il n’empêche. En l’écoutant, dimanche soir, revendiquer déjà
13 000 adhérents – « un toutes les trente secondes » – pour son
nouveau mouvement, ce n’était pas faire preuve d’une malveillance excessive que de penser le contraire. Ce que veut
M. Macron ? Rien moins que de proposer des « solutions radicales » pour le pays. Sous-entendu,
la politique actuellement menée
par le gouvernement auquel il ap« FAIRE DE
partient est trop timide, trop timorée. Parmi ses sujets prioritaires,
LA POLITIQUE,
« repenser le rapport au travail ».
Hollande et Valls apprécieCE N’EST PAS EXERCER MM.
ront : au moment où les critiques
fusent de toutes parts contre le
UNE PROFESSION
projet de loi de la ministre du traRÉGLEMENTÉE »
vail, Myriam El Khomri, M. Macron laisse entendre qu’il faut aller
EMMANUEL MACRON
beaucoup plus loin, ce qui est une
ministre de l’économie
façon bien particulière de proet des finances
mouvoir la réforme en cours.
Ce n’est pas tout. Dimanche, on
aura aussi entendu cette petite phrase : « Faire de la politique, ça
n’est pas une profession réglementée. » Là encore MM. Hollande
et Valls auront été heureux d’entendre en quelle estime leur
ministre de l’économie tient ceux qui, comme eux, ont passé
leur vie dans un parti ou à se présenter aux élections. Et puis, il y
eut ces deux questions. La première : qu’aurait fait M. Macron si
le chef de l’Etat lui avait dit : « Non, (…) ce mouvement, je ne veux
pas que tu le lances » ? « J’aurais pris mes responsabilités », s’est
contenté de répondre l’intéressé, comme pour dire qu’il
n’aurait pas pour autant renoncé.
Seconde question : « Vous êtes avec François Hollande, c’est votre
candidat ? (…) S’il est candidat, le soutiendrez vous ? » A celle-là,
chacun aura constaté que M. Macron s’est bien gardé de dire
« oui ». Dans le registre de l’esquive, c’était parfaitement maîtrisé.
Comme preuve de « bienveillance », c’était beaucoup moins
convaincant. p
thomas wieder
12 | france
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
500 000
C’est, en euros, le montant des dégâts occasionnés par les manifestations contre la « loi travail » dans les lycées, selon la présidente (Les Républicains) de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse. Invitée de l’émission « C politique » dimanche 10 avril, sur France 5, elle a affirmé que la
région porterait « plainte systématiquement contre toutes les dégradations, contre toutes les violences », et a reproché son manque de réaction
au gouvernement. « Je demande qu’il y ait une condamnation ferme,
définitive et sans ambiguïté de ces violences », a-t-elle déclaré. – (AFP.)
J UST I C E
Un prêtre guyanais
en correctionnelle pour
agression sexuelle
Un prêtre de Macouria
(Guyane) a été renvoyé en correctionnelle dimanche 10 avril
pour « agression sexuelle sur
mineur de moins de 15 ans ».
Il reconnaît « des câlins et des
accolades » mais réfute les
attouchements décrits par la
victime présumée de 13 ans.
Le 4 avril, la famille de celle-ci
avait rencontré l’évêque de
Cayenne pour dénoncer les
agissements de ce prêtre sexagénaire. L’évêque s’était ensuite entretenu avec lui et lui
avait demandé de se présenter
à la gendarmerie – (AFP.)
Perquisition au domicile
de Bernard Squarcini
Dans les couloirs du centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, le 19 mars. JEAN-FRANÇOIS JOLY POUR « LE MONDE »
A Nanterre, le centre médical
des SDF, un lieu unique en sursis
Les sans-abri vieillissant, les pathologies chroniques se multiplient
L
REPORTAGE
e premier car est arrivé à
16 heures et la salle d’attente est pleine. Manteaux et doudounes boutonnés ou zippés, bonnet sur la
tête, lestés de sacs en plastique
pleins de leurs maigres affaires,
une cinquantaine de SDF attendent l’ouverture du guichet du
CASH, le centre d’accueil et de
soins hospitaliers de Nanterre
(Hauts-de-Seine). Epaules voûtées, tête baissée, ces sans-abri
malades ont pris le bus puis
claudiqué jusqu’à un siège en
plastique. Certains grignotent des
biscuits, d’autres somnolent. Le
docteur Jacques Hassin, celui
qu’ils appellent « El doctor », en
salue quelques-uns, se penche sur
une femme qui secoue la tête désespérément, le visage hagard.
Dans une heure, il recevra ses premiers malades. Les autres passeront la nuit dans un lit propre.
Dans ces locaux vieillots de l’hôpital Max-Fourestier, ce sont les
plus exclus, les plus abîmés qui arrivent en trois vagues entre
16 heures et 21 heures, avec leur
lot de souffrances et de solitude :
« Des personnes au bord du
monde », comme les décrit le médecin. Le CASH est le seul havre
pour ceux qui ne tiennent plus
debout et ont besoin d’un lit médical. On l’appelait autrefois le
« dépôt mendicité » et les locaux
avaient piètre réputation. Il a été
rénové – un peu – et les SDF n’y
sont plus amenés de force.
La population à la rue a elle aussi
changé depuis la création du centre médical en 1984. Ce ne sont
plus de grands marginaux qui
viennent se faire soigner comme
il y a vingt ans. Mais des hommes
en majorité, des femmes isolées
et, de plus en plus, des vieux. Et le
centre de soins doit désormais
faire face aux mêmes pathologies
que n’importe quel hôpital. « C’en
est fini du clochard avec sa jambe
pleine de plaies. On a des malades
beaucoup moins abîmés physiquement mais avec des cancers, ou des
psychotiques dépendants de l’alcool ou du cannabis. Et surtout des
gens plus vieux avec les maladies
de tout le monde », explique un
responsable du Pôle d’accueil et
d’orientation.
La réussite exemplaire d’un ESAT
au cœur d’un village
En librairie
168 pages • 15 €
www.presses.ehesp.fr
C’est le seul
lieu réservé
aux SDF qui allie
le sanitaire
et le social
« Etre dans la rue laisse une trace
indélébile et même après vingt
ans, je ne sais pas à quel point c’est
dur », souligne le docteur Hassin,
qui a voulu construire un lieu où
« on lie le sanitaire et le social ». Ici,
les sans-abri trouvent à la fois un
repas chaud, une douche, un lit et
des soins médicaux. Tous les
soirs, 257 personnes (hommes et
femmes majeurs) amenées par
les bus de la Préfecture de police,
ceux de la RATP ou ceux du SAMU
social des Hauts-de-Seine, y sont
hébergées et soignées.
Plus aucune protection sociale
Ici, en plus de l’abri pour la nuit,
ces personnes démunies vont
trouver un peu de chaleur et de
l’attention. Seule obligation, décliner une identité et laisser ses
bagages à l’entrée. Beaucoup s’inventent une identité pour ne pas
laisser de trace. Les personnels
voient ainsi revenir une « Claudia
Chiffon », un « Monsieur Marshmallow » et plusieurs « Nicolas
Sarkozy ». Ceux-là n’ont plus
aucune protection sociale.
Dans le couloir de l’aile médicale,
une affiche explique en mots simples les ravages de la consommation d’alcool. Une autre décrit le
fonctionnement des poumons.
Les SDF sont déjà plusieurs à attendre avec leur kit à la main : à l’entrée on leur a remis un drap, une
serviette, un gant présavonné, du
shampooing et de la mousse avec
un rasoir. Plus de brosse à dents et
de dentifrice, depuis que Colgate a
arrêté ses dons. Et le budget du
centre ne permet pas d’aller audelà du kit sommaire.
Car le centre d’accueil et de
soins hospitaliers, présidé par le
préfet de police, est en déficit
chronique. Comme pour de nombreux autres établissements, le
renouvellement de son autorisation est décidé après évaluation
de ses activités : en clair, son devenir n’est pas garanti. C’est pour-
Le domicile parisien de
Bernard Squarcini, l’ancien
patron du renseignement intérieur, a été perquisitionné
vendredi 8 avril dans le cadre
de trois enquêtes, dont celle
sur les accusations de financement libyen de la campagne électorale de Nicolas
Sarkozy en 2007. L’opération a
été menée par des juges d’instruction et des policiers de
l’Office central de lutte contre
la corruption et les infractions
financières et fiscales. – (AFP.)
F I S C ALI T É
La majorité en Ile-deFrance veut une taxe
sur les poids lourds
La majorité de droite à la tête
de la région Ile-de-France veut
instaurer une « écotaxe » pour
les poids lourds en transit
dans la région, indique dimanche 10 avril dans le JDD Chantal Jouanno, vice-présidente
(UDI) chargée de l’écologie. Un
plan d’action contre la pollution sera proposé au vote en
juin. « La région n’a pas le pouvoir de mettre en place seule ce
dispositif, un décret sera nécessaire, mais je ne doute pas que
le gouvernement nous suivra »,
affirme Mme Jouanno. – (AFP.)
GEN DAR MER I E
Un gendarme décède lors
d’une course-poursuite
Un gendarme de la brigade
motorisée de Beaune
(Côte-d’Or) est mort dimanche
10 avril. En prenant en chasse
un motard roulant à vive allure, la victime, âgée de 41 ans,
a percuté une voiture arrivant
en sens inverse. – (AFP.)
tant le seul lieu réservé aux SDF
qui allie le sanitaire et le social. La
direction de l’Agence régionale de
santé (ARS) assure soutenir la
structure, consciente qu’avec le
vieillissement de la population à
la rue, sa pérennité est indispensable. « On réfléchit à son avenir en
le liant à l’hôpital Louis-Mourier
pour retrouver un équilibre, explique-t-on à l’ARS. Mais il va falloir
ouvrir d’autres structures dans Paris intra-muros ».
Dans une des salles de soins, Keleme (les prénoms ont été changés), une Ethiopienne de 47 ans, attend son tour. Elle vient là tous les
jours depuis la mi-janvier. « La rue,
c’est très dur pour une femme… »,
souffle-t-elle dans un sourire, en
expliquant souffrir d’une neuropharyngite. « Les gens du SAMU social m’ont dit de venir ici parce que
j’avais si mal à la tête. Mais faut batailler pour monter dans le bus,
faire la queue pour avoir un lit. Mais
heureusement que ça existe, c’est
gratuit », raconte-t-elle.
De l’autre côté de la cour, l’unité
de soins hospitaliers héberge les
plus abîmés, ceux qui ne peuvent
plus reprendre le bus le matin. « La
plupart restent le temps d’être remis sur pied. Et on en a deux ou trois
qui ne repartent plus. Ils sont trop
vieux », relate Aida, une aide-soignante. Des têtes passent derrière
les rideaux, guettent le médecin.
D’autres corps un peu plus valides
déambulent avec leur perfusion. Il
y a là des cancéreux, des patients
souffrant de pathologies cardiaques mal traitées, de complications de maladies chroniques. « Il y
a vingt ans, ils seraient déjà morts »,
constate le docteur Hassin.
Daniel a appris qu’il va devoir
laisser son lit demain matin.
Blessé après avoir été renversé par
un vélo, il est dit guéri depuis deux
jours. Cet ancien électromécanicien qui travaillait pour un soustraitant des centrales EDF du côté
de Chinon, est à la rue depuis qu’il
a été licencié après un accident du
travail. Le quadragénaire a tenté
350 appels au 115 pour trouver un
lit pour la nuit, avant d’atterrir à
Nanterre. « C’est grâce à eux que je
dors », glisse-t-il. Demain matin,
après le petit-déjeuner, il retentera
sa chance par le bus Porte de la Villette. S’il arrive à monter dedans. p
Un guide pratique d’éducation
distribué aux nouveaux parents
sylvia zappi
gaëlle dupont
A
partir du 11 avril, tous les couples qui attendent leur
premier enfant, soit environ un million de personnes
chaque année, recevront un petit livret d’une quinzaine de pages. Les auteurs de ce « livret des parents » sont la
Caisse nationale d’allocations familiales, les ministères des
familles et de la santé, et la Sécurité sociale. Rien d’institutionnel pourtant, dans ce document au contenu innovant.
Pour la première fois, les pouvoirs publics cessent de se cantonner aux prestations sociales ou au suivi médical de la grossesse quand ils s’adressent aux futurs parents. Ils délivrent
conseils et ressources.
Au premier rang desquels une mise en garde concernant les
châtiments corporels. « Frapper un enfant ( fessée, gifles, tapes,
gestes brutaux) n’a aucune vertu éducative, explique le document. Les punitions corporelles et les phrases qui humilient n’apprennent pas à l’enfant à ne plus recommencer, mais génèrent un
stress et peuvent avoir des conséquences sur
son développement. » Le tout « sans culpabiliser les parents qui, à un moment, n’ont
« FRAPPER UN
pas imaginé d’autres solutions ».
ENFANT (FESSÉE,
Il s’agit de la concrétisation d’une promesse faite par la ministre des familles
GIFLES, TAPES)
Laurence Rossignol après la condamnaN’A AUCUNE VERTU tion symbolique de la France par le Conseil
de l’Europe en mars 2015 pour son absence
ÉDUCATIVE »
d’interdiction des châtiments corporels.
Elle avait, à l’époque, exclu de légiférer sur
LIVRET DES PARENTS
ce sujet très polémique et prôné une sensibilisation des futurs parents. Le livret
donne quelques repères sur la petite enfance (les pleurs sont les
seuls moyens d’expression du bébé, se fâcher contre lui ne sert
à rien ; les colères des 18-24 mois sont liées à l’affirmation de soi,
etc.) et des conseils pratiques (en cas d’épuisement, confier
temporairement son enfant à une personne de confiance…).
Le document se réfère à la Convention internationale des
droits de l’enfant, qui établit leurs droits : être respecté dans son
intégrité, sa pudeur et son intimité, être éduqué notamment
par le jeu avec ses parents, être protégé… Il cite également le
code civil, selon lequel « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».
L’ensemble, qui se veut accessible, est court. Ceux qui souhaitent aller plus loin sont renvoyés à des sites Internet sélectionnés, au numéro 0-800-00-34-56 (Allô parents bébé), ou à des associations. Le document, téléchargeable sur Familles-enfancedroitsdesfemmes.gouv.fr, s’adresse à tous.
La demande des jeunes parents est forte, car les « recettes » héritées de leurs propres parents ne sont plus transposables directement, et la saturation d’informations sur le sujet peut dérouter. « Sur Internet, on trouve tout et son contraire, explique-t-on
dans l’entourage de Laurence Rossignol. Nous voulions fournir
une information et des références validées. » L’Union nationale
des associations familiales (UNAF) et l’Ecole des parents et des
éducateurs (réseau de soutien à la parentalité) ont été associées
à cette démarche. Une étude réalisée sur l’ancien livret de paternité, devenu obsolète, avait montré que le document était largement consulté par ses destinataires. p
enquête | 13
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Des réfugiés syriens
font la queue pour
une consultation
à la clinique de Fatih,
à Istanbul. HOLLY PICKETT
POUR « LE MONDE »
La double vie
de la clinique de Fatih
Chaque soir, lorsque les praticiens turcs quittent
cet établissement du cœur d’Istanbul, un groupe
de médecins syriens prend la relève pour s’occuper
gratuitement des réfugiés de leur pays
maryline baumard
istanbul - envoyée spéciale
C
artable en main, veste sur le
dos, les médecins turcs sortent
sur l’avenue Fevzi Pasa, leur
journée terminée. A Fatih, dans
le cœur historique d’Istanbul,
les magasins abaissent leur rideau. Il est 17 h 30, l’heure où les lumières artificielles réveillent la face noctambule de la mégapole, en ce début mars. La clinique de Fatih a
rejoint le monde de la nuit. Chaque soir de
semaine, depuis le 2 novembre 2015, elle ne
ferme plus ses portes. Au 11 de l’avenue, coincé
entre des boutiques de mode, des femmes
voilées et des hommes au visage fatigué guettent le signal. Dès que le panonceau de bienvenue en arabe est affiché, ils s’engouffrent dans
le bâtiment, tandis qu’au loin retentit l’appel
du muezzin. Après quelques minutes de chassé-croisé, le lieu vidé de ses derniers Turcs
peut passer à l’heure syrienne.
Chaque soir, c’est le même ballet. Une équipe
de médecins et de cadres syriens prend possession de ce bâtiment moderne jusqu’à
21 h 30. Pendant cette « journée bis », ils offrent
à leurs compatriotes réfugiés à Istanbul les
services d’une véritable clinique, avec son plateau technique pour les petites interventions,
son service d’imagerie, son laboratoire d’analyses et sa pharmacie. Tout est concentré à la
même adresse et absolument gratuit.
Stéthoscope dans leur sac et blouse impeccable, prête à être enfilée, c’est au tour de cinq
médecins syriens de franchir le seuil de la clinique et de grimper quatre à quatre les deux
étages qui les séparent de leur lieu de consultation. Leur journée de travail commence.
Dans les couloirs, Shavi Hakki est déjà là,
jouant son rôle de facilitateur avec une aisance
naturelle. Pour éviter la pagaille d’un flux qui
peut monter à 300 personnes, il organise les
files d’attente et aide les médecins à ne pas
perdre un instant : ils ont à assurer 45 à 50 consultations quotidiennes. A 29 ans, le jeune
homme a retrouvé le sourire en arrivant dans
ce centre médical. « Ce travail a redonné un
sens à ma vie, assure-t-il. J’ai débarqué à
Istanbul il y a deux ans. J’y ai rapidement trouvé
un emploi de traducteur dans une fabrique de
textile, mais j’avoue que j’étais un peu perdu
dans le fonctionnement de l’entreprise. Tandis
qu’ici, c’est comme chez nous. Un soir, même,
une femme m’a embrassée, tellement elle était
heureuse de se retrouver au milieu de médecins
parlant arabe. Ça m’a ému. Un peu comme le
jour d’ouverture, où les gens sont arrivés petit à
petit. Ils étaient dix fois moins nombreux
qu’aujourd’hui, mais c’était déjà magique. »
Shavi Hakki apprécie que cette expérience
rende à son peuple une part de sa dignité. Il est
fier que, même exilés, les siens soient capables
de se prendre en main. « J’aime aider, confiet-il. Et là, on s’entraide tous les uns les autres…
C’est ce que je recherchais. Ceux qui vont en Europe ont une autre mentalité, ils veulent gagner
de l’argent. S’arrêter ici, c’est différent. » Le jeune
homme se rappelle que sa vieille mère l’avait
poussé à quitter Damas en lui disant, un jour
de 2014 : « Si tu m’aimes, va-t’en. »
« AIDER MON PEUPLE ET GAGNER MA VIE »
Grâce à l’aiguillage de Shavi Hakki, et à un enregistrement rigoureux des arrivées, chaque
médecin dispose rapidement de sa liste de
patients de début de soirée. Ce soir-là, le couloir est comble dès 18 heures et le gynécologue comme le pédiatre, le chirurgien ou le généraliste verront chacun une cinquantaine
de patients. « Malheureusement, je renverrai
les autres et leur dirai de revenir demain. Sauf
si c’est une urgence », ajoute Shavi.
Dans son cabinet aux murs blancs, Ahmed
Aymah, Syrien de 34 ans, insiste sur le temps
de l’écoute, malgré la pression. C’est aussi une
part de son travail. Globalement, il trouve ses
malades « exténués » : « Ils souffrent des conditions dans lesquelles ils vivent. A trois ou quatre
familles dans une même pièce, tout devient difficile. Surtout quand s’ajoutent la précarité financière et les traumatismes de la guerre.
Beaucoup ne savent plus très bien ce qu’ils cherchent, ce qu’ils attendent. » Cinq ans après le
début du conflit, l’espoir d’une réinstallation
prochaine en Syrie s’évanouit peu à peu.
Sur son bureau très ordonné, les abaisselangue voisinent avec les embouts pour oto-
« ON S’ENTRAIDE
TOUS LES UNS
LES AUTRES…
CEUX QUI VONT
EN EUROPE ONT
UNE AUTRE
MENTALITÉ, ILS
VEULENT GAGNER
DE L’ARGENT »
SHAVI HAKKI
agent d’accueil
à la clinique de Fatih
scope, près du grand cahier où il consigne le
nom des patients. Ahmed Aymah savoure
d’avoir enfin retrouvé ses gestes professionnels. « En partant de Syrie, j’ai fait un long détour avant d’arriver à Istanbul il y a un peu plus
d’un an. J’ai tenté l’Egypte, l’Arabie saoudite et
le Yémen. Mais nulle part je n’ai vraiment réussi
à m’installer. Ici, j’ai cherché du travail pendant
un an, je commençais à douter, et puis, il y a
quelques mois, on m’a proposé de consulter à
la clinique de Fatih. C’est une chance qui m’ôte
l’envie de continuer l’aventure, explique-t-il. En
plus de renouer avec mon métier, je peux aider
mon peuple et gagner ma vie. »
Cette clinique, Hakan Bilgin, le responsable
de Médecins du monde en Turquie, l’a autant
imaginée pour les médecins que pour leurs
patients. L’idée s’est imposée à lui le jour où il
s’est rendu compte que le laveur de voitures
en bas de chez lui était un médecin syrien et
que la femme de ménage d’un couple d’amis
avait exercé comme neurochirurgienne. « Là,
ça a été quasi instantané. En tant qu’humanitaire je me suis dit qu’il me fallait trouver un
moyen que ces gens mettent leurs compétences à disposition de leur peuple et j’ai pensé à la
clinique de nuit », explique-t-il.
En théorie, la Turquie a levé les verrous
pour que ces victimes de la guerre voisine accèdent gratuitement à la médecine de base
du pays ; mais, dans la pratique, les barrages
restent nombreux. Quant aux médecins syriens, la non-reconnaissance de leur diplôme
les prive tout bonnement du droit d’exercer.
Comme dans nombre d’autres pays.
Si la clinique de nuit s’est imposée comme
une évidence à Hakan Bilgin, un an aura été
nécessaire pour la concrétiser. « Nous ne sommes pas dans un pays sans système médical,
observe l’humanitaire, qui a baroudé vingt
ans en Afrique et ailleurs. Ici, le pays est organisé et puissant. Il pourrait gérer sans nous,
même si nous apportons un vrai plus. Ce qui signifie que nous devons travailler avec les autorités sanitaires. » Sa première mission a été de
trouver les partenaires déjà bien implantés localement pour cofinancer et installer le projet.
La branche orientale de l’ONG britannique
Doctors Worldwide et son ex-président
Kerem Kinik ont pesé de tout leur poids pour
que l’idée aboutisse, avec l’Organisation internationale pour les migrations. A Paris,
Médecins du monde appuie aussi la formule,
estimant par la voix de son responsable international, Jean-François Corty, que, « dans
un pays qui compte 2,7 millions de Syriens, il ne
s’agit pas de créer un système de santé parallèle. En revanche, il y a urgence à imaginer des
solutions alternatives pour aider le pays à répondre au défi de l’accueil ». Ce que fait à
petite échelle la clinique de Fatih.
Depuis un an et demi qu’il est là, Mohamad a
fait l’expérience de la difficulté d’une prise en
charge médicale à Istanbul. Ce Syrien de 54 ans
gagne moins que ce que lui coûte la location
de son logement. Sur le long banc qui court
tout au long de ce couloir de 50 mètres, où les
patients s’entassent, lui et sa fille Sara, 15 ans,
attendent de voir leur nom s’afficher au-dessus de la porte du docteur Aymah. « Je ne parle
pas encore la langue, concède l’homme dans
un anglais parfait, alors, quand je vais chez un
médecin turc, je ne parviens pas à faire comprendre mes besoins. Ici, on me comprend et
c’est vraiment gratuit. On nous fait les examens
et on repart avec les médicaments. »
« JE SUIS DÉSOLÉ POUR MES FILS »
Le système de santé turc prévoit la délivrance
gratuite de médicaments aux Syriens dans la
ville où ils sont enregistrés, comme il l’accorde
aux Turcs. Pourtant, la théorie reste trop souvent lettre morte, selon les intéressés. « Parce
que le pharmacien n’a pas envie de faire
l’avance », observe l’un d’eux, qui déplore que
certains établissements les fassent attendre
des heures, ne les prenant en charge qu’une
fois la salle d’attente vidée des nationaux.
Avant l’ouverture de cette clinique, Mohamad avait déjà beaucoup fréquenté la médecine du pays. Guide touristique à Damas, il
s’était refusé à quitter sa ville jusqu’au jour
où le frère aîné de Sara, âgé de 27 ans, a été
laissé pour mort après un bombardement. Le
père, qui a réussi à le faire évacuer et prendre
en charge, a alors décidé d’emmener les siens
à Beyrouth, puis à Istanbul.
Aujourd’hui, la famille essaie de se reconstruire et de soigner ce fils, encore très souffrant et fragile. « Nous vivions bien à Damas.
Aujourd’hui, j’ai trouvé un travail de chauffeur
qui ne suffit pas. Alors, mes fils aussi doivent
travailler. Celui qui faisait des études d’ingénieur a trouvé un petit emploi dans un restaurant. C’est difficile en tant que père de ne pas
pouvoir leur offrir un meilleur avenir. Je suis
désolé pour eux », lance-t-il. Dans cette quête
d’un nouvel horizon, la clinique de Fatih a été
d’un grand secours pour Mohamad et les
siens. Pour y avoir amené son fils aîné à maintes reprises, le père connaît le lieu et déclare
d’emblée son « infinie reconnaissance pour les
médecins d’ici qui ont soulagé les terribles douleurs de mon fils. Son problème n’est pas résolu ;
il lui faudrait de lourdes opérations, car son
corps reste truffé d’éclats métalliques, mais
avoir pu traiter ses souffrances est déjà un pas
important ». La clinique dispose du nécessaire
pour assurer de petites interventions, mais
pas celles dont aurait besoin son fils.
En année pleine, les associations humanitaires, aidées par des fonds européens, consacrent 1,2 million d’euros à la clinique. Une
somme qui permet de payer les médecins et le
« staff », mais aussi de louer cet espace moderne au cœur de la ville. Médecins du monde,
qui est déjà présent ailleurs en Turquie et consacre au pays 10 % de son budget global, souhaiterait « faire plus encore, compte tenu de
l’ampleur des besoins », affirme Jean-François Corty. L’Union européenne elle-même,
dans l’accord très contesté conclu le 18 mars
avec la Turquie, a convenu de verser 3 milliards
d’euros supplémentaires pour aider Ankara à
faire face à l’afflux de réfugiés syriens.
Bientôt, à Izmir, une nouvelle clinique de
Médecins du monde verra le jour, toujours en
partenariat avec Doctors Worldwide. « Là encore, nous ferons travailler des médecins syriens, rappelle Yves Riou, qui gère ce dossier
pour Médecins du monde, mais nous serons
dans nos murs et ouverts toute la journée. »
L’idée des humanitaires est d’y soigner aussi
les migrants non syriens, négligés par le système turc. Ils seraient 1 million dans le pays,
qui s’ajoutent aux 2,7 millions de réfugiés
syriens. En transit ou installés, ceux-là sont
dans tous les cas encore un peu plus oubliés
que les patients de la clinique de Fatih. p
14 |
CULTURE
Rêver les ruines, pour mieux s’en relever
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Le Louvre célèbre l’un de ses fondateurs, le peintre et conservateur Hubert Robert, témoin de la Révolution
D
ART
epuis 1933, le Louvre
n’avait pas consacré de
monographie à Hubert Robert (17331808). Oubli réparé tant vibre, par
la qualité des dessins et peintures
sélectionnés, l’hommage que
rend jusqu’au 30 mai le musée national à ce « peintre visionnaire ».
Un artiste prolifique, touche-àtout, témoin de son temps,
comme le démontrent les
150 œuvres, dont de nombreux
prêts des Etats-Unis, du Canada,
d’Autriche et de Russie. Conservateur au Louvre, l’un des premiers,
Hubert Robert avait son appartement sous la Grande Galerie et un
atelier donnant sur la Cour carrée.
Il a témoigné par ses innombrables sanguines sur le vif, aquarelles et peintures, des destructions
de Paris à la Révolution française,
comme celle de la Bastille, sinistre
prison, à l’été 1789 ; ou encore des
grandes mutations de la capitale
française au siècle des Lumières –
démolitions des maisons du pont
au Change et du pont NotreDame.
Son témoignage résonne dans
l’actualité. Il rappelle que les documents les plus précieux sur Palmyre, plus de deux siècles avant
son saccage par l’organisation Etat
islamique, restent les deux cents
dessins de son ami Louis-François
Cassas, premier Français à s’aventurer sur ces terres, en mai 1785, à
29 ans, à dromadaire, pour croquer les vestiges de la perle du désert syrien. Si Hubert Robert préférait les mondanités au campement chez les Bédouins, « il a vécu
des situations comparables, et
connu le vandalisme pour des raisons idéologiques », souligne
Guillaume Faroult, commissaire
de l’exposition. Sa Vue imaginaire
de la Grande Galerie du Louvre en
ruines, peinte en 1796, évoque la
récente mise à sac du Musée de
Palmyre et celles des Musées de
Mossoul et de Bagdad, en Irak.
Une voûte omniprésente
Emprisonné en 1793 pour ses liens
avec la noblesse, il trompe la peur
de la guillotine par le travail, réclame ses pinceaux et peint sur
tous les supports – jusque sur des
assiettes, comme celles qui brossent le quotidien de la prison où il
restera plusieurs mois, jusqu’à la
mort de Robespierre. Une huile
sur toile illustre le ravitaillement
des prisonniers à Saint-Lazare par
les porteuses de lait. Trafic qui permettait aux malheureux de ne pas
mourir empoisonnés par la soupe
qu’on leur servait.
Visionnaire encore, « Hubert Robert a joué un rôle déterminant au
XVIIIe siècle en initiant des liens
« Vue
imaginaire
de la Grande
Galerie
du Louvre
en ruine »
(1796),
de Hubert
Robert.
JEAN-GILLES
BERIZZI/RMN-GP
très profonds entre art et musée,
s’enflamme Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre. Garde des tableaux du roi, il achetait, faisait restaurer et pensait aux aménagements des espaces. C’était un de
nos grands illustres prédécesseurs. » En 1796, son Projet pour
éclairer la galerie du Musée par la
voûte imagine l’éclairage zénithal
de la Grande Galerie, qui demeure.
Il a fait ses classes, comme Cassas, à Rome, entre 1754 et 1765, où il
retient les leçons d’architecture de
Piranèse et Panini. Les ruines sont
à la mode avec le Grand Tour, puis
avec la campagne d’Egypte. Lui
aussi cède à l’« anticomanie ».
Dans ses caprices, il met en scène
avec audace les vestiges des
grands monuments romains, jusqu’à les rassembler. Le Port de Ripetta à Rome, son morceau de réception à l’Académie royale de
peinture en 1766, est une recom-
position fantaisiste, comme il le
fera de Paris, en 1788. Avec nostalgie, il a conscience que la ruine est
inéluctable, la nature reprenant
ses droits. « Oh les sublimes ruines !… Tout s’anéantit, tout périt,
tout passe », écrit Diderot, un de
ses admirateurs. De la même manière, il parle du petit peuple, dont
les tâches quotidiennes animent
ses toiles. Les lavandières sont
omniprésentes. L’eau, symbole du
temps qui passe, est l’élément-clé
de ses vedute, ses vues de Rome.
« Robert avait cette extrême facilité qu’on peut appeler heureuse,
écrit son amie Elisabeth Vigée
Le Brun dans ses Souvenirs. Il peignait un tableau aussi vite qu’il
écrivait une lettre. » Diderot ne dit
pas autre chose : « Il revient d’Italie
d’où il a rapporté de la facilité et de
la couleur. » Le philosophe parle de
« poétique des ruines », de « magie », de « lumière arrêtée, brisée,
réfléchie par la concavité de la
« Garde des
tableaux du roi,
il achetait,
faisait restaurer
et pensait aux
aménagements
des espaces »
SÉBASTIEN ALLARD
directeur du département
des peintures du Louvre
voûte ». Cette voûte, omniprésente, structure ses caprices,
comme L’Incendie de Rome vu à
travers une arche en feu, ou L’Incendie de l’Opéra au Palais-Royal
en 1781, à Paris. Le jeune Hubert
Robert avait hésité entre architecture et peinture.
Charmant, galant, poli, cultivé –
il lit le latin et le grec –, d’une
gaieté sans fard, l’artiste est partout demandé. « Amateur de tous
les plaisirs, sans excepter celui de
la table, il était généralement recherché, je ne crois pas qu’il dînât
chez lui trois fois dans l’année,
s’amuse son amie Elisabeth Vigée
Le Brun, qui signe le beau portrait
ouvrant l’exposition. Spectacles,
bals, repas, concerts, parties de
campagne, rien n’était refusé par
lui ; car tout le temps qu’il n’employait pas au travail, il le passait à
s’amuser. »
Ses choix radicaux surprennent. L’escalier monumental, qui
descend du Vieux Pont, dans un
entrecroisement
improbable
d’arches, est saisissant. Une
même tension émane de ce Paysage avec cascade inspiré de Tivoli,
scène de haute montagne où le
couple du premier plan semble
bien fragile face à la puissance de
la nature. Sur les centaines de
peintures répertoriées et les dizai-
nes de dessins, seuls 2 % sont exposés au Louvre. Le meilleur. « Je
savais que c’était un artiste charmant, note Guillaume Faroult,
mais l’énorme corpus étudié, un
travail de dix ans, m’a permis de
comprendre son exigence de créateur, sa manière d’élargir son
champ, de continuer à se renouveler. » En 1784, il est nommé dessinateur des Jardins du roi, charge
occupée au XVIIe siècle par Le Nôtre. Infatigable travailleur, Hubert
Robert rendra son dernier souffle
à 74 ans, le pinceau en main. p
florence évin
« Hubert Robert, 1733-1808, un
peintre visionnaire ».
Musée du Louvre, Paris 1er,
jusqu’au 30 mai. Tous les jours de
9 heures à 18 heures, sauf le
mardi. Mercredi et vendredi
jusqu’à 21 h 45. Entrée : 15 euros
(collections permanentes et
expositions). www.louvre.fr
Saisis par Oudry, les jardins d’Arcueil reverdissent au Louvre
THÉÂTRE
LA REINE
BLANCHE
à une heure de calèche de paris au
XVIIIe siècle, quinze minutes aujourd’hui
en RER, Arcueil, dans le Val-de-Marne, était
l’excursion favorite des artistes qui découvraient le plaisir et la difficulté de saisir la
nature sur le vif. Ils y trouvaient le pittoresque : de l’eau – la Bièvre – et des ruines – les
pierres de l’aqueduc romain, commandé
par Henri IV et terminé en 1624 pour porter
l’eau jusqu’à Paris. Celui-ci demeure, sous
l’aqueduc monumental édifié au XIXe siècle
en meulière, qui enjambe la vallée avec la
même fonction.
Les artistes venaient aussi à Arcueil pour
la belle architecture et la nature domestiquée des jardins de la noblesse en villégiature : au XVIIIe siècle, huit propriétés se disputaient les coteaux de la Bièvre. Avec François Boucher et Charles-Joseph Natoire, le
plus assidu était Jean-Baptiste Oudry (16861755). Peintre des chasses de Louis XV et directeur des manufactures de tapisseries de
Beauvais et des Gobelins, Oudry est célèbre
pour ses illustrations des Fables de La Fontaine. Il file à Arcueil dès qu’il le peut, et
descend chez M. Douglas. Cette maison
dite d’Oudry, dont il reste un mur et un
bout de jardin, se trouve encastrée entre
des barres d’immeubles, à deux pas de
l’église médiévale et de la maison de Ronsard, aujourd’hui disparue.
Cinquante-sept dessins pris sur le vif
Jusqu’au 20 juin, le Louvre fait renaître
Arcueil en 57 dessins pris sur le vif entre
1744 et 1752, empruntés à des musées et collectionneurs américains, britanniques, allemands ou français. « L’exposition permet,
indique Xavier Salmon, son commissaire,
directeur du département des arts graphiques, de montrer pour la première fois ce
que pouvaient être les jardins d’Arcueil, avec
la Bièvre qui coule en contrebas, l’aqueduc
qui barre la vallée. » Oudry saisit les jeux de
perspective sur les coteaux en escaliers, les
lignes de fuite, les ombres et les lumières
sous les frondaisons. Il travaille sur du papier bleu à la pierre noire et à la craie blanche. Il capte les trouées du soleil sur un
treillage, le rayon lumineux sur un escalier.
La mode était, comme à Versailles, aux
bosquets, ces cabinets de verdure qui se re-
ferment sur eux-mêmes, et aux bassins,
fontaines, grottes et jeux d’eau, décors des
fêtes galantes en vogue. Les rares personnages auraient été rajoutés par Hubert
Robert, son contemporain.
Aujourd’hui, avec le plan du catalogue de
l’exposition pour boussole, il faut se prêter
à un jeu de piste entre les HLM dressés le
long du vallon pour dénicher ce qui reste
des douze hectares des jardins que Françoise de Brancas, princesse d’Harcourt,
avait achetés en 1692, avec un château
auquel elle redonna vie. La Bièvre, invisible,
passe sous la grand-rue. De rares îlots verts
subsistent. L’aqueduc est un bon repère.
Les propriétés venaient s’y accoler pour disposer de l’eau courante. Ainsi encore de
l’édifice rescapé, la Faisanderie du prince de
Guise, en passe de retrouver son aspect original grâce à un investissement privé soutenu par la Fondation du patrimoine. p
fl. é.
A l’ombre des frondaisons d’Arcueil.
Dessiner un jardin au XVIIIe siècle.
Musée du Louvre, jusqu’au 20 juin.
culture | 15
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
«Mies Julie»,
l’après-apartheid
épinglé au cœur
Yaël Farber transpose la pièce
de Strindberg en Afrique du Sud,
dont elle brosse un tableau cinglant
L
THÉÂTRE
es murs du Théâtre des
Bouffes du Nord, à Paris,
semblent ruisseler de
chaleur. Une chaleur
moite, qui colle aux corps et que
le ventilateur à pales brasse en
vain, dans la nuit d’orage qui
s’annonce. Nous sommes en
Afrique du Sud, où Mademoiselle
Julie, d’August Strindberg, fait
une halte. Pour l’occasion, elle devient Mies Julie et quitte les brumes du Nord qui l’ont vue naître,
en 1888. Ce n’est pas la première
fois que cela lui arrive : Mademoiselle Julie n’a jamais cessé de
voyager, de s’adapter aux pays et
aux époques, de faire fantasmer
comédiennes et metteurs en
scène. Sans jamais se départir du
parfum de scandale qui l’entoure, comme le montre la présentation des Bouffes du Nord.
La Sud-Africaine Yaël Farber
(née en 1971), qui a adapté et mis
en scène la pièce, et que l’on découvre en France, raconte avoir
passé ses étés d’enfance dans le
Karoo, une région qui, dit-elle,
« en dépit de deux décennies de démocratie en Afrique du Sud, reste
un ferme bastion du conservatisme social et politique ». C’est
donc là qu’elle a choisi d’emmener Julie, comme, récemment, la
Brésilienne Christiane Jatahy
l’avait emmenée (sous le titre de
Julia) dans la banlieue cossue de
Rio de Janeiro.
Il est intéressant de noter que,
dans les deux cas, ce sont des femmes qui portent un regard sur la
pièce d’August Strindberg, grand
misogyne devant l’éternel. Ni
l’une ni l’autre ne vont sur ce terrain. Elles se servent de Mademoiselle Julie comme d’un matériau,
d’après lequel elles écrivent leur
propre pièce, qui contextualise
l’histoire, aujourd’hui, en en gardant la trame. Chez Strindberg,
Julie est une jeune aristocrate de
la fin du XIXe siècle qui, la nuit de
la Saint-Jean, fait l’amour avec
Jean, le valet de son père. Chez
Christiane Jatahy, Jean devient Jelson, le chauffeur du père de Julie.
Chez Yaël Farber, Jean est John, qui
cire les bottes du patron. Tous les
deux sont noirs.
Chassés par les Boers
Ainsi se déplace la lutte des classes, de Mademoiselle Julie à Julia et
Mies Julie. Non seulement la pièce
l’autorise, elle l’encourage. Elle
tire sa force de la mise en place
d’une situation, plus que de son
Bongile
Mantsai
(John) et
Hilda Cronjé
(Julie).
COURTESY OF SRT WATSON LAU
contenu, qui doit être repensé
pour tenir la route. C’est ce qui fait
sa force : il faut sans cesse des habits neufs à Mademoiselle Julie.
Aux Bouffes du Nord, ce seront
une jupe-foulard, vite ouverte sur
la cuisse, et un débardeur qui exclut le soutien-gorge. Mies Julie
est dans la cuisine où tout se joue.
Une cuisine pauvre, mais sacrée
pour Christine, la mère de John :
sous son plancher reposent les
corps des ancêtres, qui habitaient
cette terre avant que les arrièregrands-parents boers de Julie ne
les chassent pour bâtir une ferme.
La mère de Julie, elle, repose
sous des saules, non loin de la
ferme, comme ses ancêtres.
Quand elle est arrivée de la maternité, elle a aussitôt mis sa petite
fille dans les bras de Christine, qui
l’a élevée. Des années plus tard,
Tout se joue dans
la cuisine, pauvre
mais sacrée.
Sous le plancher
reposent
les corps des
ancêtres de John
elle s’est suicidée, et Julie est restée seule avec son père, qui aurait
aimé un fils pour lui succéder. Il a
cherché à marier Julie, qui vient
de rompre ses fiançailles quand la
pièce commence, en cette nuit où
les ouvriers fêtent la liberté. Julie
rôde dans la cuisine, où Christine
s’occupe de sa chienne, qu’elle
veut faire avorter parce qu’elle est
enceinte d’un bâtard noir. Elle
tourne autour de John, qui lustre
nerveusement les bottes.
John est jeune, il a un corps athlétique et une immense colère en
lui. Il lit tout ce qu’il trouve, il voudrait une autre vie. Quand il parle
de lui, il dit être un kaffir (« noir »),
reprenant ainsi le mot d’insulte
que les Boers considéraient
comme naturel. John ne fait pas
l’amour avec Mies Julie : il la
« baise », c’est une saillie, du sang
rouge entre les cuisses. Elle sait insupportable cette transgression
qu’elle a provoquée. Elle n’y survivra pas, et se tuera à l’aube. Entretemps, John et elle auront vidé
leur sac, jusqu’à la lie : question de
la terre et de sa propriété, brûlure
des souvenirs communs, combat
du passé et futur.
Ce portrait d’une Afrique du Sud
est cinglant. Yaël Farber a trouvé
les mots qui épinglent l’aprèsapartheid au cœur de Mademoiselle Julie. Elle a aussi trouvé les comédiens : magnifique rondeur de
Zoleka Holesi en Christine, extraordinairement présente et hors
du temps, force nerveuse de Bongile Mantsai en John, tension désespérée de Hilda Cronjé en Julie.
Mies Julie. p
brigitte salino
Mies Julie, d’après Strindberg.
Adaptation et mise en scène : Yaël
Farber. Théâtre des Bouffes du
Nord, 37 bis, boulevard de
La Chapelle, Paris 18e.
Tél. : 01-46-07-34-50. De 11 €
à 30 €. Du mardi au vendredi, à
20 h 30 ; samedi 16 avril, à 15 h 30
et à 20 h 30 (dernières).
Durée : 1 h 15.
En anglais surtitré.
Chante-moi d’où tu viens…
Tous les jeudis, la chorale Musiterriens invite des étrangers du monde entier à joindre leurs voix. Concert le 15 avril à Paris
L
MUSIQUE
e bras en l’air comme s’il dirigeait le mouvement, Jahangir a l’œil brillant de sa
propre surprise à être là au milieu
de tous ces gens – des Français,
deux Sénégalais, deux Tibétaines,
un Tchadien, deux Egyptiens, un
Bengali et un autre Pakistanais
comme lui – qui reprennent
Awara Hoon, la chanson d’un
vieux film de Bollywood qu’il leur
a proposée. Comme s’ils l’avaient
toujours connue.
Awara Hoon, cela veut dire « Je
suis un vagabond ». Jahangir le
leur a dit : « Celui qui chante cette
chanson, il est comme moi. Il est flâneur, il n’a pas de maison. Il n’a personne qui l’aime. Il est tout seul, pas
de copine. Quelle pauvreté ! Mais il
a tout le temps le sourire. Il est malchanceux mais beau, et ce n’est pas
grave, il chantera toujours des
chansons de bonheur et d’amour. »
Et c’est vrai qu’il est beau Jahangir,
à sourire comme ça en chantant.
Il est 20 heures. Un jeudi soir au
Centquatre, ce grand ensemble
pour cultures polymorphes au
nord de la capitale. Asim a fini sa
journée de peintre en bâtiment, Jahangir a rangé les perruques dans
la boutique du boulevard de Strasbourg où il travaille, Mamadou
s’est reposé un peu avant de venir –
il travaille tôt le matin dans une société de nettoyage…
Combats du vivre-ensemble
La salle se remplit de ces choristes
et des amateurs et professionnels
de l’association Les Musiterriens,
une dizaine de musiciens, clarinettes, trompettes, basse, guitare,
ont pris place au fond. Ils préparent un répertoire de chants d’ici
et de là-bas qui seront présentés le
15 avril à l’Auditorium Saint-Germain de la Maison des pratiques
artistiques amateurs, fin mai au
Centquatre et le 5 juin à la halle Pajol : Chants de fête.
Le projet est né de la rencontre
entre cette chorale du 11e arrondissement et l’ENS, Ecole normale sociale, qui – certes un peu moins cotée que son homonyme, l’Ecole
normale supérieure, mais tout
aussi utile – enseigne dans le 18e le
français à une centaine de migrants. « Ensemble : c’est le mot essentiel », explique Marianne Feder,
la directrice artistique et chef de
chœur des Musiterriens, passée
dans ses jeunes années par le DAL
(Droit au logement) et les squats :
« On se mélange et c’est ce que je
trouve vraiment fort. »
Comme Jahangir, le rigolo Shahid qui, lui, vient du Bangladesh, a
proposé une chanson Bollywood,
Kal Ho Naa Ho en langue hindi.
Adel, l’Egyptien, a choisi Ahsan
Nas « d’une grande chanteuse de
mon pays », Dalida. Tim, pas encore 20 ans, qui a quitté sa famille
et le Tchad, il y a trois ans, et prépare aujourd’hui un CAP de cuisinier, leur a appris Premier Dimanche. Dans son village, chaque premier dimanche du mois, les gens
se réunissent en effet pour danser.
Apolline, la danseuse, a proposé
une chorégraphie pour son mor-
La Canopée hébergera chorales
et orchestres amateurs
Guillaume Descamps, le directeur de la Maison des pratiques artistiques amateurs (MPAA), est satisfait : au deuxième étage de
la Canopée des Halles à Paris, la MPAA inaugure, cette semaine,
son quatrième site, après l’Auditorium Saint-Germain (6e arrondissement), l’antenne installée dans l’ancien hôpital Broussais
(14e) et la salle de la rue Saint-Blaise (20e). Nouveauté, aux Halles, trois des cinq salles seront consacrées à la musique. Avec
une priorité pour les grandes formations. Ce ne sont pas des associations qui sont accueillies ici, mais des projets. A des tarifs
quatre à cinq fois inférieurs à ceux du marché, l’objectif est de
soutenir les aventures amateurs. Créée en 2008, la MPAA prévoit
l’ouverture d’une cinquième antenne, rue Breguet, dans le 11e.
ceau et d’un seul coup, le jeune garçon taiseux s’est révélé.
L’intégration par la musique ? Le
projet ne saurait se résumer à un
intitulé de demande de subvention auprès du ministère de la culture. Avec humilité, dans l’ombre
des structures sociales, des expériences comme celle-là se multiplient un peu partout, en théâtre,
arts plastiques ou comme ici avec
le chant. Il faut en déployer de
l’énergie pour mener à bien ces
combats du vivre-ensemble.
La chanteuse Marie Estève, qui
travaille sur les chants du monde,
a animé des ateliers avec l’association Graine de soleil à la Goutte
d’or et pendant trois ans l’atelier
Partage de chants à la Maison des
parents de Bobigny. « Au début,
tout allait bien, raconte-t-elle. Les
femmes étaient nombreuses à venir, et puis, quand il s’est agi de
donner un petit concert à la bibliothèque, c’est devenu plus compliqué, elles ne voulaient pas, avaient
peur du regard social. Petit à petit,
elles se sont mises à porter le voile
et elles ont déserté. »
La route est longue, Marianne
Feder le sait. Sarah vient, ne vient
plus, revient. Jawal, le Soudanais,
lui aussi est parti, il a trouvé un
boulot le soir… « Ah celui-là, un
poète, formidable, un talent, il me
manque… », soupire la chanteuse.
Mais voir Asim le timide se déchaîner en dansant sur le finale
d’On n’est pas là pour se faire engueuler, de Boris Vian, a quelque
chose d’éminemment jubilatoire :
« Alors, on est descendu chez Satan
et, là-bas, c’était épatant ! Ce qui
prouve qu’en protestant on peut,
de temps en temps, finir par obtenir des ménagements. »
Par-dessus les voies ferrées, les
ombres de Yaya et Mamadou filent dans la nuit. Ils ont fièrement
prévenu leurs copains, au foyer,
du concert du 15 avril… « Ils vont
tous venir, tu verras. » p
laurent carpentier
Maison des pratiques amateurs,
Auditorium Saint-Germain,
4, rue Félibien, 75006 Paris.
Vendredi 15 à 20 h 30
(entrée libre).
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0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Des bulles
de talent parmi
les bulbes
de printemps
Trois festivals, à Aix-en-Provence,
à Bastia et à Marne-la-Vallée,
éclairent la face audacieuse du 9e art
BANDE DESSINÉE
bastia, aix-en-provence
et marne-la-vallée
A
ceux qui douteraient
de la vitalité de la bande
dessinée, on ne saurait
que trop conseiller de
profiter du printemps. Plus de
deux mois après le Festival d’Angoulême, la saison des Salons de
« taille moyenne » bat son plein,
dans un épanchement d’audace et
de créativité. BD à Bastia et les Rencontres du 9e art d’Aix-en-Provence se sont déroulés durant le
même week-end (du 1er au 3 avril),
la 3e édition du Pulp Festival s’est
ouvert vendredi 8 avril à La Ferme
du Buisson (la scène nationale de
Marne-la-Vallée, en Seine-etMarne). Si la proximité de ces manifestations n’est que pur hasard,
leur cousinage sur le fond témoigne d’une réflexion commune et
militante : utiliser les potentialités
narratives de la bande dessinée
pour la mettre en scène « autrement », au-delà du triptyque éculé
exposition-dédicaces-débats.
Au centre culturel Una Volta de
Bastia, cela fait vingt-trois ans que
la directrice artistique, Dominique Mattei, accueille la fine fleur
de la création française et internationale. L’accent, ici, est mis sur le
format des expositions : nombreuses (18, cette année), elles
sont relativement réduites en volume. L’idée est de montrer des
séquences narratives de quelques
planches que le visiteur pourra
lire sans connaître au préalable
l’œuvre en question.
Consacrée au retour du western,
l’exposition principale de l’édition 2016 proposait ainsi des extraits soigneusement sélection-
nés du Bouncer (Glénat), de François Boucq, d’Undertaker (Dargaud), de Ralph Meyer et Xavier
Dorison, ou encore de L’Homme
qui tua Lucky Luke (Dargaud), de
Matthieu Bonhomme. Aux murs
des autres espaces : Charles
Burns, Edmond Baudoin, Pénélope Bagieu, Ruben Pellejero…
Autant d’auteurs « hors promotion » (qui n’ont pas publié cette
année), choisis par la directrice du
festival, pour qui le pari de l’esthétique dans une ville de 40 000 habitants n’a rien d’une lubie.
« Un rapport simple et familier »
« Quel que soit son niveau de connaissance, le public sait reconnaître la qualité d’une œuvre, explique Dominique Mattei. Ce qui
compte, alors, c’est d’inscrire dans
la durée l’émotion qu’elle génère, en
donnant des clés de compréhension. » Des animateurs « formés »
au décryptage des originaux sont
présents dans chaque salle, alors
qu’une librairie éphémère met en
vente uniquement des ouvrages
des auteurs invités. Les dédicaces,
elles, se font au bar du centre culturel de façon improvisée –
« d’égal à égal, dans un rapport de
proximité ». Un gros travail, enfin,
de sensibilisation à la BD est entrepris toute l’année auprès des scolaires, qui constituent un tiers des
visites (14 000). Porté par une centaine de bénévoles et un budget de
180 000 euros, BD à Bastia doit
aussi son succès à un principe
gravé dans le marbre : la gratuité.
Celle-ci est également de mise
aux Rencontres d’Aix, dont c’était
la 13e édition ce même week-end.
« Il nous semblait absurde de faire
payer l’accès à un événement qui invite à acheter des livres », indique
Dessin extrait de « Vivre à FranDisco » (Fremok), du plasticien belge Thierry Van Hasselt.
THIERRY VAN HASSELT
Les trois
manifestations
mettent en scène
la bande dessinée
« autrement »,
au-delà du
triptyque éculé
expositiondédicaces-débats
son directeur artistique, Serge
Darpeix. Comme à Bastia, un
point de vente temporaire – cogéré par quatre librairies de la ville
– propose non pas les dernières
nouveautés, mais des albums
« associés à la programmation ».
L’autre caractéristique de ce Salon
qui n’en porte pas le nom est la durée des expositions : deux mois.
Coproduites, pour certaines, avec
d’autres manifestations, elles ont
été pensées en fonction de leur
lieu. Parmi les plus notables, cette
année : l’accrochage, dans l’atelier
de Cézanne, de planches de Rembrandt (Casterman), une évocation du peintre par l’illustrateur
néerlandais Typex ; ou encore Vivre à FranDisco (Fremok), un projet de ville féerique sorti de l’imagination d’un artiste trisomique,
Marcel Schmitz, mis en scène graphiquement par le plasticien belge
Thierry Van Hasselt, à l’occasion
d’une résidence à la Fondation Vasarely. « Notre but est de montrer
que la bande dessinée, c’est autre
chose que l’idée qu’on s’en fait »,
souligne Serge Darpeix.
Il arrive néanmoins que le projet
fasse grincer quelques dents,
comme, en 2015, avec la déambulation consacrée à l’univers torturé de Stéphane Blanquet, dans
une chapelle de la ville. « Nous
avons bizarrement la chance
d’avoir des élus qui nous laissent
travailler sur le contenu », souffle
le programmateur de ce festival
qui émane de l’office du tourisme
municipal, doté d’un budget de
230 000 euros et qui comptabilise
60 000 visites entre avril et mai.
Autre concept, mais même volonté de sortir le médium de ses
cases, le Pulp Festival va sans
doute encore plus loin dans la
mise en scène, au sens propre, de
la bande dessinée. S’il est question,
là aussi, d’expositions « inhabituelles » – Blutch présente des
planches remplies d’influences du
9e art, Winshluss déstructure des
jouets et des contes de l’enfance,
Marc-Antoine Mathieu invite à
cheminer muettement à l’intérieur de son dernier album, S.E.N.S.
(Delcourt)…. –, d’autres disciplines
artistiques sont convoquées.
Le cinéma, avec un montage filmique de la scénariste Loo Hui
Phang autour de Billy the Kid, en
filigrane duquel dessineront
Fanny Michaëlis et Philippe Dupuy (et Rodolphe Burger jouera les
morceaux d’un ancien album). Le
théâtre, avec un Richard III dont la
scénographie a été confiée à Stéphane Blanquet. L’improvisation,
avec des battles de dessin qui ressuscitent l’émission « Tac au Tac »,
de Jean Frapat, des années 1970…
Quelque 17 000 spectateurs
(payants) sont attendus, jusqu’au
24 avril, à La Ferme du Buisson.
« Le public d’aujourd’hui a un rapport simple et familier à la bande
dessinée, en raison du fait qu’il en a
beaucoup lu pendant son enfance,
souligne son directeur, Vincent
Eches. Cette proximité singulière
autorise la création de formes inédites et audacieuses aux confins
des autres arts, et sans que personne trouve à y redire. » Parions
que tout cela n’est qu’un début ? p
frédéric potet
Pulp Festival à La Ferme du
Buisson, Marne-la-Vallée
(Seine-et-Marne), jusqu’au
24 avril. Lafermedubuisson.com
Lucas Debargue, tout entier possédé par le piano
Le Français de 25 ans, qui a fait sensation au Concours Tchaïkovski de Moscou, en 2015, sort son premier album
L’
MUSIQUE
excitation était palpable, le
24 mars, à l’auditorium de
la Fondation Louis Vuitton, qui accueillait un récital de
Lucas Debargue, le pianiste français qui a si fort impressionné le
dernier Concours Tchaïkovski de
Moscou, en juillet 2015. Unique
Français inscrit à la compétition, le
jeune homme de 24 ans est arrivé
en finale de cette 15e édition, avec
cinq autres candidats, après avoir
galvanisé l’auditoire avec Gaspard
de la nuit, de Ravel.
Une prestation retransmise par
Medici TV devant plus de 6 millions de téléspectateurs, qui a enflammé les réseaux sociaux et lui
a valu la création d’une page
VKontakte, le Facebook russe.
Pour n’avoir remporté que le quatrième prix de ce grand concours
international créé en 1958, Debargue a été l’unique candidat récompensé par le Prix spécial de la
critique musicale, laquelle, depuis, ne le lâche pas d’une semelle, si l’on en croit les attachés
de presse.
Le musicien s’est aussi attiré la
protection appuyée de personnalités aussi éminentes que le
chef d’orchestre Valery Gergiev,
qui préside, depuis 2011, la prestigieuse compétition moscovite,
ou le pianiste Boris Berezovsky,
membre du jury plutôt mécontent du classement de celui dont
il a tout simplement déclaré :
« C’est un génie ! » Le premier l’a
aussitôt invité à jouer en récital
au Théâtre Mariinsky de SaintPétersbourg, dont il est l’omnipotent directeur, le second au
festival Pianoscope de Beauvais,
dont il assure la programmation.
Longues mains animales
Il y aurait de quoi faire tourner
bien des têtes, mais le jeune Picard
n’a (presque) rien changé à ses habitudes. Il continue en tout cas à
travailler à l’Ecole normale de musique de Paris – il y passera, d’ici à
la fin avril, sa licence de concertiste – avec sa prof de piano, Rena
Chereshevskaia, rencontrée en
2011 au Conservatoire de RueilMalmaison (Hauts-de-Seine), qui
l’a emmené à Moscou après l’avoir
préparé au Conservatoire de Paris,
où il a suivi la classe de Jean-François Heisser jusqu’en 2015.
Il faut oublier les rumeurs de ce
qui ressemble au début d’un mythe – l’approche tardive et semiautodidacte de la musique à
11 ans, l’arrêt du piano durant
trois ans au profit d’études littéraires, l’embauche dans un supermarché. Le jeune homme qui
vient d’entrer sur le plateau est
mince, presque trop. Lunettes
cerclées, chevelure ondulée de
poète, regard clair mélancolique,
il ressemble, trait pour trait, aux
photos qui le désignent artiste,
entre autisme et romantisme.
Comme sur la pochette de son
premier album (récital Scarlatti,
Ravel, Liszt, Chopin), qui vient de
sortir chez Sony (la major l’a signé quasiment au saut du concours), la tête entre les mains,
dans la posture muette du Cri,
d’Edvard Munch, un visage dont
la bouche aurait été fermée par
la musique.
Quatre sonates de Scarlatti
ouvrent le récital. Debargue fait
de chacune d’elles un monde à
part. Son jeu porte la marque de
l’improvisation, une urgence féline et claquante, d’une douceur
impitoyable traversée de fulgurantes raucités. Le visage est un
écran où se lit le reflet de la musique, mobile, tourmenté, parfois
convulsé de douleur ou apaisé de
béatitude.
Lucas Debargue n’a pas peur du
silence, qu’il observe longuement avant de commencer à
jouer, à moins que ce ne soit lui
qui ne le regarde. Sent-il à quel
point le public attend ce Gaspard
de la nuit, de Ravel, qui le sortit
de l’anonymat à Moscou ? Enfin,
Son jeu est
marqué par une
urgence féline,
d’une douceur
impitoyable,
traversée
de fulgurantes
raucités
« Ondine » et son maillage trémulant de courtes décharges de
couleurs sous la ligne tendue,
épurée.
Debargue joue d’un seul tenant,
comme si chaque note appelait la
suivante. Nulle part ce maniérisme ruisselant de l’impressionnisme, ces miroitements et clapotis qui sont à la musique française
ce que le mijoté à feu doux est au
court-bouillon. Les longues mains
animales de Debargue frappent et
caressent en même temps, capables de crépitements à l’arme automatique, mais aussi d’amollissements un rien swingués dans les
chromatismes, qui rappellent qu’il
pratique aussi le jazz entre amis.
« Scarbo » naîtra du « Gibet ».
Coups de pied, de poing, senteurs démoniaques, poses simiesques, le pianiste manie la dynamique comme de la dynamite, expert en contrastes et en prosodie.
Pas la moindre distance entre le
corps de l’interprète et celui de
son instrument. C’est une question de vie ou de mort. Ravel y gagne des abîmes, des nostalgies,
des incertitudes.
La Sonate en si mineur, de Liszt,
est sans conteste l’un des chevaux
de la bataille pianistique. Cette
fois, c’est la musique qui mène
l’interprète par la bride du clavier.
Comme possédé, Debargue est un
Mazeppa qui ose de saisissants
cabrages d’accords, un galop de
fugue compulsif jusqu’à l’épuisement, dont le squelette semble
donner à entendre la mécanique
même de la pensée contrapuntique. On en sortira groggy.
En bis, une Première Barcarolle,
de Fauré, délicatement ourlée de
poésie sera suivie du tube de
1956 de Nat King Cole, Just You,
Just Me, joué sans complaisance
ni complicité. Ils achèveront de
convaincre que Lucas Debargue
est non seulement un cas, mais
un authentique talent. p
marie-aude roux
Fondation Louis Vuitton,
à Paris-16e. Prochain concert avec
Alexandre Kantorow (piano),
le 11 avril, à 20 h 30. De 15 € à 25 €.
Fondationlouisvuitton. fr
1 CD Récital Scarlatti, Ravel,
Liszt, Chopin, chez Sony Classical.
télévisions | 17
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Cède enfants de « seconde main »
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Edifiant bien qu’incomplet, un documentaire dévoile le système de réadoption aux Etats-Unis et ses dérives
FRANCE 5
MARDI 12 – 20 H 45
DOCUMENTAIRE
A
Topton (Pennsylvanie), dans une église
évangélique, se tient,
ce dimanche, un spectacle aux allures de fête de patronage. Aux allures seulement, car
derrière une parodie de défilé de
mode pour enfants se révèle une
réalité proprement sidérante. En
effet, devant un parterre d’hommes et de femmes, venus seuls ou
en couple, de jeunes enfants, sans
autre choix, se prêtent à ce cruel
simulacre pour tenter de capter
l’attention de potentiels parents,
afin d’être réadoptés.
Aussi révoltants que soient le
procédé et sa mise en scène, rien
n’est ici illégal. En effet, aux EtatsUnis, ainsi qu’on le découvre
dans le documentaire édifiant de
Sophie Przychodny, un simple
acte notarié permet à une famille
adoptive de se débarrasser d’un
enfant adopté. Cette pratique
du « rehoming » (« trouver un
nouveau propriétaire ») a fait naître, en marge des adoptions officielles, un marché parallèle dans
lequel se sont engouffrées de
nombreuses associations privées
qui proposent, sur catalogue ou
sur leur site Internet, à moindre
coût (5 000 dollars pour les frais
de procédure contre le double
Un quart des enfants adoptés passerait de main en mains chaque année aux Etats-Unis. BABEL PRESS
pour adoption classique), des
« enfants de seconde main »,
comme Jack, 14 ans.
Trouble et interrogations
Abandonné avec sa sœur par ses
géniteurs à 8 ans, l’adolescent a
vécu pendant quatre ans dans une
famille adoptive avant que celle-ci
ne le redonne, en le séparant de sa
sœur. « J’étais détruit, explique-t-il
d’une voix douce et calme. C’était
la dernière personne de mon sang
que je connaissais. » Après s’être
soumis à l’exercice du défilé, Jack
doit rencontrer un père potentiel
en la personne de Tom. En aparté,
ce professeur, célibataire et sans
enfant, confie avec une désinvolture glaçante : « Ici, Je n’ai rien à
perdre, ni à gagner »… Sans grande
surprise, on apprendra qu’après
quelques semaines de cohabitation, Tom, finalement, a remis sur
« le marché » Jack, pour incompatibilité d’humeur.
Des « enfants jetables » comme
Jack, il en existe des dizaines de
milliers aux Etats-Unis. Plus exactement, selon Sophie Przychodny,
un quart des enfants adoptés passerait chaque année de main en
main, plus ou moins légalement.
Car en plus de ce second marché,
un autre, plus occulte, s’opère sur
Internet, via des petites annonces
qui attirent les prédateurs
sexuels. Comme l’a révélé, en 2013,
l’affaire Nicole et Calvin Eason, un
couple condamné pour maltraitance et abus sexuels – et sur
laquelle l’Etat de l’Illinois s’est ap-
puyé pour légiférer afin de limiter
le système de réadoption et
mieux l’encadrer.
Un système contre lequel se bat
James Langevin, député démocrate. Au Congrès, il milite afin
que soit promulguée une loi visant à interdire la réadoption et à
aider les parents adoptifs pour
éviter la rupture. Mais ce dernier
semble esseulé, au vu du documentaire de Sophie Przychodny.
Bien que poignant, son film suscite cependant autant de malaise, de trouble que d’interrogations quant à certains oublis
ou imprécisions.
Certes, la Russie a promulgué,
en 2012, une loi interdisant l’adoption d’enfants russes par des Américains, mais moins pour des raisons humanitaires que politiques.
De même peut-on regretter l’absence de toute association de défense des droits de l’enfance, de
spécialistes de l’adoption, afin de
comprendre ce que recouvre le
problème de l’adoption aux EtatsUnis, ou des membres de services
de l’enfance. Ce qui aurait sans
doute permis à la réalisatrice de se
mettre davantage à distance de
son sujet et ainsi de ne pas tomber
dans le trop-plein émotionnel. p
christine rousseau
Etats-Unis, enfants jetables,
de Sophie Przychodny
(Fr., 2016, 55 min).
Sylvie Brun invite à un voyage dans l’univers des scientifiques qui tentent de nous mener vers la vie éternelle
V
ivre le plus longtemps
possible, et si possible en
bonne santé. Pourquoi
pas aussi, pendant que l’on « rêve »,
ne jamais mourir ? Ces préoccupations de l’homme concernant son
propre avenir, à plus ou moins
long terme, servent de fil conducteur au documentaire de Sylvie
Brun, qui est allée à la rencontre
des scientifiques et des entrepreneurs dont l’ambition est de nous
mener vers la vie éternelle. Au fur
et à mesure des avancées scientifiques et technologiques – et des résultats concrets auxquels elles
aboutissent – s’éloigne l’idée que
l’immortalité relève du domaine
des croyances.
Cryogénie (qui consiste à congeler le corps en attendant de pouvoir le réveiller), clonage, transhumanisme (sorte d’association entre l’homme et la machine), numérisation de la conscience et du
cerveau… A travers le monde, la recherche tente par tous les moyens
de repousser l’inéluctable. Une vie
sans fin qui accorderait à l’individu la toute-puissance sur le destin même de l’humanité, annulerait la nécessité de devoir se reproduire et freinerait – voire anéantirait totalement – l’évolution de
l’espèce humaine.
Passionnant et glaçant
Le documentaire soulève toutes
ces questions – sociétales, ethnologiques, philosophiques – à chaque étape de son déroulement,
qui nous conduit dans différentes universités et centres de recherche à travers le monde. Un
voyage passionnant et glaçant
durant lequel semblent s’élaborer, au sein de plusieurs disciplines, les pièces d’un puzzle qui, un
jour, pourraient finir par s’agencer les unes aux autres et atteindre le but recherché.
C’est le sentiment que fait naître
le documentaire lors de sa longue
étape dans la Silicon Valley, en Californie, où les start-up spécialisées
dans les technologies de la miniaturisation, de la biologie, de l’informatique et des sciences cognitives
bénéficient de l’appui et du financement de gros investisseurs pour
TF1
20.55 Unforgettable
Série créée par Ed Redlich et John
Bellucci. Avec Poppy Montgomery,
Dylan Walsh, Dallas Rovert
(EU, saison 3, 13/13, S4, ép. 1/13,
S2, ép. 3/13).
France 2
20.55 Rendez-vous
en terre inconnue
Clovis Cornillac chez les Miao
Magazine présenté par Frédéric
Lopez.
23.55 L’insertion
est un sport d’endurance
Documentaire de Jean-Marc Surcin
(Fr., 2016, 65 min).
France 3
20.55 Meurtres à Carcassonne
Téléfilm dramatique de Julien
Despaux. Avec Bruno Wolkowitch,
Rebecca Hampton (Fr., 2014, 95 min).
22.10 Le Divan
de Marc-Olivier Fogiel
Magazine animé
par Marc-Olivier Fogiel.
Canal+
21.00 Les Gorilles
Comédie de Tristan Aurouet.
Avec Manu Payet, Alice Belaïdi
(Fr., 2015, 75 min).
22. 15 Phoenix
Drame de Christian Petzold.
Avec Nina Hoss, Ronald Zehrfeld
(All., 2014, 100 min).
France 5
20.45 Etat-Unis, enfants jetables
Documentaire de Sophie Przychodny
(Fr., 2016, 55 min)
22.00 Etats-Unis,
le pays des armes à feu
Documentaire de Chantal Lasbats
(Fr. 2015, 55 min).
Vivre et ne pas mourir
ARTE
MARDI 12 – 22 H 40
DOCUMENTAIRE
M AR D I 1 2 AVR IL
faire avancer la recherche au plus
vite. Cette configuration, proche
de celle dont profita Internet dans
les années 2000, a prouvé son efficacité. Celle-ci pourrait être décuplée. Et pour cause, les acteurs de la
Silicon Valley sont mus par une
motivation bien plus forte que la
précédente. Tous se battent, non
pour l’argent, mais pour leur propre immortalité. Une quête qui
n’a pas de prix. p
véronique cauhapé
Immortalité, dernière frontière,
de Sylvie Brun (Fr., 2016, 90 min).
Arte
20.55 Inondations :
une menace planétaire
Documentaire de Marie Mandy
(Fr., 2015, 90 min).
22.40 Immortalité,
dernière frontière
Documentaire de Sylvie Blum
(All., 2016, 90 min).
M6
20.55 The Island :
seuls au monde
Episode 5 : l’île des femmes.
Télé-réalité présentée par Mike Horn.
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 086
HORIZONTALEMENT I. Sténodactylo. II. Tonitruer. Ir. III. Rut. Iu. Pound.
IV. Acretés. Ur. V. Thème. Assour. VI. Aa. Osâtes. Si. VII. Gnon. Mirée.
VIII. Etudiant. Ter. IX. Mère. Naïveté. X. Essentielles.
VERTICALEMENT 1. Stratagème. 2. Touchantes. 3. Entre. Ours. 4. Ni.
Emondée. 5. Otites. 6. Drue. Amant. 7. Au. Satinai. 8. Cep. Sertie.
9. Trousse. Vl. 10. Uro. Etel. 11. Lin. US. Eté. 12. Ordurières.
I. Met les valeurs à mal. II. Dressé en
désordre. Compris. III. Indispensables
dans les chaînes. Circule toujours en
Suisse et en Afrique. IV. Le neuvième
fait des bulles. Equipement souvent
bien compliqué. V. Grande voie. Amateur de son. Démonstratif. Personnel.
VI. Résiste au lavage s’il est grand. Toqué quand il se retrouve au piano.
VII. Livre de comptes. Ceint la belle
Nippone. VIII. Rejoint le Danube en
passant par l’Autriche. Dame aux longues oreilles. Souvent plaqué. IX. Ecrit
l’histoire au jour le jour. Fait tache au
soleil. Préparé pour passer à la poêle.
X. Grand danger quand on ne les entend plus.
VERTICALEMENT
1. Fait grand ménage dans la tuyauterie. 2. Belle comme une défense qui
n’est pas interdite. 3. Apprécié des travailleurs, moins des patrons. Ardents.
4. Voie de passage. Etoile parfumée.
5. Toujours en déplacements. Sur la
portée. 6. Sa résine a des parfums
d’ambre gris. Divin porteur de marteau. 7. Vert et bien droit. Fit le malin.
8. Donnent des couleurs à la ville.
9. A l’abri dans son coin. Bien droit au
sommet. 10. Cours du Nord. Défend
le monde du travail en principe. Sorties du chaos. 11. On ne sait pas d’où
ils viennent. Fut capitale pour les Allemands. 12. Des forces et des énergies qui font de plus en plus peur.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
Les Unes du Monde
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ie
Universalis
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65 e Année
- N˚19904
- 1,30 ¤ France métropolitaine
L’investiture
de Barack
Nouvelle édition
Tome 2-Histoire
---
Jeudi 22 janvier
Uniquement
2009
Fondateur
Premières mesures
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
: Hubert Beuve-Méry
En plus du «
en France
- Directeur
Monde »
métropolitaine
: Eric Fottorino
Obama
des audiences
à Guantanam
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Barack et
Michelle Obama,
à pied sur
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WASHINGTON
Avenue, mardi
20 janvier,
CORRESPONDANTE
se dirigent
montré. Une
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nouvelle génération
Blanche. DOUG
tallée à la tête
s’est insqui ait jamais la plus considérable
MILLS/POOL/REUTERS
a Les carnets
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d’une chanteuse.
national de été réunie sur le Mall
de Angélique
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Washington,
Des rives du commencé.
Kidjo, née au
Obama a prononcé,
a Le grand
Barack lantique,
Pacifique à
jour. Les cérémonies
celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté
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toute l’Amérique
la liesse ; les
la campagne
de Barack Obama
;
ambitions d’un
presque modeste.un sur le moment
s’est arrêtée
a Feuille
force d’invoquer
en 2008,
la première
rassembleur
qu’elle était
pendant les
A vivre :
décision de
; n’est jamaisde route. « La grandeur
Abraham
en train de
festivités de et de nouveau administration:
Martin Luther
l’accession
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Lincoln,
un
l’investiture,
au poste
du 18 au
dant en chef
Avec espoir et dû. Elle doit se mériter.
avait lui même King ou John Kennedy,
pendant cent la suspension
des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde,
(…)
vertu,
il
placé la barre
responsable
vingt
: les cérémonies,
elle
de plus les courants bravons une fois
discours ne
très haut. Le l’arme nucléaire, d’un
de Guantanamo. jours des audiences
passera probablement
les rencontres
jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice
glacials et endurons
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Pages 6-7
les tempêtes à
postérité, mais
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page 2
et l’éditorial
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de 47 ans.
venir. » Traduction
il fera date pour pas à la
Harry Belafonte… Bacall,
du discours
ce qu’il a
inaugural du e intégrale
miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
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Il faudra à la
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beaucoup d’imagination
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page 13
d’Irak d’ici
à mai 2010.
Trop rapide,
estiment les
hauts gradés
de l’armée.
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GRILLE N° 16 - 087
PAR PHILIPPE DUPUIS
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone :
de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;
de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
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Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
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SUDOKU
N°16-087
L’avenir de
Xavier Darcos
Ruines, pleurs
et deuil :
dans Gaza dévastée
« Mission terminée
»:
le ministre
de
REPORTAGE
ne cache pas l’éducation
considérera qu’il se
GAZA
bientôt en
ENVOYÉ SPÉCIAL
disponibilité
pour
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tâches. L’historien d’autres
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Corinne Mrejen
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Montpellier (« Midi Libre »)
18 |
styles
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
La scène finale du film
« Thelma et Louise »,
de Ridley Scott, sorti en 1991.
MGM/PATHE/THE KOBAL COLLECTION
Comparée aux autres modèles
disponibles, la Smart Cabrio se
présente pourtant comme l’un
des cabriolets les moins chers, car
il est devenu un produit de luxe. Si
la décapotable de grande diffusion
peut être considérée comme un
chef-d’œuvre en péril, le rayon
premium, en revanche, ignore
superbement la crise. Selon IHS,
les marques de luxe pèsent
aujourd’hui près de 60 % des ventes, contre 33 % il y a dix ans.
sale temps pour le cabriolet
Rouler cheveux au vent n’a plus la cote. Les ventes chutent, hors catégorie premium
L
AUTOMOBILE
e début du printemps
lance traditionnellement
la saison des décapotables. Lorsque les beaux
jours reviennent, les constructeurs révèlent leurs cabriolets de
l’année, perpétuant une tradition
née avec l’automobile qui fut
d’abord un objet ouvert à tous les
vents avant de devenir un cocon.
Cette année, les nouveautés ne se
bousculent pas. Hormis chez
Mini, Smart, Mercedes ou Range
Rover, c’est le calme plat. Ces derniers mois ont même vu disparaître certains modèles, notamment
chez Peugeot et Renault, qui ne
comptent plus de cabriolet depuis
qu’a cessé la fabrication des 308 CC
et Mégane CC. Citroën a, certes,
lancé l’E-Mehari, mais il s’agit d’un
véhicule électrique à diffusion
confidentielle. La Mazda MX5 et sa
jumelle Fiat 124 Spider sont bien
seules pour entretenir la flamme
du roadster à l’ancienne.
Ce reflux est une tendance globale. « Dans les dix prochaines années, les ventes mondiales ne retrouveront pas le niveau record de
831 000 unités atteint en 2004 »,
estime le cabinet IHS. Pour partie,
le phénomène est la conséquence
du peu d’intérêt que le marché
chinois accorde à ces voitures,
guère populaires dans les pays
chauds (à l’exception notable des
Etats-Unis), et a fortiori lorsqu’il
faut circuler dans l’atmosphère
ultrapolluée de Pékin, Shanghaï
ou Shenzhen. Toutefois, c’est en
Europe, où les ventes ont fondu
« LES DÉCAPOTABLES
NE RÉSISTENT PAS
À LA MODE DU SUV,
PERÇU COMME
PLUS MODERNE »
UN CONSTRUCTEUR
de moitié depuis le milieu des années 2000 et ne pèsent plus que
1 % de l’ensemble des immatriculations, que le désamour est le
plus prononcé. « Les cabriolets ne
résistent pas à la mode du SUV,
perçu comme plus moderne. Et on
peut se demander si ce genre de
voiture s’inscrit dans l’air du temps
d’une société où il ne fait pas bon
s’exposer à bord d’une auto », soupire un constructeur. L’heure est
aux vitres surteintées plutôt
qu’aux décapotables, que seuls
l’Allemagne et surtout le Royaume-Uni continuent de vraiment
apprécier.
Pourtant, circuler à bord du
nouveau cabriolet Smart est un
petit bonheur. Surtout en ville,
son terrain de prédilection, où se
passer de toit permet de redécou-
vrir un environnement que l’on
croyait connaître et vous met instantanément de bonne humeur.
La capote de la Smart Cabrio
s’ouvre en douze secondes,
même en roulant, et l’on peut désormais ôter les arceaux de toit,
que l’on rangera à l’intérieur du
hayon arrière. Ce qui fait de ce
modèle une véritable décapotable alors que les deux générations
précédentes appartenaient plutôt à la catégorie des véhicules découvrables. Cette version, qui devrait représenter 20 % des ventes
de la Smart Fortwo, n’est pas vraiment bon marché. Elle est facturée 15 250 euros avec le moteur de
71 ch (la version de 90 ch étant disponible à partir de 18 450 euros),
soit 3 300 euros de plus que la
Smart Fortwo standard.
Restent quelques aficionados
Mercedes, qui dispose désormais
de cinq modèles différents, vient
d’en ajouter un autre à son catalogue avec la Classe C Cabriolet, qui
sera lancée cet été à un tarif supérieur à 40 000 euros. « Une décapotable, c’est un objet rare, qui fait encore rêver. Notre longue tradition
nous interdit d’abandonner cette
spécialité », assure Marc Langenbrinck, président de MercedesBenz France, qui dit n’observer
« aucune érosion des ventes » des
décapotables de la marque et se
félicite « de la fidélité de la clientèle ». Lorsque a été dévoilée la nouvelle version du cabriolet Classe S,
des aficionados ont adressé des
chèques en blanc chez Mercedes,
avant même de connaître les tarifs.
D’autres constructeurs très
huppés envisagent aussi un avenir sans nuages. Rolls-Royce
lance en ce moment la somptueuse Dawn (332 400 euros) et
Range Rover, l’Evoque Convertible (51 600 euros), curieux mélange des genres entre SUV et décapotable. Autant de modèles qui
confirment une gentrification
avérée du cabriolet.
A ceux qui refusent de faire le
deuil de la décapotable accessible
et sans chichis, il reste l’option du
marché de l’occasion – les Peugeot 306 ou les Volkswagen Golf
des générations précédentes ont
gardé leur charme – ou le coup de
cœur pour une ancienne
Triumph TR4, Alfa Romeo Spider,
Renault Floride… Ce n’est pas le
choix qui manque. p
jean-michel normand
Retrouvez l’actualité automobile
sur Lemonde.fr/m-voiture
Honda Africa Twin, ambiance de la brousse
Ce nouveau modèle au look rétro vend de l’aventure, tout en étant taillé pour la ville
L
DEUX-ROUES
a nouvelle Africa Twin
remet à l’honneur la culture moto de la fin des années 1980. Le parfum d’aventure
du Paris-Dakar des temps héroïques et des gros trails multicolores qui se conduisaient le buste
bien droit. Cette réinterprétation
des Honda 650 et XRV750 – restées fameuses pour leurs aptitudes sur les pistes africaines et, surtout, pour leur capacité à franchir
les trottoirs des grandes agglomérations – s’inscrit dans la norme.
Depuis plus de dix ans, le marché
de la moto européen s’accroche à
la mode rétro pour vendre des
machines à une clientèle qui ne
rajeunit guère. Cette fois, pourtant, il ne s’agit pas de faire écho
aux années 1960-1970, mais de raviver la mémoire d’une moto
dont la production a cessé il y a
treize ans à peine, en 2003.
La nouvelle Africa Twin (à partir
de 12 999 euros) se couvre des peintures de guerre bleu et rouge de
son aînée, tout en s’appropriant
ses pneus étroits et ses doubles optiques de phare. Plutôt haute et
élancée, son carénage n’est pas
trop envahissant et son poids
(232 kg) maîtrisé. A cette moto qui
multiplie les clins d’œil à un
modèle historique, on ne saurait
pourtant reprocher de verser dans
la facilité vintage. Certes, elle ra-
La Honda Africa Twin réincarnée. HONDA
conte la même histoire que la
« Twin » fondatrice, née en 1988.
Celle d’une moto taillée pour le
hors-piste mais qui, conformément au principe du qui peut le
plus peut le moins, se montre aussi
à l’aise à la ville que sur la route.
Transmission automatique
En revanche, son contenu technologique en fait une machine
moins radicale, plus polyvalente
que sa devancière, et la destine encore plus clairement à un usage à
dominante urbaine. Le gain en cylindrée, qui atteint dorénavant
998 cm3, et l’adoption d’un bicylindre en ligne de 95 ch plutôt
qu’une architecture en V contribuent à lisser le caractère
de cette moto qui délivre
des accélérations très linéaires. Le large débattement des suspensions
convient assurément aux
escapades
« off-road »,
mais contribue plus sûrement à ménager les reins du
pilote et de son passager.
La transmission automatique
proposée en option (avec un supplément de 1 000 euros et un
surpoids de 10 kg, mais une surconsommation apparemment
négligeable) se présente, non sans
raison, comme un atout pour le
pilotage en tout-terrain. Elle permet un passage des rapports plus
rapide et réduit le risque de voir la
roue arrière se bloquer lors d’un
rétrogradage rapide. Une touche
permet même de programmer la
transmission de manière à affronter des revêtements pierreux ou
gravillonneux.
Dans les faits, cette transmission est surtout agréable en conduite normale. Seuls les purs et
durs déploreront l’absence de levier d’embrayage (remplacé par
un frein de parking éloigné de la
poignée gauche pour éviter d’être
actionné par mégarde) et de sélecteur au pied (ce qui épargnera le
dessus de la chaussure gauche du
motard soucieux de sa présentation). Cette boîte à double embrayage, que l’on peut program-
mer selon ses souhaits, enclenche
les vitesses sans presque aucun
bruit et avec autrement plus d’efficacité que la transmission élastique d’un scooter. Installée sur une
moto, une boîte automatique
exerce sur la façon de conduire les
mêmes effets relaxants qu’à bord
d’une automobile. La transmission DCT de Honda, qui devrait
convaincre près de la moitié des
acheteurs, permet aussi d’opter
pour un passage manuel des rapports, en actionnant deux petites
gâchettes à main gauche.
Au fond, l’Africa Twin de nouvelle génération fait écho à la
mode des SUV automobiles, tout
comme la BMW R1200 GS, la
Triumph Tiger ou la Ducati
Multistrada. Même évocation
plus ou moins symbolique de
l’évasion en tout-terrain, même
installation rassurante en hauteur garantissant une vision bien
au-dessus du trafic et même destination à un usage essentiellement urbain. p
j.-m. n.
disparitions & carnet | 19
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Fabrice Dugied
Danseur, chorégraphe
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Fiona, Anatole, Théo, Sidonie, Baltazar,
Emilien, Clémentine,
ses arrière-petits-enfants,
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Marcelle COUTURIER,
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AGATHE POUPENEY
V
isage dessiné, regard
clair, présence nette, la
tension généreuse qui
émanait du danseur et
chorégraphe Fabrice Dugied signait son engagement avec son
art : amoureux, bienveillant, militant. Egalement associé à la programmation danse du studio Le
Regard du cygne, joli studio-laboratoire situé sur les hauteurs de
Belleville, à Paris, ce personnage de
la scène chorégraphique depuis le
début des années 1980 est mort
d’une crise cardiaque, le 4 avril, à
Ambleville (Val-d’Oise), où il vivait,
à 52 ans.
Né le 30 septembre 1963, à
Neuilly-sur-Seine
(Hauts-deSeine), Fabrice Dugied plonge dès
l’enfance dans ce qui deviendra sa
passion grâce à sa mère, Lise Brunel (1922-2011), figure de la danse,
journaliste, historienne et critique.
Dès 1975, il prend ses premiers
cours avec Suzon Holzer, puis engrange toutes les techniques, de
celle d’Alwin Nikolais et Merce
Cunningham à celle de Trisha
Brown. Il pratique ensuite le tai-chi
et la danse d’expression africaine
avec la figure emblématique Elsa
Wolliaston. Il crée et enseigne ses
spectacles dès 1984, tout en devenant le complice d’Amy Swanson
au Regard du cygne.
« Il était très attentif à l’écriture de
la danse et aimait prendre des
risques, raconte Amy Swanson.
C’était un dénicheur de talents, un
passeur d’histoires de la danse contemporaine mais aussi un chorégraphe et danseur singulier. »
Drôle parfois, douloureux souvent
Artiste atypique, Fabrice Dugied se
démarquait des autoroutes de la
production. En 1998, son trio A
Incandescence revendiquait une
esthétique
hystéro-foutraque
bouillonnante de rage et d’énergie.
En 2006, au Regard du cygne, il se
lançait sans filet autre que sa sincérité dans un solo autobiographique La Déconstruction du Lego.
Drôle parfois, douloureux souvent, il traçait la vie « d’un homme
adulte pas du tout dans la norme ».
Equipé de quelques accessoires
(un pyjama, une perruque), avec
pour complice Amy Swanson,
Fabrice Dugied livrait son passé
entre pudeur et exhibition.
Sur un autre ton, parallèlement à
ses créations – au nombre d’une
vingtaine –, il se posait en vigie de
l’histoire de la danse et de sa transmission. Souvenir aigu de son opération Mémoire vive, inaugurée
en 2001. Concept ambitieux, réalisation solide, cible atteinte. Autour
de trois acteurs majeurs de la
danse française qu’ont été Jérôme
Andrews (1908-1992), Jacqueline
30 SEPTEMBRE 1963
Naissance à Neuilly-surSeine (Hauts-de-Seine)
1998 « A Incandescence »,
au Regard du cygne (Paris)
2006 « La Déconstruction du
Lego », au Regard du cygne
4 AVRIL 2016 Mort
à Ambleville (Val-d’Oise)
AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Hélène et Benoît OURLIAC
ont la joie d’annoncer la naissance de leur
ils
Nathanaël,
le samedi 2 avril 2016, à Paris.
rosita boisseau
née EUSTACHE,
survenu le 7 avril 2016, à Paris.
La cérémonie religieuse aura lieu
le mercredi 13 avril, à 10 h 30, en l’église
de la Madeleine, à Paris 8e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Mme Andrée Martins, née Marchesse,
son épouse,
Julie Martins et Christophe Marquié,
Elise Martins et Simão Pires,
ses enfants,
Clémentine, Raphaël, Titouan, Noé,
ses petits-enfants,
Fatima, Maria Cecilia,
ses sœurs
Et toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Carlos MARTINS,
survenu le 7 avril 2016, à Paris.
La cérémonie religieuse sera célébrée le
mercredi 13 avril, à 15 heures, en l’église
Sainte-Hélène, 102, rue du Ruisseau,
Paris 18 e , suivie de son inhumation
au cimetière parisien de Saint-Ouen,
13, rue du Cimetière (Seine-Saint-Denis).
Françoise BACON
s’est éteinte paisiblement dans sa maison
d’Amboise, le vendredi 8 avril 2016.
La cérémonie sera célébrée le jeudi
14 avril, à 10 heures, en l’église SaintDenis d’Amboise.
Selon sa volonté, la crémation aura lieu
dans la plus stricte intimité.
Cet avis tient lieu de faire-part
et de remerciements.
PFG Raymond, Amboise :
Tél. : 02 47 57 66 87.
Anne Bentéjac,
son épouse,
Alain et Marie-Paule Bentéjac,
Jean-Luc et Cathy Bentéjac,
ses ils et belles-illes,
François,
Emmanuel et Anne-Lise,
Xavier et Célia,
Corentin,
Mathilde,
ses petits-enfants et leurs compagnes,
Margaux,
son arrière-petite-ille,
ont la tristesse de faire part du décès de
Charles BENTEJAC,
survenu le 3 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Les obsèques ont été célébrées
le 6 avril, en l’église Saint-Roch
de Savignac.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Mme Gabriel Colin,
née Sabine Madelin,
son épouse,
Pierre, Catherine, Jean, Marie France,
Benoît,
ses enfants,
leurs conjoints,
leurs enfants et leurs petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès de
l’ingénieur général
de l’armement (2S)
Gabriel COLIN,
oficier de la Légion d’honneur,
oficier de l’ordre national du Mérite,
médaille de l’aéronautique,
survenu le 8 avril 2016, à Paris,
dans sa quatre-vingt-septième année.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mercredi 13 avril, à 10 h 30, en l’église
Saint-Jean-Baptiste-de-Grenelle, 23, place
Etienne Pernet, à Paris 15e.
L’inhumation aura lieu le même jour
à 15 h 30, au cimetière de Neuville-auBois (Loiret).
Brest. Paris.
Jean-François et Michèle Rignault
Mme Simone RIGNAULT,
née CUNISSE,
survenu à la Seyne-sur-Mer,
le 6 avril 2016,
à l’aube de ses quatre-vingt-quinze ans.
Les obsèques civiles seront célébrées
le mercredi 13 avril, à 10 heures,
au crématorium de La Seyne-sur-Mer
où l’on se réunira, suivies de la crémation.
Ce présent avis tient lieu de faire-part.
PF Leveque,
La Seyne-sur-mer,
04 94 108 800.
Sophie et Guy, Amaury, Hubert Dion,
Héloïse et Maxime, Garance, Théophile
des Monstiers,
Corinne, Thomas, Romain Müllejans,
Sylvie, Jean-Paul, Franklin, Alexis,
Chloé Gilot,
survenu le 1er avril 2016, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-seize ans.
L’inhumation a eu lieu dans
la plus stricte intimité au cimetière
du Montparnasse, à Paris 14e.
Paris.
M. Robert VERNET,
survenu le 28 mars 2016, à Sion (Suisse),
à l’âge de soixante-et-un ans.
Une messe en sa mémoire aura lieu
le vendredi 29 avril, à 14 h 30, en l’église
de Saint-Etienne, d’Issy-les-Moulineaux
(France).
Cet avis tient lieu de faire-part.
Le président
de l’École pratique des hautes études,
Le doyen de la section
des sciences religieuses,
Les directeurs d’études
Et les maîtres de conférences,
Les étudiants et auditeurs,
Le personnel administratif,
ont la tristesse de faire part du décès,
survenu le 4 avril 2016, de
Guy MONNOT,
ancien titulaire de la direction d’études
« Exégèse coranique ».
Ils s’associent à la douleur de la
famille.
Jeanine Ollat,
sa mère
Et toute la famille,
ont la douleur de faire part du décès de
Hélène OLLAT,
docteur en médecine, neurologue,
survenu le 5 avril 2016,
à Savigny-le-Temple,
à l’âge de soixante-sept ans.
Une messe sera célébrée le mercredi
13 avril, à 10 h 30, en l’église Saint-Louis
de Vincennes, 22, rue Faÿs, à Vincennes
(Val-de-Marne).
Mme Béatrice Ollat,
6 bis, rue Carnot,
91330 Yerres.
Pour en savoir plus : www.inserm.fr
La Fédération française
de l’ordre maçonnique
mixte international
Conférenciers :
André Comte-Sponville,
philosophe,
Bruno Pinchard,
professeur de philosophie
à l’université Jean Moulin Lyon 3,
le samedi 16 avril 2016, à 14 heures,
9, rue Pinel, Paris 13e.
Inscription par courriel :
[email protected]
Tél. : 01 44 08 62 62.
Informations :
www.droithumain-france.org
Communications diverses
survenu le 8 avril 2016, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
L’inhumation aura lieu le mardi
12 avril, à 16 h 30, au cimetière de SaintLéger-Vauban (Yonne).
Cet avis tient lieu de faire-part.
Etienne MIRLESSE,
gratuit pour tout public,
en duplex de la Cité des sciences
et de l’industrie à Paris
et de la Médiathèque du Bachut à Lyon.
organisent une conférence publique :
« Franc-maçonnerie et spiritualités »
née NACCACHE,
Roland MÉNARD,
ont l’immense chagrin de faire part
du décès de
Jeudi 14 avril 2016,
de 19 heures à 20 h 30,
Mme Adèle SCIALOM,
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Hélène Mirlesse,
sa mère,
Mme Natalia Tsarkova-Mirlesse,
son épouse,
Samantha et Anastasia Mirlesse,
ses illes
Et l’ensemble de sa famille,
Allergies : le printemps est de retour !
« Le Droit Humain »
et le Grand Maître National,
Madeleine Postal,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
78, avenue Secrétan,
75019 Paris.
Conférences citoyennes
« Santé en questions »
organisées par l’Inserm, Universcience.
ont la douleur de faire part du décès
de leur mère, grand-mère et arrière-grandmère,
Erica Ménard,
son épouse,
Diane et Jean-François Ménard,
sa belle-ille et son ils,
Un hommage lui sera rendu
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e, le mardi 12 avril,
à partir de 13 heures.
Conférences
ont l’extrême douleur de faire part
du décès de
M. Christian Vernet,
son ils,
M lle Aurélia Vernet et M. Jonathan
Vernet,
ses petits-enfants,
survenu à Paris, le 5 avril 2016.
Amboise. Paris.
15, rue Alasseur,
75015 Paris.
ont la tristesse de faire part du décès de
comédien, auteur dramatique,
Décès
Robinson (1922-2000) et Karin
Waehner (1926-1999), Fabrice
Dugied avait monté un programme-manifeste passionnant de reconstruction de spectacles avec
une trentaine de danseurs et chorégraphes héritiers. Contre l’amnésie d’un art éphémère et la péremption ultra-rapide de la danse,
trois programmes déployaient
une fresque de pièces permettant
de se faire une idée relativement
aiguë du style de chaque chorégraphe. Une page de mémoire inscrite
dans les corps qui rayonnait d’intelligence du mouvement.
En 2013, il lance à Paris la Planetary Dance, performance participative imaginée par la chorégraphe américaine Anna Halprin
en 1987, à San Francisco. Organisé
chaque année en juin, dans différents pays du monde, ce « rituel de
paix et de renouveau », selon la formule d’Halprin, a lieu grâce à lui
pour la première fois dans neuf villes de France, dont Paris. Au jardin
de Reuilly, dans le 12e arrondissement, souvenir joyeux, au milieu
des nappes de pique-nique, des
trois cercles concentriques de professionnels et d’amateurs gambadant, soutenus par un groupe de
percussionnistes.
En 2015, Fabrice Dugied rendait
hommage à sa mère et à son travail de journaliste avec La Collection Lise B., pièce-installation documentaire, fondée sur les articles
et autres témoignages recueillis
de 1958 à 1998 par Lise Brunel pour
Le Matin de Paris ou Politis. Après
avoir arrêté de chorégraphier pendant une dizaine d’années,
Dugied renouait avec le geste et le
plateau. Pour « partager avec le
plus grand nombre de spectateurs
possible », il avait ordonné articles,
photos, enregistrements, et bâti
un spectacle-exposition nourri de
témoignages.
Fabrice Dugied venait de chorégraphier un impromptu qu’il devait danser les 7 et 8 avril au Regard du cygne. Son équipe a maintenu les dates des représentations
pour rendre hommage à celui qui
avait foi dans « la danse avant tout,
le corps dans l’espace et le temps,
l’ivresse du mouvement et le ralentissement du temps ». p
Géraldine, Olivia, Mélanie,
Paul-Arthur, Benjamin, Alphonse,
Marguerite, Ulysse,
ses petits-enfants,
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En mars 2015.
Dominique Couturier-Heller,
Marie-Agnès Couturier
et son mari, Jean-Michel Petit,
Jean-Pierre Couturier,
Stéphane Couturier
et sa femme, Françoise Morin,
ses enfants,
Souvenir
Saint-Girons (Ariège).
Il y a deux ans déjà,
Francine DOUILLET
nous quittait.
La citation qui suit lui allait
à merveille :
« Si vous voulez qu’une chose soit dite,
demandez le à un homme.
Si vous voulez qu’une chose soit faite,
demandez le à une femme ».
Elle faisait.
Daniel.
Débat
Le jeudi 14 avril à 20 h 30
Le féminisme, au cœur de l’actualité.
Avec : Julia Kristeva, psychanalyste,
Fawzia Zouari, journaliste tunisienne,
Armelle Carminati-Rabasse, MEDEF.
30 ans après la mort
de Simone de Beauvoir,
une rencontre-débat animée
par Elizabeth Cremieu
Espace Landowski,
28, avenue André Morizet,
92100 Boulogne-Billancourt
www.forumuniversitaire.com
Autour de l’exposition
Habiter le campement
Images/Cité
Projection-débat en présence
de Michel Agier, anthropologue,
directeur d’études à l’EHESS
et chercheur à l’IRD,
Anita Pouchard Serra,
photographe du collectif d’architectes
« Sans plus attendre »,
Sara Prestianni, photographe,
et de Cyrille Hanappe,
architecte et ingénieur,
enseignant à l’ENSA,
jeudi 14 avril 2016, à 19 heures.
Plateforme de la création architecturale
Considérant Calais...
Documenter ce qui s’afirme à Calais,
à l’interface entre le bidonville
et la ville, par le Pôle d’exploration
des ressources urbaines (PEROU),
mardi 19 avril, à 18 h 30.
État d’urgence,
habitat d’urgence
rencontre avec des membres de l’ONG
Shelter Box, organisation internationale
de secours aux sinistrés de catastrophes,
dimanche 12 juin, à 16 heures.
Entrée libre
inscription citechaillot.fr
Institut universitaire Elie Wiesel cycles de cours : 2 mai 2016 à 15 heures,
« Réhumaniser l’histoire de la Shoah :
un acte de résistance ? », par Fabienne
Regard (4 séances) - 3 mai, à 15 h 30,
« Le monde de la Bible, l’aventure de la
chair », par Jérôme Bénarroch ( 6 séances)
- 3 mai, à 17 h 15, « Le monde du Talmud :
doctrine de la filiation », par Jérôme
Bénarrroch (6 séances) - 4 mai, à 17 heures
« L’intellectuel juif, figure ambigüe de
la culture occidentale ? », par Carlos Levy
(4 séances) - 10 mai, à 18 h 30, « Du
terrorisme aux terrorismes », par Alain
Bauer (3 séances) - Antenne Val-deMarne, 4 mai, à 19 h 30 « Rois et tyrans de
la Bible », par Franklin Rausky (5 séances),
- Antenne Ouest-parisien, 2 mai, à 18 h 30
« Histoire du peuple d’Israël - entre
mythes, idéologies et certitudes », par
Michel Abitbol (4 séances).
Inscriptions à l’avance :
119, rue La Fayette,
75010 Paris.
Tél. : 01 53 20 52 61.
www.instituteliewiesel.com
[email protected]
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20 |
DÉBATS & ANALYSES
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Manuel Valls a appelé, lundi 4 avril, au « sursaut républicain » contre la menace que représentent
à ses yeux « l’islamisme radical et le salafisme ». Qu’il soit pacifique ou violent, ce courant intégriste
détourné par le wahhabisme saoudien ravive la nécessité de construire un islam de France
Comment endiguer le salafisme ?
Les salafistes n’ont pas gagné
la bataille des idées en France
Fermons ces écoles et mosquées
aux mains des extrémistes
L’emprise du salafisme
wahhabite est réelle.
Mais ne laissons pas croire
qu’il l’aurait emporté
C’est aux musulmans de
combattre le fondamentalisme
qui prospère et de se doter d’une
élite « déradicalisée » capable
de les représenter véritablement
Par RACHID BENZINE
L
e vocable « salafisme » n’est pas d’un usage
ancien, contrairement à ce que l’on imagine de nos jours. Dans le Coran (sourate 43, verset 56), le mot « salaf » est utilisé de
manière négative pour évoquer la noyade du
« peuple » (« qawm ») de Pharaon qui a défié la
puissance divine. Ce châtiment est dit représenter un « précédent », un « salaf » (au sens de « ce
qui s’est passé avant ») et une « leçon » (« mathal »)
pour ceux qui s’aviseraient à se comporter de la
même façon. Cela n’a donc rien à voir avec les
usages actuels. Dans le corpus du Hadith, la tradition prophétique mise par écrit au IXe siècle de
l’ère commune, on trouve une seule allusion
(chez le théologien Ibn Hanbal, mort en 855), positive cette fois, à des « anciens vertueux », des
« salaf sâlih », qu’aurait rejoint un partisan de
Muhammad, Uthmân fils de Maz’un, mort en
l’an 3 de l’Hégire.
L’origine des emplois actuels du mot « salafisme » est à chercher plutôt dans le vocabulaire
des mouvements dits « réformistes » de la fin du
XIXe siècle, qui ont mis à l’honneur l’expression
« al-salaf al-salîh », avec le sens de « pieux anciens ». D’ailleurs, ces réformistes ont été, en leur
temps, désignés comme « salafistes », étiquette
qu’ils assumaient, car ils s’inscrivaient dans un
mouvement de retour aux sources de l’islam.
Cherchant à revenir à l’exemple des figures vénérées des premiers jours de l’islam, les réformistes
du XIXe siècle entendaient répondre aux catastrophes politiques de l’époque, dans le Maghreb
colonisé comme dans les pays du Proche-Orient,
longtemps sous domination ottomane et parfois
déjà contrôlés par les puissances européennes.
Ils étaient à la fois en quête de retrouvailles avec
un passé fantasmé – celui où la « umma » musulmane (notion idéologique sans réalité politique)
aurait été puissante et harmonieuse –, et soucieux de conjuguer modernité scientifique et
technique avec religion. Ces penseurs et acteurs
de l’histoire étaient des hommes de religion de
haute culture islamique et leurs noms brillent
toujours dans le monde musulman : Djamâl alDîn al-Afghânî (mort en 1897), l’enseignant de
l’université d’al-Azhar Muhammad Abduh
(mort en 1905), l’émir algérien Abd el-Kader
(mort en 1883) ou un autre professeur azhari,
Rashîd Ridâ (mort en 1935), mais qui se rapprochera des wahhabites et des Séoud après l’abolition de l’institution califale par Ataturk, en 1924.
UN TERME ACCAPARÉ PAR LES WAHHABITES
On compte également parmi eux le Syrien Kawâkibi (mort en 1902), qui s’est dressé contre ce qu’il
nommait le « despotisme ottoman » et qui a fait
l’éloge d’un retour – fantasmé lui aussi – à la concertation telle qu’elle se pratiquait, dit-on, au
temps du Prophète, la « shûrâ » des origines dont
s’empareront peu après les nationalistes arabes,
y voyant une « démocratie musulmane » avant la
lettre. Hassan al-Bannâ, fondateur des Frères
musulmans en 1928, mouvement ayant pour but
la réislamisation des sociétés à l’encontre de leur
occidentalisation, se réclamait lui aussi de l’appellation « salafiste ».
Le wahhabisme saoudien, quant à lui, s’est approprié la qualité de « salafisme » à partir du moment où il a été en capacité de prendre possession des lieux saints de l’islam (La Mecque et Médine), qu’il a ravis à deux reprises à la tribu des
Hachémites (la tribu du Prophète Muhammad),
une première fois en 1802, et une deuxième
en 1924. Mouvement ultra-sectaire et intolérant
apparu dans la région de Nedj, en Arabie, au
XVIIIe, avec le savant religieux Muhammad Ubn
Abdelwahhab, le wahhabisme a été jusqu’aux
années 1950 considéré par l’orthodoxie sunnite
comme un mouvement déviant. Il ne doit son
succès qu’à l’alliance avec la tribu des Saoud,
laquelle va mettre cent cinquante ans à conquérir l’ensemble de la Péninsule arabique (fondation du royaume saoudien actuel en 1932, après
deux tentatives). Prétendant incarner le seul
véritable islam « de toujours », celui des premiers
temps, les adeptes de la pensée d’Abdelwahhab
ont toujours refusé le qualificatif de « wahhabites », sous lequel les désignent leurs adversaires,
lui préférant celui de « salafistes », dont ils revendiquent de nos jours l’exclusivité. Les « wahhabites » ou « salafistes wahhabites » sont des musulmans qui déclarent apostats ou anathèmes tous
ceux qui ne pensent pas comme eux, d’où aussi
le qualificatif de « takfiristes » qu’on applique aux
plus ultra d’entre eux.
Depuis les années 1960, avec la fondation de la
grande université de Médine, l’islam wahhabite
saoudien prétend représenter l’orthodoxie sunnite. Les royalties du pétrole lui ont permis, ces
quarante dernières années, de « wahhabiser »
une grande partie de l’islam. C’est ainsi que, dans
beaucoup de mosquées aujourd’hui, sont véhiculées des idées obscurantistes et dangereuses
(telles que la comparaison des juifs avec des singes ou l’assimilation des chrétiens à des porcs),
qui ont pour caractéristique première une lecture complètement décontextualisée, non historique, du texte coranique. Ainsi, on peut dire que
les monstruosités actuelles de Daech sont issues
de ce terrain idéologique. Les effets des discours
étant dorénavant démultipliés par la diffusion
instantanée des messages au plan mondial.
Il convient cependant de remarquer que tous
ceux qui se réclament, de nos jours, du salafisme,
y compris en référence à l’islam enseigné en
Arabie saoudite, ne versent pas dans la haine et
dans la violence. Il existe même des salafistes
piétistes non violents qui cherchent à vivre entre
eux ce qu’ils considèrent être le seul « pur islam ». C’est pourquoi les récents propos du premier ministre, stigmatisant une grande partie
des musulmans de France en considérant que le
salafisme aurait gagné partout, s’avèrent dangereux, car outrancièrement simplificateurs. Au
contraire, la majorité des musulmans de France
s’inscrit plutôt dans un islam de plus en plus pluriel, voire de plus en plus sécularisé et privatisé,
contrairement aux apparences. Néanmoins, il
faut tout faire pour que le salafisme version wahhabite ne triomphe pas ! p
¶
Rachid Benzine est islamologue, chercheur associé
à l’Observatoire du religieux (Aix-en-Provence) et enseignant
à l’IEP d’Aix-en-Provence. Il est le coauteur, avec Christian
Delorme, de « La République, l’Eglise et l’islam, une révolution
française » (Bayard, 190 pages, 16,90 euros)
Déradicalisation | par selçuk
Par ABDENNOUR BIDAR
Q
ue faire si l’on ne veut pas que le salafisme domine dans l’islam de France ?
Les solutions sont multiples afin de lutter efficacement – c’est de notre responsabilité – contre cette idéologie du prétendu retour à l’islam des origines, qui se caractérise par
des signes reconnaissables : une représentation
de l’islam comme « vérité absolue » supérieure à
toute autre vision du monde ; une conception de
la religion comme « totale », qui doit gouverner
aussi bien la vie privée que la vie sociale et politique ; une prétendue fidélité au « noyau originel »
de la prédication de Mohammed.
Cette fidélité a trois expressions. Elle confond
souci de la tradition et traditionalisme, en déclarant intangibles des pratiques historiques – tel
ou tel vêtement pour l’homme et la femme, la séparation entre les deux sexes, la domination
masculine. Elle fait sombrer le dogme dans le
dogmatisme en déclarant tout aussi éternelles et
indiscutables les prescriptions de la loi religieuse, en particulier les ‘ibadat, c’est-à-dire les
rites, obligations et interdits majeurs : les cinq
prières par jour, le jeûne du mois de ramadan, le
pèlerinage à La Mecque, l’interdiction de consommer du porc ou de l’alcool, etc. Une liste qui
peut s’allonger indéfiniment et concerner aussi
les mu ‘amalat (l’éthique et la vie en société). La
culture musulmane moyenne ou populaire – y
compris chez de nombreux diplômés, universitaires, pourtant doués de culture et d’esprit critique – reste prisonnière du mythe selon lequel
tout cela serait consubstantiel à l’islam…
La base cachée et très large du salafisme est là,
dans ce traditionalisme ancré dans trop d’esprits, qui sacralisent abusivement une tradition
qui a fait de l’islam un système rigide de lois
– alors que le Coran, disait Mohammed Iqbal
(1877-1938), philosophe pakistanais, « n’est pas un
code légal ». Cette confusion est le péché originel
de l’islam – son fantasme sur sa propre origine et
nature, que l’intellectuel algérien Mohammed
Arkoun (1928-2010) nommait sa « mytho-histoire » jamais déconstruite, toujours régnante
comme un impensé majeur dont le résultat
catastrophique est de soustraire à l’esprit critique, à la responsabilité spirituelle personnelle
tout ce qui concerne des « fondements de la religion » considérés comme un sacré intouchable.
La liberté de conscience en islam ? Elle existe de
fait, elle n’a jamais reçu la moindre légitimité de
droit. Les philosophes critiques, apôtres d’une
spiritualité libre, ont été et sont toujours les
grands battus de l’histoire de l’islam – ignorés ou
dénoncés comme apostats par les dignitaires, et
désignés comme tels à la vindicte de la masse.
La première responsabilité est là, du côté de la
conscience islamique, de ce rendez-vous qu’elle a
avec la liberté de croire ou de ne pas croire, de
pratiquer ou de ne pas pratiquer, d’être « le musulman ou la musulmane qu’on veut être » au lieu
de subir la contrainte explicite ou diffuse, consciente ou inconsciente, de stéréotypes dont le
juriste tunisien Yadh Ben Achour a raison de considérer comme la conséquence du totalitarisme
émanant d’une « orthodoxie de masse ».
Deuxième responsabilité, il s’agit pour l’islam
de France de se doter d’une représentation décléricalisée, qui ne soit plus la chef du « culte musulman », la gardienne du traditionalisme.
Les musulmans de France ne sont pas un troupeau de fidèles qui auraient besoin d’être gardés
par des bergers – et puisqu’il faut former des
imams, troisième responsabilité, il faudra commencer par leur apprendre qu’ici, en démocratie,
personne n’est légitimé à jouer le rôle d’un maître de religion ou d’un directeur de conscience.
GHETTOS GANGRENÉS
Les musulmans de France sont infiniment divers et il leur faut une représentation infiniment
diverse, dans laquelle les théologiens, recteurs,
imams, autrement dit tous les religieux de
métier, ne seront qu’une composante. Est-ce, en
France, à l’Etat d’instituer une telle instance ?
Non, c’est aux musulmans d’avoir enfin la maturité collective de faire sortir de leurs rangs des
femmes et des hommes qui incarnent, dans tout
leur être et dans tout leur parcours, l’alliance
réussie, heureuse, devenue naturelle entre leurs
cultures française et islamique.
J’appelle les musulmans à prendre enfin cette
responsabilité, au lieu d’attendre encore et toujours de l’Etat qu’il nomme et désigne. Car cet
Etat a, sur le sujet, d’autres responsabilités qui
sont proprement les siennes.
Elles sont nombreuses, mais faciles à lister.
Assurer les plus urgentes : la fermeture des mosquées salafistes, la sécurité de la population face
à la menace djihadiste.
Veiller à ce que ne se multiplient pas les écoles
confessionnelles islamiques, où les enfants
seraient endoctrinés par l’idéologie salafiste.
Agir de façon assez volontariste pour remédier
– enfin – à la formation, sur notre territoire, de
ghettos gangrenés par un « milieu » de type nouveau où se mélangent marchés parallèles (notamment la drogue), gangstérisme et salafisme,
sur fond de déshérence généralisée.
Non pas interdire la visibilité publique du religieux, mais rester ferme sur la laïcité là où l’affirmation de la croyance voudrait faire triompher
une « loi de Dieu » sur les principes et valeurs de
notre contrat social et des droits de l’homme.
Reconnecter la promesse républicaine – liberté, égalité, fraternité – avec la réalité d’une véritable égalité des chances, d’un vrai recul des
discriminations et avec une vraie pédagogie à
l’école, afin que le fait de vivre en France soit à
nouveau perçu comme une chance par ceux qui,
parmi les musulmans, sont tentés par le ressentiment à l’égard d’un pays où ils ne sentent pas
qu’on leur fait une vraie place.
Et nous tous, comme l’a dit Manuel Valls, nous
avons la responsabilité de retrouver un « idéal »
ou une « transcendance », un projet de société où
soit prise en compte la dimension spirituelle de
la vie humaine – son besoin de sens et d’élévation – de façon ouverte et libre. De telle sorte que,
la nature ayant horreur du vide, notre espace public ne soit plus livré au retour du pire du religieux : le « prêt-à-penser » et le « prêt-à-porter ». p
¶
Abdennour Bidar est philosophe et écrivain français.
Il a notamment écrit « Lettre ouverte au monde musulman »
(Les liens qui libèrent, 2015)
débats & analyses | 21
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Les confidences douces-amères de Jacques Delors
Le livre
D
ans son livre Jusqu’ici tout va mal
(Grasset), paru en 2014, Cécile
Amar, grand reporter au Journal
du dimanche, avait consacré tout
un chapitre à explorer la relation entre François Hollande et Jacques Delors ou plutôt la
non-relation entre le président de la République et son ancien mentor. Depuis que le premier est entré à l’Elysée, les deux hommes ne
se sont réellement vus qu’une seule fois, lors
d’un déjeuner, en juillet 2013, ce qui est plutôt
court si l’on se souvient que, dans les années
1990, François Hollande était à la tête du club
Témoin, qu’il militait activement pour une
candidature Delors à la présidentielle, qu’il
partageait la vision européenne du président
de la Commission européenne et que, pendant la campagne de la primaire socialiste
en 2011, il n’avait pas hésité à se présenter
comme un de ses héritiers. Pourquoi après
cela tant d’ingratitude ?
La thèse de l’auteure est que François Hollande jouait les affranchis, qu’il ne voulait rien
devoir à personne. Sans doute aussi le nouvel
élu redoutait-il un peu le jugement de Delors
le rigoriste resté d’autant plus droit dans ses
idées que sa chimère avait été « de faire de la
politique sans se salir les mains, d’exercer le
pouvoir sans avoir à le conquérir », ainsi que
François Hollande le pressentait et l’écrivait
sous le pseudonyme de Caton dans les années
1980. Le mérite de Cécile Amar aura été d’aller
jusqu’au bout de l’enquête en restituant, à travers ses conversations avec Jacques Delors, le
regard sur le quinquennat de l’homme qui
n’avait pas voulu être roi.
L’exercice était a priori biaisé car l’auteure
ne s’en cache nullement : c’est Martine Aubry,
la fille de Jaques Delors, la rivale de François
Hollande à la primaire, qui a poussé au livre à
l’été 2014 après avoir trié les innombrables
cartons d’archives de son père. « Vous devriez
regarder, il y a peut-être un livre à faire », avaitelle lancé. La journaliste a donc regardé mais
elle a surtout confessé l’ancien président de la
Commission européenne avec toujours le
souci de rapporter son expérience passée à la
situation présente. Le résultat est un clair-obscur où les soupirs comptent davantage que les
mots. Car ce n’est pas à 90 ans que l’ancien
conseiller de Jacques Chaban-Delmas, l’ancien ministre de François Mitterrand, va se
mettre à « faire du buzz » en crachant dans la
soupe. Au lendemain du premier tour des
élections régionales de décembre 2015, marqué par une nouvelle progression du Front
national et l’éviction de la gauche dans le
Nord, il confesse « avoir mal à la France ».
A plusieurs reprises, il laisse échapper sa perplexité face à des gouvernants qui « sont perdus, n’ont plus de ligne », mais il évite les attaques ad hominem. Magnanime, il reconnaît
LE GRAND RENDEZ-VOUS
EUROPE 1, « LE MONDE », I-TÉLÉ
François Fillon : « Macron doit
prouver qu’il est compétent »
Que pensez-vous du
phénomène Macron ?
Le diagnostic qu’il fait est
parfait. Je n’ai pas grandchose à y ajouter. Simplement, c’est un diagnostic
d’une cruauté implacable
contre François Hollande, et
accessoirement contre ceux
qui le conseillent ou qui l’ont
conseillé. Qu’a fait Emmanuel Macron depuis qu’il est
au gouvernement ou depuis
qu’il conseille François
Hollande ? Il a libéralisé les
transports par car. Pour le
reste, il a quasiment échoué
sur toutes les autres propositions qu’il a formulées. Son
dernier échec le plus récent,
c’est la manière dont il a géré
la tentative de fusion entre
Orange et Bouygues, car c’est
lui par la position qu’il a prise
qui a fait échouer ce rapprochement.
Pourtant il devient, avec
Bruno Le Maire, le symbole du renouveau…
Il y a un vrai problème de
bilan d’Emmanuel Macron
au gouvernement. Après, la
proposition qu’il fait est-elle
une nouvelle recette de la
sauce hollandaise ou un plat
autonome ?
A votre avis ?
Je n’en sais rien. C’est à lui
de clarifier la situation. Il faut
qu’il fasse avec un peu moins
de marketing. Ça fait très produit marketing le clip avec les
banques d’images. On va me
dire que c’est du détail, mais
il y a quand même un problème d’authenticité du message d’Emmanuel Macron. Et
surtout, si vraiment il est en
désaccord complet avec la
politique qui est conduite
aujourd’hui, il faut qu’il en
tire les conséquences.
Vous le prendriez comme
premier ministre ?
La question ne se pose pas
comme ça. J’ai dit que je voulais une équipe de France,
composée d’une quinzaine
de personnalités caractéri-
sées par quelque chose de
très nouveau dans la vie politique française : je voudrais
qu’ils soient compétents.
Mais alors Macron ?
Il faut qu’il prouve qu’il est
compétent. Il n’a rien démontré jusqu’à maintenant,
rien démontré.
Vous le mettriez dehors,
si vous étiez premier
ministre ?
Je pense que oui. Je ne
pense pas que j’accepterais
qu’un des membres de mon
gouvernement conduise une
aventure personnelle qui, en
l’occurrence, est assez proche
des convictions que je défends, mais qui est totalement contraire aux engagements du président de la République.
Manuel Valls est trop
faible ?
En tout cas, on sent son agacement, son énervement, sa
colère qui monte, et ça a tendance, de mon point de vue, à
altérer son jugement.
La France a-t-elle raison
d’inscrire Panama sur la
liste des paradis fiscaux ?
Oui, à l’évidence, puisque
Panama ne respecte pas les
règles qui ont été édictées
après la crise financière pour
assurer la transparence de la
circulation des capitaux.
Cette enquête est-elle
crédible pour vous ?
Il y a incontestablement
des faits qui ont été rendus
publics par cette enquête. Ma
conviction, c’est que la fraude
fiscale est une atteinte au
contrat démocratique. Celui-ci suppose le consentement à l’impôt. La fraude fiscale ruine ce contrat démocratique, donc elle doit être
combattue avec la plus
grande énergie. Et c’est un
combat éternel. C’est-à-dire
qu’il y aura toujours des fraudeurs, comme il y aura toujours des délinquants, et
même à François Hollande d’avoir eu la bonne
attitude lors du Conseil européen qui décida
du sort de la Grèce. Et c’est finalement l’auteure
qui, à force d’allées et retours, tente de répondre à cette question qui tient de fil conducteur
au livre : une personnalité comme Jacques Delors aurait-elle mieux réussi que l’actuel président de la République ?
PLUS AUBRYSTE QUE HOLLANDAIS
L’HOMME QUI NE VOULAIT
PAS ÊTRE ROI,
CONVERSATIONS
AVEC JACQUES DELORS
de Cécile Amar
Grasset, 234 pages, 18 euros
Parce qu’il n’y a pas un
Américain, c’est suspect
pour vous ?
J’ai constaté comme tout le
monde qu’il n’y avait pas
beaucoup d’Américains, mais
je ne suis pas un expert et je
n’ai pas d’information particulière. On m’a expliqué que
les Américains ne fraudaient
plus. Très bien. Je veux bien
en accepter l’augure, j’en
doute un peu. p
propos recueillis par
michaël darmon,
jean-pierre elkabbach
et arnaud leparmentier
¶
François Fillon
ancien premier ministre,
candidat à la primaire
à droite (Les Républicains)
françoise fressoz
Le caméléon chinois saura-t-il
se teinter de démocratie ?
Analyse
françois bougon
donc la société doit s’organiser en permanence pour faire
face à cette fraude.
Qui est derrière l’enquête à
votre avis ?
Deux questions se posent.
D’abord, jusqu’où on peut aller dans le vol d’informations ? En l’occurrence, il
s’agit de personnes qui fraudent le fisc, donc il y a un aspect moral à cette dénonciation, mais demain ce sera
quoi ? Ce sera des données
personnelles, sur la vie privée, sur la santé ? Il y a une réflexion collective à avoir sur
ce qu’on appelle les lanceurs
d’alerte. Ce n’est pas un sujet
aussi simple qu’on voudrait
bien le dire. La deuxième
chose, c’est qu’il serait utile
de savoir quelle est l’origine
de ces informations. Est-ce
qu’il y a derrière d’autres
Etats, une volonté de montrer la fraude fiscale dans certaines parties du monde et
pas dans d’autres ?
L’interrogation est légitime car il y a chez les
deux hommes des similitudes dans l’approche du pouvoir : même sens de la négociation,
même dose de rouerie, même pragmatisme
face à la complexité du réel. Simplement, l’un
portait une vision, savait souder une équipe
et expliquer son action au point de parvenir,
en 1985, à relancer l’Europe en panne, là où
l’autre semble constamment englué dans le
court terme et la manœuvre. « L’important
dans la vie est d’avoir les mêmes idées, de garder les mêmes fondamentaux », assène l’ancien président de la Commission européenne
dont tout le parcours aura été imprégné par
l’engagement syndical et les valeurs du catholicisme social.
Cependant, Jacques Delors est suffisamment
lucide pour s’apercevoir que le monde a
changé. « On a l’impression que le socialisme a
donné tout ce qu’il pouvait », soupire-t-il. L’ancien militant se heurte à « la société du fastfood » qui fait perdre « la mémoire collective ». Il
déplore que le « développement de la finance et
de l’individualisme change peu à peu le paysage
intellectuel ». Au côté de François Mitterrand, il
faisait office de père la rigueur, se situait à la
droite du PS au point de combler d’aise le chancelier allemand Helmut Kohl, qui le considérait
comme l’homme « qui empêchait les socialistes
de faire des bêtises ».
Aujourd’hui, Delors se positionne nettement
plus à gauche que le gouvernement et s’étonne
que, depuis trois ans, « on donne l’impression
qu’il suffit que le patronat demande quelque
chose pour qu’on le lui accorde ». Au soir de sa
vie, il n’est pas devenu à proprement parler un
« frondeur » mais il est devenu bien plus
aubryste que hollandais avec la même aversion
que sa fille pour Emmanuel Macron, la coqueluche des sondages, qui croit bon d’encourager
les jeunes à devenir milliardaires.
La conclusion de Cécile Amar est sans appel :
« François Hollande n’est plus dans la filiation
idéologique » de Jacques Delors. Le fils prodigue
a trahi. Mais voilà, François Hollande a été élu
président de la République, pas Jacques Delors.
Ni sa fille dont le père vante « la générosité sans
limite », salue le parcours politique à l’exception de cette satanée primaire qu’elle a perdue.
« J’étais triste qu’elle y aille », confie-t-il, comme
si le pouvoir suprême devait être interdit à la
fille comme au père parce qu’il salit les mains.
Avec, en retour, cette inextinguible nostalgie
de n’avoir pu « être utile » au pays autant que
nécessaire. Le drame delorien. p
Service international
L
PLUS
DE RÉPRESSION,
ARGUENT LES
ÉCONOMISTES,
NE PERMETTRA
PAS D’ÉCHAPPER
AU PIÈGE
DU REVENU
INTERMÉDIAIRE
a situation semble ne guère s’y
prêter, tant les enjeux sont importants pour le monde à venir, mais
prenons quand même le temps
d’un petit jeu. Si, pour tenter de
comprendre et d’expliquer ce qui
se passe actuellement dans la plus grande
puissance asiatique, on essayait de dresser un
portrait chinois, il est fort probable que la réponse à la question « Quel animal êtes-vous ? »
serait : « Un caméléon ». Car c’est assurément
dans sa capacité d’adaptation que réside le génie du communisme chinois. Cette plasticité
explique que l’Etat-parti – ou le parti-Etat,
laissons les sinologues en décider – ait pu survivre et surmonter tous les obstacles depuis
l’accession au pouvoir, en 1949, de révolutionnaires qui sortirent vainqueurs d’une
guerre civile avec les nationalistes et d’un
long conflit avec les Japonais.
Si le grand frère soviétique, qui avait accompagné les premiers pas de l’allié chinois avant
de se transformer en ennemi, a été emporté
en 1991, le Parti communiste chinois (PCC) est
toujours là. Le mur de Berlin est tombé, la
Grande Muraille a résisté. Le PCC, fondé à
Shanghaï en 1921, est l’une des dernières formations marxistes-léninistes encore au pouvoir dans le monde. Les plénums et les réunions du comité permanent du bureau politique rythment toujours la vie politique. Lors
des congrès, les drapeaux à la faucille et au
marteau font la joie des photographes et des
cameramen, L’Internationale, celle des journalistes de radio.
On peut distinguer trois phases depuis 1949.
La première, jusqu’en 1979, fut celle de Mao Zedong, le fondateur du régime. Nourri de culture classique chinoise et bercé par les récits
des romans populaires d’aventures, Mao avait
adopté, et adapté, le marxisme-léninisme
venu d’Europe. A la place des prolétaires, les
paysans ; et Mao gagnait sa place au côté de
Marx, Engels, Lénine et Staline… Une « sinisation » en bonne et due forme. Le pays retrouvait son intégrité et sa fierté après les « traités
de l’opium » imposés par les puissances coloniales occidentales au XIXe siècle. Fini le temps
de l’humiliation où la Chine était « l’homme
malade de l’Asie ». Ragaillardi, le pays vécut au
rythme de la mobilisation permanente,
plongé dans une lutte incessante contre les
« ennemis de classe », d’abord au sein de la société – les propriétaires fonciers et les capitalistes –, puis à l’intérieur même du PCC. Le bilan
fut désastreux : le Grand Bond en avant et la
Révolution culturelle se soldèrent par des millions de victimes. Le pays était appauvri après
avoir été mis à feu et à sang.
A la mort de Mao, Deng Xiaoping reprit le
flambeau. Le « Petit Timonier » sut adopter, et
une nouvelle fois adapter, une autre idéologie
venue d’Occident, le capitalisme. Le « socialisme aux caractéristiques chinoises » affichait
sans complexe ses contradictions : une économie de marché dans un pays formellement
communiste. Si le PCC gardait le contrôle strict
du champ politique – il le montra de manière
brutale en envoyant les chars réprimer le mouvement démocratique sur la place Tiananmen,
en 1989 –, il laissait le champ libre aux acteurs
économiques. Ce « contrat social » dura près de
trente ans, donnant naissance à une classe
moyenne et à des centaines de milliardaires.
Cette « révolution » partit, une nouvelle fois,
des campagnes, avec la fin des communes populaires, pour s’étendre à tout le pays après des
expérimentations menées dans des villes côtières. Ce furent les années fastes, les « trente
glorieuses » chinoises, qui virent l’économie
asiatique devenir la deuxième du monde.
L’apogée de cette phase fut l’organisation des
Jeux olympiques à Pékin, en 2008. Lors de la
cérémonie d’ouverture, le parti afficha sa puissance retrouvée, avec Confucius en vedette, le
sage jadis honni par Mao mais désormais en
odeur de sainteté : « Comment ne pas se réjouir quand des amis viennent de loin ? »
UN NOUVEAU MODÈLE À INVENTER
Le dessillement n’a pas tardé : on peut dater le
début de la nouvelle phase de 2009. Certes, la
Chine a su traverser la bourrasque de la crise financière de 2008, mais le productivisme,
fondé sur les exportations, dévoreur d’énergie
et nourrissant les inégalités, a montré ses limites. Aujourd’hui, un nouveau modèle économique doit être inventé. Confronté à ce défi, le
secrétaire général du PCC, le président
Xi Jinping, pioche dans la boîte à outils
maoïste. Il prétend garder un contrôle accru
sur la société et renouveler sa confiance dans
les grandes entreprises publiques monopolistiques, tout en s’évertuant à promouvoir une
économie basée sur l’innovation.
Mais plus de répression, argumentent les
économistes, ne permettra pas d’échapper au
piège du revenu intermédiaire (en anglais,
middle-income trap), ce moment où les pays à
forte croissance atteignent un seuil sans parvenir à le dépasser à moins d’entreprendre des
réformes. Face à ce dilemme, il se heurte à une
vieille question politique : comment donner
plus de liberté pour accoucher d’une économie de l’innovation fondée sur l’intelligence
sans remettre en cause l’hégémonie du parti
unique ? Un vieux modèle se meurt, un nouveau tarde à apparaître, que fera M. Xi ? Persistera-t-il dans la voie autoritaire maoïste ? Ou
saura-t-il, comme l’espèrent certains, adopter,
et adapter, une version chinoise d’une idée venue de l’Occident : la démocratie ? p
[email protected]
22 | 0123
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
PLANÈTE | CHRONIQUE
par sté p hane fo ucart
Un grand
malentendu
U
n grand malentendu
se cache derrière l’incapacité de la plus
grande part d’entre
nous (et de nos responsables politiques) à prendre la juste mesure
de la question climatique. Ce malentendu, c’est l’idée selon laquelle
les scientifiques exagéreraient systématiquement la gravité de leur
diagnostic, dans le but – louable ou
répréhensible selon les options
idéologiques de chacun – d’attirer
l’attention sur le problème. Hélas,
cette croyance est aussi fausse
qu’elle est généralisée.
Une étude américaine, publiée
début avril par la revue Nature, en
donne (une nouvelle fois) une
claire illustration. Qu’ont donc découvert Robert DeConto (université du Massachusetts à Amherst)
et David Pollard (université de
Pennsylvanie) ? Que l’élévation
moyenne du niveau de l’océan
pourrait atteindre un maximum
de 2 mètres d’ici à la fin du siècle,
dans le cas d’un scénario « business as usual » – c’est-à-dire sans
infléchissement de nos émissions
de gaz à effet de serre.
Or il n’aura échappé à personne
que 2 mètres, c’est beaucoup, et
que c’est bien plus que le niveau
projeté, au même horizon de
temps et dans les mêmes conditions, par le Groupe d’experts intergouvernermental sur l’évolution du climat (GIEC). Rappelons
qu’en 2013, dans son cinquième et
dernier rapport, le GIEC prévoyait
qu’un maximum de 1 mètre environ d’augmentation du niveau
marin était à attendre en 2100, si
aucune politique climatique
n’était mise en place.
Un mètre, deux mètres : la différence sur un trait de côte est considérable. Comment diable des
chercheurs sérieux peuvent-ils
parvenir à un résultat aussi radicalement différent de celui du GIEC,
établi voilà seulement trois ans ?
La bombe carbone
La réponse est libellée dans un
bref paragraphe, à la page 1 174 du
premier volet du cinquième rapport du GIEC. Tout indique, y
lit-on en substance, que la calotte
glaciaire de l’Antarctique de
l’Ouest est instable, susceptible de
laisser s’écouler dans l’océan, de
manière « abrupte et irréversible »,
de grandes quantités de glace,
mais il n’est pas possible de savoir
à quel moment se concrétisera
cette instabilité, ni quelle sera son
ampleur… Parce que non quantifiable, cet effet n’a pas été pris en
compte par le GIEC dans ses projections.
En utilisant un modèle sophistiqué, capable de reproduire le
comportement passé des glaces
de l’Antarctique de l’Ouest, Robert
DeConto et David Pollard proposent une quantification de ce phénomène. Et une fois cela ajouté
aux projections du GIEC, le pire à
attendre pour 2100 n’est plus
1 mètre d’élévation des mers…
mais le double.
Il ne s’agit pas de dire que le pire
est certain. Mais plutôt de comprendre un aspect fondamental
de l’expertise scientifique sur le
climat. Non seulement les chercheurs participant au processus
du GIEC n’exagèrent pas, mais ils
sous-estiment à peu près systéma-
IL VAUT MIEUX
PÉCHER
PAR EXCÈS
DE SCEPTICISME
QUE FAUTER
PAR ALARMISME
NON SEULEMENT
LES CHERCHEURS
SUR LE CLIMAT
N’EXAGÈRENT PAS,
MAIS ILS SOUSESTIMENT LEUR
DIAGNOSTIC
tiquement leur diagnostic en
écartant de toute évaluation chiffrée ce qui est imparfaitement
connu.
Ce n’est pas nouveau. En 2007,
dans son quatrième rapport, le
GIEC n’avait pas tenu compte des
pertes de glaces du Groenland : le
pire attendu pour 2100 était estimé autour de 60 centimètres de
hausse du niveau marin. En 2013,
une fois le Groenland intégré aux
calculs, le diagnostic s’était aggravé de près d’un facteur deux, à
environ un mètre. Et, dans son
prochain rapport, pour peu que
les travaux de DeConto et Pollard
soient reproduits et validés, il y a
fort à parier que le GIEC doive
doubler à nouveau la fourchette
haute de ses projections.
Autre exemple. Les modèles climatiques ne tiennent pas
compte d’un possible relargage
dans l’atmosphère du carbone
prisonnier des sols gelés de l’Arctique. Il est pourtant très probable que le réchauffement à venir,
en décongelant le pergélisol, conduise à une aggravation considérable de la situation. Il faut cette
fois se transporter à la page 526
du premier volet du cinquième
rapport du GIEC pour en avoir le
cœur net : « Aucun des modèles
climatiques [utilisés par le GIEC]
n’inclut de représentation explicite de la décomposition du carbone présent dans le permafrost
en réponse au réchauffement futur. » Il y a pourtant là une bombe
à retardement à ne pas négliger.
La quantité de carbone dormant
dans les sols gelés de l’Arctique
est généralement estimée à environ 1 700 milliards de tonnes,
c’est-à-dire plus de deux fois l’ensemble du carbone présent dans
l’atmosphère.
L’expertise scientifique est ainsi
systématiquement soupçonnée
d’alarmisme alors qu’elle est, surtout lorsqu’elle est conduite dans
un cadre officiel, profondément
conservatrice. L’historienne des
sciences Naomi Oreskes (université Harvard) a traduit cette tendance à la « prudence » scientifique par une expression difficilement traduisible : « Erring on the
side of least drama » (quelque
chose comme : « Arpenter le côté
le moins dramatique des choses »).
C’est un aspect culturel fondamental du monde scientifique,
dans lequel il est préférable de se
tromper en restant en deçà de la
réalité, qu’en étant au-delà. Il vaut
mieux pécher par excès de scepticisme, y compris vis-à-vis de ses
propres résultats, que fauter par
alarmisme. C’est vrai pour le climat, mais cela l’est également,
sauf exception, dans les autres
domaines des sciences de l’environnement : écologie, toxicologie, etc. Cela, la plus grande part
de la société et des responsables
politiques ne le comprend pas.
C’est un malentendu aux conséquences graves, qui pourrait conduire à l’avenir à quelques cocasseries. Après avoir été plus ou
moins suspectés d’alarmisme de
longues années durant, il est probable que les chercheurs en sciences du climat seront accusés, dans
les prochaines décennies, de
n’avoir pas crié assez fort. p
Tirage du Monde daté dimanche 10 - lundi 11 avril : 306 598 exemplaires
PANAMA PAPERS :
LA BONNE
RÉACTION
DE L’EUROPE
M
obilisation des administrations
fiscales nationales. Présentation
cette semaine d’une nouvelle directive comptable au sein de l’Union européenne. Réunion, mercredi 13 avril, à Paris,
des hauts fonctionnaires chargés des questions fiscales au sein de l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE). A l’évidence, les gouvernements occidentaux ont décidé de réagir au
plus vite aux « Panama papers », cette série
de révélations sur le monde opaque de la
finance offshore et des paradis fiscaux.
C’est une bonne chose.
Une semaine après les informations inédites fournies par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ,
dont Le Monde fait partie), tout se passe
comme si les gouvernements avaient pris
conscience de la portée politique de cette
affaire. Il y a les situations particulières,
bien sûr. A trois mois du référendum sur
l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union
européenne (UE), le premier ministre britannique, David Cameron, se serait bien
passé de voir son nom associé aux « Panama papers ». Même si le chef conservateur n’a légalement rien à se reprocher.
Il y a l’entourage de la présidente du Front
national, Marine Le Pen, lui aussi familier
des pratiques d’évasion fiscale panaméennes. On y verra une certaine logique « idéologique », puisque l’entourage d’un des
« héros » du FN, Vladimir Poutine, figure
également dans la liste des pratiquants de
la fiscalité offshore. Il est vrai que le Front a
accepté un crédit d’une banque russe, qui
n’a pu lui être accordé qu’avec le feu vert du
même M. Poutine.
Mais là n’est pas l’essentiel. Au-delà des
situations individuelles, les révélations des
« Panama papers » interviennent, en Europe et aux Etats-Unis, dans un climat politique déjà lourd. L’opinion publique est
chauffée à blanc contre les « élites ». Des
deux côtés de l’Atlantique, tout se passe
comme si une partie des classes moyennes
– au sens large de cette catégorie – réagissait aux ravages provoqués par la crise
financière de 2008-2009.
La révolte contre, pêle-mêle, « le système », « les élites », la mondialisation et ce
qui l’accompagne explose à retardement
sous des formes politiques diverses – cela
va, d’un bord à l’autre du spectre politique,
du succès d’une nouvelle gauche (Jeremy
Corbyn au Royaume-Uni, Bernie Sanders
aux Etats-Unis) au vote protestataire à
droite (de Donald Trump à la poussée nationaliste sur le Vieux Continent). De façon
informelle, la grogne monte contre une
croissance inégalitaire et le sentiment
qu’elle ne profite qu’à une minorité qui
échappe au droit commun. A mesure que la
globalisation économico-financière facilitait les pratiques d’optimisation fiscale
pour les entreprises et les grandes fortunes, la pression fiscale augmentait sur les
classes moyennes.
D’où l’importance des initiatives prises
cette semaine. La plus importante est la
refonte par la Commission européenne
d’une directive comptable de 2013. Elle imposera une discipline sans précédent : toutes les grandes sociétés opérant au sein de
l’Union vont être soumises à une transparence comptable qui devrait rendre impossible le moindre détournement fiscal. En la
matière, l’efficacité ne peut être nationale,
elle passe par des réglementations supranationales. Il n’est pas indifférent, au moment où les démagogues prennent l’Europe comme bouc émissaire, que le bon
exemple vienne de Bruxelles. Parfois, plus
d’Europe est le bon chemin. p
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PAGE 9
Londres assure le service minimum
pour la sidérurgie britannique
▶ Attaché à la non-intervention, le gouvernement Cameron a tardé à chercher un repreneur pour les usines Tata
C
e lundi 11 avril, Emmanuel Macron se rend au Parlement européen, à Strasbourg, pour parler
acier. Objectif : débattre de la meilleure
façon de faire face à la « crise sans précédent » de la sidérurgie européenne, pour
reprendre les mots du cabinet du ministre français de l’économie.
Il devrait appeler à une meilleure protection des industries européennes face
au dumping et aux surproductions chinoises. Ses propos résonneront particulièrement fort au Royaume-Uni. Lundi,
Tata lance officiellement le processus de
mise en vente de ses usines sidérurgiques outre-Manche. Le conglomérat indien, qui est le premier acteur du secteur
dans le pays, a décidé de jeter l’éponge,
face à l’hémorragie financière de son activité. En 2015, sa branche acier au
Royaume-Uni a perdu 768 millions de livres (950 millions d’euros), pour un chiffre d’affaires de 4,2 milliards de livres
sterling. L’annonce a provoqué la consternation : 15 000 emplois directs sont
en jeu. En 2007, Tata avait racheté les
vestiges de British Steel, l’ancienne entreprise sidérurgique nationale, privatisée par Margaret Thatcher. Il possède
une dizaine de sites au Royaume-Uni,
dont deux hauts-fourneaux. Le plus important se situe à Port Talbot, au Pays de
Galles. Dans cette vallée industrielle,
près de 40 000 emplois dépendent de
l’acier. La fermeture du site porterait un
coup terrible à l’une des régions les plus
pauvres du pays.
éric albert (à londres)
et cécile ducourtieux (à bruxelles)
→ LIR E L A S U IT E PAGE 3
La fin des illusions pour l’économie du partage
▶ Les champions
de l’échange de
biens et de services
sur Internet
sont confrontés
à l’arrivée
de professionnels
▶ A Paris,
une professionnalisation rampante
d’Airbnb
est en marche
DOSSIER → LIR E PAGE S 6 - 7
Nouveau bras
de fer entre
la Grèce et
ses créanciers
L
es réunions marathons se
succèdent. En vain. Entre la
Grèce et ses créanciers, les
pourparlers engagés depuis des
semaines afin de boucler au plus
vite la mission visant à juger de
l’état d’avancement des réformes
(« revue » en jargon européen)
s’enlisent.
Côté grec, on espérait conclure
un accord de principe avant le départ de la « troïka » lundi soir avec,
comme date limite pour la signature de l’accord final, celle de
l’Eurogroupe du 22 avril. Mais côté
créanciers, les déclarations se
multiplient ces dernières heures,
évoquant plutôt le mois de juillet.
Athènes redoute de devoir accepter des mesures plus dures s’il
se retrouve dos au mur en juillet.
Car il aura alors 3,5 milliards
d’euros à rembourser à la Banque
centrale européenne et au Fonds
monétaire international. Les discussions achoppent sur trois
points : la réforme des retraites,
les créances douteuses des banques grecques et l’évaluation de la
situation budgétaire du pays.
Athènes veut éviter à tout prix
de se retrouver dans la situation
de juillet 2015, lorsque, à court de
liquidités, il avait dû accepter la signature d’un nouveau Memorandum of understanding (MOU) engageant le pays vers trois nouvelles années d’austérité. p
→ LIR E PAGE 5
700
Une chambre à l’Aquarium
de Paris, dans le cadre
d’un partenariat avec
Airbnb. AIRBNB/SIPA
PORTRAIT
KAUSHIK BASU,
ÉCONOMISTE
ICONOCLASTE
DE LA BANQUE MONDIALE
→ LIR E PAGE 2
MÉDIAS
LES CRAINTES
DE FRANCE INFO AVANT
LA CRÉATION DE LA
CHAÎNE D’INFO PUBLIQUE
→ LIR E PAGE 1 0
J CAC 40 | 4 286 PTS + 0,38 %
j DOW JONES | 17 576 PTS + 0,20 %
j EURO-DOLLAR | 1,1407
J PÉTROLE | 41,67 $ LE BARIL
K TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,43 %
VALEURS AU 11 AVRIL À 9 H 30
C’EST, EN MILLIONS D’EUROS,
LE DÉFICIT ANNUEL DES CAISSES
DE RETRAITE GRECQUES
PERTES & PROFITS | VIVENDI – CANAL+
Retour vers le futur, saison 2
E
n quelle année sommes-nous ? 1997
ou 2016 ? On se frotte les yeux. C’est
bien ce vendredi 8 avril 2016 que Vivendi a signé son retour en Italie avec
l’acquisition de la télévision payante du groupe
Mediaset de Silvio Berlusconi. Une offensive
qui pourrait constituer le début d’un déploiement du Français sur l’Europe du Sud. Vincent
Bolloré, le nouveau maître des lieux entend
bien étendre l’emprise de Canal+ grâce à ses
participations dans Telecom Italia et dans son
homologue espagnol, Telefonica. Il pousse également les feux en Afrique et en Pologne.
Tout cela exhale un fort parfum de déjà-vu.
Durant les années 1990, Canal+, concurrencé
dans son monopole français de la télévision à
péage, était déjà parti à la conquête des mêmes
horizons. L’Afrique en 1990, la Pologne en 1995,
l’Italie en 1997, sous la férule de son patron,
Pierre Lescure, et avec le soutien actif du PDG
de Vivendi, Jean-Marie Messier. Avec le même
souci qu’aujourd’hui : élargir la base de distribution des produits maison, tels que les films
ou les compétitions sportives… Comme à
l’époque, les analystes salivent aujourd’hui à
l’idée d’une vague de concentration qui saisirait de nouveau l’Europe de l’audiovisuel. Et de
montrer du doigt l’incontournable mammouth du secteur, Rupert Murdoch, sémillant
vieillard de 85 ans qui collectionne les épouses
et les chaînes de télévision sur tous les continents, sans se soucier du temps qui passe.
Canal+ rejoue donc Retour vers le futur, mais
en version saison 2. Car ce n’est pas la première
Cahier du « Monde » No 22158 daté Mardi 12 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
fois que la société contrôlée par Vincent Bolloré rend un hommage appuyé au passé. L’alliance conclue en février entre le groupe et son
rival, BeINSports, qui lui faisait de l’ombre sur
les droits du football, ressemble étrangement
à la fusion avec TPS en 2005, qui avait éteint la
concurrence dans le sport pour une petite dizaine d’années en France.
L’histoire bégaye
Il reste à espérer que la suite sera plus inédite.
Car, à partir des années 2000, l’explosion de
l’offre en France et la dégradation de la situation financière du groupe Vivendi, provoquée
par sa boulimie d’acquisitions, avaient sonné le
glas des ambitions internationales de Canal+.
Sa filiale italienne Telepiu a été vendue en 2003
au bouquet italien de Rupert Murdoch.
Même si elle bégaye, l’histoire ne se répète
pas. Bien sûr, la volonté de multiplier les
clients et de museler la concurrence ne change
pas. Mais le contexte n’est plus le même. Le
cercle des rivaux s’est élargi considérablement
avec l’arrivée d’Internet, qui soustrait des spectateurs et multiplie les concurrents. Le plus
terrible, Netflix, est déjà hors de portée du
français. Avec une valorisation de près de
50 milliards de dollars (49,3 milliards d’euros)
et une présence dans 190 pays, sa capacité d’investissement se compte désormais en milliards de dollars par an. Ce n’est pas en recyclant de vieilles histoires que Canal+ trouvera
le scénario gagnant. p
philippe escande
L’HISTOIRE DE L’OCCIDENT
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2 | portrait
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Kaushik Basu
L’économiste décalé
L’économiste en chef
et vice-président
de la Banque mondiale
livrera, mardi 12 avril
à Washington,
son diagnostic
sur la santé du monde
U
ne peinture de zèbre bariolé,
une photo du leader nord coréen Kim Jong-un accompagnée d’une bonne blague, ou
encore une capture d’écran
de ses nouveaux « smileys ».
Les images tweetées par Kaushik Basu, l’économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale, sont à son image : éclectiques
et décalées. Né à Calcutta en 1952, cet universitaire, qui a aussi conseillé le gouvernement
indien, n’a jamais adopté les codes austères de
bon nombre de ses pairs.
Ce tweet publié vendredi 8 avril en est un
autre exemple : « Faire des réformes structurelles, voilà un conseil sans risque. Personne ne
sait ce que cela veut dire. Si l’économie repart :
Je vous l’avais bien dit.” Si elle stagne : “C’est justement parce que vous n’en avez pas fait.” » La
boutade est destinée à ses amis du Fonds monétaire international (FMI), l’institution sœur
de la Banque mondiale, qui ne cesse de tancer
les Etats à ce sujet. L’une veille sur les grands
équilibres financiers de la planète, l’autre sur
le développement des pays les plus pauvres. A
partir du 12 avril, leurs équipes ont rendezvous comme chaque printemps à Washington pour partager leurs vues du monde.
Kaushik Basu y participera pour la dernière
fois : nommé en 2012 au poste prestigieux
d’économiste en chef de la Banque mondiale,
il achève son mandat à l’automne. Il laissera
en héritage une idée : la croissance économique n’est pas un remède suffisant contre la
pauvreté. Pire, elle peut masquer un accroissement des inégalités, et l’extrême pauvreté
de certaines populations. « Il est le premier économiste en chef originaire d’un pays
pauvre : il sait ce que cela signifie de vivre dans
le dénuement. Cette expérience a façonné sa vision », insiste l’économiste Nicholas Stern,
connu pour son rapport sur le changement
climatique et qui l’a précédé à la Banque mondiale entre 2000 et 2003.
Afin d’étayer ses théories, et d’inciter la
Banque mondiale à y regarder de plus près, il
a créé un indicateur baptisé « The Bottom
40 % ». L’idée est d’évaluer l’impact de chaque programme de l’institution à l’aune ce
qui a changé pour les 40 % les plus pauvres
d’un pays. Elle paraît simple, mais sa mise en
œuvre est un vrai casse-tête. « Poser les bonnes questions ne va pas de soi, car les critères
d’évaluation sont souvent pensés en fonction
des normes des pays riches », souligne
Kaushik Basu.
UN STYLE À LA WOODY ALLEN
En acceptant le poste à la Banque mondiale,
M. Basu savait par ses amis qu’il mettait la
main dans un engrenage compliqué. « Le début est fascinant, car on a beaucoup de liberté, on peut faire passer des idées, même si
cela ne se traduit pas toujours dans la pratique, témoigne François Bourguignon qui a
été économiste en chef de la Banque de 2003
à 2007. Mais une fois qu’on est dans la machine, on est de plus en plus absorbé par la
bureaucratie. »
Très critique il y a quelques années vis-à-vis
de grandes institutions internationales
comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – créée selon lui pour le bénéfice
des pays riches, et dotée d’une démocratie fictive – l’économiste a indéniablement adouci
son discours en arpentant les couloirs de la
Banque. La politique a-t-elle ébranlé certaines
de ses convictions ? « J’aime à croire que je n’ai
pas changé. Je me suis adapté, je suis devenu
moins impatient », élude-t-il avec diplomatie.
Sa fascination pour les chiffres aurait pu le
conduire sur un tout autre chemin. Son père
le poussait à poursuivre des études de mathématiques alors que lui « ne voulait rien
faire ». Dans le Calcutta des années 1970, pris
dans la fièvre révolutionnaire marxiste, son
DAN CALLISTER/REX FEA/REX/SIPA
esprit était ailleurs. Entre le « rien » et les
mathématiques, ce sera finalement l’économie, mais autrement, en s’intéressant au
développement.
A la prestigieuse Delhi School of Economics, les amphithéâtres où il fait classe sont
bondés. « Ses cours étaient populaires parce
qu’il remettait en cause les conventions », se
souvient Ashwini Deshpande, l’une de ses
anciennes étudiantes. Comparé à Woody Allen pour son style un brin désuet autant que
son sens de la dérision, il partage avec le cinéaste un sens aigu de l’observation. A la manière d’un anthropologue, il étudie ainsi les
habitudes des consommateurs. Ses premiers articles s’intitulent : « Pourquoi de
nombreux prix de marchandises se terminent par 9 » ou encore « Pourquoi nous n’essayons pas de sortir d’un taxi sans payer la
course ? »
Ce côté iconoclaste séduit aussi outre-Atlantique, où il est recruté en 1996 par Cornell, une prestigieuse université de la Côte
est aux Etats-Unis. C’est là qu’il publie,
en 1998, un article dans lequel il explique
que l’interdiction du travail des enfants serait contre-productive. « Il a montré qu’en
l’absence d’autres sources de revenus pour
leur famille, les enfants se tournaient vers des
activités bien plus dangereuses, explique
Chris Barrett l’un de ses collègues du département d’économie de Cornell. Cette découverte a eu un impact considérable en mettant
fin aux campagnes de boycott. »
Près d’une décennie plus tard, Kaushik
Basu entre cette fois de plain-pied en politique. Nommé conseiller économique en
chef du gouvernement indien, il a pour mission d’insuffler de nouvelles idées aux
hauts fonctionnaires qui planchent sur les
réformes. « Si Malinowski pouvait passer
trois ans sur les îles Trobriand, observant et
prenant des notes sur les mœurs et les rituels
de ses habitants, alors certainement je pouvais survivre deux ans au North Block [le surnom du ministère des finances], au moins
pour observer les bureaucrates et les politiciens si ce n’est pour autre chose », écrit-il
KAUSHIK BASU
LAISSERA EN
HÉRITAGE UNE IDÉE :
LA CROISSANCE
ÉCONOMIQUE N’EST
PAS UN REMÈDE
SUFFISANT CONTRE
LA PAUVRETÉ
1952
1992
2009
2012
Naissance
le 9 janvier
à Calcutta
Création du centre
de recherche
sur l’économie du
développement
à la Delhi School
of Economics
Conseiller
économique
du gouvernement
indien
Economiste en chef
de la Banque mondiale
dans An Economist in the Real World (éd.
Penguin Viking, 2016, non traduit), tiré du
journal de bord qu’il a tenu pendant ces années-là. C’est surtout pour lui une fantastique opportunité de confronter ses théories
au terrain.
« Je lui avais conseillé de se concentrer sur
seulement quelques idées pour être audible »,
se souvient son prédécesseur Arvind Virmani. La lutte contre la petite corruption, qui
mine le quotidien des Indiens, est l’un des
sujets qui lui tient le plus à cœur. Mais le remède qu’il suggère – la légalisation des potsde-vin – est pour le moins inattendu. « Dans
les situations où un fonctionnaire demande
un pot-de-vin à un usager qui a pourtant le
droit d’exiger un service, il est important de
distinguer l’auteur du délit de la victime.
Maintenant, pensez au fonctionnaire qui demande un pot-de-vin. Il saura qu’une fois l’argent perçu, il ne pourra plus compter sur la
complicité de l’usager pour dissimuler la transaction », justifie-t-il en 2011, au plus fort des
manifestations anticorruption. La mesure
n’a finalement pas été adoptée, mais M. Basu
en a fait l’un de ses chevaux de bataille à la
Banque mondiale, en la nuançant un peu.
Prenant ses distances avec le jargon,
Kaushik Basu est un économiste pour qui
une courbe graphique peut se regarder
comme une peinture. « Ce ne sont pas les visions du printemps par Jackson Pollock mais
les performances et prévisions de croissance
des pays de l’Asean et de quelques autres entre 2012 et 2016 », s’est-il ainsi amusé à écrire
un jour sur son compte Twitter. Pour aller
au-delà des chiffres, leur donner vie et sens,
il convoque la sociologie, la philosophie, la
culture… « Il est comme les penseurs de la Re-
naissance », souligne, admiratif, son ami
Chris Barrett.
A la Banque mondiale, il bouscule ainsi les
traditions en consacrant un rapport au rôle
de la psychologie dans le développement : il
paraît en 2014 sous le titre « Pensée, société
et comportement ». « Ce thème était loin de
faire l’unanimité, mais j’y tenais beaucoup
car trop de bonnes politiques échouent faute
d’avoir été présentées sous le bon angle », explique ce fin stratège, dont le bureau abrite
un jeu d’échecs géant.
« UN LEVIER PUISSANT »
« La psychologie aide les industriels à nous
vendre des soupes et les politiques à se faire
élire. Pourquoi serions-nous les seuls à ne pas
en tirer partie ? C’est du bon paternalisme »,
poursuit-il. La performance des enseignants est, selon lui, un cas d’école. « Dans la
majorité des pays pauvres, elle est médiocre,
car la plupart s’estiment sous-payés. L’Inde
est une des rares exceptions, avec des professeurs très impliqués : ils ne sont pas mieux
payés, mais ils sont fiers ce qu’ils font. C’est
un levier puissant », analyse-t-il.
Ses réflexions sur ces années à la Banque
mondiale sont consignées dans un journal,
dont il espère tirer une pièce de théâtre. « Sans
révéler quoique ce soit de confidentiel, j’aimerais mettre en scène toutes les choses drôles,
inattendues, ineptes que j’ai entendues ces
quatre dernières années », s’amuse Kaushik
Basu, dont la première pièce a été jouée à
Delhi il y a quelques mois. En attendant, il
rêve de descendre le Danube, et de visiter
Cuba « avant que le pays ne change trop ». p
julien bouissou (à new delhi)
et chloé hecketsweiler
économie & entreprise | 3
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Tata met en
vente ses usines
britanniques
Le groupe Liberty House est pour
l’instant le seul candidat à la reprise
suite de la première page
La crise ne touche pas seulement le
Royaume-Uni. L’acier souffre
d’une énorme surproduction
mondiale : selon l’Organisation de
coopération et de développement
économiques (OCDE), la surcapacité mondiale est de 600 millions
de tonnes, presque le tiers de la
production. La Chine, en particulier, a construit beaucoup trop
d’usines sidérurgiques, tandis que
la consommation mondiale n’a jamais retrouvé son niveau d’avant
la crise de 2008. Résultat, les prix
de l’acier ont été divisés par cinq
en cinq ans.
Face à cet effondrement, la
France, mais aussi l’Allemagne et
l’Italie, a beaucoup bataillé pour
que Bruxelles adopte une ligne
beaucoup plus dure vis-à-vis de la
Chine et de ses exportations
d’acier peu cher. Emmanuel Macron s’est personnellement impliqué dans ce dossier.
Le Royaume-Uni, en revanche, a
longtemps choisi une attitude diamétralement opposée. Jusqu’à
très récemment, il combattait
l’augmentation des droits de
douanes. En février, son ministre
de l’industrie, Sajid Javid, s’y opposait fermement : « A court terme,
cela peut paraître une façon de protéger une certaine industrie, mais il
faut se rappeler qu’au RoyaumeUni, en plus des producteurs d’acier,
nous avons aussi des entreprises
qui consomment de l’acier [en l’important] et cela risque d’avoir un
impact pour elles. »
Cette attitude se fait au nom du
libre-échange et de la non-inter-
vention économique, auxquels
croient beaucoup les gouvernements britanniques. Depuis Margaret Thatcher, le Royaume-Uni
rejette presque toujours l’idée de
venir en aide aux entreprises en
difficulté. Avec certains arguments qui portent : « Laisser les
marchés ouverts pour s’assurer que
les entreprises puissent se procurer
[de l’acier] le moins cher possible
est dans l’intérêt du pays », estime
Diane Coyle, économiste à l’université de Manchester. En clair,
mieux vaut importer pas cher, ce
qui profite à l’ensemble de l’économie, que protéger quelques usines
sidérurgiques et imposer des prix
élevés à tous.
L’absence de compétitivité de la
sidérurgie britannique n’est pas
simplement un effet conjoncturel
lié à la surproduction chinoise. Le
secteur souffre de problèmes
structurels majeurs. L’électricité
du Royaume-Uni est l’une des plus
chères d’Europe, le gouvernement
impose un prix plancher à la
tonne de CO2 plus élevé que dans le
reste de l’Union européenne et,
surtout, les usines britanniques
sont vieillissantes. « Nous payons
Depuis
septembre 2015,
un peu plus de
4 000 emplois
ont été
supprimés
dans le secteur
Des ouvriers de Tata attendent le ministre
de l’économie britannique, à Port Talbot
(Pays de Galles) le 1er avril. BEN BIRCHALL/AFP
des décennies de sous-investissement, qui remontent aux années
où le secteur était nationalisé », estime Mme Coyle.
Cette approche non interventionniste avait tenu bon en 2015,
malgré la multiplication des annonces de licenciements dans la
sidérurgie. Depuis septembre, un
peu plus de 4 000 emplois ont été
supprimés dans le secteur, dont la
moitié avec la fermeture par SSI,
une entreprise thaïlandaise, de
son usine de Redcar, dans le nord
de l’Angleterre.
Le gouvernement restait dans le
même état d’esprit quand Tata a
annoncé la vente de son activité
britannique, le 30 mars. Le lendemain, le premier ministre britannique, David Cameron, s’empressait de ne surtout rien promettre.
S’il assurait qu’il aiderait à trouver
un repreneur, il ajoutait : « Il n’y a
pas de garantie de succès. »
Sajid Javid, le ministre de l’industrie, était, de son côté, en voyage en
Australie. Il lui aura fallu de longs
jours avant de se rendre à Port Talbot. Et ce n’est qu’après une semaine que cet ancien banquier
d’affaires de Deutsche Bank s’est
rendu en Inde pour rencontrer la
direction de Tata et prendre le dossier à bras-le-corps.
Négociations difficiles
Face au tollé politique, le ton a désormais changé. Le gouvernement
britannique fait officiellement
« tout ce qu’il peut » pour trouver
un repreneur. M. Javid mène les
négociations personnellement.
Celles-ci s’annoncent pourtant difficiles. Pour l’instant, un seul candidat s’est officiellement dévoilé.
Sanjeev Gupta, propriétaire du
groupe privé Liberty House,
monte depuis des années un
groupe sidérurgique international
au chiffre d’affaires de 3 milliards
de dollars (2,62 milliards d’euros).
Mais sa spécialité est plutôt les petits sites et l’acier bas de gamme. Il
multiplie aussi les exigences, demandant que l’Etat britannique reprenne le lourd déficit du fonds de
pension et assume le coût du futur
nettoyage industriel du site.
Le gouvernement ne veut plus
donner l’impression qu’il laissera
tomber la sidérurgie. Samedi, Philip Hammond, le ministre des affaires étrangères, lors d’une rencontre avec son homologue chinois, est intervenu : « Je demande à
la Chine d’accélérer ses efforts pour
réduire le niveau de sa production
d’acier. »
Fondamentalement,
pourtant, le Royaume-Uni n’a pas
l’intention de faire une entorse au
principe de non-intervention. p
éric albert (a londres)
et cécile ducourtieux
(a bruxelles)
Air France : les pilotes mécontents de
l’ultime projet d’accord de la direction
C’
est la proposition de la
dernière chance pour la
direction d’Air France.
Elle a adressé, dimanche 10 avril,
son ultime projet d’accord aux
deux organisations représentatives de pilotes, le Syndicat national
des pilotes de ligne (SNPL) et le
Syndicat des pilotes d’Air France
(SPAF). Un projet accompagné
d’un courrier de Gilles Gateau,
nouveau directeur des ressources
humaines de la compagnie, pour
tenter de convaincre les pilotes.
« Pour nous, la négociation est
terminée. Nous sommes allés au
bout », explique M. Gateau. Ce
dernier se dit prêt toutefois à expliquer les nouvelles propositions faites aux pilotes. Il veut
croire en ses chances de « trouver
un compromis ».
Cela semble peine perdue.
« Nous n’avons pas été surpris. Cela
ressemble beaucoup aux projets
déjà reçus. Il n’y a pas de réelles
nouveautés », réplique Philippe
Evain, président du SNPL qui
« s’interroge sur la volonté réelle de
la direction d’aboutir à un accord ». M. Evain en veut pour
preuve que le syndicat avait fait
du rééquilibrage entre Air France
et KLM « un point capital. C’était
notre objectif numéro 1 ». Mais Air
France n’a pas voulu revenir sur
« l’accord inique » entre les deux
compagnies, déplore M. Evain.
De son côté, Air France assure
avoir fait évoluer ses propositions
et se dit prête désormais à « 10 %
de croissance du long-courrier entre 2017 et 2020 ». A l’en croire, ce
serait le moyen de parvenir à « un
rééquilibrage progressif en heures
de vol long-courrier avec KLM ».
Faux rétorque le président du
SNPL. Selon lui, « c’est un trompe
l’œil. Il y a aura toujours dix avions
long-courriers de moins que chez
KLM car tout accord de croissance
négocié avec Air France est accompagné par une croissance similaire
de KLM. »
« Voler plus pour gagner plus »
Pourtant, M. Gateau estime avoir
entendu les requêtes des pilotes.
« Au départ, nous leur proposions
de voler environ cent heures de
plus par an avec la même rémunération. », rappelle le DRH. « Cette
idée a été abandonnée au profit
d’une approche différente : voler
plus pour gagner plus mais en partageant les gains de productivité
entre les pilotes et la compagnie. »
La direction pouvait-elle faire
autrement ? « Par principe », indique le SNPL, « nous refusons une
baisse des règles générales des rémunérations des pilotes ». Selon
les calculs du syndicat, les diminutions auraient pu être sévères :
« Entre – 7 % et – 8 % pour les pilotes
les moins impactés mais jusqu’à –
15 % pour les plus touchés. » Cette
page a été tournée, rétorque Air
France qui fait savoir qu’elle est
« très loin des 17 % » d’efforts de
productivité qu’elle demandait
aux pilotes au début des négociations. Un effort qu’elle se refuse
toutefois à chiffrer
Les syndicats, qui avaient fait de
l’emploi-pilote leur première préoccupation, pourraient avoir été
entendus par la direction. Elle prévoit de recruter six cents pilotes
d’ici 2020. Des embauches qui
auront aussi pour effet de pérenniser la caisse de retraites des navigants, fait-on savoir. Trop peu,
trop faible, trop tard ? A en croire,
M. Evain : « les propositions de la
direction n’ont aucune chance de
pouvoir être acceptées par aucun
pilote ». Le SNPL doit réunir son
conseil le 20 avril.
Il pourrait décider de soumettre
le projet de la direction au vote
des pilotes. Pour Philippe Evain :
« ce projet est un cadeau empoisonné d’Alexandre de Juniac à son
successeur. » Le PDG d’Air FranceKLM a décidé de quitter ses fonctions le 31 juillet. A l’avenir, le
SNPL réclame « un changement de
philosophie à la tête de l’entreprise ». Il faut « un industriel à la
tête d’Air France. L’inverse d’un financier, d’un politique », revendique M. Evain. p
guy dutheil
On ne choisit pas son nom,
mais on choisit qui on devient.
#bedistinctive
© campus com
Les dernières propositions prévoient pourtant une augmentation
de 10 % de l’offre long-courrier et l’embauche de 600 navigants
4 | économie & entreprise
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Comment PSA compte relancer Citroën
Le groupe va lancer sept nouvelles voitures de la marque. Objectif : augmenter ses ventes de 30 % en cinq ans
C
arlos Tavares y croit dur
comme fer. Lors de la
présentation de son
nouveau plan stratégique, mardi 5 avril, le président du
directoire de PSA a annoncé une
relance vigoureuse de Citroën, la
marque qui pose le plus question
dans le trio du groupe français,
composé aussi de Peugeot et de DS.
D’ici à 2021, les chevrons doivent
repartir à la conquête, en augmentant leurs volumes de ventes de
quelque 30 %, anticipe M. Tavares.
Pour passer d’environ 1,2 million
d’unités écoulées en 2015 à un niveau minimum de 1,5 à 1,6 million,
la marque promet une douzaine
de nouveaux véhicules, dont sept
modèles de voitures particulières.
Son record commercial remonte
à 2007, lorsque Citroën avait
vendu 1,46 million de voitures.
En 2010, la marque rachetée il y a
tout juste 40 ans par Peugeot avait
même dépassé la marque au lion.
Un succès vécu comme un crime
de lèse-majesté à Sochaux, le fief
des Peugeot.
« Dans les années 1990, Jacques
Calvet, alors président du directoire, avait décidé que Peugeot et
Citroën devaient s’affronter dans
une saine émulation, dit Bertrand
Rakoto, un analyste automobile.
Des deux généralistes, Citroën a
fini par prendre le pas sur Peugeot,
grâce à une gamme cossue et séduisante, qui va de la C1 à la C6 en
passant par la C4 Picasso, un monospace très apprécié. Aujourd’hui,
cette image à peine installée, Citroën est déjà en train de tenter un
nouveau changement. C’est très
tôt : pour installer une image
auprès du grand public, il faut
une bonne quinzaine d’années. »
Mais PSA n’avait plus le choix. Le
groupe devait prendre une décision pour clarifier le positionnement du créateur de la 2 CV, de
l’Ami 6, mais aussi de la révolutionnaire DS.
Philippe Varin et Carlos Tavares
ont redéfini le territoire de chaque marque du groupe. Le premier a décidé d’installer Peugeot
comme un généraliste plus haut
de gamme, et de redéfinir Citroën
comme un généraliste « différent », à même de rajeunir son public. Carlos Tavares a surtout décidé de faire de DS une marque à
part entière, alors qu’elle était jusqu’à 2014 une simple ligne de produits de Citroën.
« Au sein de Citroën, il y a encore
un peu d’amertume, confie un bon
connaisseur du groupe. Beaucoup
s’étaient investis et battus pour DS,
et du jour au lendemain, on leur a
dit : ce n’est plus à vous. Désormais,
vous devez vous concentrer sur Citroën, qui est en perte de vitesse… Si
le challenge est de taille, ce n’était
pas aussi valorisant que de développer une ligne haut de gamme. »
Une gamme actuelle illisible
« L’autonomisation de DS a été une
chance fantastique, assume Xavier
Peugeot, le directeur du produit de
Citroën, après avoir officié au
même poste chez Peugeot. Cela a
permis de clarifier les choses et d’arrêter avec la dichotomie des deux lignes. Et donc, de nous concentrer
sur la redéfinition de la marque. »
Sans DS, cependant, que devient
Citroën ? Sa gamme actuelle est illisible, avec des véhicules classiques d’un côté (C3, C4, C5), et de
La voiture
concept
Cactus M
de Citroën,
au Salon
de Francfort,
en septembre
2015.
ROGER MURMANN/
FURTURE IIMAGE
l’autre une C4 Cactus, un objet
roulant non identifié… Sans parler
du terme « généraliste différent »,
très obscur. « Nous proposons l’ensemble des produits d’un généraliste au cœur du marché, explique
Linda Jackson, la patronne de la
marque aux chevrons. Nous allons
couvrir tous les segments importants : ceux des citadines, des com-
pactes, des berlines traditionnelles
ou, bientôt, des SUV. Mais nous le
ferons avec notre nouvelle philosophie : “Be different, feel good”, que
nous pouvons traduire par “Soyez
différent, sentez-vous à l’aise…” »
La C4 Cactus, lancée en 2014,
reste à ce jour la voiture étendard
de cette nouvelle identité : un design un peu clivant, du confort,
Le Maroc et Renault poursuivent leur idylle
il y a fabriqué 290 000 voitures en 2015,
soit 10 % de sa production mondiale. Et Renault veut encore accélérer au Maroc. Vendredi 8 avril, le français a signé une série de
conventions avec le royaume chérifien
pour élargir son implication dans la construction de la filière automobile locale.
Le projet stratégique élaboré entre le
constructeur et le Maroc doit permettre, à
terme, de débloquer 10 milliards de dirhams d’investissements, soit quelque
900 millions d’euros, et de créer environ
50 000 emplois. Renault, qui emploie déjà
directement 9 600 personnes sur place
(contre 8 000 en 2014), n’investira qu’une
petite partie de ces sommes, dont il n’entend d’ailleurs pas divulguer le montant.
Le groupe s’engage en fait à augmenter la
part de ses achats de pièces à des sites locaux. « Aujourd’hui, en moyenne et hors
moteur, un véhicule produit au Maroc contient 40 % de pièces et composants fabri-
qués sur place, indique-t-on chez Renault.
En 2023, nous souhaitons porter ce taux à
65 % au minimum. »
Pour y arriver, le constructeur doit attirer
au Maroc de vingt à trente fournisseurs de
premier rang supplémentaires. L’ouverture de son usine de Tanger, en 2012, avait
déjà permis l’installation d’une trentaine
de sous-traitants internationaux. De manière générale, Renault souhaite, lors des
huit années à venir, doubler son chiffre
d’affaires marocain, et atteindre la somme
de 1,5 milliard d’euros.
Les équipementiers arrivent
Pour le Maroc, l’engagement de Renault a
été essentiel. En moins de quatre ans, il a
permis d’accélérer le développement de ce
secteur qui représentait, en 2015, un peu
plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires avec quelque 170 sites de production
pour l’automobile, et plus de 90 000 em-
plois, selon l’hebdomadaire L’Usine nouvelle. A l’horizon 2 020, le royaume chérifien espère atteindre les 10 milliards
d’euros de chiffre d’affaires et augmenter
sensiblement le nombre d’emplois.
Début 2016, il a confirmé plus d’une dizaine d’investissements significatifs
d’équipementiers comme Saint-Gobain,
Faurecia ou encore SNOP, le spécialiste de
l’emboutissage.
Ces équipementiers viennent non seulement pour Renault, mais aussi pour PSA,
qui ouvrira en 2018 son usine, en cours de
construction, à Kénitra. Ce dernier entend
porter à 1 milliard d’euros ses achats de pièces et composants produits au Maroc pour
ses usines européennes. Ford a pris le
même engagement, à hauteur de 600 millions d’euros. Tout le monde veut profiter
de cette base de production à bas coût en
périphérie de l’Europe. p
ph. j.
grâce notamment à des assises repensées, et de l’espace. « Avec la
modernité, nous pouvons élargir la
dimension du confort à d’autres
éléments que les suspensions, indiquait début avril Carlos Tavares.
Nous allons donc avoir une approche 360° du confort. » Comprenez :
le confort sera aussi acoustique,
ou dans l’ergonomie…
« Nous souhaitons apporter les
dernières technologies, mais seulement celles strictement utiles pour
faciliter la vie de nos conducteurs et
de nos passagers. Nos véhicules ne
sont ni des jouets ni du bas de
gamme, explique Mme Jackson. Et
au-delà, nous entendons repenser
l’expérience de nos clients. Nous
voulons les aider, en développant
des offres de financement plus simples ou en les emmenant vers les
nouveaux concepts de mobilité. »
Citroën multiplie ainsi les expérimentations, comme sa collaboration avec la start-up Tripndrive,
qui aide les propriétaires de Citroën à louer ou à parquer à moindre prix leur véhicule.
« La Cactus s’écoule à quelque
80 000 exemplaires par an, ce n’est
donc pas un feu de paille, assure Xavier Peugeot. C’est le symbole de la
direction que prend Citroën pour sa
future gamme de véhicules. Même
si tous les nouveaux véhicules ne seront pas aussi poussés que la Cac-
Cette nouvelle
identité devra
convaincre hors
d’Europe, sur des
marchés plus
classiques et
conservateurs,
comme la Chine,
la Russie, le Brésil
tus, la nouvelle C3, présentée en septembre lors du Mondial de l’automobile de Paris, sera en cohérence
avec cette philosophie. »
Cette nouvelle identité devra
néanmoins convaincre hors d’Europe, sur des marchés automobiles plus classiques et conservateurs, comme la Chine, la Russie
ou le Brésil. « Tous nos nouveaux
véhicules sont pensés pour être vendus partout, rappelle Linda Jackson. Malgré un design plus osé, les
premiers tests que nous réalisons
avec nos prochains produits sont
bien accueillis dans le monde entier. » Reste à voir les nouveaux véhicules – trois sont promis dans les
dix-huit mois – et la réaction du
public, le seul juge de paix. p
philippe jacqué
La réduction après achat cherche sa formule gagnante sur le Net
Nouveau venu en France, le britannique Maple Syrup va tenter de séduire avec ce service des cyberacheteurs plutôt frileux
L
e cashback parviendra-t-il à
décoller en France ? Maple
Syrup l’espère. La firme britannique spécialisée dans la réduction après achat en ligne a annoncé lundi 11 avril son lancement en France, sous l’enseigne
Shoop. « Notre offre sera très
agressive. Nous proposerons jusqu’à 100 % de remise lors d’opérations coup de poing », promet
Georges Le Barbier, directeur de
Shoop en France.
Maple Syrup applique la recette
du cashback (réduction après
achat). Il apporte des clients aux
sites d’e-commerce et se rémunère en prélevant une commission sur les ventes réalisées. Pour
mettre la main sur ces futurs
acheteurs, il les rembourse d’une
partie de leurs dépenses.
Pour cela, les cyberacheteurs
confient à Maple Syrup leurs coordonnées de carte bancaire et con-
sultent les offres disponibles sur
son site. Il peut y avoir, par exemple, un blouson à 60 euros sur lesquels 20 euros seront remboursés, ou bien une télévision à
500 euros dont 100 euros remboursés. Chaque offre renvoie
vers un site partenaire. Si l’adhérent procède à l’achat, son compte
bancaire sera crédité automatiquement. Cette formule a permis
à Maple Syrup de fédérer une
communauté de 6,5 millions de
membres au Royaume-Uni. Ils
touchent en moyenne 320 euros
de cashback par an.
La greffe prendra-t-elle en
France ? « Le marché croît de 30 %
par an », assure Gilles Nectoux,
PDG et cofondateur de Plebicom,
l’un des acteurs français, qui revendique 2 millions de membres.
Mais le taux de pénétration « n’est
que de 1 % du marché en ligne, contre 3 % à 4 % outre-Manche », ob-
serve M. Nectoux. La cible se limite « aux clients attentifs aux promotions, qui dépensent beaucoup », détaille Yves Grégoire,
directeur des services financiers
chez Sia Partners. Et d’ajouter :
« Les tendances de ces dernières années n’étaient pas très positives. Les
clients mettent du temps à s’approprier l’offre et, une fois qu’ils se sont
inscrits, ne reviennent pas forcément. » Anne-Marie Schwab, directrice générale du site Poulpeo,
le reconnaît : « Le cashback est peu
connu en France. »
De coûteux services
Pourtant, les acteurs du Net tablent sur un prochain boom. Avec
une croissance de 14 % en 2015, le
marché français du e-commerce
est désormais concurrentiel. Plus
de 182 000 sites de vente en ligne
se disputent ses 65 milliards
d’euros de ventes. Tous cherchent
Le site Shoop
espère fédérer
2 000 enseignes
partenaires
et rallier
300 000 Français
d’ici à la fin 2016
à améliorer la proportion de visiteurs qui concluront réellement
un achat. Or, « le cashback, pour
une enseigne, c’est l’assurance de
ne payer un service que si son client
a acheté », argumente M. Nectoux.
Côté clients, le cashback a également de quoi séduire. « Plus besoin
d’imprimer des coupons, de cumuler des points, de consulter des catalogues », vante Laurent Mathis, directeur marketing de MasterCard
en France – le groupe propose une
offre de cashback depuis 2008.
Du coup, Shoop croit ferme à
son succès. Le site affiche déjà
1 600 enseignes partenaires en
France, dont eBay, La Redoute,
Conforama et Ralph Lauren. Il espère en fédérer 2 000 d’ici à la fin
de 2016 et rallier 300 000 Français
désireux de réduire leurs factures.
Ses concurrents aussi affichent
de grandes ambitions. Certains
veulent déjà étendre les offres de
cashback aux magasins en dur, en
utilisant le terminal de paiement
du commerçant pour reconnaître
la carte bancaire de leurs adhérents. Mais, là encore, le succès ne
sera peut-être pas au rendez-vous.
« Nous avons fait une étude et
les utilisateurs ne semblent pas
du tout intéressés », rétorque
Mme Schwab, chez Poulpeo.
D’autres, enfin, pensent que la
bataille se jouera sur l’analyse des
transactions. L’historique d’achat
permet en effet de proposer des
réductions personnalisées. Vous
avez dîné dans ce restaurant il y a
un mois ? Retournez-y, et l’on vous
remboursera le dessert… C’est le
type d’offre que prépare LCL. Intéressés, « les clients s’inscrivent », se
félicite-t-on à la banque.
Tous ces services sont coûteux à
mettre en place et à entretenir :
systèmes d’information complexes, campagnes de communication à répétition pour que les
clients continuent de dépenser
afin de garder les enseignes partenaires, etc. Or, « ces groupes communiquent beaucoup sur leurs offres, très peu sur leur retour sur investissement », souligne Yves Grégoire, de Sia Partners. A en croire
Maple Syrup, il y a de la lumière au
bout du tunnel. p
juliette garnier
et jade grandin de l’eprevier
économie & entreprise | 5
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Dialogue de sourds entre la Grèce et ses créanciers
Les discussions sur l’état d’avancement des réformes menées par Athènes patinent
athènes - correspondance
Le pays redoute
de devoir
accepter
des mesures
plus dures s’il
se retrouve dos
au mur en juillet
C’
est un scénario
mille fois éprouvé
depuis le début de la
crise qui se joue de
nouveau en Grèce, ces dernières
semaines. Avec, d’un côté, le gouvernement grec qui souhaite
boucler au plus vite la mission visant à juger de l’état d’avancement des réformes (« revue » en
jargon européen), menée par des
représentants de ses créanciers,
et ces mêmes créanciers (Banque
centrale européenne [BCE], Mécanisme européen de stabilité
[MES], Fonds monétaire international [FMI]), qui repoussent de
mois en mois l’échéance. Lundi
11 avril, les négociations continuaient après un week-end interminable de rencontres à l’Hôtel
Hilton d’Athènes.
Coté grec, on espérait conclure
un accord de principe avant le départ de la « troïka » lundi soir
avec, comme date limite pour la
signature de l’accord final, l’Eurogroupe (réunion des ministres
des finances de la zone euro) du
22 avril. Mais côté créanciers, les
déclarations se multiplient ces
dernières heures évoquant plutôt
le mois de juillet comme date butoir. Le président de l’Eurogroupe,
Jeroen Dijsselbloem, a ainsi souligné, vendredi, qu’il « n’y avait pas
de deadline pour la conclusion de
la revue. La Grèce doit encore
prendre de difficiles décisions ».
Brouillons d’accord
Le gouvernement grec redoute
de devoir accepter des mesures
plus dures s’il se retrouve dos au
mur en juillet. Car il aura alors
3,5 milliards d’euros à rembourser à la BCE et au FMI, paiements
qu’il ne peut honorer sans avoir
touché auparavant une nouvelle
tranche (un peu plus de 5 milliards d’euros attendus) des
86 milliards de prêts prévus dans
le cadre du troisième plan d’aide
au pays signé à l’été 2015.
Athènes veut éviter à tout prix
de se retrouver dans la situation
de juillet dernier, lorsque, à court
de liquidités, il avait dû accepter la
signature d’un nouveau Memorandum of understanding (MOU)
engageant le pays vers trois nouvelles années d’austérité. Dans un
documentaire diffusé il y a quelques semaines, le premier ministre, Alexis Tsipras, regrettait
d’avoir, à l’époque, laissé les négociations traîner. « C’était une erreur (…), nous aurions dû, dès le début, prendre des décisions plus
audacieuses », affirme-t-il devant
la caméra du journaliste Paul
Mason. Aujourd’hui que la situation se répète, que la « revue » du
plan d’aide s’éternise déjà depuis
trois mois, le gouvernement grec
pourrait-il légiférer, sans accord
de ses créanciers, notamment sur
la réforme des retraites ou sur la
question des créances douteuses ?
Ce scénario circulait ce week-end
à Athènes.
« Nous avons rempli à peu près
l’ensemble de nos obligations du
MOU et aujourd’hui le FMI veut
nous tordre le bras pour accepter
plus de mesures, précise une
source gouvernementale. Nous
ne pouvons pas accepter que l’histoire se répète surtout lorsque
nous devons aussi faire face à la
crise des migrants. Nous pourrions nous passer du FMI, de nombreux pays européens semblent
sur la même ligne que nous, mais
encore faut-il réussir à convaincre
l’Allemagne qui exige le maintien
du FMI dans le programme, tout
en refusant d’ouvrir le chapitre de
renégociation de la dette pourtant
réclamée par le FMI ! C’est schizophrénique ! »
Ces divisions ont débouché sur
la rédaction, ce week-end, de deux
L’assureur Covéa, qui avait annoncé vendredi 8 avril avoir
acquis 5,64 % du capital de
Scor, portant sa participation
à 7,7 %, a précisé lundi 11 avril :
« Au cours des trois prochaines
années, le groupe Covéa ne dépassera pas, directement ou
indirectement, le seuil de 10 %
du capital de Scor. »
Office, l’organe chargé de
la lutte contre les délits ou
crimes économiques au
Royaume-Uni.
L’avionneur européen a reconnu « certaines inexactitudes » dans des demandes de
garanties de crédit à l’exportation, qui omettaient de
mentionner le rôle joué par
certains intermédiaires à
l’étranger. – (AFP.)
MÉD I A
AÉR ON AU T I QU E
Airbus pénalisé
par la suspension
des crédits export
Après le Royaume-Uni, la
France et l’Allemagne ont suspendu les crédits à l’exportation accordés au constructeur
aéronautique européen Airbus, a-t-on appris vendredi
8 avril de sources proches du
dossier. L’agence britannique
de crédit à l’exportation avait
annoncé lundi 4 avril avoir
transmis un dossier concernant Airbus au Serious Fraud
Points de tension
Même situation de blocage sur la
question des créances douteuses
qui représentent plus de 105 milliards d’euros, soit plus de 50 % des
209 milliards d’euros de prêts délivrés par les banques grecques. Les
créanciers exigent la libéralisation
de ces portefeuilles à l’exception,
sur critères de ressources, des cas
des particuliers les plus pauvres.
Dernier point de tension entre
la Grèce, l’Union européenne et le
FMI : l’évaluation de la situation
budgétaire actuelle, cruciale pour
arriver à tenir l’objectif de 3,5 %
d’excédent primaire fixé pour
2018. Les Européens évaluent le
Les Européens
évaluent
le déficit à
environ 3 %
du PIB, le FMI
affirme, lui,
qu’il se situe
autour de 4,5 %
déficit à environ 3 % du PIB, alors
que le FMI affirme qu’il se situe
plutôt aux alentours de 4,5 % ou
5,5 %. Plus profond est le « trou »,
plus importantes doivent être les
nouvelles mesures d’austérité. A
moins que la Grèce obtienne une
renégociation substantielle de
son énorme dette (180 % de son
PIB), plaide le FMI.
Les représentants des créanciers
doivent quitter Athènes lundi
11 avril, pour se rendre à Washington, aux réunions de printemps
du Fonds, du 15 au 17 avril, où tous
les protagonistes du « dossier »
seront réunis. Ces rencontres
pourraient contribuer à débloquer la situation. C’est ce qu’on espère à Bruxelles. Le MES, la Commission et la BCE plaident pour
que s’y engagent les discussions
préliminaires sur l’allégement de
la dette grecque.
Mener les deux négociations en
parallèle (la dette et la première revue) serait le moyen, estiment certains à Bruxelles, de rapprocher les
vues du FMI et des Européens. La
Commission compte aussi sur la
publication, dans les dix jours, de
données Eurostat sur l’économie
grecque qui devraient valider les
hypothèses macroéconomiques
sur lesquelles travaillent les Européens (et Athènes), à savoir que
sans réformes supplémentaires, le
pays sera en mesure de dégager
un surplus primaire (excédent
budgétaire avant charge de la
dette) de 3,5 % à partir de 2018. p
CETTE SEMAINE
LA CRÉATIVITÉ S’ENSEIGNE-T-ELLE ?
P Reportages aux d.schools de Stanford et de Paris
P Orientation : les conseils de Luc Julia,
vice-président de Samsung
C’est la baisse des montants levés lors des introductions en Bourse dans
le monde entre janvier et mars 2016, par rapport à la même période de
2015, selon une étude du cabinet d’audit PwC publiée lundi 11 avril. Les
fonds récoltés sont de 12,5 milliards d’euros. Le marché mondial des introductions en Bourse a connu son pire trimestre depuis 2009, selon le
cabinet : « Les marchés ont dû affronter des vents contraires dus à la faiblesse des prix du pétrole, au ralentissement de l’économie chinoise et
aux incertitudes persistantes autour des taux d’intérêt américains ».
Covéa se renforce
au capital de Scor
modérée des retraites complémentaires, le recours à une partie
des 2,7 milliards d’euros des réserves de la caisse nationale des retraites complémentaires ETEA et
une hausse de 1,5 %, pour trois
ans, des cotisations sociales. Refus
catégorique des créanciers, et surtout du FMI, sur ce dernier point.
P La révolution du « design thinking »
– 65 %
ASSU RAN C ES
textes, brouillons d’accord pour
conclure la revue. L’un avec les
créanciers (BCE, MES et Commission européenne, également à la
table des discussions), et l’autre
avec le seul FMI. « Ce qui sépare les
deux textes, c’est 10 % de mesures
supplémentaires
très
dures
qu’exige le FMI. Ce serait dommage
que l’ensemble de la revue et du
plan bloque à cause de ces 10 % »,
souligne-t-on côté grec, tout en
rappelant les lignes rouges du sur
au moins trois sujets.
D’abord sur la réforme des retraites. Le ministre du travail,
Georges Katrougalos, affirme au
Monde avoir « énormément amélioré sa proposition afin de rendre
le système soutenable d’ici à 2022 ».
Afin de combler les 700 millions
annuels de déficit des caisses de
retraite, les créanciers exigent,
pour la dixième fois en six ans,
des coupes dans les retraites complémentaires allant de 3 % à 40 %.
M. Katrougalos propose de répartir l’effort entre une baisse plus
Le « Daily Mail »
convoite Yahoo!
La société mère du journal
britannique et site Internet
The Daily Mail mène des discussions avec « plusieurs »
fonds d’investissement en
vue d’une possible offre sur
Yahoo!, a rapporté le site du
Wall Street Journal dimanche
10 avril.
Les candidats au rachat de
certains actifs de l’ex-fleuron
d’Internet ont jusqu’au
18 avril pour faire une offre.
– (AFP.)
Dans « Le Monde » du mercredi 13 daté jeudi 14 avril
CHAQUE MERCREDI, LES ÉTUDIANTS
ONT RENDEZ-VOUS DANS « LE MONDE »
Retrouvez aussi
toute l’actualité lycéenne et étudiante
sur Lemonde.fr/campus
adéa guillot
6 | dossier
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Les syndicats
de l’hôtellerie
dénoncent la
professionnalisation
rampante d’Airbnb.
CAROLINE
CUTAIA/GNO/PICTURETANK
Le nouvel âge
de l’économie collaborative
valérie segond
L’
Internet collaboratif est-il
déjà en train de sombrer ? On
nous promettait que les
plates-formes numériques
allaient nous apporter un
modèle alternatif au capitalisme ; que la mutualisation et l’échange des
biens entre particuliers et la création de
communautés allaient transformer une économie construite sur la propriété privée,
génératrice de captation et d’exclusion.
Or voilà que grandes et petites plates-formes numériques basculent, l’une après
l’autre, dans le monde des pros. Les plus
grandes sont prises d’assaut par les professionnels, qui y trouvent un accès au client
efficace et pas cher.
Depuis 2014, la croissance d’Uber France
s’est faite avec des sociétés dotées de flottes
de voitures et de chauffeurs salariés et celle
d’Airbnb avec les multipropriétaires de meublés. Les plus petites, dans l’automobile, le
parking, le bricolage ou le financement participatif, elles, se rapprochent des acteurs
établis. Et, loin de se satisfaire de la clientèle
des particuliers, la plupart cherchent à capter celle des entreprises, un segment nettement plus rentable, comme si la multitude
ne leur permettrait finalement pas de vivre.
En fait, pour une plate-forme de « pair à
pair », atteindre une taille critique (ces paliers que l’entreprise doit franchir afin d’être
compétitive) est long et coûteux. En pratique, faire se rejoindre deux multitudes pour
qu’elles nouent des transactions, c’est compliqué. A son lancement, en 2012, Parkadom
était une plate-forme de location de parkings entre particuliers. « Mais c’est un partage difficile à mettre en œuvre, car la synchronisation entre propriétaires et locataires
est difficile », dit Alexandre Poisson, fondateur de la société.
Et elle ne suffit pas à construire rapidement un stock important de parkings à
louer. Un exercice encore plus difficile quand
les biens échangés ne sont pas homogènes.
Avec ses 400 000 objets géolocalisés à louer
dans 700 catégories, la plate-forme de location d’outils entre particuliers Zilok n’a tou-
Airbnb, Drivy, Frizbiz, Uber, les champions
de l’échange de biens et de services entre particuliers
sur Internet se professionnalisent peu à peu,
et s’éloignent de fait de plus en plus de l’idéal
des origines. Une évolution qui doit être encadrée
jours pas atteint la taille critique, neuf ans
après son lancement. Il faut dire que développer une présence commerciale significative sur un Web surencombré est un gouffre
financier. « L’achat de mots-clés pour être bien
référencé sur Google coûte très cher », explique Marion Carrette, fondatrice de la plateforme de location de voitures OuiCar.
ACCÉLÉRATEUR DE CROISSANCE
Sans taille critique, l’économie du partage
est condamnée à rester une microniche. « Si
Drivy devient très facile à utiliser et qu’elle attire un volume important de voitures à louer,
il deviendra alors plus naturel de louer chez
Drivy que d’utiliser la sienne », résume Paulin
Dementhon, fondateur de la société de location de voitures entre particuliers. En clair,
la taille est décisive pour assurer un niveau
de service minimal, changer les habitudes et
créer un véritable marché d’automobiles à la
demande. Or, avec un stock, en France, de
35 000 voitures inscrites chez Drivy, de
30 000 chez OuiCar et de 40 000 chez Tripndrive, la location entre particuliers reste un
petit marché, qui ne change ni la place des
acteurs ni les réflexes des utilisateurs.
Aussi, après plusieurs années de pertes
liées à de lourds investissements en technologie et en mots-clés, les plates-formes sont
amenées à « rentrer dans le rang » et à se tourner vers les professionnels. D’abord, et avant
tout, pour accélérer leur croissance… Un
comble pour des start-up qui se targuaient
d’avoir le monopole de la croissance, face à
de vieux acteurs à bout de souffle…
Dès 2013, il est apparu que travailler avec
des entreprises qui ont des parkings non occupés allait permettre à Parkadom d’entrer
d’importants lots de parkings et de louer sur
des durées plus longues, donc plus rémunératrices. L’entrée de OuiCar dans le giron de
la SNCF, en juin 2015, lui a permis d’offrir un
service de location entre particuliers dans les
2 850 gares où il n’existait pas de solution de
mobilité à l’arrivée. « Nous adosser à la SNCF
nous a permis d’accéder beaucoup plus vite à
la taille critique », reconnaît Marion Carrette.
Même dans le bricolage « entre voisins »,
c’est devenu un indispensable levier. En
juillet 2015, Frizbiz, la plate-forme lilloise de
mise en relation de particuliers avec des bricoleurs, les « jobbers », se rapproche de Leroy
Merlin, du groupe Auchan. Ensemble, ils
créent, en magasin, un service de mise en
relation avec des jobbers du coin pour réaliser de petites tâches de bricolage à la
demande des clients.
Comme la SNCF avec OuiCar, Leroy Merlin
se révèle un formidable accélérateur de croissance pour Frizbiz, explique son fondateur,
Augustin Verlinde : « Leroy Merlin nous apporte de la visibilité, un trafic accru sur notre
site et, surtout, des clients de qualité, qui ont
des projets aboutis et qui sont véritablement
désireux de mener à bien leur projet. Avec Le-
« Le covoiturage n’est pas rentable pour les professionnels »
pour le fondateur de Blablacar,
Frédéric Mazzella le covoiturage repose sur le partage de frais et exclut la
notion de profit.
La plate-forme Blablacar est l’une
des rares qui ne se professionnalise pas. Pourquoi ?
La professionnalisation des conducteurs n’y serait pas rentable. Le modèle
du covoiturage tel qu’il a été défini
dans la loi de 2013 s’est construit sur un
partage de frais à hauteur de 6 centimes d’euro le kilomètre parcouru. Un
niveau très bas, sachant que le barème
fiscal de remboursement des frais professionnels est, selon le type de voi-
ture, de 40 à 60 centimes d’euro le kilomètre. Et que le kilomètre d’une
course de taxi se paie entre 1 et 3 euros
selon les zones et les tranches horaires.
Même avec trois passagers, les 18 centimes d’euro le kilomètre restent encore deux à trois fois plus faibles que le
barème fiscal, et cinq à quinze fois plus
bas que le prix d’une course de taxi !
Développer une offre commerciale sur
Blablacar ne peut avoir pour résultat
que de perdre de l’argent. Les 20 euros
par passager que rapporte un ParisNantes à un conducteur ne suffiront
jamais à payer la totalité des frais liés à
la voiture, de l’essence au péage en passant par la dépréciation du véhicule, le
parking, les réparations, etc. L’esprit
du partage des frais ne sera jamais de
générer un revenu bénéficiaire pour le
conducteur.
Pour les conducteurs de van pour
neuf à dix personnes, l’opération
peut toutefois devenir rentable…
On surveille sur la plate-forme les
conducteurs qui prennent un nombre
anormal de passagers. Comme ce n’est
clairement plus du covoiturage, on
ferme leur compte. Dans les faits, il n’y
a que quelques dizaines de conducteurs qui s’y risquent. Le covoiturage
n’est pas assez rentable pour que cela
se développe massivement.
Comment expliquez-vous
qu’Airbnb, Uber et bien d’autres
aient pris ce tournant ?
Sous l’expression d’économie collaborative, il y a en vérité des modèles
très différents liés à la nature de l’actif sous-jacent à optimiser. Un appartement qui peut se louer cher génère
chez son propriétaire une stratégie
très différente que celle qu’il aura visà-vis d’une voiture, sur laquelle il ne
pourra que partager les frais. Ce n’est
que s’il existe une manière de gagner
de l’argent avec un bien que ses propriétaires vont avoir tendance à professionnaliser sa location. p
propos recueillis par v.s.
dossier | 7
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
roy Merlin, on touche le client au moment précis où il a besoin d’un coup de main. »
Au-delà, ce partenariat permet aux platesformes d’élever le niveau de service et le crédit de leur offre : Frizbiz propose à ses « jobbers » de suivre des séances de formation
dans les ateliers de Leroy Merlin, assurées
par des artisans ou d’autres jobbers expérimentés, mais bénévoles. Ce qui transforme
subrepticement le « coup de main entre voisins » en véritable prestation.
C’est aussi auprès des « vieux acteurs » que
les plates-formes trouvent du capital quand
les investisseurs financiers, eux, ne s’intéressent plus qu’aux leaders. C’est ainsi que,
en 2015, Leroy Merlin a pris une participation minoritaire chez Frizbiz et que la SNCF a
pris le contrôle de OuiCar.
Car ces rapprochements marquent aussi
l’amorce d’une consolidation de start-up qui
se sont multipliées depuis deux ans et qui
n’arrivent pas à s’imposer. Dans le financement participatif, par exemple, 170 platesformes se partagent aujourd’hui un marché
de seulement 300 millions d’euros de levées
de fonds. Ce qui pousse, aujourd’hui, nombre d’entre elles à se rapprocher des acteurs
de l’innovation et de la création d’entreprises, mais aussi des banques.
De l’économie collaborative au business du partage
QUELQUES EXEMPLES DE PLATEFORMES D’ÉCONOMIE COLLABORATIVE
P
COVOITURAGE
FINANCES
CROWFUNDING
LOCATION
VOITURE
OUTILS
ET SERVICES
MAISON
APPARTEMENT
CAVE
ET PARKING
DISTRIBUTION
ALIMENTATION
PRODUITS
ET ÉQUIPEMENTS
Blablacar
Idvroom
KissKissBankBank
Babiloan
Drivy
OuiCar
Freezbiz
e-loue
Abritel
Costockage
Monsieurparking
Laruchequiditoui
Lalouve
Zilok
Streetbank
LES PRINCIPALES VILLES
SUR AIRBNB,
EN FÉVRIER 2016
UNE OCCASION DE SE RÉINVENTER
Ainsi, la petite Arizuka comme MyMajorCompany se sont rapprochées du Crédit coopératif, en se concentrant sur les prestations techniques en marque blanche. « Tôt ou tard, ces
plates-formes comprennent qu’elles ont intérêt
à travailler avec le système en place, qui leur apportera à la fois des projets qualifiés ainsi que
des prêteurs et investisseurs potentiels », explique Erwan Audouit, chargé des partenariats
au Crédit coopératif. Car le financement participatif, c’est 3 % de levées de fonds réussies
pour 97 % de projets abandonnés. Se rapprocher des pros devient alors critique.
Pour les acteurs établis, tétanisés par l’ubérisation et la révolution des modes de consommation qui menacent leur existence
même, ce rapprochement est vécu comme
une occasion de se réinventer qu’ils ne peuvent en aucun cas laisser passer. Au-delà de
l’accès à des clients négligés, ces alliances
ouvrent la voie à des expérimentations nouvelles. Quand le groupe PSA signe un partenariat avec le loueur automobile Tripndrive,
une start-up de tout juste deux ans, c’est
pour tester de nouveaux modes de consommation automobile et entrer dans la nouvelle ère de la mobilité. Un premier test de
mise à disposition de parking gratuit aux
propriétaires de Citroën, avec une location
occasionnelle de leur véhicule à la clé, a été
proposé en février. « Mais quatre autres expériences d’autopartage suivront dans les
prochaines semaines », annonce FrançoisXavier Leduc, fondateur de Tripndrive.
Des expériences qui visent, pour l’instant,
essentiellement à aider les clients de PSA à
alléger leur budget auto. « Si l’on veut que les
gens restent propriétaires de leur voiture,
reconnaît Mathieu Bellamy, directeur de la
stratégie de Citroën, il faut que nous les
aidions à alléger leurs contraintes financières
et que nous sachions nous adresser aux jeunes. Ce partenariat avec Tripndrive, qui n’est
encore que commercial, est, pour PSA, une
exploration sans risque. »
Même discours au Crédit coopératif, où
l’on a noué pas moins de cinq partenariats
avec des plates-formes de crowdfunding
pour, précise Erwan Audouit, « acquérir l’expertise de l’animation des réseaux sociaux et
de la communication numérique, tout en
élargissant notre portefeuille de clients ».
Airbnb
Nombre d’annonces
actives sur le site
Nombre d’hôtes
Pourcentage
d’annonces émanant
de multipropriétaires
PARIS
NEW YORK
LONDRES
BERLIN
BARCELONE
AMSTERDAM
SAN FRANCISCO
41 476
35 957
33 715
17 372
15 137
11 424
8 298
14 115
8 769
9 300
6 466
23 %
58 %
19 %
15 %
7 190
5 914
5 795
35 014
19 %
29 185
13 %
23 382
36 %
16 839
12 531
10 950
2 497
Nombre d’offres
commerciales*
SOURCE : INSIDE AIRBNB
INFOGRAPHIE : MARIANNE BOYER, VALÉRIE SEGOND
*Biens entiers loués par des multipropriétaires ou loués plus de 120 jours à Paris, 90 à San Francisco et Londres, 60 jours à New York, Amsterdam, Barcelone et Berlin
mande, le choix des voyageurs, la réservation, l’accueil et le ménage. Sans oublier la
gestion de la notation par le client. La société
assure au propriétaire qu’il « recevra d’excellents commentaires, qui conduiront à davantage de location ». Voilà qui va faire monter
le niveau des services et les prix. Mais que
restera-t-il de l’économie du partage et de sa
convivialité présumée ?
C’est tout le risque de cette évolution des
plates-formes nées collaboratives et devenues commerciales pour lever des fonds et
séduire Wall Street : « Comment se professionnaliser, sans retomber dans une offre
standard et anonyme ? », se demande
François-Xavier Leduc. L’équilibre n’est pas
APRÈS PLUSIEURS
ANNÉES
DE PERTES,
LES PLATESFORMES SONT
AMENÉES
À « RENTRER
DANS LE RANG »
simple à trouver. C’est le combat qui se
cache derrière la communication d’Airbnb,
qui vise à dissimuler sa professionnalisation rampante. Pour elle, l’enjeu n’est pas
seulement de conserver la bienveillance
fiscalo-sociale dont elle bénéficie dans le
monde en se présentant comme l’ami des
classes moyennes. Il est aussi de préserver
la qualité de l’expérience client, qui recherche un lieu sympa, différent et unique. Car,
après trois appartements Airbnb aménagés
par des pros, on se sent vite chez Novotel.
« Notre vision à cinq ou dix ans est que, à
Paris, 500 000 habitants louent leur appartement l’été quand ils partent en vacances »,
dit Nicolas Ferrary chez Airbnb France.
Car si la professionnalisation est inévitable pour survivre, à terme, le vrai potentiel
des plates-formes reste celui des particuliers. Dans la mobilité, c’est clair. Pour
Paulin Dementhon, chez Drivy, ce sont les
voitures des particuliers qui permettront
d’avoir des automobiles partout et de créer
un véritable marché. Idem pour Alexandre
Poisson chez Parkadom. A terme, c’est avec
les particuliers que la plate-forme fera ses
plus gros volumes. Car sur les 500 000 places de parking à Paris, 330 000 sont dans les
mains des ménages. L’alliance avec les professionnels ne serait donc qu’une étape de
son évolution. Une étape nécessaire, mais
risquée. p
DIFFICILE ÉQUILIBRE À TROUVER
Mais cette nouvelle alliance va-t-elle faire
grandir les plates-formes, en les rendant
toujours plus professionnelles, ou finira-telle, tôt ou tard, par les étouffer ? Car il est
clair que, entre un Tripndrive qui vise le
développement massif de l’autopartage et
un PSA qui vit de la propriété pour tous, les
conflits d’objectifs se résoudront toujours
en faveur du plus gros.
En attendant, « si travailler avec les particuliers est un bon moyen de commencer, la professionnalisation des plates-formes est
souhaitable pour tout le monde, dit FrançoisXavier Leduc, de Tripndrive. Elle garantit au
client un meilleur service et à la plate-forme
une meilleure rentabilité. » Quitte à provoquer l’ire des acteurs établis.
Une colère qui n’est pas près de s’éteindre,
car la professionnalisation des plates-formes est inévitable : la notation, qui permet
aux contributeurs les mieux notés d’être
présentés en priorité par leur algorithme,
pousse mécaniquement à l’amélioration des
services. Comme les prestations qui se développent autour des plates-formes, telles que,
par exemple, les services de gestion de biens
et de conciergerie.
Host Services Group, à Toronto, promet
aux hôtes d’Airbnb d’amplifier le rendement
de leur bien, en prenant en charge la conception de l’annonce, la fixation des prix de location en fonction de l’offre et de la de-
Paris, le meilleur ami des rentiers d’Airbnb
entre avril 2013 et octobre 2015,
Airbnb France a financé une étude au
cabinet Asterès pour mesurer son incidence économique. D’où il ressort
une percée spectaculaire d’Airbnb à
Paris, où le nombre d’hôtes a été multiplié par plus de trois.
Une transformation suivie de très
près par un projet de recherche indépendant à but non lucratif, qui analyse l’incidence de la plate-forme sur
les quartiers des grandes villes mondiales, à partir des données de celle-ci : Inside Airbnb, créé par l’Américain Murray Cox, en 2014. Selon ces
chercheurs, à la fin février, Airbnb affichait 41 500 annonces sur Paris, postées par 35 000 hôtes, ce qui offrait un
parc total de 88 700 chambres, soit
plus que l’offre hôtelière de la capitale
(80 000). En moyenne, on compte
donc 1,2 annonce par hôte.
Mais, surtout, à Paris, Airbnb est de
moins en moins la plate-forme où on
loue sa chambre vide. Le nombre
d’appartements et de maisons proposés intégralement à la location, en
l’absence de l’hôte, représente 84 %
des annonces, soit beaucoup plus
qu’à Londres (52 %). Et, précise Murray Cox, « 36 % d’entre eux sont en permanence à la location, signe que l’on
n’est plus dans l’esprit du logement
loué pendant les vacances ! »
Une activité bien plus rentable que
le partage de logement, à la fois pour
les « hôtes » et pour la plate-forme
elle-même, car ces biens se louent à
la fois plus fréquemment et à un prix
plus élevé.
Canal prisé des multipropriétaires
« On a vu une conversion massive de logements en meublés touristiques, qui a
chassé les habitants du cœur de la capitale, portant le nombre de meublés à
Paris à près de 40 000 », dénonce Ian
Brossat, adjoint à la maire PS de Paris,
Anne Hidalgo, chargé du logement.
Une conversion contre laquelle la
mairie de Paris ne peut pas grandchose, sauf à traquer les meublés illégaux par des descentes d’inspecteurs,
comme elle l’a fait à trois reprises depuis janvier. Airbnb s’est s’engagé à
rappeler aux propriétaires la régle-
mentation parisienne en matière de
location de courte durée…
Airbnb est devenu un canal très
prisé des multipropriétaires, qui représenteraient 19 % des hôtes, selon
Inside Airbnb. Soit deux fois plus que
ce qu’annonce Airbnb France.
Une partie d’entre eux sont visiblement des agences très actives : sur Airbnb, elles se présentent sous le visage
souriant de Fabien (172 annonces),
Clara (58), Rudy et Benjamin (45).
Ainsi, 4 % des hôtes, sur Airbnb, à Paris, louent plusieurs appartements,
mais leurs biens représentent 16 % des
annonces, 19 % des logements entiers,
et ils génèrent à eux seuls 27 % des revenus sur Paris !
Il y a donc bien une professionnalisation rampante d’Airbnb, comme le
dénoncent les syndicats de l’hôtellerie, qui demandent aujourd’hui aux
sénateurs prêts à débattre du projet de
loi numérique d’imposer que, sur chaque annonce, les hôtes professionnels
soient indiqués. Mais aussi que les
plates-formes soient tenues par la loi
de déclarer systématiquement les re-
venus tirés de la location au fisc…,
comme elles le font aux Etats Unis.
Les chiffres d’affaires réalisés par le
biais d’Airbnb n’ont plus grand-chose à
voir avec un « complément de revenu », comme le montrent les estimations réalisées à notre demande par Inside Airbnb, avec l’hypothèse conservatrice d’un taux d’occupation de 70 %.
Au 2 février, les propriétaires d’un
appartement loué depuis au moins
un an auraient engrangé, en moyenne
12 500 euros (avant commissions),
dans les douze mois qui précèdent,
contre 7 000 euros pour ceux qui ne
louent qu’une chambre. Ceux qui ont
deux appartements auraient généré
25 200 euros. A trois, 46 100 euros, et à
quatre 63 000. Les hôtes qui réalisent
plus de 100 000 euros ne sont pas
rares. Un vrai business hôtelier en
somme, mais dont on ignore le statut
fiscal. A ces niveaux, peut-on encore
prétendre qu’Airbnb sert d’abord à
mettre du beurre dans les épinards
d’une classe moyenne étranglée par le
niveau des loyers ? p
v. s.
8 | management
LE COIN DU COACH
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Traque numérique des employeurs mauvais payeurs
A New York, des réseaux d’aide aux travailleurs sans papiers ont créé une application mobile pour les journaliers
par sophie péters
Estime ou confiance ?
new york - correspondance
La confusion est fréquente : invoquer
un problème de confiance en soi peut
cacher une faible estime de soi.
La confiance en soi varie en fonction
des circonstances. Elle découle de l’action, du comportement et du savoirfaire, de la capacité. Alors que l’estime
de soi se fonde sur la valeur que l’on se
donne, sur la considération. La confiance
s’appuie sur « l’agir », l’estime sur « l’être ».
La confiance n’est pas une certitude.
Elle s’acquiert par l’apprentissage.
Le savoir-faire est vérifiable et offre la
possibilité de bien faire. S’il est avantageux de ne pas avoir toujours confiance en soi pour se montrer prudent
dans des situations qui nécessitent
un savoir-faire que l’on ne possède
pas, il est préjudiciable d’avoir une faible estime de soi qui sape le sentiment
d’existence. Quand l’estime de soi rencontre la confiance en soi, l’équilibre
est heureux. Lorsqu’une bonne estime
de soi se heurte à une faible confiance
en soi, l’accord entre les deux se résout
par l’apprentissage et par l’amélioration de ses performances. L’estime
de soi devient un aiguillon constructif.
L’inverse pose problème. Une forte
confiance en soi associée à une faible
estime de soi, compense ce déficit par
l’action. En cherchant à prouver sa valeur, l’individu tombe dans l’hyperactivité. Il ne peut alors exister que par l’action. Ce type de comportement court
le risque d’entraîner des questions douloureuses de reconnaissance. L’action
vise à se faire reconnaître à sa « juste valeur » en déléguant à l’autre le respect
de soi… avec sa cohorte de malentendus. D’où la nécessité de travailler
à un juste équilibre entre estime
et confiance pour gagner en respect
de soi et des autres. p
C
arlos, 64 ans (qui préfère
taire son nom), porte
fièrement sa casquette
marquée des initiales de
New York. C’est là qu’il vit et travaille depuis qu’il a quitté le Salvador et son métier de soldat, en
lutte contre la guérilla. Presque
tous les jours, il vient dans ce
quartier du Queens, au coin d’une
épicerie peinte en rouge, vers
7 heures. Et avec une dizaine
d’autres clandestins, parfois une
centaine d’hommes, il attend la
voiture de l’éventuel employeur,
ce petit patron d’une entreprise
du bâtiment ou un simple particulier, à la recherche de solides
bras pour évacuer des gravats,
peindre une pièce, jardiner… Un
travail d’un jour ou d’une semaine, plus ou moins mal payé.
Carlos est dans une situation
précaire. Il ne parle pas anglais,
l’espagnol est sa seule langue. Et
lorsque son employeur refuse de
lui payer ses heures, ou même de
le payer tout court, que faire ? Sol
Aramendi, une artiste photographe engagée aux côtés des sanspapiers, résume son dilemme. A la
fin de la semaine, le patron dit
qu’il paiera le lendemain, puis il
disparaît. Et, si jamais on le retrouve, il affirme « ne pas connaître [la] personne et menace d’appeler les services de l’immigration ».
Jusqu’à présent, les clandestins
se sont tus. Bien obligés. Mais ils
espèrent bientôt pouvoir réagir…
grâce à une nouvelle application
numérique, à charger sur téléphone portable. « Il existe bien des
CHEZ GERTRUD
0123
hors-série
Être
français
Les grands textes
de Montesquieu à Edgar Morin
Les nouveaux déis
60 auteurs
40 dessins
Prise dans le tumulte d’un début de siècle menaçant,
la France s’interroge sur elle-même. Sa cohésion
nationale est mise à l’épreuve, son « identité » fait
débat, ses valeurs vacillent. Comme si le présent
dévidait chaque jour un peu plus un ouvrage
patiemment tissé par l’histoire. Le Monde a donc
ÊTRE FRANÇAIS
décidé de se demander ce que signifiait « être
français » aujourd’hui… En mettant face à face des
Un hors-série du « Monde »
164 pages - 8,50 €
intellectuels comme Pascal Bruckner et Patrick Weil,
Chez votre marchand de journaux
et sur Lemonde.fr/boutique
Jean-Pierre Chevènement, des historiens tels que Eric
des hommes politiques comme François Bayrou et
Fassin et Sophie Wahnich.
applications pour commander son
repas ou faire venir une voiture à
sa porte, pourquoi pas une application pour faire respecter les droits
des travailleurs ? », déclare Maria
Figueroa, professeur du Worker
Institute, à l’université Cornell.
Baptisée Jornalero (« journalier »), cette application permet
aux clandestins d’enregistrer le
nombre d’heures travaillées et le
salaire promis. Les intéressés
prennent des photos du travail accompli. Ils peuvent aussi garder
en mémoire la voiture de l’employeur et son numéro d’immatriculation. Si ce dernier revient sur
ses engagements, les autres journaliers sont aussitôt prévenus. Et
les permanents du centre de travail, près duquel l’immigré a été
recruté, seront avertis… afin d’essayer de récupérer le salaire volé.
Jornalero est le fruit de deux ans
de travail de différents acteurs,
intéressés par le sort des sans-papiers latinos. Mme Aramendi est
une des premières à avoir compris les besoins des journaliers.
C’est elle qui a mis en route le projet Luz (« lumière ») afin d’améliorer la vie des clandestins. Les
représentants des associations
NDLON (National Day Laborer
Organizing Network) et NICE
(New Immigrant Community Empowerment) se sont mobilisés.
Sur 4 000 téléphones en mai
Le syndicat des peintres et la Fondation Ford s’en sont mêlés. La
ville de New York a voté une subvention de 500 000 mille (439 765
euros) pour créer des centres de
travail, installés près des coins de
rue où se rencontrent employeurs
d’un jour et immigrants. Les universitaires de Cornell ont prêté
leurs locaux et recensé les informations essentielles à conserver
dans les téléphones. Alyx Baldwin
pour le design et le groupe californien Rebel Idealist ont peaufiné
l’application. Les juristes de
l’Urban Justice Center ont promis
de plancher sur la récupération
des paiements. Toutes les bonnes
volontés se sont unies pour faire
éclore ce nouvel outil numérique
au service du droit du travail.
« Ce n’est pas un produit issu de
la Silicon Valley, explique Gonzalo
Mercado, représentant du réseau
NDLON. Les travailleurs ont été
associés au projet depuis le début. » Ce qui leur a permis d’exprimer leurs besoins et leurs craintes. Lorsqu’un journalier dénonce
un mauvais employeur, il ne veut
pas laisser son nom. Son statut de
clandestin lui impose une certaine discrétion. Mais il fournit
au centre de travail son numéro
de téléphone, comme point de
contact.
Le non-paiement des salaires est
la première préoccupation. Avant
même la mise en route de Jornalero, Manuel Castro, directeur du
centre de travail de Jackson
Heights, dans le Queens, dit traiter
entre dix et quinze dossiers par
mois. La routine est simple : il relance les employeurs et, si ceux-ci
refusent, il appelle un avocat.
« New York est une sorte de sanctuaire pour les clandestins », dit
M. Mercado. Les élus de la ville refusent de travailler main dans la
main avec les services de l’immigration. Et « la justice locale est
prête à poursuivre un mauvais
payeur pour peu qu’on lui amène
des preuves », assure-t-il. D’où l’utilité des photos montrant le travail
accompli.
L’application Jornalero, qui devrait être présente sur près de
4 000 téléphones dès le mois de
mai, se concentre essentiellement
aujourd’hui sur les heures de travail non payées. Les militants du
NICE pensent à un développement sur la sécurité au travail.
Mme Figueroa aimerait, quant à
elle, faire connaître les droits du
travail aux intéressés… qui ne sont
pas aussi démunis que leur statut
de sans-papiers pourrait le faire
croire.
L’expérience devrait s’étendre
au-delà des Latinos new-yorkais.
Les stratèges de NDLON ont l’intention de diffuser gratuitement
l’application dans les autres grandes villes américaines à l’intention des migrants de l’Equateur,
de la Colombie, du Venezuela, du
Salvador et du Mexique. Ils envisagent aussi de traduire l’application
en anglais, en français et en mandarin… pour toucher un public
élargi. « Cette application a beaucoup de potentiel, affirme la professeure de l’université Cornell.
Au-delà des Etats-Unis. » p
caroline talbot
QUESTION DE DROIT SOCIAL
Quelle représentation pour les salariés des TPE ?
C
omment représenter les salariés des
petites organisations ? De la start-up
aux TPE, les très petites entreprises
font l’objet de toutes les attentions du gouvernement. Problème : le code du travail a
été conçu pour les grandes sociétés dotées
d’un service juridique et de négociateurs.
Or, une TPE n’est pas une grande entreprise
en miniature. En droit du travail, c’est une
entreprise de 1 à 10 salariés. Elles sont actuellement 1 million avec trois collaborateurs en moyenne. Soit 4,6 millions de personnes en tout (commerce, artisanat).
La « représentation du personnel » interne
d’une TPE relève donc du paradoxe : « représenter », c’est rendre présent ceux qui sont
absents. En raison de la proximité quotidienne des trois ou cinq salariés travaillant
avec leur « patron », il n’existe donc aucune
élection de « représentants du personnel »
dans une TPE. Le seuil à compter duquel
sont élus des délégués du personnel est de
11 salariés. Faudrait-il le baisser ? 78 % des entreprises de 11 à 19 salariés n’ont aucun délégué… Et en Allemagne, où le seuil est à 5 salariés, les élections sont rarissimes.
Se tourner vers une représentation interentreprises ? Pour les TPE dont l’activité
s’exerce sur un site d’au moins 50 salariés,
la loi du 28 octobre 1982 a créé les délégués
de site, « lorsque l’importance des problèmes communs aux entreprises du site le justifie » (exemple : sécurité, conditions de travail). Mais à part quelques très rares centres commerciaux, cette idée intéressante
reste un échec.
La loi du 4 mai 2004 a ouvert aux partenaires sociaux la possibilité de créer par accord des « commissions paritaires locales ». Ces rares « CPL » ont vocation à négocier sur des sujets d’intérêt local : emploi,
formation professionnelle, voire à faire de
la conciliation.
Un vote spécifique
Sous un titre emphatique (« Représentation
universelle des salariés des TPE »), la loi du
17 août 2015 a créé une représentation du
troisième type : les « commissions paritaires régionales interprofessionnelles ». Destinées à représenter les salariés – mais aussi
les employeurs – des TPE, elles seront opérationnelles le 1er juillet 2017 dans chacune des
nouvelles et très vastes régions. Leur rôle ?
Rendre des avis sur les questions spécifiques d’emploi, de formation, de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de conditions de travail.
Issus des TPE, leurs dix membres salariés
seront désignés par les syndicats proportionnellement à leur audience régionale,
mesurée lors du vote spécifique aux TPE qui
aura lieu début décembre 2016. Les syndicats sont déjà en campagne, espérant voir le
taux de participation dépasser celui de
2012 : 10,2 %. En matière de couverture conventionnelle, les TPE, n’ayant ni les délégués
ni les compétences internes pour négocier,
s’en remettent donc aux conventions collectives de branche, qui, grâce à l’extension
du ministère du travail, couvrent 95 % des
salariés français. p
¶
Jean-Emmanuel
Ray
est professeur
à l’école de droit de
Paris-I-PanthéonSorbonne
REPRODUCTION INTERDITE
MARDI 12 AVRIL 2016/LE MONDE/9
LES OFFRES D’EMPLOI
DIRIGEANTS - FINANCES, ADMINISTRATION, JURIDIQUE, R.H. - BANQUE, ASSURANCE - CONSEIL, AUDIT - MARKETING, COMMERCIAL, COMMUNICATION
SANTÉ - INDUSTRIES & TECHNOLOGIES - ÉDUCATION - CARRIÈRES INTERNATIONALES - MULTIPOSTES - CARRIÈRES PUBLIQUES
Retrouvez toutes nos offres d’emploi sur www.lemonde.fr/emploi – VOUS RECRUTEZ ? M Publicité : 01 57 28 39 29 [email protected]
conservateur
territorial du patrimoine
LE LYCÉE FRANÇAIS DE CHICAGO (L.F.C.),
Homologué par l’Éducation Nationale Maternelle à Terminale,
Le Centre national de la fonction
publique territoriale (CNFPT)
organise en 2016 deux concours
pour le recrutement de conservateurs
territoriaux du patrimoine
• un concours externe
• un concours interne
Recherche - Urgent - pour la rentrée 2016/2017 des
personnels titulaires de l’Education Nationale, issus de
l’enseignement public ou privé français, ou travaillant à
l’international pour des postes, en contrat local (détachement
administratif et aide financière possible) :
• Un Enseignant de Mathématiques
(Niveau lycée, Coordination)
en savoir plus sur www.cnfpt.fr
• Un Enseignant de SES
Les épreuves écrites se dérouleront
du 23 au 25 août 2016 et les inscriptions
sont ouvertes jusqu’au 30 avril 2016
Maîtrise de l’anglais indispensable.
3 ans d’expérience (Expérience dans un établissement à
l’étranger appréciée).
Solides références exigées.
> Dossier de candidature complet : CV + Lettre de motivation +
notations administratives + rapports d’inspection + lettre de
référence ou de recommandation, à soumettre sur le lien suivant :
http://www.lyceechicago.org/fr/simpliquer/travailler-au-lycee
quand les talents
grandissent
les collectivités
progressent
Le CNFPT recrute par voie statutaire (liste d’aptitude,
mutation, détachement, dispositif applicable
aux personnes reconnues travailleurs handicapés)
Grande Association de référence dans un paysage associatif en plein développement, renforce sa gouvernance
en créant le nouveau poste de:
DÉLÉGATION RÉGIONALE CORSE
• DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT h/f
DIRECTEUR RÉGIONAL (F/H)
TITULAIRE D’UN GRADE D’ADMINISTRATEUR TERRITORIAL
OU ÉQUIVALENT
Intervenant dans la France entière, cette Association compte plus d’une bonne trentaine d’établissements médicaux-sociaux. Son Siège est situé à Paris.
POSTE SITUÉ À AJACCIO
Avec plus de 1.000 collaborateurs aujourd’hui, l’Association souhaite consolider sa Direction Générale et déléguer l’accompagnement, l’organisation,
le contrôle de l’activité des établissements à son nouveau dirigeant.
Placé sous la responsabilité du directeur général du
CNFPT, et auprès du délégué régional, vous impulserez
l’ensemble des activités relatives au développement des
compétences des personnels territoriaux et à l’emploi.
Cette mission d’animation et de suivi impliquera de sa part une gestion des ressources humaines et des relations sociales optimale ain de garantir
la cohérence de la gestion globale de l’activité avec le Projet Associatif.
Dynamique, ouvert et diplomate, il convaincra en présentant une certaine sensibilité aux grandes questions de santé publique (âge, handicap, etc.).
Vous serez en capacité de développer une analyse
stratégique des besoins des collectivités territoriales, de
décliner les orientations nationales en objectifs
opérationnels, de fédérer les équipes autour d’un projet
commun. Vous serez garant du respect des règles
unitaires de gestion interne de l’établissement.
À 45-50 ans, il sera rompu aux méthodes modernes de management comme au travail en équipes pluridisciplinaires ain d’assurer la supervision
et l’autorité sur ses équipes comme sur les directions d’établissements. Cette compétence critique aura été acquise, pour sa plus grande part, de
préférence dans le secteur privé, la santé ou les services à des niveaux de responsabilité équivalents ou supérieurs.
Rigoureux et loyal, il s’impliquera durablement au sein de l’organisation par son empathie pour la cause de l’Association et pourra évoluer avec elle,
à moyen terme, dans ses fonctions.
Vous développerez tant avec les services centraux,
qu’avec les 29 délégations et les 5 instituts, des
méthodes et procédures de travail en commun.
Pour faire acte de candidature merci d’adresser votre CV et votre présentation à notre Conseil M. Christophe Gouriou
Cabinet Continuum qui traitera votre dossier en toute conidentialité à l’adresse suivante :
[email protected]
Votre expérience significative sur des fonctions de
dirigeant territorial vous a conduit à développer des
compétences en conduite de projets, en organisation et
méthodes, en management d’équipe et vous a donné la
capacité d’intégrer et animer un réseau de responsables
territoriaux, élus, partenaires.
En 2016, 7=85/.9.,. &% -%'!%1'!% 34,1 7% #>+%7433%6%5.
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Les dossiers de candidature peuvent être téléchargés jusqu’au 27/04/2016 avant 15 h sur www.ird.fr
Date limite de dépôt des dossiers : 29 avril 2016 jusqu’à 17 h au siège
Date limite d’envoi des dosiers : 29 avril 2016
Les candidat(e)s doivent envoyer impérativement leur dossier par la poste, le cachet de la poste faisant foi
ainsi qu’un exemplaire sous format PDF à [email protected]
Le (la) candidat(e) aura vocation à travailler avec les pays du Sud, notamment à l’expatriation
L’IRD s’attache à promouvoir l’égalité des sexes, en conséquence,
les femmes sont vivement encouragées à se porter candidates.
Il n’y a pas de postes proilés en 2016.
© IRD concours 2016. Photographie : Marie-Noëlle Favier - Marie-Noëlle Favier - Christophe Proisy - Mireille Razaindrakoto
recrute par voie de concours externes
Si vous souhaitez postuler retrouvez ces offres (référence
n° 262), sur notre site Internet : www.cnfpt.fr/offres-emploi
Date limite dépôt de candidature : 18 Avril 2016.
Retrouvez le détail de cette offre sur :
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10 | MÉDIAS&PIXELS
0123
MARDI 12 AVRIL 2016
Nouvelle chaîne d’info : les craintes de France Info
Les personnels de la radio s’inquiètent des divergences éditoriales possibles avec France Télévisons
C
e n’est plus un secret. Selon toute vraisemblance, « France Info », le
nom qui a le premier incarné l’information en continu en
France, va devenir celui d’une offre publique d’information unifiée (radio, télévision et numérique) à partir de septembre. Avec
l’agrément de leur tutelle politique, Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, et
Mathieu Gallet, son homologue
de Radio France, défendent ce
choix. Outre la radio créée
en 1987, cette « offre publique d’information », préparée avec France
Médias Monde et l’INA, rassemblera un site Web unique, une application commune et une chaîne
hertzienne.
Plusieurs divergences demeurent toutefois. L’une est juridique : Radio France entend rester
propriétaire de la marque, que
France Télévisions aimerait « codétenir », comme l’a expliqué
Mme Ernotte, jeudi 7 avril, lors d’un
comité central d’entreprise. En
l’état, la chaîne « France Info » serait éditée par France Télévisions,
réalisée avec le concours de Radio
France, en utilisant une marque
appartenant à Radio France. Une
situation qui crée une « insécurité
juridique » aux yeux de France TV.
Les dispositions contractuelles
liées à la marque doivent être discutées très prochainement.
Autre divergence : le point de
vue des équipes de France Télévisions et de France Info. A France
TV, on regrette le choix d’un nom
jugé daté et peu performant jusqu’ici, sur le numérique. Ce à quoi
la direction répond que la marque
« France Info » va faire l’objet
d’une refonte graphique radicale,
et que la base technique de l’offre
numérique nouvelle sera Francetvinfo. fr, le mieux placé des sites actuels.
Des recrutements prévus
A France Info aussi, des craintes
se sont manifestées. Dans la semaine du 4 avril, selon le Syndicat national des journalistes
(SNJ), plus de 60 % de la rédaction
– qui compte 126 journalistes – a
signé une motion demandant
notamment des « garanties sur
l’avenir de la radio » : « France Info
est une radio unique, dont la rigueur, la qualité des reportages et le
savoir-faire sont reconnus depuis
près de trente ans. » Le texte posait une série de questions : demain, pour qui travailleront les
journalistes de France Info ?
Comment la nouvelle offre serat-elle coordonnée ? La radio res-
Le navigateur Brave
hérisse les journaux
tera-t-elle un lieu d’investissement ?
Certaines réponses ont été apportées lors d’un comité central
d’entreprise, vendredi 8 avril : la
marque ne sera pas vendue, les
contrats de travail ne seront pas
modifiés, l’intégralité de l’antenne radio restera produite à Radio France, qui en conservera la
maîtrise éditoriale. Surtout, des
renforts vont être déployés.
« Nous avons annoncé le recrutement de 28 personnes, confirme
Laurent Guimier, le directeur de
France Info. Il s’agit de 15 techniciens et de 13 journalistes : d’une
part des présentateurs, d’autre
part des chargés d’édition numérique, un métier que nous sommes
en train de définir. » Ces recrutements, qui ne seront pas des remplacements de départs, représentent une partie du budget de
2 millions d’euros par an que Radio France a prévu pour le projet,
sans modifier sa perspective de
retour à l’équilibre en 2018.
Radio France
entend rester
propriétaire
de la marque,
alors que France
Télévisions
aimerait
la codétenir
Ces journalistes travailleront
sur les modules de rappel de titres
que Radio France éditera pour la
télévision et le Web. Un contenu
similaire aux quatre rappels de titres par heure que la radio propose déjà, mais qui devra faire
l’objet d’une production spécifique, avec d’autres présentateurs
et un montage associant des séquences vidéo, de la photo, des infographies, etc. Ce contenu, qui
fait actuellement l’objet d’un travail de conception associant no-
tamment le réalisateur de télévision David Montagne, sera adapté
à la diffusion télé, mais aussi à la
distribution sur les réseaux sociaux et sur smartphones, espère
France Info, qui va produire
80 modules par jour.
Si les équipes ont été rassurées
sur le cadre et les moyens, demeurent plusieurs questions épineuses, notamment celle de la
coordination éditoriale entre les
équipes de France Télévisions et
de Radio France, dont les contenus se mêleront dans le flux de la
chaîne d’info et sur le Web.
« Comment va-t-on faire pour
s’assurer qu’on ne donne pas des
informations divergentes ? », s’interroge la secrétaire nationale du
SNJ, Valeria Emanuele. A l’antenne, des contradictions pourraient, par exemple, apparaître
entre les journaux réalisés chaque demi-heure par France Télévisions et les rappels de titres assurés par Radio France. « C’est
une vraie question et nous allons
travailler à une charte de gouvernance éditoriale », assure M. Guimier, qui cite l’expérience de
l’« agence » France Info, un lieu
de réception et de diffusion rapide de toutes les informations
collectées par les journalistes de
Radio France.
Autre point délicat : l’offre numérique, qui verra converger sur
un site et une application uniques
les actuels Francetvinfo. fr, Franceinfo. fr et les contenus, en flux
et à la demande, de la nouvelle
chaîne. Comment bâtir, à partir
d’une telle variété de sources et de
formats, une offre cohérente,
réactive, adaptée aux nouveaux
usages (ce qui est l’une des motivations du projet) ? Que mettre en
avant : le flux télé ? Des vidéos à la
demande ? Les live textes de
France Info et de Francetvinfo ? Le
streaming radio ? « Ce sera le
meilleur de chacun », pense
M. Guimier, sans ignorer qu’il faudra aussi choisir. p
alexis delcambre
HORS-SÉRIE
UNE VIE, UNE ŒUVRE
Dix-sept éditeurs de presse américains
menacent de poursuivre la start-up
san francisco - correspondance
A
peine lancé, le navigateur
Internet Brave se trouve
déjà dans le collimateur
des grands journaux américains.
En cause : sa volonté de remplacer
les bannières publicitaires affichées sur les sites Web par des annonces qu’il aura lui-même vendues. Jeudi 7 avril, dix-sept éditeurs de presse ont ainsi lancé un
avertissement à cette start-up de
San Francisco, la menaçant de porter l’affaire devant les tribunaux.
« Il serait illégal pour une entreprise de détourner l’ensemble des
contenus du Web à son propre bénéfice », arguent-ils dans un courrier adressé à Brendan Eich, le fondateur et directeur général de
Brave Software. « Nous sommes
prêts à engager toutes les procédures légales nécessaires pour protéger nos contenus et pour vous empêcher de vous approprier notre
travail », poursuivent-ils.
Les signataires de cette missive
représentent quelque 1 200 journaux aux Etats-Unis, parmi lesquels les groupes New York Times,
Dow Jones (Wall Street Journal),
Washington Post, Gannett (USA
Today) et Tribune (Los Angeles Times, Chicago Tribune).
Modèle gagnant-gagnant
Disponible depuis le mois de janvier, Brave est encore en phase de
construction et destiné pour le
moment aux développeurs. Une
fois la version grand public lancée,
le programme devrait proposer
deux modes de navigation. Le premier intégrera un « ad-block », faisant ainsi disparaître l’essentiel
des publicités. Cette possibilité est
déjà ouverte par Chrome et Internet Explorer. C’est le deuxième
mode qui pose problème. Activé
par défaut, il supprimera les bannières intrusives ou dotées de
« trackers », ces logiciels qui suivent les internautes. Elles seront
remplacées par des annonces plus
légères, commercialisées par
Brave. En échange, la société s’en-
gage à reverser aux éditeurs 55 %
des recettes publicitaires.
Les utilisateurs du navigateur
percevront 15 %, payables en monnaie virtuelle bitcoin. S’ils le souhaitent, ils pourront aussi faire
don de leur part aux sites Web
qu’ils visitent. Ces derniers toucheraient alors 70 % du chiffre d’affaires, « ce qui est bien plus élevé
que le pourcentage moyen versé
par les plates-formes actuelles de
publicités programmatiques [automatisation de la vente d’espaces] »,
répond l’entreprise aux groupes
de presse l’ayant interpellée.
M. Eich, ancien directeur de la
technologie, puis éphémère directeur général de Mozilla, le concepteur du populaire navigateur Firefox, assure ainsi que le modèle est
gagnant-gagnant. Pour les internautes, Brave proposera « vitesse,
respect de la vie privée et protection
contre les logiciels malveillants ».
Pour les sites Internet, il permettra
de lutter contre l’inquiétante
montée des « ad-block », qui les
privent d’importantes recettes publicitaires, poursuit Brave.
Selon les estimations du cabinet
Page Fair, près de 200 millions de
personnes dans le monde avaient
installé un bloqueur de publicités
en juin 2015. Cela représentait un
manque à gagner estimé à
21,8 milliards de dollars (19,1 milliards d’euros). Et le phénomène
s’accélère. Il a gagné les smartphones et les tablettes, avec l’arrivée
des « ad-blocks » sur iOS et Android, les systèmes d’exploitation
mobiles d’Apple et de Google.
« La publicité en ligne abusive, excessive et parfois dangereuse
pousse les internautes vers les bloqueurs de publicités », fait valoir la
jeune entreprise. Et d’affirmer que
« Brave est la solution, pas le problème ». Une rhétorique qui ne
convainc pas les principaux intéressés. « Nous n’accepterons pas de
participer au supposé modèle économique proposé par Brave », affirment les dix-sept éditeurs de
presse. p
jérôme marin
Jean Genet
Un écrivain sous
haute surveillance
Avec Georges Bataille, André Malraux, Jeanne Moreau, Étienne Daho, Leïla Shahid…
JEAN GENET
Un hors-série du « Monde »
122 pages - 8,50 €
Chez votre marchand de journaux
et sur Lemonde.fr/boutique
Comment un enfant abandonné, petit délinquant multirécidiviste
dont les premiers livres furent publiés sous le manteau, est-il
devenu l’un des dramaturges les plus joués et l’un des auteurs
français les plus respectés au monde ? Dans ce nouveau volume de
la collection « Une vie une œuvre », Le Monde explore l’itinéraire
de Jean Genet, homme engagé et écrivain de la transgression,
salué par Cocteau et Sartre.