PDF 179k - Revue germanique internationale

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Revue germanique internationale
7 | 2008
Itinéraires orientalistes
Les recherches sur l’Extrême-Orient au début du
XIXe siècle ou Paris, Mecque des orientalistes
allemands
Hartmut Walravens
Traducteur : Céline Trautmann-Waller
Éditeur
CNRS Éditions
Édition électronique
URL : http://rgi.revues.org/392
DOI : 10.4000/rgi.392
ISSN : 1775-3988
Édition imprimée
Date de publication : 15 mai 2008
Pagination : 33-48
ISBN : 978-2-271-06692-3
ISSN : 1253-7837
Référence électronique
Hartmut Walravens, « Les recherches sur l’Extrême-Orient au début du XIXe siècle ou Paris, Mecque
des orientalistes allemands », Revue germanique internationale [En ligne], 7 | 2008, mis en ligne le 15
mai 2011, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://rgi.revues.org/392 ; DOI : 10.4000/rgi.392
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Tous droits réservés
Les recherches sur l’Extrême-Orient
au début du XIXe siècle ou Paris,
Mecque des orientalistes allemands
Hartmut Walravens
Paris a toujours été comme un aimant pour les voyageurs et les érudits
allemands. Mais pourquoi la ville devint-elle si attirante spécialement pour les
orientalistes ? Et pourquoi cet enthousiasme particulier se limita-t-il au premier
tiers du XIXe siècle ? Les sources permettant de répondre à ces questions sont
minces mais cependant éloquentes. La présentation qui suit sera centrée pour sa
part sur les recherches concernant l’Extrême-Orient, cet aspect n’ayant guère été
étudié jusqu’à présent.
Les sources sont minces comme nous l’avons dit. Il y a tout d’abord les
Lettres concernant l’évolution des études asiatiques à Paris par un jeune Allemand
féru d’études orientales parues à Ulm en 1830 1. Une première édition, plus courte,
avait paru en 1828. De toute évidence l’auteur anonyme connaissait la scène
parisienne de première main. Et puisque l’orientaliste allemand Julius Klaproth
avait le goût ce genre de déclarations critiques et aimait utiliser des pseudonymes,
comme celui de Wilhelm Lauterbach dans sa critique de la traduction du Lunyü
(Entretiens de Confucius) de Wilhelm Schott, les voix se multiplièrent le désignant
comme l’auteur de cet ouvrage. Julius Mohl fut lui aussi soupçonné d’en être
l’auteur. Une solution définitive de la question est apportée par notre deuxième
source principale, les lettres adressées entre 1823 et 1870 par l’orientaliste Fleischer
à son ami Haßler 2. Fleischer y relate comment il a essayé de se procurer la petite
brochure précédemment évoquée et félicite son ami pour cette dernière. Si tout
porte à croire que Konrad Dietrich Haßler 3 (1803-1873) a utilisé dans ces lettres
1. Briefe über den Fortgang der asiatischen Studien in Paris, von einem der orientalischen Studien
beflissenen jungen Deutschen, herausgegeben von Walther von Löwenau, deuxième édition augmentée, Ulm, 1830.
2. C. Seybold (éd.), Fleischers Briefe an Haßler aus den Jahren 1823 bis 1870, Nach Ulmer
Originalen herausgegeben und mit Anmerkungen versehen, Tübingen, 1914, p. 56.
3. Konrad Dietrich Hassler (1803-1873), théologien et député à la Paulskirche. Voir ADB 11
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Itinéraires orientalistes
imaginaires les informations de ses correspondants, certains passages des lettres
de Fleischer, qui livrent de ses expériences parisiennes un compte rendu spontané,
souvent très juste et imagé, suggèrent qu’elles ont elles aussi été l’une des sources
des Lettres de Hassler. Malheureusement nous ne disposons pour l’instant
d’aucune autre source de ce type, du moins sous forme publiée, et seules des
recherches étendues dans les archives permettraient d’apporter de nouveaux matériaux pour cette histoire, les articles nécrologiques et les biographies ne pouvant
guère en tenir lieu en raison de leurs tendances hagiographiques.
Les études orientales parisiennes vues par deux témoins allemands
Oh oui le séjour à Paris et l’abondance des trésors littéraires qu’on y trouve,
tout comme l’obligeance chaleureuse de la plupart de ses habitants qu’on ne saurait
assez louer, auraient attisé chez vous, tout comme ils l’ont fait chez moi, un nouvel
enthousiasme pour l’étude des langues et de la littérature de l’Orient. La situation
limitée du chercheur allemand et l’horizon étroit qui est le sien, l’empêchent de
prendre la mesure de ces études dans toute leur étendue et leur importance ; ici par
contre son regard s’étend sans entrave 4.
La « situation limitée du chercheur allemand » : ces mots de la bouche d’un
jeune étudiant orientaliste allemand indiquent le point décisif. Certes l’expression
est ambiguë, mais un rapide survol de l’histoire des études orientales en Allemagne 5
permet cependant de l’interpréter de manière tout à fait sûre. En Allemagne, les
études orientales ne s’étaient pas encore émancipées de la théologie à cette époque
et lui servaient encore au contraire en grande partie de sciences auxiliaires. Pour
les étudiants le choix professionnel était donc fixé d’avance et la connaissance des
langues du Proche-Orient servait surtout à la recherche textuelle et à l’exégèse. Le
choix des langues étudiées obéissait donc à un ordre de priorité préétabli : l’hébreu,
l’araméen, le chaldéen, le samaritain, le syriaque, l’arabe, etc. D’autres langues
n’étaient généralement pas proposées ou plutôt n’étaient conçues comme intéressantes qu’à des fins de Mission chrétienne. L’un des avantages de cette « tutelle »
théologique était sans aucun doute la perspective d’un avenir professionnel assuré.
En ce qui concerne les langues extrême-orientales, il faut noter qu’aucune d’entre
elles n’était proposée à l’époque dans une université allemande. Quant aux langues
indiennes, elles étaient enseignées seulement à Bonn et à Berlin, grâce aux initiatives
de Franz Bopp et de August Wilhelm von Schlegel qui tous deux avaient également
étudié à Paris (voir la contribution de P. Rabault-Feuerhahn).
En Allemagne, il manquait en grande partie aux études orientales l’infrastructure indispensable. Il y avait trop peu de supports d’enseignement, ces derniers
(réimpression 1967), p. 15-20 ; et Heinrich Best et Wilhelm Weege, Biographisches Handbuch der
Abgeordneten der Frankfurter Nationalversammlung 1848/49, Düsseldorf, 1996, p. 169.
4. Briefe über den Fortgang der asiatischen Studien in Paris, op. cit., p. 5.
5. Voir Sabine Mangold, Eine « weltbürgerliche Wissenschaft » – Die deutsche Orientalistik im
19. Jahrhundert, Stuttgart, 2004.
Paris, Mecque des orientalistes allemands
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étant la plupart du temps étrangers et coûteux. L’offre des universités en matière
de langues orientales était trop limitée : chaque université ne disposait généralement
que d’un seul professeur enseignant les langues orientales, c’est-à-dire fréquemment
seulement une ou deux de ces dernières, par exemple l’hébreu et l’arabe. Il y avait
également un manque de sources, c’est-à-dire de livres et de manuscrits dans les
langues concernées, permettant à l’étudiant de se confronter de manière directe et
active à la langue et à l’aire culturelle. Certes, une partie des bibliothèques des
universités ou des cours allemandes possédaient un petit fonds de livres orientaux,
mais ceux-ci n’étaient souvent ni catalogués ni accessibles. Des collections plus
considérables d’ouvrages chinois n’apparurent qu’avec les acquisitions faites par
Karl Friedrich Neumann (1830) ou avec la collection Onorato Martucci 6.
À cela venait s’ajouter, pour les chercheurs qualifiés, la question des possibilités de publication. Les imprimeries allemandes ne savaient pas, à l’époque, utiliser
les écritures étrangères. Elles ne disposaient pas des caractères d’imprimerie correspondants et l’acquisition de ces derniers n’était guère recommandable, pour des
raisons simplement commerciales. Il était donc possible de publier des ouvrages
relatifs à des thématiques orientales mais sans utilisation des écritures originales, ce
qui était inacceptable surtout pour des philologues. Sur ce point, Paris se distinguait
avantageusement de la situation allemande. Grâce à une initiative de Langlès 7, une
École pour les langues orientales y avait été créée dès 1795. Avec l’Imprimerie
impériale (ou royale) on y disposait d’une institution performante qui, certes, ne
disposait pas de la totalité des caractères d’imprimerie les plus importants mais qui
était du moins toute disposée à imprimer des textes orientaux en version originale.
La Bibliothèque royale possédait d’importants trésors en matière de manuscrits
orientaux et de livres chinois. Ces derniers avaient été acquis pour la plupart à
travers le soutien de Jésuites français actifs en Chine et la partie principale en était
accessible à travers un catalogue établi par Étienne Fourmont 8. Comme, de plus,
la première chaire de sinologie en Europe fut créée en 1814 au Collège de France,
Paris offrait la seule possibilité sérieuse pour apprendre cette langue.
Les Lettres d’un jeune orientaliste nous donnent un aperçu de l’offre d’enseignement qui existait alors dans les deux institutions parisiennes :
6. Voir Onorato Martucci, Schriften über China, Hambourg, 1984. La collection de Martucci
(1774-1846) relative à la Chine fut acquise en 1842 par le Roi de Bavière. Les livres ne furent
cependant inventoriés qu’en 1851.
7. Louis Mathieu Langlès (1763-1824), élève de Silvestre de Sacy. Il œuvra pour les études
mandchoues, en éditant des travaux de J. M. Amiot, ainsi son Dictionnaire tartare-mandchou-français
(Paris, 1789-1790). Voir Nouvelle Biographie générale (NBG) 29 / 1859, p. 422-424 (L. de Rosny) ;
Notice sur la vie et les ouvrages de M. Langlès, lue dans la séance générale de la Société de géographie,
le 2 avril 1824, par M. Roux, in : Nouvelles annales des voyages 22 / 1824, p. 113-122.
8. Voir Cécile Leung, Étienne Fourmont (1683-1745). Oriental and Chinese languages in eighteenth-century France, Louvain, 2002. Fourmont établit un catalogue des Sinica avec l’aide du Chinois
Arcadius Huang (Arcade Hoang). Ce catalogue parut en deux versions : Catalogus codicum manuscriptorum bibliothecae regiae, Paris, 1739, p. 367-433 (sans idéogrammes) ; ainsi que Linguae Sinarum
mandarinicae hieroglyphicae grammatica duplex, latine et cum characteribus Sinensium. Item Sinicorum
regiae bibliothecae librorum catalogus, denuo cum notitiis amplioribus & charactere sinico editus, Paris,
1742, p. 343-511.
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Itinéraires orientalistes
Mais le gouvernement français peut plus et fait plus pour cette branche de
l’érudition qu’aucun autre en Europe. Prenez simplement ceci : il existe dans la
capitale française deux instituts indépendants l’un de l’autre, où l’on enseigne gratuitement la plupart des langues asiatiques qui ont une littérature propre. Le plus ancien
est le Collège Royal de France. À côté des conférences habituelles sur la littérature
classique, les sciences mathématiques, physiques et historiques, on peut en suivre sur
les langues asiatiques suivantes : l’hébreu, le chaldéen et le syriaque chez le très érudit
Monsieur E. Quatremere 9 ; l’arabe chez Monsieur Caussin 10 ; le turc chez Monsieur
Kieffer 11 ; le persan chez le célèbre Silvestre de Sacy, le plus grand des orientalistes
vivant actuellement, qui a été nommé baron par l’Empereur Napoléon pour ses
nombreux mérites ; le chinois et le mandchou chez le minutieux Monsieur Abel
Remüsat, qui a des intérêts très variés et qui explique cette année le texte chinois
du roman “Les deux cousines” 12 récemment traduit par lui ; enfin le sanscrit chez
Monsieur de Chezy 13, l’époux de notre poétesse Helmina von Chezy 14 (...). Chacun
de ces professeurs fait cours trois fois par semaine.
L’autre institution est l’École spéciale des langues orientales vivantes. Elle fut
fondée pendant la Révolution par l’aimable Langlès, trop tôt arraché à la science, et
se trouve dans l’une des cours de la Bibliothèque royale. Le local n’est cependant
pas beau et constitué d’une sorte d’étable équipée de misérables fenêtres de verre.
Son directeur actuel est le Baron Silvestre de Sacy. Il occupe en même temps la
chaire d’arabe ancien, tandis que Monsieur Caussin de Perceval fait cours sur la
langue vernaculaire actuelle. Le Chevalier Jaubert, dont nous avons lu avec un si
grand intérêt à Bonn le voyage en Perse, assure les conférences sur la langue turque.
Monsieur de Chezy fait cours ici sur le persan ; Monsieur Levaillant de Florival 15
sur l’arménien, et notre Allemand Hase 16 fait cours sur le grec moderne ; il parle
cette langue avec une facilité admirable 17. »
9. Étienne Quatremère (1782-1857), professeur de persan. Voir Deux siècles d’histoire de
l’École des langues orientales, Paris, 1995, p. 79-82.
10. Armand Pierre Caussin de Perceval (1795-1871), revint en France comme interprète en
1821 et reprit la chaire d’arabe parlé de Bocthor, qu’il occupa jusqu’à sa mort. Voir Deux siècles
d’histoire de l’École des langues orientales, op. cit., p. 66.
11. Johann Daniel Kieffer (1767-1833), natif de Strasbourg, traduisit la Bible en turc. Voir
Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne 17 / 1991, p. 1948-1949.
12. Iu-kiao-li, ou Les deux cousines, roman chinois, traduit par M. Abel-Rémusat, précédé
d’une préface où se trouve un parallèle des romans de la Chine et de ceux de l’Europe, t. 1-4, Paris,
1826.
13. Antoine Léonard de Chézy (1773-1832), professeur de sanscrit au Collège de France à
partir de 1815. Il succéda à Langlès comme conservateur des manuscrits de la Bibliothèque royale
mais dut ensuite laisser ce poste à Rémusat. Traducteur de Śakuntala. Voir NBG 10 / 1855,
p. 286-288.
14. Née von Klencke, 1783-1856, elle épousa Chézy en 1805, mais se sépara de lui en 1810.
15. Paul Émile Levaillant de Florival (1800-1862), spécialiste de l’arménien, successeur de son
ancien professeur Chahan de Cirbied. Voir Deux siècles d’histoire de l’École des langues orientales,
op. cit., p. 121.
16. Karl Benedikt Hase (1780-1864), helléniste. Il devint collaborateur au Département des
manuscrits grecs de la Bibliothèque royale en 1805 et professeur de paléographie grecque et de grec
moderne à l’École spéciale des langues orientales vivantes en 1816. Voir NBG 23 / 1861, p. 507-509 ;
ADB 10 (réimpression 1967), p. 725-727 ; et Deux siècles d’histoire de l’Ecole des langues orientales,
op. cit., p. 150-151.
17. Briefe über den Fortgang, op. cit., p. 8-9.
Paris, Mecque des orientalistes allemands
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Deux autres éléments apparaissent dans ce panorama : l’offre impressionnante des cours était couplée avec une fréquence considérable des conférences et
l’enseignement était gratuit. S’ajoute à cela que l’horizon de la plupart des enseignants était étonnamment vaste : ils disposaient fréquemment de connaissances
plus qu’élémentaires dans d’autres langues et d’autres cultures et pas seulement
dans celles qu’ils représentaient. La bibliothèque d’Étienne Quatremère par exemple (acquise plus tard par la Bibliothèque de l’État de Bavière) montre, par le
grand nombre d’ouvrages chinois qu’elle contient, que cet érudit avait de bonnes
connaissances dans ce domaine également, même s’il ne publiait pas sur ces
questions.
Après un aperçu concernant les orientalistes spécialisés dans le ProcheOrient, généralement « aimantés » par Silvestre de Sacy, l’auteur donne aussi des
informations sur les futurs sinologues :
Monsieur le Professeur Schulz de Gießen a également passé plusieurs années
ici et y a acquis des connaissances étendues et critiques de l’arabe, du persan et du
turc ; le chinois a également fait l’objet de ses études et Monsieur Abel Remüsat me
dit qu’il est un de ses meilleurs élèves. Maintenant il entreprend un voyage scientifique à travers l’Arménie et la Perse dont je vous ferai un compte rendu plus détaillé
dans l’une de mes prochaines lettres. Le Dr. Julius Mohl, qui vient du Wurtemberg,
s’adonne avec enthousiasme aux études orientales. Lui aussi a suivi des cours de
chinois auprès de Monsieur Rémusat et se prépare pour un voyage en Inde où il a
été invité par le célèbre général anglais Malcolm, qui est à présent gouverneur général
de Bombay. Tout d’abord il va cependant lancer l’impression de son édition critique
de la grande épopée du chanteur persan Ferdowsi, qui doit être réalisée par l’Imprimerie royale. Monsieur Munch de Strasbourg est également très fort en chinois, et
prochainement va paraître une édition de plusieurs petites œuvres originales dans
cette langue qu’il a réalisée et qui sera d’une grande utilité surtout pour les débutants.
Monsieur Kurz qui vient de Bavière est aussi déjà très avancé dans l’étude de cette
langue et s’y emploie avec beaucoup de zèle. Il travaille à une traduction de plusieurs
des petites œuvres classiques de la Chine ancienne qui jusqu’à présent n’ont jamais
été traduites dans une langue européenne. Les conférences de Monsieur Rémusat
sont également suivies par le très érudit Professeur Neumann de Munich qui, doué
de talents très variés et d’un esprit clair, possède des connaissances très approfondies
dans la langue arménienne et dans d’autres langues asiatiques, connaissances qu’il
songe à appliquer à un travail souhaitable sur les constitutions des peuples de ce
continent 18.
Un autre argument de poids pour entreprendre des études orientales à Paris
n’a pas encore été nommé, il s’agit des activités de la Société Asiatique :
Je dois aussi à cette occasion vous donner quelques informations concernant
l’origine et l’évolution de la Société Asiatique, dont l’existence paraît être encore
(relativement) peu connue dans certaines parties de l’Allemagne. Le projet de cette
société fut conçu dès l’année 1816 par Messieurs le Comte de Lasteyrie 19, le Baron
18. Ibid., p. 11-12.
19. Charles Philibert de Lasteyrie-Dusaillant (1759-1849), industriel, philanthrope et publiciste.
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Itinéraires orientalistes
Degerando 20, Abel Remüsat, Saint Martin 21 et quelques autres hommes exceptionnels, mais sa réalisation ne devint effective que quatre ans plus tard. La première
liste de souscription comportait 115 noms, pour la plupart excellents, et la Société
fut inaugurée le 1er avril 1822 22.
Cette Société encouragea la collaboration entre orientalistes également à
travers le Journal asiatique, qui existe encore aujourd’hui et qui offrait un moyen
de publication commode, avec possibilité d’insérer des citations dans les écritures
d’origine. Certes, des rivalités et des combats de pouvoir virent aussi le jour dans
ce cadre, surtout autour des pôles constitués par Rémusat et Klaproth d’un côté,
Silvestre de Sacy de l’autre. Un témoignage plus ou moins direct nous en est
donné dans une lettre de Fleischer :
... et c’est à cette occasion [une séance de la Société asiatique] que je rencontrai
pour la première fois de visu Abel Rémusat et de Sacy, le premier ayant présenté
une réflexion sur les progrès de l’étude des langues indienne et chinoise en Europe,
le deuxième une étude sur l’histoire des Ismaéliens ou Baténiens. Abel Rémusat a
une voix très sonore et parle très clairement, mais évidemment avec le ton tristement
monotone et chantant que les Français ont adopté dans leurs conférences ; de Sacy
par contre mit considérablement à l’épreuve mes nerfs auditifs et mes capacités
divinatoires par son murmure peu articulé. Je veux espérer que tu le comprends
mieux que moi ou que du moins tu vas t’habituer bien vite à lui 23.
Pour une bonne part des étudiants allemands arrivant à Paris, Benedikt Hase
servait de premier contact : « Tu trouveras en Hase un homme très aimable et
très obligeant. Avec moi du moins il l’a toujours été au plus haut point. Mais il
a évidemment bien fortement raboté, ou fait raboter, sa germanité. Je t’en dirai
plus oralement 24. » Quant à l’accès aux livres et aux manuscrits orientaux, essentiel
pour la plupart des étudiants, tout dépendait dans ce domaine du camp auquel
on appartenait, celui de Rémusat ou celui de de Sacy. Fleischer évoque cette
question de manière éloquente :
Le sultanisme bibliothécaire d’Abel-Rémusat a atteint son plus haut degré. Il
ne s’en cache d’ailleurs plus du tout et admet que seuls ses auditeurs reçoivent des
manuscrits et exulte véritablement dans son insolence. Il peste de toutes ses forces
contre de Sacy, car ce dernier donne à ses arabisants des manuscrits royaux pour
leur usage privé. Il veut à l’avenir réprimer complètement cet emploi abusif, comme
il l’appelle 25.
20. Joseph Marie Degerando (1772-1842), auteurs d’écrits de philosophie de l’histoire et
conseiller d’Etat.
21. Jean Antoine Saint-Martin (1791-1832), historien et spécialiste d’études arméniennes,
co-fondateur de la Société asiatique.
22. Briefe über den Fortgang, op. cit., p. 14-15.
23. Seybold, Fleischer’s Briefe an Haßler, p. 11.
24. Ibid., p. 10.
25. Ibid., p. 25.
Paris, Mecque des orientalistes allemands
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Les principaux acteurs : Rémusat et Klaproth
Jean Pierre Abel Rémusat (1788-1832) 26 était le fils d’un médecin et devint
médecin lui-même pour se conformer aux vœux de sa mère. Il avait vu toutefois
durant ses jeunes années chez l’Abbé de Tersan un ouvrage de botanique chinois
qui le détermina à entreprendre par la suite par ses propres moyens l’apprentissage
du chinois. Sa première publication suscita beaucoup d’émoi et, grâce au soutien
de Silvestre de Sacy et d’autres protecteurs, il obtint en 1814 la chaire de chinois
du Collège de France nouvellement créée. Il développa une intense activité d’enseignant et publia dans les trois cents contributions. Mais surtout, il attira à lui toute
une série de bons élèves dont le plus marquant, Stanislas Julien 27, devint son
successeur à la chaire du Collège de France en 1832. Avec Klaproth et Saint
Martin, qui avait été son condisciple, il forma à une certaine époque un triumvirat
qui dominait les destinées de la Société asiatique. S’il avait visiblement un caractère
difficile, son importance pour le développement de la sinologie européenne fut
cependant considérable. Excepté de courtes présentations, aucun véritable
hommage n’a cependant été rendu jusqu’à ce jour par les sinologues à son œuvre.
À la rigueur c’est Julien qui a pris le plus nettement position concernant son
maître, ceci toutefois dans une contribution anonyme presque inconnue 28. Une
bibliographie d’envergure des œuvres de Rémusat parut pour la première fois il
y a quelques années seulement 29. Voici en tout cas comment Klaproth décrivait
sa première rencontre avec Rémusat à son arrivée à Paris durant l’été 1815 :
26. [Nécrologie], in : Intelligenzblatt der Allgemeinen Literatur-Zeitung, août 1832, p. 401-403 ;
Jean Rousseau et Denis Thouard (éds.), Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise, un débat
philosophico-grammatical entre Wilhelm von Humboldt et Jean-Pierre Abel-Rémusat (1821-1831) ; avec
une correspondance inédite de Humboldt (1824-1831), Villeneuve-d’Ascq, 1999 ; E. A. X. Clerc de
Landresse, Notice sur la vie et les travaux de M. Abel-Rémusat, in : Journal Asiatique / 1834,
p. 205-231 et p. 296-316 ; Knud Lundbæk, Notes on Abel Rémusat and the beginning of academic
sinology in Europe, in : Actes du VIIe Colloque international de sinologie de Chantilly 8-10 septembre
1992, Taipei, Paris, 1995, p. 207-221 ; L. D. Pozdneeva, Abel’-Remjuza (1788-1832) i kitajskaja
literatura, in : Voprosy kitajskoj filologii, Moscou, 1974, p. 3-10 ; en français : Abel-Rémusat et la
littérature chinoise, Moscou, 1973. (XXIX Congrès international des orientalistes. Conférences
présentées par les savants de l’URSS.) ; Léon Feer, Papiers d’Abel Rémusat, in : Journal Asiatique
IX,4 / 1894, p. 550-565 ; Silvestre de Sacy, Notice sur la vie et les ouvrages de M. Abel Rémusat.
Lue à la séance publique de l’Académie des Inscriptions, le 25 juillet 1834, in : Le Moniteur 21 août
1834.
27. Concernant Stanislas Julien (1799-1873), voir Angel Pino, Stanislas Julien et l’Ecole des
langues orientales à travers quelques documents, in : M.C. Bergère (éd.). Un siècle d’enseignement
du chinois à l’Ecole des langues orientales 1840-1945, Paris, 1995, p. 52-94 ; Deux siècles d’histoire
de l’Ecole des langues orientales, op. cit., p. 287-288 ; Publications de M. S. Julien, in : Stanislas
Julien, Syntaxe nouvelle de la langue chinoise, Paris, 1870, vol. II, p. 437-438.
28. [S. Julien], Langue et littérature chinoises. Progrès des études relatives à l’Egypte et à
l’Orient. Publication faite sous les auspices du Ministère de l’Instruction publique. Paris, 1867
(Recueil de rapports sur le progrès des lettres et des sciences en France. Sciences historiques et
philologiques), p. 177-189.
29. Voir H. Walravens, Zur Geschichte der Ostasienwissenschaften in Europa. Abel Rémusat
(1788-1832) und das Umfeld Julius Klaproths (1783-1835), Wiesbaden, 1999.
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Itinéraires orientalistes
Je m’y rendis aussitôt chez Rémusat et habitai quelques semaines chez lui. Nos
conversations quotidiennes avaient pour objet les langues, les littératures et l’histoire
de l’Asie, et tout particulièrement de la Chine, et c’est ainsi que nous en vînmes
également à parler de Kara korum (ancienne capitale de la Mongolie, n.d.Tr.). Rémusat avait essayé désespérément de clarifier ce point ; je le consolai en lui rapportant
que j’avais rassemblé bien des matériaux sur cette question ; ils allaient arriver d’Allemagne avec mes livres et mes écrits et j’étais prêt à les lui communiquer le moment
venu. En attendant j’attirai son attention sur la note citée plus haut qu’il rechercha
aussitôt dans le fonds asiatique 30.
Par la suite Klaproth eut encore bien des occasions de mettre en valeur les
qualités de son collègue et ami tout en insistant sur sa propre supériorité en
matière de géographie 31.
Les sources sont bien plus abondantes en ce qui concerne précisément Julius
Heinrich Klaproth (1783-1835) 32, fils du célèbre savant et membre de l’Académie
de Berlin Martin Heinrich Klaproth. Dès ses années de lycée, le jeune Klaproth
s’intéressa au chinois (ainsi qu’à de nombreuses autres langues). Il n’entreprit
cependant pas d’études universitaires, mais fit paraître dès l’âge de dix-neuf ans
une revue consacrée aux études orientales. Appelé en 1805 à faire partie d’une
légation russe en Chine par son protecteur Jan Potocki, il devint par la suite
attaché de recherches à l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg. Ce sont
surtout son voyage dans le Caucase et les résultats de ce dernier qui le rendirent
célèbre. Rien ne le retenait toutefois en Russie, et après l’échec de plusieurs
tentatives pour s’établir en Italie, il tenta sa chance en France. Napoléon paraît
avoir été enclin à recruter le jeune homme mais les Cent Jours mirent un terme
à ce projet. Klaproth parvint malgré tout à se positionner : grâce à la protection
des frères Alexander et Wilhelm von Humboldt, qui attachaient beaucoup
d’importance à des informations fiables sur la Chine et l’Asie centrale, il fut nommé
en 1816 à une chaire de langues asiatiques à Bonn. Il obtint cependant l’autorisation de s’installer à Paris, ayant réussi à exposer de manière convaincante qu’il
s’agissait du seul endroit qui, disposant de ressources orientalistes incomparables,
permettait de travailler et de publier de manière correcte dans ce domaine. C’est
ainsi que Klaproth ne tint aucune conférence à Bonn et ne forma pas d’étudiants.
Comme de plus il était un critique acerbe, on le craignait généralement. Les
témoignages de l’époque confirment cependant qu’il était prêt à rendre service,
30. Lettre du 29 août 1832 de Klaproth à Ritter, in : Julius Klaproth (1783-1835) : Briefe und
Dokumente, Wiesbaden, 1999, p. 138.
31. « Rémusat était un homme aux connaissances très étendues et doué de grands talents,
animé par un authentique esprit critique, mais géographe il ne l’était pas ; il ne possédait d’ailleurs
en matière de cartographie pas d’autres matériaux pour l’Asie centrale que l’Atlas de la Chine de
Danville. Ses Remarques sur l’extension de l’empire chinois du coté de l’Occident contiennent des
extraits précieux des écrivains chinois, très fidèlement et bien traduits, mais les conclusions qu’il en
a tirées, ne sont absolument pas satisfaisantes sur tous les points. », Lettre du 29 août 1832 de
Klaproth à Ritter.
32. Voir les monographies de H. Walravens : Julius Klaproth (1783-1835). Leben und Werk,
Wiesbaden, 1999 ; Julius Klaproth (1783-1835) : Briefe und Dokumente, Wiesbaden, 1999 ; Julius
Klaproth (1783-1835) : Briefwechsel mit Gelehrten, großenteils aus dem Akademiearchiv in St. Petersburg. Wiesbaden, 2002.
Paris, Mecque des orientalistes allemands
41
lorsqu’on reconnaissait son autorité, un trait qu’il partageait avec plusieurs de ses
collègues, comme Rémusat et Julien. Klaproth laissa également derrière lui une
œuvre immense, là aussi plus de trois cents publications qui influencèrent de
manière décisive les sciences extrême-orientales.
Klaproth est certainement le meilleur exemple pour illustrer la tendance des
Allemands intéressés par l’Extrême-Orient à venir travailler à Paris. Contrairement
à la plupart des étudiants, il ne projetait pas de retourner en Allemagne et publia
souvent en français, cette langue jouant de toute façon à l’époque un grand rôle
comme langue de l’érudition. Il se concentra plus que son ami Rémusat sur
l’histoire et la géographie de la Chine et de l’Asie centrale ; ses connaissances
d’autres langues orientales étaient d’ailleurs plus importantes. Rémusat, par contre,
était plus fort dans le domaine linguistique et littéraire, ce qui donna lieu à une
véritable synergie.
La correspondance de Klaproth nous apprend qu’il était attiré par Paris
depuis 1811 33. Et il faut noter que lors d’un voyage à travers l’Italie, il visita
également l’île d’Elbe où il commença une collection lithologique, mais chercha
aussi et surtout à rencontrer Napoléon : « J’ai été très bien reçu par Napoléon et,
sur son ordre, j’ai été pourvu de recommandations ouvertes pour tous les endroits
de l’île. Cet homme est aussi grand dans son malheur qu’il l’a été dans sa gloire 34 ».
À Paris, le cercle de Klaproth et de Rémusat comprenait les frères Humboldt et,
comme visiteurs réguliers, le géographe Eyriès 35, l’écrivain G. B. Depping 36 et le
scientifique, bibliophile et pionnier de l’imprimerie Paul Schilling von Canstadt 37.
33. Lettre du 9 juillet 1811 de Klaproth à Friedländer, in : Klaproth, Briefe und Dokumente,
p. 54.
34. Lettre du 12 janv. 1815 de Klaproth à Joseph Scherer, ibid., p. 69.
35. Jean-Baptiste Benoît Eyriès (1767-1846) était écrivain et géographe. Il vivait à Paris depuis
1805. Co-éditeur des Nouvelles Annales de Voyage, traducteur de nombreux ouvrages, géographiques
pour la plupart, de l’allemand et de l’anglais. Voir NBG 16 / 1856, p. 870-873 (L. Louvet). Pour
son article sur Klaproth, voir Eyriès, Klaproth, Jules-Henri, in : Biographie universelle (Michaud) 222
(sans année), p. 1-11.
36. Georg Bernhard Depping (1784-1853), historien et publiciste. Voir NBG 13 / 1855,
p. 701-702 ; Depping, Erinnerungen aus dem Leben, Leipzig, 1832.
37. H. Walravens, Zur Geschichte der Ostasienwissenschaften in Europa, p. 85-100 ; Volker
Aschoff, Paul Schilling von Canstadt und die Geschichte des elektromagnetischen Telegraphen, in :
Deutsches Museum. Abhandlungen und Berichte 44 / 1976, no 3 ; V. Jarockij, O dejatel’nosti P. L.
Šillinga kak vostokoveda, in : Očerki po istorii russkogo vostokovedenija 6 / 1963, p. 218-253 ; Baron
Schilling als Gottheit unter den Lama’s, in : Archiv für wiss. Kunde von Rußland 7 / 1849, p. 192-202 ;
Jacques Bacot, La collection tibétaine Schilling von Canstadt à la Bibliothèque de l’Institut, in :
Journal asiatique 205 / 1924, p. 321-348 ; Louis Ligeti, La collection mongole Schilling von Canstadt
à la Bibliothèque de l’Institut, in : Tóung Pao 27 / 1930, p. 119-178 ; L. I. Čuguevskij, Iz istorii
izdanija vostočnych tekstov v Rossii v pervoj četverty XIX v., in : Strany i narody Vostoka 11 (1971),
p. 280-294 ; Briefwechsel mit P. S. v. C., in : Julius Klaproth, Briefwechsel mit Gelehrten, großenteils
aus dem Akademiearchiv in St. Petersburg, Wiesbaden, 2002, p. 13-42 ; Necrolog, in : Das Inland 2
(1837), p. 535-536 ; P. Gurevič, Šilling-fon-Kanštadt, in : baron Pavel L’vovič (éd.), Russkij
biografičeskij slová 23 / 1911, p. 276-280 ; H. Walravens, Konnte der Drucker und Verleger Karl
Tauchnitz Tibetisch ?, in : Aus dem Antiquariat 2 / 2004, p. 83-91 ; H. Walravens, Schilling von
Canstadt, Paul, in : NDB 22 / 2005, p. 768-769 ; Russkie voennye vostokovedy. Biobibliografičeskij
slová, Moscou, 2005, p. 268-269.
42
Itinéraires orientalistes
Au-delà, la plus grande partie des contacts parisiens de Klaproth appartenaient
au milieu des orientalistes ou des gens intéressés par l’Orient, qui se retrouvaient
au sein de la Société asiatique. En tant que membre fondateur, Klaproth prit une
part très active aux séances et aux différentes autres activités. Il était très intéressé
notamment par le Journal asiatique, dans lequel il publia de nombreuses contributions. Il a d’ailleurs établi et publié un index couvrant toute la première série
du Journal asiatique. Souvent on faisait appel à Klaproth pour des expertises et
des commissions destinées à élaborer des propositions. De ce point de vue, il
participa de manière non négligeable à l’élaboration des plans d’action et des
projets d’avenir de la Société. À côté des activités énumérées ci-après et qui se
laissent reconstituer à partir du Journal asiatique, les archives de la Société asiatique
devraient pouvoir apporter d’autres éléments d’information 38.
Klaproth fit beaucoup d’efforts pour obtenir la création de caractères
d’imprimerie adaptés à la langue mandchoue car les caractères réalisés à l’origine
par Langlès n’étaient plus disponibles ou bien étaient considérés comme non
adaptés. Grâce à ses propres initiatives et à l’aide du Baron Schilling von Canstadt,
un dictionnaire mandchou partit chez l’imprimeur et des épreuves furent imprimées. En raison de différents problèmes techniques, ce dictionnaire ne fut toutefois
jamais publié, même si des remarques dans le Journal asiatique permettent d’affirmer qu’il était achevé. Le manuscrit n’a jusqu’à présent pas été retrouvé. Il est
probable que, tout comme les épreuves, il se trouve dans les archives de la Société
asiatique. Un autre des projets parisiens de Klaproth concernait un Dictionnaire
géorgien 39, dont l’évolution se laisse également reconstituer à l’aide du Journal
asiatique. Une édition de Marco Polo paraît également avoir été achevée, du moins
une version manuscrite 40. La description de la Chine et des pays avoisinants, dont
la publication fut annoncée, ne parut pas non plus, bien qu’elle était visiblement
achevée. Le manuscrit se trouva un temps, paraît-il, en possession d’un libraire.
Klaproth songea aussi à remanier et à compléter son Supplément au Dictionnaire
de Basilio Brollo 41 mais il remit ce projet à plus tard en raison d’autres travaux
en cours. Le Journal asiatique ne comporte aucune trace de l’importante activité
cartographique de Klaproth, qui se déroulait visiblement tout à fait en dehors du
cadre de la Société asiatique. Klaproth a laissé plus de 400 cartes, dont certaines
sont très détaillées, soigneusement réalisées et coloriées. Seule une partie en fut
publiée. Les travaux de Klaproth sur les hiéroglyphes ne semblent pas non plus
avoir été réalisés dans le cadre de la Société asiatique. Ceci ne saurait étonner s’il
38. Voir à ce sujet un mémoire de maîtrise (non publié) de Christophe Lubrano di Ciccone
(Université de Nice).
39. Vocabulaire et grammaire de la langue géorgienne, par M. J. Klaproth. Première partie,
contenant le vocabulaire géorgien-français et français-géorgien, Paris, 1827. La deuxième partie parut
de manière posthume.
40. Walravens, Julius Klaproth (1783-1835). Leben und Werk des Orientalisten, p. 16.
41. Supplément au Dictionnaire chinois-latin du P. basile de Glemona (imprimé, en 1813, par
les soins de M. de Guignes), publié, d’après l’ordre de Sa Majesté le roi de Prusse Frédéric-Guillaume
III, par Jules Klaproth, Paris, 1819, p. X.
Paris, Mecque des orientalistes allemands
43
s’était agi d’écrits polémiques, mais ici l’absence d’indications concernant la création de caractères permettant l’impression de hiéroglyphes est étrange 42.
Leurs élèves : Jules Mohl, Heinrich Kurz, Karl Friedrich Neumann,
Friedrich Ludwig Schulz et Wilhelm Schott
Julius Mohl (1800-1876) vint à Paris comme étudiant en langues orientales
et s’y consacra tout particulièrement au chinois et au persan. Son œuvre principale
est une édition du Livre des Rois du poète Ferdowsi. Dans le domaine chinois, il
édita une traduction du Yijing 43, rendant ainsi cette œuvre très appréciée accessible
en français à une date relativement précoce. Bien qu’une chaire de langues orientales ait été réservée pour lui durant huit ans dans sa patrie, il préféra rester à
Paris. Ayant été secrétaire de la Société asiatique durant de longues années, il
exerça une influence importante sur le développement des études orientales en
France 44.
Heinrich Kurz (1805-1873), était un personnage doté de talents considérables
comme le montrent déjà ses premiers travaux. Il fut le premier enseignant de
chinois de l’Université de Munich. Il fut incarcéré en tant que « démocrate » mais
il parvint à se réfugier en Suisse en 1834. Là, personne n’avait besoin de ses
compétences en sinologie et il se reconvertit en langue et littérature germaniques,
devenant ensuite un germaniste de renom 45.
Karl Friedrich Neumann (1798-1870) 46, spécialiste de philologie antique et
historien, se spécialisa dans un premier temps en arménien et en chinois. Il suivit
les cours d’Abel Rémusat à Paris et entreprit un voyage remarquable jusqu’à
Canton, durant lequel il rassembla une importante collection de livres chinois qui
vinrent enrichir les Bibliothèques royales de Munich et de Berlin 47. Après un
enseignement très apprécié à l’Université de Munich, il fut mis en retraite anticipée
en 1852 en raison de ses tendances démocrates et se consacra dès lors à l’écriture,
publiant essentiellement dans les revues de l’éditeur Cotta. Sa brève description
des sinica qu’Alexander von Humboldt avait transmis à la Bibliothèque royale de
Berlin, conduisit à une controverse avec Heinrich Kurz 48.
Nous disposons en ce qui concerne le séjour parisien de Neumann et ses
42. Rijk Smitskamp, Typographia hieroglyphica, in : Quaerendo 9 / 1979, p. 309-336.
43. Yi-King. Antiquissimus Sinarum liber quem ex latina interpretatione P. Regis aliorumque
ex Soc. Jesu P. P. edidit Julius Mohl. 1-2, Stuttgart et Tubingen, 1834-1839.
44. Voir F. Max Müller, Notice sur Jules Mohl, in : J. Mohl (éd.), Vingt-sept ans d’histoire
des études orientales 1, Paris, 1879, p. IX-XLVII ; ADB 22 / 1885, p. 57-59.
45. Voir NDB 13 / 1982, p. 334-335 (G. Naundorf) ; ainsi que Walravens, Zur Geschichte der
Ostasienwissenschaften in Europa, op. cit., p. 101-130.
46. Voir H. Walravens, Karl Friedrich Neumann [1793-1870] und Karl Friedrich August
Gützlaff [1803-1851]. Zwei deutsche Chinakundige im 19. Jahrhundert, Wiesbaden, 2001.
47. Voir Georg Reismüller, Zur Geschichte der chinesischen Büchersammlung der Bayerischen
Staatsbibliothek, in : Ostasiatische Zeitschrift 8 / 1919/20, p. 331-336.
48. Voir Herbert Franke, Heinrich Kurz (1805-1873), der erste Sinologe an der Universität
44
Itinéraires orientalistes
connaissances en chinois, d’une description intéressante de la plume de Julius
Klaproth, critique souvent exagérément sévère. Dans une lettre à Altenstein, le
Ministre prussien de l’enseignement supérieur, Klaproth écrit :
Le fait que Monsieur le Professeur Neumann n’ait rien compris au chinois
lorsqu’il arriva à Paris en 1828 pour assister ici aux cours de Monsieur A. Rémusat
sur la langue chinoise, peut être prouvé de manière indiscutable par certaines circonstances, comme par exemple celle-ci, qu’il ait assuré au célèbre collectionneur d’antiquités de Munich le Freiherr v. Gemmingen, que des feuilles se trouvant en
possession de ce dernier, un célèbre roman chinois, le Hoa thu yuan, étaient des
poèmes de l’Empereur Khian lung. D’autre part Monsieur Neumann avait confectionné un catalogue des livres et des fragments chinois de la Bibliothèque de Munich.
Pour certains feuillets du troisième livre chinois indiquant Yi King sur la couverture
et reprenant ce nom comme titre courant, il a indiqué qu’il ne savait pas de quel
livre ils provenaient. (...)
Avec de tels antécédents, Monsieur Neumann ne pouvait prétendre à son
arrivée à Paris être un connaisseur et il jouait seulement le rôle de l’élève zélé. Il fut
accueilli ici de la manière la plus prévenante par moi, par Monsieur Rémusat et par
d’autres orientalistes comme un homme d’esprit, ce que personne ne lui dénie. Et
aussi bien Monsieur Rémusat que moi-même, nous sommes efforcés de lui permettre
de différentes manières d’avancer dans ses études, principalement en lui prêtant des
ouvrages chinois de nos collections. (...) À peine Monsieur Neumann avait-il suivi
quelques semaines le cours de chinois au Collège Royal de France, qu’il prenait la
décision audacieuse de se lancer dans la traduction d’un des philosophes chinois les
plus difficiles, Tschu hi 49. Nous ne pouvions que sourire d’une telle prétention mais
Monsieur Rémusat, en tant que Conservateur des Manuscrits orientaux, lui communiqua les originaux de la Bibliothèque Royale demandés et rien ne rompit sa relation
amicale avec Monsieur Neumann, qui se poursuivit jusqu’au départ de ce dernier en
Angleterre. Pour ce dernier, Monsieur Rémusat et moi avons fait l’effort de lui donner
des lettres de recommandation pour nos amis londoniens qui, comme je le sais de
manière certaine, lui ont été d’une grande utilité 50.
La très longue lettre se poursuit avec le récit des calomnies propagées par
Neumann à Londres, où il fit courir la rumeur que les sinologues parisiens ne
faisaient rien d’autre que publier sous leur nom les manuscrits de missionnaires
qu’ils possédaient et que la Grammaire chinoise de Monsieur Rémusat en particulier n’était rien d’autre qu’un extrait des Notitia du Père Premare. Les dénis de
Neumann ne lui paraissent pas sérieux et il considère donc que si les écrits de
Neumann ne lui ont pas donné une haute opinion de ses connaissances en chinois,
cette histoire ne lui a laissé aucune estime pour son caractère. Il n’en considère
pas moins que le voyage de Neumann à Canton a énormément contribué à la
München, in : Studia sino-altaica. Festschrift für Erich Haenisch zum 8o.Geburtstag, Wiesbaden, 1961,
p. 58-71.
49. Voir la publication ultérieure de Carl Friedrich Neumann, Die Natur- und Religionsphilosophie der Chinesen. Nach dem Werke des chinesischen Weltweisen Tschuhi, Fürst der Wissenschaft genannt, in : Zeitschrift für die historische Theologie, nlle série, 1 / 1837, p. 1-88.
50. Lettre de Klaproth à Altenstein s.d., reproduite in : Walravens, Julius Klaproth (17831835) : Briefwechsel mit Gelehrten, op. cit., p. 125 sq.
Paris, Mecque des orientalistes allemands
45
connaissance de la littérature chinoise. La bibliothèque rapportée par lui et examinée à Londres par Stanislas Julien, paraît d’un très grand intérêt et, surtout, la
collection d’œuvres bouddhiques est presque unique en Europe. Même s’il faut
sans doute apporter ici quelques nuances pour compenser ce que Humboldt
appelait le « mordant » de Klaproth, Neumann paraît cependant s’être conduit de
manière un peu irréfléchie et précipitée. Ses points forts étaient plutôt l’histoire
que la philologie chinoise. Dans ce domaine, Klaproth était incontournable et l’on
ne s’étonnera donc pas du ton très amical qui caractérisait, en dépit des critiques
citées précédemment, la correspondance entre les deux érudits 51.
Friedrich Ludwig Schulz (1799-1830) fut nommé professeur de philosophie
à Giessen en 1822, mais il se rendit par la suite à Paris pour y poursuivre sa
formation. De là il partit, comme nous l’avons vu, en Perse et fut tué au Kurdistan
au début de l’année 1830 52. Durant ses études à Paris, la bataille autour du statut
des études littéraires dans les recherches orientalistes battait son plein. Si Silvestre
de Sacy maintenait son exigence d’une étude de la poésie orientale, la partie
adverse rejetait cette étude comme perte de temps 53. Schulz se plaça ouvertement
du côté de Rémusat et rendit ainsi publique une controverse interne à la Société
asiatique.
Wilhelm Schott (1802-1889) 54, originaire de Mayence, étudia dans un
premier temps la théologie puis les langues orientales. À Halle on lui demanda,
ainsi qu’à son collègue Helmke, de prendre soin de deux Chinois du Sud. Rapidement, la langue chinoise le fascina et il chercha à l’apprendre avec l’aide des
deux locuteurs natifs ainsi que par ses propres moyens. En premier lieu, le jeune
Privatdozent s’essaya à la traduction des conversations de Confucius (Lunyu). Peu
sûr de lui, il suivit la plupart du temps la traduction anglaise de J. Marshman,
s’attirant la mauvaise humeur de Klaproth et d’autres orientalistes parisiens : « Je
vous envoie avec ma lettre d’aujourd’hui une brochure arrivée ici il y a quelques
51. Lettre du 30 août 1832 de Neumann à Klaproth in : Klaproth, Brierwechsel mit Gelehrten,
p. 128.
52. Voir Biographie universelle (Michaud) 38 (sans année), p. 467.
53. F. E. Schulz, Sur le grand ouvrage historique et critique d’Ibn-Khaldoun, appelé : Kitabol-iber we diwan-ol-moubteda wel khaber, in : Journal Asiatique 7 / 1825, p. 213-226, et p. 279-300 ;
et, à l’opposé, de Sacy, De l’utilité de l’étude de la poésie arabe, in : Journal Asiatique 8 / 1826,
p. 321-339 ; Extraits des lettres de M. Schulz pendant son séjour à Constantinople et à Arzroum,
in : Journal Asiatique, nlle série, 1 / 1828, p. 68-84, et p. 125-138 ; Note sur le grand ouvrage
historique d’Ibn Khaldoun conservé dans la bibliothèque d’Ibrahim pacha à Constantinople par
M. Schulz, in : Journal Asiatique, nlle série 1 / 1828, p. 138-142 ; Extrait du grand ouvrage historique
d’Ibn Khaldoun traduit de l’arabe par M. Schulz. in : Journal Asiatique, nlle série 2 / 1828,
p. 117-142 ; Voir aussi Douglas T. McGetchin, Wilting florists. The turbulent early years of the
Société asiatique, 1822-1860, in : Journal of the history of ideas 64 / 2003, p. 565-580.
54. H. Walravens, Wilhelm Schott und die Königliche Bibliothek, in : Scrinium Berolinense.
Tilo Brandis zum 65.Geburtstag. Berlin, 2000, p. 577-594 ; H. Walravens, Wilhelm Schott
(1802-1889). Leben und Wirken des Orientalisten, Wiesbaden, 2001 ; F. Babinger, Wilhelm Schott,
in : Hessische Biographien 1 / 1912, p. 253-259 ; H. Walravens, A forerunner of Louis Ligeti, in :
Alice Sárközi et Attila Rákos (éds.), Altaica Budapestinensia MMII. Proceedings of the 45th Permanent
International Altaistic Conference (PIAC), Budapest, 2002, Eötvös Loránd University, 2003,
p. 395-403.
46
Itinéraires orientalistes
mois et portant le titre suivant : La prétendue traduction des œuvres de Confucius
à partir de la langue originale réalisée par le Dr. Wilhelm Schott, une escroquerie
littéraire ; présentée par W. Lauterbach. Cette brochure prouve que Monsieur
Schott n’a pas traduit Confucius en langue allemande à partir de l’original chinois
mais à partir d’une traduction anglaise parue en Inde, et que son travail grouille
de fautes. C’est aussi l’avis de tous ceux qui peuvent juger la chose. On tient
Monsieur Klaproth pour l’auteur de cet écrit et, si l’on trouve qu’il a certainement
raison, on estime qu’il traite Monsieur Schott, qui est un débutant, trop durement » 55.
Les suites de la controverse furent complexes. Karl Friedrich Neumann
essaya d’arranger un peu les choses en écrivant à Klaproth :
« Que dites-vous de la deuxième partie du Lun yü de Schott ? 56 À mon avis,
cet homme a de très bonnes connaissances et il est impardonnable que Altenstein
ne fasse rien pour lui » 57.
Le géographe berlinois Carl Ritter, pour lequel Schott effectuait des menus
travaux, s’engagea aussi pour ce dernier. Klaproth répondit :
Je suis infiniment désolé d’avoir été la cause de ses malheurs, et je veux bien
tout faire pour améliorer sa situation. Malheureusement la littérature chinoise a
presque toujours connu le triste destin de tomber entre les mains de fanfarons comme
Fourmont, Hager 58, etc. Ceux qui s’occupent sérieusement de ces questions ne
peuvent, étant donné l’ignorance généralisée du grand public, envisager un tel cours
des choses avec indifférence, et c’est là la raison pour laquelle j’ai toujours été
impitoyable envers toute forme de charlatanisme 59.
.
Toute cette controverse ne fut guère favorable à la carrière de Wilhelm Schott
et lui causa de grands soucis. Il vécut par la suite de petits travaux scientifiques
auxiliaires et d’un poste mal payé à l’Académie des sciences de Berlin. Schott fait
partie des chercheurs qui auraient bien aimé étudier à Paris, mais qui ne purent
se le permettre. Un seul voyage est attesté plus tard dans sa vie et, ce qui est
étonnant pour un érudit qui fit partie pendant cinquante ans environ de l’Académie des sciences, il n’existe même pas un seul portrait de lui. Schott vécut donc
de façon extrêmement modeste et dédia son temps à un travail scientifique
acharné.
55. Briefe über den Fortgang, op. cit., p. 34-35.
56. Werke des chinesischen Weisen Khung-Fu-Dsü und seiner Schüler. Zum ersten Mal aus der
Ursprache ins Deutsche übersetzt und mit Anmerkungen, von Dr. Wilhelm Schott, Privatdocenten
in Halle, Zweiter Theil, Berlin, 1832, p. VIII, Lateinisch und deutsch.
57. Lettre du 28 mai 1833 de Neumann à Klaproth in : Klaproth, Briefwechsel mit Gelehrten,
p. 134-135.
58. Voir H. Walravens, Antonio Montucci (1762-1829), Lektor der italienischen Sprache, Jurist
und gelehrter Sinologe. – Joseph Hager (1757-1819), Orientalist und Chinakundiger. Zwei Biobibliographien, Berlin, 1992 [1993]. (Han-pao tung-Ya shu-chi mu-lu. 42.)
59. Lettre du 4 août 1832 de Klaproth à C. Ritter in : Klaproth, op. cit., p. 135.
Paris, Mecque des orientalistes allemands
47
Prolongements
Bien que les études chinoises aient connu à cette époque un certain essor,
l’évolution ultérieure était placée sous une mauvaise étoile. Comme nous l’avons
dit, Klaproth n’occupa pas réellement sa chaire à Bonn et elle fut supprimée par
la suite. Les jeunes sinologues étaient donc gênés dans leurs recherches soit par
des conditions de travail difficiles, soit par l’oppression politique :
Le sort paraît s’acharner malheureusement contre l’essor de la littérature
chinoise en Allemagne. Schott a failli mourir de faim à Berlin 60 ; Plath 61 purge depuis
deux ans une peine de réclusion à Celle comme prisonnier d’État et Kurz doit
s’estimer heureux s’il s’en sort avec une année de prison. Il purge sa peine, comme
vous le savez peut-être, depuis quatre mois déjà et son affaire a l’air plutôt mal
partie. Il est accusé d’outrage à majesté. Moi-même j’ai reçu il y a quelques jours
un Rescript royal, m’indiquant que Sa Majesté me rappellerait prochainement. Je
vais sans doute dans ce cas être tellement accaparé de missions professionnelles, que
je n’aurais que peu de temps à consacrer au chinois. Il est impardonnable qu’aucun
gouvernement allemand ne veuille se décider à faire un effort pour cette littérature,
alors qu’on dispose pourtant à présent, grâce à mes collections, d’une masse d’instruments de travail et de ressources en Allemagne 62.
Notant quelques mois plus tard l’échec du recours en appel de Kurz, il
concluait : « Cet homme est perdu pour la science pour le restant de sa vie 63. »
Ainsi, en Allemagne même, ce fut essentiellement Wilhelm Schott qui représenta avec une certaine continuité le chinois, sans toutefois disposer d’une chaire.
En raison de la critique négative (bien que non dénué de fondement) de sa
première œuvre en sinologie, sa traduction de Confucius, il s’était créé des domaines secondaires, sur lesquels il pouvait se replier, et représentait en même temps
la totalité du domaine des langues ouralo-altaïques. Johann Heinrich Plath
(1801-1874) développa une large activité de publication seulement après sa nomination au sein de l’Académie des Sciences de Bavière, mais il ne forma pas d’élèves.
Kurz était actif en Suisse en tant que germaniste, Neumann avait été mis en retraite
anticipée (contre les termes de son contrat) en 1852 comme « démocrate » et
gagnait sa vie tant bien que mal en tant qu’écrivain.
Durant les années qui suivirent l’époque de Rémusat et de Klaproth, Paris
paraît avoir perdu une partie de son pouvoir d’attraction pour les érudits intéressés
par l’Extrême-Orient, bien qu’avec Stanislas Julien et Bazin aîné la capitale française ait disposé d’excellents représentants de la discipline. De bons contacts se
60. Voir Walravens, Wilhelm Schott und die Königliche Bibliothek, op. cit.
61. Voir Herbert Franke, Zur Biographie von Johann Heinrich Plath (1802-1874), Munich,
1960, p. 12 ; H. Walravens, Plath, Johann Heinrich, in : Walther Killy (éd.), Literatur Lexikon 9 /
1991, p. 179 ; H. Walravens, Schriftenverzeichnis von Johann Heinrich Plath (1802-1874) : Sinologe,
Ägyptologe und Historiker, in : Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft 153 / 2003,
p. 417-442 ; NDB 20 / 2001, p. 512 (H. Franke).
62. Lettre du 30 août 1832 de Neumann à Klaproth in : Klaproth, op. cit., p. 129-130.
63. Lettre du 10 nov. 1832 de Neumann à Klaproth in : ibid., p. 133.
48
Itinéraires orientalistes
mirent toutefois en place au niveau individuel : comme autrefois Klaproth, Stanislas Julien faisait de menus travaux pour Alexander von Humboldt, il entretenait
des contacts amicaux avec Anton Schiefner 64 et Theodor Benfey 65, et sa traduction
des Avadânas 66 suivait une impulsion donnée par Benfey.
En somme, avec de Sacy et Rémusat, Paris avait à l’époque quelque chose
de tout à fait exceptionnel à offrir et attirait, grâce à cela, également des étudiants
allemands. Par la suite il y eut une meilleure offre en Allemagne aussi, principalement grâce à des élèves de ces deux érudits, de telle sorte que le passage par
Paris n’était plus impératif. Ce bref survol, aussi fragmentaire soit-il, met en
évidence une phase passionnante des contacts scientifiques franco-allemands, mais
il reste encore bien des recherches à faire.
(Traduit de l’allemand par Céline Trautmann-Waller)
64. Franz Anton Schiefner (1817-1879), professeur et bibliothécaire à Saint-Pétersbourg. Les
traductions des Jâtakas et Avadânas par Schiefer, qui appartiennent également à ce cercle thématique,
vont paraître très prochainement à Wiesbaden, chez l’éditeur Otto Harrassowitz.
65. Theodor Benfey (1809-1811) fut professeur d’études indiennes à Göttingen. Voir Adalbert
Bezzenberger (éd.), Kleinere Schriften von Theodor Benfey, 4 vols., Berlin, 1890.
66. Les Avadânas. Contes et apologues indiens inconnus jusqu’à ce jour, t. 1-3, Paris, 1859.