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NATIONS UNIES E Distr. GÉNÉRALE Conseil Économique et social E/CN.4/2000/39 28 décembre 1999 FRANÇAIS Original : ANGLAIS COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME Cinquante-sixième session Point 9 de l'ordre du jour provisoire QUESTION DE LA VIOLATION DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES, OÙ QU'ELLE SE PRODUISE DANS LE MONDE Situation des droits de l'homme dans l'ex-Yougoslavie Rapport de M. Jiri Dinstbier, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine, en République de Croatie et en République fédérale de Yougoslavie GE.99-16585 (F) E/CN.4/2000/39 page 2 TABLE DES MATIÈRES Paragraphes Résumé ............................................................................................ Page 3 Introduction ....................................................................................... 1 6 I. Bosnie-Herzégovine........................................................................... A Observations générales.............................................................. B. Situation des droits de l'homme................................................. C. Droit de retour et droits de propriété......................................... D. Droits économiques, sociaux et culturels................................... E. Traite des êtres humains............................................................ F. Liberté d'expression .................................................................. G. Personnes disparues .................................................................. H. Conclusions et recommandations............................................... 2 – 32 3–4 5–8 9 – 16 17 – 19 20 – 22 23 – 24 25 – 26 27 – 32 6 6 7 7 9 10 10 11 11 II. République de Croatie........................................................................ A. Introduction.............................................................................. B. Retours..................................................................................... C. Crimes de guerre....................................................................... D. Administration de la justice ....................................................... E. Liberté d'expression et d'information ......................................... F. Personnes disparues et personnes détenues................................ G. Droits des travailleurs ............................................................... H. Coopération technique .............................................................. I. Conclusions et recommandations............................................... 33 – 68 33 – 34 35 – 41 42 – 52 53 – 54 55 56 – 57 58 – 59 60 – 61 62 – 68 12 12 13 14 17 18 18 18 19 19 III. République fédérale de Yougoslavie................................................... A. Introduction.............................................................................. B. Crise humanitaire et économique............................................... C. Liberté de la presse et accès à l'information ............................... D. Détention et personnes disparues .............................................. E. État de droit : droit à un procès équitable.................................. F. État de droit : liberté d'association............................................. G. Réfugiés et personnes déplacées................................................ H. Citoyenneté et amnistie au Monténégro..................................... I. Observations finales .................................................................. J. Recommandations..................................................................... 69 – 106 69 – 70 71 – 73 74 – 79 80 – 81 82 – 85 86 87 88 – 89 90 – 95 96 – 106 20 20 21 22 24 25 26 26 27 27 28 E/CN.4/2000/39 page 3 Résumé Le présent rapport est soumis par M. Jiri Dienstbier, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine, en République de Croatie et en République fédérale de Yougoslavie. Le rapport rend compte des événements survenus jusqu'à la première semaine de décembre 1999 dans le domaine relevant du mandat du Rapporteur spécial et repose sur des informations recueillies par les bureaux extérieurs du Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH). I. BOSNIE-HERZÉGOVINE Le Rapporteur spécial est parvenu à la conclusion qu'une nouvelle année s'est malheureusement écoulée sans progrès notables à signaler en ce qui concerne le respect des droits de l'homme et la primauté du droit. La raison principale de cet état de choses continue d'être une attitude d'obstruction délibérée de la part de ceux qui détiennent le pouvoir en Bosnie-Herzégovine. L'un des principaux sujets de préoccupation du Rapporteur spécial concerne le rôle de la police dans la protection des droits de l'homme. Malgré les efforts entrepris par la Mission des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine (MINUBH) pour réorganiser la police locale, les forces de police sont encore monoethniques dans la plupart des secteurs et leur efficacité dans la détection, l'investigation et la répression des crimes et délits reste faible. Au demeurant, la police se montre réticente pour exécuter les décisions judiciaires qui ne correspondent pas aux orientations politiques des groupes locaux majoritaires. L'absence de pouvoir judiciaire à même de fonctionner et indépendant est une autre préoccupation majeure du Rapporteur spécial. L'ingérence des structures du pouvoir politique dans le fonctionnement de la justice demeure considérable. Le fait que les lois régissant la propriété soient pratiquement restées lettre morte dans les deux entités en est la preuve la plus flagrante. Dans l'ensemble, les problèmes de sécurité restent le principal obstacle aux retours dans la plupart des régions du pays. D'autres facteurs comme les mauvaises perspectives d'emploi et la discrimination jouent un rôle important. Le Rapporteur spécial se félicite de la nouvelle politique de fermeté adoptée par le Haut Représentant - imposition de mesures législatives, limogeage des principaux responsables des manœuvres d'obstruction et envoi d'un message fort aux dirigeants du pays et à toute la population. Certes, il est encore trop tôt pour dire si cette attitude donnera des résultats, mais le Rapporteur spécial reste convaincu qu'il est essentiel de maintenir la pression maintenant que la dynamique est enclenchée. II. RÉPUBLIQUE DE CROATIE Dans son rapport, le Rapporteur spécial met essentiellement l'accent sur les problèmes du retour des réfugiés et sur les procès pour crimes de guerre. Il se déclare préoccupé par le faible nombre des retours, qu'il attribue en partie à des tensions interethniques persistantes au lendemain du conflit et aux dommages infligés à l'économie et à l'infrastructure dans les zones de E/CN.4/2000/39 page 4 rapatriement. Cependant, il appelle également l'attention sur des obstacles dont le Gouvernement peut être tenu pour directement responsable - qu'il s'agisse d'une législation discriminatoire et insuffisante, de l'indifférence du pouvoir central comme des autorités locales, et de recours judiciaires peu accessibles et peu efficaces aboutissant à des décisions difficiles à faire appliquer. En ce qui concerne les procès pour crimes de guerre, le Rapporteur spécial déclare que des retards déraisonnables dans les poursuites intentées pour crimes de guerre et des doutes quant à leur caractère équitable, ainsi que le manque de transparence des nouvelles inculpations, ont renforcé dans la population serbe la conviction d'être prise pour cible par les pouvoirs publics en raison de son appartenance ethnique. Le Rapporteur spécial demande instamment que tous les crimes de guerre soient instruits et jugés conformément aux normes internationales et que les auteurs de crimes de guerre soient traduits en justice sans considération d'origine ethnique. Le Rapporteur spécial attire particulièrement l'attention sur les maigres ressources affectées au pouvoir judiciaire et sur l'arriéré d'affaires en instance. Il déclare que les retards et la non-exécution des décisions judiciaires devraient être un sujet de préoccupation majeure pour le Gouvernement de la Croatie. Il souligne qu'un pouvoir judiciaire indépendant et efficace est synonyme d'état de droit. III. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE (RFY) Étant donné que le dernier rapport du Rapporteur spécial à l'Assemblée générale traitait surtout de la situation au Kosovo (RFY), le Rapporteur spécial saisit l'occasion offerte par le présent rapport pour mettre l'accent sur des problèmes qui ne sont pas directement liés à la crise du Kosovo mais sont néanmoins au cœur de son mandat. Il note que les efforts internationaux visant à éviter la crise humanitaire imminente due à la destruction de l'infrastructure civile de la République fédérale de Yougoslavie (RFY) ont été, pour l'essentiel, limités et politisés. Tout en prenant acte de l'arrivée des premiers camions de carburant du Programme de l'Union européenne "L'énergie au service de la démocratie", il constate que des pénuries de carburant persistent sur tout le territoire de la RFY, perturbant les approvisionnements alimentaires et la distribution d'eau et empêchant le fonctionnement d'équipements essentiels. Les organisations humanitaires redoutent des souffrances accrues pour les plus vulnérables, particulièrement pour les réfugiés, les personnes déplacées, les handicapés, les enfants, les malades chroniques, la population âgée des villes et les cas sociaux. Le Rapporteur spécial souligne également les difficultés économiques croissantes que connaît la population de la RFY, dues en partie au déclin économique prolongé du pays et à l'absence de réformes, et encore aggravées par les sanctions et les dommages considérables infligés à l'infrastructure et à l'industrie par la campagne aérienne de l'Organisation du traité de l'Atlantique-Nord (OTAN). Le Rapporteur spécial exprime ses sérieuses préoccupations quant au nombre croissant des atteintes à la liberté d'expression dans toute la RFY, en République de Serbie surtout. À Belgrade et à Pristina, certains organes d'information ont lancé des croisades contre des journalistes indépendants, et l'accès à toute une gamme d'informations fait l'objet de sévères restrictions sous d'autres formes. E/CN.4/2000/39 page 5 Le Rapporteur spécial appelle plus particulièrement l'attention sur les procédures pénales en cours dans toute la RFY, qui ont de sérieuses implications pour les droits de l'homme. Il exprime de graves réserves sur la conduite de nombreuses affaires. Il recommande que les autorités de la RFY, y compris les gouvernements de la République de Serbie et du Monténégro, autorisent l'accès du HCDH et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) aux lieux de détention et améliorent leur bilan en alignant les procédures judiciaires sur les normes internationales garantissant le droit à un procès équitable. Il demande en outre instamment aux autorités de prendre des mesures pour mettre fin à la torture et aux mauvais traitements à l'encontre des personnes détenues dans les prisons. Le Rapporteur spécial invite la communauté internationale à mettre fin à l'isolement de la population de la RFY. En particulier, il recommande instamment de multiplier les relations bilatérales avec la société civile et insiste auprès des organisations non gouvernementales des pays extérieurs à la République fédérale de Yougoslavie pour qu'elles établissent des contacts avec leurs homologues à l'intérieur du pays. E/CN.4/2000/39 page 6 Introduction 1. Le présent rapport de M. Jiri Dienstbier, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, traite des événements survenus en Bosnie-Herzégovine, en République de Croatie et en République fédérale de Yougoslavie jusqu'à la première semaine de décembre 1999. Il repose sur des informations recueillies auprès de sources très diverses par les bureaux extérieurs du Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH). Le Rapporteur spécial tient à remercier tous ceux, personnes et organisations, qui l'ont aidé dans l'exercice de son mandat depuis qu'il a pris ses fonctions en mars 1998. En particulier, il tient à rendre hommage aux fonctionnaires du HCDH, recrutés sur le plan international ou sur place, chargés de s'occuper des problèmes de droits de l'homme sur le terrain, qui ont fait preuve d'un profond attachement à la cause de la protection et de la promotion des droits de l'homme et qui s'acquittent de leur tâche dans des conditions souvent difficiles. Le Rapporteur spécial voudrait également exprimer sa reconnaissance aux gouvernements qui ont apporté leur soutien financier au HCDH et lui ont permis de s'acquitter effectivement de son mandat. I. BOSNIE-HERZÉGOVINE 2. Le Rapporteur spécial a fait une brève visite en Bosnie-Herzégovine en avril 1999, mettant surtout l'accent sur les répercussions de la crise du Kosovo lors d'entretiens qui ont eu lieu à Sarajevo avec des représentants de la société civile et des organisations internationales. Du 15 au 20 mai 1999, il s'est rendu dans le pays pour une mission plus approfondie, voyageant essentiellement en République Srpska (RS), avec des visites à Banja Luka, Brcko et Bijeljina. Il a rencontré des représentants des autorités locales et de la société civile, ainsi que des représentants d'institutions s'occupant des droits de l'homme et des représentants d'organisations internationales, afin d'obtenir une vue complète de la situation des droits de l'homme. De plus, le Rapporteur spécial reçoit régulièrement des informations sur la situation des droits de l'homme qui lui sont communiquées par l'opération du HCDH pour les droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine, basée à Sarajevo. A. Observations générales 3. Dans son dernier rapport à la Commission des droits de l'homme (E/CN.4/1999/42), le Rapporteur spécial a déclaré que la Bosnie-Herzégovine restait divisée par des clivages ethniques et que des violations substantielles des droits de l'homme continuaient de se produire, en particulier des violations des droits de propriété et du droit de retour. Malheureusement, une autre année s'est écoulée sans progrès notables à signaler en ce qui concerne le respect des droits de l'homme et l'état de droit. La principale raison de cette situation regrettable continue d'être une attitude d'obstruction délibérée de la part de ceux qui détiennent le pouvoir en Bosnie-Herzégovine. 4. Le Rapporteur spécial tient à féliciter le Haut Représentant, M. Wolfgang Petrisch, de l'approche qu'il a adoptée pour tenter de venir à bout de cette obstruction. En octobre 1999, le Haut Représentant a imposé une nouvelle loi sur les biens, qui visait à éliminer la plupart des obstacles entravant l'application de la législation des biens dans les deux entités. Démontrant la nouvelle détermination de la communauté internationale, le Haut Représentant, de concert avec le Chef de mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a révoqué, E/CN.4/2000/39 page 7 le 29 novembre, 22 responsables qui pratiquaient tous une politique systématique d'obstruction en s'opposant par divers moyens à l'application de l'Accord de Dayton. S'il est trop tôt pour dire si cette démarche favorisera une meilleure application de l'Accord de Dayton et le respect de la légalité, le message adressé aux responsables de ces pratiques d'obstruction était clair : la communauté internationale ne tolérera pas plus longtemps un tel comportement. La réaction de l'opinion publique a été généralement positive. Comme on pouvait s'y attendre, quelques-uns des responsables limogés ont critiqué la décision, mais dans l'ensemble les réactions des principaux partis ont été plutôt modérées. B. Situation des droits de l'homme 5. Le Rapporteur spécial a présenté un rapport d'ensemble à l'Assemblée générale le 24 septembre 1999 (A/54/396-S/1999/1000), ainsi qu'un additif à ce rapport (A/54/396/Add.1S/1999/1000/Add.1) le 3 novembre 1999. Un mois seulement s'étant écoulé depuis, le présent rapport prend pour point de départ les informations présentées dans les documents précédents, en évitant de les répéter. 6. Le Rapporteur spécial a évoqué ses principaux sujets de préoccupation en ce qui concerne les droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine, en insistant sur le rôle que doivent jouer les forces de police, en tant qu'agents de l'État, pour assurer une protection efficace des droits de l'homme. Malgré les efforts entrepris par la Mission des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine (MINUBH) pour réorganiser la police locale, les forces de police restent monoethniques dans la plupart des secteurs et leur efficacité, dans la détection, l'instruction et la répression des crimes et délits reste faible. Au demeurant, la police se montre encore réticente pour exécuter les décisions judiciaires qui ne correspondent pas aux orientations politiques du groupe ethnique local majoritaire. La réforme de la police dans les deux entités souffre de l'absence d'une véritable volonté politique. 7. L'absence de pouvoir judiciaire à même de fonctionner et indépendant est un autre sujet de préoccupation majeur rappelé par le Rapporteur spécial. L'immixtion des structures du pouvoir politique dans le fonctionnement de la justice reste considérable. L'impossibilité quasi totale de donner effet à la législation sur les biens dans les deux entités en est la preuve la plus flagrante. 8. Dans l'ensemble, les problèmes de sécurité restent le principal obstacle au rapatriement dans la plupart des régions du pays. Les mauvaises perspectives d'emploi et la discrimination sont d'autres facteurs importants qui expliquent le faible taux de retours parmi les minorités. Les autorités à tous les niveaux ont été incapables de créer des conditions de nature à favoriser des retours durables. C. Droit de retour et droits de propriété 9. Quatre ans après la signature de l'Accord de Dayton, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime qu'il y a encore en Bosnie-Herzégovine 830 800 personnes déplacées (487 300 dans la Fédération et 343 500 en Republika Srpska), tandis que 324 100 réfugiés se trouvent encore dans des pays hôtes en Europe et ailleurs, sans solutions durables. Beaucoup souhaitent encore rentrer et reprendre possession des biens qu'ils occupaient avant la guerre, mais le rapatriement s'est heurté aux dispositions complexes, au demeurant inappliquées, des lois régissant les droits de propriété, et aux difficiles conditions E/CN.4/2000/39 page 8 économiques, politiques et de sécurité auxquelles se verraient confrontés des gens qui feraient dorénavant partie de minorités ethniques dans leurs communautés d'avant-guerre. 10. Le Rapporteur spécial a entendu différentes autorités invoquer toutes sortes d'arguments et d'excuses quand il a demandé pourquoi les gens ne retournaient pas chez eux. Outre les motifs déjà mentionnés, l'argument souvent avancé était que les gens ne souhaitaient pas vraiment rentrer. Une étude du HCR et de la Commission chargée d'examiner les réclamations concernant des biens fonciers de réfugiés et de personnes déplacées, rendue publique en novembre 1999, apporte d'intéressantes précisions sur les intentions et les souhaits réels des réfugiés et personnes déplacées bosniaques. 11. Plus de 3 000 entretiens ont eu lieu en Bosnie-Herzégovine ainsi qu'en Croatie et en République fédérale de Yougoslavie. Les personnes interrogées ont été priées d'indiquer de quelle manière elles préféreraient exercer leurs droits patrimoniaux et quels facteurs (juridiques, socioéconomiques ou politiques) influençaient leurs préférences. L'enquête a confirmé qu'une forte proportion de réfugiés et de personnes déplacées - 61 % de tous les enquêtés - souhaitent encore retrouver les biens qu'ils occupaient avant la guerre. En Bosnie-Herzégovine, 76 % des enquêtés résidant actuellement dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine et 34 % de ceux qui ont leur résidence actuelle en Republika Srspka préféreraient retrouver leurs biens d'avant-guerre; 76 % de tous les résidants bosniaques, 73 % des croates et 36 % de l'ensemble des serbes ont indiqué une préférence pour le retour sur leurs terres ou dans leurs logements d'avant-guerre. 12. L'un des principaux obstacles au retour mentionnés par les enquêtés a trait à la sécurité personnelle et à la sécurité de leurs biens. Parmi les enquêtés qui ont déclaré préférer vendre, échanger ou louer leurs biens, la plupart ont dit qu'ils retourneraient si les autorités locales garantissaient leur sécurité. 13. D'un autre côté, il y aussi un groupe nombreux de déplacés et de réfugiés qui ne souhaitent pas rentrer, mais préféreraient au contraire s'intégrer dans les communautés où ils se sont réinstallés, depuis huit ans dans certains cas. Ces personnes devront être suffisamment informées de leurs droits pour que leurs intérêts puissent également bénéficier d'une protection adéquate. 14. Les violences dirigées contre des rapatriés et/ou contre leurs biens ont persisté pendant la période à l'examen et continuent de faire obstacle aux retours dans beaucoup de régions du pays. Cependant, on a noté quelques améliorations par rapport à la situation des années précédentes. Dans l'ensemble, le nombre d'incidents a diminué et, en particulier, la sécurité n'est plus un obstacle majeur dans la plupart des zones urbaines. Mais dans certaines régions de la Republika Srspka et dans les municipalités de l'ouest du pays dirigées par des croates bosniaques, les rapatriés et/ou leurs biens ont continué d'être la cible de violentes attaques. Dans la plupart des cas, la police locale n'a pas pris de mesures préventives et les auteurs des délits ne sont presque jamais arrêtés ou poursuivis. 15. Quelques incidents liés à la sécurité ont été signalés en octobre et novembre 1999, et les tensions allaient en s'aggravant dans certaines localités où des rapatriés étaient rentrés. Par exemple, Kopaci et Srpsko Gorazde (RS), une cinquantaine de personnes déplacées ont campé avec leurs tracteurs sur la ligne de démarcation interentités, les autorités locales leur ayant refusé l'accès à leurs terres et à leurs maisons. Le maire de Srspko Gorazde est l'un des E/CN.4/2000/39 page 9 fonctionnaires locaux qui a été révoqué le 29 novembre par le Haut Représentant et le chef de mission de l'OSCE pour avoir pratiqué "une politique constante et systématique d'obstruction aux retours à Kopaci-Srpsko Gorazde et n'avoir pas adopté une attitude responsable face à la crise des rapatriements dans la région." À Gacko (RS), le 1er décembre, quatre personnes ont été blessées quand une mine a explosé sous leur véhicule alors qu'elles se rendaient sur un site prévu pour l'accueil de rapatriés appartenant à des groupes minoritaires. D'après la Force de police internationale, il semble que cet incident constituait une tentative délibérée pour décourager les retours. 16. Le 27 octobre, le Haut Représentant a imposé d'importants amendements aux lois régissant le droit de propriété dans les deux entités afin d'harmoniser leurs législations respectives et a communiqué aux autorités des instructions détaillées concernant l'application de la législation sur les biens et le logement. Il y a maintenant, en gros, une situation d'égalité législative entre les deux entités. Dans le même temps, plusieurs dispositions nouvelles sont entrées en vigueur; l'une d'entre elles définit la notion d'"occupants multiples" et impose aux autorités l'obligation de prendre des mesures immédiates pour expulser les occupants ne pouvant justifier d'aucun titre légitime sur les immeubles où ils résident. Des peines d'amende ont été introduites aussi bien à l'encontre de ceux qui ne se conforment pas aux ordonnances d'expulsion qu'à l'encontre des organes administratifs qui n'appliquent pas la législation, notamment les ordonnances d'expulsion. Néanmoins, la nouvelle législation a déjà rencontré certaine résistance, les autorités se montrant réticentes, par exemple, pour procéder à des expulsions en hiver. D. Droits économiques, sociaux et culturels 17. La discrimination fondée sur l'appartenance ethnique, l'opinion politique et le sexe reste endémique en Bosnie-Herzégovine. Elle a été récemment dénoncée par la Chambre des droits de l'homme comme l'"un des plus graves problèmes faisant obstacle au retour des réfugiés et déplacés." Les membres de minorités ethniques ou de groupes d'opposition politique licenciés pendant la guerre continuent de ne pas être réintégrés dans leurs fonctions. De même, sur le marché du travail, l'exclusion des femmes en faveur des soldats démobilisés a été une pratique courante, et les enseignants appartenant à des groupes ethniques minoritaires ont fait l'objet de discriminations largement répandues. S'il est difficile de s'attaquer à la discrimination dans le domaine de l'emploi, c'est surtout en raison des carences de l'état de droit et de l'absence de recours juridiques. La discrimination est perpétuée par le pouvoir toujours considérable des partis politiques nationalistes qui ont la haute main sur la plupart des secteurs de la vie économique en Bosnie-Herzégovine. 18. Sur un plan positif, la Fédération a adopté le 5 octobre 1999 une nouvelle loi sur le travail qui comporte une disposition antidiscriminatoire (art. 5) stipulant que "les demandeurs d'emploi et les travailleurs ne feront l'objet d'aucune discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, la situation financière, la naissance ou toute autre condition, l'appartenance ou la non-appartenance à un syndicat ou un handicap physique ou mental". Cependant, le texte soumet à des délais rigoureux (deux semaines à partir du moment où l'on a pris connaissance ou conscience de la violation) la présentation d'une plainte aux autorités administratives et judiciaires pour violation, ce qui laisse aux salariés peu de temps pour réagir. E/CN.4/2000/39 page 10 19. Des discriminations à l'encontre des femmes dans le domaine de l'emploi, par exemple le non-paiement des allocations pour congé de maternité, ont été signalées dans les deux entités. Dans la Fédération, les femmes ont droit à un congé de maternité d'une durée d'un an, qui doit être payé par les cantons, mais la législation cantonale nécessaire n'est pas en place (sauf dans le canton de Sarajevo). En Republika Srspka, où les femmes ont également droit à un congé de maternité d'un an, certains faits montrent que des femmes sont souvent licenciées après la survenance d'une grossesse ou la naissance d'un enfant. On peut dire que le non-paiement des allocations pour congé de maternité enfreint les normes internationales relatives aux droits fondamentaux, notamment l'article 10 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui prévoit qu'un congé payé ou un congé accompagné de prestations de sécurité sociale adéquates devrait être accordé aux mères avant et après la naissance d'un enfant. La pratique actuelle est également contraire à la Constitution fédérale et à celle des deux entités. E. Traite des êtres humains 20. La traite des êtres humains aux fins de prostitution forcée est devenue un grave sujet de préoccupation en ce qui concerne la situation des droits fondamentaux en Bosnie-Herzégovine. Le fait que récemment encore la police locale se soit surtout intéressée aux délits soi-disant commis par plutôt que contre des femmes, est particulièrement inquiétant. La façon dont s'effectuent les expulsions hors du territoire des cantons ou de l'autre côté de la ligne de démarcation est de nature à exposer les femmes à de nouveaux risques de violences. Se faisant l'écho de ces préoccupations, le commissaire du GIP a publié en août 1999 une directive intérimaire donnant des instructions sur la conduite des opérations de police dirigées contre des locaux dont on soupçonne qu'ils sont des lieux de prostitution organisée. 21. Par la suite, le 29 octobre, le Haut Représentant a publié une décision sur la traite des êtres humains et les expulsions, qui reconduit en fait la directive intérimaire du GIP en date du 30 août. La décision qui stipule que les arrêtés d'expulsion visant des étrangers doivent être pris après consultation du GIP, vise à assurer que les personnes menacées d'expulsion, plus particulièrement les victimes de la traite des êtres humains, bénéficient d'un traitement approprié. Cette décision est en partie une réaction à la carence de la Chambre des représentants qui n'a pas adopté de loi sur l'immigration et l'asile permettant au pays de régler le problème des expulsions d'une manière compatible avec le droit international. 22. Bien qu'il n'ait pas été adopté de dispositions législatives, de dispositions pénales notamment, pour s'attaquer au problème de la traite des êtres humains, certains progrès ont été enregistrés en ce qui concerne le rôle de l'État. Les autorités, au niveau de l'État, ont indiqué qu'elles étaient prêtes à régler certains aspects de la protection des victimes, notamment en leur fournissant un logement. Des organisations non gouvernementales locales se sont également déclarées disposées à fournir des services pour la protection des victimes. F. Liberté d'expression 23. Le 22 octobre, Zeljko Kopanja, rédacteur en chef du journal Nezavisne Novine, dont la rédaction se trouve à Banja Luka, a été gravement blessé et amputé des deux jambes à la suite de l'explosion d'une bombe dans un parking. M. Kopanja faisait l'objet de menaces depuis le mois d'août 1999 au moins, c'est-à-dire depuis la publication par les Nezavisne Novine, premier journal E/CN.4/2000/39 page 11 de la Republika Srpska, d'informations sur les atrocités commises par les forces serbes pendant la guerre. Le 3 novembre, le journaliste Mirko Srdic, correspondant de TV Bosnie-Herzégovine et de l'agence de presse BETA, a été agressé et menacé, apparemment par le maire actuel de Doboj. L'agression a eu lieu à la suite de deux reportages diffusés par TV Bosnie-Herzégovine, qui présentaient le parti politique SDS Doboj et le maire sous un jour défavorable. 24. La tentative d'assassinat sur la personne de M. Kopanja et l'agression contre M. Srdic marquent la poursuite d'une tendance inquiétante à recourir à la violence et aux menaces pour saper le développement de médias libres et indépendants en Bosnie-Herzégovine, plus spécialement en Republika Srpska. G. Personnes disparues 25. Le Rapporteur spécial s'est félicité de la publication, en novembre 1999, du rapport du Secrétaire général sur la chute de Srebrenica (A/54/549). En ce qui concerne les personnes disparues, les demandes de recherche émanant de proches parents concernent au total, d'après le CICR, 20 286 personnes en Bosnie-Herzégovine. À elles seules, les demandes de recherche présentées par des membres des familles à la suite de la chute de Srebrenica concernent au total 7 423 personnes. On présume que la plupart de ces personnes sont décédées. Plus de 4 300 cadavres ont été exhumés et identifiés dans le pays depuis avril 1996. 26. Depuis qu'il a démarré en octobre 1997, le processus conjoint d'exhumation, entrepris sous la direction du Bureau du Haut Représentant, a connu de moins en moins de difficultés dans tous les secteurs, quelles que soient les autorités responsables de la conduite des opérations. Les exhumations ont été effectuées par les parties elles-mêmes. Il faut souligner que, même au printemps de 1999, pendant l'opération militaire de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) contre la République fédérale de Yougoslavie, les exhumations se sont poursuivies, y compris en Republika Srpska. D'après le Bureau du Haut Représentant, la coopération entre les trois parties s'est améliorée, et une Commission mixte chargée du problème des personnes disparues a été mise en place dans le cadre de la Fédération. C'est ainsi qu'à la fin novembre, les trois parties avaient procédé à des travaux sur plus de 500 sites depuis le début de l'année. Les exhumations venaient d'être interrompues pour l'hiver au moment où a été rédigé le présent rapport, de sorte qu'il n'avait pas encore été établi de statistiques, mais 2 000 corps au moins avaient été exhumés. D'après le Coordonnateur du Bureau du Haut Représentant, la coopération entre les trois parties et les organisations internationales a été excellente. Les exhumations ont eu lieu sous la surveillance du Bureau du Haut Représentant, de Médecins pour les droits de l'homme et du CICR (ces deux dernières organisations apportant leur savoir-faire pour l'identification des disparus et l'élucidation de leur sort). Le Rapporteur spécial est particulièrement préoccupé par la situation précaire des nombreuses familles qui comptent parmi leurs proches des personnes disparues. Beaucoup de ces familles sont elles-mêmes déplacées et ont des femmes à leur tête, bien souvent sans un seul homme survivant parmi les membres du ménage. H. Conclusions et recommandations 27. Le Rapporteur spécial se voit une fois de plus dans l'obligation de conclure que peu de choses ont fondamentalement changé dans la situation des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine. Les fonctionnaires de l'administration et les dirigeants politiques ont E/CN.4/2000/39 page 12 perpétué les résultats des déplacements de population des années passées en faisant obstacle aux retours par des mesures d'obstruction et en sapant la légalité, plus particulièrement en ce qui concerne les droits de propriété. Des pratiques discriminatoires dans tous les domaines, y compris dans les domaines de l'emploi et de l'enseignement, continuent de proliférer. 28. Le Rapporteur spécial se félicite de la nouvelle attitude de fermeté adoptée par le Haut Représentant en imposant des mesures législatives, en révoquant de leurs fonctions les principaux responsables de manœuvres d'obstruction et en adressant un message fort, aussi bien aux dirigeants du pays qu'à tous les citoyens. S'il est encore trop tôt pour dire si cette attitude donnera des résultats, il est indispensable de maintenir la pression maintenant que la dynamique a été enclenchée. Beaucoup d'initiatives prometteuses de représentants de la communauté internationale ont échoué dans le passé faute d'un suivi systématique et prolongé. 29. Le Rapporteur spécial souligne que le passage de la Bosnie-Herzégovine à un État démocratique fondé sur le respect de la légalité sera un processus de longue haleine. Le pays aura besoin d'une aide internationale pendant longtemps encore. 30. L'importance de la réforme de la police et du système judiciaire pour améliorer le respect des droits fondamentaux ne peut être surestimée. Cependant, cette réforme ne pourra pas se faire sans la volonté et la détermination politiques, qui font jusqu'ici défaut, des autorités locales. 31. Le Rapporteur spécial note que quatre ans après l'Accord de Dayton, le nombre des retours de personnes appartenant à des groupes minoritaires est encore extrêmement faible. Cependant, de nombreux réfugiés et personnes déplacées continuent d'exprimer leur désir de rentrer dans leurs foyers d'avant-guerre. Il doit y avoir plusieurs moyens de les aider à le faire. L'approche régionale doit être fortement recommandée, car beaucoup de réfugiés vivent actuellement dans la région. L'opposition politique aux retours doit être surmontée, ce qui peut nécessiter de nouvelles révocations de responsables. Le respect de la légalité, notamment en ce qui concerne les droits patrimoniaux, est d'une importance critique pour permettre des retours durables. 32. Le Rapporteur spécial recommande instamment d'accorder la plus haute priorité à la lutte contre les pratiques discriminatoires, y compris dans le domaine des droits économiques et sociaux. Les aspects de la discrimination qui visent plus spécialement les femmes devraient être au centre de l'attention, notamment en ce qui concerne la restructuration des autorités de police et de l'appareil judiciaire, et les activités de formation à leur intention. II. RÉPUBLIQUE DE CROATIE A. Introduction 33. Le présent rapport passe en revue l'évolution de la situation des droits de l'homme en Croatie depuis la mi-mars jusqu'au début décembre de 1999. Il met l'accent sur les problèmes du retour des réfugiés et sur les procès pour crimes de guerre, en se fondant sur les informations triées et analysées par le personnel du HCDH à Zagreb. Étant donné les changements intervenus dans la situation politique en Croatie, où le nouveau Président intérimaire annonce des élections parlementaires pour janvier 2000, le Rapporteur spécial a l'intention d'adresser à la Commission E/CN.4/2000/39 page 13 des droits de l'homme une note de mise à jour sur la situation à l'occasion de sa session de mars-avril 2000. 34. Le Rapporteur spécial tient à remercier encore une fois les autorités de la République de Croatie de leur coopération sans réserve avec le Bureau du HCDH à Zagreb et de l'aide qu'elles ont continué de lui apporter dans l'exécution de son mandat. B. Retours 35. Le Programme relatif au retour et à l'installation des personnes déplacées et des réfugiés, approuvé par le Parlement le 26 juin 1998 (ci-après dénommé "Programme du retour") a servi de cadre pour les retours de réfugiés et déplacés rentrés chez eux en République de Croatie de l'étranger ou de l'intérieur du pays au cours de l'année passée. D'après le Gouvernement, 18 271 personnes déplacées de souche croate étaient rentrées dans la région du Danube à la fin de novembre 1999. Cependant, 8 773 personnes seulement - chiffre étonnamment faible pour une population totale de réfugiés de souche serbe estimée à 300 000 personnes - sont retournées en Croatie depuis la RFY, la Bosnie-Herzégovine et d'autres pays. Le Rapporteur spécial exprime une fois encore ses préoccupations quant à la lenteur des retours de réfugiés serbes en Croatie. 36. Le processus de retour n'est pas simple. Les raisons du petit nombre de retours sont notamment la persistance des tensions interethniques au lendemain de la guerre, l'état précaire de l'économie et de l'infrastructure dans les zones de rapatriement, la lenteur des progrès de la reconstruction et le peu d'empressement des pouvoirs publics à trouver d'autres logements pour y réinstaller des gens qui utilisent actuellement les biens de Serbes de souche. Les obstacles au retour, dont le Gouvernement peut être tenu pour directement responsable, doivent être recherchés dans les domaines suivants : législation discriminatoire et déficiente; indifférence manifeste tant du pouvoir central que des autorités locales; recours judiciaires peu accessibles et peu efficaces et difficultés rencontrées pour faire appliquer les décisions rendues à la suite de ces recours. 37. Une grave lacune de la protection législative des droits patrimoniaux tient au fait que la législation ne reconnaît pas et n'indemnise pas la perte involontaire des droits de locataire-occupant des citoyens qui ont dû fuir leurs logements sociaux à la suite du conflit. Le Rapporteur spécial a la ferme conviction que cette perte n'est pas le résultat d'un abandon volontaire, comme le Gouvernement l'affirme, mais la conséquence du conflit. Dans le même temps, les décisions relatives aux droits d'occupation adoptées par la soi-disant République Srpska Krajina (RSK), aujourd'hui disparue, n'ont pas été prises en considération, et sont de nul effet en ce qui concerne les droits des Serbes au logement et à une procédure régulière. Beaucoup de Serbes de souche vivant en dehors des régions de Croatie autrefois sous contrôle serbe ont perdu leurs droits d'occuper leurs logements sociaux, souvent sous l'effet de la contrainte et en dépit des nombreuses actions intentées devant les tribunaux au cours des années. En ce qui concerne ces affaires, le Rapporteur spécial n'a eu connaissance que de quelques cas où des confiscations illégales ont donné lieu à réparation. 38. Au moment de la rédaction du présent rapport, le Parlement croate avait été dissous en prévision des nouvelles élections qui doivent avoir lieu au début de 2000. Malgré les promesses et les propositions, le Gouvernement n'a pas encore honoré l'obligation à laquelle il est tenu E/CN.4/2000/39 page 14 d'abroger ou d'amender les dispositions législatives discriminatoires, en particuliers les trois lois qui accordent des droits supplémentaires aux Croates : la loi sur le statut des personnes expulsées et des réfugiés, la loi sur la reconstruction, et la loi sur les questions prioritaires pour l'État. 39. Les bénéficiaires potentiels du Programme du retour souffrent d'incertitudes quant au statut juridique du Programme, notamment en ce qui concerne l'accès aux moyens judiciaires. Par exemple, la plupart des intéressés se voient interdire de réclamer en justice la restitution de leurs biens et doivent au contraire demander aux commissions du logement de le faire en leur nom en qualité de mandataires. Cependant, malgré les efforts entrepris récemment pour uniformiser les pratiques des tribunaux, il est arrivé que des Croates de souche de retour dans la région du Danube court-circuitent les commissions du logement et parviennent à intenter une action judiciaire, se prévalant ainsi d'un moyen auquel les Serbes de souche n'ont pas accès, par exemple dans la région de la Krajina. Rares sont les cas où des tribunaux ont protégé les droits de propriété de Serbes dont les maisons sont occupées par des Croates de souche. 40. Pour beaucoup de Serbes, obtenir la citoyenneté reste une opération difficile. Outre que le processus ralentit et décourage les retours, il a eu aussi pour effet de réduire le nombre des Serbes réfugiés en Bosnie-Herzégovine et en République fédérale de Yougoslavie qui pourront voter lors des élections de janvier 2000. Ceux qui ont fait appel de décisions négatives sur la citoyenneté ont attendu pendant des années, et la plupart attendent encore, que les tribunaux administratifs se prononcent sur leur cas. Cependant, les citoyens qui possèdent les papiers nécessaires ont pu obtenir rapidement une putni list, c'est-à-dire un document de voyage, qui leur permet d'entrer en Croatie où ils peuvent ensuite se procurer d'autres documents. Le Gouvernement et le HCR effectuent régulièrement des inspections "ponctuelles" dans les zones de rapatriement, et le Rapporteur spécial espère que ces visites vont se poursuivre. 41. Certaines autorités municipales appliquent consciencieusement le Programme du retour. Cependant, le travail de nombreuses commissions du logement (les organes locaux créés pour s'occuper de la restitution des biens confisqués pendant le conflit) se heurte à des retards administratifs et à des manœuvres d'obstruction délibérées. La Commission gouvernementale du retour, qui est l'autorité centrale responsable du Programme du retour, n'a généralement pas répondu aux nombreuses demandes de logements de remplacement présentées par les commissions du logement. Dans quelques communautés, cependant, l'Office de médiation pour les transactions immobilières (APN) a facilité le retour de Serbes de souche en leur procurant un logement de remplacement. Le Rapporteur spécial souhaite que ces exemples positifs se multiplient et stimulent un enthousiasme fortement nécessaire et des engagements financiers comparables à ceux dont bénéficient les réfugiés de souche croate récemment arrivés du Kosovo. Il faut le souligner, le contraste est frappant entre le traitement accordé aux réfugiés croates du Kosovo et aux citoyens croates de souche serbe qui ont actuellement trouvé refuge en République fédérale de Yougoslavie et en Bosnie-Herzégovine. C. Crimes de guerre 42. Les lenteurs injustifiées de la procédure dans les procès pour crimes de guerre devant les tribunaux nationaux et des doutes quant à leur caractère équitable, ainsi que le manque de transparence des nouvelles inculpations ont renforcé la conviction de la population serbe d'être prise pour cible par le Gouvernement en raison de son origine ethnique. Cette impression a E/CN.4/2000/39 page 15 fortement contribué à grossir le nombre des départs dans la région du Danube. Comme le Rapporteur spécial l'a noté à maintes reprises, l'adoption de la loi d'amnistie de 1996 a marqué une étape positive sur la voie de la réconciliation, mais des ambiguïtés et des incertitudes persistent dans son application. En tout cas, de nombreuses affaires de crimes de guerre restent en suspens. 43. L'affaire dite du "Groupe de Sodolovci" - dont le Rapporteur a rendu compte en détail aussi bien à la Commission des droits de l'homme qu'à l'Assemblée générale - continue de retenir l'attention de l'opinion publique et des représentants de la communauté internationale en Croatie. Comme indiqué dans le dernier rapport du Rapporteur spécial à l'Assemblée générale, le tribunal de district d'Osijek a mis fin le 27 mai au nouveau procès de cinq personnes originaires du village de Sodolovci accusées de crimes de guerre contre la population civile. Le tribunal a confirmé les condamnations déjà prononcées (à l'issue d'une procédure par contumace), sauf dans le cas d'un accusé dont la peine avait été réduite précédemment. Les quatre autres accusés ont tous vu leur peine – d'une durée de 11 à 15 ans – confirmée. Le HCDH s'est tenu étroitement informé de l'affaire et a constamment suivi le déroulement du procès. 44. Dans son rapport à l'Assemblée générale, le Rapporteur spécial notait avec préoccupation que le procès n'avait pas respecté les normes internationales, en particulier en ce qui concerne la charge de la preuve et les critères d'établissement de la preuve. À aucun moment, dans le déroulement du procès, le ministère public n'a présenté des éléments de preuve suffisamment crédibles à l'appui de l'accusation de crimes de guerre. Il n'a pas été non plus établi, au-delà de tout doute raisonnable, que les accusés avaient effectivement commis le crime qui leur était imputé. Des doutes ont également été formulés quant aux effets de déclarations faites au sujet de l'affaire par des personnalités officielles qui, d'après certains observateurs, étaient destinées à influencer la décision du tribunal. Comme les médias croates l'ont signalé, le Ministre de la justice s'est rendu au tribunal un jour avant le prononcé du verdict et, après avoir rencontré tous les juges, a fait une déclaration publique allant dans le sens de la culpabilité des accusés. Le Rapporteur spécial note que la conclusion de l'affaire, qui a également été suivie de près par la population serbe de Croatie – plus particulièrement dans la région du Danube – y a été perçue comme un message clair adressé à la population serbe quant à ses chances de bénéficier de la protection de la légalité. 45. Le Rapporteur spécial a appris que deux semaines avant l'audience d'appel de la Cour suprême, le préfet du district d'Osijek-Baranja avait déclaré dans une interview que le verdict rendu dans l'affaire du groupe de Sodolovci s'inspirait de motifs politiques, dont il avait attribué la responsabilité au Président du tribunal de district, qui avait ensuite présenté sa démission au Conseil national de la magistrature. Le pourvoi formé devant la Cour suprême a été examiné le 24 novembre et, à la suite d'un bref débat, la Cour a ordonné un nouveau procès devant le tribunal de première instance en raison de graves erreurs de procédure qui avaient été commises au cours du procès. Les cinq membres du groupe ont été libérés. 46. Le procès d'un groupe d'anciens policiers de réserve croates, dit groupe de Pakracka Poljana, s'est terminé le 31 mai au tribunal de district de Zagreb. Les inculpés étaient accusés du harcèlement de plusieurs Serbes de souche et du meurtre de l'un des membres de leur unité en 1991. En 1996, l'un des accusés a avoué dans une interview donnée à l'hebdomadaire Teral Tribune que lui-même et d'autres réservistes avaient tué 72 Serbes. Le tribunal a prononcé un non-lieu en ce qui concerne les accusations portées contre quatre des accusés, considérant que les E/CN.4/2000/39 page 16 preuves étaient insuffisantes et que les témoignages étaient contradictoires. Deux autres accusés ont été condamnés respectivement à un et deux ans de prison. Le Rapporteur spécial s'est dit préoccupé de la façon dont le procès s'était déroulé, d'autant que des membres du HCDH qui suivaient le procès avaient signalé que plusieurs témoins, soumis de toute évidence à des mesures d'intimidation, avaient affirmé à la barre avoir tout oublié des éléments clefs de l'affaire. 47. Le degré de coopération des autorités croates avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie reste un sujet de préoccupation majeure pour le Rapporteur spécial. L'ancien procureur et l'ancien président du Tribunal pénal ont accusé les autorités croates d'inaction sur diverses questions clefs, notamment les demandes d'assistance présentées par le Tribunal qui souhaitait être aidé pour la conduite de ses enquêtes sur les crimes de guerre commis par l'armée croate en 1995 lors des opérations "Flash" et "Storm" et des événements qui ont suivi. Quant à la façon dont la Croatie s'acquitte de l'engagement qu'elle a pris d'extrader les individus inculpés par le Tribunal pénal, le Rapporteur spécial se félicite du transfert à La Haye de Vinko Martinovic ("Stela") et, en ce qui concerne l'affaire Mladen Naletilic ("Tuta"), il se réjouit de la décision de la Cour constitutionnelle en date du 21 octobre approuvant l'extradition de l'accusé et sa remise au Tribunal pénal international et il espère que le transfert de M. Naletilic s'effectuera dès que son état de santé le permettra. 48. Le Rapporteur spécial estime que les garanties d'une procédure régulière ont été respectées dans le procès intenté à Dinko Sakic, commandant dans un camp de concentration pendant la seconde guerre mondiale, qui répondait de l'accusation de crimes contre l'humanité devant le tribunal de district de Zagreb. Le 4 octobre, M. Sakic a été condamné à la peine maximale de 20 ans d'emprisonnement. 49. L'attention du Rapporteur spécial a été appelée sur le nouveau procès intenté à Mirko Graorac, Serbe de souche, devant le tribunal de district de Split. Le procès, initialement prévu pour le 27 septembre, a été reporté au 17 janvier 2000. Lors du premier procès, en avril 1996, le tribunal avait déclaré M. Graorac coupable de crimes de guerre contre des prisonniers de guerre et la population civile de Manjaca, camp de prisonniers situé en Bosnie-Herzégovine. Aussi bien les observateurs internationaux et locaux que les avocats de la défense ont constaté des défaillances dans l'application des normes internationales garantissant le droit à un procès équitable. Par exemple, des déclarations, qui auraient été obtenues sous la torture ont été admises comme preuves au cours du procès. Les éléments de preuve présentés à l'appui de l'accusation étaient de plus assez minces. En février 1998, la Cour suprême a renvoyé l'affaire devant le tribunal de district de Split pour qu'elle soit rejugée, mais uniquement en ce qui concerne le fait que certains témoins avaient déclaré qu'ils étaient en service actif dans l'armée croate au moment où ils avaient été faits prisonniers en Bosnie-Herzégovine au début de 1992. La Cour suprême a déclaré que l'acceptation de ces faits par le tribunal pourrait être "lourde de conséquences pour la Croatie", probablement parce qu'elle incriminait la Croatie dans le conflit qui avait eu lieu dans le pays voisin. M. Graorac était détenu depuis le mois d'avril 1995. 50. Dix-neuf détenus de souche serbe de la prison de district d'Osijec ont entamé le 18 octobre une grève de la faim qui, au départ, avait été lancée par un groupe de prisonniers accusés ou reconnus coupables de crimes de guerre. Le principal grief de ces détenus, d'après des informations obtenues par le HCDH, concernait le fait que les normes les plus élémentaires d'équité n'avaient pas été respectées au cours de leur procès. L'un des détenus, Ivica Vuletic, E/CN.4/2000/39 page 17 a passé sept ans et demi en détention et attend encore que la Cour suprême se prononce sur son deuxième appel. Deux accusés du groupe dit groupe de Dalj, Vaso Gavrilovic et Dragoljub Savic, qui ont été arrêtés en janvier 1999 et que le Rapporteur spécial a rencontrés un mois plus tard, attendent encore leur première audience principale. Le Rapporteur spécial note qu'il y avait parmi les détenus ayant pris l'initiative de la grève de la faim des membres du groupe dit de Sodolovci qui ont été libérés depuis. 51. Le procès de Dejan Subotic, citoyen de la République fédérale de Yougoslavie arrêté le 1er septembre à l'aéroport de Dubrovnik, s'ouvrira le 8 décembre devant le tribunal de district de Dubrovnik. Dejan Subotic était initialement accusé de s'être livré à des actes de pillage dans le voisinage de Dubrovnik en 1991, alors qu'il était volontaire dans l'armée nationale yougoslave. Après avoir été libéré sous caution, il a fait immédiatement l'objet d'une nouvelle arrestation, sous l'inculpation de crimes de guerre commis contre des civils – conformément à l'article 158 du Code pénal croate – pour "s'être livré à des actes systématiques de pillage et d'intimidation contre des civils dans les territoires occupés, accompagnés de traitements inhumains avec tortures physiques et envoi en camp de concentration". Le Rapporteur spécial a appris que l'avocat de l'accusé avait fait état d'anomalies dans la procédure d'identification, anomalies qui pourraient constituer un élément crucial de ce procès. 52. Soupçonné d'avoir participé au meurtre d'un soldat croate le 23 janvier 1993 lors de l'opération menée par l'armée croate à Maslenica, un Serbe croate, qui servait à l'époque dans une unité paramilitaire serbe, a été arrêté le 3 novembre à Benkovac. Le suspect, Vladimir Marcic, aurait ouvert le feu sur un véhicule militaire croate, causant la mort d'un soldat, Miljenko Zoric. À la suite d'une intervention des observateurs de la police internationale, M. Marcic a été libéré, un juge d'instruction ayant expliqué qu'il ne pouvait être établi que M. Marcic était impliqué dans l'incident et que l'action qui lui était reprochée – avoir tiré sur un véhicule militaire à proximité de la ligne du front au cours d'une opération militaire – entrait dans le cadre de l'amnistie générale décidée pour les activités liées au conflit. L'affaire a été classée sans suite. Cependant, certains organes d'information locaux s'en sont emparés, en faisant le thème d'informations à sensation et publiant des articles haineux, des photos de la tombe du soldat croate et des interviews de ses parents et de ses voisins affirmant que le père du défunt voulait obtenir lui-même justice pour son fils. Actuellement, M. Marcic se cacherait et attendrait son passeport pour quitter la Croatie. Le Comité croate d'Helsinki pour les droits de l'homme a estimé que l'affaire Marcic aurait un effet dissuasif sur les retours des Serbes croates. D. Administration de la justice 53. Les décisions judiciaires qui déboucheraient sur l'éviction d'occupants croates de propriétés serbes sont rarement appliquées. Certains des Serbes qui détenaient auparavant un droit d'occupation sur des appartements de l'État à Split ont attendu des années et, au moins dans un cas, ont dû faire pas moins de sept tentatives pour récupérer leur logement. 54. Le travail des tribunaux croates reste freiné par un énorme retard. Le Rapporteur spécial estime qu'il n'y a guère eu de progrès depuis le dernier rapport de l'ex-Ministre de la justice, qui faisait état d'un million d'affaires non réglées. Le Gouvernement croate n'a pas encore trouvé de solution concrète à cet épineux problème qui, allié à des frais de justice qui placent les recours aux tribunaux hors de portée des rapatriés et de beaucoup d'autres citoyens croates, ébranle la E/CN.4/2000/39 page 18 confiance du public dans le système judiciaire. Le Rapporteur spécial insiste sur la persistance de la pénurie de personnel dans la magistrature, par exemple à Korenica; il note cependant des progrès, par exemple à Donji Lapac, où un juge a finalement été nommé. E. Liberté d'expression et d'information 55. Des représentants de six partis d'opposition – le Parti socio-libéral croate (HSLS), le Parti paysan croate (HSS), le Parti socio-démocrate (SDP), l'Assemblée démocratique d'Istrie (IDS), le Parti libéral (LS) et le Parti populaire croate (HNS) – affirment qu'à bien des égards l'Union démocratique croate (HDZ), qui est au pouvoir, continue à bénéficier d'un avantage abusif dans l'information à la radiotélévision d'État (HRTV). Ils citent une émission du 27 novembre 1999 qui rendait compte d'une conférence de presse organisée par le HDZ, faisant valoir que celle-ci a été présentée différemment, tant par son contenu que par sa longueur, d'une conférence analogue tenue le même jour par l'opposition. F. Personnes disparues et personnes détenues 56. Dans ce que le Rapporteur spécial considère comme une initiative encourageante, le Gouvernement a confirmé le 26 novembre la nomination de deux candidats serbes proposés par le Conseil commun des municipalités (JCM) pour siéger à la Sous-Commission des personnes portées disparues et des personnes détenues pour la région du Danube. À la suite de ce progrès tangible, qui intervient après plus d'une année de pressions internationales, le Rapporteur spécial espère que la Sous-Commission se réunira le plus tôt possible pour essayer de retrouver, sur le plan local, des personnes disparues au cours de la guerre de 1991-1995 et de ses séquelles. 57. Malgré les appels du Rapporteur spécial au renforcement de la coopération entre toutes les parties concernées par le règlement du cas des personnes qui ont disparu de 1991 à 1995, l'échange d'informations entre la Commission croate des personnes disparues et des personnes détenues et son homologue de la RFY est de nouveau dans l'impasse. La prochaine réunion de la commission bilatérale sera presque à coup sûr différée jusqu'à l'issue des élections générales de janvier 2000 en Croatie. G. Droits des travailleurs 58. Le Rapporteur spécial se félicite de la décision de la Cour constitutionnelle qui invalide l'arrêté de la municipalité de Zagreb interdisant les manifestations sur la grand-place de la ville. Il espère que le droit des travailleurs à la liberté d'association, de réunion et d'expression sera mieux protégé. 59. Le Rapporteur spécial note avec inquiétude qu'en Croatie de nombreux travailleurs continuent à être payés très tardivement, voire à ne pas percevoir leur salaire. Les syndicats estiment que le problème touche plus de 100 000 salariés. Certaines entreprises publiques ne paient pas leur personnel et ne versent pas leurs cotisations patronales aux caisses de retraite et d'assurance-maladie. Les salariés n'ont en fait aucun recours : ils n'ont pas le droit de se mettre en grève pour réclamer leur dû, et ne peuvent guère non plus s'adresser à la justice compte tenu de la lenteur de la procédure et de la propension des entreprises à se mettre en dépôt de bilan pour éviter d'avoir à verser des arriérés de salaires en cas de condamnations. E/CN.4/2000/39 page 19 H. Coopération technique 60. Le Rapporteur spécial se félicite à nouveau de la signature de l'Accord de coopération technique entre le Haut-Commissariat aux droits de l'homme et le Gouvernement de la République de Croatie en mai 1999. Cet accord prévoit une série d'activités de renforcement des capacités : diffusion de documentation et formation relatives aux normes en matière de droits de l'homme à l'intention des agents de l'armée, de la police et des prisons; formation et conseils aux fonctionnaires concernant l'obligation de présenter des rapports; formation et conseils aux organisations non gouvernementales; conseils sur l'élaboration de programmes d'études pour l'enseignement des droits de l'homme; conseils et assistance au bureau du Médiateur; création d'un centre de documentation sur les droits de l'homme. En outre, après accord avec le Gouvernement, le Haut-Commissariat a organisé au cours de l'été 1999 un séminaire sur les droits de l'homme à l'intention d'étudiants des quatre facultés de droit de Croatie (Osijek, Rijeka, Split et Zagreb). Le séminaire a été jugé extrêmement utile et il a fait l'objet de comptes-rendus dans les médias électroniques et dans la presse écrite. 61. Jusqu'à présent, le Haut-Commissariat a organisé des séminaires sur les normes internationales en matière de droits de l'homme et de droit humanitaire à l'intention de l'armée, et sur l'obligation de présenter des rapports à l'intention de fonctionnaires civils. Le Rapporteur spécial invite instamment le Gouvernement à s'acquitter de toutes les obligations qui lui incombent encore en ce qui concerne l'établissement de rapports. I. Conclusions et recommandations 62. Le Gouvernement doit enfin mettre au point un système de dédommagement pour régler le problème posé par la loi adoptée pendant la guerre, qui abolissait les droits d'occupation et par l'application douteuse qui a été faite de ce texte. En outre, il doit remplir la promesse qu'il a faite d'abroger ou de modifier les lois discriminatoires régissant la propriété. 63. Le Rapporteur spécial invite instamment le Gouvernement à s'employer plus activement à faciliter le retour des réfugiés serbes et à entreprendre des projets de reconstruction et de relance économique en faveur de toutes les communautés ethniques. Il invite aussi le Gouvernement à préciser, renforcer et accélérer les recours juridiques accessibles aux citoyens à qui est refusé le bénéfice intégral des programmes de rapatriement ou de reconstruction. 64. Le Rapporteur spécial recommande au Gouvernement d'étoffer encore les ressources affectées à l'appareil judiciaire afin d'atténuer le volume des affaires en souffrance. Il se félicite des programmes de perfectionnement destinés aux nouveaux juges croates. En outre, il recommande que tous les magistrats, du siège ou du parquet, reçoivent une formation concernant les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ratifiés par la République de Croatie. Le Gouvernement doit se préoccuper au premier chef des lenteurs de la procédure et des carences dans l'exécution des jugements et le Rapporteur spécial recommande la prise de mesures visant à garantir l'exécution des décisions de justice. Le Rapporteur spécial rappelle au Gouvernement qu'un pouvoir judiciaire indépendant et efficace est le garant de la primauté du droit. E/CN.4/2000/39 page 20 65. Le Rapporteur spécial comprend la difficulté qu'éprouve le Gouvernement croate à relancer l'activité des entreprises, par exemple dans le tourisme, mais il affirme que les employés doivent être assurés de toucher leur salaire ou avoir accès à des recours juridiques efficaces. 66. En ce qui concerne les personnes disparues, le Rapporteur spécial souligne à nouveau que la Croatie doit encore s'atteler en priorité à la tâche humanitaire consistant à faire la lumière sur le sort des 1 668 personnes toujours portées officiellement disparues. Il a reçu des informations non confirmées faisant état de l'existence de charniers dans les secteurs sud et nord du territoire qui était affecté à l'Organisation des Nations Unies, et qui contiendraient les corps de nombreux Serbes. La recherche de la vérité exige que l'on s'attache d'urgence à localiser, surveiller et ouvrir ces charniers afin d'identifier les dépouilles mortelles qu'ils contiennent. 67. Le Rapporteur spécial tient à souligner de nouveau que tous les crimes de guerre doivent faire l'objet d'une enquête et d'un jugement conformes aux normes internationales et que ceux qui commettent ces crimes doivent être traduits en justice. Toutefois, en raison de la longueur excessive de la procédure, des doutes quant à l'équité des procès, ainsi que du manque de transparence en ce qui concerne les nouvelles mises en accusation, la population d'origine serbe a de plus en plus l'impression d'être victime de discrimination ethnique. Cela ne contribue ni à l'objectif de la réconciliation ni à celui qui consiste à établir la responsabilité des crimes de guerre. C'est sans doute aussi l'une des principales raisons pour lesquelles les réfugiés serbes hésitent à revenir en Croatie. 68. Enfin, le Rapporteur spécial voudrait présenter de nouveau une recommandation qu'il a déjà faite : à l'avenir, des observateurs internationaux devraient suivre les enquêtes et les procès pour crimes de guerre, ce qui garantirait la transparence et donnerait à la population de souche serbe l'assurance que les procès pour crimes de guerre n'ont rien à voir avec la "justice du vainqueur". III. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE A. Introduction 69. Depuis la remise de son dernier rapport à la Commission des droits de l'homme, au début de 1999, le Rapporteur spécial a effectué quatre missions, avec des représentants du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, dans la République fédérale de Yougoslavie : a) du 26 au 30 avril au Monténégro; b) du 8 au 12 juin en Voïvodine et dans le centre de la Serbie; c) du 7 au 12 juillet dans l'ensemble du Kosovo; d) du 1er au 9 octobre à Belgrade, Nis, Kraljevo, Novi Pazar, Rozaje, Kosovska Mitrovica, Gnjilane et Pristina. En avril 1999, il a effectué une mission spéciale dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, en s'appuyant sur les travaux du Haut-Commissariat dans le cadre de l'opération d'urgence au Kosovo, pour y étudier la situation des réfugiés du Kosovo. Il a été rendu compte des résultats des cinq missions à l'Assemblée générale en novembre 1999. Le présent rapport, rédigé au début de décembre, fait le point de la situation des droits de l'homme dans les derniers mois de l'année. 70. La tragédie du Kosovo a tenu pendant toute l'année 1999 une place prépondérante dans les informations de presse et les rapports sur les droits de l'homme concernant la région. Phénomène révélateur de la gravité des multiples violations des droits de l'homme dans cette seule région, l'OSCE a publié en décembre 1999 deux rapports, de 900 pages au total, sur la situation E/CN.4/2000/39 page 21 au Kosovo depuis octobre 1998. Dans les limites plus étroites établies par l'Assemblée générale et la Commission des droits de l'homme, la plupart des pages attribuées au Rapporteur spécial sur les événements intervenus dans l'ensemble de la RFY sont nécessairement consacrées au Kosovo. À la date de rédaction du présent rapport, quelques semaines seulement se sont écoulées depuis la présentation à l'Assemblée générale du rapport du Rapporteur spécial et de son additif, qui traite presque entièrement de la crise du Kosovo. Le Rapporteur spécial profite donc du présent rapport pour mettre l'accent sur des questions qui ne sont pas immédiatement ou exclusivement liées à cette crise, mais qui sont néanmoins déterminantes pour le mandat du Rapporteur et pour la situation des droits de l'homme dans la région. Étant donné l'évolution enregistrée dans toute la RFY, particulièrement dans les relations entre ses Républiques, ses provinces et ses régions et à l'intérieur de celles-ci, il se peut que des éléments de ce rapport soient rendus caducs par des événements survenus avant sa publication. Parallèlement à la présentation du rapport à la session du printemps 2000 de la Commission des droits de l'homme, le Rapporteur spécial s'attachera à nouveau à mettre la Commission au courant des derniers événements intervenus en RFY, en s'appuyant sur les nouvelles informations en provenance du Kosovo et en y ajoutant les résultats de toute nouvelle mission. B. Crise humanitaire et économique 71. Les initiatives internationales visant à prévenir la crise humanitaire imminente causée par la destruction de l'infrastructure civile de la RFY, notamment des sources d'énergie destinée au chauffage, ont été pour la plupart limitées et politisées. Après des jours d'attente à la frontière, les premiers camions-citernes du programme "L'énergie au service de la démocratie" de l'Union européenne ont pris la route le 7 décembre 1999 pour les villes de Nis et Pirot tenues par l'opposition. Le combustible continue à manquer dans tout le pays, perturbant l'approvisionnement en produits alimentaires et en eau et empêchant le fonctionnement d'équipements de première importance dans les entreprises et autres établissements. Les organismes humanitaires craignaient un accroissement de la morbidité et de la mortalité des personnes les plus vulnérables, surtout les réfugiés, personnes déplacées, handicapés, enfants, malades chroniques, personnes âgées des villes et cas sociaux. 72. La population de la FRY est confrontée à des difficultés croissantes, dues en partie à la récession économique amorcée depuis longtemps et à l'absence de réforme; ces difficultés ont été aggravées par les sanctions imposées au pays pour son rôle dans les conflits régionaux et par les dommages considérables causés à l'infrastructure et à l'industrie par les frappes aériennes de l'OTAN. Le chômage avoisine les 40 %, selon les chiffres officiels, mais la proportion est en fait beaucoup plus élevée si l'on tient compte du chômage latent. À la fin de 1999, l'inflation a marqué une hausse spectaculaire : le dinar s'est déprécié de plus de moitié entre le 1er octobre et la fin de novembre, alors que le taux de change officiel était resté stable pendant de nombreux mois. Les travailleurs d'une section de l'usine sinistrée Zastava de Kragujevac ont manifesté tous les jours pendant plusieurs semaines : alors qu'en 1989, leur salaire moyen était de 1 400 deutsche marks par mois, il n'est plus que de 60 DM aujourd'hui. Le versement des pensions de retraite et des salaires est en retard depuis des mois; la République du Monténégro a mieux réussi que la République de Serbie à faire des paiements de pension plus ponctuels et plus élevés. Un système a été établi pour verser les pensions et autres prestations sociales à la population du Kosovo. Partisan de mesures de stabilisation, le Gouvernement monténégrin a E/CN.4/2000/39 page 22 adopté le deutsche mark comme monnaie légale et il a indexé les prix en dinars sur la valeur réelle du mark. Cette initiative a stabilisé les salaires, mais le coût des biens de consommation subventionnés a sensiblement monté par rapport au taux officiel du dinar. À Belgrade, le Gouvernement de Serbie a réagi en interrompant presque toutes les transactions financières avec le Monténégro et en imposant un embargo "douanier" intermittent sur les marchandises à destination du Monténégro. Au Kosovo, la MINUK a proclamé le mark comme monnaie légale à la fin de l'été. 73. Les sanctions extérieures imposées à la RFY et les difficultés financières internes constituent un sérieux handicap pour les opérations internationales d'aide humanitaire et de reconstruction. Le régime des sanctions a été allégé à l'égard de la République du Monténégro; néanmoins, des personnalités officielles y ont informé le Haut-Commissariat aux droits de l'homme que la plupart des promesses d'accroissement des échanges et des investissements faites par la communauté internationale ne se sont pas encore concrétisées. Les sanctions ont été levées à l'encontre du Kosovo, mais dans cette région d'autres facteurs compliquent et compromettent la promotion des droits sociaux et économiques. L'accomplissement des promesses de reconstruction à financement international, notamment pour l'infrastructure, marque le pas par rapport aux initiatives privées financées par les Albanais du Kosovo eux-mêmes, alors que des intérêts commerciaux internationaux se disputent des avantages sur le marché du commerce et de la reconstruction du Kosovo et des parts de ce marché. Tandis que les véhicules militaires de la Force internationale de sécurité (KFOR) parcourent péniblement ce qui reste des routes au Kosovo, le "pilier" européen de la MINUK doit recueillir des fonds pour des projets communautaires de réparation routière. En ce qui concerne le franchissement des ponts, les ingénieurs de la KFOR ont mis en place des solutions de fortune et, dans certains cas, réparé entièrement les ouvrages endommagés. Une grande partie du Kosovo reste dépourvue de services d'utilité publique, de moyens de communication et d'infrastructures sociales ou physiques, et beaucoup d'Albanais, surtout dans les campagnes, puisent dans les ressources familiales pour réparer leurs logements ou leurs petites entreprises. C. Liberté de la presse et accès à l'information 74. Les incidents de violation de la liberté d'expression ont augmenté dans toute la RFY, surtout en Serbie. À Belgrade et à Pristina, certains médias ont lancé une campagne contre les journalistes indépendants, qualifiés de "traîtres" et "ennemis". L'accès du public à l'information est gravement limité de plusieurs façons, notamment et de plus en plus par des moyens techniques (brouillage des émissions). 75. Le Rapporteur spécial signale en particulier le cas de Nebojse Ristic, directeur des programmes de la station de télévision locale de Sokobanja "TV Soko", condamné au printemps de cette année à un an de prison pour le délit pénal de "propagation de nouvelles mensongères", au motif qu'il avait apposé dans son bureau deux affiches, l'une symbolisant le mouvement estudiantin "Résistance", l'autre proclamant "liberté de la presse". Dans les attendus de son jugement, le tribunal a fait valoir notamment qu'il avait "sapé la confiance du public dans les institutions de l'État", disposition du Code pénal qui avait été invalidée par la Cour constitutionnelle de Serbie en 1991. L'accusation de "propagation de nouvelles mensongères" était inspirée à l'origine de l'article 58 du Code pénal soviétique, qui prévoyait une peine de prison pour "délit de propagande hostile". Supprimée du droit fédéral yougoslave en 1990, cette E/CN.4/2000/39 page 23 disposition avait été maintenue dans le droit de la République de Serbie mais n'était plus appliquée jusqu'à ces derniers mois; elle est aujourd'hui de plus en plus invoquée dans les procédures pénales. 76. La Loi serbe sur l'information reste en vigueur et l'on continue à intenter des poursuites contre les journalistes, rédacteurs en chef et autres représentants des organes de presse indépendants et des ONG. Le Rapporteur spécial apprécie les activités de surveillance des médias menées par le réseau indépendant ANEM et ses partenaires en Serbie. Les violations de la liberté d'expression et les obstacles à la liberté de la presse ont été si nombreux dans toute la Serbie ces deux derniers mois qu'il n'y aurait pas la place de les énumérer dans le présent rapport. L'imprimerie qui publie le quotidien indépendant Glas javnosti, les hebdomadaires Vreme et NIN, et à l'occasion les bulletins et tracts de l'Alliance pour le changement a été la cible d'agressions. Frappée d'amendes s'élevant à des millions de dinars, l'entreprise ABC Grafika a été l'objet de près de 70 accusations différentes portées par les pouvoirs publics; son propriétaire/directeur a été arrêté et interrogé à maintes reprises, et sa voiture a été incendiée par des inconnus près de sa maison d'édition. Glas javnosti s'est vu infliger une amende de 4,3 millions de dinars depuis la promulgation de la Loi sur l'information. Le Vice-Premier Ministre de Serbie Vojislav Seselj a intenté en octobre un procès au journal Danas pour avoir rendu compte d'une déclaration du Vice-Premier Ministre monténégrin Novak Kilibarda. La confirmation écrite de M. Kilibarda attestant que ce compte rendu était fidèle de ses propos n'a en rien modifié le verdict du tribunal : Danas s'est vu infliger une amende de 280 000 dinars. D'autres journaux indépendants ont été mis à l'amende à l'automne : Kikindske novine, de la Voïvodine, pour avoir rendu compte de l'action intentée contre le journal; Niske novine, pour avoir publié le salaire des dirigeants de la fabrique de tabac locale, tous membres des partis de la coalition au pouvoir en Serbie; le Nedeljni telegraf de Belgrade, pour avoir parlé d'un scandale touchant la plus grande entreprise de transport par eau de Serbie. En novembre, un journaliste d'une revue du Sandzak s'est vu notifier une décision de la Cour suprême de Serbie datée du 12 décembre 1998; cette décision confirme une décision de 1992 ordonnant une peine d'emprisonnement de trois mois pour diffamation du Président serbe Slobodan Milosevic. 77. Les programmes et émissions d'informations sont l'objet de brouillage, sélectif ou non, en Serbie. Au cours de sa mission d'octobre 1999, le Rapporteur spécial a pu observer, aux heures de grande écoute, des obstructions aux émissions d'informations de la station "Studio B" de Belgrade, chaîne de télévision locale appartenant à un parti d'opposition. Les émissions de Radio B-92 et Radio Index font aussi l'objet de brouillage sélectif. Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme a constaté que le programme de télévision par satellite de la République du Monténégro est brouillé à Belgrade quelques minutes après le début de son émission d'informations. Après la saisie arbitraire en septembre, à la frontière, d'un numéro d'une revue indépendante de Banja Luka, Reporter, les autorités ont retiré à la mi-octobre l'autorisation de distribution de la revue en Serbie. 78. Outre les services d'informations de la KFOR, la MINUK a lancé récemment ses propres programmes de radio produits au Kosovo en langues albanaise et serbe. L'accès à la télévision locale demeure un problème sans solution. L'organe indépendant "Radio Kontakt" du Kosovo, qui avait été interdit par les autorités serbes en juillet 1998, a rouvert en novembre. La station a déjà dû faire appel aux autorités internationales pour protéger son personnel multi-ethnique (albanais, E/CN.4/2000/39 page 24 serbe et turc) contre le harcèlement et les menaces des extrémistes albanais. Certains quotidiens et hebdomadaires en langue albanaise paraissent ou reparaissent au Kosovo, mais le nombre de publications dans la région, l'étendue de l'information et des opinions disponibles et la diffusion de l'information en dehors des grandes villes, y compris les possibilités de communication personnelle, ont tous régressé depuis une année. Les liaisons téléphoniques interurbaines n'ont pas encore été entièrement rétablies, ce qui contribue à fragmenter encore la communication et l'accès à l'information. 79. Au Monténégro, les autorités de la République, invoquant l'absence de permis local monténégrin, ont interdit à la fin d'octobre les émissions de "Radio Fri Montenegro" et Radio "D", stations qui critiquent souvent la politique du Président Milo Djukanovic. La fermeture de ces stations a coïncidé avec le moment où les passions étaient à leur paroxysme dans l'opinion à propos des négociations entre Belgrade et Podgorica relatives à une proposition monténégrine visant à modifier la nature des relations fédérales. L'une d'entre elles a rouvert : il s'agit de "Radio Fri Montenegro", qui avait négligé de présenter des documents techniques; la station a repris ses émissions sur une fréquence différente au bout d'environ un mois et s'est vu accorder un délai de 30 jours par les pouvoirs publics pour compléter la documentation exigée pour rendre son fonctionnement légal au regard du droit monténégrin. Radio "D", qui fait figure de partisan de la politique du Président de la Fédération Slobodan Milosevic, a reçu des autorités de Belgrade tous les permis exigés par le droit fédéral mais n'a pas satisfait aux formalités requises au Monténégro. En réponse à une demande du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, le Secrétariat d'État monténégrin à l'information a indiqué que Radio "D" pourrait recommencer à émettre dès qu'elle aurait présenté aux autorités de la République une demande officielle d'attribution de fréquence. D. Détention et personnes disparues 80. Dans toute la RFY des procédures pénales sont intentées sur un certain nombre de chefs d'accusation présentant des conséquences sérieuses pour les droits de l'homme. Le Haut-Commissariat suit de près ces procès, en envoyant des observateurs dans les tribunaux et en faisant des visites dans les lieux de détention grâce aux facilités accordées par les Ministères de la justice de Serbie et du Monténégro. Les procès sont si nombreux qu'il s'est constitué un réseau d'organisations non gouvernementales, de juristes, d'observateurs diplomatiques, d'individus concernés et de médias qui se sont unis pour suivre les procès et soutenir l'état de droit. Le Rapporteur spécial émet de sérieuses réserves quant à la conduite de beaucoup de procès auxquels ont assisté ses interlocuteurs en Serbie. En revanche, il se félicite de la mobilisation croissante des défenseurs des droits civiques pour surveiller l'administration judiciaire, de la coopération des autorités civiles avec les observateurs et du précédent que constituent les visites de représentants d'organisations non gouvernementales auprès des détenus. 81. Les poursuites pénales contre les Albanais du Kosovo transférés des centres de détention du Kosovo à la mi- juin se poursuivent dans toute la Serbie. Le CICR continue ses tournées dans les centres pour enregistrer les détenus confiés à la garde du Ministère de la justice. En revanche, à la date de la rédaction du présent rapport, ni "l'administration parallèle" du Kosovo, ni les anciens chefs de l'Armée de libération du Kosovo n'ont facilité au CICR, au Haut-Commissariat, aux membres des familles ou aux avocats l'accès aux personnes, essentiellement d'origine serbe, privées de liberté sur le territoire du Kosovo par les Albanais armés, et ils n'ont aucune indication E/CN.4/2000/39 page 25 quant au lieu où les intéressés pourraient se trouver. Jusqu'à présent, l'armée yougoslave n'a pas permis au CICR d'enregistrer les personnes détenues au Kosovo par les autorités militaires. À moins qu'un individu arrêté à l'origine par l'armée ait été remis aux autorités civiles (il y a eu beaucoup de cas de ce genre), les fonctionnaires fédéraux et les fonctionnaires de la République serbe n'ont donné aucune indication de l'existence de ces personnes, à l'exception de celles dont il est de notoriété publique qu'elles ont été arrêtées par l'armée yougoslave avant mars 1999. Par conséquent, le nombre total des détenus demeure inconnu et les estimations sont fondées sur les demandes de recherche des familles et sur les dépositions de témoins. D'après les organisations non gouvernementales, on demeure sans nouvelle de plusieurs milliers de personnes portées disparues, parmi lesquelles des Bosniaques musulmans de langue serbe, dont on se désintéresse de plus en plus au Kosovo. Parallèlement, la MINUK a entamé une opération visant à identifier les quelque 2 000 corps exhumés au cours d'enquêtes conduites par le TPI pour l'ex-Yougoslavie et d'autres corps découverts au Kosovo. Pour compléter les travaux de la Commission locale sur les prisonniers et détenus établie en septembre 1999 sous la présidence du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, la MINUK est en train d'établir une commission de récupération et d'identification des victimes. E. État de droit : droit à un procès équitable 82. Parmi les Albanais du Kosovo détenus par les pouvoirs civils, beaucoup ont été emprisonnés pendant des mois sans être déférés devant un juge d'instruction. La plupart sont inculpés en vertu de la loi fédérale d'actes de terrorisme ou bien de complicité avec le terrorisme; le Haut-Commissariat a noté pour la première fois depuis le début de 1998 le retour de chefs d'accusation mineurs, à l'échelon de la République, de possession d'armes illégale. Il est à remarquer qu'au tribunal de Prokuplje, les juristes observateurs ont constaté des irrégularités graves et répétées de procédure, l'absence de preuve ou de témoin, et le refus des juges de tenir compte des objections ou demandes de la défense. Les juges ne tiennent pas compte non plus des allégations de mauvais traitements ou de déclarations extorquées sous la contrainte faites par les défendeurs. La plupart des personnes inculpées jusqu'à présent ont été condamnées, mais un procès récent au tribunal de Leskovac s'est soldé par la remise en liberté de 14 personnes. 83. Le 2 décembre, le Ministère de la justice de Serbie a fourni au Haut-Commissariat une liste d'Albanais de souche libérés de centres de détention de Serbie depuis le 25 juin 1998. Sur les 312 personnes intéressées, 73 étaient signalées comme ayant été libérées en novembre sur la base d'un jugement mettant fin à la détention provisoire; 166 ont été remises au CICR en juin et 54 en octobre; 19 étaient des mineurs libérés à des stades divers de la procédure judiciaire, à titre de geste de bonne volonté. Parmi les personnes inscrites sur la liste, un détenu de 47 ans est mort quelques jours après sa libération, après avoir laissé une déposition décrivant les mauvais traitements, les tortures et la privation de nourriture qu'il avait subis pendant son séjour à la prison militaire d'Andrijevica et pendant ses transferts à Leskovac et Zajecar. La victime précisait que les conditions de détention à la prison de Zajecar s'étaient améliorées en septembre. Son récit corrobore les déclarations faites au Haut-Commissariat par des prisonniers libérés. 84. La KFOR a arrêté 14 personnes (11 Serbes et 3 Tziganes) d'Orahovac accusées par la justice locale de "crimes de guerre". D'autres Serbes, dont un jeune garçon de 16 ans, soupçonnés de crimes contre l'humanité, ont été arrêtés sur ordre du tribunal de Kosovska Mitrovica. Tous attendent d'être jugés par la justice du Kosovo établie depuis peu par la MINUK. Si les individus E/CN.4/2000/39 page 26 soupçonnés de crimes contre l'humanité doivent incontestablement être traduits en justice, le Rapporteur spécial se demande avec inquiétude si un procès équitable est possible dans le climat éminemment passionnel et explosif qui règne actuellement. 85 Le Rapporteur spécial croit que pour rétablir la confiance dans le Sandjak, il faudrait notamment que les autorités serbes et fédérales enquêtent sur les atrocités commises dans la région au cours des années de guerre 1992-1994. Depuis trois ans, la République du Monténégro conduit une procédure pénale contre M. Nebojse Ranisavljevic pour les crimes contre l'humanité qu'il aurait commis en liaison avec les enlèvements et les meurtres perpétrés à Strpci. Un an s'est écoulé depuis la dernière audience, qui avait été différée pour permettre au tribunal de Bijelo Polje d'établir s'il existait un mécanisme de coopération avec les autorités de la Republika Srpska pour procéder à une reconstitution sur les lieux. Au cours de l'audience, M. Ranisavljevic avait déclaré que la déposition initiale qu'il avait faite en garde à vue avait été extorquée sous la torture. M. Ranisavljevic est en détention provisoire au Monténégro depuis près de trois ans et aucune nouvelle audience n'est prévue. Par ailleurs, les enlèvements de civils en majorité musulmans perpétrés en 1992-1993 à Strpci, Mioce, Bukovica, Sjeverin et en d'autres lieux n'ont pas fait l'objet d'une enquête sérieuse par une instance internationale ou judiciaire et les familles des victimes n'ont reçu aucune réparation pour les souffrances endurées et les pertes subies. F. État de droit : liberté d'association 86. D'autres poursuites judiciaires en Serbie méritent qu'on s'y arrête, car des actions pénales ont été intentées contre des personnes qui avaient organisé des manifestations dans toute la Serbie ou y avaient participé. Après plusieurs procès en correctionnelle, pour lesquels il a déjà purgé une peine de prison, un technicien de la télévision de Leskovac, Ivan Novkovic, est actuellement jugé au pénal pour le délit "d'abus de poste officiel". Un message enregistré par M. Novkovic et inséré dans la retransmission télévisuelle d'un match de basketball au cours de l'été 1999 avait fait descendre dans les rues de Leskovac 20 000 personnes qui exprimaient spontanément un sentiment général de mécontentement, puis davantage encore, à plusieurs reprises, pour protester contre son inculpation. Bogoljub Arsenijevic Maki, artiste, écrivain et dirigeant du mouvement "Résistance civique" de Valjevo, a été condamné à trois années de prison pour avoir prétendument empêché des agents de police de faire leur travail au cours des manifestations de juin 1999 "contre l'autorité et contre l'opposition". M. Arsenijevic avait été tabassé par la police pendant qu'on le conduisait en garde à vue. À Smederevo, à la fin de novembre, des militants du mouvement étudiant "Résistance" ont été arrêtés puis maltraités en garde à vue après avoir construit un "pont" fabriqué avec des affiches du Président Slobodan Milosevic au cours d'une manifestation du mouvement l'Alliance pour le changement. Les étudiants ont été libérés en attendant d'être déférés devant la justice, de même que les manifestants de l'Alliance, qui avaient été arrêtés par la police lorsqu'ils étaient venus protester contre l'arrestation des étudiants. G. Réfugiés et personnes déplacées 87. Depuis l'explosion de la crise du Kosovo en février 1998, l'attention des milieux politiques internationaux s'est détournée du retour des réfugiés en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. D'ailleurs, la communauté internationale n'a pas apporté suffisamment d'aide humanitaire aux réfugiés et aux personnes déplacées dans la RFY. Les retours en Croatie, en particulier, ont été E/CN.4/2000/39 page 27 extrêmement laborieux. Les retours individuels se passent mieux que les retours organisés. La situation des personnes déplacées du Kosovo demeure précaire car l'aide n'est guère généreuse, l'attention politique accordée à leurs besoins est bien mince et il y a des signes de colère et d'insatisfaction très nets parmi cette population. Dans plusieurs villes, les personnes déplacées du Kosovo ont occupé des appartements de vacances ou des habitations non terminées. H. Citoyenneté et amnistie au Monténégro 88. Après un long débat, l'assemblée de la République du Monténégro a adopté une loi sur la citoyenneté qui donne la primauté à la citoyenneté de la République sur la citoyenneté fédérale. Du fait qu'elle exige 10 années de séjour ininterrompu au Monténégro, la loi a pour effet d'empêcher les réfugiés et les personnes déplacées d'obtenir la citoyenneté monténégrine; elle divise la population en deux catégories selon que l'on possède ou non cette citoyenneté bien que toute la population ait la citoyenneté de la RFY. Cette loi crée donc les conditions d'une discrimination contre ceux qui, bien que résidents permanents au Monténégro et citoyens yougoslaves, n'ont pas la citoyenneté de la République monténégrine; les domaines potentiels de discrimination sont la fiscalité, le droit au travail dans les entreprises publiques et les droits politiques, par exemple le droit de vote aux organes politiques locaux. 89. L'assemblée de la République du Monténégro a voté une loi d'amnistie qui intéresse les déserteurs militaires pendant la campagne de frappes aériennes de l'OTAN. Selon la Constitution, les lois d'amnistie relèvent de la compétence de l'assemblée fédérale. Toutefois, étant donné que le Gouvernement monténégrin estime que la composition actuelle de l'assemblée fédérale est elle-même anticonstitutionnelle, l'assemblée s'est attribué le pouvoir de décréter une amnistie. Ce faisant, le Monténégro devenait un lieu de refuge pour des milliers de personnes qui refusaient de servir dans l'armée. I. Observations finales 90. Gravement préoccupé, le Rapporteur spécial tient à avertir de la présence de menaces grandissantes dans la RFY. 91. Au Kosovo, au nettoyage ethnique à l'encontre des Serbes et des non-Albanais "indésirables" ont succédé les menaces, les manœuvres d'intimidation et les actes épisodiques de violence à l'égard des Albanais qui ne partagent pas l'opinion de "l'administration parallèle" aux mains de l'ALK. Ces dernières semaines, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme a relevé de nouveaux enlèvements de citoyens monténégrins dans des zones du Monténégro limitrophes du Kosovo; le corps d'une des personnes kidnappées a été retrouvé au Kosovo. 92. À l'issue de la mission du Rapporteur spécial en octobre, quatre membres de l'entourage et de la famille de Vuk Draskovic dirigeant de l'opposition en Serbie, ont été tués sur une route déserte par un camion qui a pris la fuite, manquant de blesser M. Draskovic lui-même. 93. L'après-midi du 3 décembre 1999, après avoir rendu visite à des clients détenus à Sremska Mitrovica, l'avocat Teki Bokshi et deux collègues ont été arrêtés sur la route de Belgrade par trois agents en civil voyageant dans un véhicule officiel du Ministère de l'intérieur. E/CN.4/2000/39 page 28 Les agents ayant demandé à M. Bokshi ses papiers d'identité, celui-ci a expliqué qu'il les avait laissés à l'hôtel de Belgrade où il était descendu et leur a montré sa carte d'avocat. Les agents ont emmené M. Bokshi, disant qu'ils allaient l'accompagner à l'hôtel pour prendre ses papiers, et ils ont ordonné aux deux autres avocats d'attendre dans leur voiture, dont ils ont emporté les clefs. Le lendemain, M. Bokshi a téléphoné à un avocat depuis son lieu de captivité, mais sans pouvoir expliquer où il se trouvait ni le motif de sa détention. À la date de rédaction du présent rapport, M. Bokshi se trouve en détention arbitraire depuis six jours. 94. Le 7 décembre, le militant des droits de l'homme Dobroslav Nesic a été convoqué dans les locaux de la sûreté de l'État de Leskovac, où il a été retenu pendant deux heures et demie pour "information". Pendant l'entretien, des agents de la sûreté ont averti M. Nesic que s'il poursuivait ses activités, il serait tué. M. Nesic, qui a été emprisonné au cours de cette année en vertu de la loi sur l'information, est Président de l'Assemblée des citoyens de Serbie. La veille de son entretien avec les agents de la sûreté, tous les pneus de sa voiture avaient été crevés. 95. Dans tout le centre de la Serbie, sur la voie publique, dans les villes, même dans les quartiers résidentiels, la police a installé des postes de contrôle comme ceux qui ont caractérisé le Kosovo-Metohija depuis dix ans. Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme reçoit plusieurs fois par semaine des informations faisant état de harcèlement, de fouilles et même de confiscation de marchandises et d'argent aux barrages de police de Serbie. J. Recommandations 96. Le Rapporteur spécial renouvelle les recommandations formulées dans ses rapports précédents, et dernièrement dans son rapport et additif à l'Assemblée générale. Il y ajoute ce qui suit. 97. Le Gouvernement de la RFY, y compris les autorités des Républiques de Serbie et du Monténégro, doit permettre au Haut-Commissariat aux droits de l'homme et au CICR d'accéder à tous les lieux de détention, notamment à toutes les personnes détenues par les forces armées. De même, toutes les procédures judiciaires, y compris devant les tribunaux militaires, doivent être accessibles aux observateurs. Dans le territoire placé sous l'administration de la MINUK, l'accès doit aussi leur être accordé aux détenus et aux procès qui se déroulent dans la juridiction de la KFOR ou de la MINUK, ainsi qu'à toutes les personnes qui peuvent être détenues par les parties en cause ou par des entités diverses. 98. Toutes les personnes détenues à l'occasion de la crise du Kosovo doivent être libérées, à l'exception des individus soupçonnés de violations graves du droit humanitaire international. 99. Le Gouvernement de la RFY, y compris les autorités des Républiques de Serbie et du Monténégro, doit améliorer l'administration de la justice conformément aux normes internationales en matière de régularité des procédures et d'équité des procès. La même recommandation s'applique aux organes judiciaires nommés par la MINUK. 100. Le Gouvernement de la RFY, y compris les autorités des Républiques de Serbie et du Monténégro, doit mettre un terme à la torture et au mauvais traitement des personnes qui se E/CN.4/2000/39 page 29 trouvent en prison et dans d'autres lieux de détention et traduire les responsables en justice. Partout où des personnes sont détenues sur le territoire de la RFY, leurs droits doivent être respectés conformément aux normes internationales. 101. Le Gouvernement de la RFY, y compris les autorités des Républiques de Serbie et du Monténégro, doit étendre et non restreindre la compétence des organes de l'administration locale pour permettre la prise de décisions à l'échelon local sur les questions concernant la population locale, notamment les minorités nationales. 102. Le Gouvernement de la RFY, y compris les autorités des Républiques de Serbie et du Monténégro, doit faire en sorte, surtout dans les zones comprenant une assez nombreuse population minoritaire, que les minorités nationales soient équitablement représentées dans tous les organes de gouvernement, y compris à des postes de responsabilité, notamment dans la police, la justice, les services médico-sociaux et l'enseignement. La même recommandation s'applique au territoire placé sous l'administration de la MINUK. 103. Le Gouvernement de la RFY, y compris les autorités des Républiques de Serbie et du Monténégro, doit accorder une attention particulière aux droits économiques et sociaux des éléments les plus vulnérables de la société que sont les personnes âgées, les personnes handicapées et les enfants. La même recommandation s'applique au territoire placé sous l'administration de la MINUK. 104. Le Gouvernement de la RFY doit accepter l'installation à Pristina et à Podgorica de bureaux du Haut-Commissariat aux droits de l'homme. Le Gouvernement de la République de Serbie doit abroger la Loi sur l'information et la Loi sur les universités. La MINUK doit adopter avec le TPI pour l'ex-Yougoslavie un protocole codifiant avec précision les poursuites à intenter sur le plan local pour crimes de guerre. 105. La MINUK et la KFOR doivent enquêter sur les rapports faisant état de traite des femmes et des enfants du Kosovo. 106. La communauté internationale doit cesser de soumettre la population de la RFY à l'ostracisme. Dans le vide des politiques multilatérales, les liaisons bilatérales au sein de la société civile doivent se multiplier. Les organisations non gouvernementales de pays étrangers doivent identifier leurs homologues dans la RFY et nouer des liens avec elles. Les municipalités doivent établir des programmes de jumelage entre les villes. Les universités et les instituts universitaires étrangers doivent faciliter l'obtention de bourses, et de bourses de recherche pour enseignants, de postes de lecteurs pour les professeurs de Serbie réduits au chômage par la Loi sur les universités. -----