LORD OF WAR Yuri Orlov est le rêve américain personnifié: fils de
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LORD OF WAR Yuri Orlov est le rêve américain personnifié: fils de
LORD OF WAR Yuri Orlov est le rêve américain personnifié: fils de modestes restaurateurs Ukrainiens de little Odessa, il a un appartement avec vue sur Central Park, une femme magnifique, un enfant sorti d’une pub pour Kinder et il tutoie les dictateurs les plus sanguinaires de la planète. Le fait que sa richesse provienne de la vente massive d’armes ne semble pas spécialement l’empêcher de dormir ; c’est du moins ce que laisse présager la voix suave et arrogante de Nicolas Cage. Le dernier film d’Andrew Niccol (scénariste du Truman Show) commence comme Les Affranchis et finit comme Bowling for Columbine : on a vu pire patronage pour une œuvre qui sait admirablement concilier la force pamphlétaire de son propos et un style qui laisse de côté l’esthétique du documentaire pour offrir des instants de cinéma pur. Le générique, qui retrace en plan-séquence la fabrication d’une balle, est pour le moment la séquence la plus brillante que j’aie vue en 2006 ; je n’en dirai pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de ceux et celles qui iront voir ce film sur la seule foi de mes conseils avisés. Mais je m’égare. Lord of war, c’est aussi de l’humour noir au kilomètre qui désamorce (rires) des situations parfois très désagréables à regarder, et qui force le spectateur à mieux s’identifier à cette ordure de Yuri Orlov. C’est en cela que Niccol se rapproche des Affranchis, trouvant par la même la meilleure façon de tracer le destin d’un homme médiocre qui réussit par le crime sans jamais regarder en arrière. Orlov n’a rien de commun avec les psychopathes qu’il fournit : il n’est qu’un petit commerçant, avec ce qu’il faut de zèle pour échapper à Interpol et à ses propres balles. Comme dans Match Point, le héros détestable triomphe, mais vend son âme au diable, et est condamné à continuer ses funestes activités, alors que le monde s’écroule autour de lui. Le frère de Yuri, accro aux drogues comme son frère l’est à son travail, en est l’exemple le plus émouvant, Jared Leto lui prêtant son beau visage de martyr. J’ai été un peu moins sensible au personnage il est vrai volontairement effacé d’Ava, même si Bridget Moynahan, en plus d’être convaincante, est une très belle femme ; de même, l’agent d’Interpol (Ethan Hawke) est lui-même un brave type sans envergure, dont les idéaux de justice ne tiennent pas face à la logique de profit et d’intérêt qui gangrène son gouvernement. Pessimiste, Niccol en devient parfois manichéen : les Africains sont ainsi soit des dictateurs aux pistolets d’or, soit des enfants mutilés ou des prostituées séropositives, le tout filtré en jaune sale pour accentuer l’aspect inhumain de régions où rien ne pourra jamais pousser. On aurait pu faire sans ces clichés, même si la vue d’un camp de réfugiés libériens et de l’exécution d’enfants libanais au regard impassible fait frémir. Au diable la subtilité ; l’univers de Yuri Orlov est gouverné par la course aux dollars : même les fusils y font le bruit d’un tiroir-caisse. De même, une exposition d’armes peuplée de fantômes de l’URSS rappelle le Salon de l’Agriculture, avec des soldates court vêtues défilant aux accents de la chevauchée des Walkyries. Certes, Niccol ne rechigne pas devant les parallèles faciles et les images choquantes, mais le film gagne en force brute, et l’effet coup de poing de l’ensemble valorise même certains temps faibles. La scène quasi muette où Orlov visite des entrepôts désaffectés en Ukraine évoque ainsi à merveille l’absurdité d’une course à la fabrication d’armes qui n’ont jamais servi, grâce notamment à une photo crépusculaire et un sens du cadrage plus rare par la suite. La beauté plastique rend excusable l’emploi peu original des chœurs de l’Armée Rouge en fond sonore. A la musique, souvent mal utilisée (au contraire des Affranchis, modèle en matière de compilation), je préfèrerai la force du silence qui clôt le générique et le fracas des armes. En cela, Lord of war réussit mieux comme film que comme documentaire, même si l’immanquable légende finale rappelant quelques faits sordides sur le commerce des armes fait froid dans le dos... et rattrape la phrase philosophico-niaise qu’Orlov vient de prononcer, probablement la seule ligne de dialogue qui rate sa cible (rires). C’est de la balle, Lord of war ? Pas loin. Andrew Niccol frappe fort. Plus que la descente aux enfers morale du héros, parfois traitée avec un excès de pathos, je retiens la satire du capitalisme poussé à l’extrême, narrée par cet acteur de plus en plus talentueux qu’est Nicolas Cage. Fusillades crasseuses, cynisme omniprésent :inutile de se demander pourquoi les studios américains ont refusé de financer le film, refus qui serait plutôt un gage de qualité. La raison ? « manque de patriotisme ». Bonne année 2006.