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Note d’information n° 99
NOUVELLES SUR LE COTON – 24 février 2012
La Farm Bill en passe de dicter le résultat de Doha sur le coton ?
Introduction
Il faut plus que de la témérité pour tenter de suivre au jour le jour l’évolution des discussions
autour de la Farm Bill en préparation, tant la complexité des débats rivalise avec le flou
artistique autour d’un éventuel calendrier… Il n’est pas question ici de décrire précisément
les nombreuses propositions déjà sur la table ou en préparation, cette Note d’information
risquant d’être « périmée » à peine postée.
L’objectif de nos propos est de mettre en
perspective les grandes lignes du débat américain avec les aspects qui nous préoccupent
plus particulièrement à Genève, à savoir l’OMC et le coton.
Le nouveau mot à la mode : assurance
C’est en période de crise que se dévoilent les limites d’un système. Or paradoxalement en
regard de la crise économique globale et de l’incommensurable problème de déficit
budgétaire américain, le secteur agricole se porte bien, notamment en raison des prix hauts
des matières premières agricoles depuis 3 ans. Cette bonne santé économique a deux
conséquences : premièrement, les paiements directs, distribués indépendamment des
revenus engrangés par les cultures sont devenus très impopulaires chez les contribuables,
car ils apparaissent comme un revenu additionnel et sans distinction versé à une catégorie
qui engrange déjà des profits substantiels en raison des prix hauts agricoles ;
deuxièmement, les paiements liés aux prix (du type prêts à la commercialisation ou
paiements contra-cycliques) – peu sollicités ces dernières années - sont rentrés dans des
niveaux tout à fait acceptables en regard des règles de l’OMC. La pression budgétaire qui
sévit aux Etats-Unis pousse naturellement à une coupe radicale dans les paiements directs
et l’on peut dire aujourd’hui qu’une forme de consensus assez large s’est construite autour
de cette option. En revanche, les agriculteurs, les lobbies qui les soutiennent et les
législateurs des Etats ruraux présentent la suppression des paiements directs comme une
contribution suffisante de ce secteur à l’effort de réduction du déficit budgétaire national et ne
1
veulent pas entendre parler d’une réduction des autres types d’aide censés couvrir à la fois
les aléas (notamment climatiques) et les chutes de prix sur le marché mondial. Tout au plus
acceptent-ils de « rhabiller » les programmes existants du manteau de « l’assurance à la
récolte » (crop insurance). En effet, de nombreuses propositions présentent des systèmes
d’assurance chapeautant aussi les programmes existants de prêts à la commercialisation et
remplaçant
les
paiements
contra-cycliques. Le Federal Crop Insurance Program
subventionne une partie des primes et des dépenses administratives et d’opération des
compagnies privées. Il absorbe également les pertes quand les indemnités à verser
dépassent le montant des primes encaissées. En fonction des débats actuels, le programme
pourrait « absorber » les mesures existantes de soutiens au prix (qui n’ont pas forcément de
lien avec les risques naturels…). Au-delà d’une couverture classique des catastrophes, de
type filet de sécurité, il s’agirait d’assurer que l’Etat puisse aider les producteurs à se garantir
contre les shallow losses (pertes peu profondes) couvrant ainsi la quasi-totalité des risques
encourus, y compris une chute des prix. Les débats continuent mais le crop insurance
scheme est en train de devenir l’idée centrale de la réforme en cours.
Coton : la proposition du NCC en question
Motivé par une approche logiquement corporatiste et porté par l’air du temps, le National
Cotton Council of America (NCC) a
présenté à l’automne dernier une proposition de
couverture des cotonculteurs (STAX program1) qui semble être restée dans la gorge des
Brésiliens, entrainant une passe d’armes diplomatique mais ferme entre les autorités
brésiliennes et le NCC. Selon ce dernier, « le programme STAX est une extension des
produits d’assurance à la récolte fondés sur le revenu de la zone concernée qui permet une
couverture raisonnable des coûts pour des pertes potentielles ».
L’idée du programme
STAX est notamment de combiner la couverture des risques naturels avec celle des shallow
losses (pas forcément liés aux catastrophes naturelles). Début février 2012, le représentant
permanent du Brésil auprès de l’OMC, l’Ambassadeur Azevedo, a adressé une lettre aux
Présidents des Comités de l’Agriculture de la Chambre et Sénat américains – Frank Lucas et
Debbie Stabenow – pour faire part de la préoccupation de son pays quant à la tournure que
semble prendre la Farm Bill2, dans la mesure où l’assurance à la récolte est de plus en plus
souvent présentée comme l’élément central de la nouvelle loi agricole. Le Brésil considère
en effet que certains programmes proposés, et notamment celui relatif au coton auront pour
1
STAX : Stacked Income Protection Plan
“Nova lei agrìcola dos EUA pode ampliar subsidies, avisa Brazil », Assis Moreira, Valor, 8.02.2012,
http://www.valor.com.br/impresso/agronegocios/nova-lei-agricola-dos-eua-pode-ampliar-subsidios-avisa-brasil
2
2
effet non seulement d’augmenter les subventions ayant un effet de distorsion sur les
échanges mais aussi de violer clairement les règles de l’OMC. Cette lettre, qui fait
notamment suite à une visite de l’Ambassadeur Azevedo en octobre 2011 au Congrès
américain, affirme que les réformes ne prennent pas la voie d’un respect de la Décision de
l’Organe de Règlement des différends qui a tranché en 2009 en faveur du Brésil au terme
d’une bataille juridique de plusieurs années. La lettre cible particulièrement le programme
STAX du NCC qui aurait pour conséquence la distribution de « milliards de dollars de
subventions, donnant aux producteurs de coton une incitation encore plus grande à
maintenir les surfaces actuelles de coton planté ou même à les augmenter ». La réponse du
NCC ne s’est pas fait attendre3. Ce dernier maintient que sa proposition représente un « pas
en avant pour résoudre le conflit commercial entre les deux pays », reproche au Brésil de ne
pas fournir d’analyse économique pour étayer ses propos et affirme que la Décision de
l’ORD ne se prononce pas sur la question des Crop insurances programs. De plus, le NCC
réfute l’idée selon laquelle ce système pourra permettre de verrouiller artificiellement les
revenus actuellement hauts des cotonculteurs. Enfin, toujours selon le NCC, ce programme
n’assure aucune garantie systématique pour le revenu du producteur et n’isole pas
l’agriculteur des signaux du marché. Si la Farm Bill adopte un tel système d’assurance fondé
sur les prix à terme annuels fixés au moment des semis, ceci constituerait un changement
non négligeable en faveur d’une meilleure adéquation des prix au producteur avec le prix
mondial. A l’évidence, chacun défend ses intérêts et l’on attend maintenant une nouvelle
réaction du Brésil dans l’éventualité où le programme STAX ou un programme équivalent
serait adopté. Tout en saluant le côté innovant de cette proposition du NCC présentée
comme moins
dispendieuse,
nous
ne
pouvons
manquer
de soulever
quelques
interrogations : boite orange ou boite bleue, soutien spécifique par produit ou non,
détermination du niveau de soutien sur la base des prix à terme annuels uniquement ou
recours à un prix plancher de référence pour déterminer le versement des subventions? Des
clarifications de la part des concepteurs de la proposition seront nécessaires pour lever ces
ambiguïtés, en particulier en ce qui concerne la fixation d’un prix minimum, ce qui permettra
de confirmer – ou non – des avancées sur la question du soutien au coton…
Conclusion
Certaines voix américaines s’élèvent pour dire qu’une Farm Bill ne sera probablement pas
votée cette année. En réponse, de nombreuses associations de producteurs ont
3
“Brazil’s Claims Against Farm Proposal Unfounded, NCC, 7.02.2012,
,http://www.cotton.org/issues/2012/brazilrebutt.cfm
3
solennellement demandé aux législateurs de tout faire pour éviter une situation de
reconduite de la Farm Bill actuelle pour une année supplémentaire, arguant que les
agriculteurs ont besoin de stabilité et de prédictibilité4. Techniquement, la Farm Bill actuelle
prendra fin en septembre 2012. Pour beaucoup, l’objectif est de finaliser la Farm Bill avant
l’été afin d’éviter des coupes supplémentaires au cours d’une lame duck session5 qui aura le
déficit au centre de ses préoccupations. Au final, que la Farm Bill soit votée avant l’été ou
mise au frais jusqu’après l’élection présidentielle, il n’en reste pas moins que c’est
aujourd’hui que les discussions sérieuses ont lieu et que les grandes lignes de la future loi se
dessinent. C’est donc aujourd’hui que les acteurs externes – mais néanmoins concernés ou
impactés – doivent eux aussi faire connaitre leur point de vue et encourager les Américains à
prendre des dispositions pour les 5 prochaines années qui non seulement ne heurtent pas
les économies fragiles de pays en développement mais sont également conformes au
mandat de Hong Kong. Ce dernier aspect est d’autant plus important que le texte de la Farm
Bill (qui précédera plus que probablement l’Accord sur le Cycle de Doha) figera les positions
américaines en matière d’agriculture pour les cinq prochaines années. Ce qui revient à dire
que s’il l’on veut prendre au sérieux le Cycle de Doha, il faut que des discussions aient lieu à
Genève sinon pour trouver une solution globale au problème du coton mais au moins pour
déterminer des lignes directrices devant conduire à une solution. Ceci exige que tous les
pays concernés, y compris la Chine, se mettent d’accord dans les mois à venir pour définir
les futures politiques de soutien au coton. Il est donc urgent que la quadrilatérale, élargie aux
membres jouant un rôle majeur sur le marché mondial du coton, se réunisse et se fixe
comme objectif de définir les grands principes d’une solution.
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Les projets menés par IDEAS Centre ont pour objectif principal de faciliter l’intégration des pays en
développement dans l’économie mondiale. Le Centre est fort de ses 10 années d’expérience sur cette
problématique. Sa mission consiste à aider les responsables politiques à élaborer des stratégies
permettant de tirer profit de la mondialisation en faveur du développement et de lutter efficacement
contre la pauvreté dans chaque pays et au sein d’un système commercial international mieux intégré
et plus juste.
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T +41 22 807 17 40, F +41 22 807 17 41
4
“Farm groups discuss Next Farm Bill”, NCC, 2.02.2012,
http://www.cotton.org/news/releases/2012/farmmeet.cfm
5
Session pendant laquelle les sortants continuent de siéger car l'entrée en fonction des successeurs ne fait pas
immédiatement suite à l’élection.
4