Merce Cunningham, John Cage et le hasard

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Merce Cunningham, John Cage et le hasard
Le génial Merce Cunningham fait sa première création en France (50
ans)
Le 6 août 1966, il y a très exactement 50 ans, un nouveau ballet de Merce
Cunningham était créé à Saint-Paul-de-Vence : Place. Le célèbre danseur et
chorégraphe américain, formé par Martha Graham, a en effet choisi la Fondation
Maeght et ses fameuses nuits artistiques pour sa première production en France.
Acclamé mondialement, Merce Cunningham est un pionnier de la danse
contemporaine, avec l’introduction du hasard et de mouvements aléatoires.
Les fameuses « Nuits de la Fondation Maeght » eurent lieu chaque été entre 1965 et 1970,
puis entre 1984 et 1989. C’est dans ce cadre que se produisent, pour la première fois en
France, de nombreux artistes du monde entier, notamment Merce Cunningham, Albert Ayler
ou Terry Riley. De grandes figures de la musique, du théâtre, de la danse et de la poésie
participent à ces soirées prisées : Cecil Taylor, La Monte Young, Sun Râ…
Merce Cunningham, John Cage et le hasard
Merce Cunningham a alors fondé sa
compagnie depuis 13 ans, la Merce Cunningham Dance Company. Celle-ci s’appuie sur un
concept fondateur pour l’art contemporain, initié par le danseur deux ans plus tôt, en 1951,
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Le génial Merce Cunningham fait sa première création en France (50
ans)
pour la pièce 16 danses pour soliste et compagnie de trois : le hasard. Refusant l’idée de
narration, voire de scénario, il use d’une pièce de monnaie pour savoir quelle morceau de sa
chorégraphie il doit effectuer. Chaque soir, le spectacle varie, du moins en ses parties. Il
n’est plus d’abord question d’émotions, mais de bâtir un sens général, quasi conceptuel, de
son œuvre.
Merce Cunningham rencontre le compositeur John Cage, de 7 ans son aîné, dès 1938-1939,
alors que le danseur s’apprête à intégrer la compagnie de Martha Graham. Mais ce n’est
qu’à partir de 1945 que les deux hommes se rapprochent intimement et
professionnellement. La méthode de composition de John Cage repose notamment sur
l’accueil de n’importe quel son imprévu… le hasard.
Le musicien est ainsi le premier a évoquer la possibilité d’une introduction de cette donnée
dans l’œuvre chorégraphique de Merce Cunningham ; son influence est telle qu’il devient le
conseiller musical attitré du danseur, jusqu’à sa mort en 1992. Nous connaissons la suite :
l’aléatoire envahit les arts.
John Cage n’est cependant pas le seul compositeur-musicien à travailler pour la Merce
Cunningham Dance Company. Entre 1966 et 1974, le chorégraphe fait parfois appel à deux
autres amis : David Tudor et – cela a son importance dans le cadre de notre article – Gordon
Mumma.
La Fondation Maeght et Merce Cunningham
1964. Fondation
Inaugurée le 28 juillet 1964 par André Malraux, la Fondation est née de l’amitié d’Aimé
Maeght, marchand d’art et galeriste parisien, avec les grands noms de l’art moderne dont
Joan Miró, Alexander Calder, Fernand Léger, Georges Braque, Alberto Giacometti, Marc
Chagall ou encore Eduardo Chillida. Entièrement conçue et financée par le couple Aimé et
Marguerite Maeght, elle se situe à proximité du village de Saint-Paul-de-Vence, à 25 km de
Nice.
Elle possède aujourd’hui une des plus importantes collections en Europe de peintures,
sculptures et œuvres graphiques du XXe siècle (Bonnard, Braque, Calder, Chagall, Chillida,
Giacometti, Léger, Miró, Ubac) mais également d’artistes contemporains (Adami, Calzolari,
Caro, Del Re, Dietman, Kelly, Mitchell, Monory, Oh Sufan, Takis, Tàpies…).
https://www.youtube.com/watch?v=taxOG6igkPY
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Le génial Merce Cunningham fait sa première création en France (50
ans)
1966. Commande
La Fondation Maeght demande à Merce Cunningham une pièce pour l’une de ses nuits
estivales. Le chorégraphe fait alors appel à Gordon Mumma qui compose un duo pour
bandonéon et ordinateur. C’est à David Tudor qu’il revient d’interpréter au bandonéon la
composition que son ami Gordon a choisi d’appeler Mesa. Le son de l’instrument est capté
par six micros, traité par un dispositif électronique – manipulé par Mumma – et diffusé
grâce à quatre haut-parleurs. Mumma envisageait déjà une configuration où le
fonctionnement du dispositif électronique serait automatique.
« Si ces modules logiques fonctionnent en mode pleinement automatique, la
performance la plus extrême de MESA devient possible : un duo entre le joueur de
bandonéon et la circuiterie électronique. Mais les modules fonctionnent plus souvent en
mode semi-automatique, un deuxième performeur prenant des décisions et outrepassant
certaines parties de la logique interne. Généralement, ce deuxième performeur, c’est
moi, le compositeur. » (Gordon Mumma)
Le décor, la scénographie et les
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Le génial Merce Cunningham fait sa première création en France (50
ans)
costumes sont signés Beverly Emmons, alors toute jeune diplômée du prestigieux Sarah
Lawrence College (1965). Elle opte pour des lumières mouvantes qui éclairent
principalement des caisses en bois et des journaux : les danseurs déplacent ces lumières en
exécutant leurs mouvements, provoquant une sensation étrange.
La composition de Gordon Mumma, d’une durée de 30mn, nécessite huit danseurs ; Merce
Cunningham choisit d’être accompagné par Carolyn Brown, Barbara Lloyd, Sandra Neels,
Albert Reid, Peter Saul, Valda Setterfield et Gus Solomons jr.
La parité est respectée : quatre hommes et quatre femmes. Les premiers sont en
académiques et collants noirs tandis que les secondent revêtent des tuniques en plastique.
.
1966. Signification & Réception
Cette pièce comporte une dimension incontestablement dramatique. Le propre rôle endossé
par Merce Cunningham contient quelque chose de l’intensité névrotique de ses fameux
solos. À la fin du spectacle, il entre lui-même dans un grand sac en plastique et se jette dans
la poubelle. Les danseurs n’avaient alors aucune conscience de cette dimension pendant les
répétitions, mais le réalisèrent dès qu’ils furent sur scène et dansèrent la pièce. Seul
Gordon Mumma n’eut aucun doute sur le sens profond de cette œuvre, ainsi qu’il le déclara
à l’époque.
« Place évoque un drame de l’angoisse existentielle et des problèmes d’identité.
Certains y ont vu un panorama clinique de la schizophrénie, l’exposé d’un syndrome
dégénératif culminant dans une coupure avec le monde. Dans cette œuvre pour huit
danseurs, Cunningham propose des solos très importants ; il incarne un individu qui
tente d’établir le contact avec son entourage et les éléments qui l’entourent. » (Gordon
Mumma)
Le public français, peu habitué à une telle audace visuelle, chorégraphique et sonore, goûte
peu le spectacle, qui tombe progressivement dans l’oubli ; à titre d’exemple, il ne figure
même pas dans la liste des pièces chorégraphiques créées par Merce Cunningham sur
Wikipédia.
Vanessa LUDIER
À défaut d’avoir pu trouver une vidéo de la pièce en libre diffusion, voici un court extrait
d’une pièce datant de la même année.
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