Philosophie et mathématique du chaos

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Philosophie et mathématique du chaos
Exposé 5
Philosophie et mathématique
du chaos
13 février 2012
Le chaos pour rester chaos ne peut produire l’impensable
Comme nous l’avons vu précédemment, d’un point de vue philosophique, pour Quentin
Meillassoux :
L’en soi est non contradictoire car ce qui est mathématiquement pensable est
absolument possible.
La contingence nécessaire de l’étant entraîne la nécessité de l’étant contingent.
Le possible est intotalisable ce qui rend explicable la stabilité des lois naturelles. (*1)
Les différentes conceptions du néant
Le chaos se situe en quelque sorte à l’interface de l’étant et du néant. Précisons les
interprétations du néant qu’ont fait les philosophes.
Les philosophes antiques ont distingué jusqu’à 4 modes possibles pour le néant :
Le non-être (Parménide),
L’être différent (Platon),
Ce qui n’est pas encore (Aristote),
Ce qui est au-dessus de tous les étants, « solitude vacante de toutes déterminations ».
(Plotin)
On y voit que le néant a été interprété aussi bien comme néant absolu, impensable, que
comme un « au-delà de l’être », une « puissance de tout » (*2)
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L’apparition du chaos en philosophie
Pour les stoïciens, l’essence du monde est harmonie et ordre, c’est un cosmos divin et
logique.
La finalité ultime de la vie humaine est de trouver sa juste place au sein de l’ordre
cosmique.
Pour les humanistes, ordre, harmonie, beauté ne sont plus inscrits à priori au cœur du
réel.
C’est à l’être humain de :
-réintroduire de l’ordre dans un chaos de forces en perpétuel mouvement dans un espace et un
temps infini.
-redonner sens à un univers désenchanté. (*3)
La pensée n’est plus un « voir » mais un « agir »
L’apparition du chaos en science : d’abord un univers horloge
Après Galilée, Descartes Newton, la mécanique des trajectoires triomphe.
L’univers y est réduit aux lois mathématiques décrivant ses mécanismes comme un pendule
parfait.
Les lois de la dynamique sont conservatives, réversibles et déterministes
Le hasard n’existe pas.
Un déterminisme absolu
Pour Pierre Simon de Laplace (1749 – 1827) Mathématicien, Astronome, Physicien :
« Une intelligence qui connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, embrasserait
dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus
léger atome ».
Le monde est totalement connaissable et son évolution est prédictible jusque dans ses
moindres détails.
C’est la vision du monde céleste aristotélicien immuable et divin.
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Réfutations pratiques
Sadi Carnot (1796 - 1832), puis Clausius (1822 - 1888) énoncent en 1824 puis 1850 :
le 2° principe de la thermodynamique qui établit l’irréversibilité des phénomènes physiques
lors des échanges thermiques.
Réfutations théoriques
Dés 1908 le mathématicien Henri Poincaré (1854 - 1912), montre que les modèles
linéaires employés par ses prédécesseurs, quelque poussés qu’ils soient, ne pourront jamais
donner une idée exacte du comportement à long terme des orbites planétaires, et que le
modèle exact, non linéaire, peut receler des trajectoires d’une complexité insoupçonnée
jusqu’alors.
Pour lui, comme nous ne pouvons connaître la situation initiale d’un système
qu’approximativement, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales
en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux, ce qui rend la prévision
impossible.
La fin d’un monde
La physique quantique fondée par Planck (1858 - 1947), puis formalisée par Bohr,
Dirac, de Broglie, Heisenberg, Jordan, Pauli et Schrödinger, en 1927 s’applique aux
atomes et aux particules.
Elle donne des prévisions précises mais de nature probabiliste, car elle met en
évidence une incertitude, l’impossibilité de connaître à la fois la vitesse et la position d’une
particule.
Il y a donc une imprévisibilité possible, bien qu’exceptionnelle.
Elle remet en cause le principe de séparabilité selon lequel des objets distants ne
peuvent avoir une influence directe l’un sur l’autre.
Le Chaos déterministe
En 1963, le mathématicien et météorologue Edward Lorenz (1917-2008) simule une
météo miniature et découvre l’extrême sensibilité à d’infimes changements.
C’est l’effet papillon dont le coup d’aile peut déclancher une tempête.
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Certains phénomènes dynamiques non linéaires sont si sensibles aux conditions
initiales que, même s'ils sont régis par des lois rigoureuses et parfaitement déterministes, les
prédictions exactes sont impossibles. Un système dynamique simple décrit par des équations
déterministes peut donc être imprévisible, « chaotique ».
Les attracteurs étranges
Lorenz appliqua l’idée de Poincaré de représenter l’évolution d’un système
dynamique (l’atmosphère) en un espace de phase dont chaque dimension est une variable du
système. A un instant donné, le système est donc représenté par un point de cet espace.
On appelle attracteur, le ou les points vers lesquels convergent les points représentant
l’état successif du système.
Il découvrit une figure à deux boucles hors de laquelle aucun des points ne vint
s’inscrire. On le baptisa attracteur étrange car il incluait à la foi des lois déterministes et des
lois aléatoires.
Un système strictement déterministe dessine des trajectoires précises et invariables.
Un système aléatoire dessine un nuage de point dans tout l’espace. (*4)
Un système chaotique se comporte en décrivant une figure géométrique de structure
complexe qu’il parcourt au hasard.
Confirmation du Chaos
Dès 1940, le mathématicien Andrei Kolmogorov (1903-1987) avait montré que
phénomènes déterministes et phénomènes aléatoires n’avaient pas de frontière naturelle. (*4)
En 1971 le physicien David Ruelle et le mathématicien Floris Takens étudient les
turbulences, ils montrent que le chaos peut survenir dès qu’un système comporte 3 éléments
ou paramètres.
En 1976, l’astronome Michel Hénon montre que l’évolution des trajectoires stellaires
dans une galaxie est chaotique. (*5)
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Evolution d’une population
Une population tend à croître, puis à s’équilibrer sous l’effet de la compétition et de la
faim. La modélisation de cette évolution s’effectue au moyen de l’équation logistique
suivante : Pn+1 = r.(1-Pn).Pn
Où Pn est la valeur de la population à l’instant n.
Où Pn+1 est la population à l’instant n+1.
Et r est le taux de croissance, et avec r = 1,8, on obtient :
Avec un taux de croissance r plus élevé, de 2,9, la population n’atteint un équilibre qu’après
des phases de croissance, de surpopulation et de décroissance.
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Avec un taux de croissance de 3,2, le niveau de la population ne se stabilise plus et oscille
entre deux valeurs.
Avec un taux de croissance de 3,6, le niveau de la population diverge vers quatre valeurs et
plus et devient instable.
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Avec un taux de croissance de 4, le système constitué par cette population, bien que
déterministe devient chaotique et la valeur de la population n’est plus prévisible.
Formalisation du Chaos
En 1976 le physicien Mitchell Feigenbaum, démontre que dans la dynamique d’un
phénomène, quel qu’il soit, qui va de la stabilité à la turbulence, on peut observer une
structure universelle, un ordre.
La valeur d’équilibre d’une population croît avec le paramètre de croissance, puis
diverge et devient chaotique en prenant une infinité de valeurs. (*5)
Cette structure universelle à la frontière du chaos, le diagramme de bifurcation
illustre l’entrée dans le chaos de tous les phénomènes non linéaires à caractère chaotique.
Du diagramme de bifurcation à l’ensemble de Mandelbrot
L'ensemble de Mandelbrot fait apparaître nombre de structures en forme de bourgeons
entourant une structure principale en forme de cardioïde.
La cardioïde est l'ensemble des points c qui convergent vers un point fixe (période 1).
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Le bourgeon principal, à gauche de la cardioïde, correspond à des points paramètres
qui, à la limite, convergent vers un cycle de période 2.
Les autres bourgeons tangents à la cardioïde sont les points admettant d'autres
périodicités.
L’ensemble de Mandelbrot
Cet ensemble fut découvert par les mathématiciens Gaston Julia et Pierre Fatou dès
1917 et doit son nom aux représentations graphiques réalisées par le mathématicien Benoît
Mandelbrot vers 1980.
C’est l’ensemble des points c du plan complexe pour lesquels la suite :
zn+1 = zn2 + c ne tend pas vers l’infini.
Cette figure caractéristique de la géométrie fractale est universelle pour décrire les
systèmes chaotiques. (*6)
Détails de l’ensemble de Mandelbrot
Ce type de structure sert de modèle pour représenter des objets à structure fractale
(arbres, nuages, côtes maritimes…), et pour simuler des systèmes dynamiques (écoulement
de fluides, mouvement d’astres…)
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Elle permet de décrire tout système déterministe à évolution imprévisible.
Le détail y reproduit la forme générale (invariance d’échelle). (*6)
L’avenir émerge du chaos
Le physicien Ilya Prigogine (1917-2003) a montré les capacités d’auto organisation
des systèmes (structures dissipatives)
Le comportement d’un système loin de l’équilibre devient spécifique, imprévisible.
Il apparaît de nouveaux types d’instabilité, des bifurcations s’offrent à partir
desquelles un nouvel état est possible.
Des comportements individuels innovants se répercutent à tout le système.
Plus rapide est cet envahissement, plus la complexité du système pourra être grande
sans être instable.
Le système tout entier adopte alors un nouveau mode de fonctionnement, il y a eu
auto organisation.
La dissipation d’énergie et de matière devient loin de l’équilibre, source d’ordre car
elle est à l’origine de nouveaux états de la matière. (*7)
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Un désordre canalisé
C’est un fait cosmologique : notre univers est capable de maintenir certains systèmes
loin de l’équilibre (chaos).
Il demeure déterministe car le futur est déterminé par l’état présent, mais il est
imprévisible.
La nature est une combinaison d’ordre et de désordre et même hors équilibre la
nature n’emprunte que certaines routes.
Il y a réconciliation du libre-arbitre et du déterminisme.
La vie puise l’ordre dans un océan de désordre, mais la nature n’est pas faite pour
nous, elle n’est pas livrée à notre volonté.
Rédigé par Serge Naud
Références :
(*1) Quentin Meillassoux - Après la finitude, essai sur la nécessité de la contingence - Seuil 2006
(*2) J. Laurent et C Romano - Le Néant - PUF - 2010
(*3) Luc Ferry - Vaincre les peurs - Odile Jacob- 2006
(*4) Philippe Etchécopar et Cégep de Rimouski - Quelques éléments sur la théorie du chaos PDF
(*5) James Gleick - La théorie du chaos - Flammarion - 1991
(*6) H.O. Peitgen & P.H. Richter - The beauty of fractals - Springer Verlag
(*7) Ilya Prigogine et Isabelle Stengers - La Nouvelle alliance - Gallimard
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