Constitution et droit à la culture

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Constitution et droit à la culture
Introduction
Plan de l’introduction
§1 : L’émergence des politiques culturelles
§2 : Le droit à la culture
§3 : Le droit de la culture
1. Au XVIIIe siècle, l’usage au figuré du terme culture s’impose au détriment de
l’ancien usage qui évoque le travail de la terre. Cet usage fait son entrée dans le
Dictionnaire de l’Académie française en 1718. L’Académie française définit la
culture comme « l’ensemble des aspects intellectuels, moraux, matériels, des
systèmes de valeur, des styles de vie qui caractérisent une civilisation ». Mais
l’appréhension du terme culture s’avère délicate tant les significations sont
nombreuses. Dans la perspective des Lumières, la culture s’entend de manière
très large, puisqu’elle se définit par opposition à la nature, et caractérise ce qui est
humain. En ce sens, la culture a une prétention universaliste. Dans un sens plus
étroit, celui que nous retiendrons, la culture désigne ce qui est création artistique
ou intellectuelle. Le terme s’applique alors aux arts, aux lettres et aux sciences.
Dès lors, la culture se conçoit au pluriel. Il faut aussi tenir compte du fait que le
phénomène culturel a évolué avec le progrès technologique. Au XXe siècle, les
nouveaux moyens de communication ont favorisé la standardisation des références
culturelles, à l’origine de la culture de masse, laquelle est souvent associée à une
culture de la distraction1. Une autre évolution se dessine, orientée vers le cloisonnement de la culture. D’aucuns parlent de « culture jeunes », de « culture de
classe », ou encore de « cultures régionales ».
1. J.-M. DJIAN, Politique culturelle : la fin d’un mythe, Gallimard, 2005, p. 101.
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DROIT DE LA CULTURE
§1. L’émergence des politiques culturelles
2. De longue date, l’État a une vocation culturelle. L’émergence des politiques
culturelles apparaît sous la monarchie. Elle poursuit plusieurs objectifs : affirmer
le prestige de la monarchie par le biais du mécénat royal, organiser les esprits avec
la création des Académies et unifier le royaume2.
Sous l’Ancien Régime, le roi est le protecteur des arts et lettres ; avec les nobles, il
intervient à titre privé, sous forme de mécénat, en passant des commandes d’œuvres.
À partir du XVIIe siècle, les Académies sont créées. Sous la Révolution, des mesures sont
prises en faveur de l’éducation et de l’accès à la culture. L’idée d’un patrimoine national
appartenant à tous les citoyens et protégé par l’État est née de la Révolution3. À cette
époque, la question s’est posée de savoir s’il fallait détruire ou accepter les œuvres du
passé. La protection du patrimoine l’a emporté sur le « vandalisme ». Avec le transfert
des biens de l’Église et de la Couronne à la nation, l’État est devenu responsable de la
conservation et de la protection de ces biens. La Bibliothèque nationale est créée en
1795, les Archives nationales en 1790 et le Muséum central des arts en 1793.
La Constitution de 1795 établit un Institut national chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences (art. 298).
Sous la Monarchie de Juillet, une institution en faveur du patrimoine est mise en
place en 1830 : l’inspection générale des monuments historiques dont le rôle est
d’inventorier les monuments et de veiller à leur conservation. La création du premier
ministère des beaux-arts date de 1862, sous Napoléon III.
La IIIe République s’est essentiellement consacrée à la protection du patrimoine,
comme en témoigne l’adoption de la loi sur le classement des monuments historiques en 1913. En revanche, elle a manifesté une certaine incompréhension à l’égard
de l’art contemporain. « La IIIe République si grande par sa politique économique,
sociale, coloniale n’a pas eu de politique des Arts. »4
Après la Libération, la politique culturelle s’oriente vers deux objectifs : la démocratisation et la décentralisation de la culture.
3. C’est sous la Ve République que naît le ministère des Affaires culturelles avec,
à sa tête, l’écrivain André Malraux. La mission dévolue au ministère, consacrée
dans le décret du 24 juillet 1959, est « de rendre accessibles les œuvres capitales
de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de français ;
d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création
des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent ».
2. A.-H. MESNARD, Droit et politique de la culture, PUF, coll. Droit fondamental, 1990, p. 29.
3. Ministère de la culture et de la communication, Patrimoine, La Documentation française, coll. État
et culture, 1992, p. 13.
4. R. BRICHET, « Pour un ministère des arts », in La politique culturelle en débat, anthologie 1955-2005,
G. GENTIL, P. POIRRIER (sd.), La Documentation française, 2006, p. 39.
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INTRODUCTION
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§2. Le droit à la culture
4. Malgré l’émergence précoce des politiques culturelles en France, la consécration
d’un droit à la culture est tardive. Le droit à la culture s’est affirmé progressivement
dans l’histoire constitutionnelle. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
de 1789 n’évoque pas le droit à la culture, mais son article 11 proclame le principe
de libre communication des pensées et des opinions. L’article 300 de la Constitution
de 1795 affirme que « les citoyens ont le droit de former des établissements particuliers d’éducation et d’instruction, ainsi que des sociétés libres pour concourir
aux progrès des sciences, des arts et lettres ». Il faut attendre 1946 pour que le
droit à la culture soit expressément consacré. Le projet d’avril 1946 de la Première
assemblée constituante proclame à l’article 25 de la déclaration des droits : « La
culture la plus large doit être offerte à tous sans autre limitation que les aptitudes
de chacun. Tout enfant a droit à l’instruction et à l’éducation dans le respect de la
liberté. » De même, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 énonce
expressément le droit à la culture : « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et
de l’adulte, à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». Cette
consécration dans le Préambule de la Constitution de 1946, confère au droit à la
culture, une valeur constitutionnelle. Les doutes relatifs à la valeur juridique de
ce texte ont été balayés par la décision du Conseil constitutionnel n° 71-44 DC du
16 juillet 1971, dans laquelle le Conseil effectue un contrôle de constitutionnalité
de la loi au regard du Préambule de la Constitution de 1958. Depuis cette date, le
Préambule de la Constitution de 1958 et les normes auxquelles il renvoie, c’est-àdire la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de
1946, sont devenus des normes de référence du contrôle de constitutionnalité. Le
droit à la culture, formulé comme « un droit à », relève de la catégorie des droits
économiques et sociaux. Il est rangé parmi les droits créances, lesquels impliquent
non pas une abstention de l’État, mais une action positive destinée à rendre les droits
effectifs. Les droits créances appellent une intervention des pouvoirs publics, que ce
soit celle de l’État ou des collectivités territoriales.
5. Le droit à la culture n’est cependant pas sans poser un certain nombre de questions. Tout d’abord, quelles sont les obligations à la charge de l’État ? Autrement
dit, est-il possible de déterminer un seuil en deçà duquel l’accès à la culture n’est
plus garanti ? Sans doute, comme l’a souligné Pierre-Laurent Frier « le législateur
ou l’administration ne pourrait supprimer tous les services de diffusion culturelle,
notamment dans un raz-de-marée privatisateur, ou de même, les interdire tous.
Mais au-delà, le droit à la culture met-il à la charge de l’État une obligation de
mener une politique de grands équipements culturels, de développer des formations
prestigieuses de théâtre ou de musique, de conduire une politique de soutien au
cinéma ? »5.
5. P.-L. FRIER, « La répartition des compétences entre l’État et le pouvoir local », AJDA, 2000, n° spécial,
p. 59.
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Si l’État est sans doute tenu de conserver et d’entretenir les éléments les plus exceptionnels du patrimoine français, dont certains font partie du domaine public, il n’est
pas toujours aisé de définir les obligations qui sont à sa charge. En outre, si l’intervention des pouvoirs publics est sollicitée pour rendre effectif le droit à la culture,
les relations entre la culture et la politique n’en sont pas moins problématiques. Le
service public de la culture ne doit pas déboucher sur une culture officielle. En ce
sens la charte des missions de service public pour le spectacle vivant du 22 octobre
1998 reconnaît aux artistes « la liberté la plus totale dans leur travail de création
et de diffusion » et garantit « la plus grande liberté de chaque citoyen dans le choix
de ses pratiques culturelles ».
§3. Le droit de la culture
A. Le champ du droit de la culture
6. Le développement des politiques culturelles engendre une réglementation de
la culture qui a donné naissance au droit de la culture, malgré l’hétérogénéité des
réglementations6. L’emploi du terme est relativement récent. Le droit de la culture
est traité comme une discipline propre à partir des années 19907.
7. Le manque d’unité du droit de la culture est lié au fait qu’il se rapporte à des objets
multiples : les monuments historiques, les archives, les vestiges archéologiques, les
créations de l’esprit, la langue française, les livres… Tantôt régi par le droit public
tantôt par le droit privé, il traverse diverses branches du droit : le droit de la propriété
littéraire et artistique, le droit fiscal, le droit administratif… Et les sources du droit
sont multiples : sources internationales, européennes, internes. Ces dernières se
présentent sous forme législative ou réglementaire, parfois codifiée.
8. La reconnaissance du service public culturel et la police des activités culturelles
sont autant de manifestations de l’existence d’un droit de la culture.
B. Le service public culturel
9. La consécration d’activités culturelles comme activités de service public est prétorienne. Le juge a consacré la notion de service public culturel en plusieurs étapes. Il
a d’abord refusé cette qualification. En 1916, saisi de l’inexécution de la promesse
de concession d’un emplacement pour la construction d’un Palais philharmonique,
le juge décline sa compétence au motif que « le palais dont il s’agit n’était pas
destiné à assurer un service public ni à pourvoir à un objet d’utilité publique »8. Dans
sa note sous l’arrêt, Maurice Hauriou s’insurge contre l’idée que le théâtre puisse
constituer un service public car le théâtre est susceptible « d’exalter l’imagination,
6. A. RIOU, Le droit de la culture et le droit à la culture, ESF éditeur, 1993, p. 25 et s.
7. M. CORNU, « Droit de la culture », in Dictionnaire des politiques culturelles, E. de Waresquiel,
Larousse, CNRS, 2001, p. 219.
8. CE, 7 avril 1916, Astruc et Sté du théâtre des Champs-Élysées c. ville de Paris, S., 1916, 3, p. 41.
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INTRODUCTION
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d’habituer les esprits à une vie facile et fictive, au grand détriment de la vie sérieuse,
et d’exciter les passions de l’amour, lesquelles sont aussi dangereuses que celle du
jeu et de l’intempérance ».
10. Depuis, la jurisprudence a évolué. En 1923, s’agissant de l’Opéra-comique, le
Conseil d’État estime que le contrat conclu entre l’État et les personnes dirigeant
l’établissement présente le caractère d’une concession de service public9. Au regard
des stipulations du cahier des charges, le contrat est destiné « à assurer dans un
intérêt général, la qualité artistique et la continuité de l’exploitation ». La solution
sera réaffirmée pour les activités théâtrales. Le juge admet notamment l’exploitation
d’un théâtre en régie par une commune dans le but d’« assurer un service permanent
de représentations théâtrales de qualité »10.
La référence au service public culturel apparaît expressément en 1959. Ainsi, dans
l’arrêt Dauphin, le Conseil d’État relève que « L’allée des Alyscamps est affectée
à un service public de caractère culturel et touristique »11. Il faut attendre la décision Maison des Jeunes et de la Culture de St-Maur12 pour qu’apparaisse l’unique
appellation de service public culturel. Dans un arrêt récent, Commune d’Aix-enProvence du 6 avril 200713, le Conseil d’État a apporté des précisions sur les modes
de gestion du service public culturel.
11. Pour autant, on ne peut déduire que toute activité d’ordre culturel constitue un
service public. Il est nécessaire de distinguer service public culturel et intervention culturelle. Ainsi, comme le remarque très justement Jean-Marie Pontier, « ce
n’est pas parce que les pouvoirs publics parlent d’art et de culture, s’en occupent,
qu’il y a pour autant service public culturel : il y a eu un département ministériel
des Beaux-Arts avant que ne soit reconnue l’existence de la catégorie des services
publics culturels (…) Même aujourd’hui tout ce qui est culturel n’est pas service
public culturel (…). Ainsi il paraît difficile de voir un service public culturel chaque
fois qu’une collectivité restaure une fontaine, un oratoire, alors que l’intervention
peut être qualifiée de culturelle ». Le juge apprécie, au cas par cas, si une activité
constitue un service public, c’est-à-dire si elle satisfait un intérêt public. Il a reconnu
cette qualité au théâtre, à des activités cinématographiques, à des animations dans
les Maisons des jeunes et de la culture, à des festivals…14. Mais cette reconnaissance
ne peut pas être généralisée. Ainsi, par exemple, tous les festivals ne constituent
pas une activité de service public. L’identification d’une activité comme activité de
service public implique une certaine dépendance à l’égard de la personne publique
qui exerce un contrôle sur l’activité. Ainsi le juge a estimé que l’exploitation d’un
cinéma local par une société d’économie mixte créée par la ville ne constitue pas
9. CE, 23 juil. 1923, Gheusi, RDP, 1923, p. 560, Cl. Mazerat, note G. Jèze.
10. CE, 21 janv. 1944, Léoni, Rec., p. 26.
11. CE, 11 mai 1959, Dauphin, D., 1959, J., p. 315, Cl. H. Mayras.
12. CE, 21 janvier 1983, Rec., p. 14.
13. CE, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, JCP A, 2007, 2125, note F. Linditch.
14. PONTIER (J.-M.), « Le service public culturel existe-t-il ? », AJDA, n° spécial, 2000, p. 16.
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une activité de service public, en l’absence d’obligation imposée par la ville et de
contrôle des objectifs fixés15.
12. Le service public culturel, comme les autres services publics, peut être géré
par des personnes publiques ou privées. Il existe sous forme de service public
administratif ou de service public industriel et commercial. Cette qualification ne
va pas toujours de soi. Le juge privilégie quasi systématiquement la qualification de
service public administratif car, traditionnellement, la culture est associée au désintéressement. En revanche, le législateur recourt plus volontiers à la qualification de
service public industriel et commercial16. De plus en plus d’établissements publics
nationaux en charge d’activités culturelles sont créés sous forme d’établissements
publics industriels et commerciaux. Il suffit de songer à la Cité de la musique, à la
Réunion des musées nationaux et à l’Opéra national de Paris.
13. Dès lors que toute activité culturelle ne constitue pas nécessairement un service
public, cet ouvrage consacré au droit de la culture n’est pas limité au service public
culturel.
14. Ces dernières années, le droit de la culture a été réformé dans tous ses aspects,
comme on le verra à travers l’étude des acteurs de la culture, des modes de gestion
du service public culturel, des objectifs de la politique culturelle, du financement
public et de la fiscalité de la culture. Le droit français de la culture évolue également
sous l’influence du droit international et du droit européen.
Bibliographie
CORNU (M.), « Droit de la culture », in Dictionnaire des politiques culturelles, E. de
Waresquiel, Larousse, CNRS, 2001.
GENTIL (G.), POIRRIER (P.) (sd.), La politique culturelle en débat, anthologie 1955-2005, La
Documentation française, 2006.
MESNARD (A.-H.), Droit et politique de la culture, PUF, coll. Droit fondamental, 1990.
Ministère de la Culture, Patrimoine, La Documentation française, coll. État et culture,
1992.
MOULINIER (P.), Les politiques publiques de la culture en France, PUF, coll. Que sais-je ?,
3e éd., 2006.
PATRIAT (C.), « Utopique politique culturelle : l’intervention publique dans la culture, entre
incantation et métaphore », in Études en hommage à Claude Courvoisier, EUD, 2005,
p. 413.
15. CE, 5 oct. 2007, Sté UGC-Ciné-Cité, AJDA, 2007, p. 2260, note J.-D. Dreyfus.
16. PONTIER (J.-M.), « La gestion industrielle et commerciale des services publics culturels », JCP A,
2007, 2160.
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