Le négationnisme

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Le négationnisme
LE NEGATIONNISME
Conférence au Mémorial de la Shoah, dimanche 12/11/2006
Notes :Dominique Tantin.
Première partie : intervention de Yves TERNON, historien spécialiste du génocide arménien :
1. Définition du négationnisme : organisation d’un mensonge en un système ou doctrine pour
éluder une responsabilité directe ou indirecte dans la perpétration d’un génocide.
ü
Shoah : nazis premiers négationnistes
à Langage : euphémisation
à Secret autour des centres de mise à mort
à Kommando 1005
à Malgré tout à Nuremberg : 100 000 documents collectés, 8000 retenus
ü
Emergence après guerre :
à 1948 : Maurice Bardèche, beau-frère de Brasillach fusillé en 1945

« Nuremberg ou la Terre Promise », fondement du négationnisme

1952 : fondation de l’hebdomadaire « Défense de l’Occident » publié pendant 30 ans.
à 1952 : Paul Rassinier : « Le Mensonge d’Ulysse » soutenu par pacifistes (Louis Lecoin)
et anarchistes ; récupéré par l’extrême droite, les néonazis è négationnisme = antisémitisme et
antisionisme.
Ø
Diffusion :
à François Duprat (dans « Défense de l’Occident »), assassiné en 1978 dans des conditions
non élucidées : Israël = Etat colonialiste et raciste.
à Pierre Guillaume de la « Vieille Taupe » (ultra gauche) d’abord fasciné par Rassinier,
puis soutient Faurisson.
à En 1979, Le Monde commet l’erreur de publier une interview de Faurisson, négateur des
chambres à gaz, invention des Juifs pour financer Israël. Problème : universitaire, thèse pseudo
scientifique, aussitôt dénoncée par Pierre Vidal-Naquet.
à Serge Thion (négationniste du génocide cambodgien) et la Vieille Taupe publient
Faurisson, avec un « avis » de Noam Chomsky en guise de préface et de caution scientifique et
de gauche.
à Aux Etats-Unis, publications de Barnes ( ?) qui met en parallèle les crimes nazis et ceux
des Alliés ; Ogan ( ?) : mythe des 6 millions ; Harwood ; Christophersen (ex SS).Forte présence
du négationnisme sur le Web. En 1979, congrès de l’Institut for Historical Review à Los
Angeles (William Mc Colden).
à Réactions au négationnisme : travaux de réfutations (Pressac sur la chambres à gaz ;
Pierre Vidal-Naquet : « les assassins de la mémoire » ; « un Eichmann de papier »)
à Après 1978, les négationnistes essaient de faire valider leurs thèses par l’université :
•
infiltration de Lyon III
•
affaires Roques – Notin – Plantin
à Perméabilité du monde arabo-musulman : Cf. affaire Garaudy : « les mythes fondateurs
de la politique israélienne » (1995) qui reçoit le soutien de l’abbé Pierre.
à L’extrême droite et le négationnisme :

Le Pen d’abord prudent puis l’exploite avec notamment Gollnisch pour accroître son
influence : détail (87) ; Durafour crématoire (88) ;

attaque la loi Gayssot (90) et l’IVG mise en parallèle avec la Shoah.
à depuis les années 80 mondialisation de la pieuvre négationniste

procès Zundel au Canada

1996 : recul avec le procès Irving ( ?)

diffusion par Internet.
2. La négation du génocide arménien
-- spécificités :
•
•
négationnisme d’Etat
négation d’une partie des faits et surtout négation de l’intention criminelle, de la
planification du massacre (# de la négation globale de la Shoah) attribué à l’action de
bandes inconnues dans un contexte de guerre ; réaction au mouvement révolutionnaire
arménien accusé de trahison.
-- Repères chronologiques
•
1919 : les successeurs des jeunes Turcs organisent un procès pour paraître
respectables à la Conférence de la Paix
•
Kémalisme : trahison des Arméniens tout en récupérant les terres et les biens laissés
vacants par le nettoyage ethnique.
•
Historiens turcs : fabrication d’une histoire mythique de la Turquie sans les
Arméniens pourtant présents sur le territoire avant les Turcs.
•
1948 : la Turquie signe la Convention internationale contre les génocides…
•
1965 : 50e anniversaire = négationnisme par l’Etat turc dans l’université, en Turquie
et par des relais à l’étranger (Etats-Unis – UCLA et Princeton).
•
Confirmation d’un négationnisme institutionnel : art 301 du Code Pénal turc = 10 ans
de prison pour les adversaires du négationnisme ; pressions diplomatiques contre les
Etats favorables aux thèses arméniennes (France : lois des 29/01/2001 et 2006) ; mise
en cause de la responsabilité des victimes : réaction au mouvement révolutionnaire
arménien qui aurait voulu perpétrer un génocide turc
3. Les génocides du « second XXe siècle » :
-- le génocide des Tutsis au Rwanda : « argumentaire » des négationnistes :
•
Tuer pour ne pas être tué (# planification et innocence des victimes)
•
double génocide ; responsabilité du FPR.
•
massacre spontané pour venger le président assassiné, tuer les espions du FPR.
•
Or génocide incontestablement planifié et très rapide : 800 000 à 1 million de victimes
en 6 semaines ; gouvernement exclusivement centré sur le génocide d’où défaite
militaire.
-- Le génocide cambodgien : Serge Thion et Noam Chomski porte-paroles du négationnisme
4. Débat : faut-il utiliser le qualificatif de génocide pour la famine en Ukraine en 1932-33 :
qui semble planifiée par Staline ; Cf. Nicolas Werth.
Conclusion : convergence des négationnismes pour les trois génocides avérés pour les
historiens : instruments identiques = « squelette négationniste », 4 mécanismes discursifs :
•
le plus dangereux : le recours à la rationalisation ; stratégie des universitaires (ou
pseudos). Se présentent en champion de la vérité, la liberté de penser è recours à
l’hypercriticisme des sources et des témoins. Recherche à tout prix une faille
(méthode inductive de Faurisson)
•
Réduction du nombre des victimes de fait toujours mal connu : à Yad Vashem, 3
millions de Juifs identifiés. Manipulation des chiffres et amalgame avec les victimes
de la guerre dans un contexte de violence extrême.
•
retournement de l’accusation : théorie du complot juif, accusation de trahison, les
coupables deviennent des victimes.
•
mise en structure/système : constitution d’une vérité apparente, en anamorphose ;
crime = imposture, fabriquée par la propagande ; reconstitution de la « vérité » avec
un paradoxe, une aporie : « ça n’a pas eu lieu, mais ils l’ont bien cherché ! »
Seconde partie : Henry Rousso
Introduction :
-- Hommage à Pierre Vidal-Naquet,
à 1er à réfuter le négationnisme : 1980 : « Un Eichmann de papier », article dans la
revue Esprit.
à Le 1er à rapprocher ses 2 composantes, l’extrême droite et l’ultra gauche.
à Le 1er à refuser la judiciarisation du débat.
-- paternité du terme « négationnisme » (1987) :
à nécessaire clarification intellectuelle # « révisionnisme » (affaire Dreyfus ;
terminologie marxiste ; attitude de doute méthodique de tout scientifique).
à choix politique : délégitimer l’utilisation du terme « révisionniste ».
- négationnisme :
à une des composantes de l’antisémitisme contemporain
à trivialisation : propos du président iranien sans souci de justification scientifique.
à judiciarisation : loi Gayssot (1990) et loi concernant le génocide arménien
(12/10/2006), lois spécifiques sans conceptualisation mais le terme « négationnisme »
figure dans un arrêt du Conseil d’Etat contre Notin, débouté en 1998 (« campagne
négationniste »). Valeur jurisprudentielle.
--Plan :
à Pourquoi le négationnisme de la Shoah a-t-il émergé dans l’espace public dans les
années 70 ? Pourquoi le seuil de tolérance a-t-il baissé alors que les arguments sont
inchangés depuis 1945 ?
à Pourquoi la plupart des affaires françaises impliquent-elles des universitaires ?
à Quels sont les risques du négationnisme pour les sociétés démocratiques ?
1. La crise des années 70 :
1.1. Le négationnisme tarde à apparaître :
-- le niveau de violence maximum du discours antisémite en France en 1943-44 (idem
ailleurs) : ex Maurice-Yvan Sicard (Saint Paulien après guerre) dans une brochure du PPF
d’avril 1944 : menaces et appel au meurtre (// Céline) ; aucun négationnisme.
-- Procès de Nuremberg : pas de négationnisme ; les nazis : « c’est pas moi ».
-- procès Eichmann : pas de négation.
1.2. Emergence dans l’immédiat après guerre avec Bardèche : le négationnisme
à l’origine ne vient pas des bourreaux.
-- Construction intellectuelle avec une double fonctionnalité :
à permettre à l’antisémitisme de survivre à la Shoah
à permettre à l’extrême droite de conserver un minimum de légitimité et d’audience
après Vichy.
-- Bardèche ne nie pas vraiment mais veut déculpabiliser l’Allemagne nazie, donc les
collabos dans le contexte de l’épuration.
1.3. Rassinier : saut idéologique.
-- Ex SFIO, résistant et déporté.
-- disculpe l’Allemagne nazie
à par anticommunisme (antistalinien de gauche)
à par pacifisme radical : les crimes nazis justifient la guerre ; convergence Rassinier
/ Bardèche : les Juifs sont responsables de la guerre (construction d’un ennemi = génocide ;
Juifs maléfiques et dangereux par définition). Israël responsable du mythe des 6 millions.
-- dénonciation sur le terrain factuel : la posture de Rassinier n’est pas nouvelle = Cf.
Norton Cru après 14/18.
1.4. Bilan dans les années 50/60 :
-- Bardèche : audience confidentielle, mais renaissance de l’extrême droite (4 députés
pétainistes élus en 1951)
-- Rassinier isolé.
2. Les années 70 : un « clash » international mais la France est particulièrement touchée :
2.1. Les faits :
-- Schéma sociologique :
à à l’origine discours ou écrits litigieux pour un espace restreint
à effet divulgation avec « ingénuité » de journaux : Le Matin de Paris et Le Monde pour
Faurisson.
àScandale immédiat mobilisant associations, personnalités politiques et s’inscrivant dans
l’agenda de l’action publique d’où loi Gayssot.
à Lyon III (la moitié des faits négationnistes): décalage des faits et des réactions
(surréactions)
-- Négationnisme = symptôme de problèmes de société :
à problème de la liberté d’expression
à redéfinition d’une éthique universitaire
à redéfinition de la place de l’histoire et de l’usage du passé dans notre société.
-- Chronologie des affaires :
à Darquier 1978
à Faurisson
à Thèse de Henri Roques 1985
à Thion finalement exclu du CNRS
à Gollnisch (FN)
2.2. Pourquoi ce retentissement ?
-- Poursuite de la déculpabilisation de l’extrême droite qui se développe et se rassemble
à création du front National, 1er rassemblement durable et efficace de l’ED
à négationnisme présent dès l’origine : François Duprat diffuse la littérature anglosaxonne. Objectif : faire sauter un des verrous pour le développement de l’ED
à Mais 2 écoles au FN :
•
fidélité à un héritage maudit
•
abandon (Marine Le Pen)
-- Les hasards de la conjoncture :
à Présence de Faurisson à Lyon II ;
à GRECE : à l’origine non négationniste, le devient : entrisme pour faire valider le
négationnisme par l’université : succès avec Roques.
à Lyon III : foyer facho.
-- Le débat sur Vichy ressurgit dans les années 70
-- Pourquoi une telle sensibilité de l’opinion ?
à Climat général de révision après 68 ; développement de l’ultra gauche.
à Centralité de la question de la Shoah : les témoins commencent à parler et à être écoutés.
L’importance accordée au négationnisme dans les années 70 est lié à l’importance prise par la
mémoire.
à Renaissance d’un antisémitisme contemporain :
•
le négationnisme est un antisémitisme : théorie d’un complot mondial ; tous les
antisémites reprennent le négationnisme car c’est un obstacle culturel au développement
de l’antisémitisme.
•
Antisémitisme sur Internet : non sophistiqué, registre injurieux car le négationnisme
est maintenant installé dans l’espace public. On peut donc faire l’économie d’une
argumentation élaborée.
•
•
Débat impossible : hétéronomie entre négationniste et antinégationnistes.
Revirement récent de Gollnisch : renonce au négationnisme par fonctionnalisme (ça
ne marche pas, on l’abandonne) ; mais par ailleurs ne semble pas convaincu par ces
thèses (allusion à des entretiens Rousso/Gollnisch pour rapport sur Lyon III)
3. Réflexion sur la portée de la question négationniste
3.1. S’ils n’ont rien apporté à l’histoire de la Shoah, ils ont contribué à
sensibiliser les historiens français à cette histoire.
3.2. Interrogation sur le fonctionnement de la démocratie :
-- exploitation de la place accordée à la pluralité des interprétations : nivellement du débat par
TV ; abandon de la prééminence du discours scientifique : on ne sait plus quelle est l’instance
validante de la vérité. D’où le recours au législateur et à la justice.
-- Négationnisme : mal nécessaire dans une société pluraliste.
3.3. Sur la criminalisation :
-- A l’origine, Rousso était contre la loi Gayssot (la loi ne peut écrire l’Histoire)
-- évolution :
à Loi Gayssot (reconnaissance juridique d’un crime) nécessaire faute de mieux pour
combattre le négationnisme, notamment à l’université pour la gestion des dossiers
disciplinaires : permet exclusion de Notin, Gollnisch et Thion du CNRS
à or cas d’exclusion rarissimes
-- Mais radicalement opposé à la loi Taubira et à son projet de contrôle des cours universitaires
(débat Rousso/Taubira sur la chaîne parlementaire à propos de l’affaire Pétré-Grenouilleau).
-- débat sur les lois mémorielles rejetées en bloc par pétitionnaires (Nora, etc.) : pour Rousso,
suppression inopportune de la loi Gayssot. On a eu tord de la voter, mais l’abolir serait un signe
désastreux. Mais hostilité aux autres lois.
3.4. Sur les risques de mimétisme d’un droit d’ingérence mémorielle : « Nous
allons écrire l’histoire des autres ».
-- La France a refusé de signer la Convention internationale sur l’imprescriptibilité des crimes
de guerre à cause de l’Algérie.
-- imaginons que le Parlement turc reconnaisse un crime contre l’humanité en Algérie… Si la
référence est la loi, une loi nationale peut définir un crime contre l’humanité avec des
complications internationales énormes.
Quelques notes sur le débat qui a suivi :
Rousso :
à Loi Taubira : non sens, stupidité ; mais réfléchissons aux instances de validation ; par la
science cela ne fonctionne plus.
à Génocide : concept « mou » ;
à sur la Shoah le débat ne porte pas sur son caractère génocidaire alors que c’est le cas pour
l’Arménie. Pour la Shoah il s’agit d’abord de punir les bourreaux ; pour l’Arménie, débat
politique de reconnaissance internationale.
Ternon :
à Lemkin décide de devenir juriste après avoir appris l’assassinat d’un dirigeant turc par un
Arménien.
à Passage de la loi du 29/01/2001 à celle de 2006 sur l’Arménie : d’une loi déclarative à
une loi normative pour acter en justice. Bernard Lewis condamné au civil à un franc symbolique
de DI pour ne pas avoir fait son travail d’historien ; pénal impossible. Loi de 2006 votée par
l’Assemblée, pas encore par le Sénat.
à Mais danger loi/histoire : loi 25/2/2005 sur le rôle positif de la France….
à Traite # esclavage ; esclavage # génocide
à Problème posé par la définition du génocide dans la convention de 1948.
à Loi Gayssot à replacer dans le contexte de l’affaire de Carpentras. Lois analogues dans
presque tous les pays européens. Pas aux EU où le négationnisme existe mais sans écho.
Biblio : « L’éthique de la mémoire » d’un historien japonais, Tetsuya Takahashi (Tokyo, 1995)
= notion philosophique de « témoin moral » ; je n’ai pas trouvé de référence bibliographique
de la traduction en français.