Planification globale dans un port maritime à conteneurs
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Planification globale dans un port maritime à conteneurs
Planification globale dans un port maritime à conteneurs multi-terminal et multi-modal Xavier Schepler1 , Eric Sanlaville2 , Sophie Michel3 , Stefan Balev2 1 École des Mines de Saint-Étienne, LIMOS UMR CNRS 6158, France [email protected] 2 Université de Normandie, LITIS, France {eric.sanlaville,stefan.balev}@univ-lehavre.fr 3 Université de Normandie, LMAH, France [email protected] Mots-clés : gestion de terminaux à conteneurs, programmation mathématique, décomposition structurelle, heuristiques Introduction Les routes maritimes mondiales constituent l’épine dorsale du commerce international. Ces dernières décennies, de nouveaux navires porte-conteneurs y ont été régulièrement déployés, afin de répondre à la demande croissante en transport conteneurisé : de 84.6 millions d’EVP (Equivalents Vingt-Pieds) en 1990, le trafic mondial est passé en 2012 à 602 millions. Ainsi, des investissements colossaux en infrastructure ont été réalisés dans les ports, notamment de nouveaux terminaux à conteneurs, afin de servir les navires, mais aussi pour le service des barges, des trains et des camions, assurant le transport dans l’hinterland. Les opérations dans les terminaux à conteneurs ont reçu une attention importante dans la littérature en recherche opérationnelle et logistique ces dernières années [2, 1, 4, 3]. Cependant, très peu d’études considèrent plusieurs terminaux à conteneurs d’un port : à notre connaissance seulement [7] et [6]. Pourtant, les terminaux maritimes existants sont tout simplement saturés par la croissance et la complexification du trafic conteneurisé. Cela conduit à des opérations intra-portuaires de Transport Inter-Terminal (TIT) de conteneurs [10]. Ces opérations sont liées à la répartition du trafic entre les terminaux et elles doivent être coordonnées, particulièrement dans le cas où les ressources pour les réaliser sont partagées. Les retards pouvant résulter de ces opérations sont hors du cadre des études [7, 6], mais leur impact sur la réputation du port est mentionné dans [10]. Dans le port de Rotterdam, une estimation situe en 2035 le volume de TIT annuel entre 2 et 5 millions d’EVP, à mettre en rapport avec un trafic annuel projeté de plus de 30 millions d’EVP [8]. Ainsi, des problématiques nouvelles liées au TIT apparaissent dans les ports, et elles s’amplifieront avec l’augmentation du trafic et avec sa complexification, consistant en davantage de transbordements et de multi-modalité. L’ordonnancement global des navires porte-conteneurs, barges, trains et camions dans un port maritime multi-terminal nécessite de prendre aussi en compte les opérations sur les conteneurs : déchargement, chargement, stockage et TIT. Son objectif est de minimiser la somme pondérée des retards des bateaux et des trains. Nous montrons que des instances réalistes de ce problème complexe peuvent être traitées efficacement, lorsque les conteneurs sont groupés et les camions aussi. L’organisation de ce document est la suivante. Dans un premier temps, le modèle proposé est présenté. Dans un second temps, l’approche de résolution utilisée est décrite, basée notamment sur des heuristiques exploitant la décomposition structurelle d’une formulation en tant que Programme Linéaire en Variables Mixtes (PLVM). Dans un troisième temps, les objectifs et les résultats des expériences numériques sont présentés. 1 Description du modèle Nous proposons un modèle multi-période fournissant une ligne directrice pour la planification opérationnelle. Dans ce modèle, la planification de l’allocation de postes à quai attribue à chaque bateau au moins une position d’amarrage dans un terminal et les périodes à quai correspondantes. Un plan est aussi calculé pour les trains, affectés aux voies ferrées dans les terminaux au cours du temps. Les camions sont considérés par groupe. Ci-après, le mot véhicule désigne un bateau, un train ou un groupe de camions. Tout véhicule a une date de disponibilité (ready time) et une date échue (deadline en anglais). Pour un bateau ou un train, la date de disponibilité correspond à la date d’arrivée et la date échue à la dernière période de présence possible au port. Pour un groupe de camions, ces deux dates donnent la fenêtre de temps dans laquelle on envisage de donner des rendez-vous aux camions, depuis la solution du modèle. Un bateau ou un train a de plus une date de départ souhaitée (date d’échéance, ou due date en anglais) ainsi qu’un coût de retard. Ce coût augmente par période de présence au port après la date d’échéance. L’objectif global est de minimiser la somme des coûts des retards, ce coût dépendant de l’importance du bateau ou du train. Deux hypothèses simplificatrices sont faites sur les camions. Premièrement, nous supposons qu’un système de rendez-vous permet de fixer leurs arrivées depuis la solution du modèle. Ces systèmes sont couramment utilisés dans les ports à conteneurs. Deuxièmement, nous supposons qu’un camion transporte un seul conteneur, soit à l’import, soit à l’export. Dans ce modèle, le niveau de granularité pour les conteneurs est le lot. Un lot est un ensemble de conteneurs qui sont déchargés d’un véhicule source et chargés plus tard sur un autre véhicule destinataire. Rappelons qu’un groupe de camions est considéré comme un seul véhicule. Les camions peuvent par exemple être groupés par véhicule source ou destinataire de leurs conteneurs. Un conteneur déchargé de son véhicule source est généralement transporté à l’intérieur du terminal pour y être stocké. Il peut rester empilé là, ou être transporté vers un autre terminal. Il est ensuite chargé sur le véhicule destinataire, en général plusieurs jours après son déchargement. Une solution fournit les terminaux et les périodes pour décharger, charger et stocker les lots de conteneurs, ainsi que les périodes pour le TIT. Les périodes et terminaux de passage des camions sont donnés par les décisions prises pour leurs conteneurs. Une solution à une instance simplifiée est partiellement illustrée sur la Figure 1, avec une durée de période de deux heures. Un lot b de trois conteneurs est déchargé du navire amarré au poste à quai en haut du terminal 1. D’une part, l’affectation de grues à ce bateau est nécessaire pour ce déchargement. D’autre part, une contrainte doit être respectée sur la quantité de conteneurs manutentionnés dans ce terminal par période. Cette contrainte par terminal et par période limite les flux entrants et sortants : déchargements/chargements de conteneurs par les grues et émissions/réceptions de conteneurs par TIT. Ensuite, b est stocké dans ce terminal. Le nombre de conteneurs stockés dans un terminal doit toujours rester sous une limite donnée. Ensuite, b est transporté vers le terminal 2, pour être chargé sur un navire. Plusieurs contraintes doivent être respectées pour le TIT. Le transport du terminal 1 au terminal 2 prend un nombre fixé de périodes. Il y a une limite donnée sur le nombre de conteneurs envoyés par période du terminal 1 au terminal 2. Il y a de plus une limite globale donnée sur le nombre total de conteneurs transportés entre les terminaux pendant tout l’horizon de planification. 2 Approche de résolution L’approche de résolution mise en œuvre repose sur une formulation du modèle indicée par le temps en tant que PLVM. On distingue deux types de variables entières dans ce PLVM, qui sont des variables 0-1. Le premier type concerne les décisions d’allocation de ressources aux véhicules, par exemple un poste à quai avec un certain nombre de grues à un bateau, ou encore une voie ferrée à un train. Le second type correspond aux choix des terminaux de déchargement et de chargement des lots de conteneurs. Les décisions d’opération sur une quantité de conteneurs (déchargement, chargement, stockage ou TIT) sont modélisées avec des TERMINAL 1 TERMINAL 2 Camions t=1 à 2 Déchargement Chargement Stockage Navire au long cours t=20 à 30 Navire caboteur t=1 à 5 Train, t=45 à 50 déchargé t=25 à 26 Lot de conteneurs b stocké t=25 à 35 Navire caboteur t=40 à 42 transféré t=35 Durée d'une période: 2 heures chargé t=41 à 42 stocké t=36 à 41 Transport inter-terminal des conteneurs FIG. 1 – Flux de conteneurs partiel dans deux terminaux variables réelles. La formulation est trop longue pour être décrite plus en détail ici. Toutefois, un solveur à l’état de l’art permet de traiter des instances réalistes, jusqu’à de certaines tailles. Des heuristiques de résolution d’instances de plus grandes tailles du PLVM ont donc été développées, exploitant l’efficacité de la résolution directe. Ces heuristiques tentent de construire une solution en traitant une séquence de PLVM plus faciles, dits sous-problèmes, où des contraintes du PLVM initial ont été relâchées. La résolution de chaque sous-problème permet de fixer ses variables entières dans le PLVM initial. Les variables réelles sont fixées lors de la résolution du dernier sous-problème. L’heuristique relax-and-fix [11] est notamment utilisée. Dans chaque sous-problème de relax-and-fix, une partie des contraintes d’intégrité sur les variables est relâchée. De plus, nous proposons une heuristique de résolution de PLVM, nommée restrict-and-fix, reposant sur la relaxation combinatoire de contraintes linéaire dans ses sous-problèmes. La définition des sous-problèmes de relax-and-fix ainsi que celle des sous-problèmes de restrict-and-fix reposent sur la décomposition structurelle du PLVM initial. La décomposition structurelle considère la liaison des variables par les contraintes linéaires, afin d’identifier des sous-problèmes faiblement liés. Avec une décomposition par véhicule, les contraintes faiblement liantes sont ici certaines contraintes sur les opérations sur les conteneurs. En effet, il y a un délai compté en jours (de 1 à 5 jours lors des expériences numériques) entre le déchargement d’un conteneur d’un véhicule et son chargement sur un autre véhicule, ce qui tend à découpler les opérations, notamment entre modes de transport. Notons que relax-and-fix est habituellement utilisée pour des problèmes de planification de la production avec des sous-problèmes par macro-période [9]. La décomposition structurelle s’est montrée significativement plus adaptée lors des expériences numériques, fournissant des solutions de meilleures qualités. 3 Expériences numériques Un générateur d’instances a été implémenté, inspiré de celui décrit dans [5]. Les trafics générés ont des caractéristiques proches de celles détaillées dans [5], correspondant au port d’Hambourg, avec un moindre volume d’EVP. Plusieurs configurations portuaires sont représentées, avec de un à trois terminaux à conteneurs. L’horizon de planification est entre cinq et sept jours, et la durée d’une période d’une ou deux heures. Des milliers d’instances diversifiées ont été générées avec plusieurs objectifs. 1. Comparer les différentes méthodes de résolution du problème. 2. Évaluer l’impact de paramètres temporels : longueur de l’horizon, largeur des fenêtres de temps, durée d’une période. 3. Quantifier les bénéfices de la coopération entre deux terminaux maritimes multi-modaux. 4. Estimer l’impact d’un terminal additionnel. Les conclusions des expériences sont résumées ci-dessous. Premièrement, les heuristiques permettent de traiter en moins de deux heures des instances de grandes tailles, avec un horizon à sept jours, trois terminaux multi-modaux et un trafic annuel de cinq millions d’EVP. Deuxièmement, la durée d’une période est le paramètre temporel impactant le plus fortement le temps de calcul et dans une moindre mesure la qualité des solutions. Une durée de deux heures semble être suffisante. Troisièmement, la coopération entre deux terminaux multi-modaux, c’est à dire la libre affectation des véhicules à ces terminaux et le TIT, permet de diminuer de 88% le coût global de retard, par rapport à la situation où les terminaux opèrent indépendamment dans des instances difficiles. Cette coopération nécessite un compromis entre le nombre d’escales à un terminal des véhicules et le TIT. Quatrièmement, à trafic égal, l’ajout d’un terminal n’augmente pas nécessairement le temps de calcul, par exemple s’il s’agit d’un terminal spécialisé pour l’hinterland, vers lequel une partie du trafic est redirigé. Toutefois, le TIT résultant de l’utilisation de terminaux spécialisés peut conduire à des retards voir au repoussement des dates échues pour obtenir une solution réalisable. A un niveau stratégique, les infrastructures nécessaires à ce transport doivent donc être dimensionnées avec soin, ce à quoi le modèle et les algorithmes proposés peuvent aider. Conclusion et perspectives Les problématiques liées à la coordination des opérations entre terminaux à conteneurs dans les grands ports maritimes et au TIT s’amplifieront avec la croissance et la complexification du trafic. Nous proposons le premier modèle multi-terminal et multi-modal de planification globale des opérations dans un port à conteneurs. La complexité de ce modèle a amené à l’adaptation et au développement de méthodes de résolution. Le développement d’autres heuristiques, métaheuristiques ou matheuristiques, permettrait d’accélérer la résolution du problème et de traiter des instances de plus grandes tailles, correspondant à des instances dans des hubs portuaires majeurs, comme le port de Rotterdam. Toutefois, les méthodes proposées permettent de traiter des instances difficiles avec un volume d’EVP supérieur à celui du port du Havre. Par ailleurs, la décomposition structurelle proposée peut être utilisée pour résoudre d’autres formulations et donc d’autres problèmes, avec une approche heuristique basée sur relax-and-fix, ou sur restrictand-fix. Notons que les opérations dans les ports à conteneurs sont sujettes à de nombreuses incertitudes, portant notamment sur les arrivées des navires. Une étude préliminaire en horizon glissant avec des perturbations sévères de ces arrivées montre qu’il est possible de préserver les décisions les plus importantes des solutions, c’est à dire les positions d’amarrage des navires et les terminaux de déchargement et de chargement des lots de conteneurs, dans le cas où les terminaux coopèrent. La planification de l’allocation d’espace de stockage aux conteneurs se base notamment sur ces décisions, et permet ensuite de déterminer précisément le routage des véhicules de transport intra-terminal et inter-terminal des conteneurs. RÉFÉRENCES Références [1] C. Bierwirth et F. Meisel. “A follow-up survey of berth allocation and quay crane scheduling problems in container terminals”. In : European Journal of Operational Research 244.3 (2015), p. 675 –689. [2] C. Bierwirth et F. Meisel. “A survey of berth allocation and quay crane scheduling problems in container terminals”. In : European Journal of Operational Research 202.3 (2010), p. 615 –627. [3] H. J. Carlo, I. F. Vis et K. J. Roodbergen. “Storage yard operations in container terminals : Literature overview, trends, and research directions”. In : European Journal of Operational Research 235.2 (2014), p. 412 –430. [4] H. J. Carlo, I. F. Vis et K. J. Roodbergen. “Transport operations in container terminals : Literature overview, trends, research directions and classification scheme”. In : European Journal of Operational Research 236.1 (2014), p. 1 –13. [5] S. Hartmann. “Generating scenarios for simulation and optimization of container terminal logistics”. In : OR Spectrum 26.2 (2004), p. 171–192. [6] M. Hendriks, D. Armbruster, M. Laumanns, E. Lefeber et J. Udding. “Strategic allocation of cyclically calling vessels for multi-terminal container operators”. In : Flexible Services and Manufacturing Journal 24.3 (2012), p. 248–273. [7] D.-H. Lee, J. G. Jin et J. H. Chen. “Terminal and yard allocation problem for a container transshipment hub with multiple terminals”. In : Transportation Research Part E : Logistics and Transportation Review 48.2 (2012), p. 516 –528. [8] Page personnelle de Rudy Negenborn. url : http : / / www . negenborn . net / rudy / projects_itt.html. [9] Y. Pochet et L. A. Wolsey. Production planning by mixed integer programming. Springer Science & Business Media, 2006. [10] K. Tierney, S. Voss et R. Stahlbock. “A mathematical model of inter-terminal transportation”. In : European Journal of Operational Research 235.2 (2014). Maritime Logistics, p. 448 –460. [11] L. A. Wolsey. Integer programming. T. 42. Wiley New York, 1998.