ComSanté – Centre de recherche sur la communication et la santé

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Les moyens de
communication de
masse : éléments de
l’environnement pouvant
favoriser la participation
sociale des personnes
ayant une déficience
intellectuelle
Sahar El Shourbagi
El Shourbagi, Sahar, 2010. « 3.4 Les moyens de
communication
de
masse :
éléments
de
l’environnement pouvant favoriser la participation
sociale des personnes ayant une déficience
intellectuelle » in Lise Renaud (dir.). Les médias et la
santé: de l'émergence à l'appropriation des normes
sociales, Coll. « Santé et société », Québec, Presses de
l'Université́ du Québec, p. 173-180.
Les moyens de communication de masse : éléments de l’environnement pouvant favoriser
la participation sociale des personnes ayant une déficience intellectuelle
3.4 Les moyens de communication de masse :
éléments de l’environnement pouvant favoriser
la participation sociale des personnes
ayant une déficience intellectuelle1
Sahar El Shourbagi, Ph. D.
RÉSUMÉ
Depuis longtemps, le Québec favorise l’intégration et la participation sociale des
personnes ayant une déficience intellectuelle (DI). Pour ce faire, toutefois, on n’a
procédé qu’à de rares adaptations des éléments de l’environnement. La situation
actuelle de ces personnes se particularise donc par la pauvreté, la dépendance, l’analphabétisme et l’isolement. Le modèle du Processus de production du handicap montre
que cette situation peut s’améliorer en adaptant certains éléments de l’environnement,
tels que la télévision et les affiches, aux caractéristiques de ces personnes.
Ces deux moyens de communication pourraient répondre aux besoins des ­personnes
affligée d’une DI et faciliter leur participation sociale en : favorisant une meilleure
acceptation de leur différence de la part du reste de la population ; encourageant
ces personnes à agir de façon autonome et à se sentir capables d’exécuter certaines
tâches ; rendant les informations plus accessibles et facilement décodables.
De plus, les concepteurs des messages médiatiques devraient avoir le souci ­d’adapter
leurs messages en fonction des caractéristiques et des besoins de ces personnes,
en simplifiant les textes ou en ajoutant des pictogrammes, par exemple.
ABSTRACT
For a long time, Québec has fostered the integration and social participation of
people with an intellectual disability. However, few adaptations of the environment
have been made. The current situation of these people is characterized by poverty,
dependency, illiteracy and isolation. The Processus de production du handicap (Disability Creation Process) model shows that this situation can be improved by adapting certain environmental elements, such as television and posters, to the
characteristics of these people.
These two modes of communication could respond to the needs of people with
an intellectual disability by more directly fostering their social participation. This
would contribute to increased acceptance of their differences on the part of the
general population, encourage them to act on their own behalf, encourage them
to feel they are capable of and will succeed at accomplishing a task, and better
serve them in terms of accessing information.
In addition, creators of media messages should assume the responsibility of
­adapting their messages to the characteristics and needs of people with an intellectual disability by such means as simplifying texts or adding pictograms.
Cet article est paru dans la Revue canadienne de santé publique, 2009, vol. 100, no 3, p. 212-214.
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Les médias et la santé : de l’émergence à l’appropriation des normes sociales
Introduction
La plupart des sociétés développées, dont le Québec, tentent d’encourager la
participation sociale des personnes ayant une déficience intellectuelle (DI), en
les incitant à utiliser les mêmes ressources que la population générale. Or, peu
d’adaptations s’inscrivant dans la même lignée que le Braille pour les aveugles
ont été proposées pour pallier les problèmes de ces personnes (Langevin et al.,
2003). C’est ainsi, comme le soulignent plusieurs études (Office des per­sonnes
handicapées du Québec, 2007 ; Bouchard et Dumont, 1996 ; Perreault, 1997),
que la plupart des déficients intellectuels sont pauvres, dépendants, mal
accueillis, peu stimulés socialement et qu’ils éprouvent des difficultés à
­demander de l’aide.
Toutefois, les études récentes nous montrent que la présence d’une DI ne
pourrait expliquer, à elle seule, la situation actuelle. Selon Powers (1996), les
personnes qui en sont affligées sont confrontées à des activités exigeant des
habiletés qu’elles ne possèdent pas. Selon le modèle du Processus de Production
de Handicap de Fougeyrollas (Fougeyrollas et al., 1998), les facteurs environnementaux (comprenant les moyens de communication), en interaction avec
leurs facteurs personnels, pourraient être des facilitateurs qui favorisent la
réalisation des activités quotidiennes, ou au contraire, des obstacles conduisant
à une situation de handicap (Rocque, 1997). Selon Langevin (1996), certains
éléments de l’environnement, tels que la communication, constituent des
en­traves à la participation sociale des personnes ayant une DI.
Le virage préconisé par ce modèle invite les responsables à abandonner
­l’approche centrée sur l’adaptation de la personne aux caractéristiques du
milieu. Dans le même ordre d’idées, le Centre de développement des transports
(1996) ajoute que la personne présentant une DI est la plus susceptible d’être
perturbée par les faiblesses des systèmes de communication. Ainsi, nous
pensons qu’il serait possible d’adapter les moyens de communication, soit en
utilisant des pictogrammes ou des symboles, soit en simplifiant les informations.
Dans cette perspective, comment les moyens de communication peuvent-ils
favoriser la participation sociale des personnes ayant une DI ?
Dans un premier temps, nous clarifierons les notions de déficience intellectuelle,
de participation sociale et de moyens de communication. Ensuite, nous
­cernerons les différents rôles de ces derniers.
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Les moyens de communication de masse : éléments de l’environnement pouvant favoriser
la participation sociale des personnes ayant une déficience intellectuelle
Déficience intellectuelle
La déficience intellectuelle (ou retard mental) est définie par l’American
­Association on Mental Retardation (AAMR) (2002) en fonction de l’inter­action
entre les caractéristiques du déficient et celles du milieu.
Le retard mental est une incapacité caractérisée par des limitations
significatives à la fois dans le fonctionnement intellectuel et dans les
comportements adaptatifs exprimés par des habiletés conceptuelles,
sociales et pratiques. Cette incapacité apparaît avant dix-huit ans
(AAMR, 2002, p. 19).
De leur côté, Dionne et ses collaborateurs (1999) ont proposé une synthèse
des caractéristiques cognitives et non cognitives des personnes présentant
une DI. Les caractéristiques cognitives consistent en un retard du développement intellectuel, un ralentissement et un arrêt prématuré du développement,
une moindre efficience du fonctionnement intellectuel, etc. Les caractéris­tiques
non cognitives, quant à elles, comprennent : une faible motivation, une faiblesse
de l’estime de soi, une certitude anticipée de l’échec, une faiblesse du degré
d’exigence, etc.
Participation sociale
Selon l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHP) (2007), une
­situation de participation sociale correspond à la pleine réalisation des habitudes
de vie. Ces dernières sont des activités que la personne doit effectuer pour
survivre et s’épanouir dans une société.
Moyens de communication
Compte tenu de l’état de pauvreté (OPHP, 2007) dans lequel vivent les déficients
intellectuels, les moyens de communication les plus présents dans leur vie sont
la télévision et les affiches. Nous nous intéresserons donc à ces deux seuls
moyens.
Caron-Bouchard et Renaud (2001) stipulent que tout message s’inscrit dans
un processus où l’émetteur formule un contenu, qu’il soumet ensuite à l’intelligence cognitive du récepteur. Les chercheures expliquent que le récepteur
s’approprie le message selon son contexte de vie et son état de santé. L’émetteur doit donc toujours prendre en considération les enjeux entourant le récepteur afin d’assu­rer sa compréhension. De plus, selon Proulx et Maillet (1998),
La déficience intellectuelle est appelée aussi « retard mental » ou « incapacité intellectuelle », par
certains organismes.
Traduction libre de « Mental retardation is a disability characterized by significant limitations both
in intellectual functioning and in adaptative behavior as expressed in conceptual, social and practical
adaptative skills. This disability originates before age 18 » (AAMR, 2002, p. 19).
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Les médias et la santé : de l’émergence à l’appropriation des normes sociales
le décodage d’un message dépend des caractéristiques des publics ainsi que
des caractéristiques structurelles du message. À cet égard, le Comité régional
des associations pour la déficience intellectuelle (CRADI) (2006) explique que
la signalisation dans les moyens de transport ne s’est pas adaptée aux besoins
de cette clientèle.
De leur côté, Caron-Bouchard et Renaud (2001) affirment que la télévision est
l’un des moyens de communication incontournables pour faire la promotion
des saines habitudes de vie. Toutefois, les déficients intellectuels sont privés
d’une explication convenant à leurs caractéristiques. Autrement dit, le recours
à la vulgarisation et l’emploi de pictogrammes pour accompagner les propos
tenus à la télévision sont insuffisants.
À la lumière du modèle de Fougeyrollas (Fougeyrollas et al., 1998), les affiches
et la télévision (lesquelles font partie des facteurs environnementaux), peuvent
être adaptées pour réduire la situation de handicap.
Rôles des affiches et de la télévision
Nous allons cerner ces rôles en fonction de trois axes :
Axe 1 : population générale
Sur ce plan, le but serait de changer les attitudes de la population générale
envers les personnes présentant une DI. Pour ce faire, il faut arrêter d’infantiliser
celles-ci, sensibiliser la population à vivre à leurs côtés et vaincre les préjugés.
Thomas (1999) nous informe que dans un environnement social où les médias
ont mis en valeur la performance et l’apparence physique, la personne visiblement handicapée se trouve fatalement dans une situation de décalage avec
son environnement.
La population générale ne devrait plus conférer à la personne déficiente
­intellectuellement un statut à part. Elle devrait reconnaître que celle-ci est
­différente certes, mais égale aux autres.
À cet égard, les films et les émissions télévisées pourraient présenter plus
souvent ces personnes comme des concitoyens qui ont des droits, qui peuvent
nous côtoyer sans danger et qui détiennent à la fois des forces et des limites,
etc. Ces productions télévisées pourraient contribuer à améliorer l’attitude de
la population à leur endroit. Par exemple, les émissions sur l’activité physique
pourraient présenter un groupe au sein duquel évolue une personne visiblement déficiente. Il pourrait en être de même des personnes apparaissant sur
les affiches publicitaires.
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Les moyens de communication de masse : éléments de l’environnement pouvant favoriser
la participation sociale des personnes ayant une déficience intellectuelle
Ainsi, nous recommandons que les affiches publicitaires et la télévision ­projettent
des images positives des personnes présentant une DI, pour favoriser une
meilleure acceptation de leur différence chez le reste de la population.
Axe 2 : personnes ayant une DI
Les déficients intellectuels possèdent des caractéristiques non cognitives telles
qu’une faible estime de soi, une certitude anticipée de l’échec, etc., qui ont un
effet négatif sur leur participation sociale.
Dans cette perspective, il nous apparaît pertinent, pour réduire le dévelop­
pement de ces caractéristiques non cognitives, que la télévision expose des
expériences positives d’intégration, ou tout au moins, quelques-unes des forces
de ces personnes.
Ainsi, en présentant des exemples de tâches réussies par ces dernières, cela les
encouragera à utiliser les services de leurs milieux et les aidera à être plus
autonomes. Dans un film, on pourrait présenter par exemple une personne
visiblement déficiente utilisant seule un moyen de transport, ou faisant seule
une course à l’épicerie.
Nous recommandons donc que les affiches publicitaires et la télévision ­projettent
des images de personnes présentant une DI ayant réussi une action, afin
­d’encourager leurs semblables à agir de façon autonome et à se sentir capables
d’accomplir les tâches qu’elles entreprennent.
Axe 3 : messages médiatiques
Les affiches publicitaires et la télévision transmettent un contenu informatif
qui, s’il était simplifié ou enrichi de symboles, pourrait aider à la réalisation
d’activités telles que le déplacement (p. ex., les signalisations dans les moyens
de transport) ou l’alimentation (p. ex., les informations sur les aliments).
Les connaissances en ergonomie ont aidé à créer des aménagements environnementaux facilitant l’intégration des personnes affligées d’une déficience
motrice ou sensorielle (p. ex., les rampes d’accès) (Langevin, 1996). Nous pourrions appliquer ce même principe au langage utilisé dans les messages
­médiatiques, en essayant d’en réduire la complexité.
Il s’agirait de simplifier les messages en intégrant davantage de pictogrammes,
en fournissant plus d’explications, etc. Un message s’adressant à une personne
présentant une DI doit être : 1) facile à lire, 2) facile à comprendre (Langevin
et al., 2003). De plus, on doit tenir compte de son besoin d’informations de base
en matière de droits de la personne, d’accès aux services, de transports, etc.
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Les médias et la santé : de l’émergence à l’appropriation des normes sociales
En guise d’exemple, une affiche claire et simple dans un moyen de transport
aidera une telle personne à s’orienter dans ses déplacements. Un concepteur
de messages publicitaires sur la nutrition pourra faire appel à une personne
ayant une DI (légère) pour en simplifier le contenu informatif et en faciliter le
décodage.
Bref, ces trois axes portent sur l’adaptation des messages médiatiques soit pour
améliorer les attitudes de la population générale, soit pour améliorer les caractéristiques non cognitives des personnes affligées d’une DI, ou encore pour
leur faciliter l’accès aux informations.
Conclusion
Les émetteurs médiatiques devraient travailler à adapter leurs messages, tant
au plan du fond que de la forme, en fonction des caractéristiques de ce public
cible. En accord avec le modèle PPH de Fougeyrollas (Fougeyrollas et al., 1998)
et à partir des travaux basés sur nos hypothèses, nous croyons que les émetteurs
médiatiques devraient être davantage sensibilisés aux difficultés des personnes
qui composent leur public.
Références
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Definition, classification and systems of supports, Washington, AAMR.
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intellectuelle, Québec, Direction générale de la planification et de ­l’évaluation,
Ministère de la Santé et des Services sociaux.
Caron-Bouchard, M. et L. Renaud (2001). Pour mieux réussir vos communications
médiatiques en promotion de la santé : guide pratique, 2e éd, Québec, Ministère de la Santé et des Services sociaux.
Centre de développement des transports (CDT) (1996). Améliorer l’information
des usagers : Lignes directrices pour la conception d’une signalisation favorisant
une meilleure accessibilité des transports, Centre de dévelop­pement des
transports.
Comité régional des associations pour la déficience intellectuelle (CRADI) (2006).
« Un comité de travail à la STM », INFOCRADI, vol. 4.
Dionne, C. et al. (1999). « Le retard du développement intellectuel », dans
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­intégrative, Montréal, Gaëtan Morin.
Fougeyrollas, P., L. Noreau et G. St-Michel (1998). La mesure des habitudes de
vie. Instrument détaillé (MAHVIE 3.0), Lac Saint-Charles, CQCIDIH.
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Les moyens de communication de masse : éléments de l’environnement pouvant favoriser
la participation sociale des personnes ayant une déficience intellectuelle
Langevin, J. (1996). « Ergonomie et éducation des personnes présentant des
incapacités intellectuelles », Revue francophone de la déficience intellectuelle,
vol. 7, no 2, p. 135-150.
Langevin, J., C. Dionne et S. Rocque (2003). « Incapacités intellectuelles : contexte
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et S. Bélanger, La pédagogie de l’inclusion scolaire, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 173-203.
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qc.ca/index.htm> (Consulté le 14 février 2008).
Perreault, K. (1997). Pour mieux comprendre la différence. Une étude sur les besoins
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de la Santé et des Services sociaux.
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