Analyse de la production des sols urbains au Tchad : cas de N
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Analyse de la production des sols urbains au Tchad : cas de N
Analyse de la production des sols urbains au Tchad : cas de N’Djamena Iya Moussa Université de Ngaoundéré Camerou, [email protected] Tob’ro N’dilbé, Université de Ngaoundéré Cameroun Résumé L’un des problèmes engendrés par l’urbanisation galopante en Afrique en général et au Tchad en particulier est celui lié à la production des sols urbains. Cette contribution analyse ce secteur en prenant l’exemple de N’Djamena . Il en ressort que cette production repose sur des textes en vigueur et qu’elle fait intervenir une multitude d’acteurs. Cependant ces textes officiels sont à peine respectés et les pouvoirs publics ne maîtrisent pas ce secteur comme cela se doit. Compte tenu des pratiques urbaines, il s’avère nécessaire qu’une relecture de ces textes officiels soit faite dans le but de faciliter et simplifier la procédure de production des sols urbains. Mots clés : sol urbain, Tchad, urbanisation, acteur. Abstract : One of the problems caused by rapid urbanization in Africa in general and in particular in Chad is the one related to the production of urban land. This contribution analyses this sector using the example of N'Djamena. It appears that this production is based on laws in force and that involves a multitude of actors. However, these texts are hardly respected and the government were not keeping pace with the industry as is required. Given the urban practices, it is necessary that a reading of these texts is done in order to facilitate and simplify the procedure for the production of urban land. Keywords : urbanization, land possession, law texts, Chad Introduction Dans les pays en voie de développement en général et en Afrique en particulier, la croissance démographique a entraîné une forte demande en sols urbains pour les constructions et l’implantation d’équipements divers. Pour satisfaire cette forte demande, on note une multitude d’acteurs qui interviennent dans la production de ces sols, utilisant des instruments variés. Cependant, les pouvoirs publics semblent n’avoir pas toujours maîtrisé ce secteur du foncier (Iya, 2000), car les problèmes liés à l’occupation anarchique des sols ainsi que ceux de l’accès à la propriété foncière et leurs conséquences continuent à préoccuper les gestionnaires des villes (Tientcheu, 2003). Comment sont produits les sols urbains et quelles sont les conséquences de la non maîtrise de cette production sur la gestion foncière ? Nous allons chercher la réponse à cette question à travers une étude de la ville de N’Djamena au Tchad. Présentation de la zone d’étude Le Tchad est localisé au centre du continent africain. Il est situé entre les 8e et 24e degrés de latitude Nord, et entre les 14e et 24e degrés de longitude Est et couvre une superficie de 1 284 000 km2. Il jouit des frontières communes avec la Libye au nord, le Soudan à l’Est, la République Centrafricaine au sud, le Cameroun, le Niger et le Nigeria à l’Ouest (carte n°1). Ce pays est situé à 1500 kilomètres de Kribi, façade maritime la plus proche. N’Djaména sa capitale est située à 12°8 de latitude nord et à 15°2 de longitude Est. Elle est localisée à l’Ouest du Tchad à la frontière avec le Cameroun et à environ 8 kilomètres au sud du Lac Tchad. La ville s’étend en amont et en aval de la confluence du Logone et du Chari sur la rive droite de ce dernier. Cette situation confère à la ville un cadre physique particulier. Du point de vue topographique, N’Djaména est implantée sur une plaine alluviale dont l’altitude varie entre 293 et 298 mètres. Cette situation confère à la ville un site parfaitement plat. Les précipitations se produisent à N’Djaména entre mai et octobre sous forme d’averses. La pluviométrie moyenne annuelle varie de 500 à 700 mm. Les maxima se situent à 900 mm et les minima à 226 mm. Les températures sont élevées à N’Djaména atteignant le maximum au mois d’avril avec 47°C. La moyenne annuelle est de l’ordre de 28°C. La température minimale est de l’ordre de 20°C. Les mois de décembre et janvier sont les plus froids. 1 Cadre conceptuel Nous devons définir les concepts qui permettent de comprendre d’une part la notion de sols urbains et d’autres part celle d’acteurs de cette production. Un sol urbain Les sols urbains sont les terrains aménagés et prêts pour la construction ou l’implantation des équipements. Au Tchad, la réglementation régissant la production des sols urbains, inspirée de la réglementation française se base sur trois textes principaux qui remontent pour l’essentiel à 1967. Ces textes relayés par le P.U.R. stipulent officiellement que le lotissement constitue le mode essentiel de production de sols urbains permettant l’extension des villes. Mais dans la pratique, deux modes de production coexistent : le lotissement et l’occupation non planifiée. Les acteurs Un acteur est celui qui agit ou mieux celui qui prend une part importante dans une action. L’action humaine est pour une part importante une action géographique parce qu’elle se réalise sur l’espace. Ainsi comme le souligne BRUNET (1996), un acteur en géographie, est « une personne physique ou morale possédant le pouvoir d’agir sur une certaine portion de la surface terrestre, de la transformer, d’en user suivant ses intentions et ses besoins ». La ville étant une diversité d’obligations auxquelles l’ont doit faire face, cette diversité d’obligations induit une diversité d’acteurs que l’on peut classer en deux grandes catégories : l’Etat et la collectivité locale d’une part et les acteurs privés qui intègrent les associations de quartiers, les comités d’assainissement, les ONG, les élites locales, etc., d’autre part. Cadre méthodologique Pour répondre à la question de recherche posée dans l’introduction, nous formulons l’hypothèse que dans la production des sols urbains interviennent une multitude d’acteurs avec des instruments différents, causant ainsi une non-maîtrise de ce secteur par les pouvoirs publics. Pendant les travaux de collecte des données il s’agissait d’exploiter les textes de lois, décrets et règlements relatifs à notre sujet et mener des entretiens avec les différents acteurs impliqués dans cette production et les gestionnaires de la ville. Les informations obtenues ont été traitées au moyen des cartes et de statistiques simples. Résultats Une forte croissance démographique et spatiale A l’image de la plupart des villes de l’Afrique, N’Djaména connaît une croissance démographique extrêmement rapide. En effet, peuplée de 2100 habitants en 1921, la bourgade coloniale de Fort-Lamy (devenue N’Djaména) verra sa population croître à un rythme accéléré et atteindre successivement 12100 habitants en 1940, 64 997 habitants en 1960, 317 959 habitants en 1978, 425 600 habitants en 1990 (Goual, 1999) et en 2004 un effectif de 1 060 000 habitants. Cette croissance rapide et continue de la population s’est accompagnée d’une extension spatiale considérable. Cette dernière est passée de 2 840 ha en 1971 à 4 500 ha en 1984, puis 5 900 ha en 1995 (Ngaressem, 1998) et 7 120 ha en 1999 (Bceom, 1999). Mais quels sont les facteurs qui ont favorisé cette extension de la ville ? Les principaux acteurs - Les services techniques de l’administration centrale Au Tchad, l’État a confié les différentes tâches de la gestion des villes à divers services techniques spécialisés. Ces services dépendent de plusieurs départements ministériels. Selon le décret N°331/PR/PM 2002 portant structure générale du gouvernement et attribution de ses membres. Nous distinguons : le Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat, le Ministère des Finances et de l’Économie, le Ministère des Travaux Publics et des Transports, le Ministère de la santé Publique, le Ministère de l’Éducation Nationale et diverses autres institutions étatiques. Le Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat (MATUH) Le MATUH. est le département clé de la planification urbaine au Tchad. Il est chargé de la conception, de la coordination, de la mise en œuvre et du suivi de la politique du gouvernement en matière d’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat. Au sein du M.A.T.U.H., on rencontre les Directions : de l’Urbanisme, de l’Habitat et celle des Tavaux de Bâtiments Civils qui ont vocation à mettre en place des équipements urbains. La Direction de l’urbanisme Elle a pour mission de concevoir, d’organiser et d’appliquer les éléments de la politique urbaine sur l’ensemble du territoire national. La Direction de l’Urbanisme est actuellement chargée de : -L’élaboration des documents d’aménagement et d’urbanisme et du contrôle de leur application et leur révision sur l’ensemble du territoire national ; -La planification et la répartition des équipements et des activités ; -Contrôler la localisation et l’intégration des équipements publics décidés par diverses personnes morales de droit public ; -Définir les niveaux de viabilisation suivant les types de quartiers ; -Créer et contrôler les réserves foncières dans les zones urbaines et périurbaines n’appartenant pas au domaine privé des collectivités locales. La Direction de l’Urbanisme exécute ces tâches par le biais des quatre divisions dont elle dispose : Divisions de la Planification Urbaine, des Équipements Urbains, des Études Générales et Législation, de la Topographie et de la Cartographie. La Direction du Cadastre Intégrée au rang de direction à l’intérieur du MATUH depuis 2002, le Cadastre est chargé : - De l’établissement et de la conservation des documents cadastraux (plans, graphiques, matrice, état de cession des plans parcellaires) ; - De l’identification et du recensement des propriétés en vue de la définition de l’impôt foncier ; - De l’exécution des bornages relatifs aux réquisitions d’immatriculation ; - Des études, de la production, de l’exploitation de tous les documents cadastraux relatifs à la propriété foncière ; - De l’implantation des lotissements nouveaux ; - De l’identification des parcelles sur la base des listes transmises par la commission d’attribution ; - De l’enrôlement des attributaires en première option. La direction du cadastre participe également à l’instruction des dossiers de constructions publiques ou privées, au bornage des terrains urbains, périurbain et ruraux, à l’adjudication des biens domaniaux. C’est elle qui assure le secrétariat de la commission d’attribution des terrains en zone urbaine depuis 1997. De façon pratique, la direction du cadastre intervient dans les travaux de lotissement, de restructuration et de bornage des terrains urbains. La Direction de l’Habitat La Direction de l’Habitat a pour mission de se concentrer sur les seuls volets liés à l’habitat. A cet effet, elle se charge de : - Définir les conditions techniques d’une politique de l’habitat (auto construction, matériaux de construction, promotion immobilière, etc.) ; - Gérer toutes les questions relatives à la réglementation en matière d’habitat et de construction ; - Mettre en place, tenir et gérer une banque de données de l’habitat ; Étudier les dossiers de construction ; Élaborer, centraliser et diffuser les textes relatifs aux professions d’architectes, de promoteurs immobiliers, de bureau d’étude technique, d’ingénieurs conseils et d’entrepreneurs en collaboration avec les services intéressés. En dehors des Directions techniques du MATUH, des services dépendants de certains ministères interviennent également dans la planification et la mise en place des équipements urbains. La Direction de l’Enregistrement des Domaines, du Timbre et de la Conservation Foncière ( DEDTCF) La DEDTCF est rattachée au Ministère des Finances et de l’Économie. Elle intervient ici dans le recouvrement des différentes recettes inhérentes au foncier. A cet effet, elle s’occupe des biens fonciers, domaniaux et immobiliers. Ses attributions ont été précisées par les lois 23, 24 et 25 du 22 juillet 1960 portant statut des biens domaniaux, régime de la propriété foncière et des droits coutumiers, limitation des droits fonciers et leurs décrets d’application numéros 185, 186 et 187 du 1er août 1967. Elle gère tous les biens domaniaux sur l’étendue du territoire national. Cette direction compte trois services spécialisés : le service des affaires domaniales, du foncier et de la curatelle, le service des recettes, de la comptabilité et du timbre et le service des études, du personnel et du matériel. Elle s’occupe de façon générale de l’exécution de la politique fiscale et domaniale de l’Etat. C’est donc dans le domaine foncier et immobilier que cette sous direction est très active. Sa compétence recouvre toutes les transactions urbaines, ainsi que le montage des dossiers et le recouvrement des coûts des attributions et des ventes de terrains urbains que lui reverse le cadastre. Depuis août 1997, c’est le directeur des domaines qui est le président de la Commission d’Attribution de Terrain en Zone Urbaine (CATZU). Instruments Au Tchad, la réglementation régissant la production de terrains à bâtir, inspirée de la réglementation française se base sur trois textes principaux qui remontent pour l’essentiel à 1967. Ces textes relayés par le P.U.R. stipulent officiellement que le lotissement constitue le mode essentiel d’extension de la ville de N’Djaména. Mais dans la pratique, deux modes d’extension coexistent. Il serait donc intéressant de les examiner afin de voir comment les différents acteurs obtiennent l’espace nécessaire aux équipements qu’ils désirent implanter ? Le lotissement Le concept de lotissement dérive du verbe lotir qui signifie diviser en lots. En géographie urbaine, ce concept a deux sens. Il désigne d’abord une opération, celle qui consiste à diviser en lots une ou plusieurs propriétés foncières pour y construire des habitations. Il évoque aussi le résultat de l’opération, c’est dire l’ensemble des habitations réalisées (Cabanne, 1992). Dans le cadre de cette étude nous allons appréhender ce concept suivant son premier sens c’est à dire le morcellement d’une portion d’espace urbain en des espaces de plus petites dimensions appelées lots. Ces derniers sont mis à la disposition des usagers pour utilisation à des fins variées. Pour rendre effective cette opération d’urbanisme, plusieurs acteurs (pouvoirs publics et municipalité) interviennent. En ce qui concerne N’Djaména, le périmètre urbain affecté à la ville est géré conjointement entre la commune et l’administration centrale. Ce sont les directions de l’urbanisme et du Cadastre qui aident la commune à produire l’espace nécessaire à son urbanisation et à organiser la localisation des équipements dont a besoin le cadre urbain. De façon théorique comme le montre la figure n°1, l’initiative du lotissement émane du MATUH et, ce sont ces Directions techniques qui donnent vie à l’opération en effectuant les différentes études nécessaires. Ces travaux se réalisent en deux grandes phases : la conception des différents plans et leur implantation. La première phase est exécutée par la Direction de l’urbanisme et la seconde par celle du Cadastre. Avant l’implantation des plans de lotissement, ces derniers sont soumis à l’appréciation d’une instance dénommée : Commission d’urbanisme pour la ville de N’Djaména (décrite plus bas) pour appréciation en vue de l’obtention du visa pour application. En cas d’accord de la commission, la Direction du Cadastre se charge de sa réalisation sur le terrain. Les terrains à bâtir produits par le lotissement sont ensuite attribués aux usagers par une commission dénommée : Commission d’Attribution de Terrain en Zone Urbaine (CATZU). Après les attributions, 10% de la valeur des parcelles vendues sont reversés à la commune de N’Djaména. Phases COMPÉTENCES ET TRAVAUX Direction de Direction du Commission Commune C.A.T.Z.U l’urbanisme cadastre d’urbanisme 1ère Elaboration 2e 3e du plan Approbation Exécution Attribution 4 e 5e Attribution de 10% de la valeur des parcelles Figure 1 : Procédure d’élaboration de lotissements au Tchad La production de sols urbains à N’Djaména s’effectue ainsi de façon théorique en cinq phases. Mais, qu’en est-il dans la pratique ? Comme nous venons de le voir, l’établissement des lotissements urbains comporte deux grandes phases : la conceptions des différents plans et leur implantation. Ces opérations font appel à deux directions du M.A.T.U.H. : la direction de l’urbanisme et celle du cadastre. Théoriquement, l’intervention de la direction du cadastre se situe en aval de celle de la direction de l’urbanisme. En effet, c’est cette dernière qui est chargée d’effectuer les levés topographiques en vue de la conception des plans de lotissement. Une fois les plans conçus, la direction de l’urbanisme les soumet pour adoption par la commission d’urbanisme. C’est après l’adoption du plan par la commission d’urbanisme que la direction de l’urbanisme le transmet à celle du cadastre pour exécution. Mais dans la réalité, les choses ne se passent pas toujours comme prévues. En effet, faute de moyens financiers pour procéder aux levés indispensables pour la conception des plans, la réalisation de ces derniers connaît souvent de grands retards. Aussi, jusqu’en 2002, année où la Direction du Cadastre était sous tutelle du M.F.E., il arrivait que les agents du cadastre réalisent eux-mêmes des plans des lotissements qu’ils exécutent sans passer par la voie normale, c’est à dire l’adoption par la commission d’urbanisme (Dobingar, 2001). Inversement, ceux de l’urbanisme réalisent des plans qu’ils implantent sans l’avis de la commission d’urbanisme. Dans la majeure partie des cas, ces opérations s’effectuent à l’insu des services techniques de la Mairie. Les avantages financiers qu’accorde l’Etat aux techniciens qui réalisent ces opérations ainsi que les opportunités d’effectuer des bornages privés clandestins, production d’actes illégaux d’attribution de terrain (Beaujeu-Garnier, 1995), sources supplémentaires de revenus semblent être le moteur de ces trafics. Le lotissement, opération d’intérêt public est ainsi dans la réalité un jeu de profit ou chacun cherche à y tirer son épingle. L’objectif principal du lotissement est de mettre à la disposition des citadins des parcelles viabilisées. Dans le contexte du Tchad, « La ville est en effet appréhendée […] comme un espace neutre qu’il suffit de quadriller avec des rues et des équipements pour qu’elle fonctionne d’elle-même » (Dobingar, 2001.). Comme le montre le tableau n°1, les lotissements effectués portent sur des espaces dont la superficie varie entre 40 et 280 ha, celle des parcelles oscille entre 450 et 650 m2 dans les quartiers traditionnels et entre 1 000 et 1 300 m2 dans les zones résidentielles. En matière de voirie urbaine, la largeur des voies principales est comprise entre 30 et 40 mètres, celle des voies secondaires varie de 10 à 20 mètres et celle des voies tertiaires est inférieure à 10 mètres. Au delà de 1986, lors de nos enquêtes de terrains, les données n’étaient pas disponibles. Il faut cependant noter que la majorité des extensions ont été faites de manière non planifiée, d’où l’indisponibilité des documents. Tableau n°1 : Lotissements réalisés hors de la voie de contournement de 1965 à 1986 Quartiers Date Superficie Nombre Surface d’attribution (ha) de lots moyenne de la parc (m2) Diguel Tanneur 1965 70 1200 435 Diguel Tanneur 40 420 spontané Diguel Est 1984 240 2860 425 Diguel Nord 1986 170 2000 540 N’Djari 1974 260 1580 600 Am Toukouî 1975 280 2160 580 Chagoua 1986 230 2500 690 Source: Plan Urbain de Référence. Occupation non planifiée et spontanée Le schéma des villes où la croissance périphérique est le fait de nouveaux migrants ruraux qui s’établissent sommairement à la périphérie ne se vérifie pas pour le cas de la ville de N’Djaména. En effet, pour cette ville, la croissance périphérique est l’œuvre des citadins de longues dates, qui pour diverses raisons, préfèrent quitter les quartiers centraux pour aménager à la périphérie (NGARESSEM, 1998). L’extension de la ville s’est faite par un mouvement centrifuge des populations des quartiers centraux vers la périphérie, seule zone disponible pour obtenir facilement par l’entremise des chefs traditionnels, un lopin de terre. En prenant l’exemple du quartier Chagoua, comme le montre le tableau n°2, trois principales raisons ont incité la population actuelle à prendre d’assaut cet espace. Sur un échantillon de 385 personnes enquêtées, la grande majorité, c’est à dire 61 % l’a fait à cause des coûts abordables de terrains. Beaucoup prétendent qu’à l’époque où ils se sont installés, les terrains coûtaient dans entre de 10 000 et 20 000 f CFA. Pour d’autres (36 %), la présence des gens de la même ethnie qu’eux a été pour beaucoup dans leur installation dans ce quartier. Ceci s’explique par la psychose de la guerre civile qu’a connue la ville et son corollaire, les affrontements ethnico religieux. Pour éviter de revivre la même situation, beaucoup de N’Djaménois se regroupent par affinité ethnique. Les opportunités agropastorales qu’offre la disponibilité de vastes espaces à la périphérie de la ville ont été la raison principale de l’installation d’une minorité (2,08 %) de ménages. Tableaux n°2 : Raisons d’installation de la population à Chagoua. RAISONS D’INSTALLATION EFFECTIFS POURCENTAGE Coût abordable de terrain 235 61,04 Opportunités agropastorales 8 2,08 Présence d’un parent 142 36,88 TOTAL 385 100 Source : Enquêtes de terrain mai-juin 2004. Accès à la propriété foncière Les sols urbains produits par le biais du lotissement sont mis à la disposition des usagers en suivant une procédure bien déterminée. L’attribution de terrains se fait selon deux modes : soit par adjudication, soit de gré à gré. L’attribution par adjudication se fait lorsque, pour un même terrain, on enregistre plusieurs demandes. Dans ce cas, la commission d’attribution de terrains étudie les dossiers et attribue le terrain au plus offrant, en veillant à ce que le bénéficiaire ne soit pas propriétaire de plus de deux terrains. Ce principe est très peu appliqué par rapport au gré à gré. Pour ce deuxième cas, la demande de l’intéressé est soumise à l’appréciation de la commission. Après étude, le président de la commission notifie les conclusions à l’intéressé qui, en cas d’accord est tenu de payer au service du cadastre les frais des taxes de bornage et les frais de publicité. Ensuite, l’intéresse verse la valeur intégrale du terrain au service des domaines et ce, en une seule tranche (300 FCFA / m2 pour les terrains de type B et 500 FCFA / m2 pour les terrains de types A). L’exécution de ces deux premières étapes donne droit à l’octroi du permis d’habitat à l’intéressé. Ensuite, l’intéressé est tenu de mettre en valeur son terrain après obtention du permis de construire pour les bâtiments en dur. L’octroi de la concession définitive est délivré par arrêté du Ministre des finances après constat de mise en valeur obligatoire pour les terrains de catégorie A. L’immatriculation est la dernière étape du processus, elle donne droit au titre foncier, seul document pouvant garantir à l’intéressé la possession de son terrain. Le citoyen qui désire acquérir un terrain à N’Djaména doit suivre une procédure simple. Il est tenu d’adresser une demande d’octroi de terrain au directeur du cadastre qui est le président de la commission d’attribution de terrain. Cette demande est déposée au secrétariat de la commission d’attribution de terrain en zones urbaines. Cette étude consiste à vérifier si le demandeur est mineur ou majeur, s’il n’a pas un terrain impayé aux Domaines, s’il n’a pas déjà bénéficié de terrain lors des précédentes attributions etc. Au cas où ces situations se présentent, la demande est rejetée. Notons également que la satisfaction de la demande est fonction de la disponibilité de terrain, ce qui n’est pas souvent le cas. En cas de satisfaction, la commission communique au demandeur les références de sa parcelle ainsi que son montant. La commission constitue le dossier de gré à gré et l’envoie aux Domaines. Au niveau des Domaines, le dossier est saisi puis envoyé à la Mairie afin de procéder aux affichages pour voir s’il n’y a pas d’opposition à cette attribution. Si au bout d’un mois il n’y a pas d’objection, le certificat de non opposition d’avis au public est établi et le dossier est de nouveau renvoyé aux Domaines pour un terrain en zone traditionnelles. Si c’est une zone résidentielle, on procède à l’adjudication avant de passer à l’étape suivante. Dès que le dossier revient aux Domaines, une lettre de mise en paiement est adressée au demandeur pour lui notifier de venir payer les frais du terrain. Ce paiement s’effectue au service des Domaines après versement des frais d’enregistrement qui sont de 10% du terrain. Le paiement pour sa part s’effectue suivant la grille de prix en vigueur. Comme le montre le tableau n°3, le prix du terrain nu varie en fonction de la largeur des rues qui le côtoient. Tableau n°3 : Structure du prix du terrain nu en fonction de la largeur des rues LARGEURS DES RUES (en mètre) PRIX DU TERRAIN NU (en franc C.F.A.) [ 0-15[ 300 [ 15-40[ 400 [40 et plus [ 1 000 Source : Ordonnances et note de services en vigueur L’attributaire s’acquitte également des frais de taxe de bornage qui sont fonction des surfaces de parcelles (voir tableau n°4) et des frais de tirage de plan au cadastre qui les reverse au Trésor ainsi que les frais de publicité (10 000 FCFA) et la taxe superficielle qui est de 10 FCFA / m2 au niveau de la commune. Tableau n°4 : Structure de la taxe de bornage en fonction de la taille des parcelles SURFACES DE PARCELLES (en m2) PRIX (en franc C.F.A.) [0-300[ 20 000 [300-400[ 25 000 [400-800[ 30 000 [800-1000[ 35 000 [1000-1200[ 40 000 [1200 et plus [ 50 000 Source : Ordonnances et note de services en vigueur Au cas où le demandeur paie la totalité du prix du terrain et les frais annexes, le projet d’arrêté de gré à gré est préparé et soumis à la signature du Ministre des Finances. Dès que le terrain est payé, l’intéressé peut le mettre en valeur, condition sine qua non pour l’obtention du titre foncier. Cependant, la mise en valeur est soumise à l’obtention d’un permis de construire. Après mise en valeur, l’attributaire demande au cadastre de lui faire la mise à jour de son plan en y intégrant son investissement (bâtiment, hangar ou clôture, etc.) réalisé sur ledit terrain et exige un constat de mise en valeur. Pour répondre à la demande, la Mairie envoie sur le lieu son équipe qui se charge de vérifier la conformité du cahier des charges. Après le constat, le calcul de la valeur du bâti est effectué et soumis aux membres de la commission pour vérification, saisie puis envoie aux Domaines. Le dossier arrivé aux Domaines est transféré au Cadastre pour signature des procès-verbaux de bornage. Après signature des procès-verbaux de bornage, le dossier est de nouveau expédié aux Domaines. La conservation foncière délivre à l’intéressé le Certificat de propriété. Après avoir délivré le certificat d’immatriculation, le conservateur envoie le dossier au Procureur de la République qui lui donne en retour, l’ordonnance pour l’immatriculation du titre foncier. Une fois l’ordonnance reçue, le conservateur foncier affecte un numéro par ordre chronologique au dossier avant de décrire dans le livre foncier la contenance de ce titre. Il monte ensuite un livret contenant les mêmes informations transcrites dans le livre foncier : c’est le titre foncier. Ce dernier est la pièce juridique qui est remise à l’intéressé. C’est à ce moment seulement que l’attributaire peut se réclamer propriétaire de ladite parcelle. Phases 1ère 2e 3e 4e 5e 6e e COMPETÉNCES ET TRAVAUX C.A.T.Z.U. Domaines Commune Cadastre Procureur de la République Etude de la demande Saisi du dossier Publicité Mise en paiement Constat de mise en valeur Montage du P.V de bornage. Délivrance du T.F. 7 Figure n°2: Procédure de délivrance de titre foncier au Tchad L’accès à la propriété foncière s’effectue ainsi en sept grandes étapes (résumé à la figure n°2) faisant appel à diverses directions techniques de l’administration centrale ainsi que la commune. C’est une procédure longue et coûteuse pour le citoyen qui désire acquérir légalement son lopin de terre. Mais, quelle est la situation de cette procédure sur le terrain ? Dans la pratique, ce processus est rarement accompli, seules les deux premières étapes sont respectées. En effet, du fait du manque de rigueur au regard des paiements effectifs et de la mise en valeur des parcelles, les attributaires se contentent généralement du reçu des taxes de bornage et du versement de la première tranche du prix du terrain au cadastre. Ils construisent leur logement et beaucoup négligent de payer leur terrain aux domaines, comme le montrent les chiffres suivants issus du service des domaines : sur les 65 000 parcelles répertoriées en 2004 à N’Djaména, seulement 20 000 sont reconnues légales par les Domaines, soit près de 70 % en occupations abusives. 2 600 de ces parcelles sont immatriculées à ce jour, soit 13 % des parcelles légales. Une enquête détaillée sur les parcelles du quartier Chagoua nous permet de mieux apprécier cette situation. En effet, comme le montre le tableau n°5, sur les 385 ménages que nous avons enquêtés, seuls 3,63 % sont en situation régulières, c'est-à-dire qu’ils disposent du titre foncier, document qui garantie leur propriété. Les détenteurs du Permis d’habitation sont encore moins nombreux que ceux ayant un titre foncier, soit 2,08 % de parcelles. A Chagoua, à peine 2 % de propriétaires de terrains ont versé au moins 25 % du prix de leur terrain. L’Attestation de vente (qui est beaucoup plus délivré en cas d’achat avec un particulier) et le Plan Cadastral sont les documents que l’on retrouve le plus souvent chez les propriétaires de parcelles, avec respectivement 61,82 % et 32,47 %. Cela s’explique par le souci pour ces derniers de détenir une pièce qui, en cas de litige, pourrait permettre de justifier leur occupation. Tableau n°5 : Situation des parcelles du quartier Chagoua. PIÈCES JUSTIFICATIVES EFFECTIFS POURCENTAGE Attestation de vente 238 61,82 % Plan Cadastral 125 32,47 % Permis d’habitation 8 2,08 % Titre foncier 14 3,63 % TOTAL 385 100 % Source : Enquêtes de terrain mai-juin 2004. Cette situation que l’on qualifierait de propriété provisoire constitue un important manque à gagner pour le trésor public car ces parcelles, sans être intégralement payées, sont souvent revendues à un prix parfois cinq fois supérieur à leur prix réel d’acquisition. Conclusion Au terme de cette analyse, il s’avère que la forte croissance démographique a provoqué une demande élevée en sols urbains. Une analyse de la production de ces sols a révélé qu’elle fait intervenir plusieurs acteurs, tant publics que privés. Seulement jusqu’à présent, ceux du privé agissent encore dans l’informel. En plus, malgré l’existence des textes officiels qui sont supposés réglementer ce secteur, la réalité sur le terrain présente une autre face : ces textes sont à peine respectés. Les pouvoirs publics semblent dépassés, maîtrisant rarement la gestion foncière. Compte tenu de cette réalité, nous pensons que le succès dans la production des sols urbains au Tchad dépend d’une relecture urgente des textes en vigueur en matière de gestion foncière urbaine. Ne faudrait-il pas envisager une légalisation des systèmes privés, informels et traditionnels de cette production de sols urbains en fixant les cadres de leurs actions? Liste des références bibliographiques Ouvrages et revues BCEOM. : 1999, Etude sur l’amélioration de la gestion des déchets solides à N’Djaména, Mairie de N’Djaména, Ville de Toulouse, Mission Française de Coopération et d’Action Culturelle, 113 pages. Beaujeu-Garnier, J., 1995, Géographie Urbaine, Paris, Armand Colin, 4e édition mise à jour, 349 pages. Brunet I., Ferras R., et Thery H., : 1996, Les Mots de la Géographie. Dictionnaire critique, Collection Dynamique du territoire. Reclus-La Documentation française, Paris, 518 pages. Cabanne C. : 1992, Lexique de Géographie humaine et économique, 2e édition, Paris, Dalloz, 449 pages. Dobingar A. : 2001, Gestion spatiale et construction urbaine : l’assainissement, un révélateur de gestion urbaine à N’Djaména (Tchad), Thèse de doctorat, Université Louis Pasteur, Strasbourg, 455pages. Iya M. : 2000, « Les plans d’urbanisme et la maîtrise de la gestion de l’espace au Cameroun » pp. 31-42 in : Les Annales de la faculté des arts, lettres et sciences humaines de l’Université de Ngaoundéré,Vol V, 125 pages. Ngaressem Goltob M. : 1998, Croissance urbaine et problèmes de l’habitat à N’Djamena, Thèse de Doctorat troisième cycle en géographie, 419 pages. Tientcheu Njiako A. : 2003, Droits fonciers urbains au Cameroun, P.U.A, Yaoundé, 544 pages. Journaux Beaujeu-Garnier: 1995, « Que se passe-t-il au cadastre ? » in : N’DJAMENA HEBDO DU 02 NOVEMBRE 1995, p 5. Goual N. : 1999, « Coin de voile sur l’histoire d’une ville centenaire » in :Tchad et Culture N° 184 de décembre 1999, pp 11-12, 24 pages. Textes de lois Décret N° 331/PR/PM 2002 portant structure générale du gouvernement et attribution de ses membres. lois 23, 24 et 25 du 22 juillet 1960 portant statut des biens domaniaux, régime de la propriété foncière et des droits coutumiers, limitation des droits fonciers