Procéder à un éclairage sur le cinéma français des années 1970

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Procéder à un éclairage sur le cinéma français des années 1970
Procéder à un éclairage sur le cinéma français des
années 1970 nous oblige à considérer l’immédiat après
68 et à élargir le faisceau jusqu’au tout début des années
1980 lorsqu’une violente crise de fréquentation et de la
distribution fait « fusionner » cinéma et télévision. De
cette rétrospective, certes non exhaustive (manque par
exemple le cinéma de Jean Eustache dont les films, pour
des questions de droits
d’auteur, ne sont toujours
pas disponibles en vidéo),
se dégage en premier lieu,
avec le recul, l’impression
d’une grande diversité, un
mélange quasi harmonieux
entre un cinéma d’auteur (la Nouvelle vague a fait des
émules) et un cinéma plus commercial, certains
réalisateurs et comédiens naviguant entre ces deux
courants avec ce qui semble aujourd’hui avoir été une
belle liberté.
La refondation du cinéma français se déroule en mai 68
lors des Etats généraux de mai 68 après l’annulation du
Festival international du Film de Cannes. Tout un
courant du cinéma devient militant, révolté, les
aspirations d’une certaine jeunesse trouvant un relai
naturel à travers cet art extrêmement populaire en ces
années.
Chaque mutation de l’industrie cinématographique se
traduit par une innovation technologique. Si le cinémadirect et la Nouvelle vague ont vu le jour, c’est en grande
partie grâce à l’arrivée d’enregistreurs de son portables (le
Nagra) et de caméras légères (format 16mm), le style du
reportage ou du documentaire s’immisçant
progressivement dans la mise en scène. On quitte le
studio pour filmer dans des décors réels, on renonce au
glamour des stars savamment éclairées pour se tourner
vers des acteurs plus « vrais », plus proches de la vie du
spectateur. 68 s’inscrit bien entendu dans cette
mouvance tout en marquant une nette rupture au sein
de la société : on ne peut plus faire le cinéma d’hier,
pensent certains. La
politisation des
individus, les
changements de
mœurs, le
féminisme, font
passer le point de
vue du metteur en scène du « je » au « nous ». Grâce à la
technique, il est devenu facile d’intervenir, de filmer les
luttes au sein d’une usine, de donner la parole aux
militants, de fabriquer des films-tracts, les plus actifs et
novateurs en ce domaine étant Chris Marker et Jean-Luc
Godard.
Godard abandonne un temps la fiction pour se fondre au
sein du groupe Dziga-Vertov, créé avec Jean-Pierre Gorin.
Il reviendra à la fiction en 1972 avec Tout va bien, un
film politique (une grève avec patron séquestré) servi par
des vedettes internationales (Jane Fonda et Yves
Montand), puis plus durablement à partir de 1979 avec
Sauve qui peut (la vie).
Ses complices de la Nouvelle vague continuent leur
carrière avec plus ou moins de bonheur. Claude Chabrol
signe trois films magistraux coup sur coup, Que la bête
meure (1969), Le boucher (1970) et Juste avant la nuit
(1971) avant de s’égarer dans des productions de
commande et l’on doit attendre 1978 et Violette Nozière
pour retrouver tout son talent.
Eric Rohmer, devenu
producteur de ses
propres films, créant
une économie pour
ainsi dire autarcique,
clôt ses Contes
moraux entamés en
1962 en signant trois
beaux films : Ma nuit
chez Maud (1969), Le genou de Claire (1970) et
L’amour l’après-midi (1972).
François Truffaut, lui aussi producteur, livre un à deux
films par an, poursuivant les aventures d’Antoine Doinel
avec Baisers volés (1968) et Domicile conjugal (1970),
livrant une variante de Jules et Jim, nouvelle adaptation
d’un texte de Pierre-Henri Roché, Les deux anglaises et
le continent (1971), un thriller romantique, La sirène
du Mississippi (1969), de
nouveaux retours sur le
monde de l’enfance,
L’enfant sauvage (1970) et
L’argent de poche (1976)
ou encore une
représentation de l’univers du septième art avec La nuit
américaine (1973)…
Avec Peau d’âne (1970), Jacques Demy reste fidèle à son
amour pour la comédie musicale puis visite lui aussi le
monde de l’enfance avec une production américanobritannique, Le joueur de flûte (1972). Film mineur
mais en bien des points réjouissant, L'événement le plus
important depuis que l'homme a marché sur la lune
(1973) est une fable féministe réunissant Catherine
Deneuve et Marcello Mastroianni. Après une production
japonaise, adaptation d’un manga, Lady Oscar (1979),
Jacques Demy signe son œuvre la plus personnelle avec
Une chambre en ville (1982).
La génération de cinéastes qui marque ces années est
cinéphile, tout comme l’était celle de la Nouvelle vague.
Mais, à la différence de leurs aînés, aucun courant ne
semble relier des talents aussi divers que Claude Sautet,
Bertrand Tavernier, Michel Deville, Claude Berri, André
Téchiné, Claude Lelouch, Jean-Jacques Annaud,
Bertrand Blier ou encore Yves Boisset.
Aucun d’entre eux n’opte pour la radicalité d’un cinéma
purement novateur, formel. Ce qui intéresse ces
réalisateurs, c’est de raconter une histoire et de la livrer
au plus grand
nombre. Les
principaux atouts de
ce « cinéma du
milieu » sont les
comédiens. Certains
d’entre eux - ceux
qui débutent en ces
années ou ceux l’ayant fait plus tôt -, sont aujourd’hui à
nos yeux les représentants de cette décennie : Michel
Piccoli, Serge Reggiani, Samy Frey, Jean Carmet, Yves
Montand, Nathalie Baye, Philippe Léotard, Nicole Garcia,
Gérard Depardieu, Patrick Dewaere, Isabelle Huppert,
Miou Miou, Charles Denner, Jean Rochefort, Jean-Pierre
Marielle, Michel Galabru, Jean Yanne, Philippe Noiret,
Michel Serrault…, la liste est longue.
Maurice Pialat est, de quelques années, l’aîné d’un
Truffaut ou d’un Godard. Mais c’est à plus de quarante
ans qu’il réalise son premier long métrage, L’enfance
nue (1969), grâce à l’intervention de Truffaut justement et de Berri. Le film fait
date par son âpreté et
la violence des
sentiments. Fidèle à
son style naturaliste,
cet ancien peintre,
issu d’un milieu modeste, tente de rattraper le temps
perdu et signe une mini-série autour de la Première
Guerre mondiale pour l’ORTF (La maison des bois)
avant de livrer Nous ne vieillirons pas ensemble (1972),
adaptation de son propre roman qui vaut à Jean Yanne le
Prix d’interprétation à Cannes. Mais l’acteur, rejetant la
violence du film et les méthodes de travail de Pialat,
refusera d’aller chercher sa récompense. Une légende est
née, celle d’un cinéaste difficile, colérique, revanchard et
elle perdurera jusqu’à l’obtention en 1987 de la Palme
d’or sous les sifflets cannois. Entre-temps, Pialat aura
filmé l’agonie d’une femme (La gueule ouverte, 1974),
une jeunesse sans avenir (Passe ton bac d’abord, 1978),
l’attirance d’une femme bourgeoise pour un marginal
(Loulou, 1980) ou la découverte désenchantée de la
sexualité d’une jeune fille (A nos amours, 1983).
L’autre pôle de ce panorama est le cinéma dit
commercial, des films de genre - polar et comédie en tête.
On retiendra, à la mise en scène, les noms de Georges
Lautner, Jacques Deray, Henri Verneuil, Alain Corneau,
Gérard Oury, Robert Enrico, Jean-Paul Rappeneau,
Pierre Granier-Deferre, Patrice Leconte, Edouard
Molinaro, Philippe de Broca, Claude Pinoteau, Francis
Veber, Yves Robert… Ce cinéma contribue à mettre en
place un star system à la
française. On se souvient
de la guéguerre BelmondoDelon lorsque, réunis pour
Borsalino, l’un et l’autre se
battirent pour la taille et la
position de leur nom sur
l’affiche. Les stars de l’époque, outre celles citées, se
nomment Jean Gabin, Simone Signoret, Romy Schneider,
Louis de Funès, Pierre Richard, Isabelle Adjani, Lino
Ventura, Mireille Darc, Aldo Maccione, Annie Girardot,
Catherine Deneuve puis, au tout début des années 1980,
Sophie Marceau ainsi que la troupe du Splendid (Josiane
Balasko, Thierry Lhermitte, Gérard Jugnot, Michel Blanc,
Dominique Lavanant, Gérard Lanvin, Coluche…)
Sur leur nom, le public se déplace. L’acteur, et son agent,
revêtent progressivement un rôle prépondérant dans le
montage financier des films.
Ce phénomène s’accentuera avec les obligations faites
aux chaînes de télévision de financer le cinéma.
L’absorption du septième art par le petit écran est en
marche, les chaînes faisant des films qu’elles préachètent
ou coproduisent des
programmes pour
leurs grilles.
Une date symbolise
la fin de cette
époque : la mort de
François Truffaut en
1984. Personnalité médiatique, appréciée par ses pairs,
les instances culturelles et le grand public, Truffaut parti
trop jeune – à l’instar d’un Jean-Pierre Melville, dix ans
plus tôt - était parvenu, grâce à son amour de la
littérature et de la culture populaire, à jongler avec les
genres et les deux pôles du cinéma, reniant presque ses
engagements de jeunesse lorsqu’il brocardait le « cinéma
de papa ». Que de chemin parcouru entre Les 400 coups
(1959) et son irrévérence et le classicisme du Dernier
métro (1980), film aux dix césars ! Avec sa disparition
semble mourir un cinéma populaire de qualité et
exigeant, un savoir-faire que l’on ne retrouvera plus
vraiment par la suite. Mais ceci est une autre histoire…