2015_04_30_commentaire vf - Orchestre Philharmonique de
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2015_04_30_commentaire vf - Orchestre Philharmonique de
Jeudi 30 avril 2015 20h Strasbourg, PMC Salle Érasme Marko Letonja direction Mischa Maisky violoncelle Carl-Maria von Weber (1786-1826) Oberon, ouverture Camille Saint-Saëns (1835-1921) Concerto pour violoncelle et orchestre n°1 en la mineur op.33 Allegro non troppo Allegretto con moto Molto allegro Gabriel Fauré (1845-1924) Élégie en ut mineur pour violoncelle et orchestre op.24 8’ 19’ 8’ ► Serge Rachmaninoff (1873-1943) Danses symphoniques op. 45 Non allegro Andante con moto – Tempo di valse Lento assai – Allegro vivace 36’ Carl-Maria von Weber (1786-1826) Oberon, ouverture Cette féerie musicale évoque le monde merveilleux des elfes et du roi Obéron. L’ouverture de ce “romantische Oper” que l’on donne moins de nos jours que les ouvertures du Freischütz et d’Euryanthe résume pourtant génialement l’opéra en trois actes. L’histoire évoque le milieu chevaleresque mais aussi un Orient imaginaire et le monde des esprits. Il est considéré comme une synthèse des ouvrages précédents, Euryanthe, Abu Hassan et Le Freischütz. La composition de l’œuvre débuta en 1824. Le librettiste James Robinson Planché s’inspira du poème héroïque Oberon de Christoph Martin Wieland. Weber éprouva beaucoup de difficultés à orchestrer le livret car la structure interne devait avant tout séduire le public londonien habitué aux ouvrages contrastés et rapides. La logique narrative de l’action, la complexité et l’originalité des airs et de l’orchestration furent en partie sacrifiées sur l’autel de l’efficacité et des effets spectaculaires. Cela étant, l’Ouverture traduit magnifiquement les changements d’atmosphères, avec des thèmes inspirés de marches et faisant largement appel aux pupitres de la petite harmonie ainsi qu’aux quatre cors. Obéron nous étonne aussi car on décèle bien des éléments rappelant l’ouverture du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, composée en 1826, ainsi que Roméo et Juliette de Berlioz, datant de 1839. La vivacité des pas de danse, le raffinement de l’écriture fascinèrent des générations de compositeurs. Wagner, dans ses opéras, et Dvořák, dans ses poèmes symphoniques, furent influencés par l’audace de l’orchestration. L’Adagio sostenuto évoque l’appel enchanté du cor d’Obéron. Les cordes et les trompettes se lancent dans un rythme endiablé, Allegro. Deux thèmes sont exposés, l’un à la clarinette, présentant le chevalier Huon de Bordeaux et l’autre, aux violons, symbolisant la princesse Rezia, la fille du calife. L’ouvrage fut créé le 12 avril 1826 au Théâtre royal de Covent Garden. Camille Saint-Saëns (1835-1921) Concerto pour violoncelle et orchestre n°1 en la mineur op.33 La débâcle de Sedan et l’humiliation française de 1870 causèrent un véritable traumatisme dans la société française. Saint-Saëns participa aux combats avant d'être contraint à s'exiler en Angleterre de peur d'être inquiété pour avoir été un ancien garde national. L’année suivante, il participa à la création de la Société nationale de musique dont l’importance s'avéra considérable pour le renouveau de la musique française. En 1872, il composa son Premier concerto pour violoncelle dont la création eut lieu l'année suivante, le 19 janvier 1873. Auguste Tolbecque en était le soliste, accompagné par l’Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire. Toutefois, le véritable promoteur de l’œuvre fut, au début du XXe siècle, le jeune Pablo Casals. Les premières mesures de la partition saisissent par leur énergie et l'impression d'unité de l'ensemble. Les trois mouvements sont joués enchaînés et le matériau thématique provient pour l’essentiel d’une formule rythmique descendante. C’est ce principe qui rapproche l’écriture de Saint-Saëns de son modèle reconnu : Beethoven. La finesse de l’orchestration apparait en effet plus proche des préoccupations des compositeurs de la fin du XVIIIe siècle que des artistes du romantisme finissant. Le premier mouvement s’ouvre sur un Allegro non troppo. Le trémolo des cordes soutient les triolets véloces et nerveux du violoncelle. Le rythme tendu évoque la carrure des premières symphonies de Beethoven. Un thème lyrique s’impose bientôt avec son expression plus chaleureuse. Il permet au soliste de laisser s’épanouir le son de l’instrument notamment dans le registre grave et d’offrir un contraste avec la virtuosité âpre de l’introduction. L’Allegretto con moto qui suit est construit à partir d’une danse stylisée. Le menuet est tout juste murmuré par les pupitres des violons divisés qui modulent avec souplesse. Puis, le violoncelle se lance dans un développement de plus en plus lyrique et virtuose. Le caractère mélancolique de l’accompagnement des bois et la fraîcheur de la mélodie, probablement puisée dans le folklore des campagnes, servent magnifiquement la souplesse de l’archet soliste. Le finale, précisé “Un peu moins vite”, accentue le rythme de danse alors que le thème lyrique prend de plus en plus d’importance et s’impose finalement dans le registre aigu de l’instrument. La partition se conclut non pas dans le climat pastoral que l’on aurait pu imaginer, mais avec une force et une détermination, une fois encore, beethovéniennes. Gabriel Fauré (1845-1924) Élégie en ut mineur pour violoncelle et orchestre op.24 Fauré souhaitait utiliser le thème de l’Élégie pour le mouvement central d’une sonate pour violoncelle et piano. La partition originale fut créée en 1883 par son dédicataire, le violoncelliste Jules Loeb. Le succès de la pièce fut immédiat. À la fois lamento et marche funèbre, elle apparait d’une pureté d’inspiration bouleversante. Douze ans plus tard, en 1895, et à la demande d’Edouard Colonne, le compositeur orchestra la partition en préservant toutefois le climat intimiste de son tempo, Molto adagio. Bois et cordes offrent ainsi une grande variété de couleurs et même une tension inattendue. Le lyrisme pudique disparaît au profit d’une ligne mélodique plus inspirée par l’univers de l’opéra. L’Élégie fut créée le 26 avril 1901 à la Société nationale de musique par Pablo Casals au violoncelle et l’Orchestre Colonne dirigé par son fondateur, Edouard Colonne. Serge Rachmaninoff (1873-1943) Danses symphoniques op. 45 Danses symphoniques ou bien Danses fantastiques ? Serge Rachmaninoff hésita entre les deux titres, laissant aux chefs d’orchestre le soin de faire comprendre au public combien ses Danses symphoniques suggèrent de climats fantasques et fantastiques ! La création des trois Danses eut lieu le 3 janvier 1941 sous la baguette de l’un des amis américains les plus fidèles du compositeur, Eugène Ormandy. La composition de l’œuvre avait débuté un an plus tôt à Orchard Point, Long Island, New York pour s’achever le 20 octobre 1940. Rachmaninov tergiversa également sur l’emploi du matériau et des thèmes. Il songea à des sous-titres descriptifs qu’il jugea finalement superflus : Jour, Crépuscule et Minuit. En revanche, il s’inspira d’un ballet inachevé datant de 1915, les Scythes. Un titre pour le moins curieux, en effet, identique à celui de Prokofiev pour sa propre Suite scythe, d’après son ballet inachevé, Ala et Lolly ! Cette relation saisissante entre deux musiciens aux écritures pourtant considérées comme étrangères l’une à l’autre révèle des préoccupations musicales parallèles dans le contexte révolutionnaire des années 1910 à 1925. L’antiquité païenne slave était alors une source inépuisable d’inspiration. Stravinski puis nombre de compositeurs des premières années de l’ère soviétique y puisèrent la quête de nouvelles harmonies et de rythmes “barbares”. Bien que l’on entende ici des réminiscences de cette époque révolue, les Danses symphoniques qui nous occupent s’affirment dans un tout autre contexte historique. Depuis le début du siècle, l’écriture symphonique de Rachmaninoff avait considérablement évolué. Elle s’était enrichie d’une pâte sonore teintée de couleurs européennes et américaines. Certes, l’auteur de la Rhapsodie sur un thème de Paganini n’avait jamais renoncé à l’univers de la tonalité, mais sa personnalité avait imposé un modernisme bien différent de celui des écoles nées dans le prolongement du sérialisme. Les Danses symphoniques synthétisent les rythmes américains et les couleurs symbolistes de l’Île des morts que le musicien composa en 1909. Quant à l’orchestration, elle révèle le génie du technicien qui utilise une palette de couleurs qui semble infinie. Le titre de l’œuvre pourrait être également “Concerto pour orchestre”. Béla Bartók, Aaron Copland et Paul Hindemith choisirent cette dénomination, voulant montrer le dialogue de divers groupes d’instruments au sein d’un même orchestre. Tout comme chez Bartók, l’instrumentarium des Danses symphoniques est particulièrement développé dans les vents, mais également aux percussions auxquelles se joignent deux harpes et un piano. Il est instructif de comparer les partitions des Danses dans leur version pour orchestre et dans la réduction moins connue pour deux pianos. La première danse, Non allegro, tourne sur une figure rythmique bondissante, presque obsessionnelle. D’une énergie dévastatrice et d’apparence grotesque, elle suggère les couleurs de Rimski-Korsakov. Dans cette toccata, la place du piano est centrale. Sa ligne verticale digne de l’écriture de Prokofieff contraste avec les appels nostalgiques et languissants du saxophone. La seconde danse, Andante con moto – tempo di valse joue sur un chromatisme tortueux, créant une sensation de déséquilibre, presque de malaise. On entend dans l’orchestre l’écho d’une nostalgie de l’Europe centrale et de l’Est d’avant 1914. Sommes-nous à Vienne ou bien à Saint-Pétersbourg ? La tonalité en sol mineur accentue ce sentiment d’amertume porté à la fois par la valse et la présence du violon solo qui évoque la magie luxuriante de la Shéhérazade de Rimski-Korsakov. La troisième et dernière danse, Lento assai – allegro vivace, la plus ambitieuse de la série, nous fait entrer dans un dédale de changements métriques, de syncopes dissonantes. Cette violence exacerbée, ces “gifles” sonores font songer au piano de Liszt en raison de leur style rhapsodique. À l’orchestre, c’est le Dies Irae et les chorals religieux qui s’affirment, les pupitres se heurtant les uns aux autres pour conclure dans un adieu au postromantisme. Faut-il croire aux ténèbres ou bien à la lumière ? Le compositeur se refuse à faire pencher la balance dans un sens plus que dans l’autre. À la création des Danses symphoniques, l’accueil de la critique fut dévastateur ! On écrivit même que Rachmaninoff « ressassait de vieux trucs » ! Il n’avait pas connu un tel désastre depuis sa Première symphonie qui avait failli mettre un terme à sa carrière de compositeur. Mais, à près de soixante-dix ans, il s’était forgé une philosophie… Discographie Weber, Oberon Orchestre philharmonique de Vienne direction Wilhelm Furtwängler (Emi Classics) Orchestre philharmonique de Berli direction Herbert von Karajan (Deutsche Grammophon) Orchestre philharmonique de Vienne direction Christian Thielemann (Deutsche Grammophon) Saint-Saëns, Concerto pour violoncelle et orchestre n°1 Jacqueline Du Pré (violoncelle), Orchestre New Philharmonia direction Daniel Barenboïm (Emi Classics) André Navarra (violoncelle), Orchestre Lamoureux direction Charles Munch (Erato) Janos Starker (violoncelle), Orchestre symphonique de Londres direction Antal Dorati (Mercury) Mstislav Rostropovitch (violoncelle), Orchestre philharmonique de Londres direction Carlo Maria Giulini (Emi Classics) Paul Tortelier (violoncelle), Orchestre symphonique de Birmingham direction Louis Frémaux (Emi Classics) Fauré, Élégie pour violoncelle et orchestre Maud Tortelier (violoncelle), English Chamber Orchestra direction Paul Tortelier (Virgin Classics) Rachmaninoff : Danses symphoniques Orchestre de Saint-Pétersbourg direction Mariss Jansons (EMI Classics) Orchestre Philharmonia de Londres direction Neeme Järvi (Chandos) Orchestre philharmonique de Moscou direction Kirill Kondrachine (Melodiya)