Texte de Hume. Thème : L`État et la société Introduction
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Texte de Hume. Thème : L`État et la société Introduction
LHC20068.QXD 12/04/02 10:27 Page 1 Texte de Hume. Thème : L’État et la société PLAN Introduction Étude ordonnée 1 Le désir de compagnie, un sentiment sans égal chez l’homme A – Ce désir se manifeste chez la plupart des créatures B – Ce même désir est particulièrement vif chez l’homme C – Ce que deviennent le plaisir et la peine en l’absence de société 2 La nature sociale de l’homme A – À l’origine de toute passion : la sympathie B – On ne peut se passer de la première condition du bonheur C – Il n’est de bonheur que partagé 3 Le désir de compagnie est une donnée anthropologique Conclusion Introduction Les hommes vivent en société, c’est un fait. Nul homme ne vit très longtemps séparé de ses congénères et s’il arrive qu’un individu échappe à la présence des siens, nous avons peine à le nommer homme tant il se rapproche de l’animalité. Être conscient d’un tel fait ne suffit pas à l’expliquer. Quelles sont les raisons qui poussent les hommes à se rassembler ? Sachant à quel point il peut être pénible et violent de vivre au sein d’une société, comment comprendre que l’humanité ait systématiquement adopté ce mode de vie ? La garantie d’une relative sécurité, l’assurance d’être plus forts dans l’union suffisent-ils à expliquer un tel comportement ? Ou faut-il au contraire chercher la cause dans la nature même de l’homme, dans un certain penchant caractéristique de l’espèce au commerce des autres ? LHC20068.QXD 12/04/02 10:27 Page 2 1. Le désir de compagnie, un sentiment sans égal chez l’homme A. Ce désir se manifeste chez la plupart des créatures C’est d’un constat que part Hume pour affirmer la nature éminemment sociale de l’homme. Ce constat est simple : il suffit d’observer quelque peu les mœurs de la plupart des animaux pour se rendre à l’évidence que le désir de compagnie y trouve une place importante. « Dans toutes les créatures qui ne font pas des autres leurs proies et que de violentes passions n’agitent pas, se manifeste un remarquable désir de compagnie, qui les associe les unes les autres. » La distinction entre prédateurs et non-prédateurs que propose Hume ici appelle deux remarques. D’une part, cette distinction se présente comme fondamentale dans la mesure où elle détermine un mode de vie : solitaire ou social. D’autre part, puisque Hume range par la suite les hommes parmi les êtres sociaux, il faut en conclure qu’il ne se représente pas l’humanité comme espèce prédatrice. En outre, on peut relever le caractère anthropomorphique du propos. Hume parle en effet ici de « créatures » : ce terme désigne bien évidemment de manière générale les animaux (il serait absurde d’y inclure d’autres êtres vivants comme les végétaux vu le thème). Or, dit Hume, ces « créatures » peuvent être animées de « violentes passions » ou bien manifester « un remarquable désir de compagnie », autant d’expressions généralement réservées à la description de caractéristiques proprement humaines. Cependant, et avant de taxer définitivement le propos de Hume de résolument anthropomorphique, il s’agit de bien comprendre que cette remarque n’a de sens, dans l’économie du texte, que dans la mesure où elle permet de souligner que l’homme est l’exemple le plus éminent, le plus flagrant de sociabilité animale. B. Ce même désir est particulièrement vif chez l’homme Ce qui est vrai donc de la plupart des animaux, l’est encore plus de l’homme : « ce désir est encore plus manifeste chez l’homme ». L’homme est bien « la créature de l’univers qui a le désir le plus ardent d’une société ». En effet, la multiplication des formes de sociétés est criante chez l’homme. De la famille à la cité, en passant par le regroupement par affinités ou l’amitié, le lien établi par la religion ou bien encore le mariage, le mode de vie adopté par l’homme réduit au maximum les activités purement solitaires. Hume appuie ce constat par des remarques portant sur les facultés que l’homme possède : « …et il y est adapté par les avantages les plus nombreux ». Il s’agit ici de tenter de déceler le sens de ce LHC20068.QXD 12/04/02 10:27 Page 3 terme « avantage ». Outre le fait que Hume considère que l’homme est une créature qui ne fait pas partie des plus violentes ni des plus agitées de passions – c’est en tout cas ce que l’on peut conclure de la première phrase du texte – on peut penser qu’il fait ici allusion à l’attribut qui caractérise le plus l’humanité, dans la mesure où elle est la seule espèce à le posséder effectivement, à savoir le langage qui met au cœur de la vie humaine la communication. Tout se passe en fait comme si les facultés de l’homme concourraient à accroître sa propension à la socialisation. En d’autres termes, la nature même de l’homme est propre à faciliter la création de sociétés. Avec cette remarque Hume rapproche le comportement social d’un caractère naturel. C. Ce que deviennent le plaisir et la peine en l’absence de société Plus encore, si l’homme est indéniablement doué d’une certaine sociabilité naturelle, Hume souligne en outre à quel point la manifestation la plus immédiate de la volonté humaine est toujours une référence à la société : « Nous ne pouvons former aucun désir qui ne se réfère pas à la société. » Tout penchant, toute velléité, toute tendance de l’homme est dirigé vers – ou bien contre, mais toujours en référence à – la possibilité de la présence d’autrui. À tel point que « la parfaite solitude est peut-être la plus grande punition que nous puissions souffrir ». Ce propos n’est pas sans rappeler ceux de Pascal à propos du divertissement : l’homme seul et isolé n’ayant plus d’autre société que lui-même, comme dit Rousseau au début des Rêveries du promeneur solitaire, est inévitablement confronté aux pensées les plus angoissantes, celles de la mort et de l’inanité de l’existence. La solitude la plus complète est en quelque sorte une torture en ce qu’elle empêche les facultés naturelles de l’homme, auxquelles Hume a fait allusion en parlant de ses « avantages », de se développer et de s’exercer. La solitude serait alors d’une certaine manière contre nature. Enfin Hume montre que l’absence de toute compagnie transforme et dénature même les sentiments : « Tout plaisir est languissant quand nous en jouissons hors de toute compagnie, et toute peine devient plus cruelle et plus intolérable. » Le plaisir ne peut être effectif sans la présence (même seulement possible) d’autrui ; autrement dit le plaisir n’a de sens qu’en ce qu’il peut se communiquer et la peine n’est tolérable que dans la mesure où elle peut être partagée. LHC20068.QXD 12/04/02 10:27 Page 4 2. La nature sociale de l’homme A. À l’origine de toute passion : la sympathie Dans cette deuxième partie Hume élève son propos à des considérations à la fois plus générales et plus fondamentales. Ce ne sont pas seulement la peine et le plaisir qui changent de visage en l’absence d’autrui mais toutes les passions dont l’homme peut être affecté : « Quelles que soient les autres passions qui nous animent, orgueil, ambition, avarice, curiosité, désir de vengeance, ou luxure, le principe de toutes, c’est la sympathie. » Ainsi existe-t-il un « principe » au fondement de toutes les passions, un principe, c’est-à-dire, en l’occurrence, une passion qui préside à toutes les autres et qui accompagne toutes les autres. Il est important de remarquer que Hume utilise pour affirmer cela des exemples de passions fort éloignées de l’altruisme. Il s’agit en effet de passions qui sont dirigées contre les autres, directement (le « désir de vengeance » est à cet égard éloquent) ou indirectement (comme c’est le cas de l’ambition). Mais ce qui importe ici est de montrer que toute passion ne se comprend qu’en référence à autrui ; le propos de Hume n’est donc pas d’affirmer que l’amour de l’autre est un caractère naturel de l’homme mais seulement que le cadre de la société est une catégorie de la pensée humaine. Cette catégorie – le terme est certes ici employé de manière quelque peu anachronique – il l’appelle sympathie, terme qu’il faut comprendre avec la plus large extension possible. La sympathie (de sun-, « avec », et pathos, « souffrance ») désigne ici la référence à un possible partage, à une possible communication de ce qui est ressenti. Sans ce principe il n’y a donc pas de passion possible : « elles n’auraient aucune force si nous devions faire entièrement abstraction des pensées et des sentiments d’autrui ». B. On ne peut se passer de la première condition du bonheur Pour appuyer son propos, Hume a alors recours à une fiction : « Faites que tous les pouvoirs et tous les éléments de la nature s’unissent pour servir un seul homme et pour lui obéir ; faites que le soleil se lève et se couche à son commandement ; que la mer et les fleuves coulent à son gré ; que la terre lui fournisse spontanément ce qui peut lui être utile et agréable. » Hume imagine un homme dont les désirs de puissance, dont l’ambition, dont le confort et tous les besoins puissent être entièrement satisfaits au-delà de toute mesure. Il imagine donc un homme auquel toutes les sources de bonheur possibles et imaginables seraient accordées, il prend le cas extrême de l’homme plus que comblé puisque voyant ses rêves les plus ambitieux, les plus fous et les plus démesurés se réaliser. LHC20068.QXD 12/04/02 10:27 Page 5 Il est important de souligner l’exagération volontaire de l’exemple puisqu’il s’agit de montrer que tout bonheur est impossible sans compagnie. C. Il n’est de bonheur que partagé La fiction de l’homme seul comblé est donc bien une fiction : « …il sera toujours misérable tant que vous ne lui aurez pas donné au moins une personne avec qui il puisse partager son bonheur, et de l’estime et de l’amitié de qui il puisse jouir ». Il manquera à cet homme l’essentiel, c’està-dire la condition de possibilité du bonheur, sans laquelle il est impossible de puiser à toute autre source de bonheur. Hume décrit avec cette dernière phrase en quoi consiste ce principe de « sympathie » décrit plus haut dans le texte et donne en même temps les caractéristiques nécessaires du bonheur. Le bonheur, compris comme ce à quoi l’homme aspire le plus en définitive, ne peut être que s’il est partagé, il n’est de bonheur que communiqué, manifesté, exprimé. En outre, en précisant que « l’estime » et « l’amitié » sont nécessaires au bonheur, Hume défend la thèse selon laquelle on ne saurait être heureux sans une personne qui d’une part considère notre existence avec un certain respect et une forme plus ou moins accentuée d’admiration, et d’autre part nous accorde son affection. 3. Le désir de compagnie est une donnée anthropologique L’intérêt de ce texte est multiple. Sous l’apparente simplicité du propos se cachent des options fondamentales qui décrivent une certaine vision de l’homme. Tout d’abord Hume propose, sinon une définition, au moins une caractéristique essentielle du bonheur. Le bonheur n’est possible qu’en compagnie des autres, en conséquence la solitude constitue le premier obstacle au bonheur et il n’est pas de moyen de faire fi de cet obstacle. En faisant de la sympathie le principe de toute passion, Hume fait une considération proprement anthropologique qui ne peut manquer d’avoir des répercussions sur d’autres domaines de la réflexion. Si l’homme est avant tout animé par la sympathie, il faut comprendre que la pensée se déploie tout entière et continuellement dans le cadre d’une référence à autrui. En termes plus précis, on pourrait dire que Hume pose au fondement de la subjectivité l’intersubjectivité. En poussant plus loin le raisonnement, on pourrait dire que le solipsisme est une forme de négation de la pensée. Enfin le propos de Hume nous invite à certaines considérations d’ordre politique. Si c’est un « désir de compagnie » qui pousse les hommes à se rassembler en société, le fait politique ne peut avoir pour seule origine LHC20068.QXD 12/04/02 10:27 Page 6 et pour seul fondement l’intérêt ou la sécurité. On ne peut manquer de déceler ici une opposition à la pensée de Hobbes pour lequel la sortie de l’état de nature ne s’explique que par une volonté d’assurer sa survie. Au contraire, en accordant à la sympathie le statut de principe, Hume laisse à penser que toute forme de société sera au moins en partie le produit d’une volonté et d’un besoin de vivre ensemble. La société n’est donc pas simplement le lieu qui offre la possibilité de ne pas mourir, elle est aussi le seul lieu dans lequel une vie humaine, pleinement humaine, est possible. Conclusion En tentant de montrer qu’il n’est pas de bonheur possible pour l’homme en dehors de toute compagnie, Hume fait de l’homme un être par nature social. Il s’inscrit ainsi dans une tradition qui fait de l’homme un animal politique. Cependant, l’originalité de Hume consiste à donner une explication du regroupement en sociétés des humains à partir d’un trait caractéristique de l’espèce et profondément ancré dans sa nature et qui a pour origine un désir fondamental, celui de la compagnie. Ainsi le fondement ultime de la politique ne serait-il pas l’intérêt ni la nécessité, mais un désir. Autrement dit, si les signes d’insociabilité parmi les représentants de l’espèce humaine sont courants et récurrents, ces difficultés à vivre avec les autres ne se comprennent que sur le fond d’un besoin quasi vital et d’un désir de vivre ensemble. ■ Ouvertures LECTURE – Hume, Traité de la nature humaine.