L`autre carrière de Javier Ochoa

Transcription

L`autre carrière de Javier Ochoa
CARNET DE ROUTE. -- En 2000, Javier Ochoa remportait une étape du Tour de France
devant Lance Armstrong. En 2001, dans un accident, il perdait son frère jumeau et
tombait dans le coma. Ce week-end en Gironde, il est le favori des championnats du
monde de cyclisme handisport
L'autre carrière de Javier Ochoa
:Nicolas Espitalier
Pyrénées de juillet, sommets grouillants de ferveur.
Marie-Blanque, Aubisque, Soulor. Et cette montée
solitaire sur Hautacam, le tracé zigzagant d'un sillon
parmi les hommes et les drapeaux. Au bout du col, les
bras levés et 42 secondes préservées sur l'Histoire en
marche. Le 10 juillet 2000, Javier Ochoa, un Basque de
26 ans, échappait de justesse au retour de Lance
Armstrong, lancé à la conquête du deuxième de ses sept
Tours de France victorieux. Le champion américain avait
distancé tous ses rivaux et rattrapé un à un tous les
échappés du matin. Tous, sauf un. Ochoa remportait ce
jour-là la plus belle victoire de sa carrière de cycliste
professionnel. La dernière.
Champion. Javier Ochoa avait
commencé une carrière prometteuse
sur le Tour de France 2000. Il la
poursuit en handisport
Aucun souvenir. « J'ai perdu une partie de ma mémoire.
Tout ce qui concerne les événements survenus dans les
années précédant l'accident... Ma victoire à Hautacam,
PHOTO THIERRY DAVID
on me l'a racontée. Ma mère, qui n'avait pas pu venir,
l'avait enregistrée. Et c'est seulement de la vidéo que je me souviens. » Javier Ochoa sait qu'il s'est
échappé entre Dax et Lourdes avec le Français Jacky Durand et le Belge Nico Mattan, que l'équipe
américaine de Lance Armstrong ne s'est pas inquiétée. Qu'il possédait dix minutes d'avance sur le «
Boss » avant la dernière ascension, et enfin, cette quarantaine de secondes sur la ligne d'arrivée, une
poignée de pépites taillées dans le roc du temps.
« Un monsieur nous a fauchés en voiture. Mon frère est mort sur le coup. Moi,
j'ai été dans le coma pendant des jours » Mais Javier Ochoa ne se rappelle rien de tangible de son jour de gloire. Pas une émotion, pas un bruit
qui ne lui ait été rendu par un téléviseur. Plus rien depuis le 15 février 2001. Il récite cette phrase trop
pleine, trop vide, qu'il a apprivoisée au point d'en faire la porte d'entrée de toute conversation : « Je
m'entraînais avec mon frère jumeau, Ricardo, sur une route de la région de Valence, en Espagne. Un
monsieur nous a fauchés au volant de sa voiture. Mon frère est mort sur le coup. Moi, j'ai été dans le
coma pendant des jours, puis j'ai fait un an et demi de rééducation. »
« Un demi-fils ». Dans les tribunes du stade vélodrome de Bordeaux, où « Javi » vit ces jours-ci un
épisode de sa nouvelle vie de cycliste handisport, sa maman, Maria, témoigne. « Je ne dis pas ça
parce que c'est mon fils, mais il était jeune et il avait des capacités exceptionnelles. A l'époque, il
n'était qu'équipier, se sacrifiait pour ses leaders et, malgré cela, il commençait à avoir des résultats. Il
aurait pu faire une grande carrière », estime-t-elle. Elle sort de son portefeuille un portrait de feu
Ricardo, le jumeau, l'absent, qui sourit aussi sur le médaillon accroché à son cou. « Son frère, on ne
lui a jamais donné sa chance dans les grandes courses. C'était le même. »
L'entraîneur actuel de Javier Ochoa, Vicente Natividad, raconte : « Sur le tour 2001, il n'aurait plus été
le gregario d'Escartin, Heras et Botero, les leaders de la Kelme, son équipe. Ils auraient couru pour
lui. » Dans un sourire sans tristesse, Javier reprend : « Mon père a coutume de dire qu'il avait trois fils
et qu'il n'a plus qu'un fils et demi. Le fils, c'est notre frère aîné. Le demi, c'est moi. » Les séquelles
physiques de l'accident (une côte brisée a touché son poumon gauche) sont à peu près dépassées,
mais l'ancien pro est atteint d'une infirmité motrice cérébrale, qui affecte son équilibre, sa mémoire et
une partie de ses capacités intellectuelles. Déclaré handicapé à 66 % par l'administration espagnole,
l'enfant de Bilbao vit à Màlaga, d'une pension à vie.
Médailles. Mais il a repris le dessus. En 2003, Javier Ochoa a repris la bicyclette pour une épreuve de
cyclisme adapté puis, une semaine après, a fini second du championnat d'Espagne. Des
championnats d'Europe de Prague en 2003 aux Mondiaux suisses de 2006, en passant par les JO
d'Athènes 2004, il s'est forgé un palmarès parmi les invalides, accumulant l'or et l'argent sur les
étagères de Maria. « J'ai l'impression qu'il poursuit sa carrière d'avant sous une autre forme. C'est
peut-être plus courageux, ce que font ces sportifs handicapés. Et je pense que son jumeau est
quelque part et qu'il l'aide à gagner. »
A chaque évocation de Ricardo, Javier fait un sourire de frère, comme absorbé par un souvenir bien
antérieur à l'accident. Un souvenir d'enfance, quand les deux garçons admiraient Fignon, LeMond et
Delgado à la télévision.