Les manchots empereurs Aptenodytes forsteri poss`edent des
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Les manchots empereurs Aptenodytes forsteri poss`edent des
Les manchots empereurs Aptenodytes forsteri possèdent des capacités d’isolation thermique exceptionnelles et ils ont développé des stratégies collectives leur permettant d’affronter sur une longue durée des conditions climatiques extrêmes. En effet, les manchots migrent très loin des côtes antarctiques pour se reproduire. Une fois que l’oeuf unique est pondu, les mâles vont le couver pendant plus de cent jours alors que les femelles retournent à la mer pour se nourrir. Pendant la période de couvée qui a lieu pendant l’hiver austral, la température moyenne est de -20˚C à -30˚C selon les sites et le vent peut souffler en tempête à 40 m/s. Les mâles ne prennent aucune nourriture pendant cette période et ils doivent survivre sur leur réserve de graisse 1 . Les manchots empereur sont la plus grande espèce de manchots : leur taille moyenne est de 1,2m et leur masse corporelle moyenne de 30 kg. L’espèce la plus proche, le manchot royal Aptenodytes patagonicus, a une taille de 80 cm et une masse moyenne de 15 kg. Du point de vue des échanges thermiques on peut les assimiler à des cylindres de rayon R = 10cm et de hauteur H = 1, 2m recouverts d’une couche de graisse de 2 cm d’épaisseur et d’une couche de plumes de 1,5 cm d’épaisseur. La surface latérale moyenne des manchots a été estimée à 0,65 m2 et la surface additionnelle (haut et bas du corps) à 0,15 m2 . Figure 1 – Couple de manchots et leur poussin. Groupe compact de manchots. Le métabolisme de base M R est ajusté au flux de chaleur Q̇ de façon à maintenir une température interne Ti constante. En plus des capacités d’isolation thermique propre à chaque animal, les manchots empereurs ont une stratégie collective pour réduire leur déperdition de chaleur : ils s’assemblent en très grands groupes compacts de plusieurs centaines d’individus. C. Gilbert et collaborateurs 2 ont évalué expérimentalement les bénéfices de ce comportement. Pour ce faire, ils ont mesuré la température interne et le métabolisme sur trois groupes de manchots : les premiers étaient seuls, isolés dans des enclos, les seconds étaient parqués dans des enclos par petits groupes de 5 à 10 individus, les troisièmes étaient libres de se déplacer et pouvaient s’assembler en très grands groupes. Les trois populations étaient soumises aux mêmes conditions d’environnement. L’activité métabolique a été déterminée à partir de la perte de poids des animaux en fonction du temps. Leurs observations sont regroupées dans le tableau 1. Ces mesures ont été effectuées par une température extérieure moyenne T∞ de - 17˚C avec un vent moyen U = 5 m/s. Données : — conductivité thermique de l’air : λa = 0, 026 W.m−1 .K−1 — diffusivité thermique de l’air : κa = 2 × 10−5 m2 /s — viscosité cinématique de l’air : ν = 1, 5 × 10−5 m2 /s — masse volumique de l’air : 1 kg/m3 — conductivité thermique de la graisse : λg = 0, 2 W.m−1 .K−1 — conductivité thermique des plumes : λp = 0, 035 W.m−1 .K−1 1. Y. LeMaho, ”A strategy to live and breed in the cold : morphology, physiology, ecology and behavior distinguish the polar empereur penguin from other penguin species, particularly from its close relative, the king penguin”, Am. Sci. 65, 680 (1977) 2. C. Gilbert et al. ”Energy saving processes in huddling empereur penguins : from experiments to theory”, J. Exp. Biol. 211, 1 (2008) 1 Table 1 – Température interne mesurée et activité métabolique estimée d’après la perte de poids pour les 3 groupes d’animaux. Ti (˚C) MR (W) 1 isolé 37,7 85 petits groupes 36,6 52 grands groupes 35,5 43 taille et forme 1. Quel est l’intérêt de la grande taille des manchots empereurs du point de vue de l’isolation thermique ? La grande taille des manchots empereurs est un avantage pour l’isolation thermique, parce qu’à forme identique, le rapport surface/volume diminue comme l’inverse de la taille lorsque la taille augmente. D’autre part le flux thermique total est proportionnel à la surface d’échange avec l’air ambiant. Donc, ramené à l’unité de masse ou de volume, à forme identique, le flux thermique diminue lorsque la taille augmente. 2 Pertes thermiques en l’absence de vent 2. On cherche à estimer les échanges thermiques entre l’intérieur de l’animal et l’air ambiant en l’absence totale d’écoulement dans l’air ambiant. Déterminer le flux de chaleur à travers les différentes couches - graisse, plume, air - et calculer ce flux dans l’hypothèse où la température de l’air ambiant est T∞ = 0˚C et où l’échelle de longueur caractéristique de l’échange dans l’air est d = 1cm. Comment se flux se compare-t-il au métabolisme mesurée par Gilbert et al. dans les groupes compacts de manchots ? Que manque-t-il dans ce modèle très simplifié pour décrire le transfert thermique pour les manchots présents au sein d’un très grand groupe ? indiquer approximations sur la géométrie On note Ti la température interne, Tc la température à la base des plumes, Ta la température de l’air à la surface des plumes et T∞ la température de l’air ambiant. Les couches de graisse et de plumes ayant une épaisseur petite devant R, on peut raisonner comme dans une géométrie plane. On a alors un gradient de température uniforme à travers chacune de ces couches. Le flux de chaleur est : JQ = λG (Ti − Tc )/eG = λP (Tc − Ta )/eP . Dans l’air ambiant, s’il n’y a pas du tout d’écoulement, l’échange de chaleur se fait par conduction et il faut estimer le gradient de température à l’extérieur de l’animal. Dans l’air le flux de chaleur est d’ordre λa (T∞ − Ta )/d. L’égalité des flux thermiques à travers les différentes couches nous permet d’écrire : Kg (Ti − Tc ) = Kp (Tc − Ta ) = Ka (T∞ − Ta ) où on a défini les coefficients de transfert thermique Ki = λi /ei . En éliminant Tc et Ta des équations, on obtient le coefficient de transfert global Kt tel que JQ = Kt (T∞ − Ti ) avec 1/Kt = 1/Kg + 1/Kp + 1/Ka . Pour la couche de graisse, Kg = λg /eg ≈ 10 W.m−2 .K−1 et pour la couche de plumes Kp = λp /ep ≈ 2, 5 W.m−2 .K−1 . Pour la conduction dans l’air : Ka = λa /d ≈ 2, 6 W.m−2 .K−1 . La résistance thermique globale serait alors dominée par la conduction dans l’air et dans les plumes, avec Kt ≈ 1, 1 W.m−2 .K−1 . Le flux de chaleur serait donné par JQ Kt (T∞ − Ti ). En prenant la température intérieure pour les animaux qui sont protégés du vent, Ti = 35, 5˚C et T∞ = 0˚C, on a une différence de température ∆T = 35˚C et un flux de chaleur de l’ordre de 43 W.m−2 . Avec une surface latérale d’échange de 0,65 m2 cela correspond à un flux global de l’ordre de 28 W qui est inférieur à la valeur de 43W mesurée lorsque les manchots sont assemblés en groupe compact. Dans les groupes compacts, il faut prendre en compte les échanges thermiques sur la partie supérieure du corps qui n’est pas protégée du vent ainsi que les échanges entre la partie inférieure du corps et la glace. 2 3 Pertes thermiques dans le vent. 3. On cherche maintenant à estimer le flux de chaleur pour les manchots qui sont exposés en plein vent. On assimilera l’écoulement d’air autour du corps à l’écoulement bidimensionnel autour d’un cylindre. Estimer le nombre de Reynolds de cet écoulement. On admettra que sur la partie au vent, où se produit l’essentiel de l’échange thermique, l’écoulement dans la couche limite reste laminaire et on supposer pour simplifier que : la vitesse U de l’écoulement à l’extérieur de la couche limite est constante, le profil de vitesse dans la couche limite est linéaire : u = U y/δ(s) où y est la coordonnée normale à la surface du corps et δ(s) est l’épaisseur de couche limite à l’abscisse curviligne s. Ecrire l’équation de transport pour la température dans l’air, dans le régime stationnaire. Par un raisonnement dimensionnel, estimer l’épaisseur δT (s) de la couche limite pour la température. En déduire le flux de chaleur moyen et le coefficient d’échange thermique Ka définit comme le rapport entre le flux de chaleur et la différence de température : hjQ i = Ka (T∞ − Ta ). Estimer le flux de chaleur global entre l’intérieur de l’animal et l’air ambiant et comparer aux valeurs données par Gilbert et al. pour les manchots isolés. La vitesse moyenne du vent est U = 5m/s. La température de l’air ambiant est -17˚C. Pour l’écoulement d’air, on assimile les manchots à des cylindres de rayon R = 10 cm. Le nombre de Reynolds calculé sur R est : Re = U R/ν où ν = 1, 5 × 10−5 m2 /s est la viscosité de l’air. Avec les valeurs données, Re ≈ 3 × 104 . Si on suppose que l’écoulement reste laminaire sur la moitié au vent de l’animal, la couche p limite a une épaisseur δ(s) = νs/U . Le profil de vitesse dans la couche limite est donné par : u(s) = U y/δ(s). En régime permanent l’équation de transport est u.∇T = κ∆T . Avec la géométrique spécifique de la couche limite (uk u⊥ et ∂y ∂s , l’équation de transport pour la température s’écrit : u(s) ∂T ∂2T =κ 2 ∂s ∂y (1) où on assimilé localement la géométrie cylindrique à une géométrie plane. Si on écrit les différents termes de l’équation en ordre de grandeur, on a : U y ∆T ∆T =κ 2 δ(s) s δT (2) où δT est l’épaisseur de la couche limite pour la température. En évaluant le membre de gauche sur l’épaisseur de la couche limite thermique, en y ≈ δT , on a : sδ(s) U (3) s3/2 ν 1/2 U 3/2 (4) δT3 = κ soit, en utilisant l’expression de δ(s) : δT3 = κ ce qui donne l’évolution de δT avec s : κ 1/3 s1/2 ν 1/6 δ(s) (5) = ν U 1/2 La couche limite √ pour la température suit la même loi d’épaississement que la couche limite pour la vitesse en s, mais avec un préfacteur égal au nombre de Prandtl P r = ν/κ à la puissance -1/3. Dans un gaz P r ≈ 1 et δT ≈ δ. Le flux de chaleur local à travers la couche limite est jQ (s) = −λa ∂T /∂y(s) = −λa (T∞ − Ta )/δ(s). Le flux de chaleur total est intégré le long de la couche limite de s = 0 à s = R : δT (s) = κ1/3 3 Z JQ = − R Z jQ (s) ds = λa 0 0 R T∞ − Ta ds = λa P r1/3 δT (s) r U ν Z Si la température à la surface des plumes est constante, r UR 1/3 JQ = 2λa P r (T∞ − Ta ) ν Il faut ensuite intégrer ce flux sur toute la hauteur de l’animal : r UR 1/3 Q̇ = 2λa P r H (T∞ − Ta ) ν R (T∞ − Ta )s−1/2 ds (6) 0 (7) (8) La masse de chaque animal est : m = ρπR2p H. Si le rapport hauteur sur largeur H/R = α est constant, m = ραπR3 et Q̇ = 2λa P r1/3 αR3/2 U/ν(T∞ − Ta ) et on voit que le flux chaleur est proportionnel à la racine carrée de la masse. Par ailleurs le coefficient de transfert thermique Ka est défini comme : hjQ i = Ka (T∞ − Ta ). En comparant les deux expressions du flux de chaleur, on a : λa 1/3 1/2 P r ReR (9) R En l’absence d’écoulement on aurait Ka = λa /R. L’écoulement de l’air augmente donc le coefficient de transfert proportionnellement à la racine carrée du nombre de Reynolds. Avec un nombre de Prandtl de l’ordre de l’unité et Re = 3 × 104 , on a Ka ≈ 150λa /R ≈ 30 W.m−2 .K−1 . Pour la couche de graisse, Kg = λg /eg ≈ 10 W.m−2 .K−1 et pour la couche de plumes Kp = λp /ep ≈ 2, 5 W.m−2 .K−1 . Dans ces conditions, le coefficient de transfert thermique total Kt qui est tel que 1/Kt = 1/Kg + 1/Kp + 1/Ka est dominé par la résistance thermique du plumage et Kt ≈ 2 W.m−2 .K−1 . Pour une température intérieure de 38˚C et T∞ = -17˚C, ∆T = 55 K ce qui donne un flux de chaleur de 110 W.m−2 . Avec une surface d’échange totale estimée à 0,8 m2 , on a un flux de chaleur total de 88 W ce qui correspond bien aux 85 W estimés pour les oiseaux isolés dans un enclos et donc complètement exposés au vent. Ka = 4 Transfert radiatif 4.Dans leurs articles Le Maho et Gilbert et al. ne font jamais mention du transfert radiatif mais ils ne donnent aucune justification pour le négliger. Quelles sont les données dont vous auriez besoin pour l’estimer ? Comment pourriez vous le mesurer directement sur les manchots ? Dans quelles conditions de couverture nuageuse le refroidissement radiatif serait-il le plus important ? Le bilan radiatif fait intervenir le rayonnement à partir de la surface des plumes à la température Ta et le rayonnement intégré provenant de l’air ambiant à la température T∞ . Pour chacun il faut connaı̂tre l’émissivité e qui donne la puissance rayonnée par la loi de Stefan : JR = eσT 4 et connaı̂tre la températures de surface des animaux ainsi que la température équivalente de l’air ambiant. Les flux thermiques radiatifs peuvent être mesurés sur le terrain avec une caméra infrarouge. Le ciel clair absorbe beaucoup moins le rayonnement infra-rouge que la vapeur d’eau des nuages. Le refroidissement serait plus prononcé par ciel clair. 4