La loi sur la régulation économique Outre-mer

Transcription

La loi sur la régulation économique Outre-mer
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
RLC
La loi sur la régulation économique
Outre-mer
Par
Séverine MANNA
Avocat au Barreau de Paris
Associée
B.O.T. Avocats
<www.bot-avocats.fr>
Loi de régulation économique
Outre-mer : les bases d’un droit
de la concurrence ultramarin
Longtemps attendue, une loi
de régulation économique propre
à l’Outre-Mer vient d’entrer en
vigueur. Les spécificités ultramarines
ont été prises en compte avec la
création d’infractions, de procédures
et de pouvoirs étatiques applicables
uniquement dans les DOM-TOM. Le
législateur a ainsi instauré un véritable
droit de la concurrence ultramarin
caractérisé par l’innovation et la force
des solutions juridiques retenues.
Néanmoins, le texte soulève quelques
interrogations d’ordre juridique mais
surtout pratique qu’il conviendra de
résoudre afin de préserver
l’efficacité de ce texte ambitieux.
C
rise oblige, après plus de trois
décennies de législations visant à
harmoniser les droits nationaux à un niveau supranational, et plus précisément
à l’échelle de l’Union européenne, la nécessité de tenir compte des spécificités
locales est revenue au goût du jour.
Le mouvement a été enclenché avec
les grèves générales en Guadeloupe en
janvier 2009 puis un mois plus tard en
Martinique pour dénoncer « la vie chère
outre-mer ». Les doléances formulées par
les antillais ont percé jusqu’en métropole
de manière suffisamment convaincante
pour que l’Autorité de la concurrence
(AdlC) soit saisie du sujet. Les avis rendus sur saisine du Secrétaire d’État à
l’Outre-mer par l’AdlC durant l’été 2009
au sujet des problèmes de concurrence
observés sur les marchés ultramarins
(Aut. conc., avis n° 09-A-45, 8 sept. 2009, relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de
grande consommation dans les DOM ; Aut. conc., avis
n° 09-A-21, 24 juin 2009, relatif à la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements
d’Outre-mer) ont fait le constat de conditions
Droit l Économie l Régulation
2307
de concurrence particulièrement obérées
et nécessitant des mesures spécifiques
afin de rétablir un tant soi peu de libre
jeu concurrentiel. Malgré tout, les recommandations de l’AdlC sont restées
pour la plupart des vœux pieux, une
intervention du législateur faisait donc
nécessité. Il a donc fallu attendre 3 ans
pour que le Gouvernement décide de
prendre les mesures nécessaires dans
le cadre d’un projet de loi présenté par
le ministre des Outre-mer, Victorin Lurel, le 5 septembre 2012 en conseil des
ministres. Le texte a fait l’objet d’une
adoption en procédure accélérée témoignant de la volonté du Gouvernement
en place de régler le problème.
La loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012
relative à la régulation économique outremer (Loi REOM, JO 21 nov.) a donc été adoptée à
l’issue de débats parlementaires au cours
desquels régnait un consensus évident.
Ni prise de becs, ni saisine du Conseil
constitutionnel, la loi REOM est entrée
en vigueur le 22 novembre 2012 dans
la plus grande sérénité 5 jours après son
adoption définitive par le Parlement. Si
du côté de la Métropole, les congratulations sont pléthore, l’entrée en vigueur
de la loi REOM n’a pas semblé soulever
l’enthousiasme, ni même le soulagement
des ultramarins qui doutent de l’efficacité
des mécanismes choisis par le législateur.
Si les intentions du législateur et du
Gouvernement sont louables, certaines
dispositions soulèvent quelques interrogations quant à leur pertinence et parfois
même certaines difficultés de mise en
œuvre. Néanmoins, la loi REOM a le mérite de poser les premières pierres d’un
édifice ayant vocation à être amélioré
au fil du temps. L’avancée significative
est que le Gouvernement reconnaît aujourd’hui la spécificité des conditions
économiques et concurrentielles qui
prévalent outre-mer.
Partant de ce postulat, il a été décidé que
les régions ultramarines devaient posséder des règles de concurrence spécifiques,
celles de la métropole et de l’Union européenne n’étant pas toutes adaptées à
la structure des marchés ultramarins.
Ainsi, le droit de la concurrence ultramarin se fonde sur les bases juridiques
du droit commun mais instaure certaines
dispositions spécifiques aux DOM-COM
à l’image du régime actuellement applicable aux opérations de concentration
sur les marchés ultramarins (critères
d’analyse et règles de procédure de droit
commun mais seuils abaissés). Concrètement, la loi REOM confie un pouvoir de
régulation des marchés ultramarins au
Gouvernement (I), ajoute des infractions
(II) et des procédures spécifiques aux
DOM-COM en matière de pratiques anticoncurrentielles (III) et enfin octroie aux
collectivités territoriales ultramarines un
rôle particulier (IV).
I. – UN POUVOIR DE RÉGULATION
DES MARCHÉS ULTRAMARINS
POUR LE GOUVERNEMENT
La détermination du mode de régulation
des marchés par le Gouvernement a largement été inspirée des préconisations
formulées par l’AdlC dans les avis qu’elle
a rendus en 2009 (Aut. conc., avis n° 09-A-45,
8 sept. 2009, relatif aux mécanismes d’importation et de
distribution des produits de grande consommation dans les
DOM) même si elles n’ont pas toutes été
suivies. Celle-ci estimait en effet qu’une
régulation au stade du commerce de détail, telle qu’un blocage des prix, serait
inefficace et que seule une restructuration profonde des marchés ultramarins
pourrait permettre de lutter efficacement
contre la vie chère outre-mer. Ainsi,
l’AdlC proposait de traiter le problème
à la base, c’est-à-dire au niveau des marchés de gros et d’approvisionnement
N ° 3 5 • A V R I L - J U I N 2 013 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E
>
125
LOI DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE OUTRE-MER : LES BASES D’UN DROIT DE LA CONCURRENCE ULTRAMARIN
marqués par une situation de monopole
ou quasi-monopole de fait.
Le législateur, sans doute poussé par la
voix du peuple, a opté pour un système
combinant une régulation au niveau des
marchés de gros avec une régulation des
prix de détail. La stratégie est claire : en
attendant que le premier type de mesures ait le temps d’être mis en place et
de produire des effets à moyen et long
terme, la régulation des prix produira des
effets immédiatement sensibles pour les
populations concernées.
A. – Régulation des marchés
ultramarins en amont
La loi REOM introduit un nouvel article
L. 410-3 dans le Code de commerce octroyant au Gouvernement le pouvoir de
réguler les marchés de gros de biens et
de services outre-mer afin d’y rétablir un
libre jeu de la concurrence. Précisément,
le Gouvernement est désormais habilité
à prendre les mesures nécessaires pour
remédier aux dysfonctionnements de
ces marchés.
Le Gouvernement dispose du pouvoir
d’imposer aux entreprises des obligations comportementales à tout stade de
la chaîne de distribution des produits et
services : marchés de gros, d’exportation vers les collectivités ultramarines,
d’acheminement, de stockage et de
distribution. Ces mesures feront l’objet
d’un décret en Conseil d’État pris après
avis public de l’AdlC. Les collectivités
territoriales ultramarines devront être
également consultées conformément aux
dispositions du Code général des collectivités territoriales ou de la loi organique
dont relève la collectivité concernée.
Concrètement, la loi REOM permet
au Gouvernement d’agir sur plusieurs
points : l’accès aux marchés, l’absence
de discrimination tarifaire, la loyauté
dans les transactions, les marges des
opérateurs et la gestion des facilités essentielles. Cette liste est limitative et,
dans son action, il est fait obligation au
Gouvernement de constamment tenir
compte de la protection des consommateurs.
Le texte laisse une certaine latitude au
Gouvernement dans le choix des mesures qu’il mettra en œuvre. Le souhait
du législateur était d’offrir au Gouvernement la possibilité de déterminer les
remèdes aux dysfonctionnements à la
suite d’une analyse de marché menée
de manière contradictoire avec les différents acteurs économiques. Ce système
ressemble quelque peu à la procédure
d’engagements de l’AdlC, sans l’AldC et
sans la partie contentieuse, où ce sont les
acteurs économiques qui trouvent les so-
126
lutions pour remédier aux problèmes de
concurrence sous l’arbitrage de l’AdlC.
Cette procédure a fait ses preuves et recueille l’assentiment général tant du côté
régulateur que du côté des opérateurs
économiques.
Néanmoins, on imagine déjà que ces mesures pourront notamment consister en
des obligations d’ouvrir l’accès à des infrastructures comme des appontements,
des obligations de mutualisation pour
l’affrètement de bateaux ou la construction et/ou l’entretien d’infrastructures
essentielles comme des zones de stockage du carburéacteur, l’obligation de
disposer de tarifs de référence et de les
rendre accessibles à ceux qui en font
la demande, d’obligation d’information
sur les marges pratiquées ou encore une
obligation de séparation comptable de
certaines activités.
Concrètement,
la loi REOM permet
au Gouvernement
d’agir sur plusieurs
points : l’accès
aux marchés, l’absence
de discrimination
tarifaire, la loyauté
dans les transactions,
les marges
des opérateurs
et la gestion des facilités
essentielles.
Les mesures qui seront prises par le
Gouvernement devront respecter trois
conditions : (i) la concurrence observée
sur le secteur doit être limitée par les
conditions d’approvisionnement ou la
structure du marché, (ii) les mesures
doivent viser uniquement les dysfonctionnements des marchés de gros de
biens et de services et, (iii) respecter
les principes de nécessité et de proportionnalité par rapport au problème de
concurrence auquel elles doivent remédier. La satisfaction de ces conditions
sera vérifiée par l’AdlC qui pourra mener
une analyse économique dans le cadre
de sa consultation obligatoire. Par la
suite, le décret de régulation sera soumis
aux recours habituels devant le Conseil
d’État.
Le Gouvernement s’est engagé à prendre
ces décrets rapidement mais pour le moment aucun signe du côté gouvernemental. En revanche, l’AdlC travaille déjà sur
la question du fret maritime sur la ligne
Europe du Nord-Antilles dans le cadre de
la procédure d’engagements à l’encontre
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • AVRIL-JUIN 2013 • N° 35
des sociétés de transport maritime CMACGM, Maersk, Marfret et WEC Lines afin
qu’elles modifient leur contrat de location d’espace. L’AdlC s’était autosaisie
dans cette affaire en suite de son avis
n° 09-A-45 sur les mécanismes d’importation et de distribution des produits de
grande consommation dans les départements d’Outremer (Aut. conc., avis n° 09-A-45,
précité ; Aut. conc., déc. n° 09-SO-02, 3 nov. 2009, relative
à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport
maritime de fret entre l’Europe du Nord et les Antilles).
B. – Régulation des marchés
ultramarins en aval
La loi REOM introduit dans le Code de
commerce un système permettant au
Gouvernement de réglementer directement les prix composé, d’une part, d’un
pouvoir de réglementation des prix par
le Gouvernement sur décret, et d’autre
part, d’un dispositif dit « bouclier qualité
prix » imposant la négociation annuelle
d’accords de modération de prix entre
les différents acteurs économiques sous
l’égide bienveillante d’un représentant
de l’État.
Ce dispositif a été introduit dans le projet de loi en première lecture devant le
Sénat (travaux parlementaires sur la loi REOM, Rapp.
n° 779, Larcher S., Commission des affaires économiques
pour le Sénat) sur proposition de la Com-
mission des affaires économiques, puis
complété devant l’Assemblée Nationale
par la Commission des affaires économiques (travaux parlementaires sur la loi REOM, Rapp.
n° 245, Bareigts E., Commission des affaires économiques
pour l’Assemblée nationale).
La première disposition (C. com., art. L. 410-4)
vient se substituer à l’article 1er de la
loi n° 2009-594 pour le développement
économique des outremers (LODEOM)
du 27 mai 2009 en le réécrivant. Ce dernier permettait déjà au Gouvernement de
réglementer les prix de certains produits
ou famille de produits de première nécessité, mais elle n’a jamais été utilisée,
essentiellement au motif que sa mise en
œuvre était conditionnée par l’article
L. 410-2 du code de commerce exigeant
de démontrer l’existence d’une concurrence par les prix limitée en raison de
« situations de monopoles ou de difficultés d’approvisionnement durables ».
L’article L. 410-4 du code de commerce
codifie cette disposition dans le Code
de commerce et supprime le renvoi à
l’article L. 410-2 du même code, ce qui
le rend désormais plus aisé à mettre en
œuvre et donc efficace. Le nouveau mécanisme prévoit que le Gouvernement
pourra « réglementer, après avis public
de l’AdlC et par décret en Conseil d’État,
le prix de vente de produits ou de famille
de produits de première nécessité ».
Droit l Économie l Régulation
Droit l Économie l Régulation
résulter d’un consensus entre les différents acteurs économiques en présence.
Les modalités de préparation, négociation et mise en œuvre des accords annuels de modération ont été définies par
un décret publié le 27 décembre 2012
(D. n° 2012-1459, 26 déc. 2012, relatif aux accords annuels
de modération de prix de produits de grande consommation
de l’article L. 410-5 du code de commerce). Le premier
accord annuel « bouclier qualité prix »
vient d’ailleurs d’être signé en Martinique, ce 27 février 2013, au terme de
deux mois de négociations, sans que le
préfet n’ait eu à exercer son pouvoir de
réglementation. Il a sans doute été fait
preuve d’une certaine tolérance quant
au dépassement du délai d’un mois en
raison de la nouveauté de ce mécanisme.
II. – DES INFRACTIONS
SUPPLÉMENTAIRES REVÊTANT
LE QUALIFICATIF DE PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES
Deux infractions spécifiques aux DOMCOM viennent s’ajouter aux infractions
d’entente et d’abus de position dominante au rang de pratiques anticoncurrentielles ressortant de la compétence de
l’AdlC (C. com., art. L. 450-5).
A. – Le non-respect des mesures
de régulation d’origine
gouvernementale
La première infraction sera constituée
dès lors que les mesures de régulation
des marchés de gros de biens et de services prises par le Gouvernement au titre
de l’article L. 410-3 du code de commerce
n’auront pas été respectées.
La DGCCRF et plus précisément ses représentations territoriales, les DIECCTE
(Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail
et de l’emploi), seront chargées de la
surveillance. À ce titre, les parlementaires ont appelé à plusieurs reprises
au renforcement des effectifs de ces organes déconcentrés et déjà surchargés.
L’existence d’une surveillance effective
est en effet le gage de l’efficacité de la
répression et in fine du texte de loi.
B. – Le principe d’interdiction
des droits exclusifs d’importation
Cette interdiction est instaurée par un
nouvel article L. 420-2-1 du code de commerce. Rappelons que les engagements
d’exclusivités sont par principe licites en
droit français pourvu qu’ils respectent
les articles L. 330-1 à L. 330-3 du code
de commerce et qu’ils ne soient pas de
nature à restreindre artificiellement le
libre jeu de la concurrence. Dans ce système d’exception légale, l’accord ou la
pratique est donc valable jusqu’à ce que
son illégalité ait constatée par une juridiction valablement saisie et compétente.
Le dispositif mis en place outre-mer est
aussi un régime d’exception légale, mais
il diffère sensiblement du régime métropolitain puisqu’il prévoit que les accords
et pratiques instaurant des droits exclusifs d’importation seront, par principe,
interdits à moins qu’il ne soit prouvé
qu’ils sont conclus dans l’intérêt du
consommateur.
Cette interdiction de principe vise tout
accord commercial écrit, verbal ou de
fait et quel que soit le produit. En effet,
les avis rendus en 2009 par l’AdlC (précités) constataient que les exclusivités
d’importation résultaient la plupart du
temps de situation de fait. Le législateur
a donc choisi de viser « les accords et
les pratiques » pour tenir compte des
réalités et que les dispositions soient
efficaces. Conformément à la pratique
décisionnelle française, l’accord ou la
pratique sera réprimé que les droits exclusifs soient créés par objet ou par effet.
Tout accord ou pratique en infraction
avec cette disposition est nul de plein
droit au titre de l’article L. 420-3 du code
de commerce. L’action en nullité appartient donc à toute personne intéressée et
non uniquement aux parties à l’accord
écrit ou verbal. Il s’agit néanmoins d’une
nullité relative qui ne remettra pas nécessairement en cause l’ensemble de la
relation commerciale.
Le dispositif a pour objectif de mieux
contrôler les importateurs-grossistes et
non d’interdire systématiquement les
exclusivités d’importation. Il est vrai que
compte tenu des caractéristiques des
marchés ultramarins, les exclusivités
d’importation peuvent parfois générer
des gains pour les consommateurs. En effet, l’éloignement de la métropole (coûts
de fret et logistique du transport) et les
volumes/quantités réduits peuvent en
effet justifier des exclusivités qui généreront des économies d’échelle. C’est
la raison pour laquelle le législateur a
prévu une exception à ce principe d’interdiction des exclusivités d’importation.
Ainsi, la loi REOM exempte l’exclusivité
d’importation dès lors qu’elle est fondée
sur des « motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et qui réservent aux
consommateurs une partie équitable du
profit qui en résulte » (C. com., art. L. 420-4, III).
Néanmoins, cette notion semble promise
à quelques difficultés d’interprétation
en particulier ce qu’il faut entendre par
« une partie équitable du profit qui en
résulte ». Pourtant, les parlementaires
n’ont pas tari leurs efforts pour tenter
de clarifier la notion initiale d’« intérêt
N ° 3 5 • A V R I L - J U I N 2 013 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
La seconde disposition instaure un
« bouclier qualité prix ». L’article
L. 410-5 du code de commerce permet
au représentant de l’État, après avis public de l’observatoire des prix, marges et
des revenus compétent territorialement
de négocier « chaque année avec les organisations professionnelles du secteur du
commerce de détail et leurs fournisseurs,
qu’ils soient producteurs, grossistes ou
importateurs, un accord de modération
du prix global d’une liste limitatives de
produits de consommation courante ».
Cette dernière disposition ne s’appliquera pas à Saint-Martin ni à Saint-Barthélémy. Une maigre concession faite
aux députés qui prônaient l’exclusion
de ces deux îles du champ d’application
de la loi REOM, puisque la seconde disposition relative à la réglementation des
prix de détail des produits de première
nécessité (voir point précédent).
Le mécanisme du « bouclier qualité prix »
s’organise en deux phases. Une première
phase de négociation qui s’inscrit en
droite ligne des méthodes qui ont permis
de mettre fin à la crise de 2009. La négociation réunit l’ensemble des acteurs économiques. Ce n’est qu’en cas d’échec de
ces négociations ou si celles-ci n’aboutissent pas dans le délai d’un mois que
le Gouvernement, par le biais du préfet,
sera appelé à faire usage de son pouvoir
réglementaire. Ce pouvoir innovant et
fort permettra au préfet d’arrêter le prix
global d’une liste limitative de produits
de consommation courante sur la base de
négociations qui ont achoppé et des prix
les plus bas effectivement pratiqués dans
le secteur concerné. On regrettera que le
législateur n’ait pas pris la peine de préciser ce qu’il faut précisément entendre
par « secteur concerné », comme il a pu
le faire pour l’article L. 752-27 du code
de commerce relatif au nouveau pouvoir
d’injonction structurelle de l’AdlC (voir
III). En effet, la détermination du référentiel est essentielle pour une comparaison
fiable des prix. S’agissant du pouvoir
d’injonction structurelle, le législateur
impose une comparaison des marges
pratiquées outre-mer par rapport à celles
de l’ensemble du secteur économique,
y compris en métropole. Il est donc regrettable que pour la réglementation des
prix de détail, la même précaution n’ait
pas été prise. Dans sa rédaction actuelle,
le Gouvernement pourrait valablement
se limiter à une comparaison des prix
pratiqués uniquement dans le secteur
des DOM-COM, ce qui ferait perdre de sa
superbe à cette disposition. Néanmoins,
ce mécanisme de réglementation par le
Gouvernement devrait être exceptionnel
puisque le « bouclier qualité prix » devrait
>
127
LOI DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE OUTRE-MER : LES BASES D’UN DROIT DE LA CONCURRENCE ULTRAMARIN
du consommateur » afin d’inclure nécessairement un avantage pécuniaire
direct pour le consommateur. Aussi,
on pourrait estimer prima facie que le
texte prévoit une exception rédigée de
manière suffisamment large pour laisser
une certaine latitude aux bénéficiaires
des exclusivités.
En tout état de cause, le contrôle se fera
a posteriori dans le cadre de la procédure d’injonction de l’AdlC (voir III).
Afin de rendre la disposition encore
plus efficace, la charge de la preuve du
caractère bienfaisant de l’exclusivité a
été renversée et reposera sur l’auteur
des pratiques avec toutes les difficultés
liées à la complexité d’une analyse économique et à sa fiabilité.
La loi REOM s’appliquera aux contrats
en cours dès son entrée en vigueur.
Toutefois, le législateur a laissé aux entreprises un délai de 4 mois suivant sa
promulgation pour se mettre en conformité (jusqu’au 20 mars 2013).
Ce système d’auto-régulation a déjà
montré son efficacité en droit communautaire (système d’autoanalyse créé par Règl. Cons. CE
n° 1/2003, 16 déc. 2002). L’entreprise est invitée
à faire son auto-analyse, mais si elle
faillit le couperet tombe. La Commission
européenne s’était donné les moyens de
montrer aux entreprises qu’elles pouvaient craindre une répression effective
et efficace. Entre des agents zélés et un
mécanisme de clémence redoutablement séduisant, ce nouveau dispositif
s’est avéré être une belle réussite. Espérons que le Gouvernement saura donner
les moyens aux DIECCTE et à l’AdlC de
veiller au respect des dispositions par
les entreprises ultramarines. Le succès
de ces mesures dépend non seulement
des moyens dépêchés par le Gouvernement au niveau local mais également
de la volonté et du courage des entreprises locales victimes de dénoncer les
pratiques. Le Gouvernement ne sera
pas le seul à porter la responsabilité du
succès ou de l’échec de la loi REOM. Les
collectivités territoriales ultramarines
auront un rôle essentiel à jouer sur ce
dernier sujet puisque la loi REOM leur
offre la possibilité de saisir l’AdlC pour
dénoncer des pratiques subies par des
administrés qui n’auraient pas le courage ou les finances pour le faire par
eux-mêmes (voir IV).
C. – La répression de ces deux
nouvelles infractions relève
de la procédure d’injonction de l’AdlC
Dans un souci de simplicité et d’efficacité, le législateur a voulu soumettre la
répression de ces deux nouvelles infractions à une procédure existante : la pro-
128
cédure d’injonction de l’AdlC. Celle-ci
est régie par l’article L. 464-2, I, du code
de commerce. Il a d’ailleurs été modifié
par la loi REOM pour inclure les deux cas
d’ouverture résultant des deux nouvelles
infractions spécifiques aux DOM-COM
(C. com., art. L. 420-2-1 et L. 420-5).
Cette procédure d’injonction a d’ailleurs
montré son efficacité à ancrer la culture
« concurrence » chez les acteurs économiques dans les premières années de
l’ancien Conseil de la concurrence. Elle
est extrêmement efficace lorsqu’il suffit
de faire cesser les pratiques. Or, c’est
bien ce qui est nécessaire outre-mer. La
procédure pourra être initiée par une
entreprise, le ministre en charge de l’Économie (par le biais des DIECCTE), un organisme tel que les chambres consulaires
ou syndicales, la région Outre-mer dans
laquelle ces pratiques sont constatées ou
Entre des agents zélés
et un mécanisme
de clémence
redoutablement
séduisant, ce nouveau
dispositif s’est avéré être
une belle réussite.
encore le Rapporteur Général de l’AdlC.
L’entreprise peut se voir enjointe de
cesser les pratiques ou prendre des
engagements. L’AdlC peut également
prononcer une sanction pécuniaire
jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires
mondial soit immédiatement, soit en cas
d’inexécution des injonctions. Il y a fort
à parier que la politique de l’AdlC sera
de montrer l’exemple et frapper fort dès
le départ. La loi REOM prévoit d’ailleurs
que l’entreprise ayant fait l’objet d’une
injonction pour non-respect des mesures de régulation des marchés de
gros devra publier cette injonction à
ses frais dans la presse locale (C. com.,
nouvel art. L. 464-2, I), autrement dit montrer
du doigt les récalcitrants au droit de la
concurrence ultramarin.
III. – RENFORCEMENT DES POUVOIRS
DE L’ADLC À L’ÉGARD DES MARCHÉS
DU COMMERCE DE DÉTAIL
Le commerce de détail est le secteur clé
pour le rétablissement de conditions de
concurrence efficaces et une baisse des
prix au détail en Outre-mer. Le législateur renforce les pouvoirs de l’AdlC afin
qu’elle puisse agir efficacement sur la
structure concurrentielle du secteur du
commerce de détail.
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • AVRIL-JUIN 2013 • N° 35
A. – L’intensification du contrôle
des opérations de concentration
sur le secteur du commerce de détail
Les opérations de concentration réalisées outre-mer étaient déjà soumises à
des seuils abaissés par rapport au droit
commun. La loi REOM abaisse une fois
de plus ce seuil relatif au commerce de
détail qui se trouve désormais réduit à
5 millions d’euros (C. com., art. L. 430-2). La raison invoquée par le législateur était que
le ratio entre les seuils du commerce de
détail et ceux des autres marchés devait
être identique en métropole et outremer, autrement dit un ratio de 3. Cette
modification requise par le respect du
principe de proportionnalité permettra à
l’AdlC de contrôler plus d’opérations, ce
qui tombe à pic dans le contexte d’une
intensification du contrôle des marchés
de la distribution de biens de consommation outremer.
Cette volonté apparaît clairement
lorsqu’elle se lit en conjonction avec
le nouvel article L. 752-6-1 du code de
commerce qui prévoit que l’AdlC pourra
également être consultée par la Commission Départementale d’Aménagement Commercial (CDAC) lorsque la
part de marché de l’entreprise dépassera 50 % dans la zone de chalandise.
Ce lien entre urbanisme commercial et
droit de la concurrence est encore une
excellente innovation de la loi REOM et
ses effets pourraient se concrétiser très
rapidement.
B. – La nouvelle procédure
d’injonction structurelle pour
le secteur du commerce de détail
Cette procédure instaurée par la loi
REOM est celle qui a soulevé le plus
d’oppositions et de discussions. L’AdlC
et le législateur la présentent comme
une « arme de dissuasion massive ».
Elle a pour objet d’inciter fortement les
entreprises à agir spontanément pour
rétablir un jeu effectif de la concurrence
en procédant aux cessions d’actifs nécessaires ou en prenant les mesures
comportementales nécessaires (réduire
les marges).
Cette procédure d’injonction structurelle avait été préconisée par l’AdlC
comme moyen efficace de remédier
aux problèmes de concurrence sur le
marché parisien du commerce de détail
(Aut. conc., avis n° 12-A-01, 11 janv. 2012, sur la situation
concurrentielle de la distribution alimentaire à Paris). En
effet, même si un pouvoir d’injonction
structurelle existait déjà au titre de l’article L. 752-26 du code de commerce,
son utilisation et son efficacité étaient
substantiellement obérées en raison de
conditions de mise en œuvre quasi-im-
Droit l Économie l Régulation
Droit l Économie l Régulation
offrait les garanties suffisantes pour éviter toute dérive.
Tout d’abord, le texte prévoit des conditions d’ouverture de la procédure claires
et précises, que les entreprises peuvent
anticiper en procédant spontanément à
des modifications comportementales ou
des cessions d’actifs. Ensuite, l’injonction n’est qu’une faculté « ultime et subsidiaire ». Enfin, si l’AdlC venait à en faire
application, celle-ci serait mise en œuvre
à l’issue d’une procédure respectant le
principe du contradictoire et permettant
dès lors à l’entreprise incriminée de faire
valoir ses droits et lui permettant à tout
moment de prendre des engagements de
nature à y mettre un terme.
En pratique, la procédure se déroulera
de la manière suivante. Dans un premier
temps, l’AdlC fera part de ses préoccupations à l’entreprise, celle-ci disposera
d’un délai de deux mois pour proposer
des engagements dans une forme similaire à ceux de la procédure d’engagements de l’AdlC (C. com., art. L. 464-2). Si l’entreprise ne propose pas d’engagements
ou si l’AdlC les estime insuffisants pour
remédier aux problèmes de concurrence
identifiés, l’AdlC pourra alors enclencher
le second temps de la procédure. Bien
que le texte ne le précise pas, l’AdlC
notifiera sans doute son insatisfaction
à l’entreprise en cause et l’informera
du lancement de cette seconde phase.
L’article L. 752-27 du code de commerce prévoit que l’entreprise devra
transmettre à l’AdlC ses observations
et que l’affaire fera l’objet d’une séance
devant le collège de l’AdlC. Bien que le
texte soit muet sur ce point, cette séance
sera nécessairement contradictoire. À
l’issue de cette procédure, l’AdlC pourra
rendre une décision motivée enjoignant à
l’entreprise de prendre les engagements
nécessaires dans un délai de deux mois.
Dans un troisième temps, si l’entreprise
refuse toujours de s’exécuter, l’AdlC
pourra alors faire usage de son pouvoir
d’injonction structurelle et enjoindre à
l’entreprise de procéder à des cessions
d’actifs. Les recours contre les décisions
de l’AdlC au titre de cet article L. 752-27
du code de commerce devront être portés
devant la cour d’appel de Paris (C. com.,
art. L. 464-8).
IV. – EXTENSION DU POUVOIR
DE SAISINE DE L’ADLC
PAR LES COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES ULTRAMARINES
La loi REOM est venue ajouter un article
L. 462-5, IV, au Code de commerce disposant : « l’Autorité de la concurrence
peut être saisie par les régions d’outre-
mer, le Département de Mayotte, la collectivité de Saint-Barthélemy, la collectivité de Saint-Martin et la collectivité
territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon
de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1 et
L. 420-5 ou contraire aux mesures prises
en application de l’article L. 410-3, ou
de faits susceptibles de constituer une
telle pratique, concernant leur territoire
respectif ».
Étrangement et peut-être tristement, il
s’agit d’une sorte de retour au régime
du droit de la concurrence administré
qui prévalait jusqu’à l’entrée en vigueur
de l’ordonnance du 1er décembre 1986.
L’intermédiation de l’Administration par
le biais de la DGCCRF et du ministre de
l’Économie était obligatoire pour pouvoir saisir le Conseil de la concurrence.
En 1986, le législateur a estimé que la
concurrence sur le marché était telle
qu’un mécanisme d’autorégulation pouvait désormais être mis en place en accordant aux entreprises le droit de saisir
directement le Conseil de la concurrence.
L’équilibre des forces en présence était
suffisant pour limiter les saisines abusives et pour permettre aux plus faibles
de ne pas craindre de dénoncer les pratiques de leurs concurrents. Il semble
malheureusement que ceci ne soit pas
vrai outre-mer.
Néanmoins, les comportements adoptés
par les collectivités territoriales à l’égard
de leurs possibilités de saisir l’AdlC soulèvent quelques interrogations quant à
l’application effective de cette disposition innovante. Cette nouvelle faculté
vient en effet s’ajouter à celles dont
dispose déjà toute collectivité territoriale française métropolitaine ou non :
celle de saisir l’AdlC pour avis sur toute
question relative à la concurrence (C. com.,
art. L. 462-1) et celle de saisir le gendarme de
la concurrence dans sa fonction contentieuses concernant toute pratique susceptible de porter atteinte aux intérêts
dont l’organe de gouvernance local aurait la charge (C. com., art. L. 462-1 et L. 462-5, I).
Cette dernière faculté de saisine concerne
des pratiques dont la collectivité territoriale serait victime. Au cours de ces
dernières années, la faculté de saisine
de l’AdlC au fond ou pour avis n’a pas
connu un grand succès auprès des collectivités locales à quelques exceptions
près que nous évoquerons. En effet, dans
la majorité des cas notamment d’affaires
au fond concernant des pratiques anticoncurrentielles survenues à l’occasion
de la passation de marchés publics, ce
n’est pas la collectivité territoriale victime qui a saisi l’AdlC mais le ministre
de l’Économie. L’on pourrait s’avancer à
N ° 3 5 • A V R I L - J U I N 2 013 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
possibles à satisfaire. L’article L. 752-27
du code de commerce instauré par la
loi REOM remédie à cela. On pourrait
néanmoins se demander pourquoi ne
pas avoir simplement réécrit l’article
L. 752-26 du code de commerce plutôt
que de faire coexister deux procédures
similaires dont l’une n’est pour ainsi
dire jamais appliquée.
Quoiqu’il en soit, ce sont les marchés
ultramarins qui vont bénéficier de la
primeur de cette procédure et qui joueront sans doute le rôle de laboratoire
d’essais de l’AdlC. Gageons cependant
que l’AdlC a déjà bien peaufiné le fonctionnement et l’utilisation de son tout
nouveau pouvoir.
À la différence de la procédure de l’article
L. 752-26 du code de commerce, celle-ci
s’applique en dehors de toute constatation d’infraction. Aussi, le législateur a
dû s’assurer qu’il offrait aux entreprises
qui pouvaient être parties à ce type de
procédure un minimum de garanties
procédurales et constitutionnelles.
Les cas dans lesquels l’AdlC peut faire
usage de ce pouvoir ont donc été bien
encadrés. L’ouverture de la procédure
d’injonction structurelle est soumise à
2 conditions :
1) l’entreprise exploitant un ou plusieurs
magasins de commerce de détail doit être
en position dominante sur une zone de
chalandise, et
2) des prix ou des marges élevées ont pu
être constatés sur cette zone.
La charge de la preuve repose sur
l’AdlC qui sera probablement aidée par
les DIECCTE. Cette tâche devrait être
aisée car le caractère « élevé » des prix
et marges s’appréciera par rapport aux
« moyennes habituellement observées
dans le secteur économique concerné »,
autrement dit par rapport aux prix et
marges pratiqués en métropole. La Fédération des entreprises du commerce et
de la distribution a déjà fait savoir que la
marge moyenne, tous produits confondus, atteint 2-3 % en métropole alors
qu’elle grimpe à 50-55 % outre-mer.
Ces constations permettront de lancer
une procédure contradictoire contre
l’entreprise incriminée. Si au terme de
celle-ci, l’entreprise refuse de remédier
efficacement aux problèmes de concurrence, ce qui devrait être rarement le cas,
l’AdlC disposera du pouvoir d’enjoindre
à l’entreprise de modifier ou résilier ses
contrats, cesser ses comportements ou
de céder certains actifs. C’est ce pouvoir
extrêmement fort qui a ému le monde
économique et certains élus notamment
au regard de la liberté d’entreprendre et
du droit de propriété. Mais le Parlement
a estimé que la procédure mise en place
>
129
LOI DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE OUTRE-MER : LES BASES D’UN DROIT DE LA CONCURRENCE ULTRAMARIN
expliquer cette tendance par les craintes
que peuvent ressentir les collectivités
territoriales à l’idée de se rebeller contre
des entreprises parfois toutes puissantes
ou plus prosaïquement pour des raisons
budgétaires. Cependant, le même constat
peut être fait au sujet de la saisine pour
avis utilisée très timidement par les collectivités territoriales.
S’agissant plus particulièrement des collectivités ultramarines, aucune d’elle n’a
jamais saisi pour avis ou au fond l’AdlC.
Pourtant, ce ne sont pas les problèmes de
concurrence qui manquaient outre-mer.
En effet, les marchés ultramarins ont
donné lieu à plus d’une dizaine de décisions et d’avis de l’AdlC et du Conseil
de la concurrence au cours des dernières
années, en particulier dans le secteur des
télécoms. Dès lors, on peut s’interroger
sur le fait de savoir si les collectivités
territoriales ultramarines seront plus
motivées s’il s’agit de défendre leurs
administrés.
Outre ces questions d’intérêt politiques,
la mise en application de ce dispositif
semble soulever un certain nombre de
questions, si ce n’est de difficultés.
A. – Redondance avec les dispositifs
déjà en place
À ce sujet, on relèvera que ce mécanisme de saisine de l’AdlC institué par la
loi REOM peut paraître redondant avec
les mécanismes en vigueur au sein des
collectivités ultramarines qui possèdent
des DIECCTE (Martinique, Guadeloupe,
Guyane, La Réunion, Mayotte, SaintPierre-et-Miquelon). Les entreprises peuvent en effet transmettre une plainte à
la DIECCTE locale concernant des pratiques anticoncurrentielles dont elles
sont victimes. Celle-ci se charge de vérifier les faits, de mener une enquête en
liaison avec l’AdlC. Un rapport est alors
établi et transmis à l’AdlC qui peut alors
se saisir d’office. L’entreprise n’a donc
pas besoin de saisir l’AdlC, ni même
d’être partie à la procédure.
À la différence de ce mécanisme bien
rôdé, le nouveau rôle attribué aux collectivités territoriales nécessite d’être
totalement organisé. La tâche ne sera
pas aisée de concilier les contraintes du
droit de la concurrence, du droit public
et du fonctionnement des collectivités
territoriales.
B. – Difficultés de mise en œuvre
au regard du droit public
et du fonctionnement
des collectivités territoriales
Les questions soulevées par la mise en
œuvre de cette faculté portent essentiellement sur des questions de droit public
130
et de fonctionnement des collectivités
territoriales.
En premier lieu, la forme de la « plainte »
de l’entreprise soulève de nombreuses
interrogations. L’entreprise craignant des
mesures de rétorsion de la part des autres
opérateurs économiques peut éprouver
certaines réticences à se plaindre officiellement et par écrit des pratiques dont elle
s’estime victime. La loi REOM ne précise
rien à ce sujet mais un certain formalisme semble nécessaire ne serait-ce que
pour s’assurer du traitement effectif des
doléances des entreprises.
En deuxième lieu, se pose la question
de la gestion et de l’administration des
plaintes déposées par les entreprises.
La collectivité territoriale doit-elle systématiquement saisir l’AdlC dès qu’une
entreprise le lui demande, au risque de
Espérons
que nos collectivités
ultramarines sauront
mettre en place
un vade-mecum palliant
la plupart
de ces difficultés
procédurales.
se faire instrumentaliser ? L’autre option consisterait à ce que la collectivité
territoriale conserve la liberté de choisir
si elle saisit ou non l’AdlC dans le cadre
de ses procédures de prise de décision.
Surtout, une collectivité territoriale a
une obligation de neutralité par rapport à l’ensemble de ses administrés.
Comment garantir le respect de cette
neutralité lorsque la collectivité locale
décidera de défendre le parti d’un administré plutôt qu’un autre. Cette situation
pourrait la forcer à endosser une activité
supplémentaire pour faire une première
évaluation des allégations de pratiques
anticoncurrentielles qui lui seraient soumises avant de se prononcer si elle doit
ou non saisir l’AdlC.
Une solution pourrait consister à ce que
la collectivité réalise ce travail en coopération avec les DIECCTE, qui interviennent déjà largement pour les régions
ultramarines. Ce système aurait l’intérêt
de rendre l’évaluation des plaintes fiable
et d’opérer une certaine centralisation de
celles-ci et, par conséquence, de garantir
une cohérence du contrôle en matière de
pratiques anticoncurrentielles outremer.
L’on revient aussi à la question de la
redondance avec les dispositifs existants
même si c’est un moindre mal.
En troisième lieu, s’agissant des règles
de prise de décision des collectivités
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • AVRIL-JUIN 2013 • N° 35
territoriales, celles-ci sont soumises à
l’obligation de transparence des délibérations. Ce principe se heurte à la nécessité de garder la plainte confidentielle
afin de garantir l’efficacité des mesures
d’enquête et d’instruction, telles qu’un
« dawn raid » dont le succès est conditionné par l’effet de surprise. Une solution pourrait consister à adopter une
délibération autorisant de manière générale la collectivité territoriale à saisir
l’AdlC de pratiques anticoncurrentielles
dont certaines entreprises de son territoire pourraient être victimes. Mais, se
pose alors la question de déterminer une
procédure permettant de garantir que la
collectivité locale a respecté ses obligations de neutralité dans sa décision. L’on
peut prédire que ce type de décision de
saisir ou non l’AdlC pourra donner lieu
à des recours en excès de pouvoir soit
du côté des victimes dont la collectivité
n’aura pas voulu soutenir la plainte, soit
des accusés qui estimeront que la collectivité n’avait pas à saisir l’AdlC.
Espérons que nos collectivités ultramarines sauront mettre en place un vademecum palliant la plupart de ces difficultés procédurales.
En quatrième lieu, cette faculté de saisine
de l’AdlC pour le compte de ses administrés soulève une interrogation au regard
du droit des subventions et des aides
d’État. En effet, la prise en charge financière d’une telle action aux lieu et place
d’une entreprise qui aurait normalement
du supporter ces coûts renvoie immédiatement à la question de sa comptabilité au
regard du droit des subventions publiques
et des aides d’État.
Il est à espérer que cette longue liste
d’interrogations et de problèmes à régler avant même de pouvoir mettre en
œuvre cette faculté ne dissuade pas
les collectivités ultramarines d’en faire
usage. Néanmoins, si tel était le cas, les
entreprises continueraient de pouvoir
en envoyer leurs plaintes à la DIECCTE
qui présente une procédure un peu plus
confidentielle que la saisine de l’AdlC.
***
Comme beaucoup de systèmes innovants, le droit de la concurrence tel qu’il
résulte de la loi REOM est perfectible. Il
faut saluer la volonté du Gouvernement
et l’efficacité du législateur qui ont permis d’aboutir à l’adoption d’un texte qui,
s’il est loin d’être parfait, a le mérite de
mettre en place les bases. Comme dit le
proverbe latin, « Rome ne s’est pas faite
en un jour ». Droit l Économie l Régulation

Documents pareils