La loi sur la régulation économique Outre-mer
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La loi sur la régulation économique Outre-mer
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES RLC La loi sur la régulation économique Outre-mer Par Séverine MANNA Avocat au Barreau de Paris Associée B.O.T. Avocats <www.bot-avocats.fr> Loi de régulation économique Outre-mer : les bases d’un droit de la concurrence ultramarin Longtemps attendue, une loi de régulation économique propre à l’Outre-Mer vient d’entrer en vigueur. Les spécificités ultramarines ont été prises en compte avec la création d’infractions, de procédures et de pouvoirs étatiques applicables uniquement dans les DOM-TOM. Le législateur a ainsi instauré un véritable droit de la concurrence ultramarin caractérisé par l’innovation et la force des solutions juridiques retenues. Néanmoins, le texte soulève quelques interrogations d’ordre juridique mais surtout pratique qu’il conviendra de résoudre afin de préserver l’efficacité de ce texte ambitieux. C rise oblige, après plus de trois décennies de législations visant à harmoniser les droits nationaux à un niveau supranational, et plus précisément à l’échelle de l’Union européenne, la nécessité de tenir compte des spécificités locales est revenue au goût du jour. Le mouvement a été enclenché avec les grèves générales en Guadeloupe en janvier 2009 puis un mois plus tard en Martinique pour dénoncer « la vie chère outre-mer ». Les doléances formulées par les antillais ont percé jusqu’en métropole de manière suffisamment convaincante pour que l’Autorité de la concurrence (AdlC) soit saisie du sujet. Les avis rendus sur saisine du Secrétaire d’État à l’Outre-mer par l’AdlC durant l’été 2009 au sujet des problèmes de concurrence observés sur les marchés ultramarins (Aut. conc., avis n° 09-A-45, 8 sept. 2009, relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation dans les DOM ; Aut. conc., avis n° 09-A-21, 24 juin 2009, relatif à la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements d’Outre-mer) ont fait le constat de conditions Droit l Économie l Régulation 2307 de concurrence particulièrement obérées et nécessitant des mesures spécifiques afin de rétablir un tant soi peu de libre jeu concurrentiel. Malgré tout, les recommandations de l’AdlC sont restées pour la plupart des vœux pieux, une intervention du législateur faisait donc nécessité. Il a donc fallu attendre 3 ans pour que le Gouvernement décide de prendre les mesures nécessaires dans le cadre d’un projet de loi présenté par le ministre des Outre-mer, Victorin Lurel, le 5 septembre 2012 en conseil des ministres. Le texte a fait l’objet d’une adoption en procédure accélérée témoignant de la volonté du Gouvernement en place de régler le problème. La loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outremer (Loi REOM, JO 21 nov.) a donc été adoptée à l’issue de débats parlementaires au cours desquels régnait un consensus évident. Ni prise de becs, ni saisine du Conseil constitutionnel, la loi REOM est entrée en vigueur le 22 novembre 2012 dans la plus grande sérénité 5 jours après son adoption définitive par le Parlement. Si du côté de la Métropole, les congratulations sont pléthore, l’entrée en vigueur de la loi REOM n’a pas semblé soulever l’enthousiasme, ni même le soulagement des ultramarins qui doutent de l’efficacité des mécanismes choisis par le législateur. Si les intentions du législateur et du Gouvernement sont louables, certaines dispositions soulèvent quelques interrogations quant à leur pertinence et parfois même certaines difficultés de mise en œuvre. Néanmoins, la loi REOM a le mérite de poser les premières pierres d’un édifice ayant vocation à être amélioré au fil du temps. L’avancée significative est que le Gouvernement reconnaît aujourd’hui la spécificité des conditions économiques et concurrentielles qui prévalent outre-mer. Partant de ce postulat, il a été décidé que les régions ultramarines devaient posséder des règles de concurrence spécifiques, celles de la métropole et de l’Union européenne n’étant pas toutes adaptées à la structure des marchés ultramarins. Ainsi, le droit de la concurrence ultramarin se fonde sur les bases juridiques du droit commun mais instaure certaines dispositions spécifiques aux DOM-COM à l’image du régime actuellement applicable aux opérations de concentration sur les marchés ultramarins (critères d’analyse et règles de procédure de droit commun mais seuils abaissés). Concrètement, la loi REOM confie un pouvoir de régulation des marchés ultramarins au Gouvernement (I), ajoute des infractions (II) et des procédures spécifiques aux DOM-COM en matière de pratiques anticoncurrentielles (III) et enfin octroie aux collectivités territoriales ultramarines un rôle particulier (IV). I. – UN POUVOIR DE RÉGULATION DES MARCHÉS ULTRAMARINS POUR LE GOUVERNEMENT La détermination du mode de régulation des marchés par le Gouvernement a largement été inspirée des préconisations formulées par l’AdlC dans les avis qu’elle a rendus en 2009 (Aut. conc., avis n° 09-A-45, 8 sept. 2009, relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation dans les DOM) même si elles n’ont pas toutes été suivies. Celle-ci estimait en effet qu’une régulation au stade du commerce de détail, telle qu’un blocage des prix, serait inefficace et que seule une restructuration profonde des marchés ultramarins pourrait permettre de lutter efficacement contre la vie chère outre-mer. Ainsi, l’AdlC proposait de traiter le problème à la base, c’est-à-dire au niveau des marchés de gros et d’approvisionnement N ° 3 5 • A V R I L - J U I N 2 013 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E > 125 LOI DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE OUTRE-MER : LES BASES D’UN DROIT DE LA CONCURRENCE ULTRAMARIN marqués par une situation de monopole ou quasi-monopole de fait. Le législateur, sans doute poussé par la voix du peuple, a opté pour un système combinant une régulation au niveau des marchés de gros avec une régulation des prix de détail. La stratégie est claire : en attendant que le premier type de mesures ait le temps d’être mis en place et de produire des effets à moyen et long terme, la régulation des prix produira des effets immédiatement sensibles pour les populations concernées. A. – Régulation des marchés ultramarins en amont La loi REOM introduit un nouvel article L. 410-3 dans le Code de commerce octroyant au Gouvernement le pouvoir de réguler les marchés de gros de biens et de services outre-mer afin d’y rétablir un libre jeu de la concurrence. Précisément, le Gouvernement est désormais habilité à prendre les mesures nécessaires pour remédier aux dysfonctionnements de ces marchés. Le Gouvernement dispose du pouvoir d’imposer aux entreprises des obligations comportementales à tout stade de la chaîne de distribution des produits et services : marchés de gros, d’exportation vers les collectivités ultramarines, d’acheminement, de stockage et de distribution. Ces mesures feront l’objet d’un décret en Conseil d’État pris après avis public de l’AdlC. Les collectivités territoriales ultramarines devront être également consultées conformément aux dispositions du Code général des collectivités territoriales ou de la loi organique dont relève la collectivité concernée. Concrètement, la loi REOM permet au Gouvernement d’agir sur plusieurs points : l’accès aux marchés, l’absence de discrimination tarifaire, la loyauté dans les transactions, les marges des opérateurs et la gestion des facilités essentielles. Cette liste est limitative et, dans son action, il est fait obligation au Gouvernement de constamment tenir compte de la protection des consommateurs. Le texte laisse une certaine latitude au Gouvernement dans le choix des mesures qu’il mettra en œuvre. Le souhait du législateur était d’offrir au Gouvernement la possibilité de déterminer les remèdes aux dysfonctionnements à la suite d’une analyse de marché menée de manière contradictoire avec les différents acteurs économiques. Ce système ressemble quelque peu à la procédure d’engagements de l’AdlC, sans l’AldC et sans la partie contentieuse, où ce sont les acteurs économiques qui trouvent les so- 126 lutions pour remédier aux problèmes de concurrence sous l’arbitrage de l’AdlC. Cette procédure a fait ses preuves et recueille l’assentiment général tant du côté régulateur que du côté des opérateurs économiques. Néanmoins, on imagine déjà que ces mesures pourront notamment consister en des obligations d’ouvrir l’accès à des infrastructures comme des appontements, des obligations de mutualisation pour l’affrètement de bateaux ou la construction et/ou l’entretien d’infrastructures essentielles comme des zones de stockage du carburéacteur, l’obligation de disposer de tarifs de référence et de les rendre accessibles à ceux qui en font la demande, d’obligation d’information sur les marges pratiquées ou encore une obligation de séparation comptable de certaines activités. Concrètement, la loi REOM permet au Gouvernement d’agir sur plusieurs points : l’accès aux marchés, l’absence de discrimination tarifaire, la loyauté dans les transactions, les marges des opérateurs et la gestion des facilités essentielles. Les mesures qui seront prises par le Gouvernement devront respecter trois conditions : (i) la concurrence observée sur le secteur doit être limitée par les conditions d’approvisionnement ou la structure du marché, (ii) les mesures doivent viser uniquement les dysfonctionnements des marchés de gros de biens et de services et, (iii) respecter les principes de nécessité et de proportionnalité par rapport au problème de concurrence auquel elles doivent remédier. La satisfaction de ces conditions sera vérifiée par l’AdlC qui pourra mener une analyse économique dans le cadre de sa consultation obligatoire. Par la suite, le décret de régulation sera soumis aux recours habituels devant le Conseil d’État. Le Gouvernement s’est engagé à prendre ces décrets rapidement mais pour le moment aucun signe du côté gouvernemental. En revanche, l’AdlC travaille déjà sur la question du fret maritime sur la ligne Europe du Nord-Antilles dans le cadre de la procédure d’engagements à l’encontre REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • AVRIL-JUIN 2013 • N° 35 des sociétés de transport maritime CMACGM, Maersk, Marfret et WEC Lines afin qu’elles modifient leur contrat de location d’espace. L’AdlC s’était autosaisie dans cette affaire en suite de son avis n° 09-A-45 sur les mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d’Outremer (Aut. conc., avis n° 09-A-45, précité ; Aut. conc., déc. n° 09-SO-02, 3 nov. 2009, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime de fret entre l’Europe du Nord et les Antilles). B. – Régulation des marchés ultramarins en aval La loi REOM introduit dans le Code de commerce un système permettant au Gouvernement de réglementer directement les prix composé, d’une part, d’un pouvoir de réglementation des prix par le Gouvernement sur décret, et d’autre part, d’un dispositif dit « bouclier qualité prix » imposant la négociation annuelle d’accords de modération de prix entre les différents acteurs économiques sous l’égide bienveillante d’un représentant de l’État. Ce dispositif a été introduit dans le projet de loi en première lecture devant le Sénat (travaux parlementaires sur la loi REOM, Rapp. n° 779, Larcher S., Commission des affaires économiques pour le Sénat) sur proposition de la Com- mission des affaires économiques, puis complété devant l’Assemblée Nationale par la Commission des affaires économiques (travaux parlementaires sur la loi REOM, Rapp. n° 245, Bareigts E., Commission des affaires économiques pour l’Assemblée nationale). La première disposition (C. com., art. L. 410-4) vient se substituer à l’article 1er de la loi n° 2009-594 pour le développement économique des outremers (LODEOM) du 27 mai 2009 en le réécrivant. Ce dernier permettait déjà au Gouvernement de réglementer les prix de certains produits ou famille de produits de première nécessité, mais elle n’a jamais été utilisée, essentiellement au motif que sa mise en œuvre était conditionnée par l’article L. 410-2 du code de commerce exigeant de démontrer l’existence d’une concurrence par les prix limitée en raison de « situations de monopoles ou de difficultés d’approvisionnement durables ». L’article L. 410-4 du code de commerce codifie cette disposition dans le Code de commerce et supprime le renvoi à l’article L. 410-2 du même code, ce qui le rend désormais plus aisé à mettre en œuvre et donc efficace. Le nouveau mécanisme prévoit que le Gouvernement pourra « réglementer, après avis public de l’AdlC et par décret en Conseil d’État, le prix de vente de produits ou de famille de produits de première nécessité ». Droit l Économie l Régulation Droit l Économie l Régulation résulter d’un consensus entre les différents acteurs économiques en présence. Les modalités de préparation, négociation et mise en œuvre des accords annuels de modération ont été définies par un décret publié le 27 décembre 2012 (D. n° 2012-1459, 26 déc. 2012, relatif aux accords annuels de modération de prix de produits de grande consommation de l’article L. 410-5 du code de commerce). Le premier accord annuel « bouclier qualité prix » vient d’ailleurs d’être signé en Martinique, ce 27 février 2013, au terme de deux mois de négociations, sans que le préfet n’ait eu à exercer son pouvoir de réglementation. Il a sans doute été fait preuve d’une certaine tolérance quant au dépassement du délai d’un mois en raison de la nouveauté de ce mécanisme. II. – DES INFRACTIONS SUPPLÉMENTAIRES REVÊTANT LE QUALIFICATIF DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES Deux infractions spécifiques aux DOMCOM viennent s’ajouter aux infractions d’entente et d’abus de position dominante au rang de pratiques anticoncurrentielles ressortant de la compétence de l’AdlC (C. com., art. L. 450-5). A. – Le non-respect des mesures de régulation d’origine gouvernementale La première infraction sera constituée dès lors que les mesures de régulation des marchés de gros de biens et de services prises par le Gouvernement au titre de l’article L. 410-3 du code de commerce n’auront pas été respectées. La DGCCRF et plus précisément ses représentations territoriales, les DIECCTE (Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), seront chargées de la surveillance. À ce titre, les parlementaires ont appelé à plusieurs reprises au renforcement des effectifs de ces organes déconcentrés et déjà surchargés. L’existence d’une surveillance effective est en effet le gage de l’efficacité de la répression et in fine du texte de loi. B. – Le principe d’interdiction des droits exclusifs d’importation Cette interdiction est instaurée par un nouvel article L. 420-2-1 du code de commerce. Rappelons que les engagements d’exclusivités sont par principe licites en droit français pourvu qu’ils respectent les articles L. 330-1 à L. 330-3 du code de commerce et qu’ils ne soient pas de nature à restreindre artificiellement le libre jeu de la concurrence. Dans ce système d’exception légale, l’accord ou la pratique est donc valable jusqu’à ce que son illégalité ait constatée par une juridiction valablement saisie et compétente. Le dispositif mis en place outre-mer est aussi un régime d’exception légale, mais il diffère sensiblement du régime métropolitain puisqu’il prévoit que les accords et pratiques instaurant des droits exclusifs d’importation seront, par principe, interdits à moins qu’il ne soit prouvé qu’ils sont conclus dans l’intérêt du consommateur. Cette interdiction de principe vise tout accord commercial écrit, verbal ou de fait et quel que soit le produit. En effet, les avis rendus en 2009 par l’AdlC (précités) constataient que les exclusivités d’importation résultaient la plupart du temps de situation de fait. Le législateur a donc choisi de viser « les accords et les pratiques » pour tenir compte des réalités et que les dispositions soient efficaces. Conformément à la pratique décisionnelle française, l’accord ou la pratique sera réprimé que les droits exclusifs soient créés par objet ou par effet. Tout accord ou pratique en infraction avec cette disposition est nul de plein droit au titre de l’article L. 420-3 du code de commerce. L’action en nullité appartient donc à toute personne intéressée et non uniquement aux parties à l’accord écrit ou verbal. Il s’agit néanmoins d’une nullité relative qui ne remettra pas nécessairement en cause l’ensemble de la relation commerciale. Le dispositif a pour objectif de mieux contrôler les importateurs-grossistes et non d’interdire systématiquement les exclusivités d’importation. Il est vrai que compte tenu des caractéristiques des marchés ultramarins, les exclusivités d’importation peuvent parfois générer des gains pour les consommateurs. En effet, l’éloignement de la métropole (coûts de fret et logistique du transport) et les volumes/quantités réduits peuvent en effet justifier des exclusivités qui généreront des économies d’échelle. C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu une exception à ce principe d’interdiction des exclusivités d’importation. Ainsi, la loi REOM exempte l’exclusivité d’importation dès lors qu’elle est fondée sur des « motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et qui réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte » (C. com., art. L. 420-4, III). Néanmoins, cette notion semble promise à quelques difficultés d’interprétation en particulier ce qu’il faut entendre par « une partie équitable du profit qui en résulte ». Pourtant, les parlementaires n’ont pas tari leurs efforts pour tenter de clarifier la notion initiale d’« intérêt N ° 3 5 • A V R I L - J U I N 2 013 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES La seconde disposition instaure un « bouclier qualité prix ». L’article L. 410-5 du code de commerce permet au représentant de l’État, après avis public de l’observatoire des prix, marges et des revenus compétent territorialement de négocier « chaque année avec les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs, qu’ils soient producteurs, grossistes ou importateurs, un accord de modération du prix global d’une liste limitatives de produits de consommation courante ». Cette dernière disposition ne s’appliquera pas à Saint-Martin ni à Saint-Barthélémy. Une maigre concession faite aux députés qui prônaient l’exclusion de ces deux îles du champ d’application de la loi REOM, puisque la seconde disposition relative à la réglementation des prix de détail des produits de première nécessité (voir point précédent). Le mécanisme du « bouclier qualité prix » s’organise en deux phases. Une première phase de négociation qui s’inscrit en droite ligne des méthodes qui ont permis de mettre fin à la crise de 2009. La négociation réunit l’ensemble des acteurs économiques. Ce n’est qu’en cas d’échec de ces négociations ou si celles-ci n’aboutissent pas dans le délai d’un mois que le Gouvernement, par le biais du préfet, sera appelé à faire usage de son pouvoir réglementaire. Ce pouvoir innovant et fort permettra au préfet d’arrêter le prix global d’une liste limitative de produits de consommation courante sur la base de négociations qui ont achoppé et des prix les plus bas effectivement pratiqués dans le secteur concerné. On regrettera que le législateur n’ait pas pris la peine de préciser ce qu’il faut précisément entendre par « secteur concerné », comme il a pu le faire pour l’article L. 752-27 du code de commerce relatif au nouveau pouvoir d’injonction structurelle de l’AdlC (voir III). En effet, la détermination du référentiel est essentielle pour une comparaison fiable des prix. S’agissant du pouvoir d’injonction structurelle, le législateur impose une comparaison des marges pratiquées outre-mer par rapport à celles de l’ensemble du secteur économique, y compris en métropole. Il est donc regrettable que pour la réglementation des prix de détail, la même précaution n’ait pas été prise. Dans sa rédaction actuelle, le Gouvernement pourrait valablement se limiter à une comparaison des prix pratiqués uniquement dans le secteur des DOM-COM, ce qui ferait perdre de sa superbe à cette disposition. Néanmoins, ce mécanisme de réglementation par le Gouvernement devrait être exceptionnel puisque le « bouclier qualité prix » devrait > 127 LOI DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE OUTRE-MER : LES BASES D’UN DROIT DE LA CONCURRENCE ULTRAMARIN du consommateur » afin d’inclure nécessairement un avantage pécuniaire direct pour le consommateur. Aussi, on pourrait estimer prima facie que le texte prévoit une exception rédigée de manière suffisamment large pour laisser une certaine latitude aux bénéficiaires des exclusivités. En tout état de cause, le contrôle se fera a posteriori dans le cadre de la procédure d’injonction de l’AdlC (voir III). Afin de rendre la disposition encore plus efficace, la charge de la preuve du caractère bienfaisant de l’exclusivité a été renversée et reposera sur l’auteur des pratiques avec toutes les difficultés liées à la complexité d’une analyse économique et à sa fiabilité. La loi REOM s’appliquera aux contrats en cours dès son entrée en vigueur. Toutefois, le législateur a laissé aux entreprises un délai de 4 mois suivant sa promulgation pour se mettre en conformité (jusqu’au 20 mars 2013). Ce système d’auto-régulation a déjà montré son efficacité en droit communautaire (système d’autoanalyse créé par Règl. Cons. CE n° 1/2003, 16 déc. 2002). L’entreprise est invitée à faire son auto-analyse, mais si elle faillit le couperet tombe. La Commission européenne s’était donné les moyens de montrer aux entreprises qu’elles pouvaient craindre une répression effective et efficace. Entre des agents zélés et un mécanisme de clémence redoutablement séduisant, ce nouveau dispositif s’est avéré être une belle réussite. Espérons que le Gouvernement saura donner les moyens aux DIECCTE et à l’AdlC de veiller au respect des dispositions par les entreprises ultramarines. Le succès de ces mesures dépend non seulement des moyens dépêchés par le Gouvernement au niveau local mais également de la volonté et du courage des entreprises locales victimes de dénoncer les pratiques. Le Gouvernement ne sera pas le seul à porter la responsabilité du succès ou de l’échec de la loi REOM. Les collectivités territoriales ultramarines auront un rôle essentiel à jouer sur ce dernier sujet puisque la loi REOM leur offre la possibilité de saisir l’AdlC pour dénoncer des pratiques subies par des administrés qui n’auraient pas le courage ou les finances pour le faire par eux-mêmes (voir IV). C. – La répression de ces deux nouvelles infractions relève de la procédure d’injonction de l’AdlC Dans un souci de simplicité et d’efficacité, le législateur a voulu soumettre la répression de ces deux nouvelles infractions à une procédure existante : la pro- 128 cédure d’injonction de l’AdlC. Celle-ci est régie par l’article L. 464-2, I, du code de commerce. Il a d’ailleurs été modifié par la loi REOM pour inclure les deux cas d’ouverture résultant des deux nouvelles infractions spécifiques aux DOM-COM (C. com., art. L. 420-2-1 et L. 420-5). Cette procédure d’injonction a d’ailleurs montré son efficacité à ancrer la culture « concurrence » chez les acteurs économiques dans les premières années de l’ancien Conseil de la concurrence. Elle est extrêmement efficace lorsqu’il suffit de faire cesser les pratiques. Or, c’est bien ce qui est nécessaire outre-mer. La procédure pourra être initiée par une entreprise, le ministre en charge de l’Économie (par le biais des DIECCTE), un organisme tel que les chambres consulaires ou syndicales, la région Outre-mer dans laquelle ces pratiques sont constatées ou Entre des agents zélés et un mécanisme de clémence redoutablement séduisant, ce nouveau dispositif s’est avéré être une belle réussite. encore le Rapporteur Général de l’AdlC. L’entreprise peut se voir enjointe de cesser les pratiques ou prendre des engagements. L’AdlC peut également prononcer une sanction pécuniaire jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires mondial soit immédiatement, soit en cas d’inexécution des injonctions. Il y a fort à parier que la politique de l’AdlC sera de montrer l’exemple et frapper fort dès le départ. La loi REOM prévoit d’ailleurs que l’entreprise ayant fait l’objet d’une injonction pour non-respect des mesures de régulation des marchés de gros devra publier cette injonction à ses frais dans la presse locale (C. com., nouvel art. L. 464-2, I), autrement dit montrer du doigt les récalcitrants au droit de la concurrence ultramarin. III. – RENFORCEMENT DES POUVOIRS DE L’ADLC À L’ÉGARD DES MARCHÉS DU COMMERCE DE DÉTAIL Le commerce de détail est le secteur clé pour le rétablissement de conditions de concurrence efficaces et une baisse des prix au détail en Outre-mer. Le législateur renforce les pouvoirs de l’AdlC afin qu’elle puisse agir efficacement sur la structure concurrentielle du secteur du commerce de détail. REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • AVRIL-JUIN 2013 • N° 35 A. – L’intensification du contrôle des opérations de concentration sur le secteur du commerce de détail Les opérations de concentration réalisées outre-mer étaient déjà soumises à des seuils abaissés par rapport au droit commun. La loi REOM abaisse une fois de plus ce seuil relatif au commerce de détail qui se trouve désormais réduit à 5 millions d’euros (C. com., art. L. 430-2). La raison invoquée par le législateur était que le ratio entre les seuils du commerce de détail et ceux des autres marchés devait être identique en métropole et outremer, autrement dit un ratio de 3. Cette modification requise par le respect du principe de proportionnalité permettra à l’AdlC de contrôler plus d’opérations, ce qui tombe à pic dans le contexte d’une intensification du contrôle des marchés de la distribution de biens de consommation outremer. Cette volonté apparaît clairement lorsqu’elle se lit en conjonction avec le nouvel article L. 752-6-1 du code de commerce qui prévoit que l’AdlC pourra également être consultée par la Commission Départementale d’Aménagement Commercial (CDAC) lorsque la part de marché de l’entreprise dépassera 50 % dans la zone de chalandise. Ce lien entre urbanisme commercial et droit de la concurrence est encore une excellente innovation de la loi REOM et ses effets pourraient se concrétiser très rapidement. B. – La nouvelle procédure d’injonction structurelle pour le secteur du commerce de détail Cette procédure instaurée par la loi REOM est celle qui a soulevé le plus d’oppositions et de discussions. L’AdlC et le législateur la présentent comme une « arme de dissuasion massive ». Elle a pour objet d’inciter fortement les entreprises à agir spontanément pour rétablir un jeu effectif de la concurrence en procédant aux cessions d’actifs nécessaires ou en prenant les mesures comportementales nécessaires (réduire les marges). Cette procédure d’injonction structurelle avait été préconisée par l’AdlC comme moyen efficace de remédier aux problèmes de concurrence sur le marché parisien du commerce de détail (Aut. conc., avis n° 12-A-01, 11 janv. 2012, sur la situation concurrentielle de la distribution alimentaire à Paris). En effet, même si un pouvoir d’injonction structurelle existait déjà au titre de l’article L. 752-26 du code de commerce, son utilisation et son efficacité étaient substantiellement obérées en raison de conditions de mise en œuvre quasi-im- Droit l Économie l Régulation Droit l Économie l Régulation offrait les garanties suffisantes pour éviter toute dérive. Tout d’abord, le texte prévoit des conditions d’ouverture de la procédure claires et précises, que les entreprises peuvent anticiper en procédant spontanément à des modifications comportementales ou des cessions d’actifs. Ensuite, l’injonction n’est qu’une faculté « ultime et subsidiaire ». Enfin, si l’AdlC venait à en faire application, celle-ci serait mise en œuvre à l’issue d’une procédure respectant le principe du contradictoire et permettant dès lors à l’entreprise incriminée de faire valoir ses droits et lui permettant à tout moment de prendre des engagements de nature à y mettre un terme. En pratique, la procédure se déroulera de la manière suivante. Dans un premier temps, l’AdlC fera part de ses préoccupations à l’entreprise, celle-ci disposera d’un délai de deux mois pour proposer des engagements dans une forme similaire à ceux de la procédure d’engagements de l’AdlC (C. com., art. L. 464-2). Si l’entreprise ne propose pas d’engagements ou si l’AdlC les estime insuffisants pour remédier aux problèmes de concurrence identifiés, l’AdlC pourra alors enclencher le second temps de la procédure. Bien que le texte ne le précise pas, l’AdlC notifiera sans doute son insatisfaction à l’entreprise en cause et l’informera du lancement de cette seconde phase. L’article L. 752-27 du code de commerce prévoit que l’entreprise devra transmettre à l’AdlC ses observations et que l’affaire fera l’objet d’une séance devant le collège de l’AdlC. Bien que le texte soit muet sur ce point, cette séance sera nécessairement contradictoire. À l’issue de cette procédure, l’AdlC pourra rendre une décision motivée enjoignant à l’entreprise de prendre les engagements nécessaires dans un délai de deux mois. Dans un troisième temps, si l’entreprise refuse toujours de s’exécuter, l’AdlC pourra alors faire usage de son pouvoir d’injonction structurelle et enjoindre à l’entreprise de procéder à des cessions d’actifs. Les recours contre les décisions de l’AdlC au titre de cet article L. 752-27 du code de commerce devront être portés devant la cour d’appel de Paris (C. com., art. L. 464-8). IV. – EXTENSION DU POUVOIR DE SAISINE DE L’ADLC PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ULTRAMARINES La loi REOM est venue ajouter un article L. 462-5, IV, au Code de commerce disposant : « l’Autorité de la concurrence peut être saisie par les régions d’outre- mer, le Département de Mayotte, la collectivité de Saint-Barthélemy, la collectivité de Saint-Martin et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1 et L. 420-5 ou contraire aux mesures prises en application de l’article L. 410-3, ou de faits susceptibles de constituer une telle pratique, concernant leur territoire respectif ». Étrangement et peut-être tristement, il s’agit d’une sorte de retour au régime du droit de la concurrence administré qui prévalait jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986. L’intermédiation de l’Administration par le biais de la DGCCRF et du ministre de l’Économie était obligatoire pour pouvoir saisir le Conseil de la concurrence. En 1986, le législateur a estimé que la concurrence sur le marché était telle qu’un mécanisme d’autorégulation pouvait désormais être mis en place en accordant aux entreprises le droit de saisir directement le Conseil de la concurrence. L’équilibre des forces en présence était suffisant pour limiter les saisines abusives et pour permettre aux plus faibles de ne pas craindre de dénoncer les pratiques de leurs concurrents. Il semble malheureusement que ceci ne soit pas vrai outre-mer. Néanmoins, les comportements adoptés par les collectivités territoriales à l’égard de leurs possibilités de saisir l’AdlC soulèvent quelques interrogations quant à l’application effective de cette disposition innovante. Cette nouvelle faculté vient en effet s’ajouter à celles dont dispose déjà toute collectivité territoriale française métropolitaine ou non : celle de saisir l’AdlC pour avis sur toute question relative à la concurrence (C. com., art. L. 462-1) et celle de saisir le gendarme de la concurrence dans sa fonction contentieuses concernant toute pratique susceptible de porter atteinte aux intérêts dont l’organe de gouvernance local aurait la charge (C. com., art. L. 462-1 et L. 462-5, I). Cette dernière faculté de saisine concerne des pratiques dont la collectivité territoriale serait victime. Au cours de ces dernières années, la faculté de saisine de l’AdlC au fond ou pour avis n’a pas connu un grand succès auprès des collectivités locales à quelques exceptions près que nous évoquerons. En effet, dans la majorité des cas notamment d’affaires au fond concernant des pratiques anticoncurrentielles survenues à l’occasion de la passation de marchés publics, ce n’est pas la collectivité territoriale victime qui a saisi l’AdlC mais le ministre de l’Économie. L’on pourrait s’avancer à N ° 3 5 • A V R I L - J U I N 2 013 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES possibles à satisfaire. L’article L. 752-27 du code de commerce instauré par la loi REOM remédie à cela. On pourrait néanmoins se demander pourquoi ne pas avoir simplement réécrit l’article L. 752-26 du code de commerce plutôt que de faire coexister deux procédures similaires dont l’une n’est pour ainsi dire jamais appliquée. Quoiqu’il en soit, ce sont les marchés ultramarins qui vont bénéficier de la primeur de cette procédure et qui joueront sans doute le rôle de laboratoire d’essais de l’AdlC. Gageons cependant que l’AdlC a déjà bien peaufiné le fonctionnement et l’utilisation de son tout nouveau pouvoir. À la différence de la procédure de l’article L. 752-26 du code de commerce, celle-ci s’applique en dehors de toute constatation d’infraction. Aussi, le législateur a dû s’assurer qu’il offrait aux entreprises qui pouvaient être parties à ce type de procédure un minimum de garanties procédurales et constitutionnelles. Les cas dans lesquels l’AdlC peut faire usage de ce pouvoir ont donc été bien encadrés. L’ouverture de la procédure d’injonction structurelle est soumise à 2 conditions : 1) l’entreprise exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail doit être en position dominante sur une zone de chalandise, et 2) des prix ou des marges élevées ont pu être constatés sur cette zone. La charge de la preuve repose sur l’AdlC qui sera probablement aidée par les DIECCTE. Cette tâche devrait être aisée car le caractère « élevé » des prix et marges s’appréciera par rapport aux « moyennes habituellement observées dans le secteur économique concerné », autrement dit par rapport aux prix et marges pratiqués en métropole. La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution a déjà fait savoir que la marge moyenne, tous produits confondus, atteint 2-3 % en métropole alors qu’elle grimpe à 50-55 % outre-mer. Ces constations permettront de lancer une procédure contradictoire contre l’entreprise incriminée. Si au terme de celle-ci, l’entreprise refuse de remédier efficacement aux problèmes de concurrence, ce qui devrait être rarement le cas, l’AdlC disposera du pouvoir d’enjoindre à l’entreprise de modifier ou résilier ses contrats, cesser ses comportements ou de céder certains actifs. C’est ce pouvoir extrêmement fort qui a ému le monde économique et certains élus notamment au regard de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété. Mais le Parlement a estimé que la procédure mise en place > 129 LOI DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE OUTRE-MER : LES BASES D’UN DROIT DE LA CONCURRENCE ULTRAMARIN expliquer cette tendance par les craintes que peuvent ressentir les collectivités territoriales à l’idée de se rebeller contre des entreprises parfois toutes puissantes ou plus prosaïquement pour des raisons budgétaires. Cependant, le même constat peut être fait au sujet de la saisine pour avis utilisée très timidement par les collectivités territoriales. S’agissant plus particulièrement des collectivités ultramarines, aucune d’elle n’a jamais saisi pour avis ou au fond l’AdlC. Pourtant, ce ne sont pas les problèmes de concurrence qui manquaient outre-mer. En effet, les marchés ultramarins ont donné lieu à plus d’une dizaine de décisions et d’avis de l’AdlC et du Conseil de la concurrence au cours des dernières années, en particulier dans le secteur des télécoms. Dès lors, on peut s’interroger sur le fait de savoir si les collectivités territoriales ultramarines seront plus motivées s’il s’agit de défendre leurs administrés. Outre ces questions d’intérêt politiques, la mise en application de ce dispositif semble soulever un certain nombre de questions, si ce n’est de difficultés. A. – Redondance avec les dispositifs déjà en place À ce sujet, on relèvera que ce mécanisme de saisine de l’AdlC institué par la loi REOM peut paraître redondant avec les mécanismes en vigueur au sein des collectivités ultramarines qui possèdent des DIECCTE (Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Mayotte, SaintPierre-et-Miquelon). Les entreprises peuvent en effet transmettre une plainte à la DIECCTE locale concernant des pratiques anticoncurrentielles dont elles sont victimes. Celle-ci se charge de vérifier les faits, de mener une enquête en liaison avec l’AdlC. Un rapport est alors établi et transmis à l’AdlC qui peut alors se saisir d’office. L’entreprise n’a donc pas besoin de saisir l’AdlC, ni même d’être partie à la procédure. À la différence de ce mécanisme bien rôdé, le nouveau rôle attribué aux collectivités territoriales nécessite d’être totalement organisé. La tâche ne sera pas aisée de concilier les contraintes du droit de la concurrence, du droit public et du fonctionnement des collectivités territoriales. B. – Difficultés de mise en œuvre au regard du droit public et du fonctionnement des collectivités territoriales Les questions soulevées par la mise en œuvre de cette faculté portent essentiellement sur des questions de droit public 130 et de fonctionnement des collectivités territoriales. En premier lieu, la forme de la « plainte » de l’entreprise soulève de nombreuses interrogations. L’entreprise craignant des mesures de rétorsion de la part des autres opérateurs économiques peut éprouver certaines réticences à se plaindre officiellement et par écrit des pratiques dont elle s’estime victime. La loi REOM ne précise rien à ce sujet mais un certain formalisme semble nécessaire ne serait-ce que pour s’assurer du traitement effectif des doléances des entreprises. En deuxième lieu, se pose la question de la gestion et de l’administration des plaintes déposées par les entreprises. La collectivité territoriale doit-elle systématiquement saisir l’AdlC dès qu’une entreprise le lui demande, au risque de Espérons que nos collectivités ultramarines sauront mettre en place un vade-mecum palliant la plupart de ces difficultés procédurales. se faire instrumentaliser ? L’autre option consisterait à ce que la collectivité territoriale conserve la liberté de choisir si elle saisit ou non l’AdlC dans le cadre de ses procédures de prise de décision. Surtout, une collectivité territoriale a une obligation de neutralité par rapport à l’ensemble de ses administrés. Comment garantir le respect de cette neutralité lorsque la collectivité locale décidera de défendre le parti d’un administré plutôt qu’un autre. Cette situation pourrait la forcer à endosser une activité supplémentaire pour faire une première évaluation des allégations de pratiques anticoncurrentielles qui lui seraient soumises avant de se prononcer si elle doit ou non saisir l’AdlC. Une solution pourrait consister à ce que la collectivité réalise ce travail en coopération avec les DIECCTE, qui interviennent déjà largement pour les régions ultramarines. Ce système aurait l’intérêt de rendre l’évaluation des plaintes fiable et d’opérer une certaine centralisation de celles-ci et, par conséquence, de garantir une cohérence du contrôle en matière de pratiques anticoncurrentielles outremer. L’on revient aussi à la question de la redondance avec les dispositifs existants même si c’est un moindre mal. En troisième lieu, s’agissant des règles de prise de décision des collectivités REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • AVRIL-JUIN 2013 • N° 35 territoriales, celles-ci sont soumises à l’obligation de transparence des délibérations. Ce principe se heurte à la nécessité de garder la plainte confidentielle afin de garantir l’efficacité des mesures d’enquête et d’instruction, telles qu’un « dawn raid » dont le succès est conditionné par l’effet de surprise. Une solution pourrait consister à adopter une délibération autorisant de manière générale la collectivité territoriale à saisir l’AdlC de pratiques anticoncurrentielles dont certaines entreprises de son territoire pourraient être victimes. Mais, se pose alors la question de déterminer une procédure permettant de garantir que la collectivité locale a respecté ses obligations de neutralité dans sa décision. L’on peut prédire que ce type de décision de saisir ou non l’AdlC pourra donner lieu à des recours en excès de pouvoir soit du côté des victimes dont la collectivité n’aura pas voulu soutenir la plainte, soit des accusés qui estimeront que la collectivité n’avait pas à saisir l’AdlC. Espérons que nos collectivités ultramarines sauront mettre en place un vademecum palliant la plupart de ces difficultés procédurales. En quatrième lieu, cette faculté de saisine de l’AdlC pour le compte de ses administrés soulève une interrogation au regard du droit des subventions et des aides d’État. En effet, la prise en charge financière d’une telle action aux lieu et place d’une entreprise qui aurait normalement du supporter ces coûts renvoie immédiatement à la question de sa comptabilité au regard du droit des subventions publiques et des aides d’État. Il est à espérer que cette longue liste d’interrogations et de problèmes à régler avant même de pouvoir mettre en œuvre cette faculté ne dissuade pas les collectivités ultramarines d’en faire usage. Néanmoins, si tel était le cas, les entreprises continueraient de pouvoir en envoyer leurs plaintes à la DIECCTE qui présente une procédure un peu plus confidentielle que la saisine de l’AdlC. *** Comme beaucoup de systèmes innovants, le droit de la concurrence tel qu’il résulte de la loi REOM est perfectible. Il faut saluer la volonté du Gouvernement et l’efficacité du législateur qui ont permis d’aboutir à l’adoption d’un texte qui, s’il est loin d’être parfait, a le mérite de mettre en place les bases. Comme dit le proverbe latin, « Rome ne s’est pas faite en un jour ». Droit l Économie l Régulation