Le paradoxe du mouton wallon au fil des saisons ! La production de

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Le paradoxe du mouton wallon au fil des saisons ! La production de
Le paradoxe du mouton wallon au fil des saisons !
La production de viande d’agneau en Wallonie est une production marginale. Marginale car
ridiculement faible par rapport aux volumes nécessaires et importés. Marginale également de
par ses particularités atypiques du monde agricole. Une production déficitaire noyée dans un
monde agricole souvent excédentaire, une offre saisonnière face à une demande constante,
une offre variée face à une demande standardisée, une valorisation écologique et économique
majorée pour d’autres spéculations agricoles, une production d’avenir en phase avec certaines
évolutions sociétales… Telles sont quelques particularités de l’élevage ovin wallon que nous
allons vous faire découvrir.
---Dossier réalisé par Christel Daniaux, FICOW asbl
Sauf l'article sur la Filière Laine qui est de Sophie Maerckx
Nos remerciements à Valentine Donck, Saveurs paysannes asbl
---L’élevage ovin en Wallonie, d'après le recensement Sanitel de 2010, c’est 57.400 brebis
réparties dans 5.500 élevages. Ces 57.400 brebis se retrouvent pour 34 % dans des élevages
« professionnels » - cinquante brebis et plus - contre 34 % également dans des élevages
hobbyistes - de maximum dix, en sachant qu’il faut approximativement quatre cents brebis
pour occuper un éleveur à temps plein. Parmi ces 5.500 élevages, 81 % sont des hobbyistes
détenant moins de dix brebis, contre 3 % qui sont des professionnels détenant plus de
cinquante brebis. La première particularité de l’élevage ovin wallon est bien là : une activité
surtout pratiquée à titre de hobby, les professionnels étant minoritaires. Les éleveurs pouvant
prétendre à une occupation à mi-temps ne sont qu’une petite poignée : seuls vingt-deux
d'entre eux détiennent plus de deux cents brebis !
Une production hautement déficitaire
Nos moutons sont uniformément répartis sur le territoire wallon, exception faite de la
province du Brabant Wallon où les effectifs sont plus faibles. La province du Luxembourg
concentre davantage les éleveurs professionnels, alors que la province du Hainaut
comptabilise davantage d’éleveurs hobbyistes.
Près de soixante mille brebis, est-ce beaucoup ? Une brebis, c’est environ trente kilos de
carcasse d’agneau produite par an, ou environ vingt-quatre kilos de viande produite par an. A
l’échelon de la Belgique, la production annuelle de viande d’agneau est estimée à 3.100
tonnes "équivalent carcasse", alors que les volumes de viande d’agneau importés se montent à
vingt mille tonnes équivalent carcasse par an. Cet agneau importé vient majoritairement de
Nouvelle-Zélande - pour plus de la moitié de l’agneau que nous consommons -, du Royaume1
Uni et des Pays-Bas. Les importations en provenance de ces deux derniers pays sont en
progression, ces dernières années, au détriment de l’agneau néo-zélandais. Il est donc peu de
dire que l’offre ne suit pas la demande puisque nous ne produisons que 13 % de ce que nous
consommons ! En cinquante ans, nous sommes passés d’une production presqu’autosuffisante
à cette déplorable situation actuelle, la production locale ayant légèrement diminué alors que
la consommation de viande d’agneau a plus que quadruplé entre 1955 et 2005…
Cette production hautement déficitaire est presque unique dans notre monde agricole, du
moins comparée aux "produits de consommation courante". Le cours du lait s’écroule suite à
la surproduction, nos porcs belges sont largement excédentaires… Une production de viande
d’agneau à ce point déficitaire, en regard de toutes nos productions agricoles excédentaires,
est donc un véritable paradoxe ! A décharge du monde agricole, il faut dire qu’élever du
mouton n’est pas une tradition pour notre éleveur wallon.
----Une carcasse d’agneau, c’est :
Arrière (55 %)
- Gigots : 4 kg (25%)
- Selle : 1,4 kg (9 %)
- Filet : 1,6 kg (10 %)
Avant (45 %)
- Carré : 1 kg (6 %)
- Poitrine : 2 kg (13 %)
- Epaule : 3 kg (19 %)
----La solution : "juste" produire plus ?
Et si le monde agricole développait un attrait soudain pour l’élevage du mouton et que la
production de viande ovine augmentait considérablement du jour au lendemain ? Ceci
lèverait-il tous les freins que rencontre aujourd’hui le monde ovin ?
Eh bien, pas forcément ! Force est, en effet, de constater que, paradoxalement, la faible offre
locale actuelle ne répond déjà pas à l’importante demande ! Il n’est donc pas toujours aisé
pour la viande d’agneau wallonne de pénétrer les circuits de commercialisation…
Tout d’abord, l’agneau que nous produisons en Wallonie est largement saisonnier. Exception
faite de certaines races, moins fréquentes, chez nous qui sont capables de se reproduire toute
l’année - les races qui "dessaisonnent" -, la brebis ne peut se reproduire qu’à certaines
périodes de l’année. Elle ne sera, en effet, "en chaleur" que lorsque la longueur du jour
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diminue, soit après le solstice d’été, de nombreuses races n’étant fertiles qu’à partir de la fin
août. Résultat : la viande d’agneau produite en Wallonie est disponible, pour
approximativement un petit quart, au printemps et, pour un petit trois-quarts, à l’automne.
Il faut toutefois distinguer la viande produite de la viande disponible pour le commerce de la
viande. De nombreux agneaux "finis" à l’automne proviennent des élevages hobbyistes et
servent plutôt pour de l’autoconsommation ou pour le marché musulman que pour le
commerce classique de la viande. Si la viande disponible pour le commerce est donc moins
soumise à la saisonnalité de la production, il n’en reste pas moins qu’il n’est pas toujours
évident d’approvisionner le marché en viande ovine, produite localement, au cours des mois
de juin et juillet, et surtout de décembre, janvier et février.
Ces difficultés d’approvisionnement ne sont malheureusement pas acceptées par la
distribution et par le consommateur qui ne conçoivent pas cette saisonnalité de la production
de viande d’agneau et qui exigent un approvisionnement constant toute l’année, voire même
gonflé à Pâques et à l’occasion des fêtes de fin d’année, périodes déjà initialement critiques
pour notre produit local. Reste donc à éduquer le consommateur, ce qui n’est pas chose aisée
face aux produits importés, largement disponibles toute l’année, à plus bas prix et souvent
sans distinction évidente quant à l’origine du produit. Reste peut-être alors à éduquer le
producteur qui pourrait davantage se tourner vers des races qui "dessaisonnent" afin de
pouvoir alimenter le marché en viande d’agneau tout au long de l’année…
En ce qui concerne le marché musulman - marché que choie tout éleveur wallon, hobbyiste ou
professionnel -, aucun chiffre officiel n’existe mais il y a fort à parier qu’il absorbe une partie
importante des agneaux produits en Wallonie, que ce soit à l’occasion de la fête de l’Aïd - fête
du sacrifice - mais également tout au long de l’année.
Le circuit court : une alternative heureuse pour l'agneau wallon
La non-correspondance de l’offre et de la demande ne s’arrête "pas qu’au" problème de
saisons. Notre produit local présente d’autres handicaps par rapport à l’agneau néo-zélandais
ou autre agneau importé.
La conformation, par exemple, est souvent pointée du doigt par la distribution. Les systèmes
de production d’agneau belge sont variés - modes d’élevage, races, professionnalisme des
éleveurs… - alors que les systèmes néo-zélandais ou anglais sont nettement plus uniformes.
Résultat : leurs carcasses et leurs morceaux de viande sont nettement plus standards que les
nôtres et la standardisation est souvent un critère de premier choix pour la distribution.
Freine encore la distribution, le type de produits commercialisés. La taille de notre production
locale nous impose de commercialiser essentiellement des carcasses entières. Les productions
largement exportatrices telles que la production néo-zélandaise ou la production anglaise
préfèrent, elles, vendre des morceaux de carcasses et non des carcasses entières. Et le monde
de la distribution préfère également acheter des morceaux de carcasses, plutôt que des
carcasses entières, puisqu’il peut alors se permettre de n’acheter que les morceaux que le
consommateur achète, soit entre autres les "beaux" morceaux - les gigots, les côtes…
Appliquer une telle politique à notre production locale nous imposerait probablement de
devoir jeter ou sous-valoriser une bonne partie des bas-morceaux. Là où le Belge peine à
valoriser ces morceaux moins nobles, le Néo-Zélandais va jouer sur les différents marchés :
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par exemple, d’un côté les morceaux nobles pour l’Europe et, de l’autre, les bas-morceaux
pour l’Asie et le Moyen-Orient…
Evidemment, lorsque la commercialisation se recentre sur un échelon très local, par exemple à
travers les circuits courts, toutes ces barrières de saison, de conformation uniforme ou de
morceaux, tombent. Ne restent plus alors que les atouts du produit local : un produit
savoureux et d’une fraîcheur inégalable ! Qui plus est, la viande d’agneau importée ne
rencontre pas toujours forcément toutes les exigences du consommateur belge ou européen.
Pensons, par exemple, aux exigences de bien-être animal qui sont les nôtres et à la pratique
courante du "mulesing" en Australie, une pratique consistant à retirer la peau du périnée de
l'animal sans anesthésie pour prévenir les cas de myases, larves de diptères attaquant la peau.
Eleveurs bovins ? Pensez au mouton en diversification
Revenons-en au premier frein... Produire plus ne devrait pas être si compliqué avec tous les
éleveurs bovins qui disent "ne plus s’en sortir" suite, entre autre, à une production
excédentaire. Bien sûr, le mouton n’est pas une tradition agricole de chez nous ; elle fait
sourire plus d’un éleveur de gros bétail. Pourtant, "penser mouton" pour un éleveur bovin,
c’est sans doute penser malin…
En effet, pour qui produit à l’herbe, bovins et ovins sont complémentaires au pâturage pour
une meilleure exploitation de la prairie. L’avantage est double : premièrement, les moutons
consomment les "refus" des bovins et la prairie est ainsi mieux valorisée ; deuxièmement, les
ovins "nettoient" la prairie des parasites bovins et inversement, ce qui réduit le parasitisme
gastro-intestinal chez les deux espèces. Qui plus est, davantage sera produit sur une même
superficie : l’éleveur peut espérer, en plus de ses bovins, six à huit agneaux supplémentaires
par hectare pâturé ! Evidemment, l’association des deux espèces exige d’aménager étables,
clôtures et points d’eau en fonction de leurs besoins spécifiques. Notons que ce pâturage
mixte peut s’envisager de façon simultanée - ovins et bovins ensemble - ou alternée – les
bovins suivis des ovins.
Une spéculation d’élevage résolument moderne !
Le mouton, en diversification ou en activité principale, a donc de quoi en attirer plus d’un. Et
bien au-delà des seuls éleveurs de bovins… Prenons l’exemple de nos voisins français.
Aujourd’hui, en France, toutes spéculations d’élevage confondues, le plus fort développement
s’observe au niveau de l’exploitation ovine dans les zones céréalières à plus de dix tonnes à
l'hectare. Eh oui, les céréaliers ont compris que le mouton était leur allié ! Ils voient, en effet,
dans l’élevage ovin une belle façon de valoriser leurs intercultures qui servaient autrefois
uniquement d’amendement au sol. Cela leur permet aujourd’hui de produire de la viande
ovine à un coût restreint. Chez ces céréaliers, l’élevage ovin, c’est de l’écologie intensive ! Il
signifie moins d’intrants, valorisation des intercultures et CIPAN - culture intermédiaire piège
à nitrate - et produits supplémentaires : de la viande d’agneau… L’écologie intensive, c’est
payant !
Par ailleurs, pour qui souhaite devenir éleveur, l’élevage ovin présente des caractéristiques
particulièrement en phase avec la société actuelle. Tout d’abord, et bien sûr, il y a son image
plus "verte" auprès du citoyen que celle d’autres spéculations animales. Rares sont les
éleveurs de moutons qui sont mal perçus par leur voisinage ou la population… Or ce n’est pas
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forcément aussi facile pour les éleveurs bovins, sans même parler des éleveurs de porcs ou de
volaille. Cette image plus verte n’est pourtant pas forcément validée sur le plan scientifique.
Mais si le mouton a de quoi séduire aujourd’hui, c’est avant tout pour des considérations non
environnementales. Néo-ruraux et même enfants d’agriculteurs ont souvent bien du mal à
s’installer en agriculture tant démarrer une exploitation agricole est un investissement
colossal. Avec le mouton, les engagements de capitaux sont plus légers. Voilà un atout certain
pour quelqu'un qui débute ! Aussi, pour le néo-rural débutant, le mouton est-il un animal
davantage à "taille humaine", qui sera plus facile à manipuler.
Un autre attrait de l’élevage ovin dans notre société d’aujourd’hui est que, contrairement au
gros bétail plus lourd physiquement, il peut être entièrement l’affaire d'une femme. A l’heure
où un certain retour de madame au foyer s’observe dans la société, l’élevage ovin apparaît
comme une activité toute taillée pour celle qui désire développer une activité professionnelle à
la maison afin de mieux concilier vie de famille et vie professionnelle. Cette tendance se
confirme d’ailleurs chez nos voisins français où les éleveurs ovins comptent, en leur sein, un
nombre croissant de femmes.
Pour qui souhaite se lancer dans la vente directe, la spéculation ovine est également
intéressante : vendre de la viande d’agneau est souvent chose plus aisée que vendre de la
viande bovine. Le consommateur achètera plus facilement une demi-carcasse d’agneau
qu’une demi-carcasse de bœuf… Mais point de solution miracle et à tout avantage ses
inconvénients ! Petits animaux et petits investissements ? Oui, mais petits revenus également.
Globalement, l’élevage ovin viande est moins rentable que son pendant bovin. Qui plus est,
aujourd’hui, les aides de la Politique Agricole Commune (PAC) mises en œuvre en Belgique
lui sont également moins favorables.
Le bémol du mouton : la commercialisation…
Un autre inconvénient grève l’élevage du mouton wallon et c’est certainement le gros point
noir de la spéculation pour qui s’installe aujourd’hui en mouton : les difficultés
commerciales ! On pourrait tout naturellement penser qu’avec une autoproduction de 13 %,
les éleveurs wallons vendent leurs agneaux comme des petits pains? Eh bien, paradoxalement,
c’est plutôt le contraire qui se passe.
Il est, en effet, difficile d’organiser la commercialisation quand on est si peu d’éleveurs
professionnels et quand on est si petit face aux volumes de sa filière. Deux organisations de
producteurs - dont une en fort déclin - se chargent aujourd’hui de la commercialisation de la
viande ovine locale. A côté de ces structures de commercialisation organisées restent, pour les
éleveurs, les marchands de bestiaux ou la vente aux particuliers, y compris à la population
musulmane - sous forme d’animaux vivants ou sous forme de colis de viande. Il existe
également quelques éleveurs qui ont développé une boucherie à la ferme ainsi que quelques
arrangements commerciaux exclusifs avec des boucheries de détail. Une fois encore, le
secteur espère que l’étiquetage obligatoire de l’origine - à venir ! - donnera un élan
commercial nouveau à notre production locale.
Et le lait dans tout cela ?
Nous nous sommes focalisés, jusqu’ici, sur la production de viande qu'offre l’élevage du
mouton. Or, dans le mouton, tout est bon ! Et les produits offerts ne se limitent pas à la
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viande. Le mouton peut également être élevé pour son lait ou pour sa laine. La spéculation
laitière est particulièrement rare chez nous alors que le fromage de brebis est très recherché
par le consommateur… Il y a donc certainement une place à prendre pour une spéculation
produisant à la fois de la viande et du lait. En l’absence de laiterie, seule la porte de la vente
directe via la transformation fromagère ou celle des fromageries artisanales sont ouvertes aux
éleveurs ovins laitiers. Quant à la laine, c’est un produit noble, certes, mais qui ne paye pas :
grossièrement, quand une brebis produit annuellement trente kilos de carcasse d’agneau
avoisinant les cinq à six euros du kilo, elle produit 2,2 kilos de laine à moins… d'un euro du
kilo ! Si celle-ci doit donc être valorisée au mieux, ce n’est malheureusement pas demain que
le mouton sera élevé chez nous pour sa laine…
Qui plus est, élever des moutons en Wallonie ne se fait pas exclusivement dans un but de
production. Pensons aux exemples bien connus d’entretien de terrains pauvres et difficiles,
comme nos pelouses calcicoles famennoises qui occupent plusieurs éleveurs ovins
professionnels. Pensons à tous les particuliers faisant usage du mouton comme d’une tondeuse
à gazon , voire comme d’un animal de compagnie. De façon plus anecdotique, pensons encore
aux moutons qui permettent… d’entretenir les plantations de sapins de Noël ! Vraiment, tout
est bon pour le mouton !
---L'asbl FICOW (Fédération interprofessionnelle caprine et ovine wallonne) est une association
au service des éleveurs de chèvres et de moutons : encadrement technique, aide à
l’installation, conférences, veille législative en leur faveur, périodique trimestriel
d’information, etc. Pour les éleveurs ovins et caprins wallons professionnels - dont 62%
côtoient la FICOW -, elle est avant tout un organisme qui les représente.
La FICOW œuvre également au développement de l’élevage ovin et caprin en Wallonie, un
point crucial pour des spéculations hautement déficitaires en produits locaux. La FICOW
répond aussi aux demandes et aux besoins des autres maillons de sa filière, y compris le
maillon final qu’est le consommateur. A ce dernier, elle propose une information de
vulgarisation sur ses productions et nombreux produits - viande d’agneau, produits laitiers… ainsi qu’une liste de points de vente et des fiches recettes, le tout consultable sur son site :
www.ficow.be.
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