Actualité jurisprudentielle sur le dommage corporel

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Actualité jurisprudentielle sur le dommage corporel
Troisièmes rencontres juridiques du dommage corporel
Angoisse et préjudices
Actualité du dommage corporel – Mireille Bacache, Professeur à l’université Paris I,
Panthéon-Sorbonne
Nous verrons successivement les différents postes de préjudices, le recours des tiers payeurs
et enfin l’étendue de la réparation.
I/ les Postes de préjudices
La nomenclature Dintilhac dresse une liste des préjudices résultant de dommages corporels
reposant sur une distinction entre les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux. On
retiendra cette distinction pour exposer l’actualité jurisprudentielle.
A- Les préjudices extrapatrimoniaux
Suivant la nomenclature on verra d’abord les préjudices permanents puis les préjudices
temporaires
1)Les préjudices permanents
Si la nomenclature Dintilhac n’a pour l’instant qu’une valeur indicative pour les juridictions,
on constate qu’elle a été progressivement consacrée dans ses éléments essentiels par la
Cour de cassation.
Les arrêts récents en témoignent. Ils portent sur le préjudice d’établissement et le préjudice
permanent exceptionnel.
La Cour de cassation avait consacré le préjudice d’établissement en le définissant comme
celui qui « consiste en la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en
raison de la gravité du handicap » (Civ. 2e, 12 mai 2011 n° 10-17148). Elle avait également
reconnu son autonomie par rapport au déficit fonctionnel permanent (Civ. 2e, 13 janvier
2012, n° 11-10224).
Par un arrêt du 15 janvier 2015, elle en retient une approche élargie en précisant ses
contours (Civ.2e, 15 janv. 2015 n° 13-27761).
En l’espèce, les juges du fond avaient refusé d’indemniser ce préjudice au motif que la
victime, un homme de 33 ans devenu tétraplégique à la suite d’un accident de la circulation,
avait préalablement à l’accident, fondé un foyer et eu trois enfants qui continuaient à lui
rendre visite régulièrement en dépit du divorce. L’arrêt est cassé, au motif que « le préjudice
d’établissement recouvre, en cas de séparation ou de dissolution d’une précédente union, la
perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale ».
La Cour de cassation retient une approche extensive du préjudice d’établissement qui est
assez réaliste en ce qu’elle permet d’appréhender la diversité des modèles familiaux. Le fait
d’avoir déjà eu l’occasion de fonder une famille ne fait donc pas obstacle en soi à la
reconnaissance de ce préjudice lorsque la victime s’est dégagée des liens d’une union
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précédente. Cette circonstance pourrait néanmoins exercer une influence sur l’évaluation du
montant de l’indemnité, par juges du fond.
Le préjudice permanent exceptionnel, ensuite a également été consacré par la Cour et
défini le 16 janvier 2014 comme le poste qui « indemnise des préjudices extrapatrimoniaux
atypiques, directement liés au handicap permanent qui prend une résonance particulière
pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature
du fait dommageable » (Civ. 2e, 16 janv. 2014, n° 13-10566 ; 11 sept. 2014, n° 13-10691).
Un arrêt du 5 février 2015 conforte la définition restrictive de ce préjudice (Civ.1ère 5 fév.
2015, n° 14-10097).
En l’espèce, un fonctionnaire de police avait été victime d'une tentative de meurtre dans des
circonstances particulières. Il s’était trouvé encerclé et agressé avec ses collègues, en
difficulté pour évacuer ceux qui, parmi eux, étaient blessés. La cour d’appel lui alloue des
indemnités réparant d'une part, les souffrances endurées et le déficit fonctionnel
permanent, et d'autre part, un préjudice moral exceptionnel, au motif que « ces
circonstances avaient engendré chez chacune des victimes un sentiment d'angoisse (…) vécu
lors du déroulement des faits ». L’arrêt est cassé au visa du principe de la réparation
intégrale, au motif que « le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui
y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées
ou dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, il ne peut être indemnisé
séparément ».
Que faut-il en penser ? Il faut rappeler que le préjudice de souffrance psychique ou
d’angoisse consécutif au dommage corporel est déjà appréhendé par la nomenclature à
travers deux postes, articulés autour de la consolidation. Avant consolidation, Le poste des
souffrances endurées envisagé isolément désigne, « toutes les souffrances physiques et
psychiques » lesquelles intègrent notamment l’angoisse ressentie par la victime. Après
consolidation, les souffrances endurées perdent leur individualisation pour devenir un sousposte du préjudice global qu’est le déficit fonctionnel permanent. Cependant, il convient
d’observer que ces deux postes ne prennent en compte que la réparation de l’angoisse
consécutive à l’atteinte corporelle. Or, en l’espèce, la victime se plaignait d’un préjudice
indépendant du dommage corporel, l’angoisse étant vécue en amont des blessures et
ressentie de même par ceux qui ne furent pas blessés. Deux moyens s’offraient dès lors à la
Cour de cassation pour réparer cette angoisse autonome.
Le premier consistait à faire appel au préjudice permanent exceptionnel. Admis par la cour
d’appel, Il est rejeté en l’espèce par la Cour de cassation. En cela, la Cour de cassation retient
une approche très restrictive de ce poste en le subordonnant à l’existence d’un handicap
permanent et en lui attribuant un caractère résiduel ou subsidiaire. Elle n’accepte de
l’indemniser que si aucun autre poste de préjudice n’est apte à appréhender la souffrance
subie, tel que le déficit fonctionnel permanent, ou les souffrances endurées. Le refus en
l’espèce d’accorder une indemnisation supplémentaire au titre de ce préjudice se situe dans
la droite ligne de la jurisprudence antérieure (Civ. 2e 15 déc. 2011, n°10-26386 ; 16 janv.
2014, préc ; 11 sept. 2014, préc.).
Le deuxième moyen de prendre en compte une souffrance non consécutive à une atteinte
corporelle, consistait à consacrer un nouveau préjudice d’angoisse, hors nomenclature,
distinct des atteintes corporelles subies par la victime. Il convient en effet de rappeler que la
nomenclature ne se voulait pas limitative et que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de
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consacrer un préjudice d’anxiété autonome pour les victimes exposées à un risque de
dommage corporel (Soc. 11 mai 2010, n° 09-42241 ; 25 sept. 2013, n° 12-20912 ; Civ. 1ère,
2 juill. 2014 n° 10-19206). Dans cet arrêt la Cour écarte cependant ce deuxième moyen. En
cela, elle refuse d’aller au-delà de ces hypothèses et de réparer un nouveau préjudice
d’angoisse autonome lorsqu’un dommage corporel est subi.
La solution évite l’émiettement des préjudices d’angoisse et permet de mieux rationaliser les
préjudices extrapatrimoniaux. Cependant, on constate qu’en l’espèce un préjudice certain
n’a pu être réparé. Son évaluation n’a même pas été prise en compte à travers une
majoration de l’indemnité allouée au titre des souffrances endurées ou du DFP, puisque la
cassation a eu lieu sans renvoi. Il conviendrait de plaider, au nom du respect du principe de
la réparation intégrale, soit pour un assouplissement du préjudice moral exceptionnel par
une remise en question de son double caractère subsidiaire et permanent, soit pour la
consécration d’un préjudice d’angoisse autonome, indépendant de toute atteinte corporelle,
même en présence d’une telle atteinte.
2) Les préjudices temporaires
Le respect par la Cour de cassation de la nomenclature Dintilhac se reflète aussi à travers
l’architecture de celle-ci.
Rappelons que l’une des distinctions fondamentales autour de laquelle s’articule la
nomenclature oppose les préjudices temporaires aux préjudices permanents, la
consolidation du dommage réalisant le passage du temporaire au permanent. Cependant, la
liste des préjudices répertoriés au titre des préjudices permanents ne correspond pas à ceux
énoncés au titre des préjudices temporaires. Aucun parallélisme n’est observé entre les
préjudices avant ou après consolidation. Par exemple, le déficit fonctionnel temporaire
inclut le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel ; en revanche ces deux préjudices sont
envisagés de façon autonome par rapport au déficit fonctionnel permanent. Il en résulte que
le déficit fonctionnel ne reçoit pas la même définition et ne recouvre pas la même réalité
selon qu’il est permanent ou temporaire.
La Cour de cassation avait été tentée un temps de rétablir une identité des notions avant et
après consolidation (Civ. 2e, 3 juin 2010, n° 09-13-246; 4 nov. 2010, n° 09-69918).
Mais dans des arrêts plus récents elle a préféré se conformer à la nomenclature.
Il en est ainsi d’un arrêt du 5 mars 2015 (Civ. 2e, 5 mars 2015 n° 14-10758).
L’arrêt d’appel avait refusé d’allouer une indemnité au titre du préjudice d’agrément
temporaire distincte de celle accordée au titre du déficit fonctionnel temporaire. Le pourvoi
qui contestait l’arrêt est rejeté, au motif que ce préjudice est « inclus dans le déficit
fonctionnel temporaire ». Une solution identique avait été énoncée pour le préjudice sexuel
temporaire dans un arrêt du: Civ. 2e, 11 déc. 2014, n° 13-28774. Ce préjudice est inclus dans
le déficit fonctionnel temporaire et ne saurait donner lieu à une indemnité distincte.
La solution ne facilite pas la compréhension de la nomenclature des préjudices, qui semble
privée de cohérence et d’unité notionnelle. En outre, elle risque d’aboutir sur un plan
pratique à une sous évaluation des préjudices sexuel et d’agrément temporaires en raison
de la globalisation de l’indemnisation au sein d’un même poste, le déficit fonctionnel
temporaire. On peut dès lors regretter sur ce point l’application mécanique de la
nomenclature.
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B. Préjudices patrimoniaux
Les arrêts récents concernent les frais de dépenses futurs et L’incidence professionnelle.
Le premier est l’arrêt de la chambre criminelle du 2 juin 2015 (Crim. 2 juin 2015, n° 1483967).
En l’espèce, une personne a été victime, d'un accident de la circulation. Elle sollicite auprès
de l’assureur du responsable la réparation des préjudices subis du fait de cet accident et,
notamment, des dépenses de santé futures.
La cour d’appel condamne le responsable au remboursement des dépenses de santé futures
au fur et à mesure de ses besoins et surtout sur présentation des factures acquittées, en
raison de l'absence d'éléments suffisants relatifs à leur prise en charge par les organismes de
sécurité sociale et aux prix de ces appareillages.
L’arrêt est cassé au visa de l’article 1382 et du principe de la réparation intégrale lequel
« n'implique pas de contrôle sur l'utilisation des fonds alloués à la victime qui en conserve la
libre utilisation ». Selon la Cour, « en subordonnant ainsi l'indemnisation de la victime à la
production de justificatifs, alors qu'il lui appartenait, pour liquider son préjudice, de procéder
à la capitalisation des frais futurs (…), la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le
principe ci-dessus rappelé ».
La solution est constante en jurisprudence. Elle est la même pour le poste assistance tierce
personne : l’indemnisation doit se faire en fonction des besoins identifiés de la victime et
non en fonction de ses dépenses. Les frais relatifs à l’assistance tierce personne doivent être
pris en charge sans que la victime ait à justifier, ni qu’elle les a engagés, ni son intention d’y
avoir recours, conformément au principe de la libre affectation des fonds alloués à la
victime. La solution a encore été rappelé le 15 janvier 2015 (n° 13-27761, préc.) « l’indemnité
allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne, qui doit être évaluée en fonction des
besoins de la victime, ne peut être subordonnée à la production des justifications des
dépenses effectives ». Ce même principe explique la jurisprudence selon laquelle la
circonstance que le rôle de la tierce personne soit exercé par un proche non rémunéré ne
diminue pas le droit à indemnisation de la victime (Civ. 2e, 24 novembre 2011 n° 10-25133;
4 juillet 2013, n° 12-2414). Le montant de l’indemnité ne peut donc être subordonné à la
production de justification des dépenses effectuées. Autrement dit, ce qui est indemnisé ce
n’est pas la dépense mais simplement les besoins identifiés en tierce personne.
Un autre arrêt du 25 juin 2015 (Civ. 2, 25 juin 2015, n° 14-21972) concerne la réparation des
répercussions professionnelles d’un dommage corporel subi par de jeunes victimes.
En l’espèce, une personne a été victime de violences volontaires commises par son
concubin, qui l’ont laissé à l’âge de 18 ans avec un taux d’incapacité supérieur à 80 %. Elle
saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infraction en réparation des pertes de
gains professionnels futurs. La demande est rejetée par le FGTI mais accueillie par la cour
d’appel au motif que « la victime avait très largement la possibilité de poursuivre ses études
et d'envisager d'obtenir au moins un diplôme de type baccalauréat, qu’elle avait d'autres
possibilités que de percevoir une allocation « adulte handicapé », qu'elle avait un potentiel et
qu'elle pourrait prétendre à un emploi rémunéré lui procurant un gain mensuel égal au
minimum au SMIC ».
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le FGTI forme un pourvoi dans lequel il reproche à l’arrêt d’avoir réparé un préjudice virtuel
et hypothétique, la victime ne subissant pas un retentissement professionnel ou scolaire
puisqu'elle n'exerçait à l'époque des faits aucune activité professionnelle ou estudiantine.
Le pourvoi est rejeté : selon la Cour « s'agissant des pertes de gains futurs, (…) il est évident
qu'à 18 ans, la victime n'était pas destinée à rester inactive toute sa vie et qu'elle pouvait au
moins prétendre à un salaire équivalent au SMIC, qu'elle était une bonne élève, et que le
directeur du lycée attestait qu'elle avait très largement la possibilité de poursuivre ses études
et d'envisager d'obtenir au moins un diplôme de type baccalauréat, ce dont il résulte qu'elle
avait un potentiel et qu'elle pouvait prétendre à un emploi rémunéré ». Elle en déduit que, la
cour d'appel n'a pas réparé un préjudice virtuel et hypothétique en allouant une indemnité
réparant l'incidence professionnelle du dommage subi.
L’arrêt rappelle que l’absence d’activité professionnelle ou estudiantine ne peut être
opposée aux jeunes victimes pour refuser d’allouer une indemnité au titre des pertes de
gains professionnels futurs (PGPF). Leur préjudice n’est ni virtuel ni hypothétique. Restent
les difficultés d’évaluation qui, en l’absence de référence à une situation professionnelle
préexistante risque d’aboutir à une appréciation in abstracto. Les juges du fond doivent
nécessairement procéder à une analyse très personnalisée ce qu’ils avaient fait en l’espèce.
En témoigne un arrêt du 10 septembre (Civ. 2e, 10 sept. 2015, n° 14-2444), qui a cassé l’arrêt
d’appel qui avait évalué in abstracto les répercussions professionnelles du dommage
corporel compte tenu du jeune âge de la victime.
II/ Le recours des tiers payeurs
Rappelons que la loi du 5 juillet 1985 énumère de façon limitative, en son article 29, les
prestations pouvant donner lieu à un recours subrogatoire des tiers payeurs contre le
responsable et répute ainsi indemnitaires les prestations énumérées qui doivent dès lors
s’imputer sur les droits de la victime contre ce dernier. De la sorte, elle établit une
corrélation entre l’existence d’un recours contre le responsable et l’imputation sur les droits
de la victime. Ce lien entre la nature indemnitaire de la prestation et l’existence d’un recours
peut être justifié par l’idée selon laquelle le responsable ne doit pas profiter de l’existence
de prestations dues à la victime par des tiers payeurs. Or l’absence de recours subrogatoire
des tiers payeurs combiné avec une réduction des droits de la victime à hauteur des
prestations perçues, entraînerait un allègement inadmissible de la dette globale du
responsable.
Il en résulte que toute autre prestation non visée par le texte est réputée non indemnitaire
et peut à ce titre être cumulée par la victime avec sa créance de réparation contre le
responsable. Il en est ainsi des allocations chômages. (Crim. 29 octobre 2013 n° 12-83.754)
ainsi que de l’allocation d‘aide au retour à l’emploi qui ne s’imputent pas sur l’indemnité due
par le responsable à la victime au titre des pertes de gains professionnels futurs. La solution
a encore été rappelée le 26 mars 2015 (Civ. 2e, 26 mars 2015, n°14-16011).
Cependant, ce critère formel de qualification de l’article 29 se révèle insuffisant lorsque la
victime est indemnisée par certains fonds spécifiques. La raison en est que des textes
propres à ces fonds prévoient que les prestations imputables sont alors, non seulement
celles qui figurent à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985, mais aussi les « indemnités de toute
nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice » (FGTI : art.706-9
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CPP ; ONIAM : art. L3122-5 CSP, FIVA : art. 53 de la loi du 23 décembre 2000). Pour qualifier
la prestation et déterminer sa nature, le juge doit alors avoir recours à un critère subsidiaire
matériel. Il en résulte qu’une même prestation, non imputable des droits des victimes
contre le responsable peut venir en déduction de l’indemnité due par un fonds lorsqu’elle
est reconnue indemnitaire par le juge.
Il en est ainsi de l’allocation chômage (Civ. 2e, 1er juin 2011, n°10-11599). Il en va de même
du capital décès lorsqu’il dépend des revenus du défunt, comme en témoigne un arrêt du 11
juin 2015 (Civ 2e, 11 juin 2015, n° 14-21867). En l’espèce, l’arrêt d’appel avait déduit de
l’indemnité due par le FIVA le capital décès versé par une mutuelle. L’arrêt est cassé pour
manque de base légale pour n’avoir pas « rechercher si le capital décès versé par la mutuelle
revêtait un caractère indemnitaire ou forfaitaire, alors que celui-ci, ne relevant pas des
prestations indemnitaires par détermination de la loi, ne réparait le préjudice économique du
conjoint survivant que s'il dépendait des revenus du défunt ». L’arrêt rappelle la possibilité de
retenir la nature indemnitaire d’une prestation non visée par l’article 29 à l’égard du FIVA. Il
rappelle aussi le critère d’une telle qualification : est indemnitaire la prestation dont les
modalités de calcul sont en relation avec le dommage subi, ici avec la perte de revenus (Ass.
Plén., 19 déc. 2003, n° 01-10.670 ; Civ. 2e, 20 octobre 2005, n° 04-13633).
La mise en œuvre de ce critère matériel de qualification n’est cependant pas toujours facile,
comme en témoigne la jurisprudence relative à la prestation de compensation du handicap
(PCH), versée à la personne handicapée par le département ou elle réside (art. L. 245-1 s.
CASF).
Rappelons que deux arrêts rendus à quelques mois d’intervalle avaient semblé traduire une
hésitation sur ce point (Civ. 2e, 28 février 2013 n° 12-23706 ; 16 mai 2013 n° 12-18093). Deux
autres arrêts ont par la suite permis de clarifier les choses (Civ. 2e, 13 février 2014, n° 1223706 et n° 12-23731). Selon la Cour, « la prestation de compensation du handicap constitue
une prestation indemnitaire dès lors qu'elle n'est pas attribuée sous condition de ressources,
et que, fixée en fonction des besoins individualisés de la victime d'un handicap, elle répare
certains postes de préjudices indemnisables ». Par conséquent, le FGTI est autorisé en
l’espèce à déduire de l’indemnité due à la victime de l’infraction sur le poste besoins
d’assistance par une tierce personne le montant de la PCH.
Cette solution est confirmée par un autre arrêt du 10 décembre 2015 (Civ. 2, 10 décembre
2015 n° 14-24443 : FGTI).
En l’espèce, une personne avait été hospitalisée dans un état critique après avoir consommé
de la drogue en discothèque. A la suite de ces faits, un tribunal correctionnel a prononcé des
condamnations pour cession illicite de produits stupéfiants, blessures involontaires ayant
entraîné une incapacité supérieure à trois mois, et non-assistance à personne en danger. La
victime saisit lors une commission d'indemnisation des victimes d'infractions d'une demande
d'indemnisation.
La cour d'appel accepte de déduire les sommes versées au titre de la PCH de celles allouées
au titre de l'assistance tierce personne. Le pourvoi est rejeté au motif que « selon l'article
706-9 du code de procédure pénale, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions
tient compte, dans le montant des sommes allouées à la victime au titre de la réparation de
son préjudice des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs au titre
du même préjudice ; qu'il résulte des articles L. 245-1 et suivants du code de l'action sociale
et des familles, que la prestation de compensation du handicap constitue une prestation
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indemnitaire dès lors qu'elle n'est pas attribuée sous condition de ressources, et que, fixée en
fonction des besoins individualisés de la victime d'un handicap, elle répare certains postes de
préjudices indemnisables ».
Des arrêts récents permettent de mieux cerner la portée de cette solution.
Tout d’abord, il est certain qu’elle vaut non seulement pour le FGTI mais aussi pour d’autres
fonds d’indemnisation habilités par les textes qui les régissent à imputer toute somme de
nature indemnitaire, tel que l’ONIAM ou le FIVA.
En revanche, elle ne vaut pas pour le FGAO dans la mesure où l’article L. 421-1 III du code
des assurances dispose que « Les versements effectués au profit des victimes ou de leurs
ayants droit et qui ne peuvent pas donner lieu à une action récursoire contre le responsable
des dommages ne sont pas considérés comme une indemnisation à un autre titre ». Ce texte
propre au FGAO rétablit le lien entre la nature indemnitaire d’une prestation et l’existence
d’un recours contre le responsable tel qu’il découle de l’article 29 et répute non
indemnitaire les prestations qui ne peuvent donner lieu à recours. La solution est clairement
appliquée par la chambre criminelle dans un arrêt du 1er septembre 2015 (n° 14-82251).
En l’espèce, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel de n’avoir pas pris en compte la
PCH pour fixer l’indemnité due par le FGAO au titre du poste frais de tierce personne au
motif que « si la prestation de compensation du handicap (…) constitue une prestation
indemnitaire, il résulte des articles L. 421-1 du code des assurances et R. 421-13 du même
code définissant les obligations du FGAO que la déduction des versements effectués par des
tiers payeurs est subordonnée à l'existence d'une action récursoire contre le responsable du
dommage ».
Il convient cependant de noter que la deuxième chambre civile avait adopté une solution
contraire dans son arrêt du 16 mai 2013, de sorte que l’on peut se demander si on est en
présence d’une contrariété entre les chambres.
On ne peut dans ces conditions que déplorer ces solutions divergentes tenant à la variété de
fonds et de règles qui leur sont applicables et plaider pour la consécration d’un fond unique
d’indemnisation des dommages corporels assurant l’égalité de traitement des victimes.
Ensuite et surtout, cette jurisprudence ne vaut qu’à l’égard de ces fonds et ne s’étend pas
aux responsables et à leurs assureurs. En effet, seul un texte spécial peut autoriser le juge à
s’interroger sur la nature indemnitaire d’une prestation non prévues à l’article 29 pour
l’imputer sur l’indemnité due par le débiteur. La solution est clairement énoncée dans une
série d’arrêts rendus en 2015.
Le premier du 19 mars 2015 rendu par la première chambre civile est inédit (Civ.1ère,
19 mars 2015 n°14-12792). Le deuxième du 2 juillet 20115 publié au bulletin émane de la
deuxième chambre civile (Civ. 2e 2 juillet 2015, n° 14-19797). Selon la Cour, « il résulte des
articles 29 et 33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 que seules doivent être imputées sur
l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime les prestations versées par
des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la
personne tenue à réparation et que la prestation de compensation du handicap non
mentionnée par le premier de ces textes ne donne pas lieu à recours subrogatoire contre la
personne tenue à réparation ».
Le dernier en date du 10 septembre 2015 émane de la première chambre (Civ.1ère, 10 sept
2015, n° 14-23623).
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En l’espèce, un patient avait été victime de dommages lors de soins prodigués par un
médecin, dont la responsabilité a été retenue.
Le pourvoi reprochant à l’arrêt d’appel de n’avoir pas déduit la PCH de l’indemnité due au
titre de l’assistance tierce personne est rejeté au motif que « n'étant pas mentionnée à
l'article 22 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, la prestation de compensation du handicap ne
donne pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation et ne peut donc
être imputée sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime ».
En résumé, la PCH est perçue comme une prestation indemnitaire quand il s’agit d’un fonds
d’indemnisation (à l’exception du FGAO) alors qu’elle ne l’est pas en droit commun à l’égard
du responsable. Faut-il plaider dès lors, pour une modification des textes en rajoutant la PCH
à la liste de l’article 29 ? (En ce sens : rapport IGAS/IGA 2011 sur « L’évaluation de la PCH »).
La réponse nous semble négative.
Tout d’abord, la PCH, même si elle revêt une nature partiellement indemnitaire n’est pas
équivalente aux postes de préjudices qui composent la créance de responsabilité de la
victime. Contrairement à celle-ci, elle est légalement affectée et revêt un caractère
provisoire et partiel.
Ensuite et surtout, le choix de la nature indemnitaire de la PCH par la Cour de cassation a
permis de répartir entre deux payeurs publics, le département et un fonds d’indemnisation,
vecteurs de la solidarité nationale, la charge de la réparation. Or les enjeux ne sont plus les
mêmes en présence d’un responsable : dans un cas, le handicap est dû au coup du sort ;
dans l’autre, il est dû à l’intervention d’un tiers. Il est donc naturel que le handicap rattaché
à un responsable soit mieux pris en charge que celui assumé par la solidarité de tous, en
permettant au mieux le rétablissement de l’équilibre rompu par la volonté de l’homme.
III/ L’étendue de la réparation
Les arrêts récents concernent deux difficultés. La première a trait à a question de savoir si la
victime a l’obligation de minimiser son dommage. La deuxième concerne les barèmes de
capitalisation
A- Pas d’obligation de minimiser le dommage
Convient-il de mettre à la charge de la victime une obligation consistant à minimiser son
dommage ?
La Cour de cassation a semblé hésiter en présence d’une atteinte aux biens ou de dommage
économique pur (Pour : Civ. 2e, 22 janvier 2009, n° 07-20878; 24 novembre 2011 n° 1025635; Contre : Civ. 1ère, 2 juillet 2014, n° 13-17599).
En revanche, elle a clairement et toujours écarté l’idée d’une telle obligation en présence
d’un dommage corporel. Dans un arrêt du 19 mars 1997, elle avait énoncé qu’ « il résulte de
l’article 16-3 du Code civil que nul ne peut être contraint, hors les cas prévus par la loi, de
subir une intervention chirurgicale » pour justifier le refus de la victime de subir une
opération destinée à la pose d’une prothèse apte à améliorer son état (Civ. 2e, 19 mars 1997,
B II n° 86). La solution réaffirmée depuis (Civ. 2e, 19 juin 2003, n° 01-13289; CE, 3 décembre
2010, n° 334622) a encore été solennellement rappelée dans un arrêt du 15 janvier 2015
(Civ. 1ère, 15 janvier 2015 n° 13-21180, D. 2015, 1975 note T. Gisclard, JCP 2015, 436, J.
Houssier ).
Troisièmes rencontres juridiques du dommage corporel – 4 février 2016
En l’espèce, un patient victime d’une infection nosocomiale avait refusé tout traitement et
quitté l’établissement de santé pour réintégrer son domicile. Son état de santé s'étant par la
suite aggravé, il a été admis dans un autre établissement, où une septicémie par
streptocoque a été diagnostiquée avec des atteintes secondaires à l'épaule, au foie et au
cœur. La cour d’appel avait imputé l’aggravation de l’état de la victime à son refus de
traitement et limiter en conséquence la responsabilité de la clinique. L’arrêt est cassé, au
motif que « le refus d'une personne, victime d'une infection nosocomiale dont un
établissement de santé a été reconnu responsable de se soumettre à des traitements
médicaux, qui, ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte
ou la diminution de son droit à indemnisation de l'intégralité des préjudices résultant de
l'infection ».
Cette position est approuvée par la doctrine. L’obligation de minimiser son dommage trouve
ici un obstacle juridique de taille résultant du droit du patient au respect de son intégrité
corporelle. Ce droit subjectif qui implique la nécessité d’obtenir le consentement du patient
à tout acte concernant sa santé est protégé et reconnu au plus haut niveau de la hiérarchie
des normes. Le refus de soins traduit l’expression d’un droit fondamental, et ne peut jamais
constituer une faute de nature à réduire l’indemnité due à la victime. Il est à cet égard
important d’observer que tous les projets de réforme qui envisagent d’accueillir pareille
obligation en droit français prennent le soin de l’exclure expressément face à une atteinte
corporelle (Avant-projet Catala : art. 1373; projet Terré : art. 53).
Mais alors si le rejet de l’obligation de minimiser son dommage s’explique par la nature de la
mesure demandée, à savoir une intervention médicale, serait-il en revanche possible
d’exiger de la victime certaines diligences matérielles qui ne touchent pas à son intégrité
corporelle ? La Cour de cassation avait eu l’occasion de répondre par la négative dans un
arrêt du 25 octobre 2012 : elle avait censuré une décision qui prétendait limiter l'indemnité
allouée au titre de l’assistance par tierce personne par le constat que la victime pouvait
aménager sa chambre au RDC ou déménager pour éviter de monter à l’étage (Civ. 2e, 25
octobre 2012, n° 11-25511; Civ. 2e , 22 nov. 2012, n°11-25494).
Un arrêt du 26 mars 2015 adopte les mêmes principes de solution. La Cour énonce que le
poste correspondant aux pertes de gains professionnels futurs doit être calculé sans tenir
compte du refus de la victime de dommage corporel déclarée inapte à exercer son travail
d’accepter un autre poste proposé par son employeur (Civ. 2e, 26 mars 2015 n° 14-16011).
La victime d’un dommage corporel n’a donc pas d’obligation de minimiser son dommage
quelle que soit la nature de la mesure qu’elle aurait pu prendre à cet effet, qu’il s’agisse ou
non d’une intervention médicale.
B - Barèmes de capitalisation
Rappelons que des barèmes sont utilisés pour la capitalisation des rentes allouées en
réparation de certains préjudices patrimoniaux permanents tels que l’assistance tierce
personne, ou la perte de revenus. Ils servent pour ces préjudices à convertir une rente en
capital. Pour cela, des tables ont donc été conçues et tiennent compte de la durée de vie de
la victime, ainsi que des rendements qu'elle pourra escompter du placement des sommes
reçues. Le juge fixe d’abord le montant annuel de chaque poste de préjudice puis le multiplie
par un coefficient, dit « euro de rente », tiré d’un barème de capitalisation. Cet euro de
rente est établi en tenant compte de deux paramètres : le premier est l’espérance de vie de
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la victime, calculée à partir d’une table de mortalité ; le second est le loyer de l’argent, c’està-dire le taux d’intérêt.
En l'état actuel du droit français il n’existe pas de barème officiel unique et obligatoire.
Plusieurs barèmes officieux coexistent. Ils peuvent varier en fonction non seulement de la
table de mortalité de référence mais aussi et surtout des taux d’intérêt de placement selon
qu’ils prennent en compte ou non l’inflation pour le déterminer, selon qu’ils déduisent ou
non l’inflation du taux d’actualisation.
Ceux qui ne prennent pas en compte l’inflation retiennent des taux élevés ayant oscillé ces
dernières années entre 2,5 et 4,5 % (On peut citer notamment les barèmes publiés par la
Gazette du palais le 9 nov. 2004 (table de mortalité 2000-2002, taux d’intérêt de 3,2 %) ou le
5 mars 2011 (table de mortalité 2006-2008 ; taux d’intérêt de 2,35 %, égal à la moyenne du
taux d’intérêt légal sur 5 ans, avec prise en compte d’intérêts à échoir).
En revanche, le barème publié le 28 mars 2013 dit barème « Maxime Bareire » (table de
mortalité 2006-2008), repose sur une inflation anticipée et retient un taux d’intérêt de 1,2 %,
(égal à la moyenne du taux d’emprunt de l’État sur dix ans (ou TEC 10), lissé sur 6 mois (soit
2,16 %), moins 0,96 % correspondant à 80 % de l’inflation de 2012).
Or le choix du barème n’est pas économiquement neutre : plus le taux d’intérêt retenu par
un barème de capitalisation est faible, plus le montant du capital alloué à la victime est
important : la victime a donc intérêt à se prévaloir d’un barème de capitalisation comportant
un taux d’intérêt faible, alors que le responsable a intérêt à invoquer un barème au taux
d’intérêt élevé.
Quelle est la position de la Cour de cassation face à ces barèmes ? Elle s’illustre à travers une
série d’arrêts rendus le 10 décembre 2015 (Civ 2e, 10 décembre 2015 n° 14-27243 n° 1426122 et n° 14-24443).
Dans la première espèce, pour capitaliser trois postes de préjudice patrimoniaux
permanents, à savoir les dépenses de santé futures, les frais d’assistance par tierce personne
et les pertes de gains professionnels futurs, la Cour d’appel de Toulouse avait opté pour un
barème de capitalisation publié par la Gazette du Palais en 2013, qui, selon l’arrêt,
« s'appuie sur les données démographiques les plus récemment publiées [en] 2006-2008, et
sur une appréciation de la conjoncture économique la plus proche de la réalité avec un taux
d'intérêt de 1,20 % ». Le pourvoi contestait la référence à ce barème comme contraire à la
réparation intégrale, à la certitude du préjudice et à la nécessité d’une causalité directe. Le
pourvoi est rejeté en ces termes : « attendu que, tenue d'assurer la réparation intégrale du
dommage actuel et certain de la victime sans perte ni profit, c'est dans l'exercice de son
pouvoir souverain que la cour d'appel a fait application du barème de capitalisation qui lui a
paru le plus adapté à assurer les modalités de cette réparation pour le futur ».
Le même attendu est repris pour rejeter les pourvois reprochant aux cours d’appel l’usage
de ce même barème par deux autres arrêts rendus le même jour.
Que faut-il en penser ?
Cette position est conforme à la jurisprudence antérieure. La Cour de cassation avait déjà
énoncé que le choix du barème de capitalisation ainsi que celui de l’euro de rente relève de
l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. crim., 3 avr. 1990, n° 89-83029, Cass.
Crim., 19 septembre 2000, n° 98-87.846 ; Cass. 2e Civ., 7 mai 2003, n° 01- 10.869 ; Cass. crim.,
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8 mars 2005, n° 04-84174). La Cour se borne à exercer un contrôle de motivation restreint
sur le choix du barème de capitalisation par les juges du fond.
La même solution est affirmée s’agissant des barèmes d’indemnisation. La Cour de cassation
a très tôt eu l’occasion de préciser que la référence à un barème ne peut être faite qu’à titre
d’indice, sans que le juge ne s’estime lié par l’évaluation qui en résulte, dès lors qu’il tient
compte de toutes les données concrètes de l’espèce. Elle l’a encore rappelé dans arrêt du 22
novembre 2012 (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n° 11-25.988). L’arrêt d’appel qui avait statué,
dans le cas d’un préjudice d’affection, « par référence à des barèmes, sans procéder à
l'évaluation du dommage en fonction des seules circonstances de la cause » est cassé.
Cette défiance de la jurisprudence à l’égard des barèmes ne peut s’expliquer que par les
inconvénients de ces outils. Lesquels ?
En premier lieu, le barème prive les parties de leurs pouvoirs dans la preuve des faits
allégués, notamment dans la preuve de l’existence et de l’étendue du préjudice. Il les prive
de la possibilité d’établir la réalité de leur préjudice lorsqu’il ne correspond pas aux barèmes.
En deuxième lieu, les barèmes privent le juge de son office dans l’appréciation de la preuve,
ainsi que dans l’individualisation de la décision. En interdisant le recours exclusif à des
barèmes, la Cour entend ainsi imposer aux juges du fond d’exercer pleinement leur office.
Elle leur interdit de déléguer leur pouvoir de décision en appliquant mécaniquement une
table de référence.
Ces principes processuels confortent et rejoignent les principes substantiels de la
responsabilité civile au premier rang desquels figure le principe de la réparation intégrale. Ce
principe impose au juge de procéder à une évaluation in concreto du dommage en tenant
compte de toutes les particularités de la situation de fait qui lui est soumise. La portée de ce
principe de la réparation intégrale est renforcée en présence d’un dommage corporel, en
raison du fait que ce dommage constitue une atteinte à un droit fondamental protégé au
plus haut niveau de la hiérarchie des normes. Or les barèmes comportent un risque réel de
sous évaluation des préjudices et de sclérose de la réparation.
Dans l’état actuel du droit, la question du choix du barème parmi les multiples barèmes
existant relevant du pouvoir souverain des juges du fond, elle doit faire l’objet d’un débat
contradictoire ; les mérites des paramètres retenus sont débattus devant le juge.
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