MONDE ROMAIN-documents Internet
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Document commenté UNE ÉPIPHANIE ONIRIQUE D’ASCLÉPIOS. [18] Quand donc nous fûmes arrivés à Smyrne, le dieu m’apparaît sous la forme à peu près que voici : il était à la fois Asclépios et Apollon, Apollon de Claros et celui qu’à Pergame on nomme « Kalliteknos », et auquel appartient le premier des trois temples. Se tenant, sous cette apparence, debout devant mon lit, et tendant les doigts, après avoir calculé quelques instants : « Tu as, dit-il, dix années de ma part et trois de la part de Sarapis » - et, en même temps, ces treize années apparurent comme dix-sept d’après la position des doigts - et il ajouta que cela n’était pas vision de rêve, mais réalité et que je le verrai bien moi-même. Et en même temps il m’ordonne de descendre jusqu’au fleuve, celui qui coule devant la ville, et de m’y baigner, qu’un enfant impubère m’indiquerait la direction à prendre et il me montre l’enfant. Tels sont les points principaux de l’épiphanie du dieu, et moi j’aurais donné toute chose pour être capable d’en exposer avec exactitude également les détails. [19] C’était le milieu de l’hiver, il soufflait un cruel vent du nord et il faisait un froid glacial et, sous l’effet du gel, les galets étaient si collés l’un à l’autre qu’ils formaient comme une plaque de glace continue et l’eau du fleuve était telle qu’on peut l’imaginer par un temps pareil. [20] Quand fut connue la prescription de l’apparition divine, mes amis m’accompagnèrent, ainsi que ceux des médecins qui m’étaient proches, et d’autres encore, soit qu’ils se fissent du souci pour moi, soit par curiosité intellectuelle. Et il y avait aussi, en plus, une grande foule de gens - c’est qu’en effet il se déroulait précisément l’une ou l’autre de ces distributions hors des portes - et tout se voyait très bien du haut du pont. Il y avait un médecin du nom d’Hérakléôn, un ami à moi, qui m’avoua le lendemain qu’il était venu, tout à fait persuadé que je serais, dans le meilleur des cas, pris d’une crampe ou d’un autre malaise comparable. [21] Quand nous fûmes arrivés au bord du fleuve, il n’y eut nul besoin qu’on m’encourageât. Bien au contraire. Encore plein de la chaleur que m’avait donnée la vue du dieu, après avoir rejeté mes vêtements, et sans même avoir besoin qu’on me frictionne, je me jette à l’endroit où le fleuve est le plus profond. Et alors, comme si j’étais dans une piscine à l’eau douce et bien tempérée, je pris mon temps, nageant et me faisant couvrir par l’eau entièrement. Et quand je sortis, toute ma peau brillait et mon corps éprouvait un grand bien-être : il y eut alors une grande clameur de la part de ceux qui étaient présents aussi bien que de ceux qui ne cessaient d’arriver et qui entonnèrent tous à pleine voix l’acclamation rituelle : « Grand est Asclépios ! ». [22] Ce qui suivit, qui pourrait le décrire ? Tout le reste du jour et de la nuit, jusqu’au moment d’aller au lit, je conservai l’heureux état qui avait suivi le bain et je ne sentais mon corps ni trop sec, ni trop humide, et la chaleur ne diminua ni n’augmenta en rien ; ce n’était du reste pas une chaleur comparable à celle qu’on peut se procurer par quelque technique humaine, mais une sorte de chaleur solaire continue, qui répandait dans tout mon corps et par toute ma peau une égale vigueur. [23] Et il en allait à peu près de même pour la disposition psychique. Car ce n’était pas comme une de ces jouissances connues et l’on n’eût pas dit non plus que cela avait à voir avec un plaisir humain, mais c’était une sorte de joie ineffable qui rendait toute chose seconde par rapport au moment présent, si bien qu’il me semblait ne rien voir de tout ce qui se présentait à ma vue ; tant j’étais tout entier près du dieu. [24] À partir de là, il t’appartient, ô maître, de me montrer et présenter ce que je dois dire pour continuer […]. Aelius Aristide, Discours sacrés (= D.S.) II (= Discours XLVIII), 18-24 ; traduction M.-H. Quet. Remarques préliminaires : les objectifs du texte La nature de la relation privilégiée existant entre un dieu sauveur et un fidèle élu par ce dieu. Évidents au premier abord: – le récit d’une expérience miraculeuse par le miraculé en personne; – la mise en scène d’un traitement d’Asclépios et des réactions de la foule devant le miracle. Documents et exercices 1 Apparents dans un second temps: – la complexité de la projection onirique; – la nature spécifique du salut païen conçu comme don d’années de vie; – les caractéristiques d’une « écriture du moi » destinée à célébrer les « pouvoirs » d’un sauveur qui n’est pas le Christ. 1 - Présentation du document La bibliographie Un texte qui touche à la fois à l’histoire religieuse, à l’histoire de la personne et à la vie quotidienne d’une cité d’Asie à l’époque antonine : cf. FESTUGIÈRE, A. J., Aelius Aristide, Discours sacrés. Rêve, religion, médecine au IIe siècle après J.-C., Paris, Macula, coll. « Propylées », 1986 ; QUET, M.-H., « Parler de soi pour louer son dieu : le cas d’Aelius Aristide… », dans Baslez, M.-F., Hoffmann, Ph., Pernot, L. (éd.) L’Invention de l’autobiographie d’Hésiode à saint Augustin, Paris, 1993, p. 211-251. La nature de la source Les Discours sacrés, écrits entre 166 et 177 p. C., sont essentiellement des « récits de rêves » destinés à témoigner de la toute-puissance du dieu médecin, Asclépios Sôter (« Sauveur ») de Pergame. La valeur du témoignage Un document de première main à visées politiques et arétalogiques sur l’imaginaire d’un culte de salut païen. L’auteur Aelius Aristide est le seul sophiste atticiste dont la majeure partie de l’œuvre soit parvenue jusqu’à nous (cf. PERNOT, L., dans Goulet, R., Dictionnaire des Philosophes antiques, vol. I, Paris, CNRS, 1989, s. v., p. 358-366). Né en décembre 117 (mort peu après 180), au voisinage d’un sanctuaire de Zeus Olympios, à proximité d’Hadrianoi (Orhaneli en Turquie), Aristide est moins connu aujourd’hui par ses œuvres proprement sophistiques ou par ses discours politiques – excepté le discours À Rome rédigé en 143 – que par sa maladie et la relation privilégiée qu’il entretint à partir de 144 avec Asclépios. Aristide, qui était citoyen de Smyrne - dont l’évêque Polycarpe avait été récemment martyrisé -, rédigea, en partie, les Discours sacrés (mention dans l’Adresse à Asclépios, 177 p. C.), pour répondre indirectement aux vœux de Marc Aurèle dont un édit rappelait la nécessité d’honorer les dieux du panthéon traditionnel sur toute l’étendue de l’Empire. 2 - Analyse du document Dégager les étapes du récit: 1) l’épiphanie du dieu (§ 18) ; 2) le récit du bain ordonné par le dieu (§ 19-21) ; 3) les effets de la rencontre d’un fidèle avec son dieu (§ 22-23) ; 4) l’évocation du dieu comme « maître » (§ 24). 3 - Mise en place du document Localiser Smyrne (une des trois métropoles de l’Asie) et le fleuve cité, qui n’est pas le Mélès (CADOUX, C. J., Ancient Smyrna, A History of the City from the Earliest Times to 324 A.D., Oxford, 1938, p. 12, n. 6 et p. 174, n. 6); identifier les dieux mentionnés dans le texte et localiser leurs sanctuaires (cf. la carte Le Monde romain, Paris, Bréal, 2010, p. 217 ; le Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae [LIMC], de Kahil, L. et alii, Zurich et Munich, s. v. « Apollo » et « Asclépios »). 2 8. L’Orient romain (de 30 a. C. à 235 p. C.) 4 - Explication L’auteur intègre le récit de cet épisode fondateur de sa vie dans un récit plus vaste des tribulations que lui imposa le dieu, avant de l’établir durablement à Pergame au printemps 145 – ce qui permet de dater l’épiphanie de janvier 145 (cf. « cœur de l’hiver »); évoquer ensuite les divers acteurs de cette expérience existentielle: 1) le dieu, 2) son élu, 3) la foule des témoins; analyser 4) la nature des croyances de la société grecque du IIe siècle, concernant les notions d’épiphanie, d’oracle, de miracle, la conception du salut comme un don d’années de vie supplémentaires et la caractérisation – dans sa relation à la médecine contemporaine – des effets psychiques et somatiques produits par un « bain hivernal » miraculeux; 5) conclure sur la nature du témoignage aristidéen. A - Asclépios : un dieu médecin sauveur 1 - Les dénominations du dieu – Le dieu. Asclépios est quatre fois désigné dans le récit par l’expression « le dieu » (§ 18, 21, 23). Cela implique que, sans être le seul dieu vénéré par Aristide – plusieurs autres dieux sont mentionnés – Asclépios fut, pour lui, un dieu plus important que les autres, qu’il a nommé le « Sauveur » dès sa première manifestation onirique (D.S. II, 7); évoquer l’évolution, au IIe siècle, du polythéisme vers divers hénothéismes (cf. Le Monde romain, Paris, Bréal, 2010, p. 167, n. 21). – Le maître. L’invocation par Aristide d’Asclépios comme son « maître » (§ 24) montre la nature verticale de la relation établie à cette date entre un fidèle et son dieu, laquelle est bien attestée en Anatolie dans les cultes d’Asclépios, de Sarapis, d’Isis, des Dieux Syriens et de la Mère des dieux (voir PLEKET, H. W., « Religious History as the History of Mentality: the Believer as Servant of the Deity in the Greek World », dans Versnel, H. S. (éd.), Faith, Hope and Worship. Aspects of the Religious Mentality in the Ancient World, Leyde, 1981, p. 152-192, ici p. 160-161). – Asclépios. Le dieu est nommé Asclépios dans l’évocation de la vision et dans l’acclamation rituelle, bien connue en Asie à cette date (cf. Actes des Apôtres, 19, 28 : les habitants d’Éphèse clament : « Grande est l’Artémis des Éphésiens »). Aristide a lui-même crié en rêve « Grand est Asclépios », aux Eaux chaudes proches de Smyrne - où l’avaient envoyé les médecins incapables d’identifier son mal, en janvier 144 (D.S. II, 7). 2 - L’image onirique du dieu Le dieu n’apparaît pas ici à l’image de sa statue de culte la plus connue (comme il était habituel selon Artémidore de Daldis) mais sous l’apparence polymorphe de trois divinités. – L’Apollon de Claros ou de Colophon était le dieu d’un sanctuaire oraculaire de la côte d’Asie encore très actif au IIe siècle (cf. ROBERT, L., « L’oracle de Claros », dans Delvoye, Ch., Roux, G. et alii, La Civilisation grecque de l’Antiquité à nos jours, t. I, Bruxelles, 1969, p. 305-312), auprès duquel Aristide envoya peu de temps après son nourricier Zozime (D.S. III, 12). – L’Apollon « aux beaux enfants » de Pergame porte une épiclèse, Kalliteknos, rappelant qu’Asclépios était fils d’Apollon et de la nymphe Coronis. Un culte était rendu à Apollon dans l’Asklépieion (cf. HABICHT, Ch., Die Inschriften des Asklepieions, Berlin, 1969, n°115b, p. 130 et pl. 30). Une même divinité pouvait recevoir des cultes différents selon ses épiclèses, un même sanctuaire pouvait contenir plusieurs temples. Documents et exercices 3 – Asclépios n’est pas défini par référence à un sanctuaire, quoiqu’il en ait possédé plusieurs dans la région. Il est, en tant que médecin, « le dieu qui apparaît » au fidèle pour le guérir (cf. STRATEN, F. T. van, « Daikrates’ Dream. A votive Relief from Kos and Some Other Kat’Onar Dedications », BABesch, 51, 1976, p. 1-38, ici p. 14, 18, 23). – L’apparence composite du dieu dans cette projection onirique fait référence à un dieupère, Apollon - particulièrement vénéré par Aristide (D.S. IV, 31, 32-34 et 37) - et à un dieu-fils, Asclépios, apparu, à son nourricier, lors d’une incubation à l’Asklépieion de Pergame, et qualifiant les discours à venir d’Aristide de « Discours sacrés » (D.S. II, 9-10). B - Aristide, l’élu, le serviteur, le témoin d’Asclépios à Smyrne Le document fait apparaître Aristide comme l’élu du dieu, et comme l’écrivain qui, un quart de siècle plus tard, a rédigé le récit que nous lisons. 1 - L’agent des ordres du dieu et son témoin – La passivité du voyant. Aristide est l’objet passif d’une vision (§ 18) ; il ne donne aucun détail sur ce qu’il a ressenti. – L’activité du baigneur. L’évocation du bain comporte en revanche sept verbes d’état ou d’action (§ 21). – L’effort d’objectivité du témoin. Il s’implique le moins possible dans son récit (une seule expression, § 23), définit son état comme miraculeux par des comparaisons insistant sur l’impossible assimilation d’un état humain à un état provoqué par un dieu (§ 23) et souligne la difficulté de son entreprise (§ 18). 2 - La spécificité de l’état d’un homme « tout entier tourné vers le dieu » – Le désintérêt pour tout ce qui n’est pas l’ordre du dieu (§ 23). Ainsi s’explique qu’il ait omis de mentionner la présence de « l’enfant impubère » qui devait lui montrer le chemin (§ 18), alors qu’il eut toujours le souci de noter combien les événements accomplis dans la vie éveillée correspondaient aux oracles reçus en rêve (D.S. II, 48-49). – Une expérience à la fois psychique et somatique. La rencontre avec un dieu médecin explique les nombreuses références au corps. Aristide établit un parallèle entre son état somatique et son état psychique (§ 22), selon les usages de la médecine pergaménienne du IIe siècle. 3 - Smyrne, lieu du premier miracle public rapporté par Aristide – Smyrne, la seconde « patrie » d’Aristide : la cité d’enracinement civique de sa famille, issue du mont Olympe en Haute Mysie. Aristide y fit ses études et y possédait deux maisons (D.S. III, 43 et II, 38). Il y était déjà connu comme orateur, y ayant prononcé, notamment en 142, à son retour d’Égypte, l’Hymne à Sarapis (Discours XLV). – Smyrne, le lieu du constat de son échec professionnel et de son étrange maladie. Aristide aurait dû revenir auréolé de gloire sophistique, après avoir prononcé un éloge de Rome, à Rome même, en 143, l’année du consulat ordinaire de son maître Hérode Atticus. Aristide, jugé perdu à Rome, atteignit Smyrne en décembre 143, dans un état désespéré (D.S. II, 6-7), et sans avoir pu prononcer son discours. « Contre toute attente et à la stupéfaction générale, les Smyrniotes le virent revenir vivant » des Eaux chaudes (D.S. II, 7 et 11), ayant reçu un appel d’Asclépios. 4 8. L’Orient romain (de 30 a. C. à 235 p. C.) – Smyrne: le foyer culturel de l’élu du dieu. Aristide est très connu à Smyrne, cité universitaire de grand renom (Philostrate, Vies des sophistes, I, 21, 518; II, 26, 613). Ayant été jugé perdu, il peut y apparaître comme un miraculé. C’est dans cette cité qu’il reçut en rêve le nom de Théodôros, « Don du dieu » (D.S. IV, 53), qui fut plus tard gravé sur le socle de sa statue. C - La foule des témoins, volontaires ou occasionnels, du bain miraculeux 1 - Les témoins volontaires: les familiers, les amis et les médecins avertis de l’épiphanie du dieu, parmi lesquels Aristide distingue ceux qui sont proches de lui et les autres qu’il divise en deux catégories (ceux qui sont susceptibles de se faire du souci pour un malade et ceux que meut la curiosité scientifique, § 20). Il a systématiquement souligné la curiosité des médecins, pour sa résistance à des traitements difficiles et pour ses guérisons inattendues (D.S. II, 51 et 61-68), même s’il a exprimé plusieurs fois sa méfiance à leur endroit, car « les rêves et les oracles d’Asclépios délivraient [à ses yeux] les fidèles de l’art des médecins » (Discours II, 75). 2 - Les témoins occasionnels: ils se trouvaient là parce qu’il y avait « une distribution en dehors des portes de la ville » (§ 20). Cette diadosis – d’huile ou de blé – atteste l’existence de distributions effectuées par les magistrats ou les évergètes au bénéfice des habitants des cités (cf. VEYNE, P., Le Pain et le Cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, Seuil, 1976, p. 271-294). 3 - Le goût de la foule pour les miracles Souligner la curiosité de la foule et son attente des miracles, tant en milieu païen qu’en milieu chrétien (cf. Évangile de Matthieu, VII, 22 et 28 ; IX, 33 ; XIII, 54 ; XV, 31 et, aussi, BROWN, P., Genèse de l’Antiquité tardive, trad. A. Rousselle, Paris, 1983, p. 114, 132-133). D - La nature des croyances religieuses propres aux cultes de salut de l’Orient romain Plusieurs observations à première vue déconcertantes: examiner le vocabulaire (notions d’épiphanie, d’oracle bien que ce dernier terme n’apparaisse pas dans le texte); réfléchir ensuite aux pouvoirs spécifiques des divinités salvatrices. 1 - Le vocabulaire des interventions oniriques du dieu – L’épiphanie du dieu: Asclépios est apparu au pied du lit d’Aristide (§ 18), comme cela est attesté sur les ex-voto (cf. van STRATEN, BABesch, 1976, pl. 9 et 10, et p. 13). La « vision onirique » du dieu était pour les Anciens une « épiphanie » au plein sens du terme, comme le montrent la formule prononcée par le dieu (§ 18) « Ce n’est pas là “vision de rêve [onar]”, mais “réalité” [hypar] », l’emploi du verbe phainesthai, « apparaître » et du mot épiphaneia, le mot hypar insistant sur le fait que la vision onirique, onar, se réalisera dans la vie éveillée. Aristide n’emploie jamais le mot khrèmatismos qui désignait chez les onirocrites le « rêve oculaire ». – L’oracle des années: l’apparition d’Asclépios est désignée par les mots « épiphanie » (§ 18) et « vision » (opsis) (§ 21), car le sophiste met l’accent sur les effets de la vision du dieu et du bain hivernal. En revanche, chaque fois qu’il a fait référence à cette première épiphanie d’Asclépios, Aristide l’a désignée comme « l’oracle » (khresmos) ou la « prédiction (prorrhèsis) des années » (D.S. II, 37 et 45). Pour lui, les paroles du dieu entendues en rêve étaient des oracles de son sauveur, à la bienveillance duquel il attribuait « les dix-sept années qui suivirent cette épiphanie » (D.S. II, 37). Asclépios joue ici son rôle de divinité salvatrice de deux façons. Documents et exercices 5 2 - Les pouvoirs spécifiques d’une divinité salvatrice – Le don d’années de vie. Asclépios accorde à Aristide treize années de vie qui lui paraissent pouvoir être décomptées comme dix-sept, « d’après la position des doigts » (§ 18) (sur cette façon de compter, cf. BEHR, C. A., Aelius Aristides and the Sacred Tales, Amsterdam, 1968, p. 71-72). À l’époque classique, on reconnaissait plus volontiers à Asclépios la capacité de guérir – et par-là de prolonger la vie des malades – que celle d’octroyer des années de vie. À l’époque impériale, on s’interrogeait sur la capacité des dieux sauveurs de modifier le cours des destinées individuelles, en s’opposant victorieusement à ce qui avait été fixé par le Destin (Moira) ou la Nécessité (Anankè); l’on reconnaissait surtout en Égypte cette capacité à Isis et à Sarapis, (cf. FESTUGIÈRE, A. J., L’Idéal religieux des Grecs et l’Évangile, Paris, 1932, p. 109 et 317). Aristide avait séjourné en Égypte: ainsi s’explique que Sarapis soit mentionné comme participant au don d’années de vie. – L’association d’Asclépios Moironomos et de Sarapis Au cours de l’épiphanie, Asclépios s’exprime en son propre nom et au nom du dieu Sarapis (§ 18) – autre dieu sauveur d’origine alexandrine – dont il loue et semble redouter les pouvoirs (Discours XLV, 33 et 25-26). À en juger par les Discours sacrés, les rapports imaginaires d’Aristide avec Sarapis ne furent pas simples. Cependant le sophiste a plusieurs fois associé Asclépios et Sarapis, notamment en assimilant l’œuvre des deux empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus, se dévouant pour le salut de l’œkoumène, à celle des deux dieux sauveurs (Discours XXVII, 39). Le don de dix-sept années de vie dont il pensait avoir bénéficié poussa Aristide à nommer ultérieurement l’Asclépios de Pergame Moironomos, « distributeur des destinées », en lui attribuant une fonction habituellement dévolue à Zeus ou à Sarapis (Discours XLIII, 27 et XLV, 21), et lui permit de se considérer lui-même comme un « don du dieu » (Théodôros). – Le bain hivernal prescrit par le dieu médecin La prescription de bains, l’absence de bain ou la description de bains sont très souvent mentionnés dans les Ier et IIe Discours sacrés, quoique le récit n’en soit pas suivi. Les bains étaient d’usage régulier dans le monde romain, comme l’attestent sur toute l’étendue de l’Empire les très nombreux vestiges de thermes privés et publics et leur place dans les sanctuaires d’Asclépios (cf. GINOUVÈS, R., Balaneutikè. Recherches sur le bain dans l’Antiquité grecque [BÉFAR, vol. n° 200], Paris, 1962, p. 355-361 et 367373). La prescription de bains froids n’était pas inhabituelle à l’époque impériale, tant dans les traités médicaux que dans les prescriptions oniriques d’Asclépios (cf. Marc Aurèle, Pensées, V, 8 et D.S. II, 55). Aristide considérait ses bains hivernaux, qu’il regardait comme des « traitements », des « bienfaits du dieu » (§ 59 et 70), et qu’il qualifiait de « divins » (§ 11), comme aussi importants que ses succès oratoires, car également donnés par Asclépios (§ 82). – Une hydrothérapie miraculeuse. Aristide n’emploie pas le mot « miracle » mais montre qu’il y eut miracle du fait qu’un malade continuellement saisi de frissons ait été soudain capable de se baigner nu dans l’eau glacée et de trouver cette eau agréable (§ 21) ; d’où l’importance accordée, dans ce récit, à l’hostilité des éléments (§ 18), à l’intrépidité d’Aristide et au plaisir qu’il prit dans le fleuve, jusqu’à ce qu’éclatât « le pouvoir du dieu ». Le bain rétablit la bonne température du corps et le juste équilibre des humeurs du malade. L’évocation presque clinique de l’état qui suivit le bain montre que l’action du dieu s’inscrivait dans les conceptions médicales du IIe siècle, telles qu’elles se rencontrent chez Galien. Souligner l’usage du mot kouphotês qui appartient au vocabulaire médical (voir VAN BROCK, N., Recherches sur le vocabulaire médical du grec ancien, Paris, Klincksieck, coll. « Études et commentaires », 6 8. L’Orient romain (de 30 a. C. à 235 p. C.) n° 41, 1961, p. 211-212), pour qualifier la sensation d’allégresse physique éprouvée au sortir du bain (§ 21) ; remarquer l’usage d’un vocabulaire proche de celui des mystiques chrétiens. Conclusion – L’intensité d’une expérience existentielle païenne; l’émergence en milieu païen d’une « écriture du moi » liée à la volonté d’édification du miraculé; – l’importance des manifestations somatiques dans l’évocation des pouvoirs du dieu médecin, caractéristiques d’un culte de salut païen; – les phénomènes hénothéistes à l’œuvre dans l’imaginaire d’un fidèle d’Asclépios qui fut un grand sophiste hellène. Documents et exercices 7 Documents proposés LE PLUS GRAND DE TOUS LES PRIVILÈGES : LA L’empereur César Auguste, fils du divin Jules a fait réponse aux Samiens en ajoutant cette suscription à leur requête : « Il vous est loisible de constater par vous-mêmes que je n’ai octroyé le privilège de la liberté à aucun peuple à l’exception de celui des Aphrodisiens, lesquels ont pris mon parti durant la guerre et ont connu la captivité, en raison même de leur loyauté à notre égard. Car il n’est pas juste que le plus grand de tous les privi- « LIBERTÉ ». lèges soit accordé au hasard et sans motif. Je suis, moi-même, bien disposé envers vous et voudrais complaire à ma femme qui prend vos intérêts à cœur, mais cela ne peut aller jusqu’à me faire rompre avec mon habitude. Ce n’est pas le montant des sommes que vous versez pour le tribut qui importe à mes yeux, mais la volonté qui est la mienne de n’octroyer à personne les privilèges les plus glorieux sans motif valable. » Inscription d’Aphrodisias, extraite de REYNOLDS, J., Aphrodisias and Rome (Journal of Roman Studies Monographs, n° 1), Londres, 1982, n° 13, p. 104-106 ; traduction M.-H. Quet. Bibliographie ERIM, K., DE LA GENIÈRE, J. (éd.), Aphrodisias de Carie, Paris, 1987 ; OLIVER, J. H., Greek Constitutions of Early Roman Emperors from Inscriptions and Papyri (Memoirs of the American Philosophical Society, vol. 178), Philadelphie, 1989, p. 21-26. Comprendre le document et ses centres d’intérêt – Un témoignage officiel précoce sur la politique impériale d’octroi ou de refus de privilèges aux cités grecques; – l’expression directe de la volonté d’Auguste et l’explicitation de ses motivations. Présenter le document – La première « suscription », ancêtre du rescrit impérial, au bas de la requête des Samiens (Ionie), dans la cité libre d’Aphrodisias (Carie); – la simplicité de la formulation (pas de date, de destinataire, de formule de politesse); – les mobiles de la politique romaine à l’égard des cités grecques (mention de la guerre [civile], des liens de Livie avec Samos, des implications financières de l’octroi de la « liberté »). Mise en place du document – Distinguer la date de la gravure de l’inscription grecque (IIe-IIIe siècle p. C.) de la date de rédaction par Auguste de sa réponse aux Samiens; rédaction après 38 a. C. (titre d’imperator, mariage avec Livie) et avant 20-19 a. C. (date de l’octroi de la « liberté » à Samos pour avoir été, en 31-30, résidence d’Auguste); – expliquer la localisation d’un document concernant Samos sur le mur d’archives d’Aphrodisias, par la mention de l’engagement des Aphrodisiens en faveur d’Octavien; évoquer l’attitude générale des cités d’Asie durant la lutte entre les triumvirs; – rappeler la question de la « liberté » des cités à l’époque hellénistique. Construire le plan à partir des centres d’intérêt suivants (qui ne constituent pas un plan en soi) – Les titres d’Auguste (imperator, César, fils du divin Jules, Augustos, au lieu de Sébastos); le passage du « je » au « nous »; – les raisons de la décision d’Auguste (bienveillance, justice, désintéressement financier, référence à l’amour conjugal, valeur des titres honorifiques); 8 8. L’Orient romain (de 30 a. C. à 235 p. C.) – la notion de privilèges (philanthrôpa), le caractère exceptionnel du titre de « cité libre » sous Auguste et ses implications financières; – la nature mi-officielle, mi-privée de la procédure – habituellement réservée à la correspondance de l’empereur avec des particuliers – au bas d’une requête de cité implique l’absence de distinction formelle, durant les années 38-20 a. C., entre les types de correspondance élaborés ensuite par la chancellerie impériale. CLAUDE ADMONESTE LES ALEXANDRINS En ce qui concerne les désordres, la sédition ou, pour dire vrai, la guerre contre les Juifs […], je n’ai pas voulu découvrir après enquête quels étaient les coupables, tout en conservant en moi-même une intangible colère contre ceux qui firent renaître ces troubles. Je déclare simplement que, si vous ne mettez pas fin, sur-le-champ, au ressentiment funeste qui vous anime les uns contre les autres, je serai contraint de vous montrer ce que devient un prince bienveillant, quand il est pris d’une juste colère. Aussi, je conjure, une fois encore, les Alexandrins de se conduire avec modération et bienveillance envers les Juifs qui habitent depuis si longtemps la même cité et de ne porter atteinte à aucun des rites qu’ils ont établis pour le culte de leur dieu, mais de les laisser observer leurs coutumes – comme déjà sous le dieu Auguste – tous usages que j’ai moi-même confirmés après avoir entendu les deux parties. ET LES JUIFS D’ALEXANDRIE. Aux Juifs, j’ordonne expressément de ne pas chercher à obtenir plus que ce qu’ils avaient auparavant et de ne pas envoyer à l’avenir deux ambassades – ce qui ne s’est jamais produit jusqu’ici – comme s’ils habitaient deux cités distinctes, ni de se mêler aux concours relevant des gymnasiarques ou des cosmètes, se contentant de jouir de leurs propres biens et de profiter, dans une cité qui n’est pas la leur, d’une profusion d’avantages librement accessibles. Qu’ils n’invitent ni ne fassent venir de Juifs de Syrie, ni d’Égypte en descendant le fleuve, ce dont je serais obligé de concevoir les plus graves soupçons. Sinon, je les poursuivrai par tous les moyens, comme cherchant à susciter un mal commun à toute la terre. En revanche, si vous […] voulez bien accepter de vivre, les uns et les autres, avec modération et bienveillance les uns pour les autres, moi, de mon côté, je prendrai le plus grand soin de cette cité, comme d’un bien hérité de nos ancêtres. Papyrus Londres, VI, 1912, col. IV et V (= CPJud., 1960, t. 2, n° 153, l. 73-104) ; traduction M.-H. Quet. Bibliographie MÉLÈZE-MODRZEJEWSKI, J., Les Juifs d’Égypte de Ramsès II à Hadrien, Paris, 2e éd., PUF, Coll. Quadrige, 1997, p. 239-253 ; HUZAK, E. G., « Alexandria ad Aegyptum in Claudian Age », dans ANRW, II, 10, 1, Berlin et New York, 1988, p. 619-668 (ici, p. 664-666). Comprendre le document et ses centres d’intérêt – L’appel de Claude à la concorde interethnique, dans la deuxième ville de l’Empire; – le conflit des Alexandrins et des Juifs d’Alexandrie Présenter le document – Une lettre impériale, sur papyrus grec, découverte à Philadelphie, au Fayoum (cf. Le Monde grec, Paris, Bréal, 2010, p. 222); – Claude, petit-neveu d’Auguste, successeur de Caligula, ami d’Agrippa Ier, le roi de Judée qui est accusé par les Grecs; – les Alexandrins (= les Grecs, citoyens d’Alexandrie); les Juifs (= les membres du politeuma juif d’Alexandrie exclus du corps civique par Auguste en 30 a. C.); – la date, 10 novembre 41 p. C. (= date de l’édit du préfet d’Égypte faisant connaître la lettre). Documents et exercices 9 Mettre en place le document – La 3e partie de la lettre de Claude: rappeler le contenu des deux autres; – les non-dits de l’empereur portant sur les événements antérieurs (38-41 p. C.). Construire le plan à partir des centres d’intérêt suivants – Alexandrie: ses citoyens, ses magistrats, ses concours, sa prospérité, le phénomène d’anachorèse; – les Juifs d’Alexandrie: leur ancienneté, leurs rites et coutumes garantis par les souverains, leur statut de privilégiés et d’exclus; l’existence d’une diaspora juive; les griefs et les soupçons dont elle est l’objet, – la personnalité de Claude, son style épistolaire, sa justice, ses valeurs de référence. ANTIOCHE DE PISIDIE SE CHOISIT UN À Lucius Antistius, fils de Lucius, de la tribu Galeria, Rusticus, consul, légat proprétorien de l’empereur César Domitien Auguste des provinces de Cappadoce, Galatie, Pont, Pisidie, Paphlagonie, Arménie Mineure et Lycaonie ; […] ; appelé parmi les sénateurs de rang prétorien par le divin Vespasien et le divin Titus […] ; patron de la colonie ; parce qu’il a veillé avec zèle à son ravitaillement. Lucius Antistius Rusticus, légat proprétorien de l’empereur César Domitien, a dit : comme les duumvirs et les décurions de la très splendide colonie d’Antioche m’avaient écrit que, par suite des rigueurs de l’hiver, le ravitaillement en blé posait de graves problèmes et qu’ils me demandaient de veiller à ce que le peuple eût la possibilité d’acheter sa nourriture, à la Bonne Fortune, j’ai « PATRON ». décidé que tous les colons et tous les habitants de la colonie d’Antioche devront déclarer aux duumvirs […], dans un délai de trente jours à partir de la proclamation de mon édit, les quantités de blé possédées par chacun d’eux, l’endroit où elles se trouvent, la partie qu’ils réservent pour la semence et pour la nourriture de leur famille ; le restant devra être livré aux acheteurs de la colonie d’Antioche. La vente aura lieu le premier des calendes d’août. Si quelqu’un refusait d’obéir, qu’il sache que tout ce qu’il aurait conservé, contrairement à mon édit, sera saisi sur mon ordre ; les délateurs recevront à titre de récompense le huitième de la saisie. Comme […] il est tout à fait injuste que quiconque cherche à tirer profit de la faim de ses concitoyens, j’interdis de vendre le boisseau de blé plus d’un denier. Inscription d’Antioche de Pisidie, d’après la traduction de J. Rougé, dans CHARLES-PICARD, G., ROUGÉ, J., Textes et documents relatifs à la vie économique et sociale dans l’Empire romain 31 avant J.-C.-225 après J.-C., Paris, SEDES, 1969, n° XXXVIII, p. 130-131. Bibliographie RÉMY, B., L’Évolution administrative de l’Anatolie aux trois premiers siècles de notre ère, Lyon, 1986 ; GARNSEY, P., Famine et approvisionnement dans le monde gréco-romain. Réactions aux risques et aux crises, trad. fr., Paris, Les Belles Lettres, 1996 ; LEVICK, B., Roman Colonies in Southern Asia Minor, Oxford, OUP, 1967. Comprendre le document et ses centres d’intérêt – Un sénateur romain, légat provincial, devenu « patron » de la colonie d’Antioche de Pisidie sous le règne de Domitien; – les moyens locaux de lutter contre une disette occasionnelle. Présenter le document – Une inscription latine vers 92 p. C., gravée sur trois colonnes (deux subsistent); – l’association d’une dédicace honorifique votée par les Antiochiens (colonie fondée par Auguste en 19 a. C.), en l’honneur de Lucius Antistius Rusticus (1re col.) et de l’édit de ce gouverneur, concernant une disette saisonnière (2e col.). 10 8. L’Orient romain (de 30 a. C. à 235 p. C.) Mise en place du document – Appel des magistrats d’une colonie romaine au légat impérial de la province; – juridiction et pouvoirs du légat de la province créée par Vespasien au cœur de l’Anatolie (Cappadoce, Galatie, Pont, Pisidie, Paphlagonie, Arménie Mineure, Lycaonie), et re-divisée en 93 p. C. (cf. carte dans Le Monde romain, Paris, Bréal, 2010, p. 217). Construire le plan à partir des centres d’intérêt suivants (qui ne constituent pas un plan en soi) – Cursus du gouverneur (ici abrégé): sa promotion au rang de prétorien; son titre de « patron »; – une colonie romaine de Pisidie: sa langue officielle, son titre, son patron, ses magistrats, ses divers habitants; – place du blé (frumentum) et du ravitaillement en blé (annona) dans la nourriture et les ressources d’Antioche; – édit du légat impérial: le formulaire; les mesures prises face à la disette; – idéologie de ce mémorial: qualités reconnues au gouverneur et attendues des magistrats et des habitants de la colonie. LA QUESTION DES ENFANTS NÉS LIBRES ET ÉLEVÉS DANS L’ESCLAVAGE. Pline à l’empereur Trajan 1. Maître (Domine), c’est une importante question et qui intéresse la province entière que la condition et les frais d’entretien de ceux qu’on appelle threptoi. 2. J’ai pris connaissance des constitutions impériales concernant cette question et je n’ai rien trouvé ni de particulier ni de général qui pût être appliqué aux Bithyniens. Alors j’ai cru bon de te demander quelle règle tu voulais qu’on suivît ; je n’ai pas cru pouvoir me contenter de précédents dans une affaire qui requérait ton autorité. 3. On me lisait un édit, que l’on disait du divin Auguste, concernant Andania ; on m’a lu aussi des lettres du divin Vespasien aux Lacédémoniens, du divin Titus aux mêmes et aux Achéens, et de Domitien aux proconsuls Avidius Nigrinus et Armenius Brocchus et aussi aux Lacédémoniens. Je ne t’envoie pas ces documents, car leur texte paraît peu sûr et d’une authenticité parfois douteuse, alors que les textes authentiques et sûrs sont, si je ne me trompe, dans tes archives. Trajan à Pline 1. La question des enfants nés libres et exposés, puis recueillis et élevés dans l’esclavage, a été souvent traitée mais, dans les registres des princes qui m’ont précédé, rien ne se trouve qui vaille pour toutes les provinces. 2. Oui, il y a des lettres de Domitien à Avidius Nigrinus et à Armenius Brocchus, qui méritent tout à fait d’être suivies (mais parmi les provinces que concerne ce rescrit, ne figure par la Bithynie). C’est pourquoi ceux dont on revendiquera la liberté pour un motif de cette sorte, il ne faut à mon avis ni qu’ils se voient refuser le droit de la demander, ni qu’ils aient à racheter leur liberté en payant les dépenses de leur entretien. Pline le Jeune, Lettres, Livre X, nos 65-66 ; d’après la traduction de M. Durry, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1947. Bibliographie BOSWELL, J., Au Bon Cœur des inconnus. Les enfants abandonnés de l’Antiquité à la Renaissance, trad. fr., Paris, 1993 ; GAUDEMET, J., « La juridiction provinciale, d’après la correspondance entre Pline et Trajan », dans RIDA, 11, 1964, p. 335-353 ; SHERWIN-WHITE, A.N., The Letters of Pliny. A Historical and Social Commentary, Oxford, 2e éd., 1985. Documents et exercices 11 Comprendre le document et ses centres d’intérêt – Un souverain qui dit le droit dans une province sénatoriale; – un problème de société: la possible sortie d’esclavage, sans frais, de gens qui « nés libres […] et élevés dans l’esclavage », sont revendiqués. Présenter le document – Deux correspondants célèbres: Trajan préparant l’expédition contre les Parthes; Pline le Jeune, « légat proprétorien à pouvoir consulaire » dans le Pont-Bithynie (cf. Le Monde romain, Paris, Bréal, 2010, p. 228, n. 38 et carte p. 217; cf. aussi « Pline le Jeune et les chrétiens »,@@@ [chapitre 6]); – la date, fixée, au cours de la deuxième année de la légation de Pline, entre le 28 janvier et le 18 septembre 112 ou 113; – le contenu: règle à adopter au sujet du groupe social particulier des esclaves nés libres. Mettre en place le document – Les threptoi (statut variable selon les régions du monde grec); – la justice de Trajan: juridiction impériale existante, droit privé de Bithynie, favor libertatis. Construire le plan à partir des centres d’intérêt suivants (qui ne constituent pas un plan en soi) – Les efforts de « parents nourriciers » provinciaux pour obtenir du légat l’application de la loi romaine leur permettant d’exiger des threptoi, contrairement à l’usage juridique local, le rachat de leur liberté; – le vocabulaire de la chancellerie impériale pour l’expression de la volonté des souverains, selon ses divers moules et leur double archivage; – les garants (empereurs, magistrats, peuples et cité libre) mentionnés dans cette correspondance; – les caractéristiques de la démarche de Pline, le style de la réponse de Trajan, les valeurs de référence. UNE FAMILLE DE « L’ÉLITE » ROMANISÉE D’ATHÈNES À L’HONNEUR. Le conseil de l’Aréopage, le conseil des Cinq Cents et le peuple d’Athènes à Titus Flavius Léosthénès de Péania, le fils de Titus Flavius Alcibiades de Péania qui fut archonte éponyme, panégyriarque, héraut de l’Aréopage, stratège des hoplites, gymnasiarque à ses frais, agonothète des Panathénées à ses frais ; le petit-fils de Titus Flavius Léosthénès de Péania qui fut archonte éponyme, panégyriarque, héraut de l’Aréopage, stratège des hoplites trois fois, gymnasiarque à ses frais, agonothète des Panathénées désigné par le dieu Hadrien ; le frère […] ; qui fut lui-même archonte, panégyriarque, gymnasiarque à ses frais [lacune], deux fois ambassadeur à Rome auprès du dieu Antonin ; qui est le fils de Flavia Isidora - elle-même fille de Flavius Héraclite et de Domitia Laodamie, dont l’ancêtre […] ; qui, comme hiérophante, a manifesté son amour pour la cité par sa générosité et par toutes sortes de libéralités conformément à l’attitude de sa famille, qui reçut le « bandeau » du dieu Antonin, qui initia aux Mystères l’empereur Lucius Aurelius Verus, en célébrant au cours de l’année, une seconde fois, les Mystères, conformément à la coutume, puis qui le fit entrer dans la communauté des Eumolpides par adlectio ; ils l’ont honoré pour sa grande vertu, pour sa piété envers les dieux et pour son rôle auprès de l’empereur. DITTENBERGER, W., Sylloge Inscriptionum Graecarum, 3e éd. (= SIG 3), vol. II, n° 869 ; traduction M.-H. Quet. 12 8. L’Orient romain (de 30 a. C. à 235 p. C.) Bibliographie FOLLET, S., Athènes aux IIe et IIIe siècles. Études chronologiques et prosopographiques, Paris, Les Belles Lettres, 1976 ; CLINTON, K., « The Eleusinian Mysteries Roman Initiates and Benefactors, Second Century BC to AD 267 », dans ANRW, II, 18, 2, Berlin et New York, 1989, p. 1499-1539. Comprendre le document et ses centres d’intérêt – Un « arbre » généalogique honorifique du côté paternel comme du côté maternel; – la liste des hautes magistratures, des ambassades et des liturgies assumées, sur trois générations, par les membres d’une famille athénienne proche des empereurs. Présenter le document – Un décret honorifique d’Athènes, rédigé du vivant du bénéficiaire; – la date de la rédaction (entre 162 et 169) se déduit de l’allusion à l’initiation de l’empereur (162, car non déjà Parthicus), toujours vivant car autocrator (empereur), non théos (dieu). Mettre en place le document – L’éloge d’une famille athénienne dans un décret concernant l’un de ses membres; – l’existence à Athènes d’une caste bouleutique romanisée; – l’initiation d’un empereur aux Mystères d’Éleusis. Construire le plan à partir des centres d’intérêt suivants (qui ne constituent pas un plan en soi) – La permanence des institutions traditionnelles d’Athènes (Aréopage, Conseil des Cinq Cents, Assemblée, archonte éponyme, stratège); les différentes liturgies; l’apparition de pratiques nouvelles; la confiscation des charges honorifiques; – l’intervention des empereurs dans les cultes d’Athènes: déroulement des Mystères; adlectio de Verus dans le génos des Eumolpides; remise du « bandeau » de hiérophante (un prêtre d’Éleusis) à Rome par Antonin; désignation par Hadrien de l’agonothète des Panathénées; – la romanisation des élites athéniennes: tria nomina sur trois générations; accès à la cité romaine sous les Flaviens (prénom: Titus, gentilice: Flavius), mais conservation du démotique (« de Péania »); – les qualités civiques et morales valorisées par « l’élite politique » athénienne, le formulaire du décret. Documents et exercices 13 Dissertations proposées Flavius Josèphe et la guerre de Judée Bibliographie Lire au moins le Livre VII de La Guerre juive de FLAVIUS JOSÈPHE dans la traduction de P. Savinel, La Guerre des Juifs, Paris, éd. de Minuit, 1976 (préface de P. VIDAL-NAQUET) et son Autobiographie (Vie), trad. fr., Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1983 ; HADAS-LEBEL, M., Flavius Josèphe, le Juif de Rome, Paris, Fayard, 1989 ; SAULNIER, Chr., Histoire d’Israël de la conquête d’Alexandre à la destruction du Temple, Paris, Le Cerf, 1985. Réfléchir aux termes et aux intentions du sujet – Flavius Josèphe, le « Juif de Rome »; ses divers visages; – la guerre de Judée (= la lutte de Rome contre les Juifs révoltés, de 66 à 74 p. C. ; cf. Le monde romain, Paris, Bréal, 2010, p. 228-229); – ne pas faire le portrait de Flavius Josèphe ni le récit événementiel de la guerre ni l’analyse de La Guerre juive. Recenser les aspects à étudier – L’étrange parcours (diversement interprété dans l’historiographie) d’un Juif chargé d’organiser en 66 la lutte contre Vespasien, devenu en 67 l’instrument de la guerre psychologique conduite par Titus contre ses coreligionnaires, le témoin de la prise de Jérusalem et l’historien de cette tragédie; – la nature de la guerre civile sévissant en Judée, son théâtre d’opération, ses causes, ses factions; – la peinture des forces en présence: invincibilité des armées romaines, exploits des assiégés. Définir les articulations possibles du plan – Les objectifs politiques de Josèphe: 1) une œuvre (en araméen et en grec), pour tous les sujets de l’Empire; 2) dire la vérité de la guerre; 3) décourager toute tentative de révolte contre Rome; 4) faire l’éloge, en 79-81, des qualités humaines de Titus (qui avait renvoyé Bérénice en 78); – les mobiles apologétiques personnels: 1) justifier son choix de se rallier à Vespasien par son amour de la paix, par la volonté du Dieu des Juifs, par les crimes des chefs factieux, seuls coupables, car responsables de la destruction du Temple; 2) donner de lui-même une image positive d’homme chanceux, d’historien compatissant aux malheurs des siens; – l’histoire d’une tragédie nationale: 1) évocation d’un monde disparu; 2) horreur du suicide collectif des assiégés de Masada (73); 3) mémorial de l’héroïsme du peuple juif. 14 8. L’Orient romain (de 30 a. C. à 235 p. C.) Palmyre entre deux mondes Bibliographie TEIXIDOR, J., Un Port romain du désert. Palmyre et son commerce d’Auguste à Caracalla, Paris, Semitica, vol. XXXIV, 1984 ; WILL, E., Les Palmyréniens. La Venise des sables, Ier siècle av. J.-C. IIIe siècle après J.-C., Paris, Armand Colin, 1992 ; STIERLIN, H., Cités du désert : Pétra, Palmyre, Hatra, Fribourg (L’Art antique au Proche-Orient, vol. II), Le Seuil, 1987 (pour la parure monumentale et l’urbanisme). Réfléchir aux termes du sujet – Palmyre: oasis du désert syrien (situation géographique, statut, fonctions); – entre deux mondes: étape obligée sur la voie la plus courte entre l’Inde (Orient) et la Méditerranée (Occident); – cadre chronologique: de l’intégration de Palmyre dans l’Empire jusqu’à l’apparition des Sassanides. Recenser les aspects à étudier – Les sources: inscriptions souvent bilingues (grec, araméen); monuments; découvertes archéologiques du golfe Persique; – les visages de la cité caravanière: garnison et portus romains; capitale arabe du grand commerce international. Définir les articulations possibles du plan – Palmyre, ville romaine des confins: 1) évolution de son statut (cité stipendiaire en 19 p. C., colonie sous Caracalla); 2) fonctions militaires de surveillance, à l’écart des affrontements avec les Parthes; 3) hellénisation superficielle de ses instances politiques et de ses élites; – Palmyre, métropole du désert: 1) port franc pour les marchandises de luxe d’ExtrêmeOrient (agora des caravanes, caravansérail, comptoirs palmyréniens dans le Golfe, sur l’Euphrate, en mer Rouge); 2) savoir-faire technique et commercial (chefs de caravanes, grands marchands); 3) nature et valeur du fret (pierres précieuses, épices, parfums, soieries); – Palmyre, creuset et conservatoire pluriculturel : 1) urbanisme et architecture (influences grecques, mésopotamiennes, parthes); 2) panthéon cosmopolite (60 divinités, rarement hellénisées); 3) choix culturels originaux (mythes mésopotamiens, traditions cultuelles arabes, ignorance de traits de la culture grecque: pas de thermes, de stade, d’hippodrome, de concours; théâtre petit et tardif; pas d’écrivains). Documents et exercices 15