CAHIER TECHNIQUE SPÉCIAL CONGRÈS 5. Les étonnantes
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CAHIER TECHNIQUE SPÉCIAL CONGRÈS 5. Les étonnantes
5. Les étonnantes propriétés de l’eau, principal constituant du vin La molécule d’eau est une des plus simples qui soit ; un atome d’oxygène couplé à deux atomes d’hydrogène. L’originalité réside cependant dans l’agencement particulier de ces 3 atomes. Les deux atomes d’hydrogène sont fortement liés à l’atome d’oxygène en formant un angle de très précisément 104,5°. C’est cette structure particulière où les 3 atomes ne sont pas alignés qui permet d’expliquer toutes les propriétés physiques et chimiques de la molécule d’eau : l’agencement non linéaire des atomes confère à la molécule une polarité. En termes simples, ceci signifie qu’elle se comporte comme un petit aimant, l’atome d’oxygène étant légèrement chargé négativement alors que chacun des atomes d’hydrogène porte une charge positive partielle. Chaque atome d’hydrogène exerce donc une attractivité envers des atomes chargés négativement et inversement l’atome d’oxygène attire d’autres atomes positifs. Dans l’eau pure ou dans toute solution aqueuse comme le vin, la principale molécule qui se trouve dans l’environnement d’une molécule d’eau est, bien sûr, une autre molécule d’eau (le nombre de molécules d’eau dans un litre d’eau pure à 25° C est de 3,34229 x 1025 soit environ 33 millions R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E SPÉCIAL TECHNIQUE de milliards de milliards de molécules par litre) si bien qu’il existe une attraction permanente entre molécules d’eau voisines. Une des conséquences de ceci est qu’il existe une très forte cohésion entre les molécules d’eau, chacune pouvant interagir simultanément avec 4 de ses voisines. Ces liaisons, dites liaisons hydrogène, sont cependant de toute autre nature que celles qui lient les atomes d’oxygène et d’hydrogène pour former la molécule d’eau : elles se caractérisent par leur extrême labilité, se faisant et se défaisant des millions de fois par seconde. On comprend ainsi pourquoi la molécule d’eau peut exister simultanément sous trois états physiques : solide, liquide et gazeux. Le nombre de liaisons hydrogène étant maximal dans la glace et minimal dans la vapeur d’eau, il faut fournir beaucoup d’énergie pour passer d’un état physique à un autre, ou même seulement pour élever la température de l’eau d’un degré puisque ceci nécessite la rupture d’un grand nombre de liaisons hydrogène. Ainsi une grande partie de la chaleur libérée lors de la fermentation alcoolique est consommée par l’eau pour rompre ses liaisons hydrogène, limitant ainsi la montée de la température dans les cuves de fermentation ou encore permettant de stabiliser la température du vin dans les barriques ou les bouteilles. Pour illustrer de façon plus imagée la cohésion des molécules d’eau, il suffit d’observer certains insectes qui peuvent marcher ou courir à la surface d’une étendue d’eau sans la rompre, comme si celle-ci était couverte d’un film invisible. C’est ce qu’on appelle la tension de surface. 13 M A I / J U I N 2 0 1 6 N ° 2 7 6 CAHIER Eau et vin n’ont jamais fait bon ménage auprès des vignerons. Les anecdotes cocasses et petites phrases assassines ne manquent d’ailleurs pas pour moquer l’eau et ceux qui en boivent. “Le vin c’est la France l’eau c’est la soufFrance” lit-on à l’entrée d’une cave du chinonais ou encore “Mettre de l’eau dans son vin, c’est faire de la fausse monnaie” Et pourtant…les plus réputés de nos grands crus comme d’ailleurs tous ceux de réputation moindre et jusqu’aux plus quelconques contiennent plus de 85 % d’eau, constituant essentiel à leur élaboration et à l’acquisition de toutes leurs propriétés organoleptiques. C’est l’eau en effet qui permet le déroulement de toutes les réactions chimiques qui font du vin ce qu’il est depuis le raisin et le début de la fermentation alcoolique, jusqu’à sa dégustation finale, puisque au cours du temps, il ne fait qu’évoluer et se transformer. Nombre de constituants du vin, qu’il s’agisse d’acides, d’esters, d’aldéhydes ou de sucres, n’existent pas naturellement dans le raisin ou dans les levures, mais proviennent de transformations chimiques qui se déroulent parallèlement aux fermentations alcoolique et malolactique ou postérieurement lors du vieillissement. La formation de ces constituants s’effectue grâce à des réactions catalyséees par des enzymes, réactions dont le déroulement est conditionné par l’environnement dans lequel elles se produisent (concentration, température, acidité, etc.). En limitant les variations de température, en facilitant la dissolution des composants transformés ou générés par ces réactions enzymatiques, en permettant la génération de substances tampon stabilisant le pH du milieu, l’eau constitue le milieu idéal ou ces réactions se dérouleront de façon optimale. Mais comprendre pourquoi une molécule aussi banale a priori est la seule à pouvoir jouir de cette qualité nécessite d’y regarder d’un peu plus près. CONGRÈS Par Francis Gauthier Professeur émérite de Biochimie - Université François Rabelais de Tours Les liaisons hydrogène ont aussi la particularité d’être plus longues que les liaisons covalentes qui unissent les atomes d’oxygène et d’hydrogène dans la molécule d’eau. En se refroidissant l’eau forme de plus en plus de liaisons hydrogène qui éloignent donc les molécules d’eau les unes des autres jusqu’à les positionner selon un agencement optimal parfaitement structuré que l’on retrouve dans un cristal de glace. La conséquence de ceci est que la glace est moins dense que l’eau liquide et occupe un volume plus grand que celui de l’eau, faits que l’on peut facilement contrôler en observant qu’un glaçon flotte dans un verre d’eau ou qu’une bouteille bien pleine éclate si elle congèle. TECHNIQUE SPÉCIAL CONGRÈS La polarité de l’eau explique également qu’elle est un solvant universel capable de dissoudre plus de substances que n’importe quelle autre molécule. Mise en contact d’une substance chargée ou seulement polaire (sans charge apparente), l’eau interagira soit par son pôle positif, soit par son pôle négatif avec la substance considérée, jusqu’à l’envelopper totalement et la dissocier ainsi de ses voisines. Ceci vaut aussi bien pour dissoudre un cristal de sel, de sucre ou toute grosse molécule polaire, quelle que soit sa nature. Celle ci sera solubilisée par l’eau environnante permettant ainsi son interaction avec les enzymes qui catalysent sa transformation. La plupart des constituants du vin seront ainsi solubilisés dans l’eau environnante et plus aisément transformés. L’eau participe aussi directement aux réactions chimiques grâce à son caractère nucléophile. Un nucléophile est un composé riche en électrons dits non liants, car ils ne participent pas à la formation des liaisons covalentes comme celles qui unissent les atomes d’oxygène et d’hydrogène. La molécule d’eau possède deux doublets d’électrons non liants capables d’attaquer directement des centres électrophiles, c’est à dire déficitaires en électrons. Ces réactions dites d’hydrolyse permettent à l’eau de rompre des liaisons chimiques et de dissocier de façon quasi irréversible des polymères de toute nature et ce, malgré son faible pouvoir nucléophile, lequel est compensé par l’énorme concentration des molécules d’eau. Par ailleurs, l’eau étant polaire, l’attaque nucléophile peut se produire sur une autre molécule d’eau. Il s’ensuit que l’eau peut s’ioniser selon la réaction H2O + H2O <===> H3O+ + OHL’eau liquide ne contient donc pas uniquement H2O mais également en très faible quantité des ions hydronium (H3O+) généralement notés H+ et une concentration égale d’ions hydroxydes OH-. La concentration de chacun de ces ions dans l’eau pure, calculée en mesurant la conductivité électrique, est de 10-7 molaire, ce qui signifie que dans l’eau liquide à 25° C, il existe une molécule d’eau dissociée pour 555 millions de molécules d’eau non dissociée. C’est cet équilibre entre ions positifs et négatifs qui définit la neutralité que l’on exprime de façon simple en termes de pH selon la relation pH = -log[H+]. La neutralité correspond donc à un pH de 7 si [H+]= [OH-]=10-7M. Toute solution où les ions positifs sont excédentaires est dite acide et aura un pH inférieur à 7 ce qui est le cas du vin à cause de la présence majoritaire d’acides de diverses nature qui libèrent des ions H+ dans le milieu en se dissociant. Inversement, si les ions négatifs sont majoritaires grâce à la présence de substances pouvant capter les électrons la solution sera basique. Grâce à sa polarité l’eau se comporte à la fois comme un donneur et un accepteur d’électrons, c’est-à-dire à la fois comme un acide et une base. L’eau a été qualifiée à juste titre de solvant de la vie, et c’est effectivement elle et nulle autre molécule qui peut assurer cette fonction. Si on devait résumer en une phrase les étonnantes propriétés de cette petite molécule et son rôle essentiel dans l’élaboration des vins, je reprendrais sans hésiter les paroles visionnaires de Galilée qui dés le 16ème siècle assurait que “le vin, c’est la lumière du soleil captive dans l’eau”. Vous avez réalisé une expérimentation, des essais, une découverte, vous avez testé un nouveau produit ou une nouvelle méthode, etc. Si vous souhaitez le faire savoir, adressez-nous votre texte. CAHIER Après examen par notre Comité de lecture, votre étude sera publiée dans la Revue Française d’Œnologie et disponible sur le site : www.oenologuesdefrance.com. Nos coordonnées : Tél : 04 67 58 69 06 R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E Email : [email protected] 14 M A I / J U I N 2 0 1 6 N ° 2 7 6